Imprimer
Autres documents liés

Rapport | Doc. 16134 | 19 mars 2025

Mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Constantinos EFSTATHIOU, Chypre, SOC

Origine - Renvoi en commission: Décision du Bureau, Renvoi 4729 du 28 avril 2023. 2025 - Deuxième partie de session

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 3 mars 2025.

(open)
1. L'année 2025 marquera le 75e anniversaire de l'adoption de la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5, «la Convention»). L'Assemblée parlementaire célèbre l'histoire et l'impact extraordinaire du système établi par cet instrument unique. La Convention et la Cour européenne des droits de l'homme («la Cour») ont contribué à promouvoir la paix sur le continent, ce qui a valu à la Cour le Prix de la paix de Dresde en janvier 2025. La Convention et la Cour ont également contribué à consolider la démocratie et l'État de droit sur notre continent et à créer un vaste espace juridique dans lequel toute personne peut être protégée contre les violations des droits humains et obtenir réparation en cas de violation de ces droits. À ce jour, elles représentent le système supranational le plus avancé au monde en matière de protection des droits humains.
2. L'Assemblée rappelle l'obligation faite sans équivoque aux États parties à la Convention d'exécuter les arrêts de la Cour en temps utile et de manière effective. Elle souligne en outre que les États parties sont tenus de se conformer aux mesures provisoires indiquées par la Cour, car elles sont essentielles pour garantir une mise en œuvre effective des arrêts.
3. Dans la Déclaration de Reykjavík adoptée lors du 4e Sommet des chefs d'État et de gouvernement du Conseil de l'Europe (16-17 mai 2023), les États ont souligné l'importance fondamentale de l'exécution des arrêts de la Cour. Ils ont réaffirmé leur attachement indéfectible au système de la Convention, sont convenus de redoubler d'efforts pour assurer une exécution complète, efficace et rapide des arrêts de la Cour, et ont défini une série de mesures spécifiques pour permettre d’y parvenir. Les chefs d'État et de gouvernement, rappelant qu'il incombe aussi aux parlements nationaux de se conformer aux arrêts de la Cour, ont invité le Président de l'Assemblée à renforcer le dialogue politique avec les interlocuteurs nationaux dans ce domaine.
4. L'Assemblée se félicite des engagements pris lors du Sommet de Reykjavík, ainsi que du travail considérable accompli à ce jour pour mettre en œuvre les mesures demandées par les chefs d'État et de gouvernement.
5. Bien que la grande majorité des arrêts de la Cour soient exécutés, l'Assemblée s'inquiète du fait que certains États ne remédient pas aux causes profondes des violations des droits humains relevées dans certains arrêts, comme en témoignent les affaires en cours d'exécution qui ont été classées par le Comité des Ministres comme des «affaires de référence». Les affaires de référence mettent généralement en lumière un problème plus général de violation des droits humains qui touche de nombreuses personnes. Si des réformes ne sont pas mises en œuvre pour exécuter ces arrêts, le problème de fond peut persister et causer un préjudice à un plus grand nombre de personnes. La non-exécution de ces arrêts peut également entraîner des requêtes répétitives devant la Cour, ce qui alourdit sa charge de travail et nuit à l’efficience et à l'efficacité de l'ensemble du système de la Convention. L’examen du nombre total d’affaires en attente d’exécution pour un État n’est que d’une utilité limitée pour appréhender le respect par cet État de la Convention et de la jurisprudence de la Cour, car le nombre de ces affaires peut souvent être réduit simplement par le versement d’une satisfaction équitable. Le nombre et le type d’affaires de référence en attente d’exécution sont un indicateur important, car ces derniers ne peuvent souvent être exécutés qu’en prenant les mesures générales nécessaires pour résoudre les problèmes sous-jacents en matière de droits humains.
6. Neuf États comptent plus de 40 affaires de référence en attente d'exécution: l'Azerbaïdjan, la Bulgarie, la Hongrie, l'Italie, la République de Moldova, la Pologne, la Roumanie, la Türkiye et l'Ukraine. Ces États comptent également le plus grand nombre d'affaires de référence en attente d'exécution depuis plus de cinq ans, ce qui indique que les questions relatives aux droits humains ne sont pas réglées dans un délai raisonnable. L'Assemblée exhorte ces pays en particulier à prendre des mesures d'urgence pour améliorer systématiquement leur exécution des arrêts de la Cour.
7. L'Assemblée est consciente que la situation en Ukraine est complexe par rapport à d'autres pays en raison de la guerre d'agression russe et que l'exécution des arrêts de la Cour se heurte à des difficultés particulières en raison de cette guerre. L'Assemblée se félicite du fait que, même dans ces circonstances difficiles, les autorités ukrainiennes, sont restées fermes, ont confirmé et continuent à démontrer leur engagement à respecter pleinement la Convention et à prendre un certain nombre de mesures pour résoudre les problèmes structurels relevés par la Cour.
8. Les «Principes de Reykjavík pour la démocratie» énoncés à l'annexe III de la Déclaration de Reykjavík de 2023 réaffirment que la démocratie est le «seul moyen de garantir que chaque personne puisse vivre dans une société pacifique, prospère et libre». Les États membres du Conseil de l'Europe ont décidé d'éviter «le recul de la démocratie sur [le continent européen] et d'y résister». L'un des principaux moyens d'y parvenir est l'exécution des arrêts de la Cour, notamment ceux qui concernent la protection de la liberté d'expression, de la liberté de réunion, de la liberté d'association, du droit à des élections libres et équitables et de l'indépendance du pouvoir judiciaire, ainsi que les arrêts qui mettent en évidence une restriction abusive des droits et libertés constitutive d'une violation de l'article 18 de la Convention. L'Assemblée exhorte les États parties à la Convention à exécuter ces arrêts en priorité.
9. L'Assemblée juge absolument inadmissible que l'affaire Kavala c. Turquie, qui a fait l'objet d'une procédure en manquement en vertu de l'article 46, paragraphe 4, de la Convention, n'ait pas encore été exécutée et que M. Kavala soit toujours emprisonné. L'Assemblée rappelle sa Résolution 2518 (2023) «Appel à la libération immédiate d'Osman Kavala», notamment sa conclusion selon laquelle l'affaire mérite l'ouverture de la procédure complémentaire conjointe prévue dans la Résolution 2319 (2020) «Procédure complémentaire conjointe entre le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire en cas de violation grave par un État membre de ses obligations statutaires». Elle réitère son appel lancé à la Türkiye pour qu'elle libère immédiatement M. Kavala, conformément à ses obligations au titre de la Convention et du Statut du Conseil de l'Europe (STE n° 1).
10. L'exécution des affaires interétatiques et des affaires qui présentent des caractéristiques interétatiques est également un sujet de préoccupation considérable. L'Assemblée appelle les États parties actuels et anciens à la Convention qui font l'objet de ces arrêts à respecter leurs obligations internationales. L'Assemblée appelle en outre les États membres et les autres parties prenantes du système de la Convention à faire la démonstration de la volonté politique et de l’engagement nécessaires pour faire progresser l'exécution de ces affaires.
11. Afin de renforcer d'urgence l'exécution des arrêts de la Cour, l'Assemblée appelle les États parties à la Convention à mettre en œuvre les mesures énoncées au paragraphe 7 de la Résolution 2494(2023).
12. En particulier, l'Assemblée exhorte les États parties à la Convention à veiller à ce que des mécanismes nationaux de coordination efficaces soient mis en place et qu'ils disposent d'une autorité et de ressources suffisantes, ainsi que de la participation de l'ensemble du gouvernement, pour permettre l'exécution rapide et efficace des arrêts de la Cour. Le Conseil de l'Europe a mené une étude sur plusieurs pays afin de recenser les bonnes pratiques qui permettent de disposer d'une capacité nationale d'exécution rapide des arrêts et décisions de la Cour (dans le cadre du projet «Soutien à une capacité nationale efficace pour l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme»). L'Assemblée exhorte les États parties à utiliser les conclusions de cette étude pour apporter les modifications nécessaires à leurs propres dispositions nationales, afin de garantir l'exécution complète et rapide des arrêts de la Cour. L'Assemblée se félicite de la création du Réseau des coordinateurs de l'exécution en juin 2024, et décide de mener toute activité conjointe que le Réseau et l'Assemblée jugent constructive.
13. L'Assemblée invite également les parlements nationaux à jouer leur rôle dans l'exécution des arrêts de la Cour, en mettant en œuvre les «Principes fondamentaux du contrôle parlementaire des normes internationales relatives aux droits de l’homme» énoncés par l'Assemblée dans la Résolution 1823 (2011) «Les parlements nationaux: garants des droits de l'homme en Europe». Ceux-ci exigent la mise en place de structures parlementaires adéquates pour assurer un suivi et un contrôle rigoureux et régulier du respect des obligations internationales en matière de droits humains, telles qu'une commission des droits humains spécialisée ou une structure analogue. Les compétences de ces structures devraient prévoir l'examen régulier de l'exécution des arrêts de la Cour par l'État concerné, des initiatives de modification de la législation afin de garantir le respect de la Convention et l'exécution des arrêts de la Cour, ainsi que la vérification systématique de la compatibilité de tous les projets de loi avec les obligations internationales en matière de droits humains. Il est essentiel que ces structures parlementaires disposent d'un personnel suffisant et spécialisé ainsi que des ressources nécessaires pour mener à bien ces missions.
14. L'Assemblée se félicite de la contribution de la Commission européenne dans ses rapports sur l'État de droit, qui met en lumière les problèmes liés à l'exécution des arrêts de la Cour. L'Assemblée invite la Commission européenne à mentionner plus fréquemment l'exécution des arrêts de la Cour dans ses listes de recommandations énoncées dans les chapitres par pays du rapport sur l'État de droit, (a) en recommandant aux États d'exécuter des arrêts précis qui sont importants pour assurer la protection de l'État de droit, et/ou (b) en recommandant aux États d'améliorer leur bilan global d'exécution des arrêts de référence de la Cour, pour les pays où l'exécution de ces arrêts pose un problème important.
15. L'Assemblée souligne l'obligation continue de la Fédération de Russie d'exécuter les arrêts de la Cour et se félicite des mesures prises par le Comité des Ministres pour continuer à surveiller les affaires relatives à la Fédération de Russie, en particulier par le biais de ses contacts avec d'autres organisations internationales, notamment les Nations Unies. L'Assemblée décide d'examiner plus avant si des mesures supplémentaires pourraient être prises pour assurer le paiement de la satisfaction équitable accordée par la Cour dans ces affaires, notamment dans certaines affaires interétatiques.
16. L'Assemblée décide également de poursuivre et de renforcer son rôle dans la promotion de l'exécution complète, efficace et rapide des arrêts de la Cour, conformément à la Déclaration de Reykjavík et aux décisions ultérieures du Comité des Ministres. Les travaux supplémentaires entrepris depuis la Déclaration de Reykjavík comprennent un soutien accru au Président de l'Assemblée pour soulever la question de l'exécution des arrêts de la Cour lors de réunions de haut niveau, ainsi que des réunions d'information à l'intention des délégations nationales sur l'exécution des arrêts de la Cour dans leur État. Sous réserve de disposer de fonds suffisants, l'Assemblée décide de créer un Réseau de parlementaires pour promouvoir l'exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme. Les membres du réseau pourraient échanger les bonnes pratiques en matière d'exécution des arrêts au sein de l'Assemblée et, dans le même temps, promouvoir l'exécution des arrêts au niveau national dans leur propre pays, par exemple en dialoguant avec les interlocuteurs nationaux concernés ou en encourageant les réformes législatives et structurelles.
17. Compte tenu de la nécessité d'améliorer l'exécution des arrêts de la Cour, l'Assemblée décide de rester saisie de cette question et de continuer à lui accorder la priorité.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 3 mars 2025.

(open)
1. Se référant à sa Résolution … (2025) «Mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme», l'Assemblée parlementaire se félicite des mesures prises par le Comité des Ministres et l'Organisation dans son ensemble pour mettre en œuvre les dispositions de la Déclaration de Reykjavík de 2023 relatives à l'exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour»). Il s'agit notamment des mesures prises pour accroître les ressources du Service de l'exécution des arrêts, renforcer la synergie entre le Service de l'exécution des arrêts et les programmes de coopération du Conseil de l'Europe, accroître la transparence du processus de surveillance des arrêts, établir un réseau de coordinateurs nationaux pour l'exécution des arrêts, renforcer le dialogue institutionnel entre la Cour et le Comité des Ministres, mener des activités conjointes avec l'Assemblée et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, et définir les mesures prévisibles et progressives que le Comité des Ministres doit prendre avant d'engager la procédure en manquement en vertu de l'article 46 de la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5, «la Convention»).
2. La grande majorité des arrêts de la Cour sont exécutés. Néanmoins, et malgré le travail accompli pour mettre en œuvre les mesures demandées par les chefs d'État et de gouvernement dans la Déclaration de Reykjavík, le nombre d'affaires de référence en attente d'exécution reste élevé. L'Assemblée recommande donc au Comité des Ministres de renforcer encore son action pour mettre en œuvre les mesures énoncées dans la Déclaration de Reykjavík en vue d'améliorer l'exécution des arrêts de la Cour.
3. L'Assemblée rappelle le rôle central que joue l'exécution des arrêts de la Cour dans le système de la Convention et la charge de travail de la Cour. Compte tenu de la forte proportion d'affaires de la Cour classées répétitives, le financement du travail supplémentaire nécessaire pour promouvoir l'exécution des arrêts de la Cour, en particulier pour les affaires de référence, représente un investissement dans le système qui garantira sa viabilité à long terme. L'Assemblée demande donc:
3.1. une nouvelle augmentation des ressources mises à la disposition du Service de l'exécution des arrêts;
3.2. une augmentation du financement des projets de coopération technique visant à promouvoir l'exécution des arrêts de la Cour, en mettant particulièrement l'accent sur les affaires de référence qui révèlent des problèmes structurels ou complexes;
3.3. la poursuite du financement et de l'engagement des États en faveur du projet «Soutien à une capacité nationale efficace pour l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme» en particulier, compte tenu de son rôle essentiel dans le renforcement des capacités nationales d'exécution des arrêts.
4. L'Assemblée note également que la Déclaration de Reykjavík appelle à un renforcement du dialogue politique en cas de difficultés dans l'exécution des arrêts et encourage la participation de représentants à haut niveau des États défendeurs. L'Assemblée appelle le Comité des Ministres à redoubler d'efforts pour assurer une participation de haut niveau aux discussions sur l'exécution des arrêts de la Cour, afin de faciliter le dialogue au niveau politique. L'Assemblée renforcera ses propres activités pour promouvoir le dialogue politique dans les affaires difficiles.
5. En ce qui concerne ses propres activités, l'Assemblée se félicite de la reconnaissance, dans la Déclaration de Reykjavík, de l'importance de la participation des parlements nationaux à l'exécution des arrêts, ainsi que de l'invitation faite au Président de l'Assemblée de renforcer son dialogue politique avec les interlocuteurs nationaux sur l'exécution des arrêts. L'Assemblée se félicite en outre de la décision prise par le Comité des Ministres le 7 février 2024 d'inviter «l'Assemblée parlementaire et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux à renforcer leur dialogue avec leurs interlocuteurs nationaux respectifs sur l'exécution des arrêts, tant au niveau politique que technique, et [de charger] le Service de l'exécution des arrêts [de leur] apporter son assistance».
6. L'Assemblée prend note des mesures qu'elle a prises pour renforcer le travail des parlementaires en vue de promouvoir l'exécution des arrêts de la Cour conformément à la Déclaration de Reykjavík, notamment le renforcement du soutien apporté au Président de l'Assemblée pour soulever la question de l'exécution des arrêts lors de réunions de haut niveau, et l'organisation par le Service de l'exécution des arrêts de réunions d'information à l'intention des délégations nationales sur l'exécution des arrêts de la Cour dans les États membres. L'Assemblée fait part de son intention de renforcer encore ses activités dans ce domaine.

C. Exposé des motifs par M. Constantinos Efstathiou, rapporteur 
			(3) 
			La commission des questions
juridiques et des droits de l’homme m’a désigné rapporteur lors
de sa réunion à Strasbourg le 20 juin 2023.

