1. Introduction
1. L’Arménie est devenue le 42e État
membre du Conseil de l’Europe le 25 janvier 2001. Lors de son adhésion
à l’Organisation, elle a accepté les obligations qui, au titre de
l’article 3 du Statut, incombent à tous les États membres: le respect
des principes de la démocratie pluraliste et de l’État de droit
ainsi que le respect des droits humains et des libertés fondamentales
de toutes les personnes placées sous sa juridiction. Par ailleurs,
le pays a pris un certain nombre d’engagements spécifiques qu’il
a convenu d’honorer. Ces engagements sont énoncés dans l’Avis 221
(2000) de l’Assemblée parlementaire. L’Arménie a signé 83 traités du
Conseil de l’Europe, dont 70 ont été ratifiés.
2. Le pays a bénéficié de programmes de coopération du Conseil
de l’Europe, dont un soutien aux réformes démocratiques depuis 2012.
Des programmes ont été mis en œuvre, avec l’appui de l’Union européenne,
pour aider le pays à se conformer aux normes du Conseil de l’Europe.
Les contributions volontaires des États membres ont permis de renforcer
l’application des normes relatives aux droits humains au sein des
forces armées. Elles ont aussi servi à appuyer la réforme de la
justice et la création d’un service de probation, à soutenir la
réforme constitutionnelle, à consolider la démocratie locale, la
décentralisation et la bonne gouvernance, ainsi qu’à lutter contre
la violence domestique et la violence à l’égard des femmes.
3. L’Arménie fait aussi l’objet d’une procédure de suivi de l’Assemblée
parlementaire depuis son adhésion, qui a donné lieu à l’adoption
de 12 résolutions. Le dernier rapport sur les obligations et engagements
de l’Arménie a été présenté à l’Assemblée en 2007 et six résolutions
sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Arménie
ont été adoptées de 2008 à 2022. Cet accent mis sur les institutions
démocratiques reflète les très profonds changements institutionnels
et politiques qui se sont opérés en Arménie depuis 2007. La période
a notamment été marquée par l’importante réforme constitutionnelle
de 2015 et par la «révolution de velours» de 2018.
4. Le dernier débat sur le respect des obligations et engagements
de l’Arménie a eu lieu en janvier 2022. Dans sa Résolution 2427
(2022) adoptée au terme de ce débat, l’Assemblée a salué les progrès
notables accomplis par l’Arménie en matière de développement démocratique
depuis 2018 et s’est félicitée qu’elle ait réussi à sortir de la
crise politique déclenchée par l’issue du conflit du Haut-Karabakh.
5. Depuis, la situation s’est aggravée avec l’escalade dramatique
du conflit. La population du Haut-Karabakh, coupée de l’Arménie
par l’Azerbaïdjan, a été placée dans des conditions extrêmement
difficiles sur le plan humanitaire. Nous nous sommes rendus en Arménie
en février 2023 et une note d’information sur la situation à la
frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et dans le corridor de
Latchine a été publiée. En 2023, l’Assemblée a adopté la Résolution
2517 (2023) et la Recommandation 2260 (2023) «Situation humanitaire dans
le Haut-Karabakh», la Résolution 2508 (2023) «Assurer un accès libre
et sûr par le corridor de Latchine» et la Résolution 2391 (2021)
«Conséquences humanitaires du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan/le
conflit du Haut-Karabakh», en demandant instamment à l’Arménie et
à l’Azerbaïdjan d’honorer l’engagement pris lors de leur adhésion
de recourir exclusivement à des moyens pacifiques pour régler le
conflit du Haut-Karabakh. En septembre 2023, l’armée azerbaïdjanaise
a envahi la partie du Haut-Karabakh placée sous la protection du
contingent russe de maintien de la paix. En conséquence, la quasi-totalité
de la population du secteur a fui vers l’Arménie en l’espace de
quelques jours. Dans sa Résolution 2517 (2023), l’Assemblée a vivement regretté
que la quasi-totalité de la population arménienne de la région ait
quitté sa patrie ancestrale et fui en Arménie, certainement à cause
de la menace concrète d’une extinction physique, de la politique
de haine contre les Arméniens menée depuis longtemps en Azerbaïdjan
et de l’incertitude quant à leur traitement futur par les autorités
azerbaïdjanaises. Elle a en outre noté que «[l]a situation de fait
actuelle, avec l’exode massif de la quasi-totalité de la population
arménienne de cette région, a donné lieu à des allégations et à
des suspicions raisonnables de nettoyage ethnique».
6. Du 6 au 8 novembre 2023, nous avons effectué une visite d’information
à Erevan, Eraskh et Artashat au cours de laquelle nous avons rencontré
le Premier ministre, M. Nikol Pachinian, plusieurs membres du gouvernement,
des parlementaires de la majorité et de l’opposition, des membres
de la magistrature, des membres d’institutions indépendantes ainsi
que des représentants d’organisations de la société civile.
7. Lors de cette visite, nous avons aussi rencontré des réfugiés
du Haut-Karabakh à Erevan et à Artashat. Nous avons été frappés
par leur courage et leur dignité. Les familles que nous avons rencontrées
avaient fui dans des délais très courts, abandonnant presque tout
ce qu’elles possédaient, car elles craignaient pour leur vie. Pour
certaines, c’était la troisième fois qu’elles étaient amenées à
fuir en raison de ce conflit. La plupart des personnes sont arrivées
en Arménie épuisées, affamées et en proie à une détresse physique
et psychologique aggravée par les conséquences de la pénurie de
nourriture, de médicaments et de produits de première nécessité
dont elles avaient souffert au cours des neuf mois précédents. Les
circonstances dans lesquelles elles avaient quitté leur foyer sont
détaillées dans les observations sur la situation des droits humains
des personnes touchées par le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan
au sujet de la région du Karabakh publiées par la Commissaire aux
droits de l’homme du Conseil de l’Europe.
8. À notre retour de mission, nous avons déclaré que pour assurer
la pérennité de l’assistance fournie par l’Arménie et aider tous
ceux qui veulent s’y installer définitivement, le pays a besoin
de toute urgence de la solidarité de tous les Européens. Nous nous
félicitons de la décision du Conseil de l’Europe de lancer un train de
mesures complet en réponse à l’afflux de réfugiés et nous appelons
de nouveau l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe à
fournir une aide à long terme à l’Arménie afin qu’elle puisse affronter
les défis socio-économiques posés par cette arrivée massive de réfugiés.
9. L’objet principal de la visite était toutefois d’évaluer avec
le plus grand soin les nombreux développements survenus depuis janvier 2022
en ce qui concerne le fonctionnement des institutions démocratiques,
l’État de droit et le respect des droits humains. Dans l’intervalle,
les organes de suivi du Conseil de l’Europe ont publié plusieurs
documents importants concernant le respect des obligations et engagements de
l’Arménie: la Commission européenne pour la démocratie par le droit
(Commission de Venise) a rendu cinq avis consultatifs; le Groupe
d’États contre la corruption (GRECO) a adopté un quatrième rapport
relatif à la mise en œuvre de ses recommandations sur la prévention
de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs
et le rapport d’évaluation
initial sur la prévention de la corruption et la promotion de l’intégrité au
sein des gouvernements centraux (hautes fonctions de l’exécutif)
et des services répressifs
; la Commission européenne
contre le racisme et l’intolérance (ECRI) a publié son rapport sur
l’Arménie dans le cadre du sixième cycle de monitoring; la Commissaire
aux droits de l’homme s’est rendue en Arménie et en Azerbaïdjan
et a publié ses Observations sur la situation des droits humains
des personnes affectées par le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan
au sujet de la région du Karabakh
. Six groupes d’arrêts
de la Cour européenne des droits de l’homme en attente d’exécution
demeurent sous surveillance soutenue: une affaire a été jugée il
y a plus de 10 ans et dans huit cas, le prononcé de l’arrêt remonte
à une période allant de 10 à cinq ans.
10. Par ailleurs, le Plan d’action du Conseil de l’Europe pour
l’Arménie 2023-2026 a été officiellement lancé le 16 février 2023.
Dans ce cadre, le Conseil de l’Europe et les autorités arméniennes
sont convenues de poursuivre ensemble, par le biais de programmes
de coopération, les réformes visant à renforcer l’effectivité du
système de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5,
«la Convention») et la protection des droits humains dans le domaine
biomédical, ainsi que la liberté des médias, à lutter contre la
violence à l’égard des femmes et à améliorer les droits des enfants,
à lutter contre la discrimination et à promouvoir les droits des
minorités, à assurer le respect des droits sociaux, à renforcer
l’indépendance et l’efficacité de la justice, à lutter contre la
corruption et la cybercriminalité, à améliorer les soins en milieu
pénitentiaire et à renforcer le rôle des services de probation dans
le système judiciaire, et à promouvoir la bonne gouvernance et des
réformes territoriales.
11. La note d’information que nous avions soumise à la suite de
notre visite dans le pays a été déclassifiée par la commission de
suivi en janvier 2024
. Un avant-projet de
rapport a été envoyé à tous les groupes représentés à l’Assemblée
nationale arménienne afin de recueillir leurs commentaires. Nous
avons reçu des contributions de la majorité au pouvoir et des autorités
gouvernementales, ainsi que des groupes d’opposition Hayastan et
Pativ Unem. Ces contributions offrent des points de vue contrastés
sur certains des sujets traités dans ce rapport et donnent un bon
aperçu des débats dans la sphère politique arménienne. Le présent
rapport a été établi sur ces bases. Nous nous sommes également fondés
sur les rapports des organes de suivi susmentionnés du Conseil de
l’Europe et des rapports émanant d’organisations internationales
et de la société civile, ainsi que sur nos échanges approfondis
et réguliers avec divers membres de l’Assemblée nationale arménienne
(de la majorité comme de l’opposition), des organismes publics indépendants
et des organisations de la société civile.
2. Contexte général
12. En 2022 et 2023, les conséquences
du conflit avec l’Azerbaïdjan, les conditions d’une paix durable
qui permettrait une normalisation des relations avec l’Azerbaïdjan
et la Türkiye et la situation de la population arménienne du Haut-Karabakh
ont été au centre du débat public en Arménie. Néanmoins, les questions nationales
ont également retenu l’attention. Le gouvernement de M. Pachinian
demeure résolu à réformer l’Arménie après la révolution de velours,
dans le sens de la démocratie, du respect de l’État de droit et
des droits humains. La situation de la magistrature et son indépendance,
de même que la perception de la corruption et de la politisation
de l’appareil judiciaire, font l’objet d’intenses débats politiques.
13. Les dernières élections législatives ont été anticipées; elles
ont été organisées en juin 2021 à la suite de manifestations liées
à l’accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020. Elles ont donné
une large majorité au parti du Premier ministre sortant: sa formation,
Contrat civil, a obtenu près de 54 % des suffrages exprimés (71 sièges).
L’Alliance Hayastan est arrivée en deuxième position avec 21 % des
voix (29 sièges), suivie par l’Alliance Pativ Unem qui a obtenu
sept sièges (5 %). La légitimité politique de M. Pachinian a donc
été renforcée et son parti, Contrat civil, détient une majorité
des deux tiers à l’Assemblée nationale.
14. Après les élections, M. Pachinian a annoncé une profonde réforme
des forces armées, l’achat d’armes modernes à la Fédération de Russie,
le renforcement des liens avec l’Organisation du Traité de sécurité collective
(OTSC) dont l’Arménie est membre, et le déploiement de gardes-frontières
russes sur des portions de la frontière arméno-azerbaïdjanaise.
En janvier 2022, nous avons indiqué qu’en Arménie, «l’ensemble de la
classe politique perçoit la Russie comme le premier et seul garant
de la sécurité dont l’Arménie a besoin et plaide pour un renforcement
des liens avec celle-ci»
. L’une des plus importantes
bases des forces armées russes en dehors de la Fédération se trouve
à Gyumri, dans le nord-ouest du pays. L’accord de cessez-le-feu conclu
avec l’Azerbaïdjan a conféré à la Fédération de Russie un rôle essentiel
dans la protection de la population arménienne du Haut-Karabakh
en prévoyant que des troupes de maintien de la paix de la Fédération
de Russie seraient déployées le long de la ligne de contact dans
le Haut-Karabakh et le long du corridor de Latchine.
15. L’agression militaire de l’Ukraine par la Fédération de Russie
a eu des conséquences majeures sur les relations avec la Fédération
de Russie. En mars 2022, l’Arménie n’a pas voté contre la résolution
de l’Assemblée générale des Nations Unies condamnant l’invasion
russe. Les troupes russes stationnées dans le pays et les gardes-frontières
russes n’ont pas dissuadé l’Azerbaïdjan de mener des actions militaires
hostiles. En septembre 2022, une offensive azerbaïdjanaise de grande
envergure appuyée par l’artillerie, des armes lourdes et des drones
a été menée le long de la frontière. 204 militaires arméniens ont
été tués ou portés disparus et 80 Azerbaïdjanais sont morts. À la
suite de ces affrontements, l’armée azerbaïdjanaise a occupé d’importantes
positions et pris le contrôle de plusieurs hauteurs stratégiques
en territoire arménien, notamment celles surplombant l’axe routier
qui relie la capitale, Erevan, à la frontière iranienne
.
16. À la suite de cette flambée de violence, le Président azerbaïdjanais
et le Premier ministre arménien se sont rencontrés à Prague le 6 octobre 2022,
à l’invitation du Président de la République française et du Président
du Conseil européen. L’Arménie et l’Azerbaïdjan ont confirmé leur
attachement à la Charte des Nations Unies et à la déclaration d’Alma
Ata de 1991, par laquelle tous deux reconnaissent mutuellement leur intégrité
territoriale et leur souveraineté
. En Arménie, l’opposition
a accusé M. Pachinian de reconnaître implicitement la souveraineté
de l’Azerbaïdjan sur le Haut-Karabakh. Au cours de la réunion, l’Arménie
a accepté de faciliter la mise en place d’une mission civile de
l’Union européenne le long de la frontière et l’Azerbaïdjan a accepté
de coopérer avec cette mission pour ce qui le concerne
.
