1. Introduction
1. D’après les estimations du
Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), à la mi-2023, le nombre
de personnes ayant besoin d’une protection internationale dans le
monde a atteint le chiffre record de 47,5 millions (110 millions
si l’on compte les personnes déplacées). Bien que la plupart d’entre
elles ne se trouvent pas en Europe (qui accueillait environ 12 millions
de personnes réfugiées et de personnes demandeuses d’asile à fin
2022, soit environ 1,7 % des plus de 700 millions de citoyen·nes
des États membres du Conseil de l’Europe), les pays européens ont
également connu une augmentation importante du nombre de personnes
en quête de protection internationale, enregistrant à la mi-2023
le plus grand nombre de nouvelles demandes d’asile individuelles
depuis 2016
. A la
suite de nombreuses crises internationales ayant conduit à des phases
d’augmentation du nombre de personnes demandant une forme de protection internationale
en Europe
, et en lien avec des
tendances politiques en Europe, les débats sur la migration et l’asile
occupent une place de premier plan sur l’agenda politique européen
depuis les années 1990.
2. L’Europe est également confrontée à une forme de chantage
migratoire exercé par certains États. En outre, des inquiétudes
ont été exprimées quant à l’«instrumentalisation des migrations»
aux frontières par certaines autorités nationales, ce que l’Assemblée
parlementaire a condamné dans sa
Résolution 2040 (2021) intitulée «L’instrumentalisation de la pression migratoire
aux frontières de la Lettonie, de la Lituanie et de la Pologne avec
le Bélarus».
3. Face à cette évolution, le discours des influenceurs de l’opinion
publique selon lesquels les systèmes d’asile actuels sont défaillants
s’est renforcé. Ainsi, au cours des dernières années, la nécessité
réelle de réviser une législation sur l’asile devenue obsolète a
fait place à une remise en question fréquente de la pertinence des
cadres, assortie d’une justification pleinement assumée d’une tendance
quasi structurelle à un changement de politique. Cette situation
se traduit dans les États membres par une accélération de plus en plus
marquée des procédures d’asile et de l’externalisation de ces procédures
en coopération avec les pays de transit, de premier asile, voire
avec des pays dont les personnes concernées n’ont jamais foulé le
sol.
4. Le nombre d’affaires portées devant la Cour européenne des
droits de l’homme (ci-après «la Cour») ces dernières années montre
que plusieurs de ces évolutions mettent en danger les droits procéduraux
ou sont constitutifs d’un manquement aux obligations des États parties
. À cet égard, une tendance
préoccupante se dessine: certain·es représentant·es d’États font
valoir que les décisions des tribunaux, au niveau national ou européen,
entravent de plus en plus la souveraineté de leur État en matière
de gestion du système d’asile, notamment à décider de restreindre
les garanties en matière de droits humains pour l’accès aux procédures d’asile
ou au cours de ces procédures.
5. En plus de constituer une violation des droits humains, ces
politiques de dissuasion ont contribué, ces dernières années, à
engendrer encore plus de chaos et de souffrances humaines ainsi
qu’une perte de contrôle. À force de répéter, depuis vingt ans,
que le système d’asile fait l’objet d’abus et s’avère inefficace,
la question même de l’asile, à savoir la protection des personnes
fuyant la persécution, a tourné à l’obsession et est devenue un
problème à résoudre, comme si des restrictions à l’accès au territoire
et au droit fondamental de demander l’asile pouvaient suffire à
faire baisser le nombre de demandeurs et demandeuses d’asile.
6. L’état d’urgence permanent, dans le cadre duquel une question
politique est traitée comme une gestion de crise depuis des décennies,
n’est pas seulement contradictoire sur le plan terminologique (si
la situation est permanente, c’est qu’elle ne relève peut-être pas
de l’urgence), il fausse également l’élaboration des politiques.
Le fait de conditionner la sécurité intérieure et aux frontières
à des politiques d’asile plus restrictives relègue l’obligation
de protéger les personnes demandeuses d’asile au second plan par
rapport à la sécurité nationale. Cette méprise a des conséquences
terribles sur les vies humaines et alimente l’idée fausse, au sein du
grand public, que les personnes migrantes, y compris celles qui
ont besoin d’une protection internationale, constituent un problème,
renforçant ainsi la xénophobie et le racisme.
7. Il faut allier la question de la sécurité nationale à celle
de la protection des droits humains, sans établir de hiérarchie
des priorités ni les conditionner l’une à l’autre car une telle
approche est contre-intuitive et dangereuse. Elle sert de justification
à de perpétuelles réformes politiques qui pèsent sur l’ensemble
du système administratif et mettent à rude épreuve les fonctionnaires
contraint·es de s’adapter à de nouvelles procédures. De plus, pendant
les périodes de transition ou de changement soudain des règles,
les personnes qui demandent l’asile rencontrent fréquemment des
difficultés importantes lors du traitement de leur dossier
.
8. Ces réformes ont souvent un caractère national, et les personnes
demandeuses d’asile ainsi que les agent·es des services d’asile
font les frais du manque de coordination entre les États membres
qui n’appliquent pas de manière homogène les normes prévues par
Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés
et son protocole de 1967 (ci-après «la Convention sur les réfugiés»).
Par ailleurs, l’absence de procédures harmonisées au niveau européen,
dans des États où les ressources consacrées à l’asile sont inégales,
justifie à elle seule la mise en œuvre de réformes supplémentaires
au niveau régional qui renforcent la même tendance contre-productive
et donnent lieu à des stratégies d’évitement, voire à la méfiance
entre États
.
9. Les réformes de la politique d’asile ont souvent été présentées
sous l’angle de considérations sécuritaires. Cependant, le lien
entre les politiques d’asile et de sécurité est artificiellement
exagéré, en raison, notamment, du nombre disproportionné de reportages
sur les crimes commis par des personnes demandeuses d’asile ou réfugiées,
et du traitement populiste de ce sujet dans le discours politique.
En mettant en place des mécanismes d’urgence pour parer à l’arrivée
de ces personnes au lieu d’adopter des politiques structurelles
en matière d’asile, dotées de ressources suffisantes, les autorités
publiques favorisent l’émergence de manœuvres de diversion et de
situations de désespoir du côté des individus concernés. Cette approche
a d’autres conséquences: des stratégies d’endiguement et de gestion
où le placement en rétention d’adultes et d’enfants demandeurs d’asile
devient la norme, et où les personnes demandeuses d’asile suscitent
la méfiance.
10. Face à ce dramatique statu quo, le présent rapport entend
examiner les pratiques actuelles et démontrer, par une analyse factuelle,
que l’obligation de mettre en place des procédures d’asile respectueuses des
droits humains ne va pas à l’encontre des intérêts des autorités
étatiques en matière d’ordre et de sécurité, bien au contraire:
une approche des procédures d’asile conforme aux droits humains
est une approche pragmatique qui soutient l’État de droit et garantit
ainsi la sécurité et les libertés publiques de toutes et tous.
11. Dans ce contexte, la proposition de résolution intitulée «Garantir
des procédures d'asile conformes aux droits humains»
(Doc. 15601) demande à l’Assemblée de «proposer des lignes directrices
aux parlements nationaux sur la manière de mettre en œuvre les normes
internationales contraignantes existantes afin de permettre aux
États membres de déterminer les conditions d’entrée sur leur territoire
tout en protégeant les droits humains de celles et ceux qui fuient
la guerre, les persécutions, la violence et les conséquences du changement
climatique». Le rapport devrait également prendre en considération
les propositions de résolution suivantes: «Transfert et réinstallation
des demandeurs d’asile» (
Doc. 15571) et «L’externalisation de l’asile augmente le risque
d’affaiblir le système de protection internationale» (
Doc. 15912).