(open)

1. Introduction

1. Un de mes clients devant la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour» ou «la Cour européenne») n’était encore qu’un enfant. Il avait 17 ans lorsqu’il a été accusé de crimes graves. Son procès à Chypre a été une parodie de justice, mais il a été reconnu coupable et condamné à 14 ans d’emprisonnement. Nous avons porté l’affaire devant la Cour et nous avons gagné. La Cour a estimé qu’il y avait eu de multiples violations du droit à un procès équitable et que mon client n’aurait jamais dû être condamné à la suite d’une telle procédure. L’étape suivante aurait naturellement dû être sa libération et la tenue d’un nouveau procès. Or, ce n’est pas ce qui s’est passé. En effet, il s’est écoulé un délai tellement long entre l’introduction de la requête devant la Cour et le prononcé de l’arrêt que mon client avait déjà été libéré pour bonne conduite après plus de six ans d’emprisonnement.
2. Malheureusement, ce n’est pas une histoire qui finit bien. Après avoir passé des années en prison à un si jeune âge, le garçon a développé des problèmes de santé mentale. Il s’est marié, puis a divorcé et n’a pas réussi à trouver un emploi pour payer la pension alimentaire de ses enfants en raison de son casier judiciaire.
3. Quoi qu’il en soit, je ne raconte pas cette histoire pour reprocher à la Cour européenne ce qui est arrivé à mon client. Je la raconte pour mettre en lumière les répercussions de la non-exécution des arrêts de la Cour sur l’ensemble du système de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»). Si la Cour gagne en efficacité chaque année, il y a une limite au nombre de requêtes qu’elle peut traiter avec des ressources restreintes – elle a jugé cette affaire aussi vite qu’elle le pouvait à l’époque. Si le système fonctionnait efficacement, une fois constatée une violation de la Convention par la Cour, les États veilleraient rapidement à ce que le même problème ne se reproduise pas, afin de prévenir d’autres violations des droits humains et d’éviter que la Cour ne croule sous les requêtes. Pourtant, 84 % des arrêts dans lesquels la Cour a conclu à une violation ces cinq dernières années ont ensuite été classés par le Comité des Ministres comme des affaires «répétitives», au motif que le type de violation constatée avait déjà fait l’objet d’un arrêt de la Cour. En d’autres termes, cinq arrêts de la Cour sur six qui concluent à une violation concernent un problème plus large de droits humains que la Cour a déjà observé dans l’État en question 
			(4) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/execution/annual-reports'>Rapport
annuel 2024</a> sur la surveillance de l’exécution des arrêts
et décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, page 137,
figure C.1, et page 172, figure B.1 [2024 – 201 affaires de référence,
1 092 affaires répétitives; 2023 – 183 affaires de référence, 1 074
affaires répétitives; 2022 – 188 affaires de référence, 1 271 affaires
répétitives; 2021 – 216 affaires de référence, 1 163 affaires répétitives;
2020 – 195 affaires de référence, 788 affaires répétitives; Total:
983 affaires de référence, 5 388 affaires répétitives (6 371 affaires
au total)]..
4. Plus de 79 % des arrêts de la Cour ont été exécutés. En cette année du 75e anniversaire de la Convention, il convient de rappeler l'importance de ces arrêts. Ils ont conduit à la libération de prisonniers politiques 
			(5) 
			Par exemple, <a href='https://www.coe.int/fr/web/impact-convention-human-rights/-/une-proc%C3%A9dure-de-la-cour-europ%C3%A9enne-aboutit-%C3%A0-l-acquittement-d-un-opposant-politique'>Ilgar
Mammadov c. Azerbaïdjan</a> (requête n° 15172/13), arrêt du 22 mai 2014; Rasul Jafarov
c. Azerbaïdjan (requête n° 69981), arrêt du 17 mars 2016., à la protection de la liberté d'expression, de réunion et d'association, qui sont le fondement de la vie démocratique 
			(6) 
			Par exemple, <a href='https://www.coe.int/fr/web/impact-convention-human-rights/-/the-right-to-criticise-public-officials-must-be-protected'>Lepojić
c. Serbie</a> (requête n° 13909/05), arrêt du 6 novembre 2007; <a href='https://www.coe.int/fr/web/impact-convention-human-rights/-/media-law-changed-after-columnist-fined-for-criticising-politician'>Falzon
c. Malte</a> (requête n° 45791/13), arrêt du 20 mars 2018; <a href='https://www.coe.int/fr/web/impact-convention-human-rights/-/justice-for-magazine-editor-ordered-to-pay-huge-damages-and-new-rules-to-protect-free-speech'>Koprivica
c. Monténégro</a> (requête n° 41158/09), arrêt du 22 novembre 2011; <a href='https://www.coe.int/fr/web/impact-convention-human-rights/-/free-speech-reforms-after-writer-prosecuted-for-reporting-allegations-of-police-brutality'>Thorgeir Thorgeirson
c. Islande</a> (requête n° 13778/88), arrêt du 25 juin 1992; <a href='https://www.coe.int/fr/web/impact-convention-human-rights/-/assurance-d-une-meilleure-protection-pour-les-manifestations-pacifiques-apr%C3%A8s-l-interdiction-d-un-rassemblement'>Bączkowski
et autres c. Pologne</a> (requête n° 1543/06), arrêt du 3 mai 2007; <a href='https://www.coe.int/fr/web/impact-convention-human-rights/-/free-speech-group-helps-strengthen-the-right-to-public-protest'>Hyde
Park et autres c. Moldova</a> (requête n° 33482/06), arrêt du 31 mars 2009; <a href='https://www.coe.int/fr/web/impact-convention-human-rights/-/arrest-of-human-rights-campaigner-during-his-anti-corruption-protest-sparks-freedom-of-assembly-reforms'>Vyerentsov
c. Ukraine</a> (requête n° 20372/11), arrêt du 11 avril 2013., à la dépénalisation de l'homosexualité 
			(7) 
			Par exemple <a href='https://www.coe.int/fr/web/impact-convention-human-rights/-/un-homme-pers%C3%A9cut%C3%A9-en-raison-de-son-orientation-sexuelle-gagne-un-proc%C3%A8s-qui-fait-jurisprudence-transformant-la-loi-en-irlande-du-nord-et-au-del%C3%A0'>Dudgeon
c. Royaume-Uni</a> (requête n° 7525/76), arrêt du 22 octobre 1981; <a href='https://www.coe.int/fr/web/impact-convention-human-rights/-/combat-d-un-irlandais-pour-obtenir-la-l%C3%A9galisation-de-l-homosexualit%C3%A9-dans-son-pays'>Norris
c. Irlande</a> (requête n° 10581/83), arrêt du 26 octobre 1988; <a href='https://www.coe.int/fr/web/impact-convention-human-rights/-/d%C3%A9criminalisation-de-l-homosexualit%C3%A9-apr%C3%A8s-qu-un-architecte-remporte-une-affaire-devant-la-cour-europ%C3%A9enne'>Modinos
c. Chypre</a> (requête n° 15070/89), arrêt du 22 avril 1993., à l'instauration de procès plus équitables 
			(8) 
			Par exemple, <a href='https://www.coe.int/fr/web/impact-convention-human-rights/-/r%C3%A9formes-concernant-les-proc%C3%A8s-%C3%A9quitables-%C3%A0-la-suite-de-la-condamnation-%C3%A0-quarante-ans-de-prison-d-un-innocent'>Ajdarić
c. Croatie</a> (requête n° 20883/09), arrêt du 13 décembre 2011; <a href='https://www.coe.int/fr/web/impact-convention-human-rights/-/un-proc%C3%A8s-inique-conduit-%C3%A0-des-r%C3%A9formes-pour-assurer-une-bonne-administration-de-la-justice'>Igual
Coll c. Espagne</a> (requête n° 37496/04), arrêt du 10 mars 2009; <a href='https://www.coe.int/fr/web/impact-convention-human-rights/-/les-soup%C3%A7ons-de-partialit%C3%A9-pesant-sur-un-juge-ont-conduit-%C3%A0-des-r%C3%A9formes-pour-prot%C3%A9ger-l-%C3%A9quit%C3%A9-du-syst%C3%A8me-judiciaire'>DMD
Group, a.s. c. Slovaquie</a> (requête n° 19334/03), arrêt du 5 octobre 2010., à la fin de l'impunité pour les actes de torture et les mauvais traitements dans de nombreux États 
			(9) 
			Par exemple, <a href='https://www.coe.int/fr/web/impact-convention-human-rights/-/r%C3%A9formes-visant-%C3%A0-faire-cesser-les-violences-polici%C3%A8res-contre-les-d%C3%A9tenus-%C3%A0-la-suite-de-la-torture-d-un-homme-plac%C3%A9-en-garde-%C3%A0-vue'>Kaçiu
et Kotorri c. Albanie</a> (requêtes n° 33192/07 et 33194/07), arrêt du 25 juin
2013; <a href='https://www.coe.int/fr/web/impact-convention-human-rights/-/stronger-protections-for-detainees-after-police-mistreat-dental-technician'>Kummer
c. République tchèque</a> (requête n° 32133/11), arrêt du 25 juillet 2013; <a href='https://www.coe.int/fr/web/impact-convention-human-rights/-/justice-after-authorities-failed-to-investigate-allegations-of-police-brutality'>Mihhailov
c. Estonie</a> (requête n° 64418/10), arrêt du 30 août 2016., à l'adoption de lois visant à protéger la magistrature et les procureurs du contrôle du gouvernement 
			(10) 
			Par
exemple, <a href='https://www.coe.int/fr/web/impact-convention-human-rights/-/r%C3%A9int%C3%A9gration-d-un-juge-qui-se-disait-victime-d-une-affaire-de-corruption-politique'>Oleksandr
Volkov c. Ukraine</a> (requête n° 21722/11), arrêt du 9 janvier 2013; <a href='https://www.coe.int/fr/web/impact-convention-human-rights/-/new-law-protects-anti-corruption-prosecutors-from-political-interference'>Kövesi
c. Roumanie</a> (requête n° 3594/19), arrêt du 5 mai 2020., à l'adoption de mesures de lutte contre l'esclavage et la traite des êtres humains 
			(11) 
			Par
exemple, <a href='https://www.coe.int/fr/web/impact-convention-human-rights/-/mort-d-une-victime-pr%C3%A9sum%C3%A9e-de-la-traite-des-%C3%AAtres-humains'>Rantsev
c. Chypre et Russie</a> (requête n° 25965/04), arrêt du 7 janvier 2010; <a href='https://www.coe.int/fr/web/impact-convention-human-rights/-/incrimination-de-la-traite-des-%C3%AAtres-humains-%C3%A0-la-suite-de-l-esclavage-domestique-subi-%C3%A0-paris-par-une-fille-de-14-ans'>Siliadin
c. France</a> (requête n° 73316/01), arrêt du 26 juillet 2005; <a href='https://www.coe.int/fr/web/impact-convention-human-rights/-/r%C3%A9forme-de-la-pratique-pour-combattre-la-traite-des-%C3%AAtres-humains'>L.E.
c. Grèce</a> (requête n° 71545/12), arrêt du 21 janvier 2016. et à d'innombrables autres réalisations. Il ne s'agit là que de quelques exemples des 26 379 arrêts qui ont été exécutés 
			(12) 
			Données extraites de
la base de données HUDOC-EXEC, 12 février 2025: 33 207 arrêts de
la Cour, dont 26 379 pour lesquels la surveillance de l'exécution
a été clôturée et 6 828 pour lesquels elle reste pendante.. J'encourage les lecteurs à consulter le site web «Impact de la Convention européenne des droits de l'homme» à l'adresse www.coe.int/echr, pour voir comment les arrêts de la Cour ont permis d'améliorer la situation dans les États membres.
5. La Convention et la Cour sont donc des réalisations monumentales dans l'histoire de notre continent. Pourtant, malgré ces succès, le manquement de certains États à remédier aux causes profondes des violations des droits humains recensées dans une minorité d’arrêts pèse très lourdement sur l’ensemble du système de la Convention, car la Cour est surchargée de requêtes répétitives. Dans notre monde interconnecté, le destin d’un jeune homme à Chypre peut dépendre de l’inefficacité de l’exécution des arrêts dans le reste de l’Europe.
6. Lors du Sommet de mai 2023, les chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe ont adopté la Déclaration de Reykjavík 
			(13) 
			<a href='https://rm.coe.int/4e-sommet-des-chefs-d-etat-et-de-gouvernement-du-conseil-de-l-europe/1680ab40c0'>Déclaration
de Reykjavík – Unis autour de nos valeurs.</a>. L’annexe IV, qui porte sur le système de la Convention, souligne «l’importance fondamentale de l’exécution des arrêts de la Cour et d’une surveillance effective de cette procédure pour s’assurer de la pérennité à long terme, de l’intégrité et de la crédibilité du système de la Convention». Dans ce cadre, les États se sont engagés à «résoudre les problèmes systémiques et structurels en matière de droits de l’homme, identifiés par la Cour, et à assurer l’exécution pleine, effective et rapide des arrêts définitifs de la Cour, compte tenu de leur caractère contraignant […], tout en rappelant également l’importance d’impliquer les parlements nationaux dans l’exécution des arrêts». Les «Principes de Reykjavík pour la démocratie», qui figurent en annexe III de la Déclaration de Reykjavík, ont été adoptés en même temps.
7. En choisissant le thème de ce 12e rapport, j’ai souhaité intégrer ce regain d’intérêt pour le respect du système de la Convention, pour l’exécution rapide et efficace des arrêts de la Cour et pour un soutien renforcé aux principes démocratiques. Par conséquent, le présent rapport traite plus spécifiquement des points suivants:
  • l’importance du traitement des affaires de référence (section 3);
  • l’exécution des arrêts qui protègent les principes démocratiques, notamment ceux relatifs à la liberté d’expression, à la liberté de réunion et d’association, au droit à des élections libres et équitables, au détournement du droit pour violer les droits humains et à l’indépendance du pouvoir judiciaire (section 4);
  • les difficultés d’exécution des arrêts liés aux affaires interétatiques (section 5);
  • l’exécution des arrêts qui concernent la Fédération de Russie (section 6);
  • la mise en œuvre des mesures énoncées dans la Déclaration de Reykjavík pour promouvoir l’exécution des arrêts de la Cour (section 7);
  • le rôle de l’Assemblée parlementaire et des parlementaires nationaux dans l’exécution des arrêts de la Cour (section 8).
8. Dans le cadre de la préparation du présent rapport, un grand nombre de réunions et d’auditions ont été organisées, notamment: des auditions centrées sur l’exécution des arrêts par trois États en particulier (Albanie, Arménie et Türkiye) 
			(14) 
			Les dates et les participants
aux auditions concernant chaque État sont précisés ci-après. 
			(14) 
			Une
audition sur l’exécution des arrêts par l’Albanie a été organisée
à Tirana le 4 juillet 2024 par la sous-commission sur la mise en
œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, avec
la participation de Mme Etilda Gjonaj, membre
de la délégation albanaise à l’Assemblée et ancienne ministre de
la Justice, et de Mme Erida Skëndaj,
directrice exécutive du Comité Helsinki albanais. 
			(14) 
			Une
audition sur l’exécution des arrêts par l’Arménie a été organisée
à Erevan le 9 décembre 2024 par la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme, avec la participation de M. Yeghishe Kirakosyan, représentant
de la République d’Arménie auprès de la Cour européenne des droits
de l’homme; Mme Arpi Harutyunyan, responsable
du portefeuille de la justice et des droits de l’homme, Democracy Development Foundation;
et Mme Araks Melkonyan, présidente de
l’organisation non gouvernementale Protection des droits sans frontières. 
			(14) 
			Une
audition sur l’exécution des arrêts par la Türkiye a été organisée
à Strasbourg le 29 janvier 2025 par la commission des questions
juridiques et des droits de l’homme, avec la participation de M. Alper
Hakkı Yazıcı, vice-président du département des droits de l’homme
du ministère de la Justice, et de M. Yıldırım Tuğrul Türkeş, président
de la délégation turque à l’Assemblée.; des visites d’information en Arménie et en Pologne 
			(15) 
			Des visites d’information
ont été effectuées en Pologne les 18 et 19 septembre 2024 et en
Arménie le 11 décembre 2024.; la participation à une table ronde à Bruxelles avec le Conseil des Barreaux européens 
			(16) 
			La table ronde a eu
lieu le 23 avril 2024, dans les bureaux du Conseil des Barreaux
européens, en présence de M. Givi Mikanadze (Géorgie, NI), le président
de la sous-commission sur la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne
des droits de l’homme de l’époque, entre autres.; et des réunions tenues avec des représentants du Comité des Ministres, de la Direction générale Droits humains et État de droit du Conseil de l’Europe, de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Direction générale de la justice et des consommateurs de l’Union européenne 
			(17) 
			Des
réunions ont été organisées avec les personnes suivantes: Ambassadeur
Seland, en sa qualité de président du groupe de travail «GR-H» sur
les droits humains du Comité des Ministres (29 janvier 2025); Mme Claire
Ovey, directrice des droits humains et M. Frédéric Dolt, chef du
Service de l’exécution des arrêts du Conseil de l’Europe (29 janvier
2025); Mme Anna Ramade, conseillère juridique
principale; Mme Zoe Bryanston-Cross,
cheffe adjointe du cabinet du Président de la Cour; et M. Klaudiusz
Ryngielewicz, adjoint à la Greffière, Direction du filtrage et des
services de soutien, Service des méthodes de travail à la Cour (10 février
2025); M. Julien Mousnier, directeur des Droits fondamentaux et
de la démocratie à la DG JUST de l’Union européenne, ainsi que les
responsables politiques Mme Christina
Karakosta et Mme Sara Vassalo Amorim
(11 février 2025)..

