1. Introduction
1. Selon l’Organisation des Nations
Unies, plus de 14,6 millions de personnes, soit 40 % de la population ukrainienne,
auront besoin d'une aide humanitaire cette année. L'aide aux personnes
déplacées en Ukraine est plus urgente que jamais. Les conséquences
des déplacements internes et externes doivent être soigneusement
évaluées pour concevoir et mettre en œuvre des solutions et un soutien
politiques immédiats et à long terme. Les pays européens ont fait
preuve d'humanité et de solidarité au lendemain de l'agression brutale
de la Fédération de Russie, en protégeant la vie de millions d'Ukrainiens
déplacés, en particulier des enfants, des femmes et des personnes
âgées, et ils devraient continuer à le faire.
2. La
Résolution 2448
(2022) de l'Assemblée «Conséquences humanitaires et déplacements
internes et externes en lien avec l'agression de la Fédération de
Russie contre l'Ukraine» et les précédentes
Résolution 2214 (2018) et
Recommandation
2126 (2018) sur «Besoins et droits humanitaires des personnes déplacées à
l’intérieur de leur propre pays en Europe» donnent des indications
qui éclairent certaines des questions qui doivent être abordées,
notamment la question de l'accès urgent au logement, à l'éducation
et aux soins de santé des Ukrainiens déplacés à l'intérieur de leur
propre pays, ainsi que la question de l’évaluation et du renforcement
des dispositions existantes pour ceux qui bénéficient d'une protection
temporaire en Europe et ailleurs.
3. Les États membres du Conseil de l'Europe peuvent prendre l’initiative.
Selon les données de l'ONU, le plan de réponse humanitaire qui couvre
les besoins des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre
pays, ainsi que les besoins immédiats de protection des réfugiés,
n’est financé qu’à hauteur de 53 % à la fin 2023. L'Assemblée devrait
signaler ce déficit et mobiliser le soutien nécessaire pour veiller
à ce que les personnes déplacées d'Ukraine, où qu'elles se trouvent,
soient en sécurité et protégées.
4. Le présent rapport définit le cadre des futures mesures ciblées.
Il met en évidence les besoins de groupes spécifiques de personnes:
les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays, les personnes qui
ont fui la guerre d'agression et qui sont maintenant sous protection
temporaire en Europe, et celles qui ont été déplacées de force ou
déportées vers la Fédération de Russie et le Bélarus. La tragédie
du déplacement marquera à jamais la vie de la population ukrainienne,
et la communauté internationale devrait faire tout son possible
pour veiller à ce qu'elle soit protégée face à l'adversité, indépendamment
du lieu où se trouvent les personnes actuellement, et qu'elle puisse
participer à la reconstruction et au relèvement de leur pays à la
fin de la guerre.
2. Situation actuelle
2.1. Mesures
pertinentes du Conseil de l’Europe
5. Le 16 avril 2024, la commission
des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées a tenu un échange
de vues avec la participation de M. Bjørn Berge, Secrétaire Général
adjoint du Conseil de l'Europe, M. Dmytro Lubinets (en ligne), Commissaire
aux droits de l'homme du Parlement ukrainien, et Mme Vilde Hernes,
chercheuse principale à l'Institut norvégien de recherche urbaine
et régionale (NIBR) de l'Université métropolitaine d'Oslo.
6. Le Secrétaire Général adjoint a noté que, depuis le début
de la guerre d'agression totale de la Fédération de Russie, le Conseil
de l'Europe a fait tout son possible pour soutenir l'Ukraine. Il
a en effet commencé par exclure la Russie de l'Organisation avant
de mettre en place un Plan d'action pour la «Résilience, relance
et reconstruction de l'Ukraine». Ce plan inclut notamment des mesures
dont l’objectif est de faire appliquer l'obligation de rendre des
comptes et de reconnaître que sans justice, il ne peut y avoir de
paix durable. Les mesures visant à garantir l'obligation de rendre
des comptes comprennent les travaux effectués par le Conseil de
l'Europe pour aider le procureur général ukrainien à mener des enquêtes
sur les violations massives des droits humains et à mettre en place
un Registre des dommages, qui est devenu pleinement opérationnel
en avril 2024 et qui a déjà reçu plus d'un millier de demandes d'indemnisation.
Il s’agit de la première étape, nécessaire, vers la mise en place
d’un mécanisme international d'indemnisation dans lequel le Conseil
de l'Europe est prêt à jouer son rôle, tout comme il soutient les
travaux du Core group dans ses discussions sur la création d’un
nouveau tribunal international sur le crime d'agression. Un autre
élément essentiel, le soutien aux personnes déplacées d'Ukraine,
découle directement de l'agression en cours commise par la Fédération de
Russie et continuera de faire l’objet d’une attention soutenue en
tenant compte de l’évolution de la situation sur le terrain. La
violence a entraîné le déracinement de millions d'Ukrainiens, en
particulier des femmes et des enfants, qui cherchaient à se mettre
à l'abri.
7. Cette insécurité a poussé des millions de personnes à chercher
un refuge dans d'autres États membres du Conseil de l'Europe. Beaucoup
a été fait pour leur apporter le soutien dont ils ont besoin, mais
les capacités d'accueil et les politiques à l'égard de ce groupe
ont été très diverses. Le Secrétaire Général adjoint a rappelé les
mesures prises par la/le Représentant·e spécial·e sur les migrations
et les réfugiés pour se rendre dans les pays frontaliers qui comptent
un grand nombre de réfugiés et pour aider à concevoir des mesures
de suivi, notamment des mesures de renforcement des capacités, une
assistance à la création de systèmes d'asile et d'accueil résilients
et à long terme pour les migrants ainsi que la mise en place des
soins psychologiques et médicaux professionnels qui sont si souvent
nécessaires.
8. Le Secrétaire général adjoint a noté que le nombre d'Ukrainiens
déplacés vers d'autres pays européens était proche de 4 millions,
qui s’ajoutent aux 5 millions de personnes déplacées à l'intérieur
de leur propre pays. La réponse aux besoins des femmes victimes
de violences liées au conflit est souvent fournie par les centres de
premiers secours qui opèrent dans toute l'Ukraine et bénéficient
de l'aide de juristes, de psychologues et de travailleurs sociaux.
L'objectif est de créer ce type de centres dans d'autres pays pour
y aider également les femmes ukrainiennes. Le réseau des correspondants
sur les migrations du Conseil de l’Europe a également contribué
au partage des bonnes pratiques et des solutions applicables sur
le terrain, comme le fait de dispenser des conseils confidentiels
en ukrainien et en russe, la mise en place de programmes de formation pour
l'intégration sur le marché de l’emploi, une scolarisation plus
simple et des fournitures scolaires gratuites. Des plateformes en
ligne ont été créées pour que les citoyens puissent offrir différents
types d'aide. Le réseau a également identifié les besoins ainsi
que les difficultés actuels et à venir. Il s'agit notamment des
installations d'accueil surpeuplées et du manque de personnel et
de ressources consacrés aux Ukrainiens, des préoccupations liées
à la traite des êtres humains, des difficultés à évaluer le marché
de l’emploi et à trouver un emploi correspondant à son niveau d'études,
des défis en matière d'intégration, y compris la fréquentation scolaire,
la maîtrise de la langue et le logement. La nécessité d'améliorer
les dispositions en matière de santé mentale est aussi fréquemment
constatée. Les enfants font l'objet d'une attention particulière.
Le Secrétaire général adjoint a salué la nouvelle coalition internationale
pour le retour des enfants ukrainiens, coprésidée par le Canada
et l'Ukraine, l”un des 10 points du plan de paix du Président Zelensky.
9. Lors du Sommet du Conseil de l'Europe qui s’est tenu à Reykjavik
en mai 2023, les dirigeants européens ont publié une déclaration
spécifique sur la situation des enfants en Ukraine afin de garantir
les droits et l'intérêt supérieur des enfants touchés par la guerre.
