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Rapport | Doc. 16018 | 25 juin 2024

Les défis pour la démocratie en Géorgie

Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)

Corapporteur : M. Claude KERN, France, ADLE

Corapporteur : Mme Edite ESTRELA, Portugal, SOC

Origine - Renvoi en commission: décision du Bureau, Renvoi 4817 du 24 juin 2024. 2024 - Troisième partie de session

Résumé

La commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi) est profondément préoccupée par les événements récents survenus en Géorgie, qui soulèvent des questions quant à l’engagement du pays à l’égard des normes démocratiques internationales et de l’intégration euro-atlantique, et quant à sa volonté d’honorer ses obligations et engagements découlant de son adhésion au Conseil de l’Europe. La commission considère que la Loi sur la transparence de l'influence étrangère, ainsi que la manière dont elle a été adoptée par le Parlement géorgien, sont incompatibles avec les normes européennes en matière de démocratie et de droits humains et elle demande instamment aux autorités d'abroger cette loi dans son intégralité et sans délai.

De l’avis de la commission, l'adoption de la loi ne peut être considérée comme dissociée des prochaines élections législatives en Géorgie qui auront lieu le 26 octobre 2024. Elle craint que la loi n'ait un effet négatif sur la conduite de ces élections et sur la confiance des parties prenantes et du public dans leur résultat, ce qui pourrait affecter la légitimité des élections.

La commission déplore l’usage excessif et disproportionné de la force par la police ainsi que les attaques violentes et les campagnes d’intimidation contre les manifestants, les militants de la société civile, les journalistes et les députés, ces actes revenant en fait à réprimer les manifestations légitimes de désaccord et les critiques. Ces attaques et actes d'intimidation ne font pas l'objet d'enquêtes suffisantes et ne sont pas condamnés par les autorités; cela pourrait conduire à un climat d'impunité pour de tels actes.

L’adoption controversée de la Loi sur la transparence de l’influence étrangère n’est pas un événement isolé, mais le point culminant d’une série d’événements qui sont clairement le signe d’un recul de la démocratie dans le pays. La commission exhorte les autorités à inverser cette tendance et à s'engager pleinement à honorer les obligations de membre et les engagements d'adhésion au Conseil de l'Europe.

Dans le même temps, la commission réitère son engagement en faveur de la coopération et du dialogue avec toutes les forces politiques du pays et tient à rendre hommage à l’engagement des citoyens géorgiens en faveur du développement démocratique du pays et de la poursuite de l’intégration euro-atlantique, engagement qu’ils ont continué à démontrer au cours des récents événements. Les aspirations des citoyens géorgiens à un avenir démocratique fermement ancré dans la famille européenne et leurs espoirs de voir un tel avenir se concrétiser doivent être reconnus et respectés.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 25 juin
2024.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire est profondément préoccupée par les événements récents survenus en Géorgie, qui soulèvent des questions quant à l’engagement du pays à l’égard des normes démocratiques internationales et de l’intégration euro-atlantique, et quant à sa volonté d’honorer ses obligations et engagements découlant de son adhésion au Conseil de l’Europe.
2. L’Assemblée prend note et exprime son plein soutien à l’avis urgent de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) sur la Loi sur la transparence de l’influence étrangère et considère que cette loi, ainsi que la manière dont elle a été adoptée par le Parlement géorgien, sont incompatibles avec les normes européennes en matière de démocratie et de droits humains, telles qu’elles ressortent des obligations et engagements pris par la Géorgie à l’égard du Conseil de l’Europe. L’Assemblée estime que cette loi n’a rien à voir avec la transparence financière des entités non commerciales, notamment des organisations de la société civile et des médias – pour lesquels la Géorgie dispose déjà d’un cadre juridique très complet –, ni avec le souci de prévenir une ingérence étrangère secrète et néfaste. En revanche, elle permet aux autorités d’exercer un contrôle politique excessif sur la société civile et les médias. Cette loi devrait donc être abrogée dans son intégralité sans plus attendre.
3. L’Assemblée est profondément préoccupée par l’usage excessif et disproportionné de la force par la police ainsi que par les attaques violentes et les campagnes d’intimidation contre les manifestants, les militants de la société civile, les journalistes et les députés, ces actes revenant en fait à réprimer les manifestations légitimes de désaccord et les critiques. Elle est également préoccupée par le fait que ces attaques et actes d'intimidation ne font pas l'objet d'enquêtes suffisantes et ne sont pas condamnés par les autorités, et cela pourrait conduire à un climat d'impunité pour de tels actes. L’Assemblée affirme avec insistance que de tels agissements n’ont pas leur place dans une société démocratique. Il est maintenant urgent que tous les signalements faisant état d’un recours excessif à la force, d’attaques violentes et de campagnes d’intimidation doivent faire l’objet d’enquêtes approfondies et transparentes de la part des autorités compétentes, et les responsables devraient être traduits en justice. Les autorités devraient prendre sans délai toutes les mesures et précautions nécessaires pour maintenir et protéger la sécurité de tous les manifestants, les militants de la société civile, les journalistes et les députés, quelle que soit leur opinion sur cette loi.
4. Dans ce contexte, l’Assemblée réitère ses préoccupations exprimées dans sa Résolution 2438 (2022) au sujet de la Loi géorgienne sur les infractions administratives, qui comporte des lacunes fondamentales et permet un recours excessif à la détention administrative et à des amendes trop élevées, et qui est susceptible d’être employée de manière abusive. Le nombre de personnes arrêtées ou condamnées à des amendes – élevées – en application de cette loi lors des récentes manifestations est dès lors à déplorer.
5. L’Assemblée constate en outre avec préoccupation que l’adoption controversée de la Loi sur la transparence de l’influence étrangère n’est pas un événement isolé, mais le point culminant d’une série d’événements qui sont clairement le signe d’un recul de la démocratie dans le pays. Il est urgent d’inverser cette tendance. L’Assemblée invite instamment les autorités géorgiennes à s’engager à nouveau, en termes clairs, en faveur de la consolidation démocratique du pays et à la poursuite de l’intégration européenne, et au respect des obligations et engagements découlant de l’adhésion de la Géorgie au Conseil de l’Europe, non seulement en paroles, mais aussi en actes concrets et tangibles.
6. L’adoption de la Loi sur la transparence de l’influence étrangère ne peut être dissociée des prochaines élections législatives en Géorgie, qui se tiendront le 26 octobre 2024. L’Assemblée craint que cette loi n’entrave la conduite de ces élections et qu’elle n’entame la confiance des parties prenantes et du public dans leur résultat, ce qui pourrait affecter la légitimité du scrutin. C’est d’autant plus vrai que l’adoption de cette loi, malgré l’opposition généralisée qu’elle suscite dans la société géorgienne, a inévitablement fait de ces élections à venir un référendum de fait sur la trajectoire démocratique et la politique étrangère de la Géorgie, ce qui accroît considérablement les enjeux de ce scrutin, en ajoutant une polarisation et des tensions au climat préélectoral.
7. L’Assemblée se dit par ailleurs particulièrement préoccupée par l’adoption récente – malgré les recommandations contraires de la Commission de Venise – de modifications concernant le cadre juridique des élections en Géorgie, qui introduisent des changements dans le mode d’élection de la présidence et des membres non partisans de la Commission électorale centrale (CEC) et suppriment le poste de vice-président de la CEC, désigné par l’opposition. Ces changements permettront à la majorité au pouvoir de choisir et de nommer elle-même le président et les membres non partisans de la CEC, ce qui lui donnerait, de fait, la majorité des membres au sein de cette commission. Les préoccupations de l’Assemblée sont aggravées par les modifications de dernière minute apportées au Code électoral et adoptées à la hâte et sans consultation des parties prenantes, qui ont introduit des changements dans les majorités légalement requises pour la prise de décision par la CEC. Ces modifications, combinées aux changements apportés au mode d’élection de la présidence et des membres non partisans de la CEC, pourraient donner à la majorité au pouvoir le contrôle de toutes les décisions de la CEC.
8. Il ne fait aucun doute que ces modifications du Code électoral auront des répercussions majeures sur la façon dont les parties prenantes perçoivent l’impartialité et l’équité de l’administration électorale et sur la confiance qu’elles ont en elle. Cela aura à son tour un impact sur la manière dont les parties prenantes et le public géorgien dans son ensemble percevront la légitimité et l’équité des élections et en accepteront les résultats.
9. Dans ce contexte, l’Assemblée est préoccupée par la possibilité réelle que, du fait de la Loi sur la transparence de l’influence étrangère, des organisations respectées de la société civile ayant une longue et vaste expérience de l’observation électorale ne soient plus en mesure d’observer les élections. Leur exclusion en tant qu'observateurs électoraux serait, aux yeux de l'Assemblée, tout à fait inacceptable et certainement contre-productive.
10. L'Assemblée exprime en outre sa vive appréhension face aux projets de loi actuels sur la «protection des valeurs familiales et des mineurs», qui sont incompatibles avec les normes internationales en matière de droits humains, et en particulier avec la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5). La présentation de ces projets de loi controversés sur des questions aussi passionnelles en période pré-électorale est regrettable. Dans ce contexte, l'Assemblée exprime sa profonde inquiétude quant à la manipulation politique de la LGBTI-phobie à l'approche des élections. Elle appelle les autorités à prendre pleinement en compte les préoccupations et les recommandations contenues dans l'avis de la Commission de Venise sur ces lois.
11. L’Assemblée tient à rendre hommage à l’engagement des citoyens géorgiens en faveur du développement démocratique du pays et de la poursuite de l’intégration euro-atlantique, engagement qu’ils ont continué à démontrer au cours des récents événements, et ce malgré le climat hostile et politiquement répressif. Les aspirations des citoyens géorgiens à un avenir démocratique fermement ancré dans la famille européenne et leurs espoirs de voir un tel avenir se concrétiser ne peuvent être mis de côté: ils doivent être reconnus et respectés.
12. L’Assemblée exprime son vif espoir quant à la consolidation démocratique de la Géorgie et à la poursuite de l’intégration euro-atlantique du pays. Elle réaffirme sa volonté de coopérer et de dialoguer de manière constructive et ouverte avec les autorités ainsi qu’avec toutes les autres forces politiques et tous les secteurs de la société géorgienne, afin d’enrayer les récents reculs et d’assurer le respect des obligations et engagements contractés par la Géorgie lors de son adhésion au Conseil de l’Europe.
13. L'Assemblée est consciente et préoccupée par l'existence, ou les initiatives visant à adopter, dans d'autres États membres, des législations problématiques similaires qui permettraient aux autorités d'exercer un contrôle politique sur la société civile et les médias. L'Assemblée invite instamment tous les États membres à ne pas perdre de vue leurs obligations en tant que membres et à s'abstenir d'adopter des législations qui vont à l'encontre des normes du Conseil de l'Europe en matière de démocratie et de droits humains.
14. L’Assemblée invite sa commission de suivi à continuer de suivre de près l’évolution de la situation en Géorgie, s’agissant notamment des prochaines élections législatives et de leur résultat, et à lui rendre compte immédiatement si les événements le justifient.