2. Statistiques générales

9. Le Rapport annuel 2024 sur la surveillance de l’exécution des arrêts et décisions de la Cour européenne des droits de l’homme est le plus récent à ce jour 
			(18) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/execution/annual-reports'>Rapport
annuel 2024</a>.. Il indique que 3 916 arrêts de la Cour concernant des États membres sont en attente d’exécution et cite les dix États membres qui ont le plus grand nombre d’affaires en attente d’exécution complète (par ordre décroissant): Ukraine (842), Türkiye (440), Roumanie (411), Azerbaïdjan (329), Italie (310), Hongrie (198), Bulgarie (164), République de Moldova (164), Pologne (147) et Géorgie (73) 
			(19) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/execution/annual-reports'>Rapport
annuel 2024</a>, tableau D.3, page 145..

3. L’importance du traitement des affaires de référence

10. Sur les 3 916 affaires en attente d’exécution concernant des États membres citées dans le Rapport annuel 2024, 1 149 sont des affaires dites «de référence», c’est-à-dire des affaires qui révèlent un problème en droit ou en pratique et nécessitent souvent l’adoption de mesures générales pour prévenir la répétition de violations des droits humains 
			(20) 
			Le terme «affaire de
référence» est défini dans le glossaire du <a href='https://www.coe.int/fr/web/execution/annual-reports'>Rapport
annuel 2024</a> (p. 179) comme une «affaire ayant été identifiée
comme révélant un problème, en droit et/ou en pratique, au niveau
national, nécessitant souvent l’adoption par l’État défendeur de
mesures générales nouvelles ou supplémentaires pour prévenir la
répétition de violations similaires. Si ce nouveau problème s’avère
être de nature isolée, l’adoption de mesures générales, en plus
de la publication et de la diffusion de l’arrêt, n’est en principe
pas requise. Une affaire de référence peut également révéler des problèmes
structurels/systémiques, identifiés par la Cour dans son arrêt ou
par le Comité des Ministres dans le cadre de sa surveillance de
l’exécution, nécessitant l’adoption par l’État défendeur de nouvelles
mesures générales pour prévenir la répétition de violations similaires».. Le traitement des affaires de référence est indispensable à toute exécution significative des arrêts de la Cour, car c’est ce qui permet de remédier aux causes sous-jacentes des violations et de prévenir la survenue de problèmes similaires. L’exécution des affaires de référence est aussi essentielle pour éviter l’augmentation de l’arriéré devant la Cour – en effet, le manquement à régler les problèmes liés aux droits humains entraîne une augmentation des violations et des requêtes. À titre d’exemple, on peut citer l’affaire Levinta c. République de Moldova, qui porte sur un cas de mauvais traitements en garde à vue. Depuis son arrêt rendu en 2008, la Cour a été saisie de multiples requêtes sur le même sujet, qui l’ont amenée à conclure à une violation dans dix affaires «répétitives». Bien que d’importantes mesures générales aient été prises par les autorités, l’exécution de l’arrêt Levinta est toujours surveillée par le Comité des Ministres, ce qui signifie que le problème sous-jacent n’a toujours pas été pleinement réglé 16 ans après le prononcé de l’arrêt et que de nouvelles affaires répétitives sont susceptibles d’être portées devant la Cour.
11. Parallèlement, lorsque les États entreprennent des réformes pour exécuter avec succès les affaires de référence, cela peut avoir un impact très positif sur la charge de travail de la Cour. Par exemple, l’arrêt pilote de la Cour dans l’affaire Varga et autres c. Hongrie a mis en évidence les problèmes généralisés liés aux conditions de détention et l’absence de recours en cas de violations au niveau national. En 2017, les autorités ont mis en place un recours préventif et un recours compensatoire pour ces violations. Le Comité des Ministres et la Cour ont estimé que ce dispositif était conforme à la Convention, ce qui a conduit la Cour à rejeter plus de 8 000 requêtes en attente 
			(21) 
			Décision du Comité
des ministres des 6-7 juin 2017, CM/Del/Dec(2017)1288/H46-16; voir
aussi les notes du Comité des Ministres sur le Groupe Varga et autres
et István Gábor Kovács c. Hongrie, lors de la réunion du 12-14 mars
2024, CM/Notes/1492/H46-18..
12. Comme indiqué dans l’introduction, 84 % des arrêts dans lesquels la Cour a conclu à une violation ces cinq dernières années ont ensuite été classés par le Comité des Ministres comme des affaires «répétitives», au motif que le type de violation constatée avait déjà fait l’objet d’un arrêt de la Cour 
			(22) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/execution/annual-reports'>Rapport
annuel 2024</a>, op. cit.. Le manquement systémique et persistant des États à exécuter les affaires de référence signifie donc non seulement que les droits humains ne sont pas protégés dans le pays qui fait l’objet de l’arrêt, mais aussi que les citoyens de toute l’Europe subissent un retard dans la protection de leurs droits. En effet, les requêtes auprès de la Cour sont ralenties par un très fort encombrement dû au fait que les États n’ont pas réglé des problèmes déjà recensés par la Cour dans des arrêts antérieurs. En raison du nombre élevé de requêtes introduites auprès de la Cour, les requérants peuvent généralement s’attendre à patienter de nombreuses années avant qu’un arrêt ne soit rendu.
13. Les États membres suivants comptent plus de 40 affaires de référence en attente d’exécution (par ordre décroissant): Türkiye (137), Roumanie (111), Ukraine (106), Bulgarie (89), Italie (74), Pologne (53) Azerbaïdjan (51), Hongrie (47) et République de Moldova (46) 
			(23) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/execution/annual-reports'>Rapport
annuel 2024</a>, op. cit., tableau D.3, page 145.. Ces États comptent également le plus grand nombre d’affaires de référence en attente d’exécution depuis plus de cinq ans. Cet élément est particulièrement significatif, car il indique non seulement là où se trouvent des problèmes, mais aussi là où ces problèmes ne sont pas résolus dans un délai raisonnable. Les chiffres relatifs aux affaires de référence qui sont en attente d’exécution depuis plus de cinq ans dans ces États sont les suivants (par ordre décroissant): Türkiye (76), Ukraine (70), Roumanie (62), Bulgarie (49), Italie (37) Azerbaïdjan (28), République de Moldova (26), Hongrie (23), Pologne (20) 
			(24) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/execution/annual-reports'>Rapport
annuel 2024</a>, op. cit., page 148.. Il convient toutefois de rappeler que l’Ukraine mène depuis plus de trois ans une guerre à grande échelle pour sa survie, ce qui, à juste titre, fait l’objet de la pleine capacité de l’État. Il convient en outre de souligner que, hormis les dérogations invoquées au titre de l’article 15, aucune situation de guerre ou d’état d’urgence ne peut exonérer un État de ses obligations en matière de droits humains au titre de la Convention.
14. L’importance de l’exécution des affaires de référence se reflète également dans les rapports de l’Union européenne sur l’État de droit. Depuis 2022, les chapitres par pays de ces rapports comprennent une évaluation de l’exécution des affaires de référence de la Cour européenne des droits de l’homme par les États membres de l’Union européenne 
			(25) 
			<a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?qid=1658828718680&uri=CELEX%3A52022DC0500'>Rapport
2022 sur l’État de droit</a> de l’Union européenne.. La Commission européenne décrit l’exécution des affaires de référence de la Cour comme un «indicateur important du fonctionnement de l’état de droit dans un pays» 
			(26) 
			Commission
européenne, <a href='https://commission.europa.eu/document/download/27db4143-58b4-4b61-a021-a215940e19d0_fr?filename=1_1_58120_communication_rol_fr.pdf'>«Communication
sur le Rapport 2024 sur l’État de droit</a>», <a href='Communication on the 2024 Rule of Law Report, '>COM(2024)800</a>, 24 juillet 2024, page 38. Le chapitre relatif à la
Belgique comprend une recommandation spécifique demandant à l’État
de «prendre des mesures pour assurer le respect, par les pouvoirs
publics, des décisions définitives des juridictions nationales et
de la Cour européenne des droits de l’homme.»..
15. Dans les chapitres par pays, la Commission européenne met en lumière des arrêts particuliers de la Cour en attente d'exécution qui sont pertinents pour l'État de droit. Les chapitres par pays comprennent également les données suivantes pour chaque État membre au 1er janvier 2024: le nombre d’affaires de référence de la Cour en attente d’exécution; le pourcentage d’affaires de référence rendus ces dix dernières années qui n’ont pas encore été exécutés; et le temps moyen d’attente pour l’exécution des affaires de référence. Les données sur la Bulgarie, la Hongrie, l’Italie, la Pologne et la Roumanie sont particulièrement préoccupantes:
  • la Bulgarie compte 89 affaires de référence en attente d’exécution, depuis 6 ans et 9 mois en moyenne; parmi les affaires de référence de ces dix dernières années, 53 % sont toujours en attente d’exécution;
  • la Hongrie compte 45 affaires de référence en attente d’exécution, depuis 6 ans et 2 mois en moyenne; parmi les affaires de référence de ces dix dernières années, 76 % sont toujours en attente d’exécution;
  • l’Italie compte 66 affaires de référence en attente d’exécution, depuis 6 ans et 7 mois en moyenne; parmi les affaires de référence de ces dix dernières années, 65 % sont toujours en attente d’exécution;
  • la Pologne compte 46 affaires de référence en attente d’exécution, depuis 5 ans et 5 mois en moyenne; parmi les affaires de référence de ces dix dernières années, 51 % sont toujours en attente d’exécution;
  • la Roumanie compte 115 affaires de référence en attente d’exécution, depuis 5 ans et 5 mois en moyenne; parmi les affaires de référence de ces dix dernières années, 59 % sont toujours en attente d’exécution 
			(27) 
			<a href='https://commission.europa.eu/publications/2024-rule-law-report-communication-and-country-chapters_fr'>Rapport
2024 sur l’État de droit</a> de l’Union européenne, chapitres par pays pour la <a href='https://commission.europa.eu/document/download/fd6bb85d-4aaa-4c79-88a2-8709edfb2002_en?filename=10_1_58051_coun_chap_bulgaria_en.pdf'>Bulgarie</a>, la <a href='https://commission.europa.eu/document/download/e90ed74c-7ae1-4bfb-8b6e-829008bd2cc6_en?filename=40_1_58071_coun_chap_hungary_en.pdf'>Hongrie</a>, l’<a href='https://commission.europa.eu/document/download/60d79a4f-49cd-4061-a18f-d3a4495d6485_en?filename=29_1_58066_coun_chap_italy_en.pdf'>Italie</a>, la <a href='https://commission.europa.eu/document/download/9c081f05-688d-4960-b3bc-ea4fc3b2bafb_en?filename=48_1_58078_coun_chap_poland_en.pdf'>Pologne</a> et la <a href='https://commission.europa.eu/document/download/6abcf25f-9e2d-46c0-93f0-4eebb0e10224_en?filename=52_1_58080_coun_chap_romania_en.pdf'>Roumanie</a>. En dehors de ces cinq pays, aucun autre État membre
de l’Union européenne n’a plus de 40 affaires de référence en attente
d’exécution..
16. Compte tenu de l’importance des affaires de référence, l’Assemblée devrait donc mettre en avant dans sa résolution les États cités au paragraphe 13 et les inviter à améliorer rapidement l’exécution des affaires de référence de la Cour. L’Assemblée devrait également saluer la contribution de la Commission européenne qui signale le problème des affaires de référence de la Cour dans ses rapports sur l’État de droit et l’appeler à formuler des recommandations spécifiques à l’intention des États pour qu’ils exécutent les arrêts de la Cour dans les affaires graves.
17. Les trois auditions (axées sur l’Albanie, l’Arménie et la Türkiye) et les deux visites de pays (en Arménie et en Pologne) organisées dans le cadre de la préparation du présent rapport m’ont donné l’occasion d’encourager les autorités à améliorer leur exécution des affaires de référence de la Cour. Je remercie très sincèrement toutes les autorités des États membres qui ont participé à ces discussions. J’ai tiré de ces échanges les conclusions générales suivantes:
  • Albanie: des progrès significatifs ont été accomplis dans le cadre d’un certain nombre d’affaires de référence majeures et des réformes notables ont été menées. Par exemple, le caractère équitable des procès pénaux a été amélioré, des mesures ont été prises pour prévenir et punir les enlèvements d’enfants et les procédures de recours individuel en inconstitutionnalité ont été renforcées, de sorte que la Cour européenne considère désormais ces recours comme effectifs dans leur principe pour toutes les plaintes alléguant une violation des droits garantis par la Convention. Néanmoins, d’importants défis et lacunes demeurent et le nombre global d’affaires de référence en attente d’exécution reste préoccupant, notamment en ce qui concerne les groupes d’affaires Sharxhi (sur la privation de propriété) et Strazimiri (sur les conditions de détention). Je trouve regrettable qu’aucun représentant du bureau de l’agent du gouvernement n’ait assisté à l’audition;
  • Arménie: j’ai été impressionné par l’engagement sincère des autorités à améliorer l’exécution des arrêts, qui se traduit par une implication nettement accrue dans le processus de suivi de l’exécution mené ces dernières années. J’ai également pris acte des réformes importantes mises en œuvre à ce jour, dans des domaines tels que la liberté de réunion (examinée plus en détail ci-dessous). Dans le même temps, il est tout aussi important de rappeler le nombre non négligeable d’affaires de référence dont l’exécution est toujours en attente et la nécessité de poursuivre les efforts engagés;
  • Pologne: le gouvernement actuel hérite d’un défi de taille en ce qui concerne l’exécution des arrêts de la Cour. Aucun progrès n’a encore été réalisé pour réduire le nombre d’affaires de référence en attente d’exécution, mais j’ai pris note des projets des autorités qui envisagent d’adopter une législation destinée à améliorer l’exécution systématique des arrêts de la Cour ainsi que de l’engagement clair du gouvernement à progresser sur cette question. Ma visite s’est concentrée sur l’exécution des arrêts relatifs à l’indépendance des juges – une question traitée plus en détail dans le chapitre ci-dessous;
  • Türkiye: lors de l’audition organisée conjointement par la commission des questions juridiques et des droits de l'homme et la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi) en janvier 2025, les représentants des autorités turques ont eu la difficile tâche de devoir aborder dans le détail en un très court laps de temps un très grand nombre d’affaires. Selon moi, ils ont tenté de brosser un tableau positif, mais irréaliste de l’exécution globale des arrêts de la Cour par la Türkiye. Les questions des membres de la commission ont essentiellement porté sur l’affaire Chypre c. Turquie, l’affaire Kavala c. Türkiye, sur les cas de responsables politiques emprisonnés et sur les violations du droit à la liberté d’expression. Je regrette que les réponses apportées n’aient pas démontré l’existence d’un plan concret ou d’une véritable intention d’exécuter ces arrêts. Parallèlement, les informations fournies sur la progression de l’exécution de l’arrêt Opuz c. Turquie, qui porte sur un cas de violence domestique, montrent la capacité du pays à mettre en œuvre des réformes pour donner suite aux arrêts qui ne concernent pas les droits politiques ou démocratiques.
18. Pour ce qui est des statistiques, il est important de relever que le fait de se concentrer sur le nombre total d’affaires en attente d’exécution, plutôt que sur le nombre et le type d’affaires de référence peut s’avérer parfaitement inutile. Lorsque la Fédération de Russie était membre du Conseil de l’Europe, elle se targuait d’«exécuter» la majeure partie des arrêts de la Cour européenne. Toutefois, la protection des droits humains ne s’en est pas pour autant trouvée améliorée, car le pays a globalement fait le choix de payer les requérants pour mettre fin à la surveillance des affaires répétitives. En réalité, la plupart des questions sous-jacentes relatives aux droits humains n’ont pas été traitées. La manière la plus utile d’évaluer l’exécution des arrêts de la Cour par la Fédération de Russie serait d’évaluer son exécution des affaires de référence. Le fait que les trois quarts des affaires de référence relatives à la Fédération de Russie soient toujours pendantes – 244 au total – reflète la dégradation de la protection des droits humains dans le pays.
19. De même, l’affirmation des autorités turques selon laquelle le pays a un bon taux d’exécution parce que le Comité des Ministres a mis fin à la surveillance de plus de 90 % des affaires qui ont conclu à une violation ne signifie pas grand-chose. La clôture de nombreuses affaires répétitives a été en grande partie obtenue par le versement d’indemnités compensatoires, et non par la résolution des problèmes de droits humains sous-jacents. En effet, à la fin de l’année 2024, 137 affaires de référence étaient en attente d’exécution en Türkiye (le plus grand nombre de tous les États membres), dont une grande partie concerne des violations continues et systématiques des droits humains à l’encontre de très nombreuses personnes. Des affirmations similaires concernant le taux élevé de conformité aux arrêts de la Cour, fondées sur des données relatives à l’exécution de l’ensemble des affaires, ont été faites par des représentants du gouvernement turc dans d’autres instances 
			(28) 
			Hürriyet Daily News,
«<a href='https://www.hurriyetdailynews.com/turkiye-ranks-highest-in-compliance-with-echr-decisions-176021'>‘Türkiye
ranks highest in compliance with ECHR decisions» – Türkiye News</a>, 10 août 2022.. Je suis préoccupé par cette approche et j’exhorte les parties prenantes du système de la Convention à se montrer sceptiques face à ce genre d’affirmations.