La déclaration présente des recommandations concrètes pour assurer
la protection des enfants en Ukraine et ailleurs en Europe. En conséquence,
l’Organisation a créé le Groupe consultatif sur les enfants d'Ukraine,
qui est pleinement opérationnel depuis décembre 2023. Il prévoit une
plateforme de coopération non politique qui coordonne les actions
sur le terrain entre les experts ainsi qu'entre les États, l'Union
européenne et les organisations internationales concernées. Jusqu'à
présent, le groupe a mis en place trois groupes de dialogue thématique
sur les sujets qu'il a jugés les plus urgents, à savoir les procédures
et la coopération transnationales, la tutelle, le soutien psychologique
et les soins tenant compte des traumatismes. Les groupes de dialogue
continueront de se réunir plus tard cette année.
10. S’il apparaît nécessaire d'élaborer des stratégies en pleine
guerre, il ne faut néanmoins jamais perdre de vue qu’elles sont
conçues à l’intention de personnes qui ont subi des souffrances
et des pertes en quittant leurs foyers, leurs communautés locales
et leurs pays. Le Secrétaire général adjoint a souligné la responsabilité
des pays d'accueil de fournir une aide et des soins appropriés aux
personnes déplacées, et il a noté qu’une forte volonté politique
ainsi que des moyens de communication technologiques et autres étaient des
conditions qui favorisaient l’échange de bonnes pratiques et d’informations
entre les États et qui permettaient d’élaborer des réponses optimales.
2.2. Questions
soulevées par les autorités ukrainiennes
11. Lors de la même audition du
16 avril 2024, M. Lubinets, Commissaire aux droits de l'homme du Parlement
ukrainien, a souligné que le monde était confronté au plus grand
processus de migration depuis la seconde guerre mondiale. Des millions
d'Ukrainiens ont été contraints de quitter leur foyer et de trouver
refuge ailleurs. Depuis le 24 février 2022, selon le Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), plus de 5,9 millions
de citoyens ukrainiens ont trouvé refuge en Europe et plus de 500 000
se sont déplacés en dehors de l’espace européen. En outre, l'Ukraine
compte environ 5 millions de personnes déplacées à l'intérieur de
leur propre pays.
12. M. Lubinets a noté que le nombre de réfugiés pourrait encore
augmenter à mesure que l'agression se poursuit. Il a demandé que
l'Europe soit prête à continuer de soutenir l'Ukraine dans cette
épreuve. Il a mis l’accent sur certaines difficultés, notamment
le manque de compréhension de la législation de l'Union européenne
ainsi que des aspects problématiques de la protection temporaire,
du logement, de l'emploi et de l'éducation. Plusieurs points posent
un problème. Dans certains pays, l’offre de logements est réduite,
voire inexistante. La question de la double imposition des Ukrainiens
qui sont sous protection temporaire et continuent de travailler
à distance en Ukraine doit être abordée. Plusieurs questions ne
sont pas encadrées réglementairement, notamment la reconnaissance
mutuelle du statut d’handicapé et le degré ou groupe de handicap.
13. La reconnaissance des diplômes de l'enseignement supérieur,
y compris les diplômes universitaires ukrainiens, doit également
être abordée. Les enfants ukrainiens n'ont pas accès à l'éducation
comme ils le devraient. De nombreux pays n'ont pas la capacité de
fournir suffisamment de cours enseignés en ukrainien.
14. Les enfants d'âge scolaire doivent s'adapter à un environnement
entièrement nouveau qu’ils peuvent considérer comme stressant. En
outre, ils sont confrontés aux barrières linguistiques, aux écarts
entre les méthodes pédagogiques et aux spécificités des programmes.
Ils peuvent rencontrer des difficultés à assimiler l'enseignement
qui doit être dispensé dans deux écoles, celle du pays d'accueil
et celle de l'Ukraine. Il a cité l'exemple de la scolarisation en
France, qui est obligatoire pour tous les enfants vivant en France,
ainsi que la nécessité d’étudier dans une école ukrainienne afin
d'obtenir les certificats d'études nécessaires pour un futur emploi
en Ukraine. En raison de la charge de travail dans les écoles étrangères,
tous les enfants ne peuvent pas étudier simultanément à distance
dans les écoles ukrainiennes, ce qui les amène à manquer des cours
et à ne pas suivre le programme d'études nécessaire à leur avenir.
15. Ce problème peut être résolu par la création d'écoles ukrainiennes
à l'étranger ou d’«écoles du samedi», où les enfants peuvent suivre
leur programme d'éducation ukrainien et apprendre la langue ukrainienne
et l'histoire de l'Ukraine, matières qui ne sont pas enseignées
dans les écoles de leur pays d'accueil.
16. Il a déploré que, dans certains cas, des enfants ukrainiens
soient séparés de leurs représentants légaux dans d'autres pays.
À la fin de 2023, les autorités ukrainiennes avaient été informées
que 255 enfants avaient été séparés de leurs tuteurs légaux. M. Lubinets
a expliqué qu’il dirigeait 75 procédures engagées à la demande de
citoyens ukrainiens qui avaient été séparés de 178 enfants alors
qu’ils se trouvaient à l'étranger. C’est en Italie, en Allemagne,
en Suède, en Pologne et aux Pays-Bas que l’on compte le plus grand
nombre d’enfants soustraits à leur tutelle. Il a mentionné l'exemple
de grands-parents qui peuvent se déplacer librement avec leurs petits-enfants
en Ukraine mais qui ne sont pas considérés comme des tuteurs légaux
en Europe, car la base législative est différente. Face à ce problème,
les services sociaux de certains pays européens ont été amenés à
saisir un tribunal pour qu’un tuteur ou un garant soit désigné parmi
les citoyens ukrainiens qui résident sur le territoire où ces enfants
séjournent.
17. En général, l'analyse des informations liées aux recours des
citoyens ainsi que des réponses des autorités compétentes sur cette
question montre que les motifs les plus courants de la décision
prise par les services sociaux de séparer des enfants de leurs parents
et autres représentants légaux sont les suivants: le manque de documents
pertinents des parents et autres représentants légaux, les différences
qui existent entre la législation de l'Ukraine et celle des pays
de l'Union européenne et le faible niveau des conditions matérielles et
de vie des parents avec enfants. Il a souligné que les familles
évacuées vivent souvent dans des centres de réfugiés, dont les conditions
de vie sont mauvaises pour leurs enfants. Il convient donc d’apporter
une aide sociale appropriée pour que les parents qui ont des enfants
puissent s'acquitter de leurs responsabilités parentales en matière
de garde d'enfants en vertu du droit des États membres de l'Union
européenne.
18. M. Lubinets a évoqué les difficultés rencontrées pour obtenir
des documents ukrainiens dans l'Union européenne. De nombreux Ukrainiens
sont partis précipitamment à l'étranger avec les documents qu'ils avaient
sur eux et qu’ils doivent renouveler après un séjour de près de
deux ans dans un autre pays. Le Service national de l'immigration
de l'Ukraine a ouvert plusieurs agences à Varsovie, Cracovie, Gdansk,
Wroclaw, Istanbul, Prague, Bratislava, Milan, Valence, Madrid, Berlin,
Cologne et Munich, ce qui pourrait s’avérer insuffisant car tous
les Ukrainiens n'ont pas la possibilité de se rendre dans ces villes.
Le Bureau du Médiateur, qui veut protéger les droits des Ukrainiens
à l'étranger, effectuera également des visites de suivi dans les
lieux de résidence temporaire des Ukrainiens pour évaluer la situation
des droits humains dans le pays d’accueil.
19. L'assistance d'autres pays est parfois nécessaire. M. Lubinets
a évoqué la nécessité d'élaborer un mécanisme de coopération convenu
qui permettra aux personnes munies de documents ukrainiens évacuant les
territoires temporairement occupés de franchir les points de contrôle
d'autres pays après avoir été obligées de passer par le territoire
de la Fédération de Russie. Il a appelé les pays de l'Union européenne
à respecter les droits de ceux qui ont souffert de la guerre.
20. Compte tenu des défis qu'il a évoqués, il a appelé les membres
de l'Assemblée à unir leurs forces et à adapter leur législation
pour accroître le nombre de cours comprenant un enseignement de
la langue ukrainienne et faciliter la reconnaissance des diplômes
ukrainiens afin d'améliorer l'accès des citoyens ukrainiens à leur
marché de l’emploi. En outre, il a souligné la nécessité d'une reconnaissance
mutuelle du statut d’handicapé et du degré de handicap des Ukrainiens
qui se trouvent actuellement en Europe.