La capacité d’observation de l’Union européenne en Arménie est devenue
opérationnelle le 20 octobre
.
17. Le 12 décembre 2022, un groupe de personnes originaires d’Azerbaïdjan
a commencé à occuper le «corridor de Latchine», seule route reliant
l’Arménie au Haut-Karabakh, en violation de l’accord de cessez-le-feu.
Le 21 décembre 2022, la Cour européenne des droits de l’homme a
demandé à l’Azerbaïdjan de «prendre toutes les mesures relevant
de sa compétence pour assurer le passage en toute sécurité, par
le “corridor de Latchine”, des personnes gravement malades ayant
besoin d’un traitement médical en Arménie et des autres personnes
bloquées sur la route sans abri ni moyens de subsistance». Afin
de clarifier la situation sur le terrain, le 18 février 2023, nous
nous sommes rendus sur la frontière, du côté arménien de la route
de Latchine
. Sur la
base de nos constatations, nous avons appelé «à la cessation immédiate
de l’obstruction illégale et illégitime du corridor de Latchine»
.
Dans son ordonnance du 22 février 2023 indiquant des mesures conservatoires, la
Cour internationale de justice a enjoint à l’Azerbaïdjan de «prendre
toutes les mesures dont il dispose afin d’assurer la circulation
sans entrave des personnes, des véhicules et des marchandises le
long du corridor de Latchine dans les deux sens»
. Le 23 avril
2023, les forces azerbaïdjanaises ont établi un poste de contrôle dans
le corridor de Latchine, à proximité de la frontière avec l’Arménie.
L’isolement forcé de la population du Haut-Karabakh s’est aggravé.
18. Le 14 mai 2023, à l’issue de l’une des nombreuses réunions
organisées à Bruxelles entre le Président Aliyev et le Premier ministre Pachinian,
les observations finales faisaient état de «l’attachement sans équivoque
[des deux dirigeants] à la Déclaration d’Alma-Ata de 1991 et à l’intégrité
territoriale respective de l’Arménie (29 800 km2)
et de l’Azerbaïdjan (86 600 km2)». Cette
déclaration marquait une étape importante en vue d’un traité de
paix dans la mesure où elle constituait une reconnaissance explicite
de la souveraineté de l’Azerbaïdjan sur le territoire du Haut-Karabakh.
Le reste de la déclaration appelait au déblocage des liaisons économiques
et de transport dans la région et soulignait l’importance d’intensifier
les travaux visant à déterminer le sort des personnes disparues
et concernant le déminage, ainsi que de garantir les droits et la sécurité
des Arméniens vivant dans l’ancien oblast autonome du Haut-Karabakh
. M. Pachinian a été sévèrement
critiqué par les partis d’opposition en Arménie pour son approche
dans ces négociations, et les manifestations de rue et les mouvements
de désobéissance ont été fréquents en 2023.
19. Le 19 septembre 2023, malgré la présence du contingent russe
de maintien de la paix au Haut-Karabakh et en dépit de ses engagements
répétés de ne pas recourir à la force, l’Azerbaïdjan a lancé une offensive
militaire sur le territoire du Haut-Karabakh sous le contrôle des
autorités
de facto. M. Pachinian,
a déclaré que l’armée arménienne n’interviendrait pas dans les combats.
Le lendemain, les autorités
de facto ont
accepté de désarmer et un cessez-le-feu est entré en vigueur. Le
24 septembre 2023, l’Azerbaïdjan a permis aux civils d’emprunter
le corridor de Latchine uniquement pour quitter le territoire vers
l’Arménie
. À la date
du 6 octobre 2023, le nombre de personnes déplacées ayant quitté
le Haut-Karabakh s’élevait à 100 670
, soit la quasi-totalité de la population
du territoire.
20. Le sort de la population du Haut-Karabakh a suscité des réactions
extrêmement vives en Arménie, comme en 2020. Le 19 septembre 2023,
premier jour de l’attaque, des manifestants se sont réunis à Erevan devant
des bâtiments gouvernementaux, appelant M. Pachinian à démissionner.
La rédactrice en chef du média d’État russe RT a écrit que les autorités
arméniennes avaient livré les sanctuaires arméniens «de leurs propres
mains», qualifiant M. Pachinian de «Judas»
. M. Pachinian a déclaré à la télévision
que des voix s’élevaient déjà en plusieurs endroits pour appeler
à un coup d’État en Arménie. Des manifestants se sont heurtés à
la police pour tenter de prendre d’assaut le siège du gouvernement.
D’autres ont encerclé l’ambassade russe pour critiquer le refus
de la Russie d’intervenir dans le conflit. Le 20 septembre, des
milliers de personnes se sont rassemblées à Erevan et ont appelé
à une intervention militaire au Haut-Karabakh. La police a commencé
à arrêter des manifestants, déclarant le rassemblement illégal
. Au 25 septembre,
plus de 140 personnes avaient été appréhendées.
21. Les 16 et 17 octobre 2023, M. Pachinian est intervenu devant
le Parlement européen et a rencontré la Secrétaire Générale du Conseil
de l’Europe, Marija Pejčinović Burić. Dans son discours, le Premier
ministre s’est exprimé en ces termes: «une série d’événements qui
se déroulent dans la République d’Arménie et dans différents endroits
du monde soulèvent la question suivante: la démocratie est-elle
capable d’assurer la sécurité, la paix, l’unité, la prospérité et
le bonheur? […] la démocratie en Arménie a continué et continue
de recevoir des coups violents, qui fonctionnent selon une formule
presque exactement répétée: agression extérieure, puis inaction
des alliés de l’Arménie dans le domaine de la sécurité, puis tentatives
d’utiliser la guerre ou la situation humanitaire ou la menace extérieure
à la sécurité pour subvertir la démocratie et la souveraineté de
l’Arménie, ce qui s’exprime par l’incitation à l’instabilité interne
avec des technologies hybrides dirigées par des forces extérieures.
[…] Au moment où des centaines de milliers d’Arméniens ont fui le
Haut-Karabakh pour se réfugier en République d’Arménie, nos alliés
du secteur de la sécurité non seulement ne nous ont pas aidés, mais
ont également lancé des appels publics à un changement de pouvoir
en Arménie, pour renverser le gouvernement démocratique»
.
22. Le 24 octobre 2023, le Premier ministre déclarait ce qui suit:
«les systèmes de sécurité extérieure dans lesquels nous sommes impliqués
ne sont pas efficaces du point de vue des intérêts de l’État et
de la sécurité de la République d’Arménie. […] le blocage illégal
du corridor de Latchine et l’attaque de l’Azerbaïdjan contre le
Haut-Karabakh le 19 septembre soulèvent de sérieuses questions dans
le Haut-Karabakh quant aux objectifs et aux motivations du contingent
de maintien de la paix de la Fédération de Russie. […] nous envisageons
également la ratification du Statut de Rome, qui permettra à la
République d’Arménie d’utiliser les capacités de la Cour pénale
internationale pour assurer la sécurité extérieure. Nous avons pris
la décision de ratifier le Statut de Rome en décembre 2022, lorsqu’il
est devenu clair pour nous tous que les instruments de l’OTSC et
le partenariat stratégique arméno-russe ne sont pas suffisants pour
assurer la sécurité extérieure de l’Arménie, et cette décision n’est
en aucun cas dirigée contre l’OTSC ou la Fédération de Russie».
Le 3 novembre 2023, l’Assemblée nationale arménienne a effectivement
ratifié le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI).
Le porte-parole du Kremlin, M. Dmitri Peskov, a qualifié la décision
de l’Arménie de rejoindre la CPI d’«inappropriée […] du point de
vue de nos relations bilatérales»
.
23. Le 7 décembre 2023, le Cabinet du Premier ministre de la République
d’Arménie et l’Administration présidentielle de la République d’Azerbaïdjan
ont publié une déclaration conjointe affirmant ce qui suit: «La République
d’Arménie et la République d’Azerbaïdjan partagent l’opinion qu’il
existe une chance historique de parvenir à une paix tant attendue
dans la région. Les deux pays réaffirment leur intention de normaliser
leurs relations et de parvenir à un Traité de paix sur la base du
respect des principes de souveraineté et d’intégrité territoriale»
. Il a été convenu de prendre des mesures
visant à renforcer la confiance, dont un échange de prisonniers.
Conformément à l’accord, 32 prisonniers de guerre arméniens ont
été libérés par l’Azerbaïdjan le 13 décembre et Erevan a remis deux soldats
azerbaïdjanais à Bakou. L’Azerbaïdjan a confirmé détenir encore 23 prisonniers
arméniens, parmi lesquels des représentants des dirigeants politiques
et militaires du Haut-Karabakh.
24. Le 12 décembre 2023, le haut représentant de la Commission
européenne, Josep Borrell, a annoncé que le Conseil des affaires
étrangères était convenu de renforcer la mission de l’Union européenne
en Arménie, première étape dans la coopération croissante entre
l’Union européenne et l’Arménie, reconnaissant ainsi l’existence
d’une chance historique d’instaurer la paix dans la région.
25. Le 18 janvier 2024, M. Nikol Pachinian, a fait savoir que,
selon lui, «la pierre angulaire pour assurer la sécurité de la République
d’Arménie est la légitimité»; l’avenir du pays est d’être un État
souverain, légal, démocratique et social. Le Premier ministre a
déclaré que pour s’adapter à un environnement en constante évolution,
«la République d’Arménie a besoin d’une nouvelle Constitution, pas
d’amendements constitutionnels, mais d’une nouvelle Constitution».
Il s’est dit convaincu que «le modèle parlementaire de gouvernance,
compte tenu de nos aspirations et stratégies démocratiques, est
le plus approprié pour la République d’Arménie». Toutefois, une
Constitution adoptée par le peuple de la République d’Arménie garantirait
sa légitimité. Par ailleurs, s’«il n’y a pas grand-chose à changer
sur le plan politique dans le modèle de gouvernance actuel», des
changements s’imposent dans le système judiciaire
.
26. À la suite de cette déclaration, des membres de l’opposition
arménienne ont affirmé que M. Pachinian envisageait en fait de se
plier aux exigences de l’Azerbaïdjan et de la Türkiye, qui demandaient
que toute mention du Haut-Karabakh et du génocide arménien soit
supprimée de la Constitution. Le Président azerbaïdjanais Ilham Aliyev
avait en effet déclaré qu’il serait possible de parvenir à la paix
entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan si l’Arménie modifiait sa Constitution
et «d’autres documents». Alem Simonyan, président de l’Assemblée
nationale de la République d’Arménie, a souligné la nécessité de
réciprocité: «La Constitution et la législation de l’Azerbaïdjan
contiennent également des dispositions qui devraient être modifiées»
. Le préambule de la
Constitution arménienne fait référence aux principes fondamentaux
et objectifs nationaux de la souveraineté arménienne fixés dans
la Déclaration d’indépendance de l’Arménie, laquelle fait elle-même référence,
dans son préambule, à l’acte de 1989 sur la réunification de l’oblast
autonome du Haut-Karabakh avec la République soviétique d’Arménie.
Dans une interview accordée à la radio publique arménienne le 1er février
2024, M. Pachinian a indiqué que la Déclaration d’indépendance pouvait
constituer un obstacle à la paix en Arménie, expliquant qu’avec
la croissance de l’économie arménienne et la «transformation» et
la réforme des forces armées, la mention de la Déclaration d’indépendance
dans la Constitution du pays pouvait être perçue comme un signe
que l’Arménie se prépare à la guerre pour mettre en œuvre les dispositions relatives
à la réunification du Haut-Karabakh et de l’Arménie. Le dirigeant
arménien a déclaré que les pays voisins formeraient alors une alliance
en vue de «détruire» l’Arménie. Le 7 février, M. Pachinian a précisé
que dans le projet de traité de paix, il était déclaré que les parties
ne peuvent pas invoquer leur droit interne pour se soustraire à
leurs obligations en vertu dudit traité
.
27. Le 9 mars 2024, après la 7e session
sur les questions de la délimitation et de la sécurité des frontières entre
l’Arménie et l’Azerbaïdjan, l’Azerbaïdjan a publié une déclaration
demandant à l’Arménie de retirer ses forces de quatre villages actuellement
sous contrôle arménien. Le 18 mars, M. Pachinian, s’est rendu dans
les villages frontaliers et a déclaré que l’Arménie devait commencer
la démarcation de la frontière à partir de la région de Tavouch
pour «éviter une nouvelle guerre». Il a aussi affirmé que les villages
revendiqués par l’Azerbaïdjan n’avaient jamais fait partie de l’Arménie
soviétique. L’opposition a accusé le gouvernement de faire des concessions
unilatérales et soutenu qu’il ne s’agissait pas d’un véritable processus
de démarcation, mais d’un nouvel acte de capitulation.
3. La
situation des réfugiés du Haut-Karabakh
28. L’offensive militaire de l’Azerbaïdjan
dans le Haut-Karabakh a provoqué un exode massif de la population
arménienne locale vers l’Arménie. En l’espace de quelques jours,
plus de 100 000 personnes sont arrivées en Arménie, avec un besoin
urgent d’aide humanitaire. Ce chiffre représente 3 % de la population totale
du pays. Les autorités arméniennes ont fait de leur mieux pour gérer
l’urgence: la plupart des réfugiés ont trouvé un toit, les élèves
et les étudiants ont été inscrits dans les écoles et universités
arméniennes, et des secours d’urgence ont été distribués aux personnes
déplacées.
29. Le Gouvernement arménien a accordé aux Arméniens du Haut-Karabakh
le statut de réfugiés, ce qui leur permet de travailler et de bénéficier
de la sécurité sociale et de soins médicaux, de l’éducation et de
la liberté de circulation. Toutefois, ils n’ont pas la nationalité
arménienne et ne peuvent donc pas posséder de terres, être employés
dans des agences gouvernementales ou participer à la vie politique
.
