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Rapport | Doc. 15832 | 25 septembre 2023

Le thème de la migration et de l’asile en campagne électorale et les conséquences sur l’accueil des migrants et leurs droits

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteur : M. Pierre-Alain FRIDEZ, Suisse, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15415, renvoi 4622 du 24 janvier 2022. 2024 - Première partie de session

Résumé

Le thème de la migration et de l’asile s’est imposé ces dernières années comme l’un des éléments structurants du débat public lors de nombreuses campagnes électorales. Le traitement souvent partiel et partial par les médias et les partis politiques semble faire le lit des discours de haine dans le sillage d’un rétrécissement de l’offre politique trans-partisane, souvent au détriment de la protection des droits des personnes concernées et de leurs défenseurs.

Pourtant, rien ne permet d’affirmer que cette tendance soit révélatrice d’une adhésion à une vision restrictive des politiques migratoires et d’asile. L’intensification de ce phénomène s’accompagne de la montée de discours racistes et xénophobes mettant à mal non seulement les droits des personnes migrantes mais aussi la cohésion sociale et la sécurité démocratique en Europe.

Si les propos critiques voire opposés aux politiques migratoires et d’asile peuvent s’exprimer en démocratie, les discours de haine et les mesures discriminatoires ne peuvent constituer un programme politique respectueux des principes et des normes du Conseil de l’Europe.

Ce rapport propose de valoriser et de renforcer les instruments et programmes mis en place par le Conseil de l’Europe et ses partenaires depuis de nombreuses années pour accompagner la tenue d’un débat démocratique responsable sur ce thème désormais majeur.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 21 septembre 2023.

(open)
1. La Déclaration de Reykjavík adoptée lors du Quatrième Sommet des chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe rappelle les principes de l’Organisation face aux défis qui se posent pour les droits humains, l’État de droit et la paix en Europe parmi lesquels le recul démocratique, les atteintes à la liberté d’expression, et la prolifération de discours de haine. L’Assemblée parlementaire considère que le traitement du thème de la migration et de l’asile s’inscrit au carrefour de ces nombreux enjeux.
2. Considérant que les élections constituent des moments structurants pour la démocratie, l’Assemblée s’inquiète de l’intensification d’un traitement partiel et partial du thème de la migration et de l’asile durant les campagnes électorales qui légitiment des propositions politiques visant à entraver l’accès aux droits des personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile, en contradiction avec les normes du Conseil de l’Europe.
3. L’Assemblée reconnaît l’importance d’assurer l’expression d’opinions plurielles voire divergentes sur le thème de la migration et de l’asile durant les campagnes électorales. Elle souligne cependant avec fermeté que les discours de haine et les mesures discriminatoires ne peuvent constituer un programme politique respectueux des principes et des normes du Conseil de l’Europe et appelle les gouvernements des États membres ainsi que les acteurs clés dans la définition et la diffusion de la propagande électorale à mettre en œuvre la Recommandation CM/Rec(2022)16 du Comité des Ministres sur la lutte contre le discours de haine. L’Assemblée met l’accent sur l’urgence d’un volontarisme politique fort pour mettre un terme à l’instrumentalisation du thème de la migration et de l’asile à des fins électorales afin qu’il soit traité avec pondération en prenant en compte l’ensemble des enjeux qu’il recouvre.
4. L’Assemblée rappelle que le thème de la migration et de l’asile ne peut se résumer à des enjeux sécuritaires et appelle les hommes et les femmes politiques ainsi que les médias à prendre urgemment la mesure des conséquences d’un tel traitement sur la cohésion sociale et l’ordre public. Elle se déclare profondément préoccupée par l’augmentation des violences verbales et physiques envers les personnes étrangères ou perçues comme telles, notamment les personnes racisées et les membres de communautés religieuses minoritaires, qui en résultent. L’Assemblée rappelle, en particulier, les préoccupations qu’elle a exprimées dans la Résolution 2457(2022) «Sensibiliser à et lutter contre l’islamophobie, ou racisme antimusulman, en Europe».
5. L’Assemblée souligne que la banalisation d’une telle représentation s’accompagne d’une montée de l’intolérance envers les individus (défenseurs des droits, élus, journalistes) et les institutions (universités, organes de presse) favorables à l’accueil et à l’intégration des personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile. Elle appelle à sanctionner les manifestations de cette intolérance, en particulier les entraves aux libertés fondamentales notamment aux libertés de réunion et d’association, d’expression et de la presse, ou encore les atteintes à l’intégrité physique et morale des personnes.
6. Rappelant la Recommandation Rec(97)20 du Comité des Ministres aux États membres sur le «discours de haine» selon laquelle le discours de haine et l’intolérance minent «la sécurité démocratique, la cohésion culturelle et le pluralisme», l’Assemblée:
6.1. réitère l’importance pour tous les États membres de ratifier le Protocole no 12 à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 177);
6.2. salue le travail de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), et appelle les États membres à harmoniser leurs cadres juridiques en accord avec la Recommandation de politique générale n°15 de l’ECRI sur la lutte contre le discours de haine.
7. Rappelant les recommandations aux agents publics, organes élus et partis politiques formulées dans la Recommandation CM/Rec(2022)16 et rappelant la Résolution 1546 (2007) «Le code de bonne conduite des partis politiques», la Résolution 1889 (2012) «Image des migrants et des réfugiés véhiculée pendant les campagnes électorales» et la Résolution 2275 (2019) «Rôle et responsabilités des dirigeants politiques dans la lutte contre le discours de haine et l’intolérance», l’Assemblée:
7.1. rappelle que les personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile font partie intégrante des sociétés européennes et appelle les partis politiques et les médias à se faire l’écho de cette réalité, de manière constructive. Elle renouvelle son soutien aux groupes sous-représentés, notamment les personnes migrantes, au processus électoral en tant que candidats ou électeurs;
7.2. souligne la nécessité, ainsi que l’a mis en exergue le Comité des Ministres dans la Recommandation CM/Rec(2022)10 sur des politiques et une gouvernance multiniveaux pour l’intégration interculturelle, d’une «approche stratégique et cohérente à tous les niveaux de gouvernement afin de garantir l’efficacité et la pérennité des politiques dans le domaine de l’intégration et de l’inclusion des personnes migrantes» et de «favoriser un sentiment d’appartenance commun et pluraliste en valorisant la diversité, de renforcer la confiance sociale et la cohésion de la communauté grâce à une interaction significative entre des personnes de différents milieux socioculturels»;
7.3. rappelle l’obligation et la responsabilité morale pour les hommes et les femmes politiques de n’utiliser ni propos haineux ni vocabulaire stigmatisant, et de condamner immédiatement et clairement leur utilisation par autrui; elle réitère son appel aux partis politiques à adopter des instruments d’autorégulation qui interdisent et sanctionnent l’utilisation du discours de haine par leurs membres;
7.4. rappelle que l’État de droit, la démocratie et les droits humains sont les piliers du patrimoine constitutionnel de l’Europe et appelle les Partis politiques européens à se conformer au Code de bonne conduite en matière de Partis politiques (CDL-AD(2009)021) qui postule notamment que «[l]es partis politiques ne devraient pas agir contre les valeurs de la CEDH et le principe d’égalité» (article 18);
7.5. invite les partis politiques européens à adhérer à la Charte des partis politiques européens pour une société non-raciste et inclusive, dans sa version révisée de 2022;
7.6. recommande de lever les restrictions autorisées par l'article 16 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) concernant l'activité politique des personnes étrangères, en accord avec la Recommandation 799 (1977) «Droits et statuts des étrangers», notant que ce droit est déjà acquis pour les citoyens européens au sein de l’Union européenne. L’Assemblée encourage, en écho aux Lignes directrices sur la réglementation des partis politiques de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) et du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH), d’ouvrir aux personnes migrantes résidant légalement en Europe la possibilité d’être membre d’un parti politique afin qu’elles puissent participer à la nomination des représentantes et représentants des partis et qu’elles puissent présenter leur candidature aux élections locales;
7.7. rappelle l’importance de la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local (STE no 144) adoptée en 1992 et applicable aux personnes résidant légalement sur le territoire européen qui affirme que «la résidence d'étrangers sur le territoire national est désormais une caractéristique permanente des sociétés européennes» et invite les États membres non parties à ce texte à le signer sans plus tarder;
7.8. salue l’adoption par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe de la Résolution 431(2018) et de la Recommandation 419(2018) «Le droit de vote au niveau local, élément de l’intégration durable des migrants et des personnes déplacées dans les communes et régions d’Europe», salue le travail du Comité d'experts sur l'intégration interculturelle des migrants subordonné au Comité directeur sur l’anti-discrimination, la diversité et l'inclusion (CDADI), et appelle à l’intensification de la coopération entre l’Assemblée, le CDADI et le Congrès sur ces enjeux.
8. Dans la lignée des engagements pris par le Comité des Ministres dans la Recommandation CM/Rec(2022)16, l’Assemblée s’engage à jouer pleinement le rôle de promoteur des instruments et normes du Conseil de l’Europe:
8.1. elle encourage vivement le Conseil des élections démocratiques et la Commission de Venise à élaborer un code de conduite à destination des candidats et candidates aux élections et/ou des médias pour lutter contre les discours contraires à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur l’encadrement de la liberté d’expression et l’interdiction du discours de haine. Cette initiative apporterait une réponse aux problèmes récurrents lors des processus électoraux, soulignés dans le Rapport sur le droit électoral et l’administration des élections en Europe (CDL-AD(2020)023), et débattus en 2020 lors de la 17e conférence européenne des administrations électorale, en particulier concernant les campagnes négatives et le discours de haine durant les campagnes électorales;
8.2. elle encourage l’Alliance parlementaire contre la haine à envisager de se saisir de la question du traitement de la migration et de l’asile pendant les campagnes électorales, dans ses activités;
8.3. elle s’engage à promouvoir, de manière transversale au sein de ses travaux et auprès des formations politiques européennes concernées, les Recommandations de Politique Générale de l’ECRI et en particulier la Recommandation de politique générale n°15 sur la lutte contre le discours de haine, la Recommandation de politique générale n°16 sur la protection des migrants en situation irrégulière contre la discrimination ainsi que la Charte révisée des partis politiques européens pour une société non-raciste et inclusive;
8.4. elle appelle de ses vœux la formalisation d’une consultation régulière entre le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, le CDADI, l’ECRI et la Conférence des organisations internationales non-gouvernementales (OING) pour examiner la question du traitement de la migration et de l’asile pendant les campagnes électorales, dans un contexte plus large d’intégration des personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile, afin de faire converger les standards et les initiatives en la matière par la promotion d’outils de formation destinés aux administrations électorales concernant les normes du Conseil de l’Europe sur la lutte contre le discours de haine. L’Assemblée souligne l’importance d’associer la Représentante Spéciale de la Secrétaire Générale sur la Migration et les Réfugiés dans ce processus, notamment dans le cadre de ses missions d’information ainsi qu’au titre de la mise en œuvre du Plan d’Action du Conseil de l’Europe sur la protection des personnes vulnérables dans le contexte des migrations et de l’asile en Europe (2021-2025), et en particulier son pilier visant à «Encourager la participation démocratique et renforcer l’inclusion (droits de l’homme et démocratie)».
9. L'Assemblée réitère la recommandation émise dans la Résolution 2504 (2023) «Protection sanitaire et sociale des travailleuses et des travailleurs sans papiers ou en situation irrégulière» de supprimer la restriction du champ d'application personnel de la Charte sociale européenne (STE no 35).
10. L’Assemblée recommande aux parlements des États membres:
10.1. de se saisir des préoccupations et recommandations formulées dans la Résolution 2317(2020) «Menaces sur la liberté des médias et la sécurité des journalistes», et la Résolution 1889(2012) précitée;
10.2. de reconnaître, dans un instrument d’autorégulation, la gravité du discours de haine, y compris des discours subtils de haine, et de prévoir des mécanismes effectifs de signalement et de recours contre de tels propos. L’Assemblée recommande que les institutions nationales des droits humains soient associées à ce processus;
10.3. de travailler à l’adoption d’une définition du discours de haine en droit civil ou en droit pénal, ou à amender une telle définition, et de permettre l’examen de recours contre de tels propos en accord avec la Recommandation de politique générale n°15 de l’ECRI. L’Assemblée recommande que les institutions nationales des droits humains soient également associées à ce processus;
10.4. de travailler à l’amendement des législations électorales en vigueur afin que les administrations électorales ou d’autres organes compétents soient reconnus comme des organes de veille pouvant saisir une autorité compétente en cas de propos haineux tenus par un candidat ou une candidate durant une campagne électorale. L’Assemblée recommande également de travailler à l’élaboration de mécanismes administratifs permettant de répondre à la tenue de tels propos, et de les sanctionner selon une procédure juste, équitable et rapide;
10.5. de soutenir l’indépendance et la capacité d’action financière des autorités de régulation des médias publics;
10.6. de solliciter des rapports d’information auprès des commissions parlementaires compétentes sur la participation des personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile à la vie publique locale;
10.7. de tenir compte, en amont et en aval des réformes législatives sur le thème de la migration et de l’asile, des analyses et retours d’expérience émanant d’organisations de la société civile, d’universitaires, et d’organes officiels de défense des droits nationaux et européens.
11. L’Assemblée recommande aux groupes de presse et aux médias, dans la lignée de la Recommandation CM/Rec(2022)16:
11.1. d’intégrer et de soutenir les organes d’autorégulation y compris pour les médias privés et les médias en ligne;
11.2. de favoriser la prise de parole par les personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile dans les contenus les concernant;
11.3. de toujours mettre en contexte des propos orientés relatifs au thème de la migration et de l’asile et de rectifier systématiquement les fausses informations;
11.4. d’exercer une «clause de conscience médiatique» et de refuser la diffusion de paroles ou de contenus anti-démocratiques ou liberticides.
12. Concernant les organisations de la société civile et les associations, l’Assemblée:
12.1. salue l’engagement de la Conférence des OING du Conseil de l’Europe en faveur d’une approche globale de la migration ainsi qu’énoncé dans la Recommandation CONF/AG(2023)REC2 «Pour une approche globale des droits des réfugiés et des migrants et du rôle de la société civile» et l’encourage à promouvoir l’enregistrement des organisations fondées par les personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile et à faciliter leur représentation au sein de la Conférence;
12.2. recommande que les organisations de la société civile, y compris celles fondées par les personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile, communiquent activement auprès des partis politiques et des médias pour partager leurs analyses et, lorsque cela est approprié, des recommandations d’ordre politique en amont et durant les campagnes électorales;
12.3. encourage les instituts de recherche à poursuivre une large diffusion de leurs travaux sur la migration et l’asile et les engage à convier les hommes et les femmes politiques à débattre publiquement sur le thème de la migration et de l’asile.
13. A la lumière des enjeux visés par la présente résolution, l’Assemblée soutient le développement d’un projet de coopération parlementaire avec les parlements nationaux sur le rôle des partis politiques comme garants de la sécurité démocratique en Europe et promoteurs d’une offre politique pluraliste sur le thème de la migration et de l’asile, dans le plein respect des normes et valeurs du Conseil de l’Europe.
14. L’Assemblée appelle à une coopération renforcée paneuropéenne contre le discours de haine et les discriminations touchant notamment au traitement de la migration et de l’asile en campagne électorale. Une telle coopération pourrait impliquer les entités compétentes de l’Organisation et ses partenaires tels que l’Agence de l’Union européenne pour les droits fondamentaux (FRA), le Réseau européen des Institutions nationales des droits de l’Homme (ENNHRI), le Réseau européen des organismes de promotion de l'égalité (EQUINET), et l’OSCE/BIDDH.