21. Il a également mentionné la nécessité de réglementer la question
de la double imposition des citoyens ukrainiens. Les gens ont quitté
leurs domiciles et fui en raison des bombardements et de la violence.
L'Ukraine doit d'abord mettre fin à l'agression russe, ce qui aidera
les citoyens ukrainiens à retourner en Ukraine. Il a appelé les
États membres du Conseil de l'Europe à continuer de soutenir l'Ukraine
et le plan de paix du président ukrainien, en particulier le point
4 sur le retour de tous les prisonniers de guerre et des personnes déportées;
à aider l'Ukraine à rétablir la justice et à punir les auteurs de
crimes; et à participer à la réhabilitation des victimes de la guerre,
tant civiles que militaires. Il a souligné que nul ne peut rester
indifférent. La population ukrainienne a besoin de ce soutien maintenant.
Il a conclu en remerciant les pays européens d'aider l'Ukraine et
les a appelés à unir leurs forces pour lutter contre l'agression
russe et défendre les valeurs démocratiques.
22. Le 18 avril 2024, la délégation ukrainienne auprès de l'Assemblée
parlementaire a organisé une table ronde pour examiner la situation
des victimes de disparitions forcées et la manière dont la Russie
capture des civils ukrainiens et viole le droit international. Le
Président de l'Assemblée, M. Theodoros Rousopoulos, a exprimé son
ferme soutien aux victimes et a appelé à redoubler d'efforts pour
aider l'Ukraine à faire face aux défis posés par la guerre d'agression
de la Fédération de Russie. Il a d’ailleurs déclaré à l'ouverture
de la partie de session d'avril que l'Ukraine connaissait sa troisième
année de lutte courageuse contre l'agression brutale de la Russie
et que, depuis quelques semaines, les forces russes visaient de
plus en plus des infrastructures civiles essentielles sans se soucier
du droit international régissant les conflits et encore moins de
la vie humaine. «L'Ukraine mène cette guerre non seulement pour
sa propre liberté et sa souveraineté, mais aussi pour notre liberté
à tous. Elle se bat pour les valeurs des droits humains, de la démocratie
et de l'État de droit, qui sont la pierre angulaire et la fierté
de notre continent européen. Nous ne devons pas faiblir dans notre détermination
à aider l'Ukraine. Nous ne devons pas hésiter, en ce moment critique,
à soutenir l'Ukraine», a-t-il déclaré. Il a appelé tous les pays
européens à doubler et tripler leurs efforts pour permettre à l'Ukraine
de repousser l'envahisseur, de reprendre le contrôle de ses territoires
illégalement occupés et de rétablir la paix fondée sur la justice
sur tout son territoire. Au cours de la table ronde, des membres
de familles de victimes de disparitions forcées ont fait des déclarations
poignantes sur les tragédies vécues par leurs familles et ont demandé
à l'Europe de les aider à défendre l'Ukraine et sa population.
23. Le 29 mai 2024, la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées a tenu un échange de vues avec M. Pavlo
Frolov, membre de la Verhovna Rada d'Ukraine et président de la
Commission spéciale sur la protection des droits de propriété et
non patrimoniaux des personnes déplacées à l’intérieur du pays et
autres personnes touchées par l’agression armée de la Fédération
de Russie contre l’Ukraine. Il a souligné qu'à la fin du mois de
mai, plus de 4 millions de personnes en Ukraine avaient besoin d'une
aide quotidienne, mais que seulement un million recevait une telle
aide. De plus, les déplacés internes vivaient avec environ 50 à
70 € par mois, ce qui n'est pas suffisant pour louer des appartements
dans un nouveau lieu de résidence. Les seuls choix qui restaient
étaient de chercher refuge à l’étranger ou d’accepter de vivre dans
les territoires occupés, mettant ainsi leur vie en danger. Il a
appelé les États membres du Conseil de l'Europe à poursuivre leur
soutien et a demandé que des fonds suffisants soient mis à la disposition
de toutes les personnes déplacées en Ukraine.
3. Solidarité des États membres avec
l'Ukraine pour répondre aux besoins des personnes déplacées
3.1. Le sort des personnes déplacées à
l’intérieur de leur propre pays: la nécessité d'atteindre les objectifs
d'aide humanitaire
24. Les personnes déplacées sont
définies par les Principes directeurs des Nations Unies relatifs
au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays (PDI)
comme des «personnes ou des groupes de personnes qui ont été forcés
ou contraints à fuir ou à quitter leur foyer ou leur lieu de résidence
habituel, notamment en raison d’un conflit armé, de situations de
violence généralisée, de violations des droits de l’homme ou de
catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme ou pour en éviter
les effets, et qui n’ont pas franchi les frontières internationalement
reconnues d’un État».
25. Les Principes directeurs affirment que les États ont la responsabilité
première de prévenir les déplacements, de protéger et d'aider les
personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays qui relèvent
de leur juridiction et d'apporter des solutions durables à leur
situation. Pour s'acquitter de cette responsabilité, les États doivent
disposer de cadres normatifs et politiques nationaux, dotés des
structures et des processus de mise en œuvre nécessaires, afin de
pouvoir répondre effectivement aux besoins et aux vulnérabilités spécifiques
des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays
.
26. Dans sa
Résolution
2214 (2018) et sa
Recommandation
2126 (2018) «Besoins et droits humanitaires des personnes déplacées
à l'intérieur de leur propre pays en Europe», l'Assemblée «se félicitant
des efforts considérables en faveur des PDI déployés par les États
membres touchés par des conflits armés ou d’autres causes de déplacement
forcé, [...] invite ces États à évaluer et à rendre public régulièrement
les besoins humanitaires de leurs PDI, éventuellement avec les Nations
Unies, l'Union européenne et le Comité international de la Croix-Rouge
(CICR), notamment les besoins des PDI en matière de logement, d'éducation, de
soins de santé...»
27. Lorsque l'Ukraine a été brutalement agressée par la Fédération
de Russie, il est très vite devenu évident que le sort de millions
de personnes en Ukraine, y compris des enfants, était en jeu. L'Assemblée
est profondément attristée par la mort tragique de plus de 500 enfants
et la situation des 1 195 blessés
.
Près de 20 000 enfants ont été déportés ou déplacés de force par
la Fédération de Russie vers la Fédération de Russie ou les territoires
occupés en Ukraine, comme l'a souligné l'Assemblée dans sa
Résolution 2495 (2023) et sa
Recommandation
2253 (2023) «Déportations et transferts forcés d’enfants et d’autres
civils ukrainiens vers la Fédération de Russie ou les territoires
ukrainiens temporairement occupés: créer les conditions de leur
retour en toute sécurité, mettre fin à ces crimes et sanctionner
leurs auteurs».
28. La commission des migrations, des réfugiés et des personnes
déplacées, dans son avis sur le rapport sur «La situation des enfants
d’Ukraine»
, a souligné que certains enfants
ont aujourd'hui trouvé refuge en Europe, mais que beaucoup d'autres
se trouvent encore en Ukraine, dont certains ont été déplacés à
l'intérieur du pays. L'Ukraine a besoin d'une aide urgente et suffisante
pour pouvoir répondre à leurs besoins.
29. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des
Nations Unies a souligné les difficultés des personnes déplacées
à l'intérieur du pays qui résident en dehors des lieux d'hébergement
collectif, en particulier dans les zones rurales de l'Ukraine, et
qui sont confrontées à des problèmes d'accès aux services et à l'assistance.
Les personnes déplacées ont parfois été contraintes de se déplacer
à plusieurs reprises, perdant leur maison et leurs moyens de subsistance
et dépendant uniquement de l'aide humanitaire. Au fur et à mesure
que les déplacements se prolongent, la plupart des besoins se font
plus pressants.
30. Les personnes déplacées estiment que le soutien financier
et les matériaux de reconstruction sont les besoins les plus importants.