Deux mois après leur arrivée en Arménie, quelque 5 350 réfugiés
avaient trouvé un emploi dans le pays. Selon les dirigeants exilés
de l’enclave, quelque 6 000 Arméniens du Haut-Karabakh seraient
partis dans d’autres pays, principalement en Fédération de Russie.
30. «Notre politique à l’égard de nos frères et sœurs déplacés
de force du Haut-Karabakh est la suivante: s’ils ne peuvent ou ne
veulent objectivement pas revenir au Haut-Karabakh, nous ferons
tout pour qu’ils restent en Arménie», a déclaré M. Pachinian. Lorsque
les conditions d’un traité de paix définitif avec l’Azerbaïdjan seront
connues, il est possible qu’une grande partie des réfugiés du Haut-Karabakh
décide de s’installer définitivement en Arménie. Dans ce cas, la
question de leur citoyenneté se posera inévitablement. Il faudra veiller
à ce que l’intégration de cette population au sein de la société
arménienne n’ait pas pour effet de déstabiliser les institutions
politiques. Tous les acteurs politiques, de la majorité comme de
l’opposition, devraient s’abstenir de formuler des revendications
irréalistes ou de chercher des boucs-émissaires et ne pas donner
de crédibilité à la propagande d’acteurs étrangers qui cherchent
à alimenter la détresse légitime des réfugiés afin de servir leurs
propres intérêts de politique étrangère. À cet égard, les pays européens
peuvent jouer un rôle décisif en fournissant un soutien économique
à l’Arménie
.
Ce faisant, ils soutiendraient également la résilience des institutions
démocratiques.
4. Fonctionnement
des institutions démocratiques
31. En janvier 2022, l’Assemblée
a adopté la
Résolution
2427 (2022) «Le fonctionnement des institutions démocratiques en
Arménie» dans laquelle elle reconnaissait que «l’Arménie a fait
des progrès notables en matière de développement démocratique» depuis
2018
.
32. Cependant, dans son rapport «Nations in transit 2024», Freedom
House a abaissé de 2,50 à 2,25 la note de l’Arménie en matière de
gouvernance démocratique nationale en raison de la consolidation
des pouvoirs de l’exécutif, de la tendance constante des autorités
centrales, ces dernières années, à dépasser les limites et à destituer
les maires de l’opposition, et du manque de transparence dans les
finances du parti au pouvoir
. Le 16 avril 2024, les dirigeants
des groupes Hayastan et Pativ Unem ont diffusé une déclaration affirmant
que le gouvernement actuel de l’Arménie prétend œuvrer au renforcement
de la démocratie aux yeux de la communauté internationale alors
qu’en fait il commet des violations flagrantes des droits humains
et des libertés fondamentales. La déclaration s’achève sur un appel
lancé au Conseil de l’Europe, lui demandant de «condamner fermement
le déclin continu de la démocratie en Arménie et les violations
flagrantes des droits humains et des libertés fondamentales».
4.1. Réforme
électorale et confiance dans les élections
33. L’Assemblée a observé toutes
les élections en Arménie depuis 1995. En 2018, après les élections organisées
à la suite de la révolution de velours, les observateurs de l’Assemblée
ont déclaré qu’elles avaient été exemptes des irrégularités qui
avaient entaché nombre des scrutins précédents et qu’il appartenait
aux élus arméniens de lancer des réformes législatives pour consolider
le processus démocratique dans le pays
. Renforcer
la confiance dans le processus électoral par le biais de réformes
juridiques était donc une tâche importante pour la consolidation
des institutions démocratiques en Arménie.
34. Ce processus de réforme a commencé avant les élections anticipées
de juin 2021, lorsque deux paquets d’amendements au Code électoral
ont été adoptés de manière consensuelle, après de vastes consultations. Les
deux paquets avaient été examinés par la Commission de Venise et
par le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme
(BIDDH) de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en
Europe (OSCE)
. Ces organes ont noté «avec satisfaction
que des consultations inclusives se sont déroulées entre les acteurs
politiques et les organisations non gouvernementales et dans un
délai adéquat afin de garantir que les amendements de textes aussi
fondamentaux reçoivent le soutien le plus large possible des différentes forces
politiques, de la société civile et de la communauté des experts. […] Les
changements ont été discutés et préparés depuis longtemps dans le
cadre d’un processus politique inclusif et transparent». En janvier 2022, l’Assemblée
a salué «la nette amélioration du cadre électoral, tant au regard
de la législation sur les partis politiques et du financement des
campagnes électorales qu’au regard du mode de scrutin» et a appelé
les autorités arméniennes à «compléter la réforme du cadre électoral
en prenant en compte les recommandations de la Commission de Venise
et de l’OSCE/BIDDH».
35. À la suite de ces recommandations, une autre réforme a été
introduite. Le processus de réforme peut être considéré comme exemplaire:
«l’élaboration des projets d’amendements avait été précédée de vastes consultations
publiques de dix mois avec les différentes parties prenantes, y
compris la société civile, et […] ce processus avait été soutenu
par la Fondation internationale pour les systèmes électoraux (IFES).
Différents interlocuteurs rencontrés par les rapporteurs ont confirmé
ce processus ouvert et inclusif impliquant des représentants des
organismes publics compétents, des organisations non gouvernementales
et des experts internationaux. Les rapporteurs ont été informés
qu’un grand nombre des recommandations proposées par les acteurs
électoraux lors de l’exercice consultatif facilité par l’IFES à
la fin de 2022 ont été incorporées dans le projet. Le ministère
de la Justice a mis à la disposition des citoyens les projets d’amendements
en ligne afin qu’ils puissent les commenter, et le projet de législation
a fait l’objet d’un débat public»
.
36. À l’instar de la Commission de Venise et du BIDDH, nous nous
félicitons de ces larges consultations et discussions publiques
et du fait que les projets d’amendements ont été proposés bien avant
les prochaines élections prévues en 2026. La manière dont le droit
électoral a été modifié en 2021 et 2023 remplit toutes les exigences
procédurales en matière de transparence et de consultations.
37. En ce qui concerne le fond de la réforme, les amendements
proposés traitent certaines questions précédemment soulevées. En
réponse à une recommandation de la Commission de Venise, des dispositions ont
été élaborées pour la tenue d’élections en situation d’urgence,
y compris en période de pandémie et de loi martiale. Il semble toutefois
que le projet de règlementation ouvre un risque important qu’une
déclaration d’état d’urgence ou de loi martiale soit exploitée à
des fins politiques, et la Commission de Venise et le BIDDH ont proposé
plusieurs amendements pour écarter cette possibilité.
38. Plusieurs dispositions nouvelles tendent à renforcer la transparence
du processus électoral. Le BIDDH et la Commission de Venise ont
estimé qu’elles permettraient aux électeurs de mieux comprendre
le processus électoral et d’accroître leur confiance dans la crédibilité
de ce dernier, en particulier dans le travail de la Commission électorale
centrale.
39. Une autre série de mesures concerne les listes électorales
et l’inscription sur ces listes. Selon le Code électoral, la liste
initiale est publiée par circonscription, ainsi que les listes émargées
par les électeurs ayant effectivement voté. Nos interlocuteurs ont
expliqué que cette mesure avait été prise pour prévenir la fraude électorale
et le bourrage d’urnes, compte tenu du nombre élevé d’Arméniens
vivant à l’étranger encore inscrits sur les listes électorales locales.
Cette publication permet une plus grande transparence, mais la Commission de
Venise a exprimé des inquiétudes quant aux possibilités de harcèlement
des électeurs. En conséquence, la Commission de Venise et le BIDDH
ont recommandé de revoir ces dispositions à la lumière des meilleures pratiques
en matière de protection des données à caractère personnel.
40. Nous avons discuté de cette recommandation avec de nombreuses
parties prenantes en Arménie, et toutes ont estimé que la publication
de la liste avait un effet très positif sur la confiance dans les
résultats des élections et ont demandé son maintien à la quasi-unanimité.
Nous partageons l’avis de la Commission de Venise selon lequel d’autres
mécanismes peuvent être mis en œuvre pour empêcher le vote au nom
d’autres personnes et permettre un examen suffisant de la liste
électorale tout en protégeant les données personnelles des électeurs,
mais nous pensons que dans le contexte arménien, ces mesures doivent
être mises en œuvre de façon à ne pas donner prise au soupçon d’intention
frauduleuse. L’Arménie a prouvé qu’elle était capable d’entreprendre
des réformes électorales de manière inclusive, transparente et consensuelle
et la même méthode devrait permettre de remplacer progressivement
la publication des listes électorales.
41. Les projets d’amendements prévoient aussi de nouvelles règles
pour le recomptage des résultats du scrutin dans les bureaux de
vote. Malheureusement, les recommandations précédentes du BIDDH
et de la Commission de Venise tendant à accorder aux électeurs le
droit de contester les résultats n’ont pas été prises en compte
à ce stade. La réglementation actuelle ne prévoit pas de recours
effectif, conformément aux normes internationales et aux engagements
auprès de l’OSCE, et devrait donc être modifiée.
42. Nous serons très attentifs à la suite qui sera donnée à ces
recommandations lorsque le texte sera débattu à l’Assemblée nationale
arménienne. À ce stade, les modifications proposées constituent
déjà une amélioration bienvenue dans des domaines clés et les points
devant encore être améliorés ne devraient pas être trop difficiles
à traiter.
43. Les élections municipales qui ont eu lieu à Erevan en 2023
ont donné une idée des progrès accomplis et permis de mesurer tout
ce qu’il reste à faire. Selon la mission de suivi du Congrès des
pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe
,
la campagne a été concurrentielle, bien que l’opposition parlementaire
ne se soit pas présentée à l’élection, et relativement discrète
en raison de la situation sécuritaire. Aucun cas de corruption électorale
n’a été constaté. La délégation du Congrès a observé des élections
gérées efficacement par une administration électorale engagée et
transparente. Elle s’est félicitée des améliorations apportées depuis
2018 pour garantir l’intégrité et la transparence du processus électoral,
notamment en réduisant les possibilités de vote carrousel, de vote
familial et de vote assisté. Le Congrès a également noté avec satisfaction
que la période post-électorale n’a pas été litigieuse et que tous
les candidats ont largement accepté les résultats.
44. La délégation du Congrès a toutefois appelé à porter une attention
particulière à la sous-représentation des femmes en tant que têtes
de liste et maires en Arménie, et aussi à veiller à ce que des conditions
de concurrence plus équitables soient garanties à l’ensemble des
candidats. En effet, les allégations d’utilisation abusive des ressources
administratives, la distinction de plus en plus floue entre les
activités officielles et les activités de campagne, également perceptible
dans les médias, et les écarts importants dans les dépenses entre
les candidats n'ont pas été propices à une campagne totalement équilibrée.
45. La question du financement des campagnes politiques a été
soulevée par des enquêtes indépendantes publiées en 2024 selon lesquelles
les dons au parti Contrat civil effectués en 2022 et en 2023 ne
répondaient pas au schéma habituel, suscitant des soupçons de contournement
des règles de financement des partis
. Selon Transparency
International Arménie, les conclusions font apparaître la nécessité
de réformes institutionnelles et d’une approche rigoureuse de la
question par les pouvoirs publics pour faire en sorte que les règles
de financement des partis politiques soient respectées.
46. Dans un discours devant le Parlement européen en octobre 2023,
M. Pachinian a déclaré que «la démocratie est […] pour la République
d’Arménie, un choix stratégique et non quelque chose de dicté par
les circonstances». «Pour la première fois dans l’histoire de la
République d’Arménie, les élections sont devenues un moyen de surmonter
la crise interne et non l’inverse», a-t-il poursuivi. «C’est la
principale différence entre l’Arménie d’après et d’avant la révolution
de velours populaire et non violente de 2018. Si, avant la révolution, les
élections étaient généralement à l’origine de crises internes en
raison du manque de confiance du public dans leurs résultats, depuis
la révolution, elles empêchent ou jugulent la crise, car les citoyens
ont une possibilité non seulement théorique mais aussi pratique
de prendre des décisions et de les mettre en œuvre.»
47. Étant donné l’évaluation positive des missions internationales
d’observation des élections de 2018, 2021 et 2023 et l’acceptation
généralisée de leurs résultats par la population arménienne, nous
considérons que l’objectif de garantir la tenue d’élections véritablement
démocratiques, méritant la confiance des citoyens arméniens, a été
largement atteint.
4.2. Rapports
entre la majorité parlementaire et l’opposition
48. Les améliorations mentionnées
ci-dessus concernant l’intégrité du processus électoral n’ont pas
encore permis de restaurer la confiance mutuelle entre les partis
politiques qui s’opposent au parlement.
49. En ce qui concerne les équilibres institutionnels et l’ancrage
d’une culture démocratique dans la sphère politique, l’Assemblée
a appelé, dans sa Résolution 2427 (2022) «majorité et opposition
à s’affronter de manière constructive et respectueuse sur des orientations
politiques clairement identifiées et divergentes». Elle a noté «que
les mécanismes protégeant les droits de l’opposition sont en place
et fonctionnels, et qu’ils devraient lui permettre de jouer son
rôle et de proposer des alternatives». L’Assemblée a aussi appelé
«la majorité parlementaire à exercer pleinement ses fonctions de
contrôle et d’évaluation de l’action du gouvernement, compte tenu
de l’importante majorité de sièges qu’elle détient».
50. Cette recommandation fait suite aux conclusions de la mission
d’observation électorale, qui a estimé que les élections «se sont
[…] caractérisées par de profonds clivages et ont été marquées par
les propos de plus en plus incendiaires des principaux candidats.
Le ton négatif de la campagne et le fait qu’elle ait été axée sur
les personnalités ont empêché un débat de fond sur les questions
politiques». Les observateurs électoraux du BIDDH ont signalé des
propos de plus en plus intolérants, incendiaires et discriminatoires
durant la période préélectorale. Au cours de la campagne, le Défenseur
des droits humains a publié une déclaration appelant l’ensemble
des forces politiques à proscrire insultes, injures et jurons
.