4. Protéger les principes démocratiques

20. Les Principes de Reykjavík pour la démocratie 
			(29) 
			<a href='https://rm.coe.int/4e-sommet-des-chefs-d-etat-et-de-gouvernement-du-conseil-de-l-europe/1680ab40c0'>Déclaration
de Reykjavík – Unis autour de nos valeurs.</a> rappellent que la démocratie est «le seul moyen de garantir que chaque personne puisse vivre dans une société pacifique, prospère et libre» et que les États membres du Conseil de l’Europe s’engagent à «[éviter] le recul de la démocratie sur [le] continent [européen] et [à y résister]». Ces principes portent une attention renouvelée à la participation démocratique grâce à la tenue d’élections libres et équitables, «fondées sur le respect des normes pertinentes en matière de droits de l’homme, en particulier de la liberté d’expression, de la liberté de réunion et de la liberté d’association». Cela implique expressément l’existence de médias libres et pluriels et d’un environnement dans lequel «la société civile ainsi que les défenseurs des droits de l’homme puissent opérer sans entraves». Les principes de Reykjavík soulignent par ailleurs l’importance de respecter la séparation des pouvoirs et de garantir «l’indépendance, l’impartialité et l’efficacité de la justice» pour une démocratie saine et en bon état de marche. Afin de faire avancer les priorités du Conseil de l’Europe définies à Reykjavík, je propose de traiter dans ce 12e rapport un point spécifique sur la protection des principes démocratiques par l’exécution rapide et effective des arrêts pertinents de la Cour, notamment ceux relatifs à:
  • la liberté d’expression (article 10);
  • la liberté de réunion et d’association (article 11);
  • le droit à des élections libres (article 3 du Protocole additionnel à la Convention (STE no 9));
  • les restrictions abusives des droits et des libertés (article 18);
  • l’indépendance du pouvoir judiciaire.

4.1. Affaires relatives à la liberté d’expression (article 10 de la Convention)

21. Comme le soulignent les Principes de Reykjavík pour la démocratie, des élections libres et équitables reposent sur le respect de la liberté d’expression. En outre, des «médias libres, indépendants, pluriels et diversifiés constituent l’une des pierres angulaires d’une société démocratique, et les journalistes et autres travailleurs des médias devraient bénéficier d’une protection totale en vertu de la loi» 
			(30) 
			Ibid., principes 2 et 7..
22. Dans mon rapport de 2023, j’ai évoqué l’arrêt Selahattin Demirtaş c. Türkiye (no 2) pour illustrer un cas typique de violation des droits motivée par des considérations politiques, ce qui est incompatible avec les principes démocratiques. L’affaire concernait l’arrestation et le placement en détention pour des motifs politiques de Selahattin Demirtas, l’un des dirigeants du Parti démocratique du peuple (HDP). La Cour a estimé, parmi d’autres violations, que sa détention provisoire violait son droit à la liberté d’expression protégé par l’article 10 de la Convention.
23. De la même façon, la Résolution de l’Assemblée 2381 (2021) «Les responsables politiques devraient-ils être poursuivis pour les déclarations faites dans l’exercice de leur mandat?» soulève des inquiétudes quant aux poursuites engagées contre des responsables politiques qui se sont exprimés librement dans l’exercice de leur mandat, en particulier en Espagne et en Türkiye. L’Assemblée a rappelé qu’il était «primordial, dans une démocratie vivante, que les responsables politiques puissent exercer librement leur mandat. Pour ce faire, il est nécessaire que la liberté d’expression et la liberté de réunion des responsables politiques jouissent d’un niveau particulièrement élevé de protection, tant au parlement que lorsqu’ils s’adressent à leurs électeurs lors de réunions publiques ou dans les médias, y compris les réseaux sociaux». Je regrette de constater que l’arrêt Selahattin Demirtaş c. Türkiye (no 2) est toujours en attente d’exécution.
24. Parmi les affaires relatives à la liberté d’expression qui portent sur la protection des principes démocratiques, on peut citer celles qui concernent la sécurité des journalistes 
			(31) 
			Parmi ces affaires,
on peut citer Gongadze c. Ukraine,
requête no 34056/02, arrêt du 8 novembre
2005. Certaines affaires concernent également des enquêtes ineffectives
menées sur des infractions pénales commises à l’encontre de journalistes,
ce qui restreint leur capacité à faire leur travail et porte donc
atteinte à la liberté de la presse. Il s’agit notamment du groupe
d’affaires Khadija Ismayilova c. Azerbaïdjan,
requêtes no 65286/13 et 57270/14, arrêt
du 10 janvier 2019; requête no 30778/15,
arrêt du 27 février 2020; requête no 35283/14,
arrêt du 7 mai 2020; Dink c. Turquie,
requête no 2668/07, arrêt du 14 décembre
2010; et le groupe d’affaires Nedim Şener
c. Turquie, requête no 38270/11,
arrêt du 8 juillet 2014., la restriction de l’accès à internet et le blocage de sites internet 
			(32) 
			RFE/RL
et autres c. Azerbaïdjan, requête no 56138/18,
arrêt du 13 juin 2024., le manque de pluralisme des médias 
			(33) 
			Voir
notamment Manole et autres c. République
de Moldova, requête no 13936/02,
arrêt du 17 septembre 2009. et l’application de lois abusives en matière de diffamation 
			(34) 
			Tels que les groupes
d’affaires Ghiulfer Predescu c. Roumanie,
requête no 29751/09 et autres, arrêt
du 27 juin 2017; Belpietro c. Italie,
requête no 43612/10, arrêt du 24 septembre
2013; Kurlowicz c. Pologne,
requête no 41029/06, arrêt du 22 juin
2010; et Artun et Güvener c. Turquie,
requête no 75510/01, arrêt du 26 juin
2007.. Des affaires de référence qui impliquent une violation de l’article 10 de la Convention sont toujours pendantes en Azerbaïdjan, en Bulgarie, en Espagne, en France, en Géorgie, en Grèce, en Hongrie, en Italie, en Lituanie, en Pologne, au Portugal, en République de Moldova, en Roumanie, en Fédération de Russie, en République Slovaque, en Türkiye et en Ukraine.
25. Un certain nombre d’affaires ou de groupes d’affaires de la Cour concernent des ingérences injustifiées et disproportionnées dans la liberté d’expression en raison de poursuites pénales engagées pour avoir exprimé des opinions qui n’incitent pas à la haine ou à la violence. L’effet dissuasif de ces poursuites sur la société dans son ensemble et sur la liberté d’expression en général est extrêmement préoccupant. On compte un nombre important de groupes d’affaires liés à la liberté d’expression en Türkiye 
			(35) 
			En plus des affaires
susmentionnées, on peut citer les groupes d’affaires Öner et Türk c. Turquie, requête
no 51962/12, arrêt du 31 mars 2015; Işıkırık c. Turquie, requête no 41226/09,
arrêt du 14 novembre 2017; et Altuğ Taner
Akçam c.Turquie, requête no 27520/07,
arrêt du 25 octobre 2011. et des changements législatifs s’imposent d’urgence pour préciser que l’exercice du droit à la liberté d’expression ne constitue pas un délit.

4.2. Affaires relatives à la liberté de réunion et d’association (article 11 de la Convention)

26. Le droit de réunion et le droit de manifestation pacifique qui en découle sont indispensables au bon fonctionnement de la démocratie 
			(36) 
			Comme le soulignent
les Principes de Reykjavík pour la démocratie, «la société civile
est indispensable au bon fonctionnement de la démocratie» et les
États s’engagent à «soutenir et à maintenir un environnement sûr
et favorable dans lequel la société civile ainsi que les défenseurs
des droits de l’homme puissent opérer sans entraves, insécurité
ni violence». <a href='https://rm.coe.int/4e-sommet-des-chefs-d-etat-et-de-gouvernement-du-conseil-de-l-europe/1680ab40c0'>Déclaration
de Reykjavík – Unis autour de nos valeurs, </a>principes 2 et 9.. Le traitement réservé aux manifestants antiguerre en Fédération de Russie a mis en lumière l’importance cruciale du droit de manifester et les effets néfastes qu’une répression de ces droits peut avoir sur une démocratie. La liberté d’association revêt une importance similaire et la Cour a souligné sa relation directe avec la démocratie et le pluralisme, notant que l’état de la démocratie dans un pays peut être mesuré par la manière dont cette liberté est garantie par la législation nationale et dont les autorités l’appliquent en pratique 
			(37) 
			Fiche thématique du
Service de l’exécution des arrêts intitulée <a href='https://rm.coe.int/thematic-factsheet-freedom-assembly-association-fra/1680a40969'>«Liberté
de réunion et d’association</a>»..
27. Les affaires relatives à l’article 11 qui sont importantes pour la protection des principes démocratiques portent notamment sur l’organisation et le maintien de l’ordre lors de manifestations et de marches pacifiques, la liberté de créer des associations et d’y participer (y compris la société civile) et la liberté de créer des partis politiques et d’y participer. Toutefois, un nombre important d’affaires de référence de la Cour qui concluent à une violation de la liberté de réunion pacifique n’ont pas encore été exécutés, notamment dans des affaires concernant l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Hongrie, la Roumanie, la Fédération de Russie, la Türkiye et l’Ukraine 
			(38) 
			Site
internet <a href='https://hudoc.exec.coe.int/fre'>HUDOC</a>. Patyi et autres c. Hongrie, requête
no 5529/05, arrêt du 7 octobre 2008; Lashmankin et autres c. Russie,
requête no 57818/09, arrêt du 7 février
2017; Karpyuk et Lyakhovych c. Ukraine, requêtes
no 30582/04 et 32152/04, arrêt du 6 octobre
2015; Association Accept et autres c. Roumanie, requête
no 19237/16, arrêt du 1er juin
2021; Identoba et autres c. Géorgie, requête
no 73235/12, arrêt du 12 mai 2015; Emin Huseynov c. Azerbaïdjan, requêtes no 59135/09
et 1/16, arrêts du 7 mai 2015 et du 13 juillet 2023; Shmorgunov et autres c. Ukraine, requêtes
no 15367/14 et 13 autres, arrêt du 21 janvier
2021; Oya Ataman c. Turquie, requête
no 74552/01, arrêt du 5 décembre 2006; Navalnyy c. Russie, requêtes no 29580/12
et 4 autres, arrêt du 2 février 2017 et du 15 novembre 2018, requête
no 43734/14, arrêt du 9 avril 2019; Alekseyev c. Russie, requêtes no 4916/07
et 14599/09, arrêt du 21 octobre 2010; Gafgaz
Mammadov c. Azerbaïdjan, requête no 60259/11,
arrêt du 15 octobre 2015; Vyerentsov
c. Ukraine, requête no 20372/11,
arrêt du 11 avril 2013; Laurijsen et
autres c. Pays-Bas, requête no 56896/17,
arrêt du 21 novembre 2023; Geylani et
autres c. Turquie, requête no 10443/12,
arrêt du 12 septembre 2023; Makarashvili
et autres c. Géorgie, requête no 23158/20, arrêt
du 1er septembre 2022..
28. Les affaires relatives au droit de participer à des manifestations politiques pacifiques comprennent, entre autres, l’affaire Mushegh Saghatelyan c. Arménie, qui porte sur les dispersions disproportionnées et inutiles de manifestations politiques pacifiques. Ces affaires ont constitué l’un des principaux sujets de discussion lors de ma visite d’information en Arménie en décembre 2024. À Erevan, j’ai rencontré la ministre de l’Intérieur, Arpine Sargsyan, l’agent du gouvernement, Yegishe Kirakosyan, le vice-ministre de la Justice, Tigran Dadunts, un groupe d’organisations de la société civile arménienne (Democracy Development Foundation, PINK Armenia, Protection of Rights without Borders, Helsinki Foundation Vanadzor et Law Development and Protection Foundation), ainsi qu’un groupe de parlementaires arméniens (M. Vladimir Vardanyan, Mme Arusyak Julhakyan, Mme Maria Karapetyan et M. Sargis Khandanyan). Lors de ma visite, il a été clairement établi que des progrès significatifs ont été réalisés dans l’exécution des arrêts. En particulier, des modifications ont été apportées à la législation pour garantir un usage plus proportionné de la force par la police et des formations destinées aux fonctionnaires de police ont été mises en place afin de garantir la mise en pratique des normes. Dans le même temps, la société civile a souligné que ces mesures n’avaient pas encore eu d’effets positifs concrets et a allégué que des violations des droits humains lors des rassemblements pacifiques se poursuivaient, y compris des actes de violence par des agents de l’État. Étant donné que l’affaire est toujours sous la surveillance du Comité des Ministres, j’espère que les mesures positives prises jusqu’à présent pourront être renforcées afin de garantir une protection concrète du droit à la liberté de réunion en Arménie.
29. Parmi les autres affaires importantes relatives à la liberté de réunion en attente d’exécution, j’aimerais citer l’affaire Gafgaz Mammadov c. Azerbaïdjan, qui concerne la dispersion de manifestations pacifiques non autorisées ne présentant aucune menace pour l’ordre public; le groupe d’affaires Oya Ataman c. Turquie, qui porte sur des poursuites engagées à l’encontre des participants à une manifestation pacifique et sur le recours à la force excessive pour disperser des manifestations pacifiques; et le groupe d’affaires Lashmankin et autres c. Russie, qui a trait à l’interdiction de participer à des rassemblements publics et à des manifestations.
30. Notons par ailleurs que l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Ecodefence et autres c. Russie n’a toujours pas été exécuté. Cette décision concernait la violation du droit à la liberté d’association de 73 ONG, en application de la loi sur les agents étrangers, qui avait entraîné des amendes administratives, des poursuites pénales et la dissolution de certaines organisations. En octobre 2024, cet arrêt a été suivi par l’affaire Kobaliya et autres c. Russie, dans laquelle la Cour a constaté une violation similaire pour 107 autres requérants. Pour protéger la société civile, les États membres doivent veiller à ce que leur législation relative aux ONG soit conforme à ces arrêts et exécuter rapidement tout arrêt similaire rendu par la Cour.
31. Il existe des défaillances de longue date dans l’exécution de certains arrêts liés à l’enregistrement de certaines associations, en violation de l’article 11 de la Convention. On peut notamment citer le refus systématique, depuis plus de 18 ans, d’enregistrer les associations ayant «pour objectif d’obtenir la reconnaissance de la minorité macédonienne en Bulgarie» (UMO Ilinden et autres c. Bulgarie). Dans cette affaire, malgré les diverses mesures prises, l’Agence d’enregistrement et les tribunaux bulgares refusent toujours de se conformer aux exigences de la Convention. De même, dans le groupe d’affaires Bekir Ousta c. Grèce, les tribunaux grecs, y compris la Cour de cassation, ont refusé de manière constante et répétée de faire respecter le droit à la liberté d’association des organisations, contrevenant aux arrêts de la Cour des droits de l’homme et de la Convention, arrêts qui sont en attente d’exécution depuis 17 ans. Malgré la modification apportée à la loi par la Grèce en 2017, les organisations requérantes n’ont toujours pas obtenu la restitutio in integrum, principalement en raison des arrêts rendus en 2021 et 2022 par la Cour de cassation grecque, qui ont conclu à la légalité des violations pour des motifs dont la plupart ont été expressément contestés par la Cour européenne des droits de l’homme. De la même manière, les décisions des tribunaux russes se sont également révélées être un obstacle au droit à la liberté d’association en ce qui concerne la dissolution d’organisations de Témoins de Jéhovah, en raison de leur refus de se conformer aux arrêts de la Cour dans le groupe d’affaires Taganrog LRO et autres c. Russie (relatifs à la dissolution d’associations de Témoins de Jéhovah en Fédération de Russie, à l’interdiction de toutes leurs activités et au placement en détention de certains de leurs membres) 
			(39) 
			Je
suis également préoccupé par une série d’autres arrêts relatifs
aux Témoins de Jéhovah – notamment ceux qui portent sur l’objection
de conscience dans le groupe d’affaires Ülke
c. Turquie (requête no 39437/98,
arrêt du 24 janvier 2006) et dans l’affaire Teliatnikov
c. Lituanie (requête no 51914/19,
arrêt du 7 juin 2022) – dont l’exécution est toujours en attente.
J’ai rencontré des représentants de l’Association européenne des
Témoins de Jéhovah en octobre 2024, qui m’ont clairement expliqué
l’importance de ces affaires et les difficultés rencontrées dans
leur exécution..