Les constatations de l'Organisation internationale pour les migrations
(OIM) (matrice de suivi des déplacements, enquêtes générales sur
la population) indiquent que les femmes ont signalé des besoins
plus élevés dans tous les secteurs après avoir été déplacées pendant
plus d'un an. Les personnes vivant dans des lieux d’hébergement
collectif n'ont pas accès à d'autres solutions de logement appropriées
et continuent d'être confrontées à des risques importants en matière
de protection, notamment en raison du surpeuplement, des risques
d'expulsion, ainsi que des abus et de l'exploitation sexuels, voire d'autres
formes de violence fondée sur le genre. D’autres risques les menacent,
notamment l'accès limité aux services essentiels, la vulnérabilité
socio-économique et différents types de dommages physiques et mentaux. Dans
les lieux d’hébergement collectif, les risques sont dus à des conditions
de vie inappropriées et/ou à une gestion insuffisante de ces lieux,
dont la plupart ne respectent pas les lignes directrices intersectorielles minimales.
Cette situation est exacerbée par la dispersion de plus de 2 500
lieux à travers le pays, ce qui pose des problèmes considérables
aux organisations d'aide humanitaire en termes de capacité logistique
et d'allocation des ressources. Étant donné que l'assistance est
de courte durée et que le soutien financier à de telles initiatives
diminue progressivement à mesure que la crise se prolonge, les personnes
les plus vulnérables risquent de recourir à des mécanismes d'adaptation
négatifs si leurs besoins quotidiens ne sont pas satisfaits dans
les lieux d’hébergement collectifs susmentionnés.
31. Les pays européens ont manifesté leur solidarité envers l'Ukraine
immédiatement après le 24 février 2022. Comme l'a souligné Nadia
Hashimi, «les réfugiés n’ont pas seulement fui un lieu, ils ont
dû quitter aussi un millier de souvenirs jusqu'à ce qu'ils aient
mis suffisamment de temps et d’espace entre eux et leurs souffrances
pour se réveiller et commencer un jour meilleur.
» Les États
membres du Conseil de l'Europe ont déployé des efforts considérables
pour accueillir les populations d'Ukraine. Les premières mesures
prises en Europe concernaient la protection des enfants.
32. Je tiens à rappeler que dans les conflits armés internationaux
et non internationaux, les enfants ont droit à un respect particulier
et à une protection spécifique, y compris l'accès à l'éducation
. Dans les conflits armés internationaux,
les Parties au conflit doivent prendre les mesures nécessaires pour
que les enfants de moins de quinze ans, devenus orphelins ou séparés
de leur famille du fait de la guerre, ne soient pas laissés à eux-mêmes,
et pour que leur éducation soit facilitée en toutes circonstances
. De plus, dans le cas d'une évacuation
justifiée, l'éducation, y compris l'éducation religieuse et morale,
comme le souhaitent ses parents, doit être assurée à l'enfant pendant
son absence, avec la plus grande continuité possible
. Ces dispositions sont
pleinement applicables aux enfants déplacés dans leur propre pays,
un point qui a été souligné par les membres de l'Assemblée lors
de la réunion de la commission
ad hoc du
Bureau sur la «Situation des enfants d'Ukraine» qui s'est tenue
à Paris le 15 décembre 2023
.
33. L'augmentation de l'aide humanitaire aux enfants déplacés
à l'intérieur de l'Ukraine devrait être une priorité absolue
. La contribution de l'Union européenne
à l'aide humanitaire à l'Ukraine est la bienvenue. Le 20 mars 2024,
la Commission européenne a versé les premiers 4,5 milliards € d'aide
au titre de la nouvelle Facilité de l'Union européenne pour l'Ukraine.
Ce versement permettra à l'Ukraine de continuer à payer les salaires,
les pensions et à fournir des services publics de base pour que
le pays puisse concentrer ses efforts sur la victoire. Grâce à ce
financement-relais exceptionnel, la Commission européenne a fourni
à l'Ukraine un soutien financier immédiat pendant la mise en place
des conditions de la Facilité
.
34. Dans sa
Résolution
2448 (2022) «Conséquences humanitaires et déplacements internes
et externes en lien avec l'agression de la Fédération de Russie
contre l'Ukraine», l'Assemblée a rappelé que la situation des enfants
nécessitait des mesures spécifiques, fondées sur le principe de
l'intérêt supérieur de l'enfant, notamment en ce qui concerne les
enfants déplacés à l'intérieur du pays touchés par la guerre
. En janvier 2024, l'Assemblée a
adopté la
Résolution
2529 (2024) et la
Recommandation
2265 (2024) «La situation des enfants d'Ukraine». Aucun enfant d’Ukraine
n’a été épargné par la guerre. L’Assemblée a souligné que tous les
enfants d’Ukraine ont le droit de jouir des droits et libertés consacrés
par les instruments internationaux des droits humains pertinents
et que les droits et l’intérêt supérieur de l’enfant doivent prévaloir
dans toute prise de décision les concernant.
35. Les États membres du Conseil de l’Europe devraient poursuivre
leur soutien à l’Ukraine. Selon les données des Nations Unies de
novembre 2023, le plan de réponse humanitaire n'est à ce jour financé
qu'à hauteur de 53 %. Le 15 janvier 2024, l’Organisation des Nations
Unies et leurs partenaires ont demandé aux donateurs un montant
total de 4,2 milliards $US pour aider les communautés touchées par
la guerre en Ukraine ainsi que les réfugiés ukrainiens et leurs
communautés d'accueil dans la région tout au long de l'année 2024.
Le plan d'action spécifique de l'Ukraine visant à répondre aux besoins
des personnes déplacées à l'intérieur du territoire ukrainien devra
être déterminant pour répondre aux besoins de ces personnes
.
36. Comme le souligne le Bureau de la coordination des affaires
humanitaires des Nations Unies, malgré des difficultés d'accès extrêmes,
en particulier dans les zones occupées par la Fédération de Russie,
les travailleurs humanitaires ont aidé près de 11 millions de personnes
en Ukraine en 2023, avec le soutien de la communauté internationale
des donateurs. À la fin de 2023, on estimait que 1,5 million de
filles et 1,4 million de garçons avaient besoin d'une aide humanitaire
en Ukraine. Les organisations humanitaires n'ont ménagé aucun effort
pour accroître l'aide aux communautés de première ligne. Elles ont
notamment coordonné 105 convois inter-institutions et complété ainsi
la réponse du gouvernement et les efforts des bénévoles, des organisations
de la société civile et d'autres groupes locaux. Leurs actions doivent
être reconnues et une aide supplémentaire est nécessaire pour faciliter
leurs opérations.
37. Les États membres du Conseil de l'Europe devraient continuer
à fournir un soutien aux PDI de l’Ukraine en s’appuyant sur les
programmes de coopération mis en place par le Congrès des pouvoirs
locaux et régionaux et sur la coopération instituée dans le cadre
du Programme «Cités interculturelles» du Conseil de l'Europe et
d'autres initiatives en faveur de la démocratie locale.
38. Il conviendrait d’accorder davantage d’aides financières pour
faciliter l’accès au logement ou le démarrage d’une entreprise en
Ukraine grâce, notamment, au microfinancement ou à des lignes de
crédit à faible taux d'intérêt. À la suite de l'adhésion de l'Ukraine
à la Banque de développement du Conseil de l'Europe (CEB) en juillet
2023, la CEB peut fournir des fonds sous forme de subventions pour
l'aide d'urgence et soutenir des actions spécifiques en Ukraine.
En juillet 2023, la CEB a approuvé sa première subvention pour un
projet mis en œuvre sur le territoire ukrainien. D’un montant de
2 millions €, elle finance la remise en état des logements endommagés
par la guerre et vise à améliorer les conditions de vie de 500 ménages
déplacés et vulnérables, notamment les familles monoparentales,
les personnes âgées et les personnes handicapées.
39. À la fin de 2023, les subventions approuvées par la CEB pour
répondre à la crise ukrainienne, y compris le soutien aux pays voisins,
s'élevaient à 9,6 millions €. Ce montant devrait continuer à augmenter
grâce au généreux soutien des actionnaires de la Banque. Au cours
de 2023, la Banque a mobilisé des ressources pour son Fonds de solidarité
pour l'Ukraine, créé l'année précédente par l'Irlande, et reçu un
total de 3 millions € de la Tchéquie, de l'Allemagne et de la Lituanie.