Le rapport final sur les élections de juin 2021 indique, parmi les
recommandations prioritaires, que les fonctionnaires, les partis
politiques, leurs candidats et leurs partisans devraient s’abstenir
de propos incendiaires et que des mesures dissuasives non pénales
clairement définies devraient être mises en place, tout en protégeant
la liberté d’expression
.
51. Dans son rapport de 2023 sur l’Arménie, l’ECRI indique que
«les cas de discours de haine, y compris les appels à la violence,
surviennent occasionnellement dans les sphères politiques et publiques
en Arménie. Cependant, ils n’ont généralement pas de motivation
raciste ou xénophobe. Selon plusieurs observateurs indépendants
rencontrés lors de la visite, ces faits concernent principalement
les personnalités politiques, les représentants d’ONG ou les journalistes.
[…] le manque de connaissances du public concernant ce qui constitue
un discours de haine, notamment l’incitation à la haine et à la
discrimination, a entraîné une certaine confusion sur ce qui peut
être considéré comme un débat acceptable en politique et dans les
médias, en particulier en ligne, et a été à l’origine de mesures
insuffisantes pour prévenir et sanctionner le discours de haine,
y compris les déclarations qui constituent une infraction pénale»
. L’ECRI a fait état de
plusieurs cas de menaces, insultes et autres manifestations de discours
de haine impliquant des personnalités politiques sur les réseaux
sociaux et au parlement. Les discours de haine se référant de manière
offensante aux «Azéris» et aux «Turcs» sont utilisés comme outils
contre les opposants politiques pour exacerber les divisions internes et
entraver toute négociation de paix
.
52. Conformément aux recommandations de l’ECRI, «les organes élus
et les partis politiques devraient adopter des codes de conduite
adaptés interdisant le discours de haine et appeler leurs membres
et sympathisants à ne pas y recourir, l’approuver ni le diffuser,
et prévoir des sanctions». Notre Assemblée a déjà invité les législateurs
arméniens «à développer d’autres outils que la sanction à but préventif
pour lutter contre la désinformation et les discours de haine»
. Cette mesure va
dans le sens de la Recommandation CM/Rec (2022)16 du Comité des
Ministres aux États membres sur la lutte contre le discours de haine
et de la Charte des partis politiques européens pour une société
non raciste et inclusive, telle qu’approuvée par l’Assemblée dans
sa Résolution 2443 (2022), et nous invitons vivement le Parlement
arménien à la mettre en œuvre. Les dirigeants politiques et les
parlementaires devraient indiquer clairement que le recours au discours
de haine par les membres de leurs mouvements est inacceptable et
prendre des mesures pour prévenir et sanctionner ces pratiques.
53. La tolérance mutuelle et la reconnaissance de la légitimité
des opposants politiques, éléments nécessaires aux sociétés démocratiques,
font défaut en Arménie. Pendant la campagne électorale, le respect de
l’opposition politique devrait être la règle, et dans l’exercice
des pouvoirs constitutionnels, la retenue et la modération de la
majorité seraient particulièrement souhaitables.
54. Au sein de l’Assemblée nationale arménienne, les élections
de juin 2021 ont donné au parti Contrat civil une majorité des deux
tiers au parlement, ce qui lui permet d’imposer ses choix sur les
nominations aux postes les plus importants de l’État sans prendre
en compte la volonté de la minorité. Le fait de profiter abusivement d’une
telle supermajorité pour mettre hors-jeu les députés de l’opposition
a été observé dans d’autres pays. Comme l’a rappelé l’Assemblée:
«Une telle situation signifie que les partis au pouvoir ont une
grande responsabilité s’agissant du respect et de la sauvegarde
des principes régissant le bon fonctionnement des institutions démocratiques,
notamment les droits de l’opposition […].»
55. En vertu de l’article 104 de la Constitution arménienne, l’un
des trois vice-présidents de l’Assemblée nationale est élu parmi
les députés des groupes de l’opposition. Et aux termes de l’article 106,
«Les postes de présidents des commissions permanentes sont répartis
entre les groupes parlementaires proportionnellement au nombre de
députés de chaque groupe». En application de ces dispositions, la
vice-présidence de l’Assemblée nationale et trois présidences de
commissions permanentes devraient revenir à des personnes choisies
parmi les membres de l’opposition. Ces dispositions sont conformes
aux recommandations de la Commission de Venise: «La Commission de
Venise prône la représentation proportionnelle aux postes à responsabilité,
qu’elle considère comme une importante garantie des droits de l’opposition.
Dans la plupart des grandes commissions (du budget ou du contrôle
des services de sécurité par exemple), il est recommandé de réserver
certains sièges à l’opposition, au-delà même de sa représentation
au parlement, ou de lui confier la présidence de la commission.
Le respect du principe de représentation proportionnelle est également recommandé
dans la composition des délégations des parlements nationaux auprès
des associations parlementaires internationales et autres organismes
similaires».
56. Le groupe Hayastan a proposé la candidature de M. Artur Ghazinyan
au poste de vice-président de la commission permanente de la défense
et de la sécurité, qui a été rejetée par le vote de la majorité.
Hayastan a proposé le même candidat 16 fois et la majorité l’a rejeté
16 fois. Cette répétition illustre l’absence de coopération entre
l’opposition et la majorité à l’Assemblée nationale.
57. Dans notre rapport de 2022 sur le fonctionnement des institutions
démocratiques, nous nous demandions «si la majorité issue des élections
de 2021 et la nouvelle opposition [seraient] à même de jouer leurs
rôles, de manière constructive et non confrontationnelle, alors
que la campagne électorale [avait] été caractérisée par des déclarations
incendiaires»
. Nous avons donc appris
avec regret que les membres de l’opposition qui occupaient l’une
des vice-présidences de l’Assemblée nationale et trois présidences
de commission permanente avaient quitté ces postes. Le vice-président
de l’opposition, M. Ishkhan Sagatelyan, et le président de la commission
des affaires économiques, M. Vahe Hakobyan, ont été démis de leurs fonctions
le 2 juillet 2022 pour absences répétées
. Ces absences
correspondaient à un moment où les deux groupes de l’opposition,
Hayastan et Pativ Unem, boycottaient les séances de l’Assemblée
nationale et participaient à des rassemblements et manifestations
à Erevan. Il est utile de rappeler que dans les paramètres des rapports
entre la majorité parlementaire et l’opposition dans une démocratie,
la Commission de Venise considère que «[…] le boycott de masse organisé
et prolongé des travaux parlementaires par l’opposition en tant
que forme légitime d’action politique […] n’est acceptable que dans
des cas rares et extrêmes où le comportement de la majorité remet
en cause la légitimité du parlement. Des désaccords sur des questions politiques
courantes, même majeures, ne sauraient justifier le boycott»
.
58. Après avoir entendu des membres des groupes de l’opposition
ainsi que des représentants de la majorité, nous en appelons au
sens de l’intérêt national et à la sagesse politique de toutes les
parties concernées pour trouver une solution rapide pour que l’opposition
puisse jouer pleinement son rôle au parlement. Les boycotts pratiqués
par l’opposition légitiment la volonté de la majorité d’écarter
ses propositions, mais les deux lignes d’action tendent à discréditer
les travaux et la légitimité du parlement et, au bout du compte,
compromettent le soutien de la population aux institutions démocratiques
arméniennes. Nous recommandons à toutes les parties prenantes de
respecter les critères énoncés par la Commission de Venise dans
le document intitulé «Paramètres des rapports entre la majorité
parlementaire et l’opposition dans une démocratie: une liste des
critères» et de revoir le règlement de l’Assemblée nationale en
conséquence, en tant que de besoin.
4.3. Procédure
de nomination à l’Assemblée nationale
59. Le bon fonctionnement du système
d’équilibre des pouvoirs requiert également la pleine participation
de l’opposition parlementaire, notamment s’agissant des nominations
aux organes collégiaux indépendants. La Commission de Venise est
très claire à cet égard: «Il importe de dépolitiser les nominations
à certaines fonctions non gouvernementales de haut niveau ou aux
organes collégiaux indépendants. Les procédures de sélection, de
désignation et de nomination devraient donc reposer dans toute la
mesure possible sur un consensus entre les partis politiques. Il
devrait au moins exister des dispositifs limitant la dominance de
la majorité parlementaire au sein des organes collégiaux, ou l’importance
de l’affiliation des titulaires de fonctions au parti ou à la coalition
au pouvoir.»
60. En outre, «[l]a majorité qualifiée nécessaire à une nomination
(trois quarts, deux tiers, trois cinquièmes, etc.) dépendrait du
contexte politique de chaque pays. Mais
une
règle de majorité qualifiée ne sera d’aucun secours dans un système
où le parti gouvernemental ou un bloc possède déjà le nombre nécessaire
de voix pour nommer à lui seul les candidats. En pareil
cas, l’exigence de majorité qualifiée peut finir par desservir l’opposition
à long terme, si elle n’est pas complétée par un mécanisme antiblocage
efficace, sans lequel le remplacement d’un titulaire de fonction
en fin de mandat (et probablement au cours de la législature suivante) peut
être difficile, donc la règle de majorité qualifiée risque de pérenniser
le choix d’une majorité au pouvoir à un moment donné»
.
61. Des groupes de l’opposition ainsi que des organisations de
la société civile ont attiré notre attention sur certaines nominations
à des postes importants d’organismes indépendants. Les candidats
proposés par les partis d’opposition ont été rejetés tandis que
ceux de la majorité ont été élus à la commission de la télévision et
de la radio. M. Arthur Razmik Davtyan
, député de la coalition au
pouvoir depuis 2019, a été élu juge à la Cour de cassation par l’Assemblée
nationale. Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a ensuite
proposé sa candidature comme président de la chambre anticorruption
au Président de la République, qui l’a nommé à ce poste le 3 mars 2023.
M. Vahagn Hovakimyan
, qui était député de la
coalition au pouvoir, a été élu président de la Commission électorale
centrale le 7 octobre 2022. M. Karen Andreasyan
,
alors ministre de la Justice, a été élu membre du CSM par l’Assemblée
nationale, puis en a été élu président.
62. Chacune de ces nominations peut être parfaitement fondée,
compte tenu des qualifications professionnelles et du parcours de
chaque candidat. Toutefois, le fait que ces personnes aient été
perçues par l’opinion publique comme liées à la coalition au pouvoir
a des effets négatifs sur la perception de leur indépendance politique
et, in fine, sur la confiance
dans les institutions qu’elles servent aujourd’hui. La légitimité
des contrepouvoirs et des organes de contrôle indépendants est primordiale
et dépend dans une très large mesure de la perception de leur indépendance
politique. Nous encourageons la majorité politique arménienne à
engager des discussions ouvertes et transparentes avec l’opposition
à l’Assemblée nationale sur les nominations, même si la majorité
requise est déjà assurée, afin de garantir l’indépendance des personnes
nommées et d’instaurer de bonnes pratiques au sein du système politique
arménien. Les décisions qui exigent la majorité des deux tiers au
parlement devraient être prises avec l’accord des membres de l’opposition,
même si leur voix n’est pas nécessaire d’un point de vue arithmétique,
à moins que l’opposition n’ait manifestement recours à des manœuvres
dilatoires.
63. Dans ce contexte, nous sommes préoccupés par les allégations
de politisation des débats sur les élections des membres de la Commission
pour la prévention de la corruption (CPC) qui ont eu lieu les 6
et 7 décembre 2023. Selon l’ex-présidente de la commission, Mme Haykuhi
Harutyunyan
, «la nature du processus
de sélection pour 2023 et les débats à l’Assemblée nationale ont
porté atteinte au respect de la diversité et à la possibilité pour
les partis d’opposition d’exercer une quelconque influence. En conséquence, le
risque de politisation de la CPC a augmenté». Aucun candidat n’ayant
encore été élu, majorité et opposition peuvent encore parvenir à
une décision consensuelle. Nous estimons qu’une telle issue serait
extrêmement bénéfique pour les institutions démocratiques arméniennes,
car elle inscrirait la pratique dans l’esprit des recommandations
de la Commission de Venise sur les rapports entre la majorité et
l’opposition et créerait un précédent positif. En outre, la confiance
dans l’indépendance politique de la CPC est cruciale pour la crédibilité de
la lutte contre la corruption en Arménie. La procédure de nomination
a été identifiée par le GRECO comme un élément essentiel à cet égard
.
5. État
de droit
5.1. Réforme
de la police
64. Une réforme ambitieuse de la
police est en cours. Cette réforme est fondamentale à bien des égards pour
l’amélioration de l’État de droit en Arménie. En 2020, une stratégie
de réforme complète a été adoptée dans le but affirmé de rapprocher
la police des citoyens. Cette réforme est l’aboutissement d’un long
processus commencé en 2014
.
65. En janvier 2023, un ministère des Affaires intérieures a été
réinstitué. L’Arménie avait un ministère de l’Intérieur jusqu’à
ce que l’ancien président Robert Kotcharian l’abolisse et transforme
la police en une structure séparée, subordonnée à la Présidence
de la République. La police est devenue responsable devant le Premier ministre
après le passage de l’Arménie à un régime parlementaire. Dans sa
Résolution 2427 (2022), l’Assemblée a appelé «les autorités arméniennes
à mettre en œuvre leur projet d’instituer à nouveau un ministère
de l’Intérieur et de lui attribuer une partie des forces de l’ordre
qui sont actuellement placées sous l’autorité directe du Premier
ministre»
.
66. Le 24 novembre 2022, un projet de loi sur le rétablissement
du ministère des Affaires intérieures a été présenté par le gouvernement
et l’Assemblée nationale l’a adopté en décembre 2022. Nous avons
rencontré le nouveau ministre des Affaires intérieures, M. Vahe
Ghazaryan, lors de notre visite à Erevan en novembre 2023.
67. L’aspect le plus important de la réforme consiste à transformer
la police en implantant le modèle de police de proximité. Cela implique
une refonte totale du système d’instruction et de formation de la
police, ainsi que des méthodes de recrutement et de gestion du personnel.