12. Il convient de préciser qu’indépendamment de l’éventail très
large de questions que le titre de ce rapport peut couvrir, celui-ci
s’intéressera plus particulièrement à l’accès aux procédures d’asile
et à leur qualité. Cela signifie notamment le respect du droit de
demander l’asile, du principe de non-refoulement en tant que principe fondamental
découlant de l’interdiction, non susceptible de dérogation, de la
torture et des droits procéduraux ancrés dans l’article 13 de la
Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5,
«la Convention»). Le rapport n’examinera pas le respect des droits
civils, politiques, économiques, culturels et sociaux, pas plus
qu’il n’abordera les aspects spécifiques de la Directive de l’Union
européenne relative à la protection temporaire, qui a été activée
pour les personnes fuyant la guerre d’agression menée par la Fédération
de Russie contre l’Ukraine depuis février 2022.
2. Obligations juridiques et normes internationales
13. La mise en œuvre de procédures
d’asile conformes aux droits humains relève des obligations qui incombent
à chaque État membre en vertu du droit international des droits
humains, en particulier de la Convention sur les réfugiés ainsi
que de la Convention européenne des droits de l’homme.
14. En vertu de l’article 33 de la Convention sur les réfugiés,
les personnes réfugiées ne peuvent être envoyées vers un lieu où
elles pourraient être persécutées. Cependant, cette convention ne
précise pas le type de procédure à adopter pour déterminer le statut
de réfugié et il appartient à chaque État membre d’en établir les
modalités. Toutefois, les États membres doivent s’assurer que toute
personne demandant l’asile bénéficie d’une procédure respectueuse
des droits humains. Cela suppose avant tout de garantir un accès
effectif à la procédure d’asile.
15. En outre, la Convention européenne des droits de l’homme impose
aux États d’assurer la sécurité des personnes relevant de leur juridiction,
par le biais d’un certain nombre d’obligations négatives et positives découlant
de ses articles 2 et 3 ainsi que de l’article 4 de son Protocole
n°4 (STE no 46). Les aspects procéduraux
devraient être conformes à l’article 13 de la Convention sur le
droit à un recours effectif. Le droit de bénéficier d’une assistance
juridique est consacré par l’article 6 (3) (c) de la Convention,
qui prévoit la possibilité de pouvoir être assisté gratuitement
par un avocat d’office «lorsque les intérêts de la justice l’exigent».
16. La Cour a clairement indiqué que «l’effectivité d’un recours
au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue
favorable pour le requérant» (
A.M c.
Pays-Bas). Il convient également de noter que la Cour
estime que dans les situations de privation de liberté, lorsque
des personnes se voient refuser l’entrée sur le territoire, sont
retenues dans des «zones d’attente» ou dans tout lieu où une «fiction
de non-entrée» est établie en droit, «l’article 13 combiné avec
l’article 3 de la Convention commande que la voie de recours à sa disposition
pour faire valoir un risque sous l’angle de l’article 3 en cas de
renvoi satisfasse à des exigences particulières de célérité» (
requête
n° 39126/18, affaire
E.H. c. France).
17. En outre, l’obligation de respecter les droits de l’homme
(article 1 de la Convention) s’applique dès lors qu’un lien juridictionnel
est établi, ce qui peut être le cas dans des situations extraterritoriales.
Ce point a été confirmé dans l’affaire
Hirsi Jamaa
c. Italie, qui portait sur l’interception en haute mer
par un navire italien de personnes demandeuses d’asile et leur renvoi
en Libye. La Cour a affirmé que les États doivent s’assurer, au moyen
d’un examen individuel, que les personnes renvoyées ne seront pas
exposées au risque d’être soumises à la torture ou à des peines
ou traitements inhumains ou dégradants, indépendamment du fait qu’elles
aient ou non fait explicitement part de leur crainte d’être persécutées
.
18. L’accès au territoire d’asile est également garanti par la
Convention, comme l’a précisé la Cour dans des affaires concernant
des personnes qui avaient été renvoyées ou empêchées d’entrer de
manière irrégulière sur le territoire de la Grèce, de la Hongrie,
de l’Italie, de la Lituanie et de la Pologne. Conformément aux obligations
découlant de l’article 3 et/ou de l’article 13 combiné à l’article 3,
les États membres ne peuvent pas expulser une personne demandeuse
d’asile vers un pays tiers sans examiner au fond sa demande d’asile
(voir par exemple la
requête no 47287/15,
Ilias Ahmed c. Hongrie).
19. Il est important de noter que la Cour a déjà reconnu les défis
que peut poser l’afflux massif de personnes migrantes et demandeuses
d’asile, rappelant le caractère absolu et non susceptible de dérogation
de l’article 3 de la Convention: «la Cour ne saurait sous-estimer
le poids et la pression que cette situation fait peser sur les pays
concernés, d’autant plus lourds qu’ils s’inscrivent dans un contexte
de crise économique. Elle est en particulier consciente des difficultés
engendrées par l’accueil des migrants et demandeurs d’asile lors
de leur arrivée dans les grands aéroports internationaux ainsi que
par la disproportion du nombre de demandeurs d’asile par rapport
aux capacités de certains de ces États. Toutefois, vu le caractère
absolu de l’article 3, cela ne saurait exonérer un État de ses obligations
au regard de cette disposition» (
requête n° 30696/09,
M.S.S. c. Belgique et Grèce).
3. L’asile
en Europe: une vue d’ensemble basée sur des faits
20. Ces dernières années, l’asile
et les migrations, ainsi que les politiques y afférentes, ont fait
l’objet de discussions très animées et, dans certains cas, de manipulations
politiques. Le présent rapport adopte une approche axée sur la recherche
de solutions, et s’appuiera donc sur des éléments probants issus
de plusieurs sources d’information officielles qui fournissent des
données convergentes sur la réalité de la question, aussi bien d’un
point de vue quantitatif que qualitatif. En regroupant ces différentes
sources d’information, le rapport établit une base solide de faits
se prêtant à une analyse conséquente.
21. Afin de compléter les données disponibles par des statistiques
officielles, une demande d’information a été adressée aux parlements
des États membres ainsi qu’aux partenaires pour la démocratie et
aux États observateurs auprès de l’Assemblée, par l’intermédiaire
du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires
(CERDP). Des réponses ont été reçues de la part de 35 pays – 34 États membres
et le Canada – et du Service de recherche du Parlement européen,
que je remercie vivement. Les principales caractéristiques sont
résumées ci-après.
3.1. La
plupart des personnes qui demandent l’asile en Europe viennent de
pays déchirés par la guerre
22. Au cours des dernières années,
le nombre de personnes en quête d’une protection internationale
a considérablement augmenté, au regard notamment de la croissance
globale de la population mondiale
. Par conséquent,
le nombre de décisions prises par les services d’asile a également
progressé
. Dans ce contexte, il convient
de noter que le nombre de décisions et de demandes n’équivaut pas
au nombre de personnes qui déposent une demande d’asile, sachant
qu’une même personne peut introduire plusieurs demandes en raison de
mouvements secondaires et que plusieurs décisions peuvent ainsi
concerner une même personne.
23. En 2022, au moins 5 099 936 décisions en matière d’asile ont
été rendues en première et en deuxième instance dans 34 États membres,
soit quatre fois plus qu’en 2017, où elles s’élevaient à 1 243 292.
En 2022, la grande majorité des décisions ont donné lieu à l’octroi
d’une protection temporaire (84,2 %), et moins de 9 % des demandes
ont été rejetées ou déclarées irrecevables. En 2017, une forme de
protection internationale avait été accordée dans 44 % des cas.
24. D’après les statistiques nationales, la majorité des personnes
qui demandent l’asile sur le sol européen sont reconnues comme ayant
besoin d’une forme de protection internationale. La plupart d’entre
elles sont originaires des cinq pays suivants: Afghanistan, Syrie,
Irak, Russie et Türkiye en 2022; Afghanistan, Syrie, Türkiye, Irak
et Maroc en 2023, même si, de toute évidence, l’Ukraine est de loin
le pays d’origine le plus fréquemment représenté, avec plus de quatre
millions de statuts de protection temporaire délivrés à ses ressortissant·es
en 2022 et plus d’un million en 2023
. Ces
données confirment que la plupart des personnes qui demandent une
protection en Europe proviennent de pays ravagés par la guerre,
notamment l’Ukraine, la Syrie et l’Afghanistan.