Outre les subventions, la CEB s'est engagée à utiliser les prêts pour
soutenir la relance, la reconstruction et le développement social
à long terme de l'Ukraine, ce qui est l'un des trois objectifs principaux
du cadre stratégique 2023-2027 de la Banque. En novembre 2023, la
CEB a approuvé un prêt de 100 millions € au ministère ukrainien
de la santé pour la restauration des infrastructures sanitaires
endommagées par la guerre. Le prêt de la CEB fait partie du projet
HEAL (Health Enhancement and Life-Saving),
une opération cadre de 500 millions de $US développée par la Banque
mondiale en collaboration avec les autorités ukrainiennes. Enfin,
en octobre 2023, la CEB, la Banque européenne pour la reconstruction et
le développement (BERD), la Banque européenne d'investissement (BEI)
et la Banque mondiale ont signé un protocole d'intention pour harmoniser
les pratiques de passation des marchés pour les investissements
du secteur public financés par les banques multilatérales de développement
en Ukraine.
3.2. Directive européenne relative à la
protection temporaire (directive 2001/55/CE)
40. La Directive européenne 2001/55/CE
relative à la protection temporaire (DPT) est appliquée dans le
but de fournir une protection immédiate et des normes de traitement
de base aux réfugiés, notamment l'accès au logement, au marché de
l’emploi et aux services sociaux et de santé
.
41. Le 15 décembre 2023, lors de la commission ad hoc du Bureau sur la situation
des enfants d’Ukraine, Mme Anna Schmidt,
responsable des politiques, Commission européenne, DG Migration
et Affaires intérieures, a présenté la DPT. Elle a souligné que
l'Union européenne accordait actuellement une protection temporaire à
quelque 4,2 millions d'Ukrainiens officiellement enregistrés dans
les États membres de l'Union européenne, dont près de la moitié
en Allemagne et en Pologne. Un tiers d'entre eux étaient des enfants.
On estime qu'un cinquième des enfants vivant en Ukraine avant la
guerre résident aujourd'hui dans l'Union européenne. La protection
temporaire est limitée dans le temps (jusqu'au printemps 2025 à
ce stade). Elle englobe les enfants qui ont été évacués des institutions
ukrainiennes, soit environ 5 600 qui sont venus en groupes, y compris parfois
des enfants handicapés. Les États membres disposent de leur propre
législation pour transposer la directive relative à la protection
temporaire. Il existe donc des différences dans l'application de
cette directive au sein de l'Union. L'Union européenne a mis en
place une Plateforme de solidarité, qui est essentielle pour organiser,
coordonner et harmoniser sa réponse dans les États membres. La coopération
avec d'autres partenaires, tels que le HCR, l'UNICEF et les autorités
ukrainiennes, est renforcée par des réunions régulières. Ces partenariats
sont essentiels. Les organisations de la société civile jouent également
un rôle important dans ce processus.
42. L'Union européenne a publié un certain nombre de lignes directrices
opérationnelles sur l’application de la DPT, par exemple sur les
modalités d'accès à l'éducation, les défis spécifiques liés à l'accueil
et à la prise en charge des enfants fuyant l'Ukraine ou la reconnaissance
des décisions de garde. Toutes ces lignes directrices sont accessibles
en ligne. Mme Schmidt a évoqué la communication
de la Commission européenne de mars 2023 sur une année de protection
temporaire, un document distribué aux participants à la réunion.
La communication décrit les mesures prises, avec une section spécifique
sur les enfants. Elle souligne l'importance de la reconnaissance
des documents, dans un premier temps: celle des documents d'enregistrement
des enfants et celle des accords de tutelle ukrainiens par les États
membres de l'Union européenne, des certificats médicaux et d'invalidité,
des certificats d'études et des diplômes, autant de documents qui
ont tous un impact immédiat sur l'intégration des enfants dans les
systèmes éducatifs européens. L'Union européenne a renforcé sa coopération
avec les autorités ukrainiennes pour la reconnaissance des décisions
de tutelle. La coopération avec les parents et les tuteurs légaux
ukrainiens permettra également de retrouver les enfants disparus.
43. Les dispositions en matière de tutelle peuvent changer au
fil du temps. Par exemple, les parents peuvent divorcer. Les modalités
de garde dans les familles séparées doivent être définies soit par
des décisions administratives, soit par des tribunaux. La coopération
au niveau de l'Union européenne permet d'échanger les bonnes pratiques
entre les États membres. Mme Schmidt
a évoqué la question du placement en institution d’enfants transférés
en groupes depuis des institutions ukrainiennes. Garantir à ces
enfants un hébergement et des soins de qualité conformes aux normes
européennes est un défi. Environ 5 000 enfants provenant d'institutions
ont été accueillis en Pologne. L'Union européenne a travaillé en
étroite collaboration avec les autorités ukrainiennes pour trouver
les meilleures solutions. Un projet pilote a été mis en place entre
l'Ukraine et l'UNICEF pour diviser les plus grands groupes et trouver
des possibilités d'hébergement et de prise en charge appropriées,
également dans le contexte du rapport sur l'élargissement de l'Ukraine
et des futures négociations d'adhésion.
44. La DPT prévoit l'accès immédiat des enfants ukrainiens à l'enseignement
public aux niveaux primaire et secondaire. L'Union européenne a
publié des orientations politiques visant à promouvoir l'apprentissage
par les pairs dans l'ensemble de l'Union européenne. Les mesures
prises par les États membres diffèrent: recruter des assistants
d’éducation ukrainiens, faciliter l'accès des enseignants ukrainiens
qualifiés à leurs systèmes nationaux, ou tenter de combiner l'apprentissage
en ligne basé sur le programme ukrainien avec le programme de l'État
membre concerné, sans surcharger l'enfant. Un manuel pratique publié
par la Commission européenne en collaboration avec le ministère
ukrainien de l'Education et de la Science énonce les modalités de
coopération en matière d'éducation mises en place par les États
membres. L’accent est mis sur la reconnaissance mutuelle des qualifications
académiques et la participation aux réseaux de jumelage et Eurydice
de l'Union européenne. Cela devrait également fournir aux écoles
ukrainiennes des orientations sur la manière d'évaluer les résultats
de l'apprentissage acquis pendant la fréquentation scolaire à l'étranger
lors du retour des enfants, ce qui est également très important.
Le bien-être de l'enfant devrait être au cœur de ce travail. L'apprentissage
devrait devenir très pratique, en aidant les enfants à se remettre
des traumatismes subis. Enfin, les États membres intensifieront
leur travail sur l'accueil des enfants non accompagnés, y compris les
enfants séparés arrivant d'Ukraine. Mme Schmidt conclut en rappelant
que l'amélioration des capacités d'accueil des enfants migrants
non accompagnés dans l'Union européenne doit être une priorité.
45. Le 11 avril 2024, le Conseil de l'Europe, dans le cadre de
son programme de formation aux droits de l'homme pour les professionnels
du droit (HELP), a organisé un séminaire sur l'application de la
DPT
. Les participants ont discuté de
sa mise en œuvre et du lancement d'un nouveau cours HELP sur la
protection temporaire dans l'Union européenne. Le cours d'information
visait à améliorer les connaissances des professionnels du droit
et des autres parties prenantes sur l'application pratique de la
DPT.
3.2.1. Divergences
dans la mise en œuvre de la directive européenne sur la protection
temporaire
46. A la réunion de la Commission
des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées qui s’est
tenue le 16 avril 2024, Mme Vilde Hernes,
chercheuse principale à l'Institut norvégien de recherche urbaine
et régionale (NIBR) de l'Université métropolitaine d'Oslo, a présenté
son rapport comparatif sur la gouvernance et les changements de
politique en période d'afflux élevé de demandeurs de protection,
et a évalué les approches et les solutions de divers gouvernements,
notamment dans le cas des Ukrainiens déplacés
. Mme Hernes
a fait remarquer que de nombreux Ukrainiens vivent sans savoir s'ils
retourneront en Ukraine et se posent des questions difficiles. En
Europe, les maires s'interrogent sur l'opportunité de renforcer
leurs services généraux pour pouvoir répondre aux besoins des personnes
sous protection temporaire dans leurs villes. Que ce soit au niveau
de l'Union européenne ou aux niveaux national, local ou individuel,
des choix doivent être faits malgré un degré élevé d'incertitude
et d'instabilité.