De telles réformes mettent nécessairement du temps à produire leurs
effets, mais un premier résultat a été la création d’un nouveau
service de patrouille. Le nouveau service a été conçu pour faire
figure de modèle pour l’ensemble des forces de police et les autorités espèrent
que cela produira des changements majeurs dans les relations entre
la police et la population
. Le nouveau service de patrouille
de police a commencé à fonctionner à Erevan en juillet 2021 et a
été déployé dans tout le pays en octobre 2023.
5.2. Indépendance
du pouvoir judiciaire
68. Lors de son adhésion au Conseil
de l’Europe, l’Arménie s’est engagée notamment à réformer son système
judiciaire afin de garantir la totale indépendance de la magistrature.
Cette réforme s’est avérée très difficile à mettre en œuvre et l’indépendance
du système judiciaire reste un enjeu politique majeur. Le système judiciaire
arménien inspire peu confiance. La corruption généralisée, le manque
de professionnalisme et la politisation figurent parmi les critiques
les plus fréquentes. Après la révolution de velours de 2018, le gouvernement
a envisagé de procéder à une vérification complète des antécédents
de tous les juges (vetting, en
anglais) et a ensuite proposé de redéfinir les conditions d’incompatibilité
avec effet rétroactif. Grâce au dialogue permanent avec le Conseil
de l’Europe, les autorités arméniennes ont abandonné ces plans radicaux au
profit d’un ensemble de mesures moins extrêmes visant notamment
à améliorer les mécanismes disciplinaires des juges, considérés
comme inefficaces et trop protecteurs pour les juges.
69. Plusieurs mesures ont été prises ces dernières années pour
promouvoir l’indépendance des juges et renforcer ainsi la confiance
de la population arménienne dans le système judiciaire. Parmi ces
mesures, citons une augmentation du salaire des enquêteurs et des
procureurs en 2018, puis des juges en 2024, ainsi que la création
de nouveaux tribunaux «anti-corruption» et le contrôle des juges,
des procureurs et des enquêteurs par la Commission pour la prévention
de la corruption. Certaines tendances encourageantes ont été observées et
l’on assiste à un changement de comportement de la part des juges.
70. Dans notre rapport de janvier 2022, nous avions conclu que
dans le domaine judiciaire, «de nombreuses réformes ont déjà été
conduites ou engagées. Elles mettront quelque temps avant de donner
des résultats d’une certaine ampleur, mais les fondations d’un appareil
judiciaire plus indépendant sont en train d’être posées. Les mesures
prises pour renforcer la transparence et l’indépendance des processus
de recrutement et d’avancement des juges ont été jugées satisfaisantes
tant par le GRECO que par la Commission de Venise. La question de
la procédure disciplinaire reste encore en débat, car elle est perçue par
les autorités arméniennes comme un levier fondamental pour garantir
un comportement plus vertueux des juges en place. Celle de la qualité
de la justice également»
.
71. La procédure disciplinaire, perçue comme manquant de transparence,
focalise les critiques. L’opposition accuse le ministre de la Justice
d’utiliser les procédures disciplinaires pour intimider les juges,
les réduire au silence ou influencer leurs décisions.
72. Le 21 juillet 2022, le Gouvernement arménien a approuvé la
Stratégie de réforme judiciaire et juridique 2022-2026 et le plan
d’action qui en découle. Le 25 août 2022, le ministre de la Justice
d’Arménie a demandé l’avis de la Commission de Venise sur un projet
de loi constitutionnelle visant à compléter et à modifier le Code judiciaire.
La Commission de Venise s’est félicitée de l’ouverture des autorités
arméniennes à un véritable dialogue avec le Conseil de l’Europe
et de leurs efforts continus pour améliorer le système de gouvernance judiciaire
conformément aux normes européennes, dans les limites fixées par
la Constitution nationale, et compte tenu du contexte juridique
et politique global du pays
.
73. S’agissant du contenu de la réforme proposée, le Conseil de
l’Europe et les autorités arméniennes ont discuté en particulier
de deux éléments du mécanisme disciplinaire actuel: le pouvoir du
ministre de la Justice d’engager des procédures disciplinaires à
l’encontre des juges et l’absence de système approprié de recours contre
des décisions du CSM en matière disciplinaire.
74. Trois acteurs peuvent engager une procédure disciplinaire
à l’encontre d’un juge; la commission d’éthique et de discipline
de l’Assemblée générale des juges (CED), le ministre de la Justice
et la Commission pour la prévention de la corruption, mais dans
ce dernier cas uniquement pour non-respect des règles en matière
de déclaration. Les autorités qui engagent une procédure disciplinaire
disposent de vastes pouvoirs d’investigation: elles peuvent demander
et étudier les dossiers judiciaires pertinents, demander des explications
écrites au juge concerné, demander des informations aux personnes
qui portent plainte contre des juges ainsi qu’à d’autres personnes
physiques et morales, à des organes ou à des fonctionnaires de l’État.
Sur la base de cette enquête, l’organe qui a engagé la procédure
peut soit l’interrompre, soit soumettre l’affaire au CSM pour qu’il
statue sur le fond.
75. Le manque de transparence au niveau du ministère de la Justice
lorsqu’il s’agit de décider s’il convient de saisir le CSM d’un
dossier aux fins de l’ouverture d’une procédure disciplinaire est
critiqué. On constate de même un manque de transparence des décisions
de la CED qui ne sont soumises à aucun contrôle public. Certaines
décisions d’engager des procédures à l’encontre de magistrats sur
le fondement des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme
ont été perçues comme arbitraires, et la Commission pour la prévention
de la corruption a proposé que de telles procédures soient engagées
de manière plus transparente, en appliquant des critères objectifs
.
76. Le gouvernement, pour sa part, approuve l’idée de retirer
à terme le pouvoir d’engager des procédures disciplinaires au ministre
de la Justice, mais un fort corporatisme survit au sein de la magistrature
et empêche toute forme de sanctions disciplinaires contre des juges.
Selon les données statistiques du ministère de la Justice, la CED
et le ministère de la Justice reçoivent presque le même nombre de
demandes (environ 600 par an), mais le ministre engage deux fois
plus de procédures que la CED (33 ou 34 par an contre 17) et les saisines
du CSM par le ministre à l’issue de la procédure sont quatre fois
plus nombreuses: ce dernier lui transmet en moyenne 20 affaires,
contre quatre ou cinq pour la CED. Selon le ministre de la Justice,
ces chiffres montrent que la CED est trop clémente en raison de
son corporatisme.
77. Dans l’avis rendu en décembre 2022, la Commission de Venise
avait estimé que «même si l’implication du ministre est actuellement
considérée comme un outil permettant de lutter contre le corporatisme
judiciaire […] dans une perspective à plus long terme, il serait
préférable de retirer ce pouvoir au ministre, dès que d’autres mécanismes
– à savoir la CED – auront prouvé leur efficacité».
78. En conséquence, le ministère de la Justice a élaboré un «document
conceptuel concernant la réforme de la commission d’éthique et de
discipline de l’Assemblée générale des juges» qu’il a soumis à la
Commission de Venise le 26 septembre 2023 pour avis. La Commission
de Venise a préparé un avis conjoint avec la Direction générale
droits humains et État de droit (DGI), qu’elle a adopté les 15 et
16 décembre 2023
.
79. La CED compte actuellement six magistrats et deux membres
non professionnels, tous élus par l’Assemblée générale des juges.
La réforme propose de modifier cette composition. L’Assemblée générale
des juges conserverait le pouvoir d’élire les membres non professionnels,
mais les candidats devraient être désignés par le Défenseur des
droits humains de la République d’Arménie, la Commission pour la
prévention de la corruption, le ministre de la Justice et les organisations
de la société civile (qui désigneraient deux membres). Les candidats
seraient soumis aux mêmes conditions d’éligibilité et la sélection
se ferait par concours. La CED serait donc composée de 11 membres,
six magistrats et cinq membres non professionnels.
80. La Commission de Venise et la DGI ont évalué positivement
la présence accrue de membres non professionnels au sein de la CED
afin de limiter les risques de corporatisme et ont accueilli favorablement
la réforme à cet égard. Néanmoins, elles ont averti que la réforme
devrait garantir que la procédure de nomination ne soit pas politisée
et que les organes de nomination ne soient pas considérés comme
des outils permettant d’exercer une influence inappropriée sur le
pouvoir judiciaire.
81. Si la CED, le ministère de la Justice ou la CPC estime que
l’affaire disciplinaire exige une sanction, cette décision est soumise
au CSM. Cet organe est composé de cinq juges élus pour cinq ans
par l’Assemblée générale des juges et de cinq éminents juristes
élus aussi pour cinq ans par le parlement. Le CSM étant actuellement
présidé par l’ancien ministre de la Justice, d’aucuns considèrent
que le gouvernement exerce un contrôle sur ses décisions. Le fait
que la majorité parlementaire puisse élire les membres non professionnels du
CSM sans avoir à divulguer les raisons de leur sélection alimente
aussi les critiques dénonçant des choix motivés par des considérations
politiques. La Commission de Venise a également estimé que le CSM
devrait échapper à toute influence politique et formulé la proposition
suivante: «Parmi les garanties de neutralité politique du CSM, les
autorités pourraient envisager, si nécessaire par le biais d’une
modification de la Constitution, les restrictions imposées aux hommes
politiques (y compris les hommes politiques récents) pour devenir
membres du CSM. Le Code judiciaire interdit aux membres du [CSM]
d’exercer, entre autres, des activités politiques (article 83, paragraphe 1),
mais cette restriction n’est pas suffisante et n’aborde pas le problème
des membres de la classe politique qui, sans période d’attente,
peuvent occuper un poste au sein du CSM
.» Cette recommandation
de la Commission de Venise va dans le sens des observations sur
la procédure de nomination que nous avons formulées au paragraphe 54,
et nous y souscrivons pleinement.
82. Il n’y avait pas de mécanisme de contrôle satisfaisant des
décisions du CSM en matière disciplinaire. L’Assemblée nationale
a amendé le Code judiciaire le 25 octobre 2023 afin d’instaurer
un système de recours basé sur les recommandations de la Commission
de Venise. Ce mécanisme devrait contribuer à atténuer les critiques
relatives à la politisation perçue de certaines décisions prises
par cette instance (justification incohérente ou peu claire des
mesures disciplinaires, absence de critères clairs justifiant la
sanction retenue ou manque de proportionnalité, retards de procédure
conduisant à l’abandon des affaires, faible responsabilisation).
Les évaluations menées par la CPC afin de vérifier l’intégrité des
candidats aux fonctions de juge ne sont pas publiques et le CSM
aurait souvent ignoré les évaluations lors de la désignation des
juges, même en cas de partialité politique ou de fortune inexpliquée.
83. Dans l’ensemble, la Commission de Venise et la DGI ont porté
une appréciation très positive sur les réformes proposées; il convient
de féliciter une fois de plus les autorités arméniennes pour leur
réel engagement à réformer le système judiciaire conformément aux
normes européennes et en s’appuyant sur l’expertise de la Commission
de Venise. La réforme de la CED pour lutter contre le risque de
corporatisme permettra de retirer progressivement au ministère de
la Justice le pouvoir d’engager une procédure disciplinaire, apportant
ainsi une solution bienvenue face aux inquiétudes qui subsistent
quant à l’indépendance du pouvoir judiciaire en Arménie. Nous suivrons
de près les débats autour du projet de réforme lorsqu’il sera présenté
à l’Assemblée nationale. Par ailleurs, dans le cadre des discussions
sur d’éventuelles modifications de la Constitution, M. Pachinian
a évoqué la possibilité de réformes ayant un impact sur le système
judiciaire. Si de tels changements devaient intervenir, nous serions
bien sûr extrêmement attentifs à leur incidence sur l’équilibre
des pouvoirs et le fonctionnement des institutions.
5.3. Lutte
contre la corruption
84. La lutte contre la corruption
est une priorité pour les autorités arméniennes et plusieurs mesures importantes
ont été prises. De nombreuses réformes institutionnelles ont été
menées ces deux dernières années. Deux organes spécialisés dans
la lutte contre la corruption ont été créés: la Commission pour
la prévention de la corruption, mise en place en 2019, et un organe
répressif spécialisé, le Comité anti-corruption, institué en octobre
2021. Il existe également des tribunaux anti-corruption spécialisés.
Le Bureau du Procureur général de la République d’Arménie compte
deux services spécialisés dans la lutte contre la corruption: le Service
pour la confiscation des biens d’origine illicite et le Service
de contrôle de la légalité des procédures d’instruction du Comité
anti-corruption. Le Service pour la confiscation des biens d’origine
illicite a été constitué le 3 juin 2020.
85. La loi relative à la Commission pour la prévention de la corruption
a été adoptée en 2017. La CPC est un organe autonome et collégial
composé de cinq membres. Elle est chargée de la prévention de la
corruption et de la mise en œuvre de l’éducation à la lutte contre
la corruption. Elle tient le registre public des déclarations de
patrimoine, de revenus, de dépenses et d’intérêts, vérifie la crédibilité
des données communiquées et impose des sanctions administratives
en cas de non-déclaration. Ses pouvoirs en matière d’examen des déclarations
ont récemment été étendus pour permettre une vérification adéquate
des déclarations et elle est désormais habilitée à recevoir des
informations couvertes par le secret bancaire. La CPC effectue des contrôles
d’intégrité pour les catégories suivantes: les candidatures à la
fonction de juge de la Cour constitutionnelle ou pour devenir membre
du CSM, les candidatures au poste de juge, les juges aspirant à figurer
sur les listes de promotion, le procureur général ou la procureure
générale et ses substituts, les candidatures à la fonction de procureur,
les procureurs aspirant à figurer sur les listes de promotion, la personne
placée à la tête du Comité anti-corruption et ses adjoints ainsi
que les membres du comité en charge des investigations, les agents
du Service de renseignement opérationnel. La méthodologie de ces
contrôles a été progressivement améliorée avec l’assistance technique
du Conseil de l’Europe.
86. La loi relative au Comité anti-corruption est entrée en vigueur
en octobre 2021. Le Comité anti-corruption a compétence exclusive
pour mener l’instruction pénale et les opérations de renseignement
criminel en cas de corruption présumée. La création de ce comité
est une réforme bienvenue, car les fonctions d’enquête dans les
affaires de corruption étaient éparpillées entre de multiples instances.