B. Exposé des motifs par M. Pierre-Alain Fridez, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Il y a plus de dix ans, la Résolution 1889 (2012) «Image des migrants et des réfugiés véhiculée pendant les campagnes électorales» notait que «certains candidats et certains partis politiques présentent souvent les migrants et les réfugiés comme une menace et un fardeau pour la société, ce qui entraîne une augmentation de réactions négatives de l’opinion publique face à l’immigration et aux immigrants. (…) Ces facteurs sont ainsi devenus des enjeux électoraux pour certains partis politiques. Ils contribuent non seulement à accroître les manifestations de xénophobie, mais également à encourager la montée des partis populistes xénophobes, qui s’inscrivent de plus en plus dans un mouvement de radicalisation des politiques publiques antimigratoires.»
2. Face à l’intensification de ce phénomène, une proposition de résolution a été présentée à l’Assemblée parlementaire en décembre 2021, et renvoyée à la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées en janvier 2022. S’inscrivant dans la lignée de la résolution précitée, elle précise que «[l]es processus démocratiques sont affectés par la question migratoire, qui devient un sujet de société clivant et largement utilisé comme argument électoral (...). L’impact de ce phénomène est visible également dans les suites des campagnes électorales, en ce qui concerne la gestion administrative de l’asile et de l’accueil de migrants, et en ce qui concerne la perception d’une «crise» qui n’aurait pas de fin mais qui, au contraire, ne cesserait d’empirer.»
3. En juin 2022, dans la Résolution 2502 (2023) «Intégration des migrants et des réfugiés: des avantages pour toutes les parties prenantes», l’Assemblée s’est dite «vivement préoccupée par le fait que les migrations vers l’Europe ces dix dernières années ont suscité d’innombrables réactions négatives, alimentées par un discours public inspirant la peur et le ressentiment à l’égard des personnes qui arrivent d’autres pays.»
4. Le présent rapport pose la question des limites à la liberté d’expression lorsqu’elle promeut des discours de haine et des incitations à la discrimination. Parce qu’il touche à la manière dont les processus électoraux abordent des questions relatives à des populations souvent exclues de ces mêmes processus mais dont l’accès aux droits dépend fortement des résultats aux élections, les conditions d’un débat démocratique dans le plein respect de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) sont aussi en jeu.
5. Il s’agit de comprendre ce que les campagnes électorales expriment sur la nature du débat démocratique sur ces questions, de mettre en exergue les risques d’une instrumentalisation de ces thèmes sur l’accès aux droits des personnes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile, mais aussi sur l’espace démocratique plus généralement.
6. Cette démarche a motivé ma visite d’information en Suède du 24 au 26 mai 2023. Je suis très reconnaissant au Secrétariat de la délégation parlementaire suédoise auprès du Conseil de l’Europe, aux parlementaires et aux membres des administrations de m’avoir reçu à Stockholm pour me permettre de comprendre les raisons d’un tournant radical sur le thème de la migration et de l’asile inscrit dans l’accord de Tidö. Ma visite à Bortkyrka, une commune riche de 167 nationalités et membre du programme «Cités interculturelles» du Conseil de l’Europe, m’a donné l’occasion de mettre ces éléments en perspective et de constater de première main l’engagement des acteurs municipaux et associatifs sur le terrain.
7. Ce rapport s’inscrit dans la continuité de nombreux travaux du Conseil de l’Europe qui visent à promouvoir les normes applicables mais aussi des instruments de mise en œuvre, en particulier deux recommandations du Comité des Ministres adoptées récemment, la Recommandation CM/Rec (2022)12 sur la communication électorale et la couverture médiatique des campagnes électorales et la Recommandation CM/Rec (2022)16 sur la lutte contre les discours de haine.
8. Les auditions tenues avec des représentants de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), du Comité directeur sur l’anti-discrimination et l’intégration (CDADI) du Comité des Ministres, de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH), ainsi qu’avec la Défenseure des droits finlandaise, son homologue croate, et avec le Conseil de Déontologie des Journalistes belge (CDJ) et la rédaction du média en ligne InfoMigrants 
			(2) 
			Média en ligne fondé
conjointement par France Médias Monde, Deutsche Welle et l’agence
italienne ANSA. <a href='http://www.infomigrants.net/fr/'>www.infomigrants.net/fr/</a>. m’ont permis de prendre toute la mesure des nombreux outils disponibles au sein de l’Organisation et au-delà. Je leur suis extrêmement reconnaissant pour le temps qu’ils m’ont consacré et leur expertise. Si les instruments d’action sont là, je ne peux qu’insister sur l’importance d’un leadership politique fort pour qu’ils soient promus et mis en œuvre le plus largement possible.
9. La vigilance est de mise face à une banalisation croissante de discours qui portent en germe, si ce n’est en acte, des pratiques voire des lois attentatoires aux droits fondamentaux et qui instillent le doute sur les choix politiques qui se situent pourtant au fondement de nos démocraties en Europe.
10. Alors que les valeurs fondatrices du Conseil de l’Europe se sont vues réaffirmées lors du Quatrième Sommet des chefs d’États et de gouvernements à Reykjavík en mai 2023, et alors que les cycles électoraux se succèdent en Europe, je souhaiterais souligner toute la prégnance du sujet de ce rapport qui pose ni plus ni moins la question des conditions d’un débat constructif et apaisé, élément nécessaire à la promotion et la protection de la démocratie, de l’État de droit, et du respect des droits humains.