4.3. Affaires relatives au droit à des élections libres (article 3 du Protocole additionnel à la Convention) et affaires connexes

32. Le droit à des élections libres et équitables est évidemment essentiel au bon fonctionnement de la démocratie 
			(40) 
			Comme
le soulignent les Principes de Reykjavík pour la démocratie, les
États s’engagent à «permettre et encourager activement la participation
démocratique, aux niveaux national, régional et local, par l’intermédiaire
d’élections libres et équitables» et à «organiser les élections
et référendums conformément aux normes internationales et [à] prendre
toutes les mesures adéquates pour prévenir toute ingérence dans
les systèmes et processus électoraux». <a href='https://rm.coe.int/4e-sommet-des-chefs-d-etat-et-de-gouvernement-du-conseil-de-l-europe/1680ab40c0'>Déclaration
de Reykjavík – Unis autour de nos valeurs, </a>principes 1 et 2.. Comme l’énonce la fiche thématique du Service de l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme sur le droit à des élections libres, «[l]a Cour européenne a souligné que la démocratie constitue un élément fondamental de “l’ordre public européen”. Le droit à des élections libres, garanti par l’article 3 du Protocole no 1 […], est essentiel pour établir et maintenir les fondements d’une démocratie effective et significative régie par la prééminence du droit et revêt donc une importance primordiale pour le système de la Convention. La Convention ne prévoit pas une obligation d’abstention ou de non-ingérence, comme pour la plupart des droits civils et politiques, mais une obligation d’adoption par l’État, en tant que garant ultime du pluralisme, de mesures positives pour garantir des élections législatives démocratiques. La Cour a établi que le droit à des élections libres implique également des droits individuels, notamment le droit de vote et d’éligibilité.» 
			(41) 
			Fiche thématique du
Service de l’exécution des arrêts intitulée <a href='https://rm.coe.int/tfs-electoral-rights-final-fr/1680aa6952'>«Droit
à des élections libres»</a>. De plus, afin de garantir ces droits, il convient de prévoir des recours effectifs pour régler les litiges électoraux. Néanmoins, de nombreux arrêts de référence qui concluent à une violation du droit à des élections libres n’ont pas encore été exécutés, notamment dans des arrêts concernant la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Hongrie, la Türkiye et l’Ukraine 
			(42) 
			Site internet <a href='https://hudoc.exec.coe.int/fre'>HUDOC</a>. Bilotserkivska c. Ukraine, requête
no 17313/13, arrêt du 3 février 2022; Markov c. Ukraine, requête no 66811/13,
arrêt du 3 février 2022; Davydov et autres
c. Russie, requête no 75947/11,
arrêt du 30 mai 2017; Yabloko Russian
United Democratic Party et autres c. Russie, requête
no 18860/07, arrêt du 8 novembre 2016; Riza et autres c. Bulgarie, requêtes
no 48555/10 et 48377/10, arrêt du 13 octobre
2015; G.K. c. Belgique, requête
no 58302/10, arrêt du 21 mai 2019; Dicle et Sadak c. Turquie, requête
no 4862/07, arrêt du 16 juin 2015; Mugemangango c. Belgique, requête
no 310/15, arrêt du 10 juillet 2020; Cegolea c. Roumanie, requête no 25560/13,
arrêt du 24 mars 2020; Bakirdzi et E.C.
c. Hongrie, requête no 49636/14,
arrêt du 10 novembre 2022; Ekoglasnost
c. Bulgarie, requête no 30386/05,
arrêt du 6 novembre 2012; Party for a
Democratic Society (DTP) et autres c. Turquie, requête
no 3840/10, arrêt du 12 janvier 2016..
33. Parmi les affaires pertinentes, on peut citer le groupe d’affaires Namat Aliyev c. Azerbaïdjan, qui concerne l’application arbitraire de la législation électorale et l’absence de procédures offrant des garanties adéquates contre l’arbitraire, notamment le rejet arbitraire des plaintes relatives à des irrégularités ou à des violations de la loi électorale, l’invalidation arbitraire de l’inscription de candidats et l’application erronée de la loi électorale. D’autres exemples incluent l’affaire Mugemangango c. Belgique, qui concerne les garanties procédurales dans les litiges électoraux et le droit à un recours effectif, et l’affaire Cegolea c. Roumanie, qui porte sur une condition d’éligibilité arbitraire défavorable aux organisations de minorités nationales qui ne sont pas encore représentées au parlement.
34. Si l’article 3 du Protocole no 1 ne s’applique qu’aux élections relatives au «choix du corps législatif», d’autres dispositions peuvent également s’appliquer, par exemple, à des dispositions discriminatoires dans d’autres élections, telles que les élections présidentielles. Ainsi, l’article 1 du Protocole no 12 à la Convention (STE no 177) (le principe de non-discrimination) a également été jugé applicable et avoir été violé dans des dispositions discriminatoires de la loi électorale concernant par exemple les élections présidentielles en Bosnie-Herzégovine. Les arrêts rendus dans le groupe d’affaires Sejdić et Finci c. Bosnie-Herzégovine 
			(43) 
			Requête no 27996/06,
arrêt du 22 décembre 2009 (Grande Chambre), et trois autres arrêts: Zornić c. Bosnie-Herzégovine, requête
no 3681/06, arrêt
du 15 juillet 2014; Šlaku c. Bosnie-Herzégovine, requête
no 56666/12, arrêt du 26 mai 2016; et Pilav c. Bosnie-Herzégovine, requête
no 41939/07, arrêt du 9 juin 2016. portent sur la discrimination subie par des personnes non membres des peuples constitutifs de Bosnie-Herzégovine (Bosniaques, Croates et Serbes) dans l’exercice de leur droit à se présenter aux élections à la Chambre des peuples et à la présidence de la Bosnie-Herzégovine. Malgré les interventions du Comité des Ministres et le soutien considérable offert aux autorités nationales par le Conseil de l’Europe et l’Union européenne 
			(44) 
			Le traitement de l’arrêt
est l’un des 14 préalables prioritaires à l’adhésion de la Bosnie-Herzégovine
à l’Union européenne – Commission européenne, Avis de la Commission
sur la demande d’adhésion de la Bosnie-Herzégovine à l’Union européenne, <a href='https://ec.europa.eu/neighbourhood-enlargement/sites/near/files/20190529-bosnia-and-herzegovina-opinion.pdf'>SWD(2019)222</a>, 29 mai 2019., les élections de 2010, 2014, 2018 et 2022 se sont fondées sur ce qui a été décrit comme «un système électoral discriminatoire en violation flagrante des exigences de la Convention européenne des droits de l’homme» 
			(45) 
			Décision adoptée lors
de la 1324e réunion (DH), 20 septembre
2018, CM/Del/Dec(2018)1324/4, paragraphe 1.. La Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) a rédigé de nombreux avis à ce sujet, et notamment appelé le peuple et les responsables politiques de Bosnie-Herzégovine à remplacer progressivement la représentation ethnique par la représentation basée sur le principe de citoyenneté 
			(46) 
			CDL-AD(2005)004-f, <a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2005)004-f'>Avis</a> sur la situation constitutionnelle en Bosnie-Herzégovine
et les pouvoirs du haut représentant, adopté par la Commission de
Venise à sa 62e session plénière (Venise,
11 et 12 mars 2005).. Les exigences intrinsèquement discriminatoires pour voter dans certaines élections en vertu de la Constitution de la Bosnie-Herzégovine continuent d’être une préoccupation importante, nous rappelant comment la politique peut porter atteinte aux droits humains.

4.4. Affaires relatives aux restrictions abusives des droits et libertés (article 18 de la Convention)

35. Je suis préoccupé par la tolérance dont fait preuve le public à l’égard des autorités de certains États membres qui violent la Convention à des fins politiques, sans réfléchir aux conséquences à long terme. Cela me rappelle l’histoire du chasseur, du cheval et du cerf dans les fables d’Ésope. Le cheval accepta que le chasseur lui mette une bride et une selle pour qu’ils puissent attraper le cerf ensemble. Une fois le cerf vaincu, le cheval demanda au chasseur de descendre et de le libérer. «Pas si vite, mon ami», dit le chasseur. «Je t’ai maintenant mis sous mors et sous éperon et préfère te garder tel que tu es actuellement».
36. La nature spécifique des violations de l’article 18 réside dans le fait qu’il s’agit de violations des droits humains commises dans la poursuite d’un but inavoué illégal impliquant un abus de pouvoir. Ces affaires portent principalement sur l’arrestation, la détention et/ou la condamnation de critiques du gouvernement, de militants de la société civile, de défenseurs des droits humains et de responsables politiques. Dans de nombreux cas, il s’agit de poursuites pénales pour des accusations non étayées par des preuves et dont l’objectif ultime est de réduire au silence ou de punir le requérant et de dissuader les autres initiatives. Comme je l’ai souligné dans le rapport de 2023, «les violations de l’article 18 de la Convention nient par excellence l’essence même de la démocratie et sont jugées particulièrement graves car liées à un abus de pouvoir délibéré» 
			(47) 
			Doc. 15742, paragraphe 44.. Elles sont souvent le signe d’un dysfonctionnement généralisé et systémique au sein d’un système constitutionnel, qui érode la séparation des pouvoirs et expose ainsi le système aux abus de pouvoir pour des motifs inavoués. Comme l’énoncent les Principes de Reykjavík pour la démocratie, les États s’engagent à «respecter la séparation des pouvoirs, en prévoyant des mécanismes adéquats pour établir un équilibre des pouvoirs entre les différentes institutions de l’État, à tous les niveaux, afin d’éviter toute concentration excessive du pouvoir» et à lutter contre la corruption, «notamment grâce à des actions de prévention et en demandant des comptes aux détenteurs du pouvoir public» 
			(48) 
			<a href='https://rm.coe.int/4e-sommet-des-chefs-d-etat-et-de-gouvernement-du-conseil-de-l-europe/1680ab40c0'>Déclaration
de Reykjavík – Unis autour de nos valeurs</a>, principes 4 et 6.. Toutefois, les arrêts de référence de la Cour qui concluent à une violation de l’article 18 n’ont toujours pas été exécutés dans des affaires qui concernent l’Azerbaïdjan, la Bulgarie, la Géorgie, la Pologne, la Fédération de Russie, la Türkiye et l’Ukraine 
			(49) 
			Site internet <a href='https://hudoc.exec.coe.int/fre'>HUDOC</a>. Miroslava Todorova c. Bulgarie, requête
no 40072/13, arrêt du 19 octobre 2021; Navalnyy c. Russie, requêtes no 29580/12
et 4 autres, arrêt du 15 novembre 2018; Merabishvili
c. Géorgie, requête no 72508/13, arrêt
du 28 novembre 2017; Juszczyszyn c. Pologne, requête
no 35599/20, arrêt du 6 octobre 2022; Mammadli c. Azerbaïdjan, requête
no 47145/14, arrêt du 19 avril 2018; Lutsenko c. Ukraine, requête no 6492/11,
arrêt du 3 juillet 2012; Kogan et autres
c. Russie, requête no 54003/20,
arrêt du 7 mars 2023..
37. La plus importante de ces affaires est celle d’Osman Kavala c. Turquie. M. Kavala est un défenseur des droits humains et un activiste civil en Türkiye. Dans un arrêt de 2019, la Cour européenne a estimé que l’arrestation et la détention provisoire de M. Kavala en 2017 (en lien avec les événements du parc Gezi de 2013 et la tentative de coup d’État de 2016) constituaient une violation de ses droits fondamentaux et avaient eu lieu en l’absence d’éléments de preuve permettant de soupçonner raisonnablement qu’il avait commis une infraction. En outre, en l’absence de tels éléments, il n’y avait manifestement pas de preuves suffisantes pour condamner M. Kavala pour une telle infraction. Malgré cela, M. Kavala est toujours détenu depuis 2017, en violation de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme. Face au refus persistant de la Türkiye d’exécuter l’arrêt de la Cour dans cette affaire, le Comité des Ministres a saisi la Cour en vertu de l’article 46, paragraphe 4. L’arrêt relatif à l’article 46, paragraphe 4, rendu par la Cour en 2022 a conclu que la Türkiye avait manqué à son obligation de se conformer l’arrêt définitif de la Cour, notamment en n’ayant pas assuré la libération de M. Kavala et en refusant de le faire. Pour autant, M. Kavala est toujours en prison.
38. C’est la deuxième fois seulement que la Cour rend une conclusion aussi importante. Le refus continu, flagrant, persistant et incompréhensible de la Türkiye de libérer M. Kavala, comme l’a ordonné la Cour, présente un risque évident pour l’État de droit et l’ensemble du système de la Convention et constitue donc une grave préoccupation pour tous les acteurs du système du Conseil de l’Europe. Tant que M. Kavala sera détenu arbitrairement en Türkiye, la situation restera au centre de toutes les attentions et une source d’inquiétude pour la crédibilité du Conseil de l’Europe et du système de la Convention. En octobre 2023, l’Assemblée a adopté la Résolution 2518 (2023) «Appel à la libération immédiate d'Osman Kavala», dans laquelle elle demandait sans équivoque la libération d’Osman Kavala, en précisant que «[c]ette affaire vraiment exceptionnelle sape les fondements du système de la Convention dans son ensemble». L’Assemblée a estimé que le moment était venu de prendre des mesures pour engager la procédure conjointe complémentaire et a rappelé sa capacité à contester les pouvoirs de la délégation turque. Or, aucune de ces mesures n’a été prise.
39. Parmi les autres affaires notables relatives à l’article 18 figure la détention arbitraire fondée sur des motivations politiques de M. Selahattin Demirtaş, ancien dirigeant du Parti démocratique des peuples (HDP), un parti d’opposition pro-kurde, et député à la Grande Assemblée nationale turque (voir aussi le paragraphe 22). Dans l’arrêt Selahattin Demirtaş c. Turquie, la Cour a estimé que les juridictions nationales n’avaient mis en avant aucun fait ni aucune information spécifique de nature à faire naître des soupçons raisonnables que le requérant avait commis les infractions en question et à justifier son arrestation et sa détention provisoire. De même, dans l’affaire Yüksekdağ Şenoğlu et autres c. Turquie, Mme Figen Yüksekdağ Şenoğlu est toujours emprisonnée, bien que la Cour ait conclu qu’elle avait été arrêtée et inculpée en l’absence de tout soupçon raisonnable qu’elle ait commis une infraction pénale. Dans la même affaire, 11 autres membres de la Grande Assemblée nationale turque ont été libérés, mais sont toujours en attente de leur procès pour des motifs que la Cour a jugés non fondés sur des soupçons raisonnables et poursuivis dans un but inavoué 
			(50) 
			Groupe d’affaires Selahattin Demirtaş (no 2) c. Turquie (requête no 14305/17).
Voir CM/Del/Dec(2024)1514/H46-38, 3-5 décembre 2024..
40. Je suis très préoccupé par l’incidence que les défaillances dans l’exécution de ces arrêts ont sur la Türkiye. Si le gouvernement peut exercer une influence indue sur les services du ministère public et le pouvoir judiciaire, et si des représentants élus peuvent être détenus et emprisonnés arbitrairement, alors la démocratie est gravement menacée. Un exemple particulièrement inquiétant est celui du maire d’Istanbul, M. Ekrem Imamoğlu, figure de proue du principal parti d’opposition en Türkiye, le Parti républicain du peuple (CHP), qui est considéré comme un candidat potentiel à la présidence en 2028. Trois actes d’accusation ont été émis contre lui, qui pourraient conduire à son emprisonnement et à son interdiction d’exercer une activité politique en Türkiye. Étant donné que les autorités turques n’ont pas mis en œuvre les réformes rendues nécessaires par les affaires susmentionnées pour garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire et empêcher les poursuites arbitraires contre les responsables politiques, on peut légitimement se demander si les accusations portées contre M. Imamoğlu sont motivées par des considérations politiques. De même, 10 maires ont été démis de leurs fonctions depuis les élections locales de 2024 en Türkiye. Plus récemment, à Van, le maire démocratiquement élu du Parti démocrate a été démis de ses fonctions, privant ainsi de fait un million de personnes de leurs voix. Après les élections locales de mars 2019, seules 6 des 65 municipalités remportées par le HDP ont pu continuer à fonctionner sans nomination d’un administrateur jusqu’en 2024.
41. De la même manière, le groupe d’affaires Mammadli c. Azerbaïdjan concerne des arrestations et poursuites pour motifs politiques dont ont fait l’objet plusieurs défenseurs des droits humains, des militants de la société civile et un journaliste. Toutes ces personnes ont été graciées, libérées et/ou ont bénéficié d’un non-lieu dans le cadre de procédures pénales engagées contre eux. Cependant, sept requérants qui avaient été condamnés n’ont pas encore obtenu l’annulation de leur condamnation par la Cour suprême ni l’effacement de leur casier judiciaire, ce qu’exige la procédure de restitutio in integrum. Le requérant dans l’affaire de référence, M. Anar Mammadli, lauréat du prix Václav Havel de l’Assemblée, a été de nouveau arrêté le 29 avril 2024 et placé en détention provisoire.
42. Enfin, en ce qui concerne l’affaire Öcalan c. Turquie (n° 2), je suis préoccupé par l’absence persistante en Türkiye d’un mécanisme qui permettrait de réexaminer les peines de réclusion à perpétuité aggravées après une certaine durée minimale avec possibilité de libération, dans les cas où les exigences de punition et de dissuasion ont été entièrement satisfaites et où la personne ne représente plus un danger pour la société.