Cet organe est désormais pleinement opérationnel. Selon les statistiques
officielles, le nombre d’affaires de corruption enregistrées a augmenté
de 79,5 % entre 2022 et 2023
.
Le nombre d’affaires portées devant les tribunaux a également sensiblement augmenté
au cours de l’année écoulée. Cela ne résulte pas d’une hausse réelle
des cas, mais de l’efficacité accrue de la lutte contre la corruption,
rendue possible par une amélioration des services répressifs, une confiance
accrue du public dans ces services et un changement de mentalité
dans la population, qui signale désormais beaucoup plus souvent
les cas de corruption présumée.
87. Selon les évaluations du GRECO, l’Arménie a désormais mis
en œuvre ou traité de manière satisfaisante les 19 recommandations
figurant dans le rapport du troisième cycle d’évaluation. Le quatrième cycle
d’évaluation («Prévention de la corruption des parlementaires, juges
et procureurs») est en cours, le second rapport intérimaire a été
publié en mars 2023. En ce qui concerne les parlementaires, des
progrès sont constatés. La consultation publique dans le processus
législatif a été rendue obligatoire pour les projets de loi déposés
par le gouvernement. Un projet de code d’éthique des députés et
des projets d’amendements au Règlement intérieur de l’Assemblée
nationale visant à établir un mécanisme de contrôle du respect des normes
éthiques par les députés ont été élaborés, mais ils n’ont pas encore
été présentés au GRECO pour examen. La supervision des activités
parallèles des députés n’a pas encore donné de résultats tangibles
. Le rapport du cinquième cycle d’évaluation
sur l’Arménie a été adopté par le GRECO lors de sa 96e réunion plénière
(18-22 mars 2024). Il contient 11 recommandations concernant la
prévention de la corruption et la promotion de l’intégrité au sein
des hautes fonctions de l’exécutif, et 11 concernant les services
répressifs. Nous suivrons attentivement la mise en œuvre de ces
recommandations par les autorités arméniennes.
88. Un nouveau plan d’action contre la corruption a été adopté
pour la période 2023-2026.
89. Ces évolutions prometteuses doivent être confirmées sur le
long terme, mais elles témoignent d’une véritable détermination
à lutter contre la corruption, comme le montrent les affaires impliquant
de hauts fonctionnaires. Le ministre de l’Économie, Vahan Kerobyan,
a ainsi démissionné de ses fonctions le 13 février 2024. Il a été
assigné à résidence pendant deux mois après avoir été inculpé du
chef d’abus de pouvoir à la suite d’une enquête sur un appel d’offres
du gouvernement pour des services destinés à la Banque des projets
d’investissement public.
90. Néanmoins, il ressort des rapports annuels de Transparency
International sur l’indice de perception de la corruption que la
perception de ce phénomène se maintient à des niveaux élevés et
que les progrès encourageants semblent être au point mort. L’Arménie
a amélioré son score d’un point au classement de l’indice de perception
de la corruption en 2023. Avec 47 points sur 100 (note maximale),
elle occupe le 62e rang sur 180 pays.
91. Dans le deuxième rapport de conformité intérimaire publié
en 2023 dans le cadre du quatrième cycle d’évaluation
, le GRECO a rappelé que l’indépendance
de la CPC «est cruciale pour la confiance du public dans le système».
Le GRECO a examiné en détail le processus de nomination des membres
de la Commission pour la prévention de la corruption afin de s’assurer
de son indépendance opérationnelle. Nous sommes par conséquent préoccupés
par la politisation alléguée du débat relatif à la désignation de
ses membres
.
Selon l’organisation de la société civile Coalition anti-corruption
d’Arménie, les organes du dispositif institutionnel de lutte contre
la corruption en Arménie ne bénéficient toujours pas d’une réelle
indépendance opérationnelle; leur direction est assurée par des
personnes dont la nomination est le fruit d’accords politiques et
du népotisme au lieu de résulter d’un concours organisé selon des
procédures ouvertes et transparentes, garantissant l’égalité des
chances. En conséquence, assigner un personnel professionnel, porteur
de valeurs d’intégrité et compétitif dans les organes du système
institutionnel de lutte contre la corruption échoue dans les faits
.
92. La procédure de nomination des membres de la CPC sera donc
examinée très attentivement, car il est essentiel que cette commission
soit perçue comme une institution indépendante, dénuée de toute
politisation.
6. Droits
humains
93. En février 2024, 75 arrêts
de la Cour européenne des droits de l’homme étaient en attente d’exécution. Les
questions soumises à une surveillance soutenue nécessitent un travail
constant. Il s’agit notamment d’affaires concernant des mauvais
traitements et/ou des actes de torture en garde à vue, un défaut
d’enquête effective sur le décès de conscrits militaires, des refus
de soins appropriés en prison, des violations du droit à la liberté
de réunion et d’autres droits dans le cadre du maintien de l’ordre
lors de manifestations. Plusieurs de ces questions ont été abordées
lors de nos échanges avec les autorités à Erevan.
6.1. Situation
dans les prisons
94. La surpopulation carcérale,
tout comme l’état de délabrement de certains de ses établissements pénitentiaires,
est un mal chronique qui sévit depuis des années en Arménie. Le
premier rapport consacré à l’Arménie du Comité européen pour la
prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants (CPT) a été publié en 2004 et neuf autres ont suivi.
La dernière visite du CPT a eu lieu du 12 au 22 septembre 2023
.
95. En 2010, la surpopulation carcérale était une caractéristique
commune à tous les établissements pénitentiaires visités par la
délégation du CPT: «la plupart des cellules étaient fortement surpeuplées,
un grand nombre de détenus dormant sur les lits à tour de rôle ou
par terre (par exemple, 19 détenus se partageaient 12 lits dans
une cellule de 26 m²)». Cette situation a été confirmée dans le
rapport de 2015.
96. Un changement radical et bienvenu a eu lieu après la révolution
de velours, puisqu’en 2019, le CPT a été informé que la surpopulation
carcérale n’était plus un problème en Arménie: «Au moment de la
visite, le système pénitentiaire avait une capacité de 5 346 places
et la population carcérale s’élevait à 2 225 détenus, dont 1 025
prévenus. Ces chiffres représentaient une baisse massive par rapport
à la situation lors de la visite menée par le CPT en 2015 (environ
3 900 détenus). Il convient d’ajouter que localement, aucune des
prisons dans lesquelles la délégation du CPT s’est rendue en 2019
n’était surpeuplée (comme cela avait pu être le cas en 2015), ce
qui est assurément un élément très positif et que l’on peut saluer.»
97. Cela était dû en grande partie à l’amnistie de grande portée
décidée par le parlement en novembre 2018. L’amnistie, qui concernait
quelque 6 500 personnes (pas uniquement des détenus, mais aussi
des personnes inculpées et sous le coup d’une enquête qui étaient
maintenues en liberté dans l’attente d’être jugées), a entraîné
la libération d’environ 660 détenus. Une telle amnistie est une
mesure ponctuelle qui ne garantit pas que la population carcérale
ne va pas recommencer à croître, mais l’adoption d’un nouveau Code
pénal et d’un nouveau Code pénitentiaire laisse espérer des résultats
à long terme. Selon les dernières statistiques pénales du Conseil
de l’Europe, le taux d’incarcération en Arménie était «très faible»
(soit inférieur de plus de 25 % à la valeur médiane européenne)
et la densité carcérale était aussi «très faible». Au 31 janvier
2022, la population carcérale s’élevait à 2 128 détenus en Arménie
et le taux d’incarcération était de 71,6 %
.
98. Les conditions matérielles de détention, en revanche, n’ont
pas connu d’amélioration aussi spectaculaire. Dans son dernier rapport
(2021), le CPT relevait que: «la principale décision prise récemment par
les autorités arméniennes a été de fermer plusieurs prisons anciennes
[…] et de les remplacer par de nouveaux établissements ou unités
édifiés spécifiquement, selon les normes internationales actuelles.
Cette décision est très positive.» Deux établissements pénitentiaires
ne sont plus opérationnels depuis le 1 janvier 2022. Les travaux
de conception et d’estimation des coûts sont en cours en vue de
construire de nouveaux établissements pénitentiaires conformes aux
normes internationales.
99. Néanmoins, les conditions matérielles dans les établissements
pénitentiaires restent une préoccupation majeure. Dans l’établissement
mis en service le plus récemment – à savoir la prison d’Armavir,
qui a ouvert ses portes en 2015 –, la délégation du CPT a constaté
ce qui suit: «De nombreuses parties de l’établissement présentaient
des murs, des sols ou des plafonds humides et décrépis, des canalisations
cassées et des carrelages dégradés; c’est dans l’aile d’admission
(de «quarantaine») que les conditions, réellement inacceptables,
étaient les pires. […] et certaines parties de la prison […] étaient
extrêmement sales et infestées de vermine»
. De surcroît, «aucune des
prisons visitées ne proposait ne serait-ce qu’un semblant de programme
d’activités organisées constructives hors de la cellule; en outre,
il n’y avait toujours pas d’évaluation individuelle des risques
et des besoins, ni de projets individuels d’exécution de la peine,
et quasiment pas de préparation à la remise en liberté; de plus,
faute de possibilité de travailler pendant leur incarcération, la
plupart des détenus ne pouvaient prétendre à une libération anticipée».
100. Lors de l’adoption du projet de code pénitentiaire en mai
2022, le Premier ministre a fait les déclarations suivantes: «[…]
nous avons adopté des réformes importantes liées à la détention
provisoire et au service de probation. Dans la prochaine étape,
nous devrions déjà aborder la question des infrastructures physiques
dans le secteur pénitentiaire, car c’est l’une des questions les
plus importantes. Nos centres pénitentiaires, en termes d’infrastructure
physique et de sécurité à tous égards, ne répondent pas aux normes
que nous avons fixées dans les lois, dans notre idéologie en général.»
La nécessité de s’attaquer à ce problème
est devenue impérieuse à la suite de la condamnation de l’Arménie
par la Cour européenne des droits de l’homme, au motif que les effets
cumulatifs des conditions de détention, dont la surface de l’espace
personnel dont dispose chaque détenu, s’analysaient en un traitement
dégradant
.
Dans leurs commentaires, les autorités ont expliqué que le service
pénitentiaire met en œuvre toutes les mesures possibles – dans la
limite des moyens financiers alloués chaque année à l’entretien
et à la réparation des bâtiments et structures du parc carcéral
– pour améliorer les conditions de détention.
6.2. Droit
de réunion pacifique
101. Le respect du droit de manifester
et la réponse des forces de l’ordre aux manifestations ont suscité
des inquiétudes.
102. Conformément aux normes européennes en matière de droits humains,
toute restriction à la liberté de réunion doit être prévue par la
loi, constituer une mesure nécessaire dans une société démocratique
et poursuivre un but légitime. L’article 136 du Code pénal arménien
incrimine l’acte consistant à inciter matériellement à participer
ou à ne pas participer à un rassemblement. Il ressort des Lignes
directrices sur la liberté de réunion pacifique
que le fait de contraindre des personnes
à prendre part à un rassemblement ou de les empêcher d’y participer
est passible de sanction. Néanmoins, la pratique consistant à encourager
la participation aux rassemblements ne devrait pas être soumise
à une réglementation légale, à moins que la disposition de telles
incitations ne contrevienne aux lois imposant des limites proportionnelles
au financement des campagnes électorales.
103. Il semble que M. Avetik Chalabian, figure de proue de l’opposition,
a été condamné sur le fondement de l’article 136 pour avoir incité
matériellement les étudiants à participer aux rassemblements de
l’opposition en 2022. M. Chalabian a été privé de son droit d’organiser
des rassemblements et de participer à d’autres événements ou rassemblements
publics, ainsi que de changer de lieu de résidence, pendant deux
ans et demi.
104. Dans le cas présent, les manifestations n’étaient pas liées
à une campagne électorale, même si les rassemblements appelaient
à la démission de M. Pachinian. Par conséquent, l’infraction alléguée
ne constituait pas un manquement aux règles relatives au financement
des campagnes électorales. Selon les Lignes directrices sur la liberté
de réunion pacifique, les incitations à participer à des rassemblements
ne devraient pas être incriminées et l’utilisation qui a été faite
des dispositions du Code pénal dans cette affaire est inquiétante.
Une telle condamnation ne manquera pas d’avoir un effet dissuasif
sur les personnes désireuses d’organiser des rassemblements, et
le risque d’une application arbitraire de la loi est élevé. Dans un
rapport conjoint, le Comité Helsinki d’Arménie et le Centre arménien
pour les droits politiques ont appelé le Gouvernement arménien à
soumettre cet article du Code pénal à la Commission de Venise, pour
avis, et nous pensons en effet qu’une clarification s’impose.
105. En ce qui concerne le comportement des forces de police, dans
son dernier rapport publié sur l’Arménie, en 2021, le CPT a indiqué
que la grande majorité des personnes rencontrées par la délégation,
qui se trouvaient ou avaient récemment été placées en garde à vue,
avaient déclaré avoir été correctement traitées par les policiers.
Toutefois, la délégation a bien eu connaissance de quelques allégations
de mauvais traitements physiques récents de personnes en garde à
vue. La plupart des allégations entendues dénonçaient un recours
excessif à la force au moment de l’arrestation (à savoir, coups
de poing, coups de pied, coups de matraque, le fait de secouer violemment
une personne ou de la jeter au sol, contre un mur ou dans un véhicule
de police) à l’encontre de personnes qui ne résistaient pas – ou
plus – à leur arrestation, ainsi que l’usage prolongé et douloureux
de menottes.