B. Exposé des motifs par M. Claude Kern et Mme Edite Estrela, corapporteurs

(open)

1. Introduction

1. En dépit de manifestations généralisées en Géorgie et des appels de la communauté internationale, le Parlement géorgien a adopté la Loi sur la transparence de l’influence étrangère le 14 mai 2024, en troisième lecture et à l’issue d’une procédure menée inutilement à la hâte. Cette loi est parfois appelée «loi sur les agents étrangers». Cette adoption précipitée, sans attendre l’avis de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) qui devait être rendu seulement quelques jours plus tard, a été vivement critiquée dans le pays et par la communauté internationale, notamment par le Président de l’Assemblée parlementaire et par la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe.
2. Le 18 mai 2024, la Présidente géorgienne Salome Zourabichvili a mis son veto à cette loi, invoquant son incompatibilité avec la Constitution géorgienne, les normes et règles internationales et les obligations et engagements de la Géorgie à l’égard de ses partenaires internationaux.
3. Le 20 mai 2024, la Commission de Venise a rendu son avis urgent 
			(2) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-PI(2024)013-f'>CDL-PI(2024)013</a>. au sujet de la loi, qui avait été demandé par le Président de notre Assemblée. Les conclusions de cet avis, que nous détaillerons dans la suite du document, sont sans équivoque: la loi dans sa forme actuelle présente des défauts fondamentaux qui portent atteinte à la liberté d’expression et à la liberté d’association et qui nuisent au pluralisme politique et à la démocratie. La Commission de Venise a donc recommandé l’abrogation complète de la loi dans sa forme actuelle.
4. Préoccupée par les conséquences de cette loi pour la trajectoire démocratique du pays et par les profonds clivages que son introduction entraîne dans la société géorgienne, l’Assemblée a organisé un débat d’actualité sur «La démocratie en Géorgie confrontée à de nouveaux défis» lors de la réunion de sa Commission permanente qui s’est tenue à Vilnius, le 24 mai 2024. Au cours de ce débat, un nouvel appel a été lancé aux autorités géorgiennes pour qu’elles abrogent la loi. Ces efforts sont restés vains. Le Parlement géorgien a procédé à un vote (66 voix pour et aucune contre), le 28 mai 2024, pour passer outre le veto présidentiel à la Loi sur la transparence de l’influence étrangère. Cette décision a été vivement condamnée dans le pays et par les partenaires et amis internationaux de la Géorgie.
5. L’adoption de la Loi sur la transparence de l’influence étrangère et les développements connexes amènent de toute évidence à s’interroger sur l’engagement de la Géorgie à l’égard des normes et principes démocratiques européens, ainsi que sur sa volonté de respecter ses obligations et engagements en tant qu’État membre du Conseil de l’Europe. Pour cette raison, le 24 juin 2024, sur proposition du Bureau, l’Assemblée a décidé d’organiser un débat d’urgence sur «Les défis pour la démocratie en Géorgie» et a saisi la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi) pour rapport. Le même jour, la Commission de suivi, conformément à la procédure établie, nous a nommés corapporteurs.
6. Dans le présent rapport, nous exposons les évènements et le climat qui ont conduit à l’adoption de la Loi sur la transparence de l’influence étrangère ainsi que les préoccupations et les recommandations formulées dans l’avis de la Commission de Venise sur cette loi.