2. Les sources d’influence sur le débat public en période électorale

2.1. Les médias

11. Le rôle des médias et des réseaux sociaux est particulièrement prononcé sur les sujets relatifs à la migration et l’asile, bien qu’il ne s’agisse pas du seul sujet sur lequel la polarisation voire la crispation des opinions se fassent jour (les débats et décisions politiques prises durant la pandémie de covid-19 ou sur des sujets relatifs à l’écologie constituent des exemples).
12. Les médias fonctionnent aujourd’hui selon des paramètres fondés sur l’immédiateté de l’information, et sur des contenus dédiés à des auditoires ou des lectorats relativement acquis avec un faible degré de contradictoire et de pluralisme des opinions exprimées. Des défis importants se posent également concernant la pérennité des ressources humaines et financières pour assurer, en toute indépendance, une production de contenu de qualité étayé par des reportages et des analyses.
13. Ainsi que la rédactrice en chef du site d’information InfoMigrants l’a souligné, «peu de médias sont spécialisés sur la migration et traitent de ce sujet de façon détaillée et exclusive. [Lors des campagnes électorales], les programmes immigration des candidats sont traités aux côtés des programmes économiques ou des questions sociétales et donc de manière plus générale 
			(3) 
			Amara Makhoul, rédactrice
en chef d’InfoMigrants, audition tenue par la commission des migrations,
des réfugiés et des personnes déplacées, 15 mars 2023.».
14. Le rôle des supports de presse est double durant les campagnes électorales: relais de l’information et production de contenu d’une part; plateformes d’expression des partis politiques et candidats aux élections d’autre part. L’indépendance éditoriale des journalistes est aussi une condition indispensable au bon fonctionnement du débat démocratique.
15. Des garde-fous plus ou moins contraignants existent selon les États membres permettant, au-delà des lignes éditoriales propre à chaque média, de garantir la production de contenu fondé sur des éléments véridiques et étayés. Ces gardes-fous visent notamment à favoriser un relai équitable des propositions émises par les forces politiques en lisse lors d’une élection 
			(4) 
			Observatoire européen
de l’audiovisuel (2017), «<a href='https://rm.coe.int/la-couverture-mediatique-des-elections-le-cadre-legal-en-europe/1680789459'>La
couverture médiatique des élections: le cadre légal en Europe».</a>.
16. Les autorités de régulation sont en charge de veiller au bon fonctionnement de ces mécanismes; l’effectivité de l’exercice de leur mandat en toute indépendance et impartialité est donc essentielle. C’est ce qu’a rappelé le Comité des Ministres dans sa Recommandation CM (2022)11 sur les principes de gouvernance des médias et de la communication.
17. Si par le passé le traitement du sujet était le plus souvent structuré selon un clivage gauche/droite, les tendances en Europe de ces dernières années indiquent un mouvement des offres politiques vers le centre droit et la droite de l’échiquier, y compris pour les partis considérés comme des formations de centre gauche 
			(5) 
			<a href='https://irr.org.uk/article/immigration-integration-and-the-politics-of-fear/'>«Immigration,
integration and the politics of fear</a>», Institute of Race Relations, 11 août 2015. [En anglais
seulement].. Les relais médiatiques sont le miroir de cette tendance.
18. A temps de parole équitable pour les formations politiques, et parce que les angles d’approche favorisés par ces dernières relèvent principalement des questions d’insécurité, de coût économique et de peur d’un délitement de la cohésion sociale, les messages relayés dans les médias durant les campagnes électorales contribuent à nourrir un sentiment de crispation voire d’antipathie de la part des électeurs lorsqu’il s’agit d’aborder le thème de la migration et de l’asile 
			(6) 
			Georgiou & Zaborowski
(2017), <a href='https://rm.coe.int/couverture-mediatique-de-la-crise-des-refugies-perspective-europeenne/16807338f6'>«Rapport
du Conseil de l’Europe: Couverture médiatique de la «crise des réfugiés»: perspective
européenne»</a> – DG1(2017)03..
19. L’angle choisi par une équipe journalistique, et les experts conviés pour commenter ce sujet jouent donc un rôle majeur dans la façon dont une audience se forgera une opinion sur cette information. Les thèmes de la migration et de l’asile ne font pas exception à ce phénomène 
			(7) 
			Conzo
et al., «<a href='https://doi.org/10.1038/s41598-021-95800-2'>Negative
média portrayals of immigrants increase ingroup favoritism and hostile
physiological and emotional reactions </a>». Scientific Reports 11,
16407 (2021). [En anglais seulement].. De nombreuses études confirment le biais du traitement médiatique plutôt négatif sur ces thématiques et souvent désincarné (peu d’articles donnent la parole aux personnes en migration) 
			(8) 
			<a href='https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/medias-migrations-la-fabrique-de-l-opinion'>«Médias
Migrations: La Fabrique de l’opinion</a>», Sciences Po CERI, Institut Convergences Migrations
et association Désinfox-Migrations. 
			(8) 
			Eberl, Meltzer
et al. «<a href='https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/23808985.2018.1497452'>The
European média discourse on immigration and its effects: a literature
review </a>», Annals of the International
Communication Association, 42:3, 207-223 (2018). [En
anglais seulement].. A l’inverse, les études attestant de l’impact positif des migrations sur l’économie ont peu d’écho.