4.5. Affaires relatives à l’indépendance du pouvoir judiciaire

43. Les affaires relatives à l’indépendance du pouvoir judiciaire et des autres mécanismes de contrôle sont indispensables pour éviter tout abus ou détournement de pouvoir et pour préserver le bon fonctionnement de la démocratie 
			(51) 
			Comme le soulignent
les Principes de Reykjavík pour la démocratie, les États s’engagent
à «garantir l’indépendance, l’impartialité et l’efficacité de la
justice. Les juges doivent être indépendants et impartiaux dans
l’exercice de leurs fonctions, et ne doivent subir aucune ingérence
extérieure, y compris de la part de l’exécutif». <a href='https://rm.coe.int/4e-sommet-des-chefs-d-etat-et-de-gouvernement-du-conseil-de-l-europe/1680ab40c0'>Déclaration
de Reykjavík – Unis autour de nos valeurs,</a> principe 5.. Ces affaires portent notamment sur le caractère adéquat des garanties procédurales qui entourent la révocation ou la nomination des juges ou d’autres mesures visant à sanctionner les juges, en particulier lorsque l’abus de telles sanctions pourrait constituer une restriction à la liberté d’expression des juges 
			(52) 
			Parmi
ces affaires, on peut citer Miroslava
Todorova c. Bulgarie, requête no 40072/13,
arrêt du 19 octobre 2021; Baka c. Hongrie, requête
no 2026/12, arrêt du 23 juin 2016; Broda et Bojara c. Pologne, requêtes
nos 26691/18 et 27367/18, arrêt du 29 juin
2021; Grzeda c. Pologne, requête
no 43572/18, arrêt du 15 mars 2022; Żurek c. Pologne, requête n° 39650/18,
arrêt du 16 juin 2022; Juszczyszyn c.
Pologne, requête n° 35599/20, arrêt du 6 octobre 2022; Tuleya c. Pologne, requête n° 21181/19,
arrêt du 6 juillet 2023; Brisc c. Roumanie, requête
no 26238/10, arrêt du 11 décembre 2018; Bilgenc. Turquie, requête no 1571/07,
arrêt du 9 juin 2021.. D’autres affaires concernent l’adéquation et l’indépendance des procédures de nomination des juges 
			(53) 
			Dans l’affaire Xero Flor c. Pologne, requête no 4907/18,
arrêt du 7 août 2021, la Cour a conclu à une violation de l’article 6
de la Convention liée à la composition de la Cour constitutionnelle
polonaise. La Cour a estimé que l’élection de certains juges à la
Cour constitutionnelle était irrégulière, car non conforme aux dispositions
constitutionnelles polonaises relatives à l’élection d’un juge à
la Cour constitutionnelle. Des juges avaient déjà été élus par le
Sejm (la chambre basse du parlement polonais) précédent, mais n’avaient
pas prêté serment devant le président. Il n’était donc pas approprié
que le nouveau Sejm cherche à élire d’autres juges à leur place.
Ces irrégularités ont porté atteinte au droit de la société requérante
à un tribunal établi par la loi, en violation de l’article 6 de
la Convention, puisque des juges irrégulièrement nommés ont participé
à des délibérations judiciaires. 
			(53) 
			Dans le groupe d’affaires <a href='https://www.bing.com/ck/a?!&&p=6c33f35b631f7885JmltdHM9MTY3NzExMDQwMCZpZ3VpZD0yMDI5NWE4OS1iMTQzLTYyODUtMGUwMS00ODM3YjBmYTYzNmQmaW5zaWQ9NTE3OA&ptn=3&hsh=3&fclid=20295a89-b143-6285-0e01-4837b0fa636d&psq=Reczkowicz&u=a1aHR0cHM6Ly9odWRvYy5lY2hyLmNvZS5pbnQvYXBwL2NvbnZlcnNpb24vZG9jeC9wZGY_bGlicmFyeT1FQ0hSJmlkPTAwMS0yMTExMjcmZmlsZW5hbWU9Q0FTRSUyME9GJTIwUkVDWktPV0lDWiUyMHYuJTIwUE9MQU5ELnBkZg&ntb=1'>Reczkowicz
c. Pologne</a>, la Cour a conclu à une violation du droit à un tribunal
établi par la loi, en violation de l’article 6 de la Convention,
en raison de la participation aux procédures nationales de juges
de la Cour suprême polonaise nommés dans le cadre d’une procédure
intrinsèquement défaillante sur proposition du Conseil national
de la magistrature, sans véritable indépendance par rapport aux
pouvoirs législatif et exécutif et dans un contexte plus large de
réformes visant à affaiblir l’indépendance de la justice. Les affaires
de ce groupe comprennent les arrêts de 2021 Reczkowicz
c. Pologne, requête no 43447/19,
arrêt du 22 juillet 2021; et Dolińska-Ficek
et Ozimek c. Pologne, requêtes nos 49868/19
et 57511/19, arrêt du 8 novembre 2021, ainsi
que l’arrêt rendu en 2022 dans l’affaire Advance Pharma
Sp. z o.o. c. Pologne. La même question se pose également
dans l'arrêt pilote de Wałęsa c. Pologne,
requête n° 50849/21, arrêt du 23 novembre 2023..
44. La Pologne a fait l’objet d’arrêts de la Cour relatifs à toutes ces questions. Ces décisions ont été au cœur de mes préoccupations lors de ma visite d’information à Varsovie, effectuée en septembre 2024. J’ai eu la chance de pouvoir m’entretenir avec plusieurs personnalités de haut niveau, notamment avec le président du comité permanent du Conseil des ministres, M. Maciej Berek, la ministre de l’Égalité, Mme Katarzyna Kotula, le ministre de la Justice, M. Adam Bodnar, la sous-secrétaire d’État au ministère des Affaires étrangères, Mme Henryka Mościcka-Dendys, le Commissaire adjoint aux droits de l’homme, M. Valeri Vachev, la présidente du Conseil national de la magistrature, Mme Dagmara Pawelczyk-Woicka, la première présidente de la Cour suprême, Dr Małgorzata Manowska, la cheffe de la Chancellerie du président polonais, Mme Małgorzata Paprocka, la cheffe de la délégation polonaise à l’Assemblée, Mme Agnieszka Pomaska, ainsi que M. Patryk Jaskulski et d’autres éminents parlementaires, et un groupe diversifié d’organisations de la société civile (y compris des représentants de la Fondation d’Helsinki pour les droits de l’homme, de Iustitia, du Forum Obywatelskiego Rozwoju et de l’Association de juges Votum). Nous avons abordé des questions importantes et complexes soulevées par les arrêts de la Cour, à propos de la composition de la Cour constitutionnelle 
			(54) 
			Xero Flor c. Pologne, requête no 4907/18,
arrêt du 7 août 2021., de l’indépendance du Conseil national de la magistrature 
			(55) 
			Reczkowicz c. Pologne, requête no 43447/19,
arrêt du 22 juillet 2021; Grzeda c. Pologne,
requête no 43572/18, arrêt du 15 mars
2022; Wałęsa c. Pologne, requête
no 50849/21, arrêt du 23 novembre 2023., des nominations à la Cour suprême et dans des juridictions inférieures 
			(56) 
			Reczkowicz
c. Pologne, requête no 43447/19,
arrêt du 22 juillet 2021; Dolińska-Ficek
et Ozimek c. Pologne, requêtes nos 49868/19
et 57511/19, arrêt du 8 novembre 2021,
Advance Pharma sp. z o.o c. Pologne, requête no 1469/20,
arrêt du 3 février 2022; Broda et Bojara
c. Pologne, requêtes nos 26691/18
et 27367/18, arrêt du 29 juin 2021. et des procédures disciplinaires engagées contre les juges 
			(57) 
			Zurek
c. Pologne, requête no 39650/18,
arrêt du 16 juin 2022; Juszczyszyn c. Pologne,
requête no 35599/20, arrêt du 6 octobre
2022; Tuleya c. Pologne, requête
no 21181/19, arrêt du 6 juillet 2023..
45. J’ai salué la volonté claire du gouvernement de mener des réformes sur ces questions importantes, qu’il considère comme extrêmement urgentes et qui sont en effet nécessaires pour se conformer aux arrêts de la Cour. C’est une très bonne nouvelle, surtout si l’on considère l’opposition à la mise en œuvre exprimée par l’administration précédente et certains organes judiciaires nommés par l’ancienne majorité au pouvoir 
			(58) 
			En
réaction aux arrêts de la Cour, la Cour constitutionnelle polonaise
a rendu deux arrêts qui considèrent que l’article 6, paragraphe 1,
de la Convention est incompatible avec la Constitution polonaise.
En outre, le précédent Gouvernement polonais a informé le greffe
de la Cour qu’il ne se conformerait pas aux mesures provisoires
prononcées en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour dans
les affaires relatives à la réforme du système judiciaire.. En attendant, je m’inquiète de ce que la crise constitutionnelle en Pologne a créé un large éventail de factions au sein de la communauté juridique, qui sont profondément divisées sur la question de savoir si l’ordre judiciaire actuel doit être maintenu ou réformé (et, s’il doit être réformé, sur la forme que ces réformes devraient prendre). Ces divergences d’opinions sur les institutions judiciaires fondamentales sont intenables et dangereuses pour l’État de droit.
46. L’impasse actuelle constitue un obstacle important qui empêchent la mise en place des réformes en cours. Le premier de ces obstacles réside dans l’opposition que l’actuel Président de la Pologne – qui peut refuser de signer une nouvelle loi en vertu de la Constitution polonaise 
			(59) 
			Si le
Président refuse de signer un projet de loi, son veto ne peut être
annulé par le parlement qu’à la majorité des trois cinquièmes. Or,
le Gouvernement polonais actuel ne dispose pas d’une telle majorité
et le Président s’aligne sur le principal parti d’opposition. – a publiquement déclarée à l’égard des réformes judiciaires proposées par le gouvernement (ce qui a été confirmé lors de mon entretien avec la cheffe de sa Chancellerie). J’en ai conclu que les différentes factions impliquées dans la crise constitutionnelle polonaise attendaient les élections présidentielles du printemps 2025, dans l’espoir que le scrutin contribuerait à protéger l’ordre judiciaire actuel ou à faciliter sa transformation (selon leur position). J’espère que la crise constitutionnelle en Pologne pourra être réglée le plus rapidement possible, avec des réformes qui démarreront cette année et permettront en fin de compte de fédérer les professionnels de l’ordre judiciaire polonais et de mettre pleinement en œuvre les arrêts de la Cour, conformément aux avis rendus par la Commission de Venise et aux indications fournies par le Comité des Ministres.
47. Revenant à l’affaire Osman Kavala c. Turquie, le Comité des Ministres a «invit[é] instamment les autorités turques à prendre toutes les mesures législatives et autres pour garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire, en particulier en assurant l’indépendance structurelle du Conseil des juges et des procureurs par rapport à l’exécutif, et regrett[é] profondément, une fois de plus, l’absence de tout progrès sur cette question» 
			(60) 
			Décision du Comité
des Ministres, <a href='https://hudoc.exec.coe.int/'>CM/Del/Dec(2024)1507/H46-37</a>, 17-19 septembre 2024..