2. Loi sur la transparence de l’influence étrangère

7. Comme nous l’avons souligné dans la note d’information sur notre visite à Tbilissi en mars 2023 
			(3) 
			<a href='https://rm.coe.int/note-d-information-georgie-mars-2023-note-d-information-revisee-des-co/1680ab7284'>AS/Mon
(2023) 09 REV</a>. et dans le rapport de 2023 sur l’évolution de la procédure de suivi de l’Assemblée 
			(4) 
			Doc. 15893., en février 2023, la majorité au pouvoir a inscrit à l’ordre du jour du parlement un projet de loi controversé sur la «transparence de l’influence étrangère» contraignant les personnes morales (organisations et individus, y compris les médias) dont plus de 20 % des ressources proviennent de l’étranger à s’enregistrer en tant qu’ «agents de l’étranger» et à faire l’objet d’une surveillance intensive de la part des autorités. Ce projet de loi, présentant des similitudes troublantes avec la loi russe sur les agents de l’étranger et la loi hongroise «Stop Soros», a suscité un tollé dans la société géorgienne. La communauté internationale a également émis des critiques à son égard, alertant les autorités géorgiennes sur le fait que ce projet de loi soulevait de sérieuses questions de compatibilité avec les normes européennes de démocratie et de droits humains, notamment avec la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5). Face aux manifestations populaires massives qui prenaient de l’ampleur dans le pays, en dépit des tentatives de la police de les disperser par la force, la majorité au pouvoir a annoncé, le 9 mars 2023, qu’elle retirerait le projet de Loi sur la transparence de l’influence étrangère. Le parlement a ensuite rejeté le projet de loi lors de sa deuxième lecture, le 10 mars 2023.
8. Contre toute attente et alors qu’elle s’était formellement engagée à ne pas tenter de présenter à nouveau une législation de ce type, la majorité au pouvoir a annoncé le 4 avril 2024 qu’elle inscrirait une nouvelle fois le projet de Loi sur la transparence de l’influence étrangère à l’ordre du jour du parlement. Quasiment identique à la version que la majorité au pouvoir avait retirée en mars 2023, ce projet contenait un seul changement mineur et de pure forme 
			(5) 
			Une
autre modification a été apportée entre la deuxième et la troisième
lecture du projet de loi, qui étend aux personnes physiques, et
non plus seulement aux organisations et personnes morales similaires,
l’obligation de communiquer aux autorités des informations, notamment
confidentielles, sur les entités figurant sur le registre des agents de
l’étranger. , à savoir le remplacement du terme «agent de l’étranger» par «organisation poursuivant les intérêts d’une puissance étrangère», ce qui est à peine moins stigmatisant et moins litigieux.
9. En vertu de la loi, toute personne morale non commerciale, y compris les diffuseurs audiovisuels et les médias, ou toute personne morale qui possède seule ou conjointement un média ou un domaine internet/site web diffusant des informations en langue géorgienne et dont le financement ou les revenus proviennent à plus de 20 % de «puissances étrangères» 
			(6) 
			Selon
la loi, les «puissances étrangères» désignent des agences de gouvernements
étrangers, des non-ressortissants géorgiens, des personnes morales
non établies pour le compte d’organisations géorgiennes et des organisations
établies en vertu d’une législation étrangère ou du droit international
(ce qui inclut toute organisation internationale intergouvernementale
telle que le Conseil de l’Europe). Il est important de noter que
les 20% de financement sont cumulatifs et qu’ils peuvent ne pas
provenir d’une seule et unique source étrangère. Cela signifie que toute
organisation de la société civile dont plus de 20% des revenus sont
issus de petites contributions d’un large éventail de personnes
et d’organisations étrangères serait également tenue de s’enregistrer
comme organisation poursuivant les intérêts d’une puissance étrangère. est considérée comme une «organisation poursuivant les intérêts d’une puissance étrangère» et est donc tenue de s’enregistrer auprès de l’Agence nationale du registre public, lequel registre est accessible au public.
10. Les organisations figurant dans le registre sont soumises à des obligations déclaratives et comptables étendues et intrusives. Le respect des exigences est contrôlé par le ministère de la Justice, qui peut demander tout renseignement à caractère personnel, y compris confidentiel, à toute personne physique, organisation publique ou personne morale. La non-communication des renseignements demandés expose les personnes physiques ou morales concernées à une pénalité de 5 000 GEL (environ 1 650 EUR).
11. Comme on pouvait s’y attendre, la nouvelle présentation de ce projet de loi très controversé a provoqué une autre vague de manifestations massives, qui a réuni un large éventail de la société géorgienne, notamment des jeunes et des étudiants, des universitaires, des syndicats, des organisations de la société civile et des journalistes, et l’opposition politique en Géorgie. Cette seconde présentation du projet de loi a également été condamnée par la communauté internationale qui a réitéré ses vives inquiétudes quant à sa compatibilité avec les normes européennes de démocratie et de droits humains, ainsi qu’à l’engagement des autorités géorgiennes dans le processus d’intégration euro-atlantique du pays.
12. A la lumière des questions sérieuses que soulève cette loi et soucieux de maintenir avec les autorités géorgiennes un dialogue fondé sur les normes et principes européens, le Président de l’Assemblée a demandé, le 15 avril 2024, un avis urgent de la Commission de Venise concernant le projet de loi sur son contenu.
13. Dans l’intervalle, les manifestations contre la loi se sont intensifiées. Cela a conduit à une polarisation politique de plus en plus forte s’accompagnant d’un virulent discours polémique de la part des autorités. Les tentatives de la police de mettre fin aux manifestations se sont caractérisées par un usage disproportionné de la force et il y a eu aussi des signalements d’intimidations et d’attaques contre des manifestants, des militants de la société civile, des journalistes et des responsables politiques de l’opposition. Nous exposerons plus en détail nos préoccupations concernant cette apparente répression des protestations contre la loi dans la suite de ce document.
14. Malgré toutes les manifestations nationales et internationales, le Parlement géorgien a adopté cette loi le 14 mai 2024, en troisième et dernière lecture, sans attendre l’avis de la Commission de Venise qui devait être rendu quelques jours plus tard. L’adoption menée inutilement à la hâte et sans attendre l’avis de la Commission de Venise a été vivement critiquée par la communauté internationale, notamment par le Président de l’Assemblée, qui a également condamné les attaques contre des militants de la société civile, des représentants des médias et des membres de l’opposition 
			(7) 