2.2. Les partis politiques

20. Le durcissement du discours en la matière frappe moins par sa nouveauté 
			(9) 
			M. Joseph Licari, à
l’époque vice-Président des Délégués des Ministres, le soulignait
déjà en 2002 dans son <a href='https://www.coe.int/t/dg3/migration/archives/Ministerial_Conferences/Migration_Sept2002/Disc_Licari_fr.asp'>allocution
aux ministres responsables des questions de migration</a>. que par l’affirmation de cette thématique comme l’un des points cardinaux des sujets de société comme en atteste l’émergence de partis politiques centrés sur la critique des politiques migratoires et d’asile (Alternative für Deutschland en Allemagne, UKIP au Royaume-Uni, le ZP en Türkiye, Reconquête en France).
21. Quant aux formations plus transversales, il semble impensable qu’elles n’émettent aucune proposition à ce sujet, le plus souvent en réponse à des craintes (économiques, sécuritaires, interculturelles) plutôt qu’en proposant des alternatives considérées coûteuses politiquement car détachées de ce qui est anticipé comme le ressenti d’une majorité de l’électorat. L’ECRI fonde notamment sa Recommandation de politique générale n°15 «Lutte contre les discours de haine» sur le fait que «l’usage du discours de haine ne se limite pas aux groupes extrémistes et concerne également le reste de la population. (…) Certains hauts responsables politiques ont exacerbé ce discours en utilisant, sans y être empêchés, des propos haineux dans leurs déclarations».
22. «L’obsession migratoire» structure de plus en plus les accords gouvernementaux comme l’ont montré l’accord de Tidö 
			(10) 
			«<a href='https://www.euractiv.fr/section/elections/news/le-nouveau-gouvernement-suedois-soutenu-par-lextreme-droite-les-liberaux-se-dechirent/'>Le
nouveau gouvernement suédois soutenu par l’extrême droite, les libéraux
se déchirent</a>», Euractiv, 18 octobre 2022. d’octobre 2022 passé entre les Démocrates de Suède, deuxième force politique au sein du Parlement suédois, et la coalition gouvernementale menée par le Parti Modéré avec les Chrétiens Démocrates et les Libéraux, ou encore l’accord passé entre le Parti des Finlandais également deuxième force au parlement depuis les dernières élections législatives et le gouvernement mené par le Parti de Coalition Nationale, les Chrétiens Démocrates et le Parti Populaire en avril 2023 en Finlande 
			(11) 
			«<a href='https://www.rts.ch/info/monde/14106357-coalition-entre-les-partis-de-centre-droit-et-dextreme-droite-au-gouvernement-finlandais.html'>Coalition
entre les partis de centre droit et d'extrême droite au gouvernement
finlandais</a>», Radio Télévision Suisse, 15
juin 2023..
23. Les temps de crise et d’insécurité fortes que traversent certains pays sont des terrains fertiles pour l’instrumentalisation des mouvements migratoires en temps électoral avec des risques importants sur les droits et la vie d’hommes, de femmes et d’enfants à des zones frontalières comme actuellement entre la Pologne et le Bélarus.
24. En 2023, la Commission Nationale de Défense des Droits de l’Homme (France) a insisté dans son rapport annuel sur les inquiétudes soulevées par «une année électorale marquée par des discours prompts à faire de l’étranger, de l’immigré, ou de leurs descendants, la cause de tous les maux» 
			(12) 
			Commission
nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), <a href='https://www.cncdh.fr/actualite/lancement-du-rapport-2022-sur-la-lutte-contre-le-racisme-lantisemitisme-et-la-xenophobie'>Lancement
du rapport 2022 sur la lutte contre le racisme, l'antisémitisme
& la xénophobie</a>,17 juillet 2023..
25. Les études attestant de l’impact positif des migrations sur l’économie ont peu d’écho. Certaines élections voient l’oblitération de thèmes de société pourtant structurants comme la santé ou la justice au profit quasi exclusif de débats sur l’asile et l’immigration (Brexit en 2016; élections législatives danoises en 2019; élection présidentielle en France en 2022).
26. Rares sont les programmes qui abordent la question de la migration d’un point de vue démographique (alors que la question du vieillissement est une réalité tangible), d’un point de vue économique (apports des migrations mais aussi problématiques liées à l’exploitation de nombreuses personnes migrantes sur le lieu de travail) ou interculturel. Le problème de l’offre politique sur la migration et l’asile n’est pas seulement que les éléments avancés puissent être faux, mais c’est aussi que l’offre politique ne présente que rarement des positions contraires ou à tout le moins complémentaires.
27. Cette obsession ne répond pas forcément aux attentes de l’entièreté de l’électorat. En France, alors que le thème de l’immigration ne comptait pas parmi les préoccupations majeures selon les instituts de sondage, ce thème s’est invité au cœur des campagnes de 2022, alors que le candidat principal qui l’a porté le plus dans la campagne a obtenu de faibles suffrages. Au Danemark, l’adoption de lois et politiques restrictives sur l’immigration depuis 2015 ne semble pas correspondre à des attentes particulières de la part de la population danoise. L’électorat favorable à une politique volontariste d’accueil et d’intégration ne trouve sur l’échiquier politique aucune formation qui représente ses positions à l’heure actuelle, laissant ces personnes sans relai politique de leurs opinions sur cette question 
			(13) 
			ODI (2022), <a href='https://odi.org/en/publications/public-narratives-and-attitudes-towards-refugees-and-other-migrants-denmark-country-profile/'>«Public
narratives and attitudes towards refugees and other migrants: Denmark
country profile</a>». [En anglais seulement]..
28. François Héran, chercheur émérite au Collège de France, parle d’un «déni d’immigration» soit «le procédé paradoxal qui consiste à grossir l’immigration à outrance pour conclure d’autant plus à la nécessité de lui infliger une «réduction drastique» (…) voire de la tarir complètement» 
			(14) 
			Héran
(2023), Immigration: le grand déni, Ed.
Seuil.. L’auteur démontre aussi que les «acteurs du débat public surestiment largement la capacité du pouvoir politique à modifier les tendances générales de l’immigration» et ce malgré une dizaine de lois votées en vingt ans sur la question, toutes tendances politiques confondues.
29. La bataille des chiffres masque souvent une absence de rigueur méthodologique (confondre nombre d’entrées irrégulières sur le territoire et nombre d’interceptions aux frontières; omettre les chiffres du solde migratoire en n’abordant pas le nombre de sorties du territoire), qui s’ajoute à des points aveugles du débat public pourtant cruciaux pour évaluer les politiques migratoires et d’asile, et permettre à l’électorat de se forger un avis. Cette critique vaut également pour l’Union européenne qui ne semble pas prendre véritablement en compte les résultats des travaux de recherche qu’elle finance pour forger ses décisions 
			(15) 
			Cantat
& Kalir, <a href='https://crisismag.net/2020/05/09/fund-but-disregard-the-eus-relationship-to-academic-research-on-mobility/'>«Fund
but disregard: the EU’s relationship to academic research on mobility</a>», Crisis Magazine, 9 mai 2020. [En anglais seulement]..
30. Les exemples sont finalement rares en Europe où le thème de la migration et de l’asile a été abordé de manière positive, optimiste, ou différemment des termes habituels (campagne du New Labour en 2008, campagne de régularisation en Espagne menée par le Parti socialiste (PSE) en 2006, ou la promesse du droit de vote des étrangers aux élections locales par le candidat du Parti socialiste en France en 2012).
31. Au sortir de la covid-19, la gestion politique de la pandémie a mis en lumière la précarité des travailleuses et travailleurs migrants et conduit à des initiatives politiques de régularisation des personnes en situation irrégulière pour leur permettre d’accéder à certains droits, notamment aux soins de santé (Italie, Portugal), et de reconnaissance du rôle des étrangers dans les secteurs clés de l’économie (secteur agricole, soins de santé, recherche de vaccins). Ces sujets n’ont pas du tout été repris dans les campagnes électorales consécutives à la pandémie.
32. De même, les campagnes électorales relaient peu ou pas les engagements de nombreux élus, notamment aux niveaux local et régional, dont le mandat relève pourtant d’un soutien électoral clair au profit de l’intégration et de l’accueil. Ces initiatives sont pourtant nombreuses et font leurs preuves. On pourrait citer aussi le maillage territorial dense des initiatives associatives dans l’Europe toute entière (par exemple en France l’Association des Villes et Territoires Accueillants 
			(16) 
			<a href='https://www.anvita.fr/'>ANVITA – Association Nationale
des Villes et Territoires Accueillants</a>.) y compris avec le soutien du Conseil de l’Europe (programme «Cités interculturelles» 
			(17) 
			Conseil de l’Europe, <a href='https://www.coe.int/fr/web/interculturalcities'>Programme
des «Cités interculturelles»</a>., engagement au sein du Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux sur la question de l’intégration des personnes migrantes 
			(18) 
			Congrès
des pouvoirs locaux et régionaux, «<a href='https://www.coe.int/fr/web/congress/migration-and-integration'>Migrants
et intégration». </a>).
33. Les campagnes électorales s’incarnent dans des contextes socio-économiques et géopolitiques plus larges et le thème de la migration et de l’asile peut servir de vecteur à d’autres sujets au demeurant peu voire nullement reliés à ce thème. Les procédés rhétoriques et les propositions politiques afférentes répondent d’ailleurs rarement aux problèmes qu’elles sont censées résoudre: on peut citer le triste exemple du Brexit qui, semblerait-il, n’a pas résolu la problématique du taux de chômage des Britanniques.
34. Ma visite en Suède confirme le risque d’une instrumentalisation de la présence des personnes migrantes comme expliquant les difficultés auxquelles fait face le pays. Il serait naïf de nier les limites du modèle d’intégration suédois 
			(19) 
			Banaś, «<a href='https://www.researchgate.net/publication/358595500_Swedish_Migrant_Integration_Policy_after_2015_A_Revised_Approach_in_the_Shadow_of_the_Migration_Crisis'>Swedish
Migrant Integration Policy after 2015. A Revised Approach in the
Shadow of the Migration Crisis</a>», Fuori Luogo Rivista di
Sociologia del Territorio, Turismo, Tecnologia, 9 – 1/2021.
[En anglais seulement]. Pages 69-85. si souvent porté en exemple. J’ai, lors de ma visite, été surpris par une forme d’évidence selon laquelle les personnes issues des communautés migrantes, souvent confondues avec les Suédois dont les parents ou les grands-parents migrèrent en Suède, constitueraient une société parallèle sans véritable horizon d’intégration, voire particulièrement versées dans la criminalité. Des représentants politiques m’ont conseillé la prudence à l’annonce de mon déplacement dans une ville de banlieue, laissant supposer une criminalité omniprésente, une situation que je n’ai pas du tout ressentie en me rendant sur place, bien au contraire.
35. Au-delà d’une impression générale, rien ne vient étayer le lien direct entre diversité des origines, présence de personnes migrantes et criminalité, même si cet amalgame est largement relayé dans les médias. Aucun de mes interlocuteurs, hormis les universitaires interrogés, ne sont revenus sur des éléments pourtant certainement structurants des difficultés que semble rencontrer le fameux modèle suédois en 2023: un système de redistribution qui s’essouffle, marqué par un écart encore jamais connu entre les foyers les plus riches et les foyers les plus pauvres 
			(20) 
			«<a href='https://www.thelocal.se/20221011/oxfam-economic-inequality-in-sweden-has-increased-significantly'>Oxfam:
Economic inequality in Sweden has increased 'significantly'</a>», The Local, 11
octobre 2022. [En anglais seulement].; une logique de plus de trente ans de privatisation d’un certain nombre de services de l’État 
			(21) 
			Burström, «Sweden:
recent changes in welfare state arrangements», International Journal of Health Services,
vol. 45, no. 1, 2015, pp. 87–104. [En
anglais seulement]. qui, fait sociologique et économique observable dans bien des terres d’immigration, ont mis en marge les personnes moins dotées en capital économique, social, éducatif parfois, et ce parfois sur deux, si ce n’est trois, générations 
			(22) 
			“<a href='https://www.aa.com.tr/en/europe/segregation-behind-gang-related-shootings-bombings-in-sweden-expert/2801311'>Segregation
behind gang-related shootings, bombings in Sweden”</a>, Anadolu Agensı,
30 janvier 2023. [En anglais seulement]..