5. Affaires interétatiques et affaires individuelles présentant des caractéristiques interétatiques

48. Un grand nombre d’affaires interétatiques et d’affaires individuelles relatives à des questions interétatiques en attente d’exécution sont liées à des situations amères d’après-conflit ou à des conflits non réglés ou gelés. Les exemples les plus significatifs sont les affaires Chypre c. Turquie; Géorgie c. Russie (I), (II) et (IV); les affaires individuelles liées à la situation dans la région de Transnistrie de la République de Moldova 
			(61) 
			Par exemple, groupe
d’affaires Catan et autres c. Russie,
requêtes no 43370/04 et 18454/06, arrêt
du 19 octobre 2012; groupe d’affaires Mozer
c. Russie, requête no 11138/10,
arrêt du 23 février 2016.; et les affaires liées à la situation du Haut-Karabakh.
49. Au vu du nombre de requêtes interétatiques actuellement pendantes devant la Cour, il y a fort à parier que de telles affaires poseront des difficultés dans les années à venir. On recense à l’heure actuelle 12 requêtes interétatiques relatives à des conflits qui sont pendantes devant la Cour: une affaire introduite par l’Ukraine et les Pays-Bas contre la Fédération de Russie; trois introduites par l’Ukraine contre la Fédération de Russie; quatre introduites par l’Arménie contre l’Azerbaïdjan; une introduite par l’Arménie contre la Türkiye; deux introduites par l’Azerbaïdjan contre l’Arménie; et une introduite par la Géorgie contre la Fédération de Russie. On compte par ailleurs environ 10 500 requêtes individuelles qui trouvent leur origine dans les mêmes conflits 
			(62) 
			Cour
européenne des droits de l’homme, <a href='https://www.coe.int/fr/web/execution/annual-reports'>Rapport
annuel 2024</a>, page 32.. Si toutes les requêtes pendantes n’aboutiront pas nécessairement à un arrêt à exécuter par un État ou à surveiller par le Comité des Ministres, la multiplication des affaires interétatiques conduit à penser que le Conseil de l’Europe ferait preuve de prudence en se dotant d’outils pour les traiter et faciliter l’exécution des arrêts correspondants. Dans ce contexte, il y a lieu de souligner les propositions adoptées par l’Assemblée dans sa Résolution 2559 (2024) «Processus de réparation et de réconciliation pour surmonter les conflits passés et construire un avenir commun de paix: la question des mesures réparatoires justes et équitables».
50. Depuis la parution du rapport de 2023, la commission des questions juridiques et des droits de l'homme a eu des échanges utiles lors de sa réunion à Larnaka les 22 et 23 mai 2023. Elle s’est notamment concentrée sur l’affaire interétatique Chypre c. Turquie ainsi que sur les requêtes individuelles liées aux conséquences de l’invasion militaire turque à Chypre en 1974. Plusieurs intervenants se sont exprimés au cours d’une audition sur ce sujet, dont Mme Anne Koukkides-Procopiou, ministre de la Justice et de l’Ordre public de la République de Chypre; M. Costas Paraskeva, professeur associé de droit public et des droits humains, Université de Chypre, également avocat et ancien membre du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants; M. Polyvios G. Polyviou, avocat; et M. Achilleas Demetriades, avocat. L’audition a également abordé l’affaire interétatique Géorgie c. Russie, avec la participation de M. Levan Meskhoradze, Unité Géorgie et Azerbaïdjan, Direction générale Droits humains et État de droit, Conseil de l’Europe. Les intervenants ont souligné la nécessité de prévoir des conséquences en cas d’agression, faute de quoi on ne ferait qu’encourager la tolérance à l’égard d’autres guerres et agressions en Europe. Ils ont reconnu le rôle joué par les considérations politiques dans l’application des arrêts interétatiques, mais ont également insisté sur l’importance de l’obligation de rendre des comptes et de l’État de droit (et pas seulement des jeux de pouvoir) pour garantir la paix et la sécurité sur le continent européen.
51. Les discussions ont pleinement mis en lumière les difficultés rencontrées pour assurer l’exécution rapide et effective des arrêts de la Cour dans les affaires interétatiques, ainsi que la frustration ressentie par les personnes dont les droits sont ignorés et gravement compromis par les retards persistants et je pourrais dire délibérés dans l’exécution des arrêts de la Cour pour des raisons politiques et extrajudiciaires. Les affaires interétatiques impliquent, de par leur nature même, des questions très sensibles (comme la question de l’enquête effective sur le sort des personnes disparues à Chypre depuis 1974) et d’autres considérations fondamentales relatives aux droits humains (par exemple, les droits de propriété des propriétaires chypriotes grecs dans la partie occupée de Chypre ou le droit à l’éducation des personnes enclavées). L’importance de la volonté politique pour le règlement de ces affaires a été soulignée, de même que le jeu complexe des solutions politiques nécessaires à la réconciliation et à la résolution des situations complexes d’après-conflit d’une part, et des droits individuels garantis par les arrêts de la Cour, d’autre part. Ainsi, malgré l’octroi d’une satisfaction équitable en 2014 dans la 4e affaire interétatique Chypre c. Turquie, celle-ci n’a toujours pas été versée près de 10 ans plus tard, ce qui remet sérieusement en question le droit à un recours effectif pour les violations des droits humains 
			(63) 
			Arrêt Chypre c. Turquie (satisfaction
équitable) de 2014, qui fait suite à l’arrêt sur le fond de 2001.
Dans son arrêt sur la satisfaction équitable, la Cour a accordé
30 millions € au titre du préjudice moral subi par les proches des
personnes disparues, et 60 millions € au titre du préjudice moral
subi par les résidents chypriotes grecs de l’enclave de la péninsule de
Karpas (ce montant doit être distribué par le Gouvernement chypriote
aux victimes individuelles)..
52. Les trois affaires Géorgie c. Russie concernent (i) l’expulsion de Géorgiens de la Fédération de Russie en 2006; (ii) la violation du droit à la vie, l’interdiction de la torture et des détentions arbitraires, le respect des droits de propriété, etc., pendant l’invasion de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud en 2008; et (iii) diverses violations liées au processus dit de «frontiérisation» qui a suivi. La Cour a répondu favorablement aux demandes de satisfaction équitable et a accordé 10 millions € dans la première affaire et 130 millions € dans la deuxième, mais ces sommes n’ont toujours pas été versées (la Cour n’a pas encore statué sur la satisfaction équitable dans l’affaire Géorgie c. Russie (IV)). La satisfaction équitable (indemnisation) n’est qu’une des nombreuses mesures exigées des autorités russes pour l’exécution de ces arrêts. Par exemple, des milliers de personnes déplacées en Géorgie veulent rentrer chez elles, mais la Fédération de Russie continue d’entraver le retour des personnes déplacées. Fondamentalement, l’exécution d’un arrêt exige une volonté politique et la prise de mesures effectives. Une proposition a été évoquée, à savoir la saisie des avoirs de l’État russe détenus dans des pays tiers. Cette question est examinée plus en détail ci-dessous dans le contexte de la Fédération de Russie.

6. L’exécution des arrêts par la Fédération de Russie

6.1. Vue d’ensemble

53. La Fédération de Russie a cessé d’être membre du Conseil de l’Europe le 16 mars 2022 et Partie à la Convention européenne des droits de l’homme six mois plus tard, le 16 septembre 2022. La Fédération de Russie est toujours tenue d’exécuter les arrêts de la Cour européenne qui portent sur des violations de la Convention commises avant le 16 septembre 2022.
54. Selon le Rapport annuel 2024, la Fédération de Russie compte le plus grand nombre d’arrêts en attente d’exécution, 2 867 – cela signifie que plus de 40 % de toutes les affaires en attente d’exécution concernent la Fédération de Russie. En outre, la Fédération de Russie présente le nombre le plus élevé d’affaires de référence non exécutées – 244, selon le Rapport annuel 2024.
55. Même avant son expulsion de l’Organisation, la Fédération de Russie affichait déjà un piètre bilan en matière d’exécution des arrêts de la Cour. À l’exception de quelques cas notables, elle versait généralement la satisfaction équitable accordée par la Cour. En revanche, son bilan concernant la mise en œuvre des mesures générales requises par les affaires de référence était extrêmement mauvais. Ce manquement s’est traduit par une grave dégradation des droits humains dans le pays ainsi que par sa dérive autoritaire.
56. Le 11 juin 2022, une nouvelle loi est entrée en vigueur en Fédération de Russie pour régir l’exécution des arrêts. Ses dispositions précisaient que les arrêts de la Cour européenne devenus définitifs après le 15 mars 2022 ne seraient pas exécutés et ne pourraient pas servir de fondement à la réouverture de procédures. La loi prévoyait par ailleurs que les indemnités accordées au titre de la satisfaction équitable dans les arrêts devenus définitifs avant le 15 mars 2022 seraient payées jusqu’au 1er janvier 2023. Toutefois, le paiement serait effectué en roubles et uniquement sur des comptes bancaires en Fédération de Russie. Aujourd’hui, les autorités russes ont cessé de payer ces indemnités dans toutes les affaires et ont coupé toute communication avec le processus de surveillance de l’exécution des arrêts par le Comité des Ministres 
			(64) 
			Comité des Ministres,
«Propositions pour une éventuelle stratégie concernant la surveillance
de l’exécution des affaires pendantes contre la Fédération de Russie», <a href='https://search.coe.int/cm'>CM/Inf/DH(2022)25</a>, 8 décembre 2022..
57. Le Comité des Ministres a publié un certain nombre de propositions pour une éventuelle stratégie concernant la surveillance de l’exécution des affaires pendantes contre la Fédération de Russie. En décembre 2022, en l’absence de coopération des autorités russes, le Comité des Ministres a décidé de renforcer son engagement auprès de la société civile russe et des organes pertinents des Nations Unies, et de créer un registre public en ligne des sommes allouées au titre de la satisfaction équitable en suspens concernant la Fédération de Russie 
			(65) 
			Ibid..
58. Dans sa dernière décision sur ce sujet, en décembre 2024, le Comité des Ministres a chargé le secrétariat de poursuivre sa collaboration avec les autres organisations internationales afin d’attirer l’attention sur les arrêts pendants, d’explorer de nouvelles pistes pour intensifier la coopération avec la société civile russe sur cette question, de renforcer encore le travail de visibilité et de communication sur la surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour concernant la Fédération de Russie et d’élaborer un document avant chaque réunion trimestrielle Droits de l’Homme qui présente un aperçu des mesures d’exécution requises dans toutes les affaires de référence russes en attente d’exécution. Le Comité des Ministres a également convenu de continuer à examiner, à intervalles réguliers, l’exécution des affaires interétatiques concernant la Fédération de Russie et des affaires comportant des éléments interétatiques; a invité le Secrétaire Général à envoyer une lettre une fois par an au ministre russe des Affaires étrangères, pour l’informer des décisions et résolutions adoptées pendant l’année par le Comité des Ministres dans les affaires dans lesquelles la Fédération de Russie est l’État défendeur; et a convenu de revoir la stratégie en décembre 2025 au plus tard 
			(66) 
			Décision
du Comité des Ministres, «Affaires pendantes contre la Fédération
de Russie», <a href='https://search.coe.int/cm'>CM/Del/Dec(2024)1514/A3</a>, 3-5 décembre 2025..

6.2. Analyse

59. Malheureusement, le Comité des Ministres dispose d’outils très limités pour assurer l’exécution effective des arrêts de la Cour contre la Fédération de Russie. La stratégie adoptée porte essentiellement sur la coopération avec les Nations Unies, la collaboration avec la société civile russe, l’envoi de messages symboliques aux autorités russes, l’amélioration de la visibilité du processus de surveillance de l’exécution des arrêts et le suivi régulier de la surveillance des affaires. Ces mesures peuvent contribuer à accroître la visibilité des arrêts et à les maintenir «en vie», mais ont peu de chances d’aboutir à leur exécution.
60. D’un point de vue réaliste, l’exécution des arrêts ne pourra se faire que de deux manières. Premièrement, il faudrait que la Fédération de Russie connaisse un changement politique radical et souhaite redevenir membre du Conseil de l’Europe ou réintégrer l’ordre juridique européen d’une autre manière. Deuxièmement, l'exécution partielle des arrêts pourrait être acquise en obtenant le paiement d'une satisfaction équitable par des moyens créatifs. Pour le moment, l’Assemblée devrait se concentrer sur la deuxième option.

6.3. Garantir le paiement de la satisfaction équitable due en vertu des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme concernant la Fédération de Russie

61. Au 15 janvier 2025, la Fédération de Russie devait plus de trois milliards EUR au titre de la satisfaction équitable en vertu des arrêts de la Cour (3 011 965 800,80 € au total, y compris les intérêts moratoires). Ce montant comprenait 156 754 832,80 € liés à des affaires interétatiques (dont deux en particulier: 12 723 315,07 € pour l’affaire Géorgie c. Russie (I) et 144 031 517,73 € pour l’affaire Géorgie c. Russie (II)). Le montant dû pour les affaires individuelles s’élevait quant à lui à 2 855 210 968 € (y compris les intérêts moratoires). Une part significative de ce montant (2 621 185 130,80 €) concerne l’affaire «Yukos» – OAO Neftyanaya Kompaniya Yukos c. Russie 
			(67) 
			Site
internet du Conseil de l’Europe, <a href='https://www.coe.int/fr/web/execution/register'>«Registre
de la satisfaction équitable concernant la Fédération de Russie»</a>..
62. La Cour n’a toujours pas statué sur les violations qui résultent de la destruction du vol MH17 et de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine en février 2022. En juin 2024, la Cour a rendu un arrêt important dans l’affaire Ukraine c. Russie(Crimée), une affaire interétatique principalement liée aux violations commises en Crimée depuis 2014. La question de la satisfaction équitable pour les violations constatées sera tranchée dans un futur arrêt. Lorsque la Cour européenne déterminera le montant des dommages-intérêts pour ces violations et d’autres qu’elle pourrait constater à l’avenir en rapport avec la guerre en Ukraine, il conviendra de s’assurer que les requérants reçoivent l’indemnité de réparation qui leur est due. Les montants en jeu peuvent revêtir une importance stratégique.
63. En février 2024, le Comité des Ministres a invité le Comité des Conseillers juridiques sur le droit international public (CAHDI) à fournir un aperçu indicatif des moyens possibles conformes au droit international et destinés à garantir le paiement par la Fédération de Russie de la satisfaction équitable octroyée par la Cour européenne des droits de l’homme, tout en respectant les immunités des États et leurs biens 
			(68) 
			Comité
des Ministres, «Options en droit international visant à garantir
le paiement par la Fédération de Russie de la satisfaction équitable
accordée par la Cour européenne des droits de l’homme», <a href='https://search.coe.int/cm'>CM/Del/Dec(2024)1488/10.5</a>, 7-8 février 2024.. Ce rapport a été remis au Comité des Ministres en janvier 2025, mais il n’est pas public. Au moment où je rédige le présent rapport, le Comité des Ministres doit encore examiner les éventuelles implications dudit rapport.
64. Lors du débat public, un certain nombre de propositions intéressantes ont été avancées concernant le paiement des sommes en souffrance. Les deux propositions principales sont l’exécution forcée par les tribunaux nationaux (par exemple en considérant les arrêts de la Cour comme ayant autorité de la chose jugée et en n’appliquant pas l’immunité de l’État) et la mise en place d’un mécanisme de financement ad hoc, tel qu’un fonds fiduciaire, ou d’un accord partiel au Conseil de l’Europe. Les sources possibles de financement pourraient inclure les avoirs de l’État russe (notamment les avoirs gelés de la Banque centrale russe d’un montant de plus de 300 milliards € détenus par Euroclear) et les avoirs des entités commerciales publiques russes 
			(69) 
			Pour
approfondir cette question, voir les documents suivants: Professeure
Phillipa Webb, «Legal options for confiscation of Russian state
assets to support the reconstruction of Ukraine», étude pour le
service de recherche du Parlement européen, février 2024; David
Carden, «<a href='https://saisreview.sais.jhu.edu/utilizing-the-european-convention-on-human-rights-to-transfer-frozen-russian-assets-to-ukraine/'>Utilizing
the European Convention on Human Rights to Transfer Frozen Russian
Assets to Ukraine</a>», the SAIS Review of International Affairs, 13 mars
2024; Kirill Koroteev, «<a href='https://verfassungsblog.de/moving-on-in-strasbourg/'>Moving
on in Strasbourg</a>», Verfassungsblog, 12 décembre 2022; Grigory Vaypan,
«<a href='https://cepa.org/article/russia-can-be-forced-to-pay-for-its-crimes-a-proposal/'>Russia
Can Be Forced to Pay for Its Crimes: A Proposal</a>», Center for European Policy Analysis, 11 juin 2024;
Philipp Kehl, «<a href='https://www.ejiltalk.org/seizing-russias-frozen-assets-quis-iudicabit/'>Seizing
Russia’s Frozen Assets: Quis iudicabit?</a>», Blog de la Revue européenne de droit international,
24 janvier 2024. Je tiens également à remercier la professeure Veronika
Fikfak et M. Achilleas Demetriades pour leurs présentations instructives
sur ce sujet lors d’une réunion de la sous-commission sur la mise
en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme,
qui s’est tenue à Tirana le 5 juillet 2024..
65. De telles mesures ne sont pas sans présenter des complexités juridiques et politiques. On pense notamment aux aspects juridiques très sensibles de l’immunité souveraine et de la conformité de l’exécution au niveau national avec la Convention; à la question de savoir comment les nouvelles mesures destinées à faire appliquer les arrêts de la Cour pourraient coexister avec le Registre des dommages pour l’Ukraine (et éventuellement se disputer les mêmes fonds qu’une éventuelle commission d’indemnisation); aux questions morales et politiques que pose l’utilisation des avoirs russes saisis pour le paiement d’une satisfaction équitable aux citoyens russes alors que ces sommes pourraient (éventuellement) être utilisées autrement pour indemniser l’Ukraine; aux risques financiers inhérents à la saisie des avoirs de banques centrales étrangères; et à la question de savoir qui précisément serait en mesure de recevoir le paiement de la satisfaction équitable, compte tenu des restrictions imposées aux résidents russes qui interagissent avec des organisations internationales depuis la Fédération de Russie.
66. Dans la Déclaration de Reykjavík, les dirigeants des États membres du Conseil de l’Europe ont affirmé «la nécessité de tout mettre en œuvre pour assurer l’exécution des arrêts de la Cour par la Fédération de Russie» 
			(70) 
			Déclaration
de Reykjavík, annexe IV, page 18.. En raison de sa complexité et de son importance, cette question devrait faire l’objet d’un rapport distinct.