			<a href='https://pace.coe.int/fr/news/9463/georgia-pace-president-condemns-violence-against-politicians-civil-society-activists-media-representatives-and-peaceful-protesters'>Déclaration</a> du Président de l’Assemblée (14 mai 2024). . Dans sa déclaration du 15 mai 2024, la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe s’est dite profondément déçue que la loi ait été adoptée sans attendre la publication pourtant imminente de l’avis de la Commission de Venise, ce qui «ne reflète pas un esprit de dialogue constructif» 
			(8) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/portal/-/situation-in-georgia'>Déclaration</a> de la Secrétaire Générale (15 mai 2024). .
15. En réponse à ces critiques, le Premier ministre Irakli Kobakhidze a déclaré que son parti serait disposé à étudier la possibilité d’apporter des amendements à la loi dans le cadre de ses délibérations sur le veto attendu de la Présidente géorgienne «si la communauté internationale expose des arguments fondés sur le plan juridique» – faisant probablement référence à l’avis de la Commission de Venise.
16. Or, la Présidente Zourabichvili a estimé que la loi présentait des défauts si importants sur le fond et tant de contradictions avec la Constitution géorgienne et le droit international qu’il ne serait pas possible de l’améliorer par des amendements. Elle a donc opposé son veto à la loi le 18 mai 2024, ne présentant qu’un seul amendement à la loi limitant sa validité à une journée.
17. Les autorités ont condamné le veto de la Présidente, émis avant la réception de l’avis de la Commission de Venise, l’accusant d’anéantir toute possibilité de compromis 
			(9) 
			<a href='https://civil.ge/archives/608238'>Civil Georgia</a> - «PM Accuses President of Blocking Dialogue by Vetoing
Agents’ Law» (20 mai 2024). avec la communauté internationale.
18. Une telle critique de la majorité au pouvoir est fallacieuse et incorrecte. Pour que la procédure soit adéquate, le législateur aurait dû attendre de recevoir l’avis de la Commission de Venise afin de tenir compte de toute préoccupation et recommandation éventuelle avant d’adopter la loi. Cette responsabilité, qui n’incombe pas à la Présidente, aurait en effet signifié qu'elle aurait alors été chargée de négocier avec le gouvernement au sujet de la conformité de la loi avec les normes internationales. Par ailleurs, la procédure de veto présidentiel n’est pas faite pour concilier un projet de loi avec les normes internationales, et elle se limite strictement à deux semaines, ce qui n’est pas propice au bon déroulement d’un processus d’amendement de texte législatif présentant des défauts fondamentaux.
19. Le 20 mai 2024, la Commission de Venise a publié son avis urgent concernant la Loi sur la transparence de l’influence étrangère. Comme nous l’avons déjà indiqué, les conclusions de cet avis sont sans équivoque: la loi dans sa forme actuelle présente des défauts fondamentaux et devrait être abrogée dans son intégralité (voir chapitre 3).
20. Le parti au pouvoir a cependant dénoncé l’avis de la Commission de Venise le lendemain de sa publication, le jugeant «infondé», «faux», «manipulateur», «injustifié» et même «paradoxal» 
			(10) 
			<a href='https://civil.ge/archives/608655'>Civil Georgia</a> - «GD Slams Venice Commission Over ‘Unfounded’ Opinion
on Foreign Agents Law». Voir également <a href='https://civil.ge/archives/608920'>Civil Georgia</a>  - «PM Slams Venice Commission Critical Opinion on Agents
Law as “Faltering”» (23 mai 2024)., et a remis en question l’objectivité de la Commission de Venise elle-même. Il a indiqué clairement qu’il ne tiendrait compte d’aucune des recommandations de la Commission de Venise, notamment celle d’abroger la loi.
21. Le 28 mai 2024, dans un contexte de manifestations massives, le Parlement géorgien est passé outre le veto présidentiel et a adopté la loi avec 84 voix pour 
			(11) 
			L’opposition géorgienne
avait quitté l’hémicycle en signe de protestation avant le vote. . Là encore, cette décision a été rapidement fermement condamnée par la communauté internationale. Le Président du Conseil européen, Charles Michel, a qualifié l’adoption de la loi de pas en arrière qui éloignerait la Géorgie de l’Union européenne, tandis que le Gouvernement américain a annoncé un réexamen complet des relations entre la Géorgie et les États-Unis ainsi que de la mise en œuvre des sanctions, notamment des restrictions de visas pour les détracteurs de la démocratie en Géorgie. Dans une déclaration que nous soutenons pleinement, la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe a déploré la décision de la majorité au pouvoir de passer outre le veto présidentiel et a mis en garde contre «les conséquences négatives de cette loi sur le débat public éclairé, le pluralisme et l’équilibre démocratique des pouvoirs, ce qui pourrait également mettre en péril un climat propice à des élections libres et équitables» 
			(12) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/portal/-/situation-in-georgia-statement-by-the-secretary-general'>Déclaration</a> de la Secrétaire Générale (28 mai 2024). .
22. Le 3 juin 2024, conformément aux dispositions constitutionnelles, le Président du Parlement géorgien a signé la Loi sur la transparence de l’influence étrangère, qui a été publiée au journal officiel le 4 juin 2024. Les principales dispositions de la loi entreront en vigueur 60 jours après sa publication. Toutes les organisations non commerciales, y compris les organisations de la société civile et les médias, dont plus de 20 % des fonds proviennent de l’étranger, devront s’enregistrer auprès du ministère de la Justice, sous peine de se voir infliger de lourdes amendes et de devoir éventuellement cesser leurs activités. Malgré les pressions, plus d’une centaine d’organisations de la société civile et de médias ont annoncé 
			(13) 
			<a href='https://www.democracyresearch.org/geo/1440/'>Democracy
Research Institute (25 avril 2024)</a>. qu’ils ne s’enregistreraient pas en tant qu’agents de l’étranger.
23. Plusieurs organisations de la société civile ont annoncé qu’elles allaient contester la Loi sur la transparence de l’influence étrangère devant la Cour constitutionnelle géorgienne et qu’elles préparaient en parallèle un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme 
			(14) 
			Georgian
young lawyers’ association (<a href='https://gyla.ge/en/post/vagrdzelebt-samartlebriv-brdzolas-rusuli-kanonis-tsinaaghmdeg'>Gyla</a>) (30 mai 2024). .
24. Tout en excluant la possibilité d’être elle-même candidate aux prochaines élections, que ce soit à titre individuel ou dans une liste de parti, la Présidente Zourabichvili a annoncé, le 26 mai 2024, son initiative de «Charte géorgienne» 
			(15) 
			<a href='https://civil.ge/archives/609466'>Civil Georgia</a> - «Georgian Charter: President Proposes Unified Goals
for Short-Term Parliament, Technical Government» (26 mai 2024). devant servir de feuille de route pour résoudre la crise politique en cours et pour préserver les perspectives d’intégration du pays. Le 3 juin 2024, cette charte avait été signée par 17 partis politiques.