25. Selon Eurostat, le taux de protection accordé en première
instance par les États membres de l’Union européenne a atteint 53 %
en 2023, et un tiers des décisions de rejet rendues à ce niveau
ont été annulées par les juridictions supérieures. D’après les données
du CERDP, ce sont les millions de personnes fuyant la guerre d’agression
menée par la Russie contre l’Ukraine qui ont fait l’objet du plus
grand nombre de décisions positives.
3.2. La
loterie de l’asile
26. Sur le sol européen, les personnes
en quête d’une protection internationale sont confrontées à une «loterie
de l’asile», comme en témoignent les écarts observés dans les taux
de reconnaissance à travers l’Europe. À titre d’exemple, le taux
de reconnaissance des personnes originaires d’Afghanistan ayant
demandé une protection internationale en Europe en 2022 oscillait
entre 8 % en Autriche et 100 % en Norvège, bien que le HCR continue
d’affirmer que l’Afghanistan n’est pas un pays dont les conditions
sont réunies pour permettre un retour sûr et durable, et malgré
les lignes directrices proposées par l’Agence de l’Union européenne
pour l’asile
.
27. D’après les informations communiquées par les États membres
par l’intermédiaire de la plateforme du CERDP, la ventilation par
nationalité du nombre de demandes d’asile et du nombre de décisions
d’asile en première instance fait apparaître de nettes divergences.
Les statistiques disponibles sur les sites web officiels des autorités
nationales chargées de l’asile et du HCR, auxquelles je me réfère
dans les exemples ci-dessous, le confirment.
28. En 2022, le taux de reconnaissance des ressortissant·es russes
variait considérablement selon les États membres, allant de 8,1 %
en Finlande à 33,8 % en Autriche. Il en va de même pour les personnes demandeuses
d’asile originaires du Soudan, dont le taux de reconnaissance était
compris entre 1 % à Malte et 75 % en Pologne. La situation au Soudan
s’est gravement détériorée en 2023, tout comme le taux de reconnaissance
dans les États membres pour lesquels des informations sont disponibles:
14,4 % en Autriche et 28 % en Finlande, et ce malgré les recommandations
du HCR déconseillant, en mai 2023, le retour des Soudanais·es
.
29. Le taux de succès des recours témoigne également des lacunes
du processus décisionnel. Ainsi, en Autriche, près de 50 % des décisions
de rejet en première instance ont été annulées en deuxième instance. Cette
situation très critique est à mettre en corrélation avec la durée
des procédures d’asile. Les écarts entre les États membres laissent
à penser que chacun d’entre eux a une position différente à l’égard
de certains pays d’origine des personnes en quête d’asile. La liste
des pays considérés comme des pays d’origine sûrs est un autre exemple
des conséquences qui peuvent en résulter en termes de garanties
procédurales.
3.3. Des
politiques hétérogènes en matière d’aide juridique en Europe
30. Outre la «loterie de l’asile»,
les personnes qui demandent l’asile en Europe sont également confrontées à
une situation hétérogène en matière d’aide juridique, qui les rend
encore plus sujet à une dimension d’arbitraire. Dans certains pays,
les autorités publiques assurent la fourniture d’une assistance
juridique gratuite tout au long de la procédure ou uniquement en
deuxième instance, la rémunération des avocats étant très variable
.
Dans d’autres, cette aide est fournie par des prestataires non gouvernementaux,
qui constituent parfois l’unique source de soutien juridique pour
les personnes demandeuses d’asile
, avec les limites respectivement
induites en termes de moyens et de qualité des services rendus
.
31. En ce qui concerne l’indépendance de l’aide juridique, certains
problèmes ont été constatés, par exemple en Finlande, où les prestataires
de cette aide dans les affaires d’asile sont sélectionnés et engagés sous
contrat dans le cadre d’un marché public passé par le Département
des migrations
. De ce fait, l’institution
qui statue sur les actions en justice est aussi celle qui sélectionne
et rémunère les avocats censés remettre en cause ses propres décisions
.
32. S’agissant de l’accès à un recours effectif, celui-ci n’est
pas proposé à tous les stades de la procédure d’appel dans l’ensemble
des États membres et plusieurs législations nationales sont en contradiction
avec la position de la Cour européenne des droits de l’homme selon
laquelle «[l]a simple possibilité de demander l’effet suspensif
ou qu’un recours ait un tel effet dans la pratique ne suffit pas
à elle seule»
. La possibilité de bénéficier d’un
recours suspensif en cas de demandes manifestement infondées ou
émanant de personnes considérées comme issues d’un pays d’origine
sûr est généralement exclue ou limitée
.
3.4. Manque
de cohérence des données
33. Je tiens à faire part de ma
gratitude pour toutes les contributions reçues en réponse à la demande
du CERDP: la compilation de ces informations est un exercice particulièrement
chronophage et je remercie les secrétariats des différents parlements
pour le temps qu’ils y ont consacré et pour la confiance dont ils
ont fait preuve en partageant ces données. Les réponses mettent
en évidence une série de défis, notamment la nécessité de procéder
à une collecte de données plus systématique et structurée dans certains
domaines, comme indiqué ci-dessus, mais aussi concernant les services
de base fournis aux personnes demandeuses d’asile (il est révélateur
qu’aucune réponse n’ait été apportée à ce sujet). L’absence d’informations
précises sur ce dernier point est problématique et amène à s’interroger
sur le bien-fondé du sentiment croissant, souvent relayé par les
responsables politiques, selon lequel les personnes en quête d’asile
grèvent les ressources publiques et abusent du système d’accueil.
34. Par ailleurs, le manque de transparence dans l’obtention de
certaines données sur l’asile, à l’exception bien entendu des données
à caractère personnel, complique l’évaluation des politiques dans
ce domaine et entrave la tenue d’un débat public fondé sur les faits,
sur le thème de la migration et de l’asile. Le manque de cohérence
entre les États membres lors de la consolidation des données reçues
a également posé problème: il est difficile de dresser une vue d’ensemble
de la situation au niveau régional car, comme l’ont montré les réponses
recueillies par l’intermédiaire de la plateforme du CERDP, les méthodologies
employées pour la collecte diffèrent
. Au détriment de la comparabilité,
les titulaires d’une protection temporaire – notamment les ressortissant·es
ukrainien·nes (dans le cas de la Pologne ou du Luxembourg) ou syriens
(dans le cas de la Türkiye) – ne sont pas nécessairement comptabilisés
dans le nombre de personnes demandant une protection internationale.
Vu le nombre très élevé de personnes ayant obtenu une protection
au titre de la Directive de l’Union européenne relative à la protection
temporaire en raison de la guerre d’agression lancée par la Fédération
de Russie contre l’Ukraine en février 2022, la gestion de l’accès
à la protection internationale offert aux ressortissant·es ukrainien·nes
a été révélatrice. Elle a montré la capacité des États européens
à faire face à l’arrivée massive et soudaine de personnes ayant
besoin d’une protection, en dépit des propos martelés pendant toutes
ces années, avant le déclenchement de la guerre, faisant état d’une
saturation des systèmes, incapables de supporter une pression supplémentaire.
3.5. Des
défis communs: mouvements secondaires et retours
35. On peut déterminer les mouvements
secondaires des personnes en quête de protection internationale en
se basant sur le nombre de demandes d’asile retirées. En 2022, d’après
les informations mises à disposition par 35 États membres via la
plateforme du CERDP, 130 564 demandes ont été annulées. Une ventilation
entre les retraits explicites et implicites (qualifiés de tels généralement
dans les cas où les personnes ne se sont pas présentées à un entretien
d’asile ou n’ont pas fait part d’un changement d’adresse) montre
que cette dernière catégorie supplante largement la première pour
l’année considérée (pour 30 des 32 États membres qui ont répondu):
elle représente près de 90 % des cas
.