47. Le discours initial est que l'Europe a fait face à ce flux
migratoire forcé grâce à une réponse unifiée reposant principalement
sur la mise en œuvre de la DPT ou d'autres types de législation
nationale tenant largement compte de la DPT dans les Etats non-membres
de l'Union européenne. Il est vrai qu’une réponse plus unifiée a
été proposée au début, notamment en ce qui concerne le type de permis
de protection pour les Ukrainiens. Cette réponse peut être comparée,
par exemple, à la période 2015-2016 où l’on a vu un nivellement
par le bas en matière d’intégration nationale et de politique d'asile
au niveau européen. Les responsables politiques ont estimé que cela
empêcherait de faire de l'Europe une destination attrayante.
48. Cependant, tous les pays européens n’entrent pas dans le champ
d’application de la DPT. En outre, la directive énumère des exigences
minimales qu'il appartient à chaque pays de l'Union européenne de transposer
dans son contexte national. L'étude réalisée par la chercheuse sur
les droits et les restrictions des réfugiés ukrainiens dans huit
pays européens indique qu'il existe de très grandes divergences
en ce qui concerne l'accueil général.
49. Mme Hernes a donné des exemples
spécifiques qui montrent que certains pays ont proposé aux Ukrainiens
des politiques et des pratiques d'hébergement et d'installation
plus libérales que celles proposées pour d'autres groupes de demandeurs
de protection. Des règles plus libérales ont été adoptées pour aider
les personnes à s'installer où elles le souhaitaient. Elles ont
remplacé les restrictions sévères de la liberté d’installation.
Des subventions financières ont été accordées à des hôtes privés
pour accueillir des réfugiés ukrainiens. En raison du caractère
temporaire de leur séjour, les droits aux mesures d'intégration
ont cependant été généralement plus contraignants.
50. Les pays européens divergent sur le point de savoir si les
réfugiés ukrainiens ont des droits et des obligations en ce qui
concerne les mesures d'intégration. Au Danemark, et en partie en
Suède et en Finlande, les réfugiés ukrainiens ont accès à des programmes
de formation linguistique et d'intégration. Dans d'autres parties
de la Suède, de la Pologne, de l'Allemagne et de l'Autriche, ils
ne bénéficient pas de ces droits de la même façon que les autres
personnes qui jouissent d'une protection. Par ailleurs, il existe
des règles très différentes concernant l'aide financière et publique
que ce groupe peut obtenir dans les pays analysés. L'étude présente
quatre solutions différentes. Au Royaume-Uni et en Allemagne, les
personnes déplacées d'Ukraine ont été incluses dans le système général
de prestations sociales tout comme l’ensemble de la population.
Au Danemark et en Norvège, les réfugiés ukrainiens ont des droits
similaires à ceux des autres réfugiés en matière de prestations
financières. En Suède, en Autriche et en Finlande (pour la première
année), les réfugiés ukrainiens continuent de bénéficier d'un système
financier égal à celui dont disposent les autres demandeurs d'asile.
En Pologne, il existe un éventail de dispositions personnalisées.
L’étude signale que des solutions très différentes existent pour
ce groupe et que, dans certains pays, les réfugiés ukrainiens se
voient octroyer des prestations nettement inférieures à celles d'autres
groupes bénéficiant d'une protection.
51. L'étude montre qu’il existe des divergences importantes dans
les droits et les restrictions qui s’appliquent à ce groupe dans
les pays européens, ce qui remet en cause l'impression préalable
d'une réponse globale unifiée. Il s’agit en fait d’un mélange de
politiques qui sont à la fois plus libérales et plus restrictives
à l’égard de ce groupe. L'introduction de la DPT a constitué en
soi un assouplissement des exigences car la directive a permis de
raccourcir et d'alléger le processus de décision relatif à l'octroi
de la protection, qui ne nécessitait pas d'évaluation individuelle.
52. Il existe des exemples de politiques plus libérales à l'égard
de ce groupe, notamment une plus grande flexibilité en termes d'hébergement
et d'installation, la possibilité d'un retour temporaire en Ukraine
et l'accès rapide au marché de l’emploi. On trouve également des
exemples de personnes déplacées d'Ukraine dont les droits sont plus
limités par rapport à d'autres groupes. Les restrictions concernent
les mesures d'intégration et, dans certains cas, l’aide financière.
En Suède, ce groupe ne bénéficie même que de droits limités en matière de
soins de santé. Le permis temporaire qui lui est accordé ne constitue
pas une durée de résidence pouvant être prise en compte pour obtenir
la résidence permanente, ce qui constitue une restriction claire
par rapport aux autres permis.
53. À ce stade, personne ne sait si les Ukrainiens qui ont fui
resteront dans l'Union européenne pendant trois mois, trois ans
ou pour toujours. Pour l'Union européenne, la protection collective
des personnes déplacées d'Ukraine est une solution temporaire et
des discussions ont eu lieu sur la nécessité de la prolonger. Rien
n’indique pour l’instant qu’une solution unifiée concernant le type
de permis puisse être trouvée. À l'avenir, il faudra voir comment
la mise en œuvre au niveau national évoluera en ce qui concerne
les droits et les restrictions applicables à ce groupe. Les droits
des personnes déplacées d'Ukraine seront-ils étendus ou limités
et quelles sont les mesures qui seront adoptées à ce sujet dans
différents pays? Si la guerre s'éternise, il y a tout à craindre
d’un nivellement par le bas de ces droits.
54. Il a également fallu faire face à des dilemmes difficiles.
Le premier dilemme tient à la manière de trouver un juste équilibre
entre des bonnes conditions d'intégration et d'accueil et le défi
pour les pays hôtes, de devenir des pays de destination attrayants
alors que les capacités d'accueil sont considérées comme ayant déjà
atteint leurs limites. Le deuxième dilemme est lié à la question
de la différence de traitement entre les réfugiés ukrainiens et
les autres groupes qui se sont vus accorder une protection. Il a
en effet été reproché aux Ukrainiens d'avoir été favorisés et d'avoir
été mieux accueillis que d'autres groupes de demandeurs de protection.
Or les études ont montré que, dans de nombreux pays, les réfugiés
ukrainiens avaient moins de droits que les personnes bénéficiant
d'une protection. Enfin, dans de nombreux pays, les réfugiés ukrainiens pourraient
être une source importante de main-d'œuvre indispensable.
55. Les gouvernements doivent prendre des mesures pour satisfaire
les besoins des communes qui ont accueilli des réfugiés ukrainiens.
La fourniture de services nécessite un financement au niveau local,
ce qui ne peut pas être garanti étant donné que les communes ne
savent pas si les réfugiés ukrainiens resteront, et pour combien
de temps, ou s'ils retourneront en Ukraine et quand. Les communes
ne savent pas si elles doivent améliorer leurs services généraux,
embaucher des médecins, des enseignants, etc. Elles ne peuvent pas
le faire tant qu'il n'y a pas de certitude quant à l'avenir des
demandeurs de protection. Tout cela peut s'avérer très coûteux pour
les communes.
56. Les règles libérales et flexibles, qui sont souvent perçues
de manière très positive, peuvent également conduire à une réduction
des contrôles et, dans de nombreux cas, à une diminution des droits
en matière d’aide publique. En outre, les personnes déplacées d'Ukraine
courent un risque élevé d'être exploitées sur le marché de l’emploi
à long terme. Si l'Ukraine peut être une ressource pour les marchés
de l’emploi locaux qui ont besoin de main-d'œuvre, il n'y a pas
toujours de correspondance entre les qualifications des Ukrainiens
qui arrivent et les besoins réels du marché de l’emploi du lieu
où ils résident temporairement. Mme Hernes
a suggéré qu'il serait bon d'aider les Ukrainiens à investir dans
l'amélioration de leurs qualifications et l'apprentissage de la
langue locale, malgré ce statut précaire. Elle a souligné que ceux
qui avaient fui brusquement, du jour au lendemain, avaient vu leur
vie bouleversée.
57. Si l'étude montre que de nombreux Ukrainiens souhaitent parvenir
à une certaine normalité de leur existence, l'insécurité liée à
leur séjour dans le pays d'accueil peut néanmoins remettre en question
leur motivation à s'intégrer socialement et sur le marché de l’emploi.