3. Avis de la Commission de Venise

25. Pour bien comprendre les lacunes de la loi et les préoccupations qu’elle suscite quant à sa compatibilité avec les droits fondamentaux, nous recommandons vivement de prendre connaissance, dans son intégralité, de l’excellent avis de la Commission de Venise 
			(16) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-PI(2024)013-f'>CDL-PI(2024)013</a>. . Nous nous contenterons d’en résumer brièvement ses principales conclusions.
26. Il est noté, dans l’avis, que la Géorgie dispose déjà d’un cadre juridique bien établi régissant les obligations d’enregistrement et de déclaration, y compris de nature financière, pour les organisations non commerciales (notamment de la société civile) et les médias. Selon le Code civil, les personnes morales non commerciales doivent s’enregistrer et communiquer des informations, entre autres, sur leurs employés et leurs sources de financement. Pour bénéficier d’avantages fiscaux, tout donateur doit fournir au service des impôts des informations détaillées publiées par la suite sur le site internet du ministère des Finances, sur le programme ou projet qu’il finance, y compris sur les personnes qui y participent. Par ailleurs, pour obtenir une licence de diffusion, les diffuseurs audiovisuels sont déjà tenus de présenter un plan détaillé du financement de leurs activités et de leurs programmes. Plusieurs lois garantissent la transparence financière des organisations commerciales et non commerciales afin de lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement d’organisations terroristes, comme l’exigent le Comité d'experts sur l'évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (Moneyval) et le Groupe d'action financière (GAFI). Enfin, la loi sur le lobbying dispose que toute personne ayant l’intention d’influer sur un représentant d’organe exécutif ou sur la législation doit être inscrite dans le registre des lobbyistes et doit rendre compte régulièrement de ses activités de lobbying et des fonds reçus à cet effet 
			(17) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-PI(2024)013-f'>CDL-PI(2024)013</a>, paragraphes 18 à 26.. L’existence d’un cadre juridique déjà complet ne justifie pas l’adoption d’une loi supplémentaire aussi controversée et intrusive que la Loi sur la transparence de l’influence étrangère, ce qui amène à s’interroger sur la nécessité et la finalité réelles de cette loi.
27. Comme l’a souligné la Commission de Venise, une loi qui exige la déclaration et l’enregistrement publics des dons étrangers par des organisations et des individus qui y sont soumis, comme c’est le cas de la loi géorgienne, interfère avec plusieurs droits humains fondamentaux garantis par la Convention européenne des droits de l’homme, notamment le droit à la liberté d’association, le droit à la liberté d’expression, le droit au respect de la vie privée et le droit de ne pas subir de discrimination. Comme le prévoient plusieurs instruments relatifs aux droits humains et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, toute restriction de ces droits dans une société démocratique doit répondre à des conditions très précises de légalité, de légitimité, de proportionnalité, de stricte nécessité et de non-discrimination. L’analyse de la Commission de Venise montre clairement que la loi en question ne remplit aucune de ces conditions et qu’elle est par conséquent incompatible avec les normes européennes et d’autres normes internationales de droits humains 
			(18) 
			Idem..
28. La Commission de Venise note que, d’après la loi considérée, l’hypothèse qu’une personne ou organisation se trouve sous l’influence d’une puissance étrangère repose uniquement sur la condition que plus de 20 % de ses fonds proviennent de sources étrangères, indépendamment du nombre et de la nature de ces sources. Cette hypothèse est à la fois discutable et erronée. Elle va à l’encontre des normes européennes et des lignes directrices de la Commission de Venise qui indiquent clairement qu’aucune législation limitant les droits des personnes ou organisations en leur imposant des obligations d’enregistrement et de déclaration ne peut se fonder sur une telle hypothèse. En particulier, dans le cas d’un pays candidat à l’adhésion à l’Union européenne et qui s’est donc engagé à aligner sa législation sur l’acquis de l’Union européenne, il est pertinent de noter l’arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne dans l’affaire c78/18 concernant une législation similaire sur la transparence en Hongrie. Elle a estimé qu’une législation visant à accroître la transparence du financement des associations ne pouvait se fonder uniquement sur cette hypothèse erronée et qu’elle devait donc être retirée.
29. En classant de manière inappropriée les organisations recevant des financements étrangers comme des organisations poursuivant des intérêts étrangers, c’est-à-dire comme des «agents de l’étranger», la loi aurait objectivement pour effet de stigmatiser ces organisations et de créer un climat de méfiance à leur égard 
			(19) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-PI(2024)013-f'>CDL-PI(2024)013</a>, paragraphes 72 à 74.. L’affirmation des autorités selon laquelle cette loi n’entraverait pas les activités des organisations enregistrées en tant qu’agents de l’étranger n’est pas valable. Il est clair que les organisations dont plus de 20 % des fonds proviennent de sources étrangères devront soit renoncer à ces fonds étrangers soit risquer de perdre leurs financements géorgiens si elles sont enregistrées comme telles: de nombreux donateurs géorgiens hésiteraient en effet à être associés à un «agent de l’étranger» afin d’éviter toute connotation stigmatisante d’une telle étiquette. À cela s’ajoutent les ressources et le temps que les organisations doivent consacrer aux processus d’enregistrement et de déclaration prévus. La loi pourrait entraîner la fermeture d’un nombre considérable d’organisations indépendantes de la société civile 
			(20) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-PI(2024)013-f'>CDL-PI(2024)013</a>, paragraphes 75 à 77.. Le Secrétaire général de Rêve géorgien, Kakha Kaladze, a confirmé cet état de fait lors d’une interview: «Si les ONG ne respectent pas la loi sur les agents de l’étranger, des amendes leur seront imposées, puis leurs actifs seront gelés. Elles ne pourront alors pas exercer leurs activités, ni recevoir de fonds» 
			(21) 
			<a href='https://www.facebook.com/civil.ge/posts/pfbid02evy6nMZKLf2aip62PSdxLXSmsa3dbzkukFGpKXzpDtcqf5xzgNmkHeVfHPzSnw5Wl'>Déclaration</a> du Secrétaire général de Rêve géorgien, Kakha Kaladze
(3 juin 2024). .
30. Comme indiqué, les organisations inscrites au registre seront soumises à des obligations étendues et intrusives en matière déclarative et comptable. De plus, le ministère de la Justice devra également veiller, en amont, à ce que toutes les organisations financées à plus de 20 % par des sources internationales soient enregistrées. Pour ce faire, le ministère peut demander tout renseignement personnel, y compris des données confidentielles, à toute personne physique, organisation publique et personne morale concernée. Un défaut de communication des renseignements demandés expose à une amende de 5 000 GEL (environ 1 650 EUR). Par ailleurs, des sanctions sévères sont prévues pour les organisations qui ne s’enregistreraient pas ou qui ne feraient pas de déclaration conformément à la loi. Comme l’a souligné la Commission de Venise, beaucoup d’organisations pourraient rencontrer des difficultés considérables et seraient très probablement contraintes de se dissoudre si de telles amendes leur étaient imposées, même pour des violations relativement mineures.
31. En résumé, pour reprendre les termes de la Commission de Venise, «les obstacles persistants et stigmatisants concentrés entre les mains de l’État ont un effet dissuasif» 
			(22) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-PI(2024)013-f'>CDL-PI(2024)013</a>, paragraphe 97. et "[l]a loi, sous le prétendu objectif d’assurer la transparence, a pour effet objectif de risquer de stigmatiser, de réduire au silence et finalement d’éliminer les associations et les médias qui reçoivent ne serait-ce qu’une faible partie de leurs fonds de l’étranger. Le risque est grand que les associations et les médias touchés soient ceux qui critiquent le gouvernement, de sorte que leur suppression aurait un effet négatif sur le débat public ouvert et informé, le pluralisme et la démocratie» 
			(23) 
			Ibid, paragraphe 98..
32. Les autorités géorgiennes ont affirmé à plusieurs reprises que la loi géorgienne sur la transparence de l’influence étrangère était similaire à la législation en vigueur dans d’autres pays, notamment la loi américaine sur l’enregistrement des agents de l’étranger (Foreign Agents Registration Act ou FARA). Cette affirmation est toutefois erronée, comme le souligne l’avis. La FARA exige en effet que toute entité, commerciale ou non 
			(24) 
			Et non en
particulier les organisations de la société civile et les médias,
comme c’est le cas pour la loi géorgienne sur la transparence de
l’influence étrangère. , qui agit pour le compte d’un autre État ou d’un mandant étranger s’enregistre en tant qu’agent de l’étranger, mais prévoit un niveau de contrôle très strict avant que le cas soit considéré comme tel. En règle générale, les organisations ne sont pas tenues de s’enregistrer simplement parce qu’elles reçoivent un certain pourcentage de leur financement de l’étranger, comme c’est le cas avec la loi géorgienne 
			(25) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-PI(2024)013-f'>CDL-PI(2024)013</a>, paragraphe 40.. D’autres éléments divergents distinguent nettement ces législations l’une de l’autre 
			(26) 
			<a href='https://civil.ge/archives/591175'>Civil Georgia</a> - «US FARA vs. Georgian Foreign Agents Law: Three Major
Differences» (11 avril 2024)..
33. La Commission de Venise déplore que cette loi particulièrement sensible et controversée ait été préparée et adoptée selon une procédure inutilement menée à la hâte et sans que les parties prenantes aient été véritablement consultées, ce qui est en contradiction flagrante avec les normes et procédures démocratiques européennes. Nous notons que des préoccupations similaires ont été exprimées à propos d’autres textes législatifs importants et controversés qui ont été adoptés récemment en Géorgie.
34. En conclusion, la Commission de Venise a recommandé vivement aux autorités «d’abandonner le régime spécial d’enregistrement, de déclaration et d’obligation d’information du public pour les organisations de la société civile, les médias en ligne et les radiodiffuseurs bénéficiant d’un soutien étranger, y compris les sanctions administratives» 
			(27) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-PI(2024)013-f'>CDL-PI(2024)013</a>, paragraphe 99. et d’abroger la loi dans sa forme actuelle 
			(28) 
			Ibid., paragraphe 100..