3. Conséquences négatives sur les droits et la cohésion sociale

3.1. Accès restreint aux droits

36. La présentation négative de la présence et de l’arrivée des personnes migrantes dans les campagnes électorales a des conséquences directes sur l’accès aux droits de ces personnes et de leurs familles: augmentation du seuil de revenu minimum pour prétendre à des visas étudiant (par exemple au Royaume-Uni 
			(23) 
			Gouvernement britannique,
«<a href='https://www.gov.uk/government/news/changes-to-student-visa-route-will-reduce-net-migration'>Changes
to student visa route will reduce net migration </a>», 23 mai 2023. [En anglais seulement].) ou de modification des critères de regroupement familial qui ferment l’accès à certaines voies légales de mobilité (par exemple en Belgique 
			(24) 
			«<a href='https://lpost.be/2023/03/23/chez-nous-lavenir-du-regroupement-familial-en-danger-cela-en-prend-le-chemin/'>Chez
nous, l’avenir du regroupement familial en danger? Cela en prend
le chemin </a>», Le Post, 23
mars 2023.); durcissement des conditions d’accès aux soins pour les personnes étrangères souffrant de maladie chronique 
			(25) 
			Comité pour la santé
des exilés (Comede) (2023) <a href='https://www.comede.org/rapport-dactivite/'>Rapport d’activité
et d’observation 2022</a>. Défenseur des Droits, «<a href='https://www.vie-publique.fr/en-bref/24031-defenseur-des-droits-acces-aux-soins-des-etrangers-malades'>Le Défenseur
des droits s’inquiète de l’accès aux soins des étrangers malades</a>», 22 mai 2019.; expulsion de familles dont les enfants sont nés et sont scolarisés sur le territoire (proposition de l’accord de Tidö en Suède).
37. Au Danemark, l’ECRI 
			(26) 
			ECRI
(2022), <a href='https://rm.coe.int/sixieme-rapport-de-l-ecri-sur-le-danemark/1680a6d5d1'>«Rapport
de l’ECRI sur le Danemark»</a>. a souligné les conséquences directes de propos virulents de la part de certains responsables politiques durant la campagne électorale locale de 2017 ciblant les personnes Roms migrantes. Une loi adoptée en 2018 à la suite du débat suscité par ces propos autorise désormais la police à interdire tout accès à une commune aux personnes «susceptibles de créer une gêne dans le voisinage». A Copenhague, c’est l’unité immigration des services de police qui a la charge de la faire appliquer. L’ECRI recommande de se conformer à la Recommandation de politique générale n°11 qui précise que toute législation primaire ou secondaire amenée à cibler les membres ressortissants étrangers d’un groupe ethnique en particulier devrait être supprimée ou modifiée.
38. Les garanties procédurales et les conditions d’accueil des demandeurs d’asile peuvent se voir également restreintes sur la base des promesses portés par les partis élus (l’accord de Tidö en Suède prévoit la limitation du droit au regroupement familial et l’accès à un interprète ou un représentant juridique pour les réfugiés) 
			(27) 
			Civil Rights Defenders
(2022), <a href='https://crd.org/2022/12/16/our-review-of-the-tido-agreement-tidoavtalet/'>«Our
review of the Tidö Agreement (Tidöavtalet)».</a> [En anglais seulement].. Au Royaume-Uni, le parti conservateur a longtemps promis des réformes de l’asile et des lois sur l’immigration aboutissant, dans la loi sur la «migration illégale», à toute une série d’entraves au droit d’asile 
			(28) 
			HCR, <a href='https://www.unhcr.org/fr/actualites/communiques-de-presse/projet-de-loi-sur-limmigration-illegale-au-royaume-uni-le-hcr-et'>«Projet
de loi sur l'immigration illégale au Royaume-Uni: le HCR et le Bureau
des droits de l'homme des Nations Unies mettent en garde contre
les graves répercussions sur les droits humains et sur le régime
international de protection des réfugiés»</a>, 18 juillet 2023.. Il en est de même pour l’Italie où le gouvernement nommé en septembre 2022 a adopté un décret (décret Cutro) restreignant très fortement les droits des demandeurs d’asile, ce dont s’est inquiété le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale dans les conclusions de son avis soumises lors de sa 110e session en août 2023.
39. Comme le rappelle François Héran, «chaque article de loi, chaque alinéa d’un décret ou d’une circulaire susceptible de relever le seuil de ressources, d’ajouter une épreuve, de modifier un critère, de changer les durées d’attente et ainsi de suite, peut affecter la vie quotidienne des familles concernées, leur santé physique et mentale, le sort des enfants. L’intégration (…) est compromise par la succession de dispositions législatives ou administratives dictées par la suspicion systématique ou les peurs supposées des électeurs 
			(29) 
			Héran, op.cit.

3.2. Banalisation des positions prônant l’inégalité des droits

40. La surenchère «anti-migrants» est particulièrement notable lors des campagnes pour l’élection à la tête d’un parti, campagnes qui ont parfois lieu durant une législature et ont donc un impact discursif sur la vie politique au-delà du parti lui-même. Pour reprendre l’exemple français, la campagne menée par les divers candidats du parti politique Les Républicains (LR) en novembre 2022 était concomitante à la tenue d’un débat parlementaire sur un nouveau projet de loi sur l’immigration et l’asile porté par le gouvernement. Parmi les propositions de campagne du candidat finalement victorieux pour diriger le parti LR figurait notamment la fin du droit à l’éducation pour les enfants dont les parents séjournent irrégulièrement sur le territoire français. Des propositions du même type peuvent être retrouvées en Suède où la ministre de l’Immigration a annoncé sa volonté que les services sociaux et les professeurs des écoles informent de la situation irrégulière des personnes y compris des parents d’élève 
			(30) 
			<a href='https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/07/la-suede-lance-la-chasse-aux-sans-papiers_6153409_3210.html'>«La
Suède lance la chasse aux sans-papiers</a>», Le Monde, 7
décembre 2022..
41. Peu importe qu’un certain nombre de propositions émises s’avèrent irréalistes, soumises à des examens de conformité, voire retoquées par décision de justice une fois mises en œuvre: l’impact est réel sur la manière dont se glisse, dans les discours et dans les imaginaires collectifs, une habituation à un traitement non pas différencié mais discriminatoire dans l’accès aux droits fondamentaux des personnes en fonction de leur statut administratif, y compris pour les enfants.
42. La nuance est importante: la différence de traitement entre nationaux et étrangers, voire entre Européens et extra-Européens, est certes autorisée dans les textes mais un certain nombre de principes protègent les droits de toutes et tous quel que soit leur statut administratif dans les secteurs de la protection sociale, de l’enfance 
			(31) 
			Comité européen des
droits sociaux, <a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=09000016805d0385'>N°
47/2008</a>, 28 février 2010. [En anglais seulement]., de la santé 
			(32) 
			Comité
des Ministres, Recommandation CM/Rec(2011)13 <a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=09000016805cbd67'>sur
la mobilité, les migrations et l’accès aux soins de santé</a>., de l’accès à un hébergement d’urgence 
			(33) 
			Comité européen des
droits sociaux, <a href='https://www.coe.int/fr/web/european-social-charter/processed-complaints/-/asset_publisher/5GEFkJmH2bYG/content/no-86-2012-european-federation-of-national-organisations-working-with-the-homeless-feantsa-v-the-netherlands'>N°
86/2012</a>, 25 octobre 2017. [En anglais seulement].. Ces éléments sont rappelés dans la Recommandation de politique générale de l’ECRI n°16.

3.3. Intersectionalité des violences envers les personnes jugées indésirables

43. La banalisation d’un discours aliénant qui fait porter aux personnes migrantes la responsabilité de problématiques de société, ou qui martèle l’impossibilité de l’accueil, nourrit le ressentiment envers les personnes étrangères. Ce procédé touche également les personnes issues d’un parcours familial d’immigration, ou des personnes dont les pratiques cultuelles sont considérées comme distinctes de la culture dominante du pays concerné. En toile de fond se niche la considération que ces personnes, dans leur diversité, sont indésirables dans la société. En Allemagne, l’ECRI constatait en 2019 que «le discours islamophobe et xénophobe constamment martelé par l’extrême droite a également déteint sur le discours politique général 
			(34) 
			ECRI (2020), <a href='https://rm.coe.int/rapport-de-l-ecri-sur-l-allemagne-sixieme-cycle-de-monitoring/16809ce4c1'>«Rapport
de l’ECRI sur l’Allemagne</a>».
44. Lors de ma visite en Suède, des membres du Conseil des Jeunes de Botkyrka ont exprimé le souhait de quitter la Suède, leur pays de naissance, où ils craignent d’être discriminés en raison de leurs origines ou de celles de leurs parents. La section locale du Département de lutte contre les discriminations m’a également fait part du sentiment de crainte et d’insécurité exprimé par l’intégralité des associations des diasporas de la ville, un phénomène inédit au regard des trente dernières années. En novembre 2022, le Mécanisme d’experts onusien chargé de promouvoir la justice et l’égalité raciales dans le contexte du maintien de l’ordre a alerté sur la prévalence d’un racisme systémique en Suède 
			(35) 
			ONU,
«<a href='https://news.un.org/en/story/2022/11/1130217'>Sweden:
Step up efforts to fight systemic racism, urge UN experts</a>», 4 novembre 2022. [En anglais seulement]..
45. Fin 2021, c’est la Commissaire chypriote à la protection de l’enfance qui tirait la sonnette d’alarme en référence à des propos du porte-parole du gouvernement qui considérait que la présence importante d’enfants issus de l’immigration était un problème. La Commissaire a rappelé que de tels propos, que cela soit ou non intentionnel, aggravaient le sentiment d’insécurité, de xénophobie et d’intolérance dans le pays 
			(36) 
			«<a href='https://dialogos.com.cy/epitropos-paidioy-katapeltis-kata-pelekanoy-gia-paidia-me-metanasteytiki-viografia/'>Επίτροπος
Παιδιού: «Καταπέλτης» κατά Πελεκάνου για παιδιά με μεταναστευτική
βιογραφία</a>», Dialogos, 11 novembre
2021. [En grec seulement]..
46. Cette même année, le rapport annuel du ministère à l’Égalité espagnol notait que la banalisation des préjugés xénophobes dans les médias et de la part de partis politiques gagnant en puissance au parlement comme le parti Vox envers des personnes originaires de pays d’Afrique du nord, d’Amérique du sud et d’Afrique sub-saharienne, aboutissait à des discriminations réelles subies par ces personnes dans l’accès à l’éducation et au logement 
			(37) 
			«<a href='https://www.reuters.com/article/us-spain-rights-discrimination-idUSKBN29U228'>Discrimination
worsens in Spain, far-right and fake news largely to blame</a>», Reuters, 25
janvier 2021. [En anglais seulement]..
47. La pesanteur de cette violence sourde s’ajoute à l’augmentation des attaques à caractère raciste durant et à la suite de campagnes électorales ayant vu des partis d’extrême droite gagner en popularité aux élections générales ou législatives (Grande Bretagne 
			(38) 
			«<a href='https://blogs.lse.ac.uk/politicsandpolicy/brexit-and-hate-crime/'>Brexit
and hate crime: why was the rise more pronounced in areas that voted
Remain?</a>», LSE Blog on British Politics and Policy, by Albornow,
Bradley and Sonderegger, 12 janvier 2021. [En anglais seulement]., République de Chypre 
			(39) 
			HCR, <a href='https://www.ohchr.org/fr/documents/concluding-observations/cerdccypco23-24-concluding-observations-combined-twenty-third-and'>«Observations
finales du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale</a>», 12 mai 2017.).