En Norvège, par exemple, de nombreux Ukrainiens ont fait des études
supérieures. Doivent-ils occuper n'importe quel emploi ou s'investir
dans l'apprentissage de la langue et trouver un emploi correspondant
à leurs compétences? En outre, les parents, qui s'inquiètent pour
leurs enfants et leur éducation, doivent décider si leurs enfants
étudieront selon les programmes ukrainiens ou selon les programmes
qui sont dispensés dans les écoles locales des pays d'accueil. Les
enfants ukrainiens fréquentent les écoles norvégiennes pendant la
journée et les écoles ukrainiennes (parfois en ligne) le soir, ce
qui les met fortement sous pression. Beaucoup de parents déclarent qu'ils
doivent créer un environnement stable et sûr pour leurs enfants
compte tenu de ces difficultés.
58. Il est important de se concentrer sur la nécessité de vivre
malgré le degré d'incertitude élevé que les personnes déplacées
d'Ukraine connaissent. Cette situation est très difficile pour les
enfants qui voient leur existence mise «en attente». Selon Mme Hernes,
il n’y a pas de solutions «rapides». Il existe de vrais dilemmes dont
les objectifs sont souvent contradictoires. Des choix politiques
et individuels doivent être faits dans ce contexte d'incertitude.
Les objectifs contradictoires doivent être discutés et évalués de
manière critique et ouverte pour trouver les solutions les mieux
adaptées à tous.
3.2.2. Coopération
technique facilitée par le Groupe de consultation sur les enfants
d'Ukraine
59. Le Groupe consultatif du Conseil
de l’Europe sur les enfants d’Ukraine (GCU) a tenu sa première réunion
à Strasbourg les 30 novembre et 1er décembre 2023.
Plus de 85 participants (en présentiel et en ligne) ont examiné
les moyens de protéger effectivement les droits des millions d’enfants
ukrainiens qui résident dans les États membres du Conseil de l’Europe
et qui ont été contraints de fuir leur patrie depuis le début de la
guerre d’agression menée par la Russie
.
60. Le GCU a été créé pour assurer la mise en œuvre concrète de
la Déclaration de Reykjavík de 2023, en vue de faciliter le dialogue
et l'échange d'informations, dans un cadre multilatéral, sur les
normes juridiques et les politiques applicables aux enfants ukrainiens
résidant dans les États membres du Conseil de l'Europe. Les travaux
du GCU auront comme objectif de développer une compréhension commune
de certaines des questions juridiques et politiques les plus importantes
auxquelles les États membres sont confrontés à la suite de l'arrivée
d'enfants ukrainiens sur leur territoire
.
61. Composé d'experts responsables de la prise de décision et
de la coordination des questions liées aux enfants ukrainiens nommés
par les États membres, ainsi que de points focaux de l'Union européenne,
d'autres organisations internationales clés et d'ONG européennes
et ukrainiennes, le groupe identifiera les pratiques prometteuses
et élaborera des orientations pour les États et d'autres acteurs
sur le terrain afin de répondre à certaines des préoccupations des
États en matière de respect des droits des enfants ukrainiens.
62. La première réunion était consacrée à l'accueil, à l'enregistrement
et à la prise en charge des enfants non accompagnés et séparés dans
les États membres, y compris ceux qui proviennent d’établissements
de prise en charge alternative. Les discussions ont porté sur les
questions de juridiction et de droit admissible, de tutelle, ainsi
que sur le soutien psychologique et les soins tenant compte des
traumatismes, apportés aux enfants affectés par la guerre et/ou
victimes de la guerre. Le groupe a également discuté d'une feuille
de route qui guidera ses travaux jusqu'à la fin de son mandat, le
31 juillet 2025.
63. Lors de la réunion du 16 avril 2024 de la commission, le Secrétaire
général adjoint, Bjorn Berge, a souligné qu’un mélange thématique
supplémentaire pourrait également être discuté par le GCU, notamment l'accès
des enfants ukrainiens à l’éducation dans d'autres États membres.
Jusqu'à présent, les discussions ont montré qu’il existait des pratiques
différentes entre les États membres pour la scolarisation des enfants ukrainiens,
mais aussi des modèles différents et des approches novatrices, telles
que la formation des enseignants ukrainiens, pour faciliter l’intégration
dans le système éducatif du pays d'accueil et pour aider les enfants
ukrainiens à rester liés à leur identité, leur langue et leur culture.
64. Le groupe effectuera un exercice dont le but est de recenser
les pratiques et les difficultés au plan national afin de recenser
les besoins spécifiques et de guider les États membres vers une
meilleure protection du droit des enfants ukrainiens à l'éducation.
Le groupe suit de près la réforme du système ukrainien de protection
de l'enfance en travaillant avec d'autres parties prenantes aux
niveaux national et international. Il a pour objectif de fournir
des mises à jour sur les progrès, les défis et les prochaines étapes
de la tâche complexe qui consiste à désinstitutionnaliser le système
de garde d'enfants. Cette approche par étape a déjà donné de nombreux
résultats positifs, notamment en ce qui concerne la coordination
effective entre les différents ministères. Il reste toutefois de
nombreux problèmes à régler. L'accent est désormais mis sur la coordination et
le renforcement des capacités au niveau régional afin d'assurer
une transition progressive, sûre et fondée sur les droits humains
vers une prise en charge alternative reposant sur la famille.
3.2.3. Le
rôle de la diaspora ukrainienne
65. La diaspora ukrainienne a joué
un rôle déterminant dans l'organisation de l'aide de secours aux
familles de ceux qui sont restés en Ukraine pour défendre le pays.
L'Assemblée a noté l'importance de la diaspora dans sa
Résolution 2388 (2021) et sa
Recommandation
2207 (2021) «Pour une politique européenne relative aux diasporas».
De nombreuses recommandations énumérées sont valides aujourd'hui.
L'Assemblée a souligné que les diasporas et leurs associations apportent
une contribution positive au développement des pays de résidence
et d'origine en enrichissant la diversité culturelle et en tissant
des relations dynamiques et constructives afin de favoriser les
échanges économiques et culturels et le codéveloppement. Le renforcement des
politiques sur les diasporas constitue une opportunité exceptionnelle
pour le développement économique, social et culturel des pays de
résidence et d’origine et pour améliorer la cohésion et l’inclusion
de nos sociétés. Les pays peuvent grandement bénéficier de ce que
les diasporas peuvent offrir s'ils établissent des liens avec elles,
examinent leurs besoins et y répondent, les intègrent dans les processus
de décision et coopèrent avec elles pour élaborer les politiques
axées sur les diasporas. Le Conseil de l'Europe peut jouer un rôle
majeur dans ce processus, en réunissant les multiples acteurs qui
façonnent les politiques nationales en matière de diasporas, notamment
les parlements, les gouvernements, les associations de diasporas,
les ONG, les médias et les organismes de recherche.
4. Personnes déplacées de force ou expulsées
vers la Fédération de Russie et le Bélarus: nécessité de respecter
les dispositions du droit humanitaire international
66. Le déplacement forcé est un
déplacement involontaire ou forcé d'une personne ou de personnes
loin de leur domicile ou de leur région d'origine. Le droit international
humanitaire (DIH) interdit expressément aux parties à un conflit
armé de déplacer de force des civils dans le cadre de conflits armés
internationaux et non internationaux, à moins que la sécurité des
civils concernés ou des raisons militaires impérieuses ne l'exigent
. Comme d'autres règles du droit international
humanitaire susceptibles d'empêcher les déplacements, cette interdiction
protège également les civils contre le risque de déplacement secondaire.
En outre, les personnes déplacées internes ont le droit de regagner
volontairement et dans la sécurité leur foyer ou leur lieu de résidence
habituel dès que les causes de leur déplacement ont cessé d’exister
.
67. En 2023, l'Assemblée a réitéré son appel à prendre des mesures
urgentes pour libérer les personnes déplacées de force, comme souligné
dans sa
Résolution 2495
(2023) et sa
Recommandation
2253 (2023) «Déportations et transferts forcés d'enfants et d'autres
civils ukrainiens vers la Fédération de Russie ou les territoires
ukrainiens temporairement occupés: créer les conditions de leur
retour en toute sécurité, mettre fin à ces crimes et sanctionner
leurs auteurs».