En tout état de cause, ces chiffres induisent à l’évidence un biais
statistique, dans la mesure où une personne qui demande l’asile
dans différents pays est comptabilisée plusieurs fois.
36. Dans ce contexte, on peut supposer que le refus d’accès aux
procédures d’asile ainsi que la lenteur de celles-ci incitent les
personnes en quête de protection à partir à la recherche de sécurité
et de perspectives ailleurs. Au niveau de l’Union européenne, les
dépenses publiques consacrées à la gestion des frontières et les
ressources budgétaires de l’agence Frontex ont nettement augmenté
ces dernières années, alors que relativement peu de moyens ont été
alloués à l’amélioration de la qualité et de l’efficacité des procédures d’asile.
Or, pour renforcer l’ordre et la sécurité, il serait tout aussi
important d’affecter des ressources aux contrôles aux frontières
et à l’enregistrement des ressortissant·es de pays tiers d’une part,
ainsi qu’à des procédures d’asile équitables et effectives et à
des conditions d’accueil humaines d’autre part.
37. Un autre élément ressort des réponses au questionnaire soumis,
à savoir le manque d’informations concernant le nombre de décisions
de retour rendues après le rejet de demandes d’asile, ainsi que
le nombre de retours effectivement réalisés. Ce constat est surprenant
dans la mesure où les débats et les discours politiques tournent
souvent autour des obstacles rencontrés, ou au contraire des succès,
concernant le renvoi de personnes dont la demande de protection
internationale a été refusée.
4. Violations
actuelles des droits humains et préoccupations en la matière
4.1. Accès
restreint au territoire d’asile
38. Bien que l’article 31 de la
Convention sur les réfugiés stipule que les personnes ayant besoin
d’une protection internationale ne sauraient faire l’objet de sanctions
pénales en cas d’entrée irrégulière, la gestion des frontières conduit
de plus en plus souvent à empêcher les personnes d’accéder à un
territoire d’asile. Le HCR a ainsi constaté de nombreuses violations
du principe de non-refoulement, notamment par des expulsions arbitraires
et des renvois violents en mer ou des déviations aux frontières
.
39. Le blocage de l’accès au territoire des pays d’asile a pris
diverses formes. Les renvois sont une pratique courante depuis plus
de quinze ans, comme le montre le dernier rapport de l’Assemblée
sur le sujet et comme en témoignent plusieurs organisations de la
société civile et organismes de promotion de l’égalité
. Début 2023, le Comité européen pour
la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants (CPT) a noté une augmentation des pratiques de refoulement
informelles aux frontières terrestres et maritimes de plusieurs
pays européens
.
40. Dans certains États membres, le refus d’accès à leur territoire
au motif de l’asile est systématique et institutionnalisé. En Hongrie,
par exemple, les autorités ont décidé que les demandes d’asile ne
pouvaient être examinées que dans une ambassade hongroise. Cette
mesure exclut toute autre possibilité de déposer une demande sur
le sol hongrois. De plus, une demande d’asile introduite par une
personne originaire d’un pays considéré comme sûr est automatiquement
déclarée irrecevable. Contestées devant la Cour, ces règles ont été
considérées par celles-ci comme niant effectivement aux demandeurs
d’asile le droit d’accéder à une procédure d’asile efficace et effective
. Le recours à de telles politiques
de dissuasion est de plus en plus fréquent et de plus en plus attaqué
devant les juridictions nationales et devant la Cour. Ainsi, en
2022, les amendements portant modification de la législation existante
adoptés par le Gouvernement polonais en vue de permettre le rejet
immédiat d’une demande d’asile déposée par une personne ayant franchi
la frontière sans autorisation ont été jugés contraires à la Constitution
polonaise
.
41. Il convient par ailleurs de noter que les voies légales et
sûres d’accès à une protection demeurent très rares. À titre d’exemple,
les procédures de regroupement familial peuvent s’avérer très longues
dans certains États et les décisions ne sont susceptibles d’aucun
recours ni d’aucune contestation. Par ailleurs, les quotas de réinstallation
restent extrêmement faibles. D’après les données transmises par
l’intermédiaire de la plateforme du CERDP, seuls 12 des 35 pays
ont offert une protection internationale par le biais de la réinstallation
au cours des dernières années. En 2022, les décisions de réinstallation
en Europe n’ont représenté que 0,5 % de toutes les décisions prises
dans le cadre des procédures d’asile. Pourtant, la mise en place
de voies légales d’accès à la protection internationale est le moyen
le plus efficace de réduire les souffrances et le nombre de morts
le long des routes migratoires, ainsi que les migrations irrégulières
et le crime organisé lié au trafic illicite de personnes.
4.2. Obstacles
rencontrés dans l’accès aux procédures sur le territoire d’asile
42. Malgré quelques bonnes pratiques,
quoique rares, mises en œuvre à la frontière ou même dans les centres
et les camps d’accueil, y compris le recours à des médiateurs et
médiatrices culturels assurant des services de soutien et d’interprétation,
de nombreuses personnes en quête de protection internationale ont rencontré
des difficultés d’accès effectif à une procédure d’asile – y compris
après être enfin arrivées sur le territoire d’un pays d’asile européen
– que ce soit par des voies formelles ou informelles. Selon le CPT,
l’un des principaux problèmes observés dans les camps d’accueil
et les centres de rétention visités dans toute l’Europe reste le
défaut d’information des personnes quant à leur situation et aux
procédures et échéances qui les attendent. Comme le précise le CPT,
les décisions relatives aux demandes d’asile ne sont généralement pas
communiquées dans une langue ou sous une forme que les personnes
concernées peuvent comprendre
. Dans ce contexte,
certaines des bonnes pratiques ou recommandations visant à améliorer l’accès
équitable à une procédure d’asile n’ont guère été mises en avant.
43. Après l’introduction par les États de politiques prévoyant
un durcissement des conditions d’accès à la procédure d’asile et
la complexification de leurs systèmes d’asile comportant différentes
catégories de mécanismes de protection internationale – et de fait
des droits procéduraux inégaux, il reste à évaluer si ces mesures
aident les administrations à remplir leurs obligations procédurales
juridiquement contraignantes. En revanche, la simplification des
démarches par la mise en place de procédures accélérées pour les
personnes dont la demande d’asile est considérée comme manifestement
fondée au regard de leur pays d’origine s’est avérée un moyen efficace
de fournir une protection, à condition de disposer de ressources
suffisantes permettant de raccourcir la durée d’instruction des
demandes dans le respect des garanties procédurales requises, comme
cela a été le cas en France pour les personnes réfugiées en provenance
de Syrie en 2015 et 2016
.
44. Les divergences entre les États membres en termes de législation
et de taux de reconnaissance tendent à démontrer l’importance, voire
la nécessité, de normes plus harmonisées sur l’accès effectif à
une aide juridictionnelle et une représentation juridique à tous
les stades de la procédure d’asile, et de veiller à garantir l’accès
à un recours effectif dans le cadre des procédures d’appel.
45. Deuxièmement, les «zones de transit» ont également été utilisées
pour bloquer l’accès aux procédures d’asile. La situation dans les
gares, ports et aéroports internationaux d’un certain nombre d’États
membres européens a fait l’objet d’une réglementation toujours plus
développée afin de soumettre les «zones de transit» à un régime
spécial dans lequel les garanties procédurales, y compris dans le
domaine de l’asile, sont inférieures à celles en vigueur sur le
reste du territoire
.
46. Les cadres de coopération bilatérale et régionale fournissent
aussi des instruments formels mis à profit pour restreindre l’accès
aux procédures d’asile. Par ailleurs, l’interdiction d’entrée peut
résulter de mesures visant à imposer le traitement extraterritorial
des demandes d’asile (comme le prévoit l’accord controversé signé
entre l’Italie et l’Albanie en 2023), voire par les administrations
de pays tiers (comme le prévoient la législation britannique récemment
adoptée et l’accord y afférent conclu par le Gouvernement britannique
avec le Rwanda).