106. Le CPT a appelé les autorités arméniennes à faire savoir clairement
aux fonctionnaires de police, dans l’ensemble du pays, qu’au moment
de procéder à une interpellation, l’usage de la force doit être
limité à ce qui est strictement nécessaire et que dès l’instant
où la personne interpellée a été maîtrisée, rien ne saurait justifier qu’elle
soit frappée. En outre, les membres des forces de l’ordre doivent
être mieux formés à prévenir la violence et à la réduire au minimum
dans le cadre d’une arrestation. Dans les cas où le recours à la
force devient indispensable, ils doivent pouvoir appliquer des techniques
professionnelles qui réduisent autant que possible tout risque de
blesser les personnes qu’ils essaient d’arrêter
.
107. Dans ce contexte, la réponse des forces de l’ordre au mouvement
de protestation appelant à la démission de M. Pachinian en raison
de sa gestion de la situation au Haut-Karabakh a fait l’objet de
critiques, en particulier lors des manifestations organisées le
19 septembre 2023 et les jours suivants. Dans une déclaration du
9 octobre 2023, le groupe Hayastan a indiqué que «plus de 700 personnes
[avaient] été conduites dans des commissariats à l’occasion de divers
actes de désobéissance. Dans des cas extrêmes, une force disproportionnée
a été utilisée contre elles […]».
108. Le Comité Helsinki d’Arménie a rendu compte des manifestations
de l’opposition. Selon son rapport, des heurts ont éclaté, les 19
et 20 septembre 2023, entre les forces de l’ordre et les participants
à un rassemblement devant le siège du gouvernement. La police a
formé un cordon et bloqué les entrées du bâtiment. Certains manifestants
ont tenté de rompre le cordon policier en poussant les agents, d’autres
ont lancé des bouteilles en plastique et autres objets dans leur
direction. À plusieurs reprises, grâce aux efforts du représentant
de la police qui menait la négociation et aux appels au calme lancés
via haut-parleur par des participants au rassemblement, la tension
est retombée. Le soir du 19 septembre, à 20 h 50, lors d’un nouvel affrontement
entre policiers et manifestants, la police a fait usage de grenades
incapacitantes sans avertissement préalable. Au moins l’une d’entre
elles a explosé au milieu d’une foule nombreuse, blessant des manifestants.
Seize policiers et 18 civils ont été blessés lors de ces affrontements,
selon le ministère de la Santé.
109. Dans son rapport au titre de l’Arménie sur les pratiques en
matière de droits humains, Freedom House a observé ce qui suit concernant
ces événements: «À plusieurs reprises les manifestants, dirigés
par l’opposition et, selon les informations recueillies, mobilisés
à l’instigation d’acteurs étrangers, ont fait preuve d’un comportement
agressif et de violence en exigeant la démission du Premier ministre
et en tentant de prendre d’assaut le bâtiment gouvernemental où
il travaillait. La police a riposté en faisant un usage limité de la
force, avec des tirs de grenades incapacitantes. Peu de cas de recours
excessif à la force par la police ont été signalés lors de ces manifestations.»
110. Le Défenseur des droits humains a envoyé systématiquement
des «groupes d’intervention rapide» dans les commissariats où des
personnes avaient été placées en garde à vue. Des entretiens sans
témoin ont été menés avec les personnes placées en garde à vue;
les motifs de la garde à vue, de même que la protection de leurs
droits dans les commissariats, ont été évalués. Du 19 au 26 septembre,
les représentants du Défenseur se sont entretenus en privé avec
plus de 350 personnes privées de liberté.
111. Dans une déclaration publiée le 26 septembre 2023
,
le Défenseur des droits humains a souligné que le droit fondamental
à la liberté de réunion fait référence aux rassemblements pacifiques.
Garantir le caractère pacifique des rassemblements relève de la
responsabilité de l’État. Dans le même temps, il est essentiel que les
participants garantissent à leur tour le déroulement pacifique du
rassemblement, fassent preuve de retenue et se conforment aux exigences
fixées par la loi. Le Bureau du Défenseur des droits humains a constaté
que dans un certain nombre de cas, la force physique utilisée par
les policiers lors de l’interpellation des personnes était disproportionnée
et non justifiée par la nécessité de placer les personnes en garde
à vue. Le Défenseur des droits humains a rappelé que l’usage disproportionné
de la force par la police est inadmissible et inacceptable en toutes
circonstances, mais a aussi fait état de cas dans lesquels les participants
au rassemblement avaient blessé des policiers, ce qui est déplorable.
Il a également établi que des manifestants avaient lancé des appels
à la violence et tenu des discours de haine.
112. Vu la diversité des évaluations effectuées, il apparaît que
la proportionnalité du recours à la force par la police en réaction
à des manifestations parfois violentes est très délicate à apprécier.
Sur le fondement des déclarations de citoyens emmenés dans un commissariat
à la suite de ces événements, le service de la sécurité intérieure
et de la lutte contre la corruption du ministère des Affaires intérieures
a engagé 16 poursuites pénales concernant des cas de torture, 5 poursuites
pénales relatives à des sévices et 5 poursuites pénales pour abus
de pouvoir par un fonctionnaire.
113. Nous avons discuté de ces questions avec le ministre des Affaires
intérieures, M. Vahe Ghazarian, que nous avons rencontré à Erevan.
Les changements majeurs prévus par la stratégie de réforme de la
police adoptée en 2020 incluent la révision de la formation initiale
de base et de la formation professionnelle continue des policiers
au sujet des manifestations, afin d’améliorer le contrôle des foules,
la proportionnalité du recours à la force, la pratique policière
eu égard à d’autres catégories de participants (journalistes, etc.).
En ce qui concerne les événements d’Erevan, le ministre a déclaré
que la police avait fait de son mieux pour rétablir l’ordre public
et la sécurité, qu’elle s’était abstenue de recourir à la force
et avait tenté de négocier pour assurer le caractère pacifique des
manifestations. La police avait néanmoins été contrainte d’appréhender
ceux prenant part aux actions de désobéissance civile, au cours
desquelles des personnes avaient bloqué la circulation, suscitant
des tensions et des risques d’affrontements entre manifestants et
citoyens ordinaires. Il a ajouté que 27 enquêtes avaient été ouvertes
contre des policiers en 2023 et que 21 policiers avaient été suspendus
en conséquence. Dans le cadre de la stratégie nationale pour la
protection des droits humains, le gouvernement envisage de revoir
les lois relatives à la police afin de définir plus précisément
les fonctions et missions des policiers et notamment les activités
à mettre en œuvre dans le cadre des rassemblements et manifestations,
conformément aux normes internationales. Des formations sur ce sujet
vont être organisées pour les agents des forces de l’ordre concernés.
114. Une affaire très regrettable impliquant des policiers a aussi
retenu notre attention: deux avocats avaient été frappés par des
policiers dans l’enceinte d’un commissariat alors qu’ils assuraient
la défense de leurs clients. Nous en avons discuté avec le ministre
des Affaires intérieures lors de notre réunion. Il a clairement condamné
les faits et nous a indiqué que les deux cas faisaient l’objet d’une
enquête. Des informations complètes, y compris des enregistrements
vidéo et audio, ont été fournies pour aider à identifier les auteurs
et les dossiers sont traités conformément à la loi. Après cette
affaire, une réunion entre le ministère des Affaires intérieures
et des représentants du Barreau a eu lieu afin de mettre en place
un protocole. Une équipe spéciale composée d’avocats et de policiers
sera disponible 24 heures sur 24 pour prévenir l’escalade en cas
de tensions et éviter leur aggravation.
6.3. Liberté
d’information
115. L’accès des journalistes à
l’information est régi par la loi de 2003 sur la liberté d’information,
qui définit les règles générales applicables aux demandes d’informations
publiques émanant de toutes les catégories de professionnels (journalistes,
avocats, organisations de la société civile) ainsi que du grand
public. La loi facilite l’exercice du droit d’accès à l’information,
car elle s’applique à la fois à l’État et aux collectivités locales,
ainsi qu’aux organisations privées assurant des services publics.
116. Toutefois, malgré les procédures et les règles précises de
communication et de traitement des informations, il n’existe pas
de mécanismes d’application efficaces, ce qui entrave l’exercice
effectif du droit à la liberté d’information. La législation actuelle
ne prévoit pas de dispositifs de contrôle de la mise en œuvre du droit
d’accès à l’information, ni d’organisme habilité dans ce domaine.
Selon certaines organisations de la société civile, l’accès à l’information
ne s’est pas amélioré dans la pratique. Les demandes de renseignements sont
souvent rejetées ou font l’objet de réponses tardives, et ne sont
parfois pas du tout satisfaites. Les organes de l’État et les communes
omettent souvent de publier des informations complètes et en temps
utile. De plus, la loi sur le secret d’État adoptée en 2023 a introduit
le nouveau concept d’«informations officielles à diffusion restreinte»,
fournissant ainsi les bases juridiques permettant d’imposer de nouvelles
restrictions à l’accès à l’information. En classifiant simplement
les informations comme «informations officielles à diffusion restreinte»,
les organes de l’État auront plus de latitude pour refuser l’accès
à l’information.
117. En mai 2022, l’Arménie a ratifié la Convention du Conseil
de l’Europe sur l’accès aux documents publics (STCE no 205,
également connue sous le nom de «Convention de Tromsø»). La Convention
vise à garantir pleinement la liberté d’information, et la législation
et les pratiques nationales devront être mises en conformité avec
ses dispositions. Le premier rapport des autorités sur son application
a été transmis en janvier 2023.
118. Un nouveau projet de loi relatif à une politique unifiée en
matière de données et au système d’information de l’État est en
cours d’élaboration. Le ministère de l’Industrie de haute technologie
a soumis le projet de loi sur la liberté de l’information et l’information
du public à une consultation publique ouverte durant deux semaines
en décembre 2023. Selon l’évaluation qu’en ont fait les organisations
de la société civile, le projet de loi prévoit des règles détaillées
sur l’accès à l’information et la gestion des données publiques.
Le projet, censé remplacer la loi de 2003 sur la liberté d’information,
introduit des réglementations plus étendues sur l’accès à l’information
et aux données publiques. Outre les questions couvertes par la loi
actuelle, il fournit, entre autres, des définitions précises de
ce que l’on entend par «information» et «information publique»,
établit des règles concernant les registres et les bases de données
de l’État et désigne l’organe compétent, chargé de contrôler l’application
de la loi.
119. Compte tenu des craintes exprimées, le gouvernement a organisé,
le 19 janvier 2024, une réunion avec les acteurs de l’administration
publique et les représentants de la société civile afin d’examiner
les préoccupations et les recommandations des deux parties. Sur
la base des résultats de ce dialogue, le chef de cabinet du Premier
Ministre a chargé les auteurs du projet d’examiner les avis et propositions
des organisations de la société civile, et de poursuivre la discussion
sur le projet révisé avec toutes les parties intéressées
. Nous
nous félicitons de ce dialogue ouvert et des consultations menées
dans le cadre de l’élaboration du projet, qui contribuent à garantir
la légitimité et la qualité de la future loi.
120. Parmi les avancées positives concernant la liberté d’information,
il faut citer l’abandon de l’incrimination pénale de «l’insulte
grave» qui avait été introduite en juillet 2021 et avait été largement
critiquée par les observateurs internationaux
et
nationaux, dont le Défenseur des droits humains d’Arménie. Nous
saluons cette décision et rappelons l’invitation «à développer d’autres
outils que la sanction à but préventif pour lutter contre la désinformation
et les discours de haine»
.
121. Toutefois, la fin de la pénalisation de la diffamation ne
protège pas les journalistes contre les procédures-bâillons. Le
2 mai 2023, le tribunal d’Erevan a ordonné un gel de 9 millions
de drams (21 890 €) des avoirs du journaliste Davit Sargsyan, de
même que le gel de 9 millions de drams des avoirs de son employeur, 168 Hours. Cette mesure découlait
d’une action civile engagée pour diffamation le 31 mars par le maire
adjoint d’Erevan, Tigran Avinyan, en réponse à un reportage vidéo
de Sargsyan diffusé le 5 février. Sargsyan a écrit qu’il s’était
appuyé sur des documents déjà publiés, non démentis par Avinyan
à l’époque, et qu’à son avis le procès visait à «[lui] causer un
préjudice financier important afin de [le] faire taire». Le 18 mai, le
gel des avoirs a été levé à la demande du plaignant, qui a déclaré
n’avoir «aucune intention de mettre en faillite un quelconque média
ou de causer un quelconque désagrément financier».
122. L’application des dispositions du nouveau Code pénal relatives
au discours de haine qui appellent à la violence ou la justifient
soulève des préoccupations. Depuis leur adoption en 2020, 36 des
38 affaires portées devant les tribunaux concernaient des appels
présumés à la violence contre le Premier ministre ou ses partisans.
Le nombre d’affaires a plus que doublé en 2023 par rapport à 2022.
Parmi les personnes poursuivies figurent des membres de l’opposition
et des utilisateurs actifs sur les réseaux sociaux, qui affirment
que la loi est appliquée de manière sélective et que les services
répressifs n’ont pas pris au sérieux des appels ouverts à la violence
et des menaces de violence émanant de membres du parti au pouvoir
.
123. Le 17 avril 2024, la Fédération européenne des journalistes
a dénoncé l’utilisation abusive par les autorités de la loi contre
le hooliganisme pour étouffer la liberté de la presse et la liberté
d’expression
. En l’espèce, l’affaire
concernait deux auteurs d’un podcast qui avaient été arrêtés et
placés en détention provisoire pendant deux mois pour avoir «affiché
une attitude ouvertement méprisante envers les normes morales et injurié
M. Pachinian et son cabinet». Nous avons aussi été informés de la
situation de plusieurs militants incriminés pour incitation à la
violence après avoir publié des posts sur Facebook.
124. La sécurité physique des journalistes reste un sujet de préoccupation.
Les violences physiques et les agressions contre des journalistes,
commises par des agents publics comme par des particuliers, ont
diminué ces dernières années, mais une augmentation du nombre de
cas a été signalée en 2022. La plupart sont survenues lors de diverses
manifestations de l’opposition. Les menaces de violences et d’agressions
contre des journalistes donnent rarement lieu à une enquête appropriée.