3.4. Conséquences sur les voix considérées comme «partisanes»

48. Les conséquences de campagnes électorales véhémentes sur le thème de l’asile prennent également la forme d’une restriction de l’espace de la société civile voire de la criminalisation des organisations et individus qui promeuvent l’accueil et les droits des personnes migrantes, y compris demandeuses d’asile et réfugiées. La tendance de telles entraves à la liberté d’association serait à la hausse depuis 2018 selon des investigations journalistiques dans 14 pays européens 
			(40) 
			«<a href='https://www.opendemocracy.net/en/5050/hundreds-of-europeans-criminalised-for-helping-migrants-new-data-shows-as-far-right-aims-to-win-big-in-european-elections/'>Hundreds
of Europeans ‘criminalised’ for helping migrants – as far right
aims to win big in European elections</a>», Open Democracy, 18 mai 2019. [En anglais seulement]., au point que le Parlement européen a adopté une résolution établissant des lignes directrices destinées aux États membres pour empêcher que l’aide humanitaire ne soit érigée en infraction pénale en 2018.
49. L'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne (FRA) répertorie les actions judiciaires engagées contre les ONG de sauvetage depuis 2015 et s’en inquiète 
			(41) 
			FRA
(2018), <a href='https://fra.europa.eu/fr/publication/2019/fundamental-rights-considerations-ngo-ships-involved-search-and-rescue'>«NGO
ships involved in search and rescue in the Mediterranean and criminal
investigations</a>». [En anglais seulement].. Ces intimidations et entraves s’appuient sur des lois adoptées généralement à la suite de promesses de campagnes visant à réduire l’immigration non autorisée de l’Espagne à la Croatie, de la Suisse à la Grèce 
			(42) 
			Amnesty International
(2020), <a href='https://www.amnesty.org/fr/documents/eur01/1827/2020/fr/'>«Europe:
Compassion sanctionnée: La solidarité devant la justice au sein
de la Forteresse Europe. Résumé». </a>.
50. Les journalistes couvrant le thème de la migration et de l’asile sont également la cible de ces types de restrictions, ainsi que l’a souligné l’Assemblée dans la Résolution 2317 (2020) «Menaces sur la liberté des médias et la sécurité des journalistes en Europe». La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe s’est prononcée sur le contexte grec dans un communiqué en janvier 2023.
51. Du point de vue du droit, aucune entrée irrégulière ne peut être considérée comme illégale tant que la situation individuelle de la personne migrante n’a pas été étudiée (en vertu du respect du droit d’asile), et l’aide humanitaire ne peut constituer un délit. Cependant, les moyens juridiques déployés pour pénaliser des actions contestables du point de vue des États sont suffisamment puissants pour entraver l’exercice légitime des droits (liberté d’association, droit de demander l’asile) voire de dissuader même de se saisir de ces droits par craintes de représailles. Ces mesures peuvent mettre en danger la vie des personnes qui ont besoin d’être secourues, ce qu’a souligné la Rapporteure spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits en février 2023 
			(43) 
			«<a href='https://www.euractiv.fr/section/institutions/news/la-justice-europeenne-desavoue-la-loi-qui-a-entraine-la-fermeture-de-luniversite-soros-en-hongrie/'>La
justice européenne désavoue la loi qui a entraîné la fermeture de
l’université Soros en Hongrie</a>», Euractiv, 7 octobre
2020..
52. En 2018, la Commission de Venise et le BIDDH ont conjointement émis un avis sur la «loi Stop Soros» en Hongrie proposée à la suite des élections législatives d’avril dans le contexte de l’arrivée de personnes migrantes en Europe et des «activités des forces pro-immigration menaçant la souveraineté nationale». Cette proposition de loi, considérée par la suite incompatible avec les standards européens selon la Cour de Justice de l’Union européenne 
			(44) 
			Idem., a notamment conduit à la fermeture progressive du programme d’intégration des étudiants réfugiés de l’Université d’Europe Centrale de Budapest 
			(45) 
			Association Européenne
des Anthropologues Sociaux, «<a href='https://easaonline.org/publications/support/ceuolive'>EASA’s
executive committees express concerns over the sudden and unexplained
closure of the CEU Refugee Education Initiative – OLIve»</a>,10 février 2023. [En anglais seulement]..

4. Liberté d’expression en campagne électorale

4.1. Normes et standards du Conseil de l’Europe

53. Le Comité des Ministres a rappelé, dans sa Recommandation CM/Rec(2022)16 précitée «que la liberté d’expression vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies favorablement ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population».
54. Si la liberté d’expression est une valeur cardinale en démocratie, elle n’est pas un absolu ainsi que le prévoit l’article 10(2) de la Convention européenne des droits de l'homme. En 2015, la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu qu’une forme d’ingérence pouvait se justifier «si les propos ont été tenus dans un contexte politique ou social tendu» et «si les propos, correctement interprétés et appréciés dans leur contexte immédiat ou plus général, peuvent passer pour un appel direct ou indirect à la violence ou pour une justification de la violence, de la haine ou de l’intolérance». Par ailleurs la Cour apprécie aussi la capacité à nuire, directement ou indirectement 
			(46) 
			Cour
européenne des droits de l’homme, <a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng'>Arrêt Perinçek c. SUISSE
(requête n°27510/08</a>).. Ces éléments sont repris dans l’annexe à la Recommandation CM/Rec(2022)16.
55. Le Comité des Ministres s’est accordé, dans la Recommandation Rec(97)20 sur une définition du discours de haine. Néanmoins, cette définition n’est pas reprise uniformément dans les diverses législations des États membres.
56. Selon la Cour, le contexte d’une campagne électorale engage particulièrement la parole des émetteurs de contenus relatifs à cette échéance, comme le souligne le Comité des Ministres qui parle de «position d’influence» des agents publics, des organes élus et des partis politiques. Dans son dernier rapport annuel, la Défenseure des Droits de Croatie fait référence à la Recommandation de politique générale n°15 de l’ECRI et à la Recommandation CM/Rec(2022)16 du Comité des Ministres et pointe, l’influence particulière de la parole des figures publiques sur les citoyens, en particulier si ces propos sont tenus ou relayés dans les médias ou sur Internet. La Défenseure fait à ce titre la promotion d’un code de conduite destiné aux membres du gouvernement et à certains officiels, et d’un code de conduite destiné aux membres du Parlement croate. Elle recommande que son application fasse l’objet d’un suivi spécifique et que la loi croate soit amendée afin d’intégrer de manière plus spécifique des critères et des peines associées sur ce qui constitue un discours public de haine y compris en ligne. L’enjeu, selon la Défenseure, est d’appréhender ce délit selon des termes juridiques et objectifs afin que toutes les accusations soient dûment répertoriées et évaluées sans que cela ne soit dénoncé comme une position partisane 
			(47) 
			Site de la Défenseure
des droits de Croatie, <a href='https://www.ombudsman.hr/hr/sloboda-izrazavanja-2/'>Sloboda
izražavanja – Pučka pravobraniteljica.</a>[En croate seulement]..
57. La décision de la Cour européenne des droits de l’homme rendue en mai 2023 
			(48) 
			Cour
européenne des droits de l’homme, <a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng-press'>Arrêt de Grande
Chambre Sanchez c. France – condamnation pénale du requérant pour
n’avoir pas promptement supprimé des commentaires illicites publiés
sur son compte Facebook</a>, 15 mai 2023. reconnaissant un élu local, candidat aux élections législatives en France, coupable de ne pas avoir promptement supprimé des commentaires incitant à la haine et au racisme sur son compte Facebook par des tiers confirme cette position. Cette décision est d’autant plus importante qu’elle vise des propos tenus sur des médias en ligne.
58. Un mouvement émerge depuis une dizaine d’années au sein des autorités de régulation, des programmateurs et gestionnaires de contenu ainsi que des gestionnaires des plateformes en ligne pour établir des cadres de régulation de ces espaces d’expression. De nombreux projets se penchent ainsi sur la manière dont les algorithmes fonctionnent et peuvent permettre d’identifier, voire de bloquer, des contenus haineux en ligne. Le Conseil de l’Europe prend pleinement part à l’appréhension du rôle et des responsabilités de ces «intermédiaires d’internet» comme le démontrent les paragraphes 30 à 37 que leur consacre la Recommandation CM/Rec(2022)16.