47. Face à l’instrumentalisation des personnes en quête d’asile
et des migrant·es orchestrée par un État pour faire pression sur
un autre, certains États membres ont adopté des mesures qui soulèvent
des préoccupations en matière de droits humains, même si ces dispositions
peuvent être fondées sur des inquiétudes légitimes liées à l’ordre
public et à la gestion des frontières
. Toutefois, comme
nous l’avons vu précédemment et comme l’a souligné la Cour dans
de nombreuses affaires, la proclamation de l’état d’urgence peut
avoir un effet préjudiciable sur l’accès à l’asile. À titre d’exemple,
le Bélarus s’est servi des personnes migrantes et demandeuses d’asile
comme moyen de pression sur l’Union européenne, ce qui a amené la Lituanie
en 2021 à légiférer pour empêcher l’accès aux procédures de protection
internationale aux personnes en séjour irrégulier sur son territoire
dans le contexte de l’arrivée massive de ressortissant·es étranger·es,
y compris aux personnes ayant besoin d’une telle protection, à la
frontière entre le Bélarus et la Lituanie. En 2022, cette décision
a été jugée contraire au droit de l’Union européenne, notamment
à l’article 18 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
par la Cour de justice de l’Union européenne
.
4.3. Faiblesse
des mécanismes de contrôle des droits humains
48. Les mécanismes de contrôle
du respect des droits humains par les autorités répressives intervenant dans
les zones frontalières restent limités. Au fil des ans, il est devenu
de plus en plus difficile d’exercer un contrôle judiciaire ou une
surveillance des droits fondamentaux aux frontières. Le mandat des
médiateurs et médiatrices ne permet pas toujours, par exemple, d’effectuer
un contrôle opérationnel et même inopiné aux frontières; dans de
nombreux États membres, ce mandat se limite à un rôle de supervision.
49. Dans un rapport sur les renvois, la Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, a rappelé que
«l’objectif premier de la surveillance des opérations menées aux
frontières est de recueillir des informations sur les violations
des droits de l’homme commises dans ce cadre et de procéder à leur
vérification»
. De son côté, dans sa
Résolution 2462 (2022) «Renvois sur terre et en mer: mesures illégales de gestion
des migrations», l’Assemblée a souligné «l’importance de disposer,
aux niveaux national et européen, de mécanismes indépendants de
contrôle des frontières efficaces». Ces mécanismes devraient être
pleinement indépendants et ne devraient pas faire l’objet de limitations
dans leur «accès à la frontière ou aux lieux de rétention des migrants»
ou dans «leurs activités par d’autres moyens».
50. Le Conseil de l’Europe a lui-même élaboré des normes spécifiques
ces dernières années, notamment au titre de la prévention de la
torture et des traitements inhumains et dégradants et de la protection
de l’enfance. En particulier, le CPT est chargé de surveiller le
traitement des personnes privées de liberté dans le contexte des
activités de contrôle aux frontières terrestres et maritimes des
États membres du Conseil de l’Europe. Dans le chapitre intitulé
«La prévention des mauvais traitements infligés aux ressortissants
étrangers privés de liberté dans le contexte des éloignements forcés
aux frontières», il fait observer «le non-respect des garanties
juridiques fondamentales et de l’accès à l’asile» lors d’éloignements
sommaires et forcés pratiqués en Europe
.
51. Selon le CPT, pour garantir un suivi effectif du respect des
obligations en matière de droits humains, les mécanismes de contrôle
aux frontières doivent répondre aux normes suivantes: «être doté[s]
d’un mandat et de pouvoirs [leur] permettant de mener des inspections
régulières et non annoncées» et de «publier des rapports assortis
de recommandations claires»; ils devraient «disposer de ressources
humaines et financières suffisantes (notamment du personnel possédant
les compétences requises)», «jouir d’une totale indépendance institutionnelle
et opérationnelle par rapport aux autorités compétentes chargées
de la surveillance des frontières» et être autorisés à «communiquer
directement avec les autorités responsables des poursuites en cas
de manquement». Les ressortissant·es étranger.es devraient avoir
accès à des mécanismes effectifs de plainte pour faire appel et
obtenir réparation en cas de violation de leurs droits fondamentaux
à la frontière.
52. Les contrôles aux frontières devraient également permettre
de s’assurer de la mise en place de garanties effectives pour prévenir
les violations des droits humains. Il s’agit notamment de veiller
à ce que les autorités compétentes procèdent systématiquement à
une évaluation de vulnérabilité et à un examen médical, et à ce
que l’accès à une procédure individualisée soit garanti, dans le
respect des garanties procédurales, avant toute décision d’éloignement.
Les personnes étrangères interceptées ou arrêtées à la frontière «devraient
être en mesure de faire véritablement usage des voies de recours
disponibles contre leur éloignement forcé, sur la base d’une évaluation
individuelle du risque apparent de mauvais traitements en cas d’éloignement»
.
4.4. Inexécution
des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme
53. Les nombreuses données disponibles
sur le suivi de l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits
de l’homme sont également riches d’enseignements. Je remercie vivement
le Service de l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits
de l’homme du Conseil de l’Europe pour sa contribution. La Cour
a en effet constaté une augmentation du nombre de plaintes déposées
à l’encontre de certains États membres pour des violations alléguées
des droits des personnes demandeuses d’asile. Il ressort de ces
informations que les États membres se montrent défaillants à deux
égards: ils sont dotés de mécanismes de contrôle des droits humains
peu efficaces, et tardent à mettre en œuvre les arrêts lorsqu’ils
sont condamnés pour violation des droits de demandeurs d’asile.
54. En avril 2024, 133 arrêts de la Cour concernant une violation
du principe de non-refoulement n’avaient toujours pas été exécutés.
Parmi eux, 66 affaires portaient sur un manquement à l’obligation
d’évaluer correctement les risques liés à l’éloignement vers un
certain pays; 22 sur un manquement à l’obligation d’évaluer correctement
les risques avant de procéder à un éloignement; 2 affaires concernaient
un éloignement vers un pays tiers «sûr»; 18 un éloignement pour
des motifs de sécurité nationale; 7 affaires portaient sur un éloignement
en violation du droit interne applicable ou malgré les indications
de la Cour en vertu de l’article 39 de son Règlement et 18 autres
avaient trait à des expulsions collectives. À la même date, 14 affaires
concernaient des États qui avaient été condamnés pour avoir enfreint
le droit de bénéficier d’un effet suspensif du recours et qui n’avaient
pas encore pleinement mis en œuvre l’arrêt rendu par la Cour. La situation
des enfants migrants constitue également un domaine de préoccupation
particulier où les arrêts de la Cour peinent à être exécutés.
55. Même si les États membres sont généralement lents à se conformer
aux arrêts de la Cour, ils ne sont pas nécessairement opposés à
coopérer. Certaines bonnes pratiques témoignent de l’importance
d’assurer un suivi de la mise en œuvre des arrêts par le biais d’un
dialogue intergouvernemental. Cependant, la longue liste d’arrêts
non exécutés, outre le nombre croissant et inégalé d’affaires portées
devant la Cour en matière de migration et d’asile, prouve que certaines
législations nationales ne respectent pas encore pleinement les obligations
énoncées dans la Convention. La jurisprudence de la Cour révèle
aussi le caractère essentiel de ce recours régional, dont les personnes
en quête d’asile se saisissent dans les faits, et confirme ainsi
l’utilité des tribunaux régionaux pour garantir l’accès à un recours
effectif et un contrôle judiciaire effectif.