Les agressions des années précédentes n’ont pas fait l’objet d’un
suivi et n’ont pas été portées de manière adéquate à la connaissance
du public par les forces de l’ordre, et personne n’a été condamné
pour avoir agressé des journalistes en 2020 ou en 2021. Cette impunité
enhardit les auteurs des infractions et a dans le même temps un
effet dissuasif sur la société, y compris sur les journalistes
.
125. Le 25 mai 2023, un groupe d’organisations de la société civile
a publié un rapport commun révélant que
le logiciel espion Pegasus avait été utilisé pour surveiller un
certain nombre de personnalités publiques en Arménie, dont au moins
cinq journalistes. Le rapport, intitulé «Piratage informatique en
zone de guerre: le logiciel espion Pegasus dans le conflit entre
l’Azerbaïdjan et l’Arménie», identifie au moins 12 personnes dont les
appareils ont été infectés par Pegasus, un logiciel espion produit
par la société israélienne NSO Group. NSO Group affirme vendre sa
technologie exclusivement aux gouvernements. La plupart des infections
se concentrent sur la période de la guerre de 2020 entre l’Arménie
et l’Azerbaïdjan et des escalades militaires qui ont suivi. Parmi
les cibles figuraient des militants des droits humains, des universitaires
et des fonctionnaires arméniens, deux représentants des médias qui
ont requis l’anonymat et trois journalistes identifiés. Le rapport n’accuse
pas spécifiquement l’Azerbaïdjan d’actes répréhensibles, mais il
note que les autorités azerbaïdjanaises ont utilisé Pegasus «à grande
échelle» pour surveiller un «large éventail de journalistes». Les
auteurs notent également qu’au moment de la rédaction du rapport,
ils n’avaient connaissance d’aucune preuve technique suggérant que
l’Arménie ait été un utilisateur de Pegasus.
6.4. Situation
des médias
126. Depuis son adhésion au Conseil
de l’Europe en 2001, l’Arménie a été confrontée à des problèmes systémiques
et récurrents en matière de liberté des médias. La révolution de
velours de 2018 a inauguré une période de réformes qui a rapproché
le pays des normes du Conseil de l’Europe en matière de liberté d’expression.
Les médias en ligne indépendants en particulier ont montré qu’ils
étaient capables de remplir le rôle démocratique essentiel joué
par les médias.
127. En 2022, nous estimions que la diversité du paysage médiatique
s’était généralement améliorée depuis 2018, mais notions que la
scène médiatique arménienne restait très polarisée. Des changements positifs
se reflètent également dans l’amélioration des classements internationaux
par des organisations telles que Reporters sans frontières et Freedom
House. Ces rapports reconnaissent également la diversité des médias,
même si leur indépendance n’est pas totale, ainsi que le fonctionnement
relativement libre des médias indépendants et d’investigation en
ligne. Dans le même temps, des inquiétudes portent sur la persistance d’actions
en justice et de violences contre les journalistes, l’influence
politique et le contrôle des entreprises dans la presse écrite et
audiovisuelle, et la polarisation des médias due à la représentation
éditoriale des intérêts de leurs propriétaires.
128. Les sources d’information utilisées par le public arménien
reposent désormais très majoritairement sur l’internet et les réseaux
sociaux. La télévision est la deuxième grande source d’information,
bien que son usage soit en baisse constante depuis 2015. Un nombre
considérable d’Arméniens regarde la télévision locale et les chaînes
de télévision russes, et les parties prenantes ont fait observer
que l’actualité internationale en particulier est couverte par des
chaînes de télévision russes. L’influence de la presse écrite a considérablement
diminué.
129. La plupart des médias sont rattachés à des intérêts politiques
ou commerciaux plus importants qui les contrôlent directement, d’où
des limites systémiques et persistantes à la liberté de la presse
et, par conséquent, à la performance des médias démocratiques. Le
marché de la publicité est sous-développé, ce qui amène les médias
à recueillir le parrainage et le soutien de responsables politiques
et d’autres personnalités publiques influentes. Il en va de même
pour les médias publics qui s’abstiennent souvent de critiquer le
gouvernement. Ces facteurs limitent l’indépendance financière des
médias. L’un des principaux défis du secteur est de révéler les
véritables propriétaires des médias en Arménie.
130. La loi sur les médias audiovisuels, qui a remplacé la loi
obsolète sur la radio et la télévision, a été adoptée en 2020. Elle
entend refléter les changements significatifs dans la nature de
la production et de la diffusion de contenu dans l’environnement
médiatique transformé par le numérique. Ses dispositions ont suscité
des inquiétudes et une révision de la loi est nécessaire pour l’aligner
sur les normes du Conseil de l’Europe. En mars 2022, la DGI du Conseil
de l’Europe a publié un document technique sur l’évaluation des besoins
du secteur des médias en Arménie
, dans lequel elle recommande aux
autorités nationales de procéder à une réforme juridique majeure.
Dans le cadre du Plan d’action du Conseil de l’Europe pour l’Arménie
2023-2026, le Conseil de l’Europe et les autorités arméniennes ont
convenu de poursuivre ensemble, par le biais de programmes de coopération,
les réformes visant à renforcer la liberté des médias. Nous suivrons
avec attention les développements en la matière.
6.5. Violence
à l’égard des femmes
131. L’Arménie a récemment pris
un certain nombre de mesures visant à promouvoir l’égalité entre
les femmes et les hommes, à lutter contre la violence domestique
et à assurer la protection juridique des femmes victimes de violences,
en adoptant des lois et des politiques pertinentes. L’adoption de
la loi contre la violence domestique en décembre 2017, la signature
de la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence
à l'égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210,
«Convention d’Istanbul») en janvier 2018, de même que la stratégie
et le plan d’action 2019-2023 pour la mise en œuvre de la politique
d’égalité femmes-hommes dans la République d’Arménie sont autant
d’exemples qui montrent bien la détermination du gouvernement à
agir contre la violence domestique. Selon les autorités, le financement
public des organisations non gouvernementales qui fournissent des
services de soutien aux personnes victimes de violences a augmenté
en 2023. Le Plan stratégique pour la mise en œuvre de la politique
d’égalité femmes-hommes dans la République d’Arménie pour la période
2024-2028 est en cours d’élaboration.
132. À la demande du ministère de la Justice, la Commission de
Venise a préparé un avis sur les implications constitutionnelles
de la ratification de la Convention d’Istanbul, qui a contribué
à mieux faire connaître cet instrument au niveau institutionnel.
Des progrès ont certes été accomplis en vue d’améliorer l’égalité
d’accès des femmes à la protection juridique et à des voies de recours
effectives en cas d’atteinte à leurs droits, mais de nombreuses
difficultés subsistent, notamment la persistance d’obstacles juridiques,
institutionnels, socio-économiques et culturels à l’égalité de genre
et à l’accès des femmes à la justice, ainsi que l’accès limité des femmes
à l’aide juridique et aux services de soutien et d’accompagnement.
133. Le 7 février 2024, l’Assemblée nationale a adopté en première
lecture un projet de loi sur la prévention de la violence domestique
et une meilleure protection des personnes qui en sont victimes.
L’objet de ce texte, selon ses auteurs, est d’améliorer l’efficacité
de la prévention des violences intrafamiliales et la protection
des victimes. Entre autres mesures, le projet de loi qualifie notamment
le «test de virginité» de forme de violence. Selon les auteurs de
ce projet, 14 femmes sont décédées en 2023 des suites de violences
domestiques. Selon le texte proposé, la liste des circonstances
aggravantes énumérées dans plusieurs articles du Code pénal sera revue
pour y inclure les facteurs déterminés par le genre, ainsi que le
fait que l’infraction ait été commise par un proche parent, un partenaire
ou un ancien partenaire.
134. Certains membres de l’opposition ont expliqué que ce sujet
avait été amené de manière artificielle, ce qui semble indiquer
que la polarisation extrême du débat politique se propage à d’autres
sujets qui devraient être de nature consensuelle, comme la question
de la violence à l’égard des femmes.
6.6. Lutte contre la discrimination/société
inclusive
135. La Commission européenne contre
le racisme et l’intolérance (ECRI) a publié son cinquième rapport
sur l’Arménie (sixième cycle de monitoring) le 20 juin 2023. Le
rapport constate que des progrès ont été réalisés et que de bonnes
pratiques ont été développées dans un certain nombre de domaines.
136. L’ECRI relève avec satisfaction que les représentants des
minorités ethniques et religieuses ne rencontrent en général pas
d’obstacles en ce qui concerne leur participation à la vie publique
et leurs relations avec les autres groupes. Dans le domaine de l’éducation
inclusive, l’ECRI félicite l’Arménie pour les mesures prises afin
de garantir la continuité de l’enseignement pour 80 % des élèves
issus de familles à faibles revenus dans les zones rurales touchées
par la fermeture d’établissements scolaires du primaire et du deuxième
cycle du secondaire en raison de la pandémie de covid-19. Certains
des sujets de préoccupation soulevés dans le rapport de l’ECRI correspondent
à nos propres conclusions concernant le discours de haine.
137. Le Code pénal adopté en 2021 a élargi le champ des circonstances
aggravantes afin d’y inclure les motifs de haine, d’intolérance
ou d’animosité liés à l’origine raciale, nationale, ethnique ou
sociale, à la religion, aux opinions politiques ou autres ou à d’autres
circonstances à caractère personnel ou social. Contrairement à ce
qui était le cas dans l’ancien code, les motifs fondés sur des préjugés
sont présentés de manière non exhaustive dans le nouveau Code pénal,
de sorte que les préjugés liés à l’orientation sexuelle ou à l’identité de
genre relèvent du critère des «autres circonstances à caractère
personnel».
138. Dans son dernier rapport de visite sur l’Arménie, la Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a relevé l’absence
d’une loi générale prohibant toute discrimination qui ferait explicitement
référence à l’interdiction de discrimination fondée sur l’orientation
sexuelle et l’identité de genre. Elle a aussi appelé les autorités
à prendre des mesures contre la discrimination visant les personnes
LGBTI en Arménie. La Résolution 2418 (2022) de l’Assemblée «Violations
alléguées des droits des personnes LGBTI dans le Caucase du Sud»
réitère la recommandation faite par la Commissaire.
139. Dans son rapport publié en 2023, l’ECRI indique que «[l]a
notion d’“identité arménienne” est trop souvent dévoyée pour alimenter
l’intolérance dans les discours et les actions à l’égard des communautés LGBTI
et, dans une certaine mesure, des minorités religieuses et autres,
au lieu de promouvoir le respect de la diversité, qui est une idée
considérée comme étroitement associée à la tradition arménienne».
140. Selon l’ECRI, plusieurs cas documentés de menaces, insultes
et autres manifestations de discours de haine visant des personnes
LGBTI impliquent des personnalités politiques sur les réseaux sociaux
et au parlement. Une audience parlementaire publique sur les droits
humains, organisée en avril 2019, au cours de laquelle une militante
transgenre est intervenue pour évoquer la question des crimes de
haine transphobes en Arménie, a occasionné un déferlement de haine
contre les personnes LGBTI sans précédent. Certains députés ont
par exemple déclaré que «ces individus devraient être brûlés» et
se sont engagés à combattre les «déviants sexuels». Des arguments
LGBTIphobes décrivant les personnes LGBTI comme des menaces pour les
valeurs familiales, l’identité nationale et la sécurité nationale
sont fréquemment utilisés dans la sphère politique et restent très
peu remis en cause
.
L’ECRI déplore l’absence de code de conduite sanctionnant notamment
le discours politique raciste et LGBTIphobe au parlement. Les dirigeants
politiques et les parlementaires devraient préciser clairement que
le recours au discours de haine par les membres de leurs mouvements
est inacceptable et prendre des mesures pour prévenir et sanctionner
ces pratiques.
141. L’Arménie doit assurer un suivi complet des actes motivés
par la haine et a besoin d’un mécanisme adapté de collecte des données.
Il ressort des constatations faites par l’ECRI que les quelques
données disponibles sur les cas de discours de haine de nature criminelle
et les infractions motivées par la haine ne traduisent pas la véritable
ampleur du problème
.
Selon des sources publiques, 68 crimes de haine ont été enregistrés
par la police en 2021. Leurs auteurs ont fait l’objet de poursuites
dans 9 cas et d’une condamnation dans trois cas seulement. Les données
communiquées par la police portaient sur 27 homicides, 8 cas d’atteinte
aux biens, 21 cas d’incitation à la violence et 2 cas concernant
une «atteinte à l’égalité juridique des citoyens». Cependant, la
plupart du temps, des indications quant à l’éventuelle existence
d’un motif fondé sur des préjugés faisaient défaut. Afin d’obtenir
une vision cohérente de la fréquence des crimes de haine et de la réponse
des autorités chargées de l’instruction et des autorités judiciaires
face à ces crimes, les autorités ont été invitées à veiller à ce
qu’un système approprié soit mis en place pour assurer la collecte
et l’enregistrement de données sur les crimes de haine et à fournir
des informations sur le nombre de plaintes déposées pour crime de
haine ou discours haineux, le nombre d’enquêtes ouvertes, le nombre
d’affaires portées devant les tribunaux et leur issue. Depuis l’adoption
du nouveau Code pénal en janvier 2023, des statistiques à part sont tenues
pour tous les articles introduisant la qualification de circonstance
aggravante dès lors que les causes de la haine, de l’intolérance
ou de l’animosité tiennent à l’une des conditions suivantes: la
race, la nationalité, l’appartenance ethnique ou l’origine sociale,
la religion, les opinions politiques ou autres ou toute autre circonstance
d’ordre personnel ou social.
142. Un projet de loi sur l’égalité devant la loi est en cours
d’élaboration avec la participation d’experts internationaux et
devrait être soumis à l’Assemblée nationale pour adoption en 2024.
Il vise à assurer l’égalité des chances dans la mise en œuvre des
droits et des libertés dont jouit toute personne, sans discrimination aucune.
Cette loi définira la notion de discrimination et ses différentes
formes, les sujets de discrimination et les mécanismes permettant
de garantir l’égalité, ainsi que le statut, les objectifs et les
activités du Conseil pour l’égalité.