4.2. Limites

59. Réguler la liberté d’expression ne va évidemment pas sans risques. Nous avons noté plus haut les dérives de certaines législations qui visent à sanctionner les voix d’opposition sous couvert d’une protection de l’ordre public et de la sécurité intérieure.
60. Il est également difficile parfois de pouvoir démontrer qu’un discours est un discours de haine. Certaines organisations de la société civile ont appelé cela les «discours de haine subtils» 
			(49) 
			Stop Funding Hate &
Ethical Consumer (2022), <a href='https://research.ethicalconsumer.org/research-hub/addressing-subtle-forms-of-anti-migrant-hate-2022'>«Addressing
subtle forms of hate in UK media coverage of migration». </a>[En anglais seulement]. c’est-à-dire des prises de position publiques qui associent de façon disproportionnée les personnes migrantes avec certains faits de société. Cela normalise des amalgames qui font le lit des préjugés et des positions xénophobes.
61. Une autre limite revient également à nier l’importance de réguler la liberté d’expression sous prétexte d’une égalité de traitement pour toutes les composantes de la société. Ainsi que l’a dûment souligné le Comité des Ministres dans la Recommandation CM/Rec(2022)16: «le discours de haine a des effets négatifs, multiples et de gravité variable sur les personnes, les groupes et les sociétés, notamment parce qu’il suscite peur et humiliation chez les personnes visées et qu’il décourage la participation au débat public, ce qui est préjudiciable à la démocratie».
62. Lors de ma visite en Suède, l’importance de la liberté d’expression semblait justifier, auprès de mes divers interlocuteurs issus de la plupart des partis politiques rencontrés, que l’on puisse, sans être inquiété, brûler un Coran ou une Torah. Il semblait tout aussi évident que brûler une Bible devrait être accepté si cela se produisait et qu’une telle expression d’intolérance était certes signe de bêtise mais ne pouvait être entravée. L’éducation à la tolérance, la possibilité de porter plainte et possiblement la loi du Talion constituent des réponses acceptables à la défense de la liberté d’expression. Cette position a été réitéré par le Gouvernement suédois dans un communiqué officiel faisant état d’une entente sur ce point avec le Gouvernement danois 
			(50) 
			<a href='https://government.se/statements/2023/07/statement-by-prime-minister-ulf-kristersson/'>Statement
by Prime Minister Ulf Kristersson</a>, 30 juillet 2023. [En anglais seulement].. C’est, à mon avis, méconnaître les ressors des structures de domination qui prévalent, même involontairement, au bénéfice de certains groupes de populations majoritaires et pour lesquels les accès aux services, à un mécanisme de plainte, ou pour qui le sentiment d’appartenance à la société sont plus aisés que pour des communautés minoritaires et souvent minorées.

4.3. De la justesse des propositions politiques restrictives sur la migration et l’asile

63. Certains programmes durant les campagnes électorales s’appuient sur le droit européen pour légitimer des propositions visant à traiter de manière différenciée les personnes. Si certains droits énoncés dans la Convention européenne des droits de l’homme sont absolus et non dérogatoires, ce n’est en effet pas le cas du droit à la vie privée et familiale (article 8 de la Convention). Ce n’est pas non plus le cas des droits économiques et sociaux énoncés dans la Charte sociale européenne révisée (STE no 163) qui ne s’applique pour le moment qu’aux personnes migrantes portant la nationalité d’un des États parti à la Charte, et qui elles seules peuvent se prévaloir de l’article 19 (relatif à la non-discrimination) auquel ont souscrits les 29 États membres qui ont adopté cet article en tout ou en partie. Les personnes migrantes extra-européennes ne peuvent faire l’objet d’un traitement différencié bien que le Comité de suivi de la Charte ait rappelé que certains droits devaient être garantis à toutes les personnes quel que soit leur statut.
64. Or, ce sont ces aspects-là que martèlent sans relâche certains leaders et programmes politiques, se défendant de toute xénophobie. Le programme gouvernemental finlandais prévoit ainsi l’élément suivant: «Pour promouvoir l’intégration, le Gouvernement fera la distinction entre les immigrés et les résidents permanents en Finlande concernant le système de sécurité sociale et le système d’allocations, en accord avec les principes constitutionnels requis» [traduction non officielle] 
			(51) 
			<a href='https://julkaisut.valtioneuvosto.fi/handle/10024/165044'>«A
strong and committed Finland – the Government’s vision</a>», 20 juin 2023. [En anglais seulement]..
65. Que ce traitement différencié soit légal ne signifie pas qu’il ne puisse être discuté politiquement: ce rapport mentionne plus haut les conséquences bien réelles que peuvent avoir ces propositions une fois mises en œuvre.

5. Les campagnes électorales: un instantané reflet d’une projection de société

5.1. «Résister, Réagir, Repenser»: la méthode promue par l’OSCE/BIDDH

66. De nombreux travaux de recherches démontrent que contrer les discours de haine ou même tenter d’infléchir les positions politiques de l’électorat durant une campagne est bien souvent peine perdue: la polarisation des opinions se renforce en général à mesure que l’échéance électorale se rapproche. Pour l’électorat indécis, il semble qu’un réflexe conservateur incite davantage à voter en faveur de positions restrictives vis-à-vis d’un thème, comme celui de la migration et de l’asile, principalement présenté comme un défi, un problème voire une menace.
67. En 2021, le BIDDH a publié un guide visant à encourager le relai d’une parole constructive et centrée sur les droits humains concernant le thème de la migration 
			(52) 
			OSCE/BIDDH (2021), <a href='https://www.osce.org/odihr/shaping_balanced_migration_narratives'>«Shaping
Balanced Political Discourse and Constructive Narratives on Migration:
Guidance and Good Practice from the OSCE Region»</a>. [En anglais seulement].. A l’appui de nombreux exemples concrets déjà en place dans les divers pays de son mandat, l’organisation internationale propose une méthode en trois axes: résister à la tentation de la surenchère autour de propositions politiques non constructives qui relaient des stéréotypes et des discours malveillants; réagir face aux manifestations de propos ou d’actes racistes et xénophobes, les dénoncer comme inacceptables et contrecarrer des propos inappropriés et infondés; repenser un discours politique autour du thème de la migration ou créer les conditions permettant à un tel discours d’émerger.
68. Cette méthode trouve à s’appliquer durant les élections ainsi que Mme Meaghan Fitzgerald l’a expliqué aux membres de la commission lors de son audition 
			(53) 
			Audition de Mme Meaghan
Fitzgerald, cheffe du Bureau des Elections, OSCE/BIDDH, devant la
Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées,
15 mars 2023. en rappelant que les missions d’observation du Bureau des élections de l’OSCE/BIDDH notent un usage croissant de propos blessants et intolérants ces dernières années.

5.2. Le danger d’une banalisation des discours de haine

69. Les institutions nationales et internationales notent une recrudescence inquiétante des discours de haine depuis plusieurs années, justifiant la mise en place d’initiatives telles que la Campagne Jeunesse contre le Discours de Haine du Conseil de l’Europe lancée en 2013.
70. Cette tendance est moins le signe d’une adhésion que celle d’une absence d’alternative politique face à un phénomène somme toute banal de par le monde, affaire de perception voire de manipulation dans bien des aspects sans gestion réelle du phénomène lui-même. Cette tendance est aussi le signe d’une habituation à une manière extrêmement négative d’appréhender cette réalité, et à une banalisation de discours qui singularisent, essentialisent «les migrants» comme n’ayant pas vocation à devoir venir en Europe, ou à y rester pour celles et ceux déjà établis en Europe.
71. Bon nombre de ces propositions s’inscrivent en faux contre les normes et les valeurs du Conseil de l’Europe et doivent être combattues. Leur banalisation menace le socle de l’universalité des droits sur lequel repose l’Organisation. A cet égard, il faut rappeler que l’Assemblée a adopté la Résolution 2011 (2014) «Faire barrage aux manifestations de néonazisme et d'extrémisme de droite», appelant les parlements nationaux à «s'assurer qu'aucun financement public n’est octroyé à des partis prônant des discours de haine et des crimes de haine» et «à adopter des codes de conduite incluant des garanties contre les discours et crimes de haine, sur quelque motif que ce soit.» En 2015, le Comité des Ministres s’est engagé à relayer cet appel.
72. La promotion de la liberté d’expression pour justifier de propos attentatoires à la dignité des personnes et de propositions qui aboutiraient à nier l’accès aux droits contrevient, pour un certain nombre de ces propositions, aux limites imposées par le cadre normatif qui s’applique en Europe. Il s’agit ainsi d’un dévoiement de la liberté d’expression pour promouvoir des mesures qui contredisent l’esprit voire violent la lettre des normes que les États membres du Conseil de l’Europe ont eux-mêmes forgées et adoptées.
73. Des cadres juridiques condamnant les propos haineux et les discours plus subtils mais tout aussi malveillants tenus hors ligne et en ligne sont nécessaires et c’est pourquoi la Recommandation de Politique Générale N°15 de l’ECRI ainsi que la Recommandation du Comité des Ministres CM/Rec(2022)16 insistent sur ces éléments.
74. C’est aussi ce qu’ont souligné les chefs d’États et de gouvernements lors du Quatrième Sommet notant le rôle du Conseil de l’Europe dans la lutte contre le discours de haine et la désinformation et s’engageant, dans les principes de Reykjavík pour la démocratie, à «garantir une participation pleine, égale et significative à la vie politique et publique pour tous, en particulier pour les femmes et les filles, sans violence, peur, harcèlement, discours et crimes de haine, ainsi que sans discrimination fondée sur quelque motif que ce soit 
			(54) 
			<a href='https://rm.coe.int/4e-sommet-des-chefs-d-etat-et-de-gouvernement-du-conseil-de-l-europe/1680ab40c0'>«Déclaration
de Reykjavík: Unis autours de nos valeurs»,</a> Sommet de Reykjavík 16-17 mai 2023, 4e Sommet
des chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe.».