5. Des
politiques d’externalisation de l’asile dissuasives
5.1. La
notion de «pays tiers sûr»
56. Une stratégie d’externalisation
courante consiste à considérer des pays comme des pays d’origine
sûrs ou des pays tiers sûrs, dans le but de déclarer une demande
irrecevable ou d’examiner les demandes dans le cadre d’une procédure
accélérée. En principe, et conformément à la Convention sur les
réfugiés, un dossier peut être déclaré irrecevable lorsque la personne
en quête de protection peut constituer une menace pour l’ordre public
ou peut avoir commis des crimes (article 1F). En se fondant sur
des listes de pays sûrs (d’origine ou de transit), les autorités
publiques étendent la possibilité de refuser l’accès à la procédure prima facie sur la base d’une présomption
de sûreté. Cette présomption est étayée par des organes consultatifs
qui fournissent des informations sur les pays d’origine en s’appuyant
sur l’expertise disponible aux niveaux national et régional.
57. Certains exemples illustrent bien cette tendance. Ainsi, le
Gouvernement danois entend retirer la protection accordée aux personnes
réfugiées originaires de certaines régions de Syrie, désormais considérées comme
sûres par Copenhague, même si le régime que les réfugié·es ont fui
au premier chef demeure en place. Ce qui a été qualifié de «changement
de paradigme»
a eu des conséquences désastreuses
pour les familles qui, privées du droit à la protection dont elles
avaient initialement bénéficié, sont confrontées à l’impossibilité –
en plus de leurs craintes fondées – de retourner dans leur pays
en raison de l’absence de relations diplomatiques entre le Danemark
et la Syrie sous le régime d’Assad. En Islande, les modifications
apportées en 2023 à la loi relative aux étrangers ont élargi le
champ d'application du concept de «pays tiers sûr» à tout pays jugé
naturel et raisonnable pour le retour de la personne concernée,
sans aucune garantie d’accès effectif à une protection. Les demandeurs
et demandeuses d’asile qui arrivent de pays jugés comme tels ne
peuvent pas bénéficier d’un réexamen sur le fond de leur demande.
Cette situation constitue un risque réel d’atteinte à la vie et
à la sécurité des requérantes et requérants, en violation du principe
de non-refoulement
.
58. Certains exemples de listes de pays sûrs qui ont été contestées
avec succès montrent que les pratiques s’appuyant sur ces listes
soulèvent des préoccupations en matière de droits humains. Ainsi,
aux Pays-Bas, en 2022, le Conseil d’État néerlandais
a souligné que même lorsqu’un pays
est considéré comme un pays d’origine sûr pour des enfants non accompagnés,
les autorités devraient s’assurer de l’existence de structures d’accueil
adéquates dans le pays où la personne doit être renvoyée. En Grèce,
le Conseil d’État a saisi la Cour de justice de l’Union européenne
de questions préjudicielles concernant la légalité de la liste nationale
grecque désignant la Türkiye comme pays tiers sûr pour les personnes
demandeuses d’asile originaires d’Afghanistan, de Syrie, de Somalie,
du Pakistan et du Bangladesh. La Cour de justice de l’Union européenne
examine actuellement la conformité de cette décision avec les obligations
européennes et internationales qui incombent à la Grèce
.
59. D’un point de vue purement procédural, et sans se prononcer
sur le rejet de la responsabilité qui en découle sur les autorités
des «pays tiers sûrs» concernés, la capacité d’évaluer si un pays
est sûr pour les personnes ayant besoin de protection et le transfert
de la charge de la preuve des autorités aux requérant·es constituent
des questions particulièrement sensibles, comme expliqué dans mon
rapport intitulé «Pays tiers sûrs pour les demandeurs d’asile» (
Doc. 15592).
5.2. Accords
bilatéraux
60. Depuis des années, les accords
bilatéraux sont mis à profit pour interdire l’accès au territoire
des États membres aux personnes en quête d’asile. Les divers accords
conclus entre l’Italie et la Libye au fil des ans et le dernier
en date passé entre Malte et la Libye, ou les accords de coopération
signés entre l’Espagne et le Maroc, sont autant d’exemples de telles
pratiques. Citons également l’accord controversé signé plus récemment
entre les Premiers ministres italien et albanais en novembre 2023,
contre lequel les institutions albanaises de défense des droits
humains et les partis d’opposition s’étaient élevés
.
61. Il est inquiétant de constater, de plus en plus, la relégation
au second plan voire la mise à l’écart du contrôle parlementaire
et judiciaire. La loi récemment adoptée par le Parlement britannique
en est un exemple: elle permet au Royaume-Uni d’envoyer au Rwanda
des personnes venues demander l’asile au Royaume-Uni et/ou arrivées
dans le pays de manière irrégulière. Le Rwanda leur accordera l’asile
ou leur octroiera un permis de séjour permanent
. Un accord précédent
avait été jugé contraire à la loi et inapplicable par la Cour suprême
au motif que la décision d’irrecevabilité ne résultait pas d’un
examen sur le fond ou au moins d’une évaluation du pays garantissant
que les personnes envoyées au Rwanda ne courraient aucun risque
de mauvais traitement, ni de refoulement
.
Soutenu par la Chambre des Communes, le Gouvernement britannique
est resté sur sa position et a décidé de conclure l’accord, arguant
que le principe de non-refoulement depuis le Rwanda est garanti
dans son article 10. La loi sur la sécurité du Rwanda (
the Safety of Rwanda Bill) a été
adoptée en avril 2024
.
Il reste à démontrer si cet accord sera mis en œuvre, et comment.
62. Au niveau de l’Union européenne, certaines activités de coopération
sont également menées en l’absence de tout contrôle parlementaire.
Par exemple, le renforcement des capacités des garde-côtes libyens a
par la suite suscité de vives critiques au motif qu’il donnait lieu
à des pratiques de renvoi vers un pays notoirement connu depuis
des années pour le traitement contraire au droit international des
droits humains qu’il réserve aux personnes migrantes et demandeuses
d’asile.
6. Le
Pacte de l’Union européenne sur la migration et l’asile: une occasion
de se rapprocher de l’État de droit et de reprendre le contrôle
6.1. Une
amélioration des normes?
63. En avril 2024, le Parlement
européen a adopté le nouveau Pacte sur la migration et l’asile.
La révision générale de la législation existante, qui comprend neuf
règlements et une directive, vise à harmoniser davantage les procédures
d’asile dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne
en vue de parvenir à «des procédures d’asile et de retour rapides
et effectives, assorties de garanties individuelles renforcées»
.
64. Le Pacte prévoit entre autres mesures l’obligation d’assurer
l’accès à un soutien juridique aux personnes en quête d’asile tout
au long de la procédure; l’obligation de mettre en place des mécanismes
nationaux de contrôle aux frontières allant de pair avec le mécanisme
de filtrage; la mise en œuvre de procédures de filtrage à l’arrivée
des personnes demandeuses d’asile afin de repérer les demandes fondées
au stade le plus précoce du processus et d’orienter ainsi les personnes
vers les procédures adéquates. Le HCR aura accès aux personnes demandeuses
d’asile lors de la procédure à la frontière.
65. Le Pacte doit être replacé dans le contexte du statu quo décrit
précédemment, qui a généré pendant des années des souffrances humaines
et le chaos au sein des États européens en raison d’un «nivellement
par le bas» – au lieu d’une réponse politique coordonnée – et du
manque de solidarité entre les États membres.
66. Le Pacte a pour objectif de prévenir les déplacements incontrôlés
à partir des pays de première entrée, de procéder à un filtrage
plus efficace des personnes en quête de protection et de celles
qui n’ont pas le droit de rester sur le territoire afin de faciliter
leur réorientation vers une procédure d’asile ou de retour. Il vise également
à répondre aux impératifs de sécurité aux frontières et aux obligations
de protection internationale en temps de crise ou à «l’instrumentalisation»
des mouvements migratoires.
67. Les réformes prévues par le Pacte sont présentées comme une
occasion d’inverser la tendance. Elles permettront de tester la
volonté des États membres de l’Union européenne de se conformer
véritablement à des procédures respectueuses des droits humains.