4. Attaques et intimidations

35. Malgré leur ampleur et hormis quelques incidents isolés, les manifestations se sont déroulées globalement dans un esprit pacifique. Elles se sont toutefois heurtées à des réactions politiques de plus en plus hostiles, voire répressives, à l’encontre de toute dissidence.
36. Nous sommes vivement préoccupés par les signalements crédibles et récurrents d’un recours excessif et disproportionné à la force de la part de la police pour tenter de disperser des manifestations pourtant pacifiques. Les signalements selon lesquels la police vise tout particulièrement les dirigeants de l’opposition 
			(29) 
			<a href='https://civil.ge/archives/602815'>Civil Georgia</a> - «UNM Chair Severely Beaten by Police During Rally
Against Agents’ Law» (1 mai 2024). et les journalistes 
			(30) 
			<a href='https://civil.ge/archives/602905'>Civil Georgia</a> - «Media Watchdog Calls on Swift Investigation of Attacks
against Journalists» (1 mai 2024). pour les empêcher d’informer sur les manifestations sont extrêmement préoccupants. La communauté internationale a condamné ce recours excessif et disproportionné à la force 
			(31) 
			<a href='https://civil.ge/archives/602765'>Civil
Georgia</a> - «International Outcry over Police Crackdown on Protest
against Foreign Agents Bill» (3 mai 2024).. Le Défenseur géorgien des droits humains (médiateur) a également condamné cette répression fermement et sans équivoque et a appelé les autorités à mener une enquête effective sur les signalements de violence policière et d’usage excessif de la force 
			(32) 
			<a href='https://civil.ge/archives/602708'>Civil
Georgia</a> - «Public Defender: Use of Force Against Peaceful Protesters
Disproportionate» (1 mai 2024).. Pour sa part, le Service d’enquête spécial géorgien a annoncé, le 8 mai 2024, avoir ouvert une enquête sur les allégations de violences policières, notamment l'agression policière brutale contre Levan Khabeichvili, président du Mouvement national uni (MNU).
37. Il est regrettable que ces enquêtes ne semblent pas avoir donné de résultats concrets. Après une brève accalmie pendant le week-end de Pâques orthodoxe, la police n’aurait pas cessé de recourir à la force de manière excessive et disproportionnée 
			(33) 
			<a href='https://civil.ge/archives/605470'>Civil Georgia</a> - «Man Severely Beaten in Car in Another Case of Police
Brutality» (11 mai 2024)., en toute impunité. Le 28 mai 2024, Zviad Kharazichvili, chef du Service des Forces spéciales rattaché au ministère de l’Intérieur, – organisme qui a la réputation de faire un usage excessif de la force – aurait admis 
			(34) 
			<a href='https://www.facebook.com/watch/?v=2135833626783326&rdid=tirH9IORSq3gRhht'>Vidéo</a> Facebook. que des manifestants ont été passés à tabac et aurait reconnu l’existence d’une liste de manifestants ciblés par la police 
			(35) 
			<a href='https://civil.ge/archives/609844'>Civil Georgia</a> - «Special Tasks Department Chief Admits to Battering
Targeted Protesters at anti-Agents Law Demonstrations» (28 mai 2024).. Nous notons avec une grande inquiétude qu’aucune enquête formelle du ministère des Affaires étrangères ne semble avoir débuté sur ces aveux et que M. Kharazishvili n’a pas été suspendu de ses fonctions en attendant qu’une enquête soit menée.
38. Les signalements récurrents d’attaques violentes et de campagnes d’intimidation contre des militants de la société civile, des représentants des médias et des membres de l’opposition qui s’opposent à la Loi sur la transparence de l’influence étrangère sont tout aussi préoccupants, voire encore plus. En effet, des militants de la société civile, des responsables politiques de l’opposition et des membres de leurs familles sont harcelés et menacés de mort par téléphone et des affiches montrant leur photo et des inscriptions telles qu’«agents» ou «ennemis de l’État», voire pire, sont placardées près de leurs lieux de résidence ou de travail 
			(36) 
			<a href='https://civil.ge/archives/604767'>Civil
Georgia</a> - «Orchestrated Intimidation of Protesters Against Agents’
Bill» (11 mai 2024). . Les signalements de manifestants et de militants de la société civile pris en embuscade et passés à tabac par des groupes d’inconnus montrent clairement qu’il ne s’agit pas de menaces en l’air 
			(37) 
			<a href='https://civil.ge/archives/604676'>Civil Georgia</a> - «Attacks on the Protest Activists in the Streets of
Tbilisi» (9 mai 2024)..
39. Malheureusement, les attaques menées contre des militants de la société civile ne sont pas nouvelles. Nous avions déjà fait part de notre préoccupation quant aux attaques de plus en plus fréquentes contre des organisations de la société civile et leurs dirigeants dans la note d’information sur notre visite dans le pays en mars 2023 
			(38) 
			<a href='https://rm.coe.int/note-d-information-georgie-mars-2023-note-d-information-revisee-des-co/1680ab7284'>AS/Mon(2023)09rev,</a> paragraphe 8..
40. Alors que ces attaques et campagnes d’intimidation sont menées par des anonymes, de nombreuses victimes ont signalé que les personnes qui les agressent ou qui tentent de les intimider, elles-mêmes et des membres de leur famille, semblent avoir connaissance d’informations pourtant privées, qu’elles estiment ne pouvoir être connues que des autorités 
			(39) 
			<a href='https://civil.ge/archives/604628'>Civil
Georgia</a> - «GYLA Raise alarm on surge in abusive phone calls
amid protests, Alleges Personal Data breach» (08/05/2024). Voir
aussi <a href='https://civil.ge/archives/610802'>Civil
Georgia</a> - «Intimidation Campaign Against Opposition, Civil Society,
Gov’t Critics as Repressions Announced by GD MPs» (1 juin 2024).. Dans un tel climat, l’annonce faite par le Président du Parlement géorgien selon laquelle le parti au pouvoir a décidé de créer «une base de données contenant des informations sur toutes les personnes «impliquées dans des actes de violence, du chantage, des menaces et d’autres actes illégaux» ou «qui soutiennent publiquement ces agissements»» 
			(40) 
			<a href='https://civil.ge/archives/604504'>Civil Georgia</a> - «Speaker Announces Launch of Incriminating Database
on Opponents» (8 mai 2024). est particulièrement préoccupante.
41. La grande majorité des attaques et des campagnes d’intimidation ont été dirigées contre des manifestants, des militants de la société civile, des journalistes et des membres du parlement qui s’opposent à la Loi sur la transparence de l’influence étrangère. D’ampleur et de portée moindres, un nombre croissant d'incidents ont été signalés au cours desquels des membres de la majorité au pouvoir ayant voté en faveur de la loi ont été insultés par d'autres personnes en les qualifiant d'«esclaves» et de «traîtres», ou ont vu leurs biens dégradés 
			(41) 
			<a href='https://civil.ge/archives/610629'>Civil
Georgia</a> - «Citizens Confront GD MPs Following Adoption of Foreign
Agents’ Law» (1 juin 2024).. Ces incidents doivent également être condamnés et cesser immédiatement.
42. De nombreux citoyens ont reçu des amendes importantes ou ont été arrêtés pour leur participation aux manifestations. Ces sanctions sont perçues par de nombreux interlocuteurs comme une tentative de dissuader les citoyens de prendre part aux manifestations. Les amendes et arrestations ont été appliquées pour la plupart sur la base de la loi géorgienne relative aux infractions administratives qui est en elle-même problématique. Nous avions déjà fait part de nos préoccupations concernant cette loi dans notre rapport de 2022 à l’Assemblée sur le respect des obligations et engagements de la Géorgie 
			(42) 
			Doc. 15497.. Dans ce rapport, nous soulignions que la loi concernée «date de l’époque soviétique et [que] sa révision complète aurait dû avoir lieu il y a longtemps. Bon nombre de ses dispositions ont déjà été jugées inconstitutionnelles par la Cour constitutionnelle de Géorgie, et il en irait de même pour plusieurs autres si elles étaient contestées devant cette dernière. Le cadre juridique permet donc une application de portée excessive de la détention administrative, ainsi que des amendes beaucoup trop élevées, et il favorise les abus» 
			(43) 
			Ibid.,
paragraphe 119.. Il est regrettable que, malgré des lacunes fondamentales, le parlement ait adopté, en avril 2021, une série d’amendements controversés à la Loi sur les infractions administratives. Comme nous l’avons souligné dans notre rapport, «[p]armi les nouvelles dispositions figurent notamment le durcissement considérable des peines pour les infractions de hooliganisme avec récidive et de désobéissance à la police, ainsi que l’augmentation de la durée de la détention administrative. Ces nouveautés ont suscité des critiques au sein de l’opposition, de la société civile et de la communauté internationale, pour qui elles vont à l’encontre des principes de la liberté d’expression et de réunion». Les recommandations de l’Assemblée concernant l’élaboration et l’adoption d’une loi entièrement nouvelle sur les infractions administratives 
			(44) 
			 Résolution 2438 (2022), paragraphe 12. n’ont pas été suivies d’effet, malgré les promesses faites en ce sens. Les arrestations et les amendes imposées en vertu de cette loi lors des manifestations actuelles sont donc préoccupantes.