7. La mise en œuvre des mesures énoncées dans la Déclaration de Reykjavík pour promouvoir l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme

67. Les objectifs et les priorités du Conseil de l’Europe ont été reformulés par les chefs d’État et de gouvernement dans la Déclaration de Reykjavík en mai 2023. L’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme constitue une partie importante du texte, qui comprend à la fois des engagements généraux et des plans spécifiques. Afin d’évaluer la manière dont la Déclaration a été mise en œuvre par les entités du Conseil de l’Europe, j’ai organisé plusieurs réunions avec les principales parties prenantes (voir plus haut le paragraphe 8). Je présente ci-dessous la liste des mesures les plus importantes prévues à l’annexe IV de la Déclaration de Reykjavík à propos de l’exécution des arrêts de la Cour par les entités du Conseil de l’Europe, ainsi que les actions menées à ce jour pour les mettre en œuvre.
68. Les États membres ont entrepris de:
  • «… continuer à renforcer l’efficacité du processus de surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour, en particulier ses réunions consacrées aux droits de l’homme… [et] continuer à améliorer l’efficacité du mécanisme de surveillance de l’exécution des arrêts». En novembre 2023, le Comité des Ministres a décidé de rendre public le programme de travail annuel approuvé par le Comité des Ministres lors de ses réunions Droits de l’Homme de décembre 
			(71) 
			Décision du Comité
des Ministres, «Assurer l’efficacité à long terme de la Convention
européenne des droits de l’homme», 29 novembre 2023, CM/Del/Dec(2023)1482/4.5.. Hormis cette mesure de transparence, bienvenue, mais limitée, et celles énoncées ci-après, aucune autre mesure n’a été prise pour améliorer l’efficacité du processus de surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour. Le Comité des Ministres a décidé de continuer à suivre l’évolution de cette question 
			(72) 
			Décision du Comité
des Ministres, «Garantir l’efficacité continue du système de la
Convention», 7 février 2024, CM/Del/Dec(2024)1488/4.4.;
  • «… veiller à ce que le Service de l’exécution des arrêts ait les ressources nécessaires pour aider les États membres et le Comité des Ministres dans cette tâche». Le budget du Service de l’exécution des arrêts est passé de 6 734 000 € en 2024 à 8 099 800 € en 2025. Cette hausse permettra au service d’augmenter ses effectifs de 53 à 66 personnes, ce dont nous nous félicitons vivement 
			(73) 
			Programme et budget
2024-2027 du Conseil de l’Europe, 19 décembre 2023, CM(2024)1, page 58.. Parallèlement, il convient de noter que la charge de travail du Service de l’exécution des arrêts s’est également alourdie ces dernières années. La Cour a pris des mesures particulièrement efficaces qui ont permis de traiter un plus grand nombre de requêtes en rendant un seul arrêt. Cela signifie qu’au lieu de travailler normalement à assurer l’exécution d’un seul arrêt pour un ou quelques requérants, le Service de l’exécution des arrêts est désormais plus souvent chargé de suivre l’exécution de décisions pour des dizaines ou des centaines de requérants. Il convient en outre de souligner à nouveau l’importance du travail du Service de l’exécution des arrêts pour faire en sorte que des affaires ne soient tout simplement jamais portées devant la Cour. Le fait de garantir l’exécution pleine et rapide des arrêts de la Cour permettrait d’éviter la majorité des violations et de réduire ainsi le nombre d’affaires dont elle est saisie. On peut donc raisonnablement se demander pourquoi le budget ordinaire de la Cour est dix fois supérieur à celui du Service de l’exécution des arrêts 
			(74) 
			Ibid., page 55 et 58., alors que le travail de ce dernier peut alléger la charge de travail de la Cour et améliorer l’efficacité de l’ensemble du système de la Convention. Compte tenu de cet argument et des nombreux problèmes liés à l’exécution des arrêts de la Cour décrits dans le présent rapport, il est recommandé de renforcer davantage les ressources du Service de l’exécution des arrêts;
  • «Renforcer les programmes de coopération visant à aider les États parties à mettre en œuvre les arrêts qui peuvent impliquer, le cas échéant, des États confrontés à des problèmes identiques ou similaires dans l’exécution, et renforcer la synergie entre le Service de l’exécution des arrêts et les programmes de coopération du Conseil de l’Europe». Plus de 70 % des projets de coopération en cours sont liés à l’exécution des arrêts de la Cour. La coopération entre les secrétariats des projets de coopération technique et le Service de l’exécution des arrêts a été renforcée et il y a, dans les départements concernés, des membres du personnel qui sont spécifiquement chargés d’assurer la liaison entre les deux. Dans le même temps, il n’est pas certain que le nombre de projets de coopération liés à l’exécution des arrêts de la Cour ait augmenté. Il est essentiel que les États membres mettent à cet effet des ressources supplémentaires à disposition, en particulier pour les projets menés dans les États membres de l’Union européenne, qui reçoivent actuellement très peu de soutien;
  • «… souligner l’importance d’organiser une réunion annuelle avec les coordinateurs nationaux pour l’exécution des arrêts et le Service de l’exécution des arrêts». La création du Réseau des coordinateurs de l’exécution en juin 2024 est une excellente nouvelle. Le 30 janvier 2025, j’ai participé à une réunion de ce réseau, au cours de laquelle j’ai présenté une liste de synergies et d’activités de coopération possibles avec l’Assemblée. Je suis convaincu que ce dialogue se poursuivra et qu’il donnera lieu à des échanges productifs en temps utile;
  • «Appeler à un renforcement du dialogue institutionnel entre la Cour et le Comité des Ministres sur les questions générales liées à l’exécution des arrêts». Outre les échanges semestriels qui ont lieu actuellement entre le Comité des Ministres et le président de la Cour, une réunion annuelle est désormais organisée entre le président de la Cour, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe et la présidence du Comité des Ministres. Le Service de l’exécution des arrêts et le Greffe de la Cour ont continué à renforcer leur coopération avec le lancement officiel d'un «Projet de dialogue» en 2024 réunissant des juristes des deux entités pour promouvoir une approche globale de la Convention. Des réunions thématiques et par pays ont lieu pour identifier et aligner les priorités, notamment en ce qui concerne les affaires découlant de problèmes structurels. Des échanges réguliers d'informations et des formations communes sont en cours ainsi qu’un projet commun pour créer des modules HELP ciblés dans des domaines d'intérêt transversaux afin d'améliorer la capacité nationale à résoudre certains problèmes structurels, à renforcer les mesures générales et à empêcher que des affaires répétitives ne parviennent à la Cour;
  • «Appeler à un renforcement du dialogue politique en cas de difficultés dans l’exécution des arrêts et encourager la participation de représentants à haut niveau de l’État défendeur». Dans une décision de février 2024, le Comité des Ministres a convenu de renforcer le dialogue au niveau politique en cas de difficultés dans l’exécution des arrêts et réitéré l’invitation faite aux représentants à haut niveau à participer à ses réunions du Droits de l’Homme 
			(75) 
			Décision du Comité
des Ministres, «Garantir l’efficacité continue du système de la
Convention européenne des droits de l’homme», 7 février 2024, CM/Del/Dec(2024)1488/4.4.. Il n’est pas évident de savoir si la participation de ces représentants à haut niveau aux réunions Droits de l’Homme a augmenté depuis, mais il n’est pas non plus certain que le Comité des Ministres ait les moyens d’assumer une telle augmentation, au-delà de lancer l’invitation;
  • «Appeler le Comité des Ministres à poursuivre son travail sur le renforcement des outils disponibles pour la surveillance de l’exécution des arrêts avec des mesures graduelles claires et prévisibles en cas de non-exécution ou de refus persistant d’exécuter les arrêts définitifs de la Cour, de manière appropriée et flexible, qui prenne en compte les spécificités de chaque affaire». Après une décision de février 2024, le document du Comité des Ministres sur les moyens de renforcer les outils à la disposition du Comité des Ministres dans la surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour a été mis à jour pour préciser les mesures à prendre avant d’engager une procédure en manquement 
			(76) 
			Ibid.. Ce document n’est pas public.
69. À partir de cette analyse, j’ai formulé un certain nombre de propositions de mesures supplémentaires dans le projet de résolution et de recommandation, pour les aspects où il est important – et possible – de réaliser de nouvelles avancées.
70. Les mesures déjà prises dans la liste ci-dessus sont très appréciées, tout comme les efforts considérables déployés par les parties prenantes concernées. Parmi les mesures supplémentaires, la faiblesse la plus notable concerne le premier point de la liste: les mesures destinées à améliorer l’efficacité du processus de surveillance de l’exécution des arrêts, notamment les réunions Droits de l’Homme du Comité des Ministres. Immédiatement avant et après la Déclaration de Reykjavík, une discussion publique franche s’est engagée entre les observateurs universitaires, les organisations de la société civile et le Groupe de réflexion de haut niveau du Conseil de l’Europe sur les différents moyens d’y parvenir.
71. Selon moi, une mesure efficace pour promouvoir l’exécution des arrêts de la Cour serait d’infliger des sanctions financières en cas de non-exécution généralisée. Il convient de rappeler que, en 2000, l’Assemblée avait proposé au Comité des Ministres d’instaurer des amendes journalières en cas de non-exécution des arrêts de la Cour. Le Comité des Ministres a demandé au Comité directeur pour les droits humains (CDDH) d’étudier la question. Le CDDH a conclu qu’il n’était pas pertinent de recourir à des amendes pour favoriser l’exécution des arrêts, et que cela n’augmenterait en aucun cas la pression sur les États. L’année suivante, la Commission de Venise a publié un avis dans lequel elle estimait qu’une étude de faisabilité pourrait être utile. Toutefois, le Comité des Ministres n’a commandé aucune étude et n’a pris aucune autre mesure. Je pense qu’à l’heure actuelle, ce type d’action ne bénéficie pas d’un soutien politique suffisant au sein du Comité des Ministres. Néanmoins, l’Assemblée ne devrait pas abandonner cette proposition, et devrait continuer à rappeler au Comité des Ministres la nécessité d’exercer plus de pression si c’est nécessaire 
			(77) 
			Recommandation 1477 (2000) de l’Assemblée «Exécution des arrêts de la Cour européenne
des Droits de l’Homme», 28 septembre 2000; Réponse du Comité des
Ministres, Doc. 9311, 14 janvier 2002; Avis de la Commission de Venise
sur la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits
de l’homme (no 209/2002), 18 décembre
2002..
72. Parmi les autres propositions notables figuraient l’augmentation du nombre, de la durée et de la transparence des réunions Droits de l’Homme du Comité des Ministres, la définition d’un critère clair pour l’utilisation de l’article 46, paragraphe 4, la désignation d’un représentant spécial pour l’exécution des arrêts de la Cour et des sanctions financières en cas de non-exécution 
			(78) 
			Liste de propositions
tirées des éléments suivants: Conseil des barreaux européens, «<a href='https://www.ccbe.eu/fr/documents/prises-de-position/?no_cache=1'>Propositions
du CCBE de réforme du mécanisme de la CEDH</a>», 28 juin 2019; Professeur Philip Leach, présentation
devant la sous-commission sur la mise en œuvre des arrêts de la
Cour européenne des droits de l’homme, 5 juillet 2024; Helen Keller
et Viktoriya Gurash, «”Upping the ante”: rethinking the execution
of judgments of the European Court of Human Rights», European Human
Rights Law Review, EHRLR 2023, vol. 2, pages 149 à 155; European
Implementation Network, «<a href='https://www.einnetwork.org/blog-five/fourth-coe-summit-briefing-on-the-need-for-reforms'>Fourth
Summit Briefing: On the Need for Reforms to Improve the Implementation
of Judgments of the European Court of Human Rights»</a>, février 2022; Conseil de l’Europe, «<a href='https://rm.coe.int/report-of-the-high-level-reflection-group-of-the-council-of-europe-/1680a85cf1'>Rapport
du Groupe de réflexion de haut niveau du Conseil de l’Europe</a>», octobre 2022; Campaign to Uphold Rights in Europe
et la Conférence des organisations internationales non gouvernementales
du Conseil de l’Europe, «<a href='https://cure-campaign.org/wp-content/uploads/CSSDeclarationFullFinal.pdf'>The
Hague Civil Society Declaration on Council of Europe Reform</a>», mars 2023.. Il est regrettable qu’aucune de ces propositions n’ait été retenue par le Comité des Ministres. L’Assemblée devrait demander au Comité des Ministres de garder à l’étude la question de ces réformes.
73. Le Comité des Ministres étant par nature l’autorité désignée pour surveiller l’exécution des arrêts de la Cour, certaines décisions sont motivées par des considérations politiques, ce qui provoque beaucoup de dommages, de frustration et de déception au niveau national, en particulier lorsque les décisions sont infondées ou hâtives. C’est pourquoi j’ai insisté, dans le rapport de 2023, sur la transparence du mécanisme de surveillance et sur une procédure détaillée de justification des mesures prises.

8. Le rôle de l’Assemblée dans l’exécution des arrêts

74. Dans la Déclaration de Reykjavík, les chefs d’État et de gouvernement ont invité le Président de l’Assemblée, ainsi que d’autres personnalités de haut rang du Conseil de l’Europe, à «renforcer leur dialogue politique avec leurs interlocuteurs nationaux respectifs sur la mise en œuvre des arrêts». Les États y rappelaient tout particulièrement «l’importance d’impliquer les parlements nationaux dans l’exécution des arrêts» 
			(79) 
			<a href='https://rm.coe.int/4e-sommet-des-chefs-d-etat-et-de-gouvernement-du-conseil-de-l-europe/1680ab40c0'>Déclaration
de Reykjavík – Unis autour de nos valeurs</a>, pages 18-19.. Depuis, le Comité des Ministres a invité l’Assemblée et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux à renforcer leur dialogue avec les interlocuteurs au niveau national sur l’exécution des arrêts de la Cour, et a demandé au Service de l’exécution des arrêts de l’assister dans cette tâche 
			(80) 
			Décision du Comité
des Ministres, «Assurer l’efficacité à long terme de la Convention
européenne des droits de l’homme», 29 novembre 2023, CM/Del/Dec(2023)1482/4.5.. En juin 2024, le Service de l’exécution des arrêts a mené sa toute première mission conjointe avec le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux pour soutenir l'exécution des arrêts de la Cour par les autorités bulgares au niveau local, dans l'affaire Yordanova et autres c. Bulgarie. Enfin, dans son discours prononcé devant l’Assemblée en janvier 2025, le président de la Cour européenne des droits de l’homme, Marko Bošnjak, a souligné le «rôle influent» que l’Assemblée peut jouer dans la promotion de l’exécution des arrêts de la Cour, en rappelant les aspects pertinents de la Déclaration de Reykjavík.
75. L’Assemblée est donc appelée à jouer son rôle dans la promotion de l’exécution des arrêts de la Cour. Je suis heureux d’annoncer que nous répondons à cet appel. Après les discussions de la sous-commission sur la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme à Zagreb en novembre 2023, la commission des questions juridiques et des droits de l’homme a adopté, en décembre 2023, une série de propositions qui visent à renforcer les activités de l’Assemblée pour promouvoir l’exécution des arrêts de la Cour 
			(81) 
			Commission des questions
juridiques et des droits de l’homme, «Suivi du Sommet de Reykjavík:
Le rôle joué par l’APCE et les parlementaires nationaux dans l’amélioration
de l’exécution rapide et efficace des arrêts de la Cour européenne
des droits de l’homme», <a href='https://rm.coe.int/mise-en-uvre-des-arrets-de-la-cour-europeenne-des-droits-de-l-homme-12/1680ad9a8a'>AS/Jur(2023)37</a>, 23 novembre 2023..
76. Certaines de ces propositions ont déjà été mises en œuvre en 2024. Avant chaque réunion de haut niveau entre le Président de l’Assemblée et les présidents, les premiers ministres et les ministres des Affaires étrangères, le Président reçoit désormais des documents d’information sur l’exécution des arrêts de la Cour dans l’État concerné, afin de pouvoir aborder ces arrêts pendant les discussions. Par ailleurs, des notes d’information sont désormais diffusées auprès des parlementaires eux-mêmes. Depuis janvier 2024, lors de chaque partie de session de l’Assemblée, le Service de l’exécution des arrêts informe les délégations nationales de parlementaires de l’état de l’exécution des arrêts de la Cour dans leur pays. Des réunions d’information ont ainsi été organisées pour les membres des délégations arménienne, bulgare, croate, grecque, hongroise, italienne, moldave, roumaine, portugaise et ukrainienne. L’un des aspects les plus productifs de ma rencontre avec les hauts responsables de la Direction des droits humains du Conseil de l’Europe a été la discussion sur l’élargissement de ces réunions d’information. J’espère que nous pourrons instaurer des réunions d’information annuelles pour les délégations nationales, accompagnées d’informations détaillées sur la manière dont les parlementaires peuvent promouvoir au mieux l’exécution des arrêts de la Cour dans leur pays.
77. En attendant, l’Assemblée doit aller plus loin. La proposition la plus ambitieuse de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme consiste à créer un réseau de parlementaires pour promouvoir l’exécution des arrêts de la Cour. Il s’agit d’établir un groupe de parlementaires issus de toute l’Europe, qui se réunirait environ deux fois par an pour informer plus amplement leurs collègues sur le fonctionnement de l’exécution des arrêts de la Cour et sur les mesures qu’ils peuvent prendre pour faire avancer ce processus. Pour ce faire, les membres du réseau partageraient leurs bonnes pratiques sur la manière dont ils ont contribué à promouvoir l’exécution des arrêts de la Cour au niveau national, ainsi que les meilleures structures mises en place à cette fin, telles que les commissions parlementaires qui sont très efficaces dans certains États pour contrôler l’exécution des arrêts de la Cour. Enfin, un parlementaire de chaque État pourrait être nommé «représentant de l’Assemblée» dans son pays et jouer un rôle de premier plan pour promouvoir l’exécution des arrêts de la Cour au sein du parlement.
78. J’ai intégré la proposition de créer