Ils devront démontrer s’ils sont disposés à appliquer le Pacte de
bonne foi dans le but de prouver qu’il est une réponse efficace
aux défis évoqués ci-avant. Ces considérations sont d’autant plus
importantes que des spécialistes du droit des personnes réfugiées
ont fait part de sérieuses préoccupations sur le plan des droits
humains soulevées par certaines dispositions, mais aussi du risque
que les garanties en matière de droits humains ne soient pas assorties
de ressources suffisantes
.
6.2. Légaliser
un nivellement par le bas? Préoccupations en matière de droits humains
68. Au fil des ans, de graves lacunes
et violations des droits humains ont été recensées aux frontières
de l’Union européenne. En adoptant des règlements plutôt que des
directives, le Pacte offre en théorie de meilleures garanties d’un
respect effectif des obligations procédurales et de solidarité régionale
par les États membres. Toutefois, dans la pratique, des inquiétudes
subsistent quant à la répétition des violations des droits humains
commises au cours des dernières années, comme indiqué ci-dessus.
69. Il reste à voir si l’accès au territoire d’asile continuera
de faire l’objet de restrictions, dans la mesure où le contrôle
à la frontière relève toujours de la compétence des autorités nationales
qui, à leur tour, doivent faire preuve d’une volonté politique suffisante
pour assurer l’efficacité d’un contrôle approprié. De plus, les
quotas de réinstallation ne seront accordés que sur une base volontaire,
ce qui ne garantit pas une augmentation des voies légales et sûres
d’accès à la protection.
70. Une fois que les personnes en quête de protection internationale
seront parvenues à poser le pied sur le sol européen, elles pourraient
encore être confrontées à des pratiques dissuasives en matière de
conditions d’accueil et de garanties procédurales dans le cadre
du filtrage aux frontières extérieures de l’Union européenne. Les
demandeurs et demandeuses d’asile originaires d’un pays à faible
taux de reconnaissance verront leur demande traitée en dehors de
la procédure standard en raison de leur nationalité ou de l’itinéraire qu’ils
ont emprunté (premier pays d’asile). Cette situation alourdira la
charge de la preuve pesant sur les personnes demandeuses d’asile
réclamant une protection et risque d’affaiblir les garanties tout
au long de la procédure.
71. Dans ce contexte, la détention de fait de manière systématique
des demandeurs d’asile, y compris des enfants et des familles, en
cas de déclenchement d’une procédure à la frontière, est un motif
supplémentaire de préoccupation
.
72. S’agissant des procédures à la frontière, le HCR a mis en
avant le risque sérieux d’un recours accru aux dérogations, notamment
lorsque les États font appel à des procédures extraordinaires conçues
pour faire face à des situations de crise. Il craint également un
usage plus fréquent du placement en rétention à la frontière si des
garanties ne sont pas effectivement mises en place et maintenues
.
En outre, le manque éventuel de «capacité adéquate» dans les centres
d’accueil, en particulier en cas d’afflux massif, soulève des inquiétudes, car
il pourrait engendrer une situation de crise humanitaire aux frontières
extérieures de l’Union européenne.
73. En ce qui concerne l’accès à une assistance juridique, le
règlement relatif à la procédure d’asile ne prévoit pas la fourniture
d’une assistance et d’une représentation juridiques gratuites à
tous les stades de la procédure, et limite cette obligation à la
procédure d’appel. Ainsi, les demandeurs et demandeuses d’asile
dont la demande est examinée dans le cadre de la procédure à la
frontière, ainsi que les personnes dont la demande est jugée irrecevable
ou traitée dans le cadre d’une procédure accélérée, seront privés
d’un recours suspensif en deuxième instance, sauf en cas de demande
d’autorisation de séjour et de réponse favorable de l’autorité compétente.
74. Le Pacte a également introduit une définition plus fine de
la notion de «pays tiers sûr» à utiliser aux niveaux européen et
national lors de la mise en œuvre des procédures à la frontière
et en vue d’identifier les demandes d’asile jugées irrecevables.
Toutefois, les divergences observées sur ce point d’un pays européen à
l’autre sont déjà révélatrices de l’approche hétérogène et éventuellement
disharmonieuse de ce concept par les États membres.
75. Enfin, le Pacte prévoit une coopération bilatérale accrue
avec les pays tiers qui est susceptible de conduire à la conclusion
d’accords bilatéraux avec des pays qui ne respectent pas les droits
humains – en particulier dans les cas où le contrôle démocratique
n’est pas suffisamment garanti. Si la coopération visant à renforcer
les capacités de protection le long des itinéraires empruntés par
les personnes migrantes, qualifiée par le HCR «d’approche fondée
sur les routes migratoires»
, est bienvenue
et nécessaire, et devrait être davantage encouragée par les États
membres, une telle coopération ne saurait exonérer ces derniers
des obligations de protection internationale qui leur incombent
sur leur propre territoire.
76. Compte tenu de ces nombreuses préoccupations en matière de
droits humains, il convient de veiller à ce que la mobilisation
de ressources suffisantes, la garantie de critères communs dans
la pratique et un contrôle effectif des droits humains soient au
cœur de la mise en œuvre du Pacte.
6.3. La
nécessité d’une budgétisation sérieuse lors de la mise en œuvre
du Pacte
77. J’ai eu le privilège d’effectuer
une mission d’information auprès des institutions européennes à
Bruxelles en février 2024 et de rencontrer des hauts fonctionnaires
participant à la négociation du Pacte à la Commission européenne
(DG Home), au Conseil de l’Union européenne (Unité JAI) et au Parlement
européen (trois des rapporteur·es sur le dossier susmentionné).
Tout au long de l’élaboration du présent rapport, j’ai eu l’occasion de
m’entretenir avec des spécialistes du droit des réfugié·es et des
représentant·es du Conseil des barreaux européens (CCBE) et du Conseil
Européen pour les réfugiés et les exilé (ECRE). J’ai également pu
échanger sur les aspects pratiques et procéduraux du Pacte pour
lesquels la coopération avec le Conseil de l’Europe peut contribuer
utilement au respect des normes internationales en matière de droits
humains que le droit de l’Union européenne devrait garantir. Je
remercie tout particulièrement mes collègues de la représentation
du HCR à Bruxelles, de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile,
de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, mais
aussi de la Cour des comptes de l’Union européenne, pour le temps
qu’ils ont bien voulu me consacrer.
78. L’adoption formelle du Pacte marquera le début d’une phase
de mise en œuvre de deux ans au cours de laquelle la Commission
européenne, ainsi que les États membres à titre individuel, élaboreront
des plans d’application fondés sur des évaluations des besoins afin
de cerner les lacunes et de déterminer les ressources nécessaires
à l’opérationnalisation du Pacte. Cette étape d’évaluation, en coordination
avec l’Agence de l’Union européenne pour l’asile, mais aussi avec
des partenaires internationaux capables de fournir une évaluation
globale de la situation et de la nécessité d’assurer le respect
des droits humains tout au long du cycle d’asile, sera cruciale.
79. L’ensemble de mes interlocuteurs et interlocutrices mentionnés
précédemment s’accordent à dire qu’une mise en œuvre du Pacte respectueuse
des droits humains suppose l’allocation de ressources suffisantes
pour satisfaire aux normes juridiques fixées. En février 2024, le
Parlement européen est déjà convenu d’octroyer une enveloppe supplémentaire
de 2 milliards d’euros pour les lignes du cadre financier pluriannuel
relatives à la migration et à la gestion des frontières, dont 0,88 milliard
d’euros pour le Fonds Asile, Migration et Intégration (FAMI) et
0,2 milliard d’euros pour l’Agence de l’Union européenne pour l’asile.
Il est à espérer que ces ressources budgétaires seront affectées
à des mesures contribuant à garantir une mise en œuvre du Pacte
conforme aux droits humains.