5. Recul de la démocratie et élections à venir

43. Les évolutions récentes concernant l’adoption de la Loi sur la transparence de l’influence étrangère mettent sérieusement en doute l’engagement des autorités géorgiennes en faveur de la trajectoire démocratique du pays et de la poursuite de l’intégration euro-atlantique, y compris l’adhésion à l’Union européenne. Malheureusement, comme nous le verrons par la suite, l’adoption de cette loi a été le point d’orgue d’une série de développements qui amènent également à s’interroger sur la volonté des autorités de respecter les obligations et les engagements de la Géorgie à l’égard du Conseil de l’Europe.
44. Dès notre visite de mars 2023, nous avions déclaré que la Géorgie se trouvait à la croisée des chemins et nous avons fait part de nos inquiétudes, à un moment charnière du processus d’intégration du pays, quant au fait que les réformes étaient manifestement au point mort 
			(45) 
			<a href='https://pace.coe.int/fr/news/9414/georgie-les-corapporteur.e.s-de-l-apce-expriment-leur-profonde-inquietude-quant-a-la-reintroduction-du-projet-de-loi-sur-la-transparence-de-l-influence-etrangere-'>Déclaration</a> des corapporteurs (4 avril 2023). . L’état des réformes nécessaires pour garantir l’indépendance de la justice nous a semblé particulièrement préoccupant. Au lieu des réformes globales demandées, entre autres, par l’Assemblée et la Commission européenne, seul un petit nombre de réformes partielles a été adopté, n’ayant pas répondu aux principales préoccupations soulevées. Cela vaut surtout pour le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), dont le fonctionnement est largement considéré comme l’un des principaux obstacles à une justice véritablement indépendante et impartiale en Géorgie. Au lieu des réformes globales recommandées, le Parlement géorgien a adopté, le 30 décembre 2021, dans le cadre d’une procédure accélérée 
			(46) 
			Ces
amendements n’ont été inscrits à l’ordre du jour du parlement que
le 27 décembre 2021, ce qui était inattendu, sans qu’aucun processus
de consultation adéquat ait eu lieu. , des amendements à la loi sur les tribunaux de droit commun qui ont considérablement renforcé les pouvoirs du CSM, surtout en matière disciplinaire 
			(47) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2023)006-f'>CDL-AD(2023)006</a>., ce qui risque de renforcer le contrôle déjà problématique du CSM sur le système judiciaire 
			(48) 
			Composé en majorité
de juges conformément aux normes européennes, le CSM a pour mission
de garantir l’indépendance et l’efficacité de la justice, selon
la Constitution. Or, en Géorgie, ce conseil fonctionne dans la pratique comme
un organe corporatiste qui protège les intérêts d’un petit groupe
de juges exerçant un contrôle considérable indu sur le système judiciaire..
45. Comme le souligne le rapport d’activité sur la procédure de suivi de l’Assemblée (de janvier à décembre 2023) 
			(49) 
			 Doc. 15893, paragraphe 63., le 19 octobre 2023, le Parlement géorgien a adopté, dans le cadre d’une procédure accélérée, une série d’amendements controversés à la Loi sur la radiodiffusion qui accordent des prérogatives plus larges à la Commission nationale géorgienne des communications, autorité nationale de régulation des médias. Les organisations de la société civile et les acteurs des médias ont exprimé leur inquiétude face à ces modifications qui pourraient restreindre la liberté des médias et faire taire les radiodiffuseurs critiques. Selon un avis d’experts sur le projet de loi fourni par la Direction générale des droits de l’homme et de l’État de droit du Conseil de l’Europe, un certain nombre de dispositions pourraient être contraires à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Par ailleurs, cette expertise a souligné que l’autorité nationale de régulation ne saurait être considérée comme une institution indépendante au regard des normes du Conseil de l’Europe relatives à l’indépendance des organes de régulation des médias. Ces problèmes n’ont pas été traités de manière satisfaisante lorsque la législation a été adoptée.
46. Dans une évolution positive, la Géorgie a obtenu le statut de candidat à l’Union européenne le 8 novembre 2023, en reconnaissance du soutien écrasant de la population géorgienne à l’intégration européenne et à l’adhésion à l’Union européenne même si le pays n’avait traité de manière satisfaisante que trois des douze domaines prioritaires définis à l’origine comme condition pour obtenir le statut de candidat. Outre le traitement des domaines prioritaires restants, le Conseil européen a fixé neuf conditions supplémentaires pour l’ouverture des négociations d’adhésion, dont une réforme globale du système judiciaire et du CSM, ainsi que la mise en place d’une procédure de contrôle du système judiciaire 
			(50) 
			<a href='https://neighbourhood-enlargement.ec.europa.eu/system/files/2023-11/SWD_2023_697 Georgia report.pdf'>SWD_2023_697</a>, Rapport de la Commission européenne sur la Géorgie,
chapitre 23. Voir aussi <a href='https://www.eeas.europa.eu/eeas/georgia-statement-spokesperson-developments-around-judicial-reform_en'>Géorgie</a> - «Déclaration du porte-parole sur les développements
autour de la réforme judiciaire» (22 mars 2024).. Cependant, la mise en place d’une telle procédure a essuyé un refus catégorique de la part des autorités géorgiennes, au motif qu'une telle procédure constituerait une violation de la souveraineté du pays. Ce refus d'une condition s'inscrit dans l'apparente indifférence des autorités aux avertissements clairs et répétés des partenaires européens concernés, selon lesquels l'adoption de la Loi sur la transparence de l'influence étrangère porterait un coup à la trajectoire d'intégration de la Géorgie dans l'Union européenne. Il est donc très surprenant que, le 28 mai 2024, après l’adoption de la Loi sur la transparence de l’influence étrangère, le Premier ministre Kobakhidze a déclaré que cela «jetterait des bases plus solides en vue de l’adhésion de la Géorgie à l’Union européenne» 
			(51) 
			<a href='https://civil.ge/archives/609998'>Civil Georgia</a> - «PM: Agents’ Law will Create a Better Basis for Ensuring
Georgia’s Accession to the EU» (28 mai 2024)..
47. Malheureusement, dans le domaine de la législation électorale, les développements sont préoccupants. Des changements ont été apportés au cadre juridique régissant ces élections, qui pourraient avoir des effets néfastes sur la conduite du scrutin et sur la confiance du public dans l’issue du vote, susceptibles de nuire à la légitimité des élections.
48. Le 5 octobre 2023, le Parlement géorgien a adopté en première lecture une série d’amendements au Code électoral et au Règlement du parlement qui modifie la composition de la Commission électorale centrale de la Géorgie et le mode d’élection de son président ainsi que de ses membres non partisans. D’après ces amendements, les candidatures aux fonctions de président et de membres non partisans de la CEC seront proposées par le président du parlement et non plus par la Présidente de la Géorgie. Alors que les amendements fixent une majorité qualifiée de 3/5 pour l’élection de ces membres au premier tour de scrutin, la majorité sera abaissée à une majorité simple pour les tours suivants afin d’éviter les blocages. Par ailleurs, les amendements suppriment les fonctions de vice-président de la CEC nommé par l’opposition.
49. Ces projets d’amendements ont ensuite été communiqués à la Commission de Venise pour avis par le Président du Parlement. Dans son avis 
			(52) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2023)047-f'>CDL-AD(2023)047</a>., la Commission de Venise note que les amendements concernent des éléments fondamentaux de la législation électorale ne reposant pas sur un large consensus des différentes parties prenantes et qui seraient adoptés moins d’un an avant la date prévue des élections, ce qui est contraire aux normes européennes. De plus, tout en reconnaissant la nécessité d’un mécanisme permettant d’éviter les blocages, la Commission de Venise a vivement recommandé la mise en place de majorités qualifiées pour les tours de scrutin suivants afin de veiller à ce que le président et les membres non partisans de la CEC puissent compter sur le soutien et la confiance d’un large éventail de parties prenantes 
			(53) 
			Ibid., paragraphes 56 à 59.. La Commission de Venise a noté qu’en effet, selon les règles proposées par les amendements, la seule majorité au pouvoir aurait la possibilité de sélectionner et de nommer le président et les membres non partisans de la CEC, ce qui lui donnerait une majorité à cette commission.
50. Nonobstant cet avis, le 20 février 2024, le parlement a adopté les amendements au Code électoral et au Règlement en dernière lecture, sans rien changer au projet tel qu’adopté en première lecture, ignorant ainsi les recommandations et les préoccupations formulées par la Commission de Venise dans son avis. Le 5 mars 2024, la Présidente géorgienne a mis son veto aux amendements, citant les recommandations de la Commission de Venise, veto que le parlement a outrepassé le 19 mars 2024.
51. Ces amendements qui permettront au parti au pouvoir de contrôler la composition de la Commission électorale centrale, ont été renforcés par l’adoption, le 30 mai 2024, d’une série d’amendements à la législation électorale modifiant les règles décisionnelles de la CEC. Combinés aux modifications du processus de nomination des membres de la CEC décrites ci-dessus, ces amendements soutenus par la majorité au pouvoir au motif qu’ils permettent d’éviter les blocages, permettraient de fait à cette dernière de contrôler toutes les décisions de la CEC.
52. Nous tenons à préciser que, si notre intention n’est pas de remettre en question l’intégrité des membres de la CEC, de toute évidence, la somme de ces différentes modifications aura des répercussions majeures sur le rapport de confiance des parties prenantes dans l’impartialité et l’équité de l’administration électorale, ce qui ne sera pas non plus sans effets sur la manière dont la légitimité et l’équité des élections et de leurs résultats seront perçues et acceptées par les parties prenantes comme par l’opinion publique. Il serait particulièrement problématique qu’en conséquence de la Loi sur la transparence de l’influence étrangère, des organisations respectées de la société civile et ayant une grande expérience de l’observation d’élections ne soient plus en mesure de jouer leur rôle d’observateur. Pour garantir la légitimité des élections, il est essentiel non seulement que leur déroulement et leur administration soient impartiaux et équitables, mais aussi qu’elles soient perçues comme telles par les parties prenantes et par l’électorat.
53. Enfin, le 25 mars 2024, la majorité au pouvoir a déposé deux projets de lois constitutionnelles 
			(54) 
			Nous avons été informés
que, le 4 juin 2024, le même paquet législatif a été déposé par
la majorité au pouvoir en tant que loi ordinaire qui n’aurait pas
besoin d’une majorité qualifiée pour être adoptée. sur la «protection des valeurs familiales et des mineurs». Ces projets de loi interdisent, entre autres, toutes les activités ou rassemblements considérés comme promouvant ou popularisant les relations entre personnes de même sexe ou le changement de sexe, restreignent le mariage aux couples «génétiquement» hétérosexuels, limitent l’adoption ou l’accueil d’enfants aux couples hétérosexuels et interdisent toute décision prise par une autorité ou une personne de nature à restreindre directement ou indirectement l’emploi de termes définissant le genre. Ces propositions sont très préoccupantes en raison de leur incompatibilité avec les normes internationales en matière de droits humains, et en particulier avec la Convention européenne des droits de l’homme. Le 16 avril 2024, la commission de suivi a sollicité l'avis de la Commission de Venise sur ces projets de lois constitutionnelles. Il est préoccupant que des propositions aussi controversées sur un sujet aussi passionnel soient lancées dans un environnement politique préélectoral polarisé. Nous regrettons les indications claires que leur introduction était en fait principalement due à des fins électorales, dans ce que la précédente Commissaire aux droits de l'homme, Dunja Mijatović 
			(55) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/georgia-political-manipulation-and-harassment-of-lgbti-people-and-human-rights-defenders-have-no-place-in-a-democratic-society'>Communiqué</a> de la Commissaire aux droits de l’homme (27 mars 2024)., a qualifié de manipulation politique de la LGBTI-phobie à l'approche des élections. Nous demandons instamment aux autorités de prendre pleinement en compte toutes les conclusions et recommandations contenues dans l'avis de la Commission de Venise 
			(56) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2024)021-f'>CDL-AD(2024)021</a>. sur ces lois.