5.3. Réguler et prévenir: permettre l’émergence d’un espace démocratique sain

75. De nombreuses initiatives existent permettant aux partis politiques mais aussi aux médias de définir les cadres d’une régulation de la parole publique selon des termes objectifs en accord avec les normes et standards applicables. L’UNESCO propose par exemple des outils de «traitement journalistique collaboratif sur la migration 
			(55) 
			UNESCO & Erich
Bröst Institute for Journalisme (2022) <a href='https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000382638'>«Couvrir
les migrations et les réfugiés: manuel pour les formateurs en journalisme</a>».
76. Pour les partis politiques, le travail de la Commission sur l’égalité et la non-discrimination de l’Assemblée parlementaire a conduit à l’adoption de la Résolution 2443 (2022) «Le rôle des partis politiques dans la promotion de la diversité et de l’inclusion: une nouvelle Charte pour une société non raciste». Cette charte est ouverte à signature. Les travaux de la Commission de Venise sont également d’intérêt, dans son rôle de suivi des élections mais également par sa capacité à fédérer autour de principes directeurs (Code de bonne conduite en matière électorale ou en matière de partis politiques) y compris dans sa coopération avec le BIDDH/OSCE.
77. Enfin, il est important de citer le travail du réseau des institutions nationales de défense des droits en Europe, EQUINET, qui vient de publier une version actualisée de la Recommandation sur la lutte contre les discriminations et le discours de haine durant les campagnes électorales 
			(56) 
			Equinet (2019) <a href='https://equineteurope.org/publications/combatting-discrimination-and-hate-speech-in-election-campaigns/'>«Combatting
Discrimination and Hate Speech in Election Campaigns» – equineteurope.org</a>  [indisponible en langue française]..
78. En ce qui concerne les médias, le Comité des Ministres a adopté des recommandations à la fois sur les mesures concernant la couverture des campagnes électorales par les médias (Rec (99)15) et sur la lutte contre le discours de haine sur la base des travaux du Comité d'experts pour la lutte contre le discours de haine qui aborde la question sous l’angle de l'anti-discrimination et l'inclusion d’une part, et des médias et de la société de l'information d’autre part.
79. La régulation par les autorités de régulation publique est un garde-fou important, si tant est bien entendu que ces instances soient pleinement indépendantes. L’Autriche est un exemple intéressant, l’organe officiel de régulation des médias publics proposant par exemple une série d’éléments à vérifier afin de contrer tout risque de malveillance ou de désinformation lorsqu’un thème relatif à l’asile et aux réfugiés est abordé 
			(57) 
			Ethical
Journalism Network, <a href='https://ethicaljournalismnetwork.org/checklist-reporting-refugees'>«Muslims
in the Média: Migration – Checklist for reporting on refugees.»</a> [En anglais seulement]..
80. Les organes d’auto-régulation des médias sont également des outils utiles auxquels se rattachent les organes et groupes de presse qui le souhaitent selon un cercle vertueux de veille et de droit de regard légitime de la part de pairs de la profession y compris auprès d’organes de presse privés non soumis aux autorités publiques de régulation.
81. J’ai eu, à cet égard, l’occasion d’échanger avec le Conseil de Déontologie Journalistique 
			(58) 
			CDJ, <a href='https://www.lecdj.be/fr/deontologie/recommandations-directives/'>«La
couverture des campagnes électorales dans les médias – recommandation
(2ème version)</a>», 2019. (CDJ) belge qui propose des outils et une expertise pour garantir une «veille de conscience médiatique» afin de pouvoir, de manière professionnelle, proposer une information qui soit utile aux lecteurs, aux spectateurs, aux auditeurs et in fine aux électeurs. Comme le signalait la présidente du CDJ 
			(59) 
			Entretien
avec Mme Hannot, présidente du CDJ, 23
juin 2023., «l’objectif n’est pas d’empêcher la parole, mais de donner une perspective à ces paroles. Le travail journalistique est un travail responsable: il doit pouvoir donner une information vérifiée et recoupée, honnête, qui n’omet pas d’information essentielle, qui n’est pas stigmatisante ou discriminante, et qui ne mentionne pas des informations personnelles abusives». Il y va de la responsabilité déontologique mais aussi légale des médias.
82. Enfin, si l’on accepte les cadres de régulation, auxquels les autorités de régulation et les organes d’autorégulation font référence, comme émanant de cadres communs issus des normes et standards européens, leur promotion devrait être largement effectuée dans les instances de formation initiale et continue des professionnels de la politique, y compris au sein des administrations, et des journalistes.

5.4. Penser autrement les politiques migratoires et d’accueil

83. Il est urgent de donner à voir et à entendre aux citoyennes et aux citoyens une offre ou des offres politiques concrètes qui envisagent la question de la migration et de l’asile d’une autre manière. Cela est d’autant plus surprenant que des exemples existent. Les partis politiques s’inspirent insuffisamment de ces réalités pour nourrir leurs programmes et leur offre électorale.
84. Si des contre-discours d’oppositions ne sont pas suffisants, ils sont nécessaires: face à la banalisation des discours instillant le soupçon, la méfiance voire la haine envers certains groupes qui, qu’on le veuille ou non, sont partie prenantes de nos sociétés, une réaction systématique rappelant les lignes rouges que nos sociétés ont définies et choisies comme cadre de fonctionnement me semble éminemment important.
85. Le travail mené au sein du Conseil de l’Europe pour élaborer des outils et des normes permettant l’expression de débats démocratiques apaisés, constructifs, et non-discriminatoires est important 
			(60) 
			Council of Europe (2018), <a href='https://edoc.coe.int/en/refugees/8040-spaces-of-inclusion-an-explorative-study-on-needs-of-refugees-and-migrants-in-the-domain-of-media-communication-and-on-responses-by-community-media.html'>«Spaces
of Inclusion – An explorative study on needs of refugees and migrants
in the domain of media communication and on responses by community
media»</a>. [En anglais seulement].. Le programme des Cités interculturelles, ainsi que le travail du Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux, sont des espaces structurants au sein du Conseil de l’Europe pour penser les politiques d’accueil et d’intégration. Le Congrès s’est d’ailleurs positionné depuis 2019 en faveur du droit de vote des étrangers aux élections locales.
86. La participation politique des personnes migrantes en campagne électorale mériterait, elle aussi, d’être explorée, par exemple la notion de citoyenneté urbaine 
			(61) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/interculturalcities/-/seminar-on-urban-citizenship-making-places-where-everyone-can-belong-'>«La
citoyenneté urbaine: Créer des lieux où chacun peut trouver sa place
– Programme des «Cités interculturelles»»</a>. portée par la programme des Cités interculturelles, mais aussi le droit à devenir membre d’un parti politique et d’élire les représentants des partis 
			(62) 
			Meaghan Fitzgerald, op. cit..
87. En juin 2023, l’Assemblée a recommandé dans la Résolution 2504 (2023) «Protection sanitaire et sociale des travailleuses et des travailleurs sans papiers ou en situation irrégulière» que le champ d’application ratione personae de la Charte sociale révisée soit élargi à toutes les personnes établies sous la juridiction d’un État partie à la Charte.

6. Conclusion

88. «La démocratie représentative et délibérative ne peut se réduire à une simple politique d’opinion» 
			(63) 
			Héran, op.cit., et ce d’autant plus au vu des conséquences dans les faits et dans la loi que les discours politiques peuvent avoir sur les personnes migrantes et réfugiées, sans d’ailleurs qu’elles aient, dans leur diversité, voix au chapitre.
89. Rien ne prouve que la tendance observée sur la manière dont ce thème est traité aujourd’hui soit irréversible, ni qu’il soit révélateur d’une adhésion pleine et entière de la majorité de la population à une vision restrictive des politiques migratoires et d’asile. Les initiatives, locales pour la plupart, en faveur de l’accueil, dans tous les États membres, mais aussi les décisions prises par divers gouvernements de mener des campagnes de régularisation sans qu’une vindicte populaire ne vienne s’y opposer sont des éléments tangibles de cette réalité.
90. Le fait que ces éléments concrets, factuels, ne soient pas relayés durant les campagnes électorales pose la question d’un «utilitarisme migratoire» sans vision ni réel intérêt pour cette question au-delà des peurs et des frustrations auxquelles elle semble devoir être rattachée. Pourtant, les revirements des gouvernements italien, britannique, plus ouverts à une immigration de travail qu’annoncé durant les campagnes législatives ou internes aux partis, semblent indiquer que les propositions émises ne sont guère réalistes ne serait-ce qu’économiquement.
91. Les bonnes pratiques et les solutions évoquées dans ce rapport visent à assurer les conditions d’un débat démocratique apaisé permettant l’expression d’opinions politiques antagonistes sans que cela ne verse dans l’invective et le discours de haine. Les différents organes du Conseil de l’Europe proposent de nombreux outils pour accompagner les responsables politiques, les médias, les organisations de la société civile, mais aussi les citoyennes et citoyens pour atteindre cet objectif.
92. Si les propos critiques voire opposés aux politiques migratoires et d’asile peuvent s’exprimer en démocratie, les discours de haine et les mesures discriminatoires ne peuvent constituer un programme politique respectueux des principes et des normes du Conseil de l’Europe.
93. Un nombre croissant de propositions politiques vont bien au-delà du traitement différencié autorisé en droit, et visent à réinstaurer un principe d’inégalité entre nationaux et étrangers, y compris en matière d’accès aux droits les plus fondamentaux (garanties procédurales, droit d’asile, accès aux soins de santé d’urgence, droit à l’éducation). Cette vision s’invite de plus en plus dans les campagnes électorales, et s’accompagne d’une montée des discours de haine à propos de laquelle le Comité des Ministres lui-même se montre inquiet. Cette tendance est dangereuse pour les personnes d’origine étrangère et perçues comme telles. Elle est aussi symptomatique d’un imaginaire politique qui peine à se renouveler sur des thèmes pourtant fortement actuels.
94. Face à la nécessité évidente de trouver des réponses pérennes et démocratiques qui puissent battre en brèche la montée des discours de haine et permettre la confrontation d’idées politiques sur un enjeu désormais majeur, le présent rapport propose des pistes pour valoriser et renforcer les instruments et programmes permettant d’accompagner la tenue d’un débat pondéré sur ce thème dans le respect des principes de la liberté d’expression.
95. L’importance et l’impact des campagnes électorales confirment le rôle des partis politiques pour structurer l’offre politique disponible en démocratie représentative. Il est grand temps que les hommes et les femmes politiques abordent la question de la migration et de l’asile comme ce qu’elle est: un sujet riche dont le traitement a un impact sur la vie d’hommes, de femmes et d’enfants. Je souscris par ailleurs aux propos de l’ancien Défenseur des Droits français Jacques Toubon selon qui «le respect des droits des étrangers est un marqueur essentiel du degré de protection et d’effectivité des droits et libertés dans un pays 
			(64) 
			Défenseur des Droits, <a href='https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/rapports/2016/05/les-droits-fondamentaux-des-etrangers-en-france'>«Les
droits fondamentaux des étrangers en France</a>», mai 2016.