80. Par ailleurs, l’application du Pacte nécessite de disposer
d’infrastructures, de capacités et d’un personnel suffisant. Pour
favoriser les procédures ordinaires, la planification et la budgétisation
des capacités devraient constituer un élément à part entière de
la politique publique en matière de mise en œuvre de la législation
sur l’asile. La notion de «capacité adéquate» ne doit pas se limiter
aux centres d’accueil disponibles à quelque moment que ce soit,
mais s’entendre de manière générale en termes de capacités humaines, financières
et structurelles, depuis la formation des agent·es des services
d’asile jusqu’à la budgétisation des services d’interprétation et
de l’aide juridique. La non prise en compte des besoins peut pousser
les États membres de l’Union européenne à user des dérogations ou,
sinon, à persévérer dans la logique qui consiste à empêcher l’accès
au territoire d’asile afin de se dérober aux responsabilités qu’ils
estiment ne pas pouvoir assumer
.
81. Parallèlement à des mécanismes efficaces d’évaluation préalable,
il convient de prévoir des ressources suffisantes pour garantir
un contrôle effectif des droits fondamentaux tout au long de la
procédure ainsi qu’à la frontière. À ce titre, il est nécessaire
de procéder à une évaluation préliminaire et à un suivi permanent
de l’utilisation du Fonds pour la sécurité intérieure et du FAMI
au regard des droits fondamentaux.
82. Le Pacte pose également les jalons d’un mécanisme de solidarité
obligatoire mais «flexible» entre les États membres, susceptible
de prendre différentes formes: la relocalisation des personnes demandeuses d’asile
et réfugiées, une indemnisation financière des pays de première
entrée, ou un programme de coopération avec les pays de transit
non-membres de l’Union européenne. Certains craignent que les États
de l’Union européenne situés en première ligne aient à assumer la
plus grande part des responsabilités en matière d’accueil et de
traitement des demandes. Là encore, une meilleure solidarité serait
essentielle pour garantir une allocation optimale des ressources
de chaque État membre en faveur d’une procédure d’asile et de conditions
d’accueil respectueuses des droits humains. Par ailleurs, une répartition
équitable entre les États membres des personnes en quête d’asile
réduirait les stratégies de dissuasion et préviendrait les situations
de crise humanitaire aux frontières extérieures de l’Union européenne
en cas d’augmentation du nombre de demandes d’asile.
7. Conclusion
83. Les personnes qui se dirigent
vers l’Europe pour y trouver protection et sécurité sont confrontées
à une dure réalité: différents obstacles entravent leur accès à
une procédure d’asile en Europe, sans même évoquer la question de
leur admission en Europe comme territoire d’asile. La quantité d’obstacles
procéduraux et politiques mis en place, parfois au mépris total
du principe de non-refoulement et des arrêts de la Cour européenne
des droits de l’homme, est extrêmement préoccupante non seulement
en termes de sécurité et de respect des droits civils des personnes
concernées, mais aussi parce qu’elle laisse penser qu’il est nécessaire
et acceptable d’agir en violation du droit international des droits
humains dans le domaine de l’asile et des migrations.
84. Les informations recueillies dans le cadre de la préparation
du présent rapport ne font que renforcer ces inquiétudes. Alors
que la grande majorité des personnes demandant une protection internationale
en Europe viennent de pays ravagés par la guerre, les taux de reconnaissance
des demandes d’asile émanant de ressortissant·es d’un même pays
d’origine varient parfois considérablement d’un État membre à l’autre. L’existence
et la qualité hétérogènes de l’aide juridique contribuent également
à la création de situations qui s’apparentent à une «loterie de
l’asile» pour les personnes concernées.
85. Ce rapport ne vise pas à occulter les défis réels auxquels
sont confrontés les États membres pour honorer leurs obligations
légales et respecter l’État de droit dans le traitement des personnes
à la recherche d’une protection en Europe. Il convient toutefois
de mettre en avant l’importance du respect de ces principes. Tout
glissement vers un détournement des règles en vigueur, l’arbitraire
ou encore des garanties procédurales inappropriées ne fragilisent
pas seulement le régime international des droits humains et de l’État
de droit en général, mais portent assurément à conséquence en termes
concrets sur des vies. Pour beaucoup, c’est littéralement une question
de vie ou de mort. C’est au prisme de cet impératif que les États
membres ont approuvé une série d’obligations procédurales sur les
procédures d’asile.
86. Les États membres du Conseil de l’Europe devraient être fiers
de cet héritage ayant permis d’élaborer et de ratifier des instruments
juridiques dans le domaine des droits humains et particulièrement
celui de l’asile. Le cadre contraignant a été enrichi par de nombreuses
recommandations et autres textes relativement aux procédures d’asile
adoptés par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Tout
en reconnaissant le besoin crucial de ressources pour répondre à
ces obligations, les États membres et les institutions compétentes
de l’Union européenne devraient garder à l’esprit que l’allocation
budgétaire dans ce domaine est restée insuffisante ces dernières
années, et que dépenser pour le renforcement des procédures et de
leur mise en œuvre a toutes les chances d’assurer un meilleur retour
sur investissement. La finalité devrait être le fonctionnement de
manière plus efficace et plus efficiente en termes de coûts d’un
système où l’accès égal, effectif et individualisé aux procédures
d’asile est garanti, y compris en appel.
87. L’éventail du travail fourni par le Conseil de l’Europe au
fil des années mérite d’être davantage utilisé. Il comprend des
outils pratiques de suivi et des mécanismes de prévention rattachés
à des conventions spécifiques tels que le CPT, le Groupe d’experts
sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) et le Groupe
d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et
la violence domestique (GREVIO), ainsi qu’une expertise, des programmes
comme les tutorats et les cours HELP destinés aux praticiens du
droit (Programme européen de formation aux droits de l’homme pour
les professionnels du droit).
88. Ces outils se sont déjà révélés utiles dans le domaine de
l’asile, par exemple pour les lignes d’orientation concrètes en
matière de contrôle aux frontières et de protection des enfants
(note conjointe du Conseil de l’Europe et de l’Agence des droits
fondamentaux de l'Union européenne intitulée
«Children
in migration: fundamental rights at European borders» (Les enfants dans la migration: les droits fondamentaux
aux frontières de l’Europe), concernant la détention des personnes
demandeuses d’asile («
Rétention administrative
des migrants et des demandeurs d’asile – Guide pour les praticiens»), les mécanismes de protection pour réduire le risque
de mauvais traitements et de refoulement, ou concernant la manière d’approcher
des demandeurs et demandeuses d’asile victimes de la traite ou de
violences fondées sur le genre ou de violences domestiques
.
89. A travers ses 46 États membres, qui incluent tous les États
membres de l’Union européenne, et ses partenariats de voisinage,
le Conseil de l’Europe est un espace géographique et politique au
sein duquel une approche sur l’asile conforme aux droits humains,
efficace et bien rôdée fait immensément sens. Ses acquis solides
en matière de droits humains, d’État de droit, issue de la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme et d’autres instruments,
à l’appui d’un rayonnement auprès de la société civile, des autorités locales,
des partenaires internationaux – en particulier l’Union européenne,
lui confèrent une force unique, et sont des gages d’excellentes
opportunités pour former un élan nouveau et une dynamique plus saine
en matière d’asile.
90. Conformément à la Déclaration de Reykjavík et dans le contexte
du Pacte européen sur la migration et l’asile récemment adopté,
je suis persuadée que le Conseil de l’Europe devrait être un partenaire
privilégié de l’Union européenne afin d’accompagner les États membres
et non membres de l’Union européenne dans le processus de mise en
œuvre de cet instrument. J’espère que ce rapport et les recommandations
qui en découlent contribueront utilement à travailler sur ce sujet
pour faire advenir une politique d’asile qui respecte pleinement
les droits humains et l’État de droit, qui soit résiliente face
aux discours populistes et aux réactions irréfléchies, et qui démontre
sa capacité à contribuer à l’ordre et à la sécurité pour toutes
et tous.