68. L'Assemblée, ayant été informée de cas de transfert forcé
d'enfants ukrainiens des territoires occupés vers la Fédération
de Russie et le Bélarus, a appelé la Fédération de Russie à mettre
immédiatement fin à ces transferts. L’Assemblée a souligné que le
transfert forcé d’enfants d’un groupe à un autre groupe dans l’intention
de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique,
racial ou religieux est considéré comme un crime de génocide en
vertu de l’article 2, paragraphe (e), de la Convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide.
69. Le 15 décembre 2023, la commission ad
hoc du Bureau créée pour évaluer la situation des enfants d'Ukraine
s'est déclaré particulièrement préoccupé par le sort des enfants
transférés de force et déportés vers les territoires temporairement
occupés de l'Ukraine, de la Fédération de Russie et du Bélarus.
En janvier 2024, la plateforme «Children of War» gérée par le Gouvernement
ukrainien indique avoir recueilli des informations sur plus de 19
546 enfants qui ont été signalés comme ayant été déportés ou transférés
de force de divers endroits, et dont 388 seulement sont rentrés
chez eux.
70. Le 13 mars 2024, le Parlement européen a examiné avec le Conseil
et la Commission européenne la manière de répondre aux préoccupations
urgentes concernant les enfants ukrainiens déportés de force vers la
Russie. Depuis le début de la guerre d'agression de la Russie contre
l'Ukraine en février 2022, les organisations internationales ont
recensé un large éventail de graves violations des droits humains
à l’encontre des enfants. Les informations faisant état d'enfants
déportés ou déplacés de force par les autorités russes, associés
dans de nombreux cas à des programmes de rééducation et à des adoptions
forcées, ont suscité de vives inquiétudes.
71. Le danger des processus de russification mis en place par
la Fédération de Russie, qui occupe illégalement le territoire de
l'Ukraine voisine, sera évalué de manière plus approfondie dans
le rapport «Contrer l'effacement de l'identité culturelle en temps
de guerre et de paix» (Rapporteure: Mme Yevheniia
Kravchuk, Ukraine, ADLE)
.
La coopération entre les différents acteurs et mécanismes existants
est nécessaire pour conjuguer les efforts visant à faire revenir
les enfants dans les meilleurs délais.
5. Prisonniers de guerre: davantage d’efforts
sont nécessaires pour négocier la libération des prisonniers
72. Comme indiqué le 8 février
2024, 33 soldats ukrainiens ont été condamnés à de longues peines
dans une colonie pénitentiaire à l'issue de procès illégaux. Les
soldats ukrainiens capturés ont été accusés de crimes graves au
titre du Code pénal russe, mais la description officielle et succincte
de ces «crimes» allégués par la Russie montre qu’en fait, ces soldats
ont été poursuivis pour avoir simplement pris part à la guerre en tant
que membres des forces armées ukrainiennes. Cette condamnation par
la soi-disant «cour suprême» de la «République populaire de Louhansk»
dans la région de Louhansk occupée par la Russie est illégale en
vertu du droit international humanitaire et du droit des droits
de l'homme, car elle ne respecte pas les normes internationales
minimales d'équité
.
73. La Fédération de Russie doit s'abstenir de prendre des mesures
contraires aux Conventions (I à IV) de Genève et à leurs protocoles
additionnels. L'Assemblée soutient l’appel lancé en faveur de l'échange
de prisonniers de guerre afin d'éviter de nouvelles violences. Les
meurtres de prisonniers de guerre ukrainiens non armés commis par
l'armée de la Fédération de Russie à Avdiivka et dans le village
de Vesele ont montré que le comportement de l'armée de la Fédération
de Russie et de ses groupes militaires sous-traitants était des
plus cruels et inhumains. Le mépris flagrant du DIH par la Fédération
de Russie ne doit pas être négligé par la communauté internationale.
74. Prenant note de la déclaration écrite n° 778 (
Doc. 15790) des membres de l'Assemblée du 27 juin 2023, intitulée
«Appel au Comité international de la Croix-Rouge et à la communauté
internationale à exiger que la Fédération de Russie respecte pleinement
le droit international humanitaire concernant les prisonniers de guerre
ukrainiens», les États devraient rappeler à la Fédération de Russie
que les règles et coutumes de la guerre convenues dans le DIH codifié
doivent être respectées par tous afin d’éviter que les atrocités
commises en temps de guerre dans le passé ne se reproduisent. L'Assemblée
devrait donc examiner attentivement la situation des prisonniers
de guerre. Cette question devra être abordée dans ses prochains
rapports.
6. Actions futures
75. L'Ukraine devra faire face
à des intérêts contradictoires et des dilemmes. Les différentes
parties prenantes auront des intérêts divergents. La société ukrainienne
peut rester divisée sur la manière d'aborder la situation des personnes
aujourd'hui déplacées, selon la personne dont on parle et le lieu
où se trouvent les personnes déplacées. Il apparaît essentiel à
cet égard de savoir où se trouvent actuellement les Ukrainiens.
76. La situation est assez difficile en ce qui concerne la protection
temporaire accordée aux hommes qui peuvent être mobilisés pour défendre
le pays. La nouvelle loi sur la mobilisation qui a été adoptée en
Ukraine entrera en vigueur en mai 2024. Selon les nouvelles règles,
les forces armées ukrainiennes pourraient mobiliser jusqu'à 500
000 personnes mais le nombre exact de personnes susceptibles d'être
mobilisées n'est pas précisé dans la loi. À la suite de l'adoption
de cette nouvelle loi, les Ukrainiens en âge de servir dans l'armée
ne sont pas autorisés à se procurer des passeports dans les bureaux
consulaires à l'extérieur du pays. Ces personnes devront revenir
en Ukraine pour obtenir des documents.
7. Conclusion
77. L'Ukraine doit recevoir tout
le soutien nécessaire pour se défendre. Des transformations sociétales profondes
seront nécessaires pour qu’un partenariat solide soit établi entre
ceux qui défendent l'Ukraine et ceux qui sont à l'étranger sous
protection temporaire. Selon Kristin Sandvik, «la crise des réfugiés
est un défi humanitaire qui doit être pris en charge et résolu collectivement,
qu'il s'agisse de cadres juridiques, de réponses institutionnelles
ou de financement. En élaborant de nouvelles solutions humanitaires
à cette crise, des contributions essentielles peuvent être apportées
à la paix et à la stabilité internationales»
.
78. La tragédie des déplacements laissera une trace indélébile
dans la vie des Ukrainiens. La communauté internationale devrait
faire tout ce qui est en son pouvoir pour que les Ukrainiens soient
aidés dans leur lutte contre l'adversité, quel que soit le lieu
où ils se trouvent actuellement, et qu'ils aient la capacité de
reconstruire l'Ukraine dès la fin de la guerre.
79. Pour se reconstruire, l'Ukraine devra être soutenue. La
Résolution 2539 (2024) et la
Recommandation 2271
(2024) de l'Assemblée «Soutien à la reconstruction de l'Ukraine»,
montrent que le Conseil de l'Europe a pris l’initiative en exprimant
sa solidarité avec l'Ukraine et sa population, en condamnant la
guerre d'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine et
en se prononçant pour l’expulsion de la Fédération de Russie de
l’Organisation. Le Conseil de l'Europe a également pris l'initiative
de créer le Registre des dommages causés par l'agression de la Fédération
de Russie contre l'Ukraine. Ses États membres devraient maintenant jouer
un rôle important dans le soutien aux efforts de reconstruction
en Ukraine.
80. Pour conclure, permettez-moi de citer un vers d’un poème de
Warsan Shire: «Personne ne met ses enfants dans un bateau si l'eau
n'est pas plus sûre que la terre sur laquelle ils vivent»
. C'est tout à fait vrai pour
les personnes qui fuient les guerres. Le monde moderne ne parvient
pas à protéger les populations; il ne parvient pas à instaurer une
coexistence pacifique entre les nations modernes, à mettre un terme
aux effusions de sang causées par les conflits territoriaux ou aux
différends entre ceux qui s'accrochent à l'hégémonie du passé et
les sociétés modernes qui aspirent à vivre de manière indépendante
en rompant avec ce passé. Le temps est venu d'accorder une plus
grande attention à la construction d'une paix durable dans le monde.