6. Conclusions

54. Jusque récemment, la Géorgie faisait figure d’exemple dans la région pour ses capacités de réforme et sa volonté de coopérer avec le Conseil de l’Europe afin de respecter ses obligations et engagements d’État membre. En pays exemplaire, la Géorgie se distinguait par sa volonté affichée de s’engager dans un dialogue ouvert et constructif de nature à garantir que ses politiques et ses réformes respectent les règles et les normes européennes les plus strictes.
55. Malheureusement et à notre grand regret, les récents développements remettent sérieusement en question la volonté du pays de respecter ses obligations et ses engagements d’État membre du Conseil de l’Europe. La coopération et le dialogue constructifs ont été remplacés par un discours virulent et intransigeant et par des attaques contre quiconque exprimerait des inquiétudes ou un désaccord au sujet des politiques mises en œuvre par les autorités. Le progrès a cédé la place au recul.
56. La Loi sur la transparence de l’influence étrangère et la façon dont elle a été adoptée –– sont de toute évidence contraires aux normes européennes en matière de démocratie et de droits humains ainsi qu’aux obligations et engagements de la Géorgie à l’égard du Conseil de l’Europe. Cette loi n’a rien à voir avec la transparence – pour laquelle un cadre juridique complet existe déjà en Géorgie – ni avec la prévention d’une ingérence étrangère secrète à des fins malveillantes. Au contraire, elle vise clairement à établir un contrôle politique sur la société civile et les médias. Cette loi devrait être abrogée dans son intégralité sans plus attendre.
57. Les manifestations et la réaction de la société géorgienne à l’instauration de la Loi sur la transparence de l’influence étrangère traduisent les attentes élevées des citoyens et leur attachement à la consolidation démocratique du pays et à la poursuite de l’intégration euro-atlantique. Par conséquent, nous restons convaincus et nous gardons l’espoir que la Géorgie sera tout à fait capable de surmonter les défis, aussi profonds soient-ils, qui se dressent sur son chemin.
58. Une question claire et simple devrait donc être posée aux autorités actuelles: sont-elles toujours déterminées à assurer la consolidation démocratique du pays et à poursuivre l’intégration européenne? Si tel est le cas, sont-elles prêtes et disposées à respecter les engagements découlant de l’adhésion du pays au Conseil de l’Europe?
59. Pour notre part, nous réitérons l’engagement de l’Assemblée en faveur de la coopération et d’un dialogue constructif. Cela étant, les préoccupations valablement exprimées sur l’orientation démocratique de la Géorgie doivent être abordées dans un esprit d’ouverture et de manière constructive. La confrontation doit céder la place à la coopération et au dialogue.
60. L’adoption de la Loi sur la transparence de l’influence étrangère et les développements connexes ne peuvent être dissociés des élections législatives qui auront lieu prochainement en Géorgie. Il est clair que ces développements auront des conséquences majeures sur le climat et les processus électoraux, ainsi que sur la manière dont l’équité et la légitimité des élections et de leurs résultats seront perçues par les acteurs concernés et par l’électorat géorgien.
61. Compte tenu de l’importance des prochaines élections et de la nécessité qu’elles soient acceptées et légitimes, il sera important que l’Assemblée déploie une délégation d’observateurs aussi importante que possible, dans le cadre d’une mission internationale d’observation des élections.
62. Nous avons l’intention de participer activement à l’observation des élections et nous retournerons dans le pays dès qu’elles auront eu lieu, dans le cadre de la préparation de notre prochain rapport sur le respect des obligations et engagements de la Géorgie auprès du Conseil de l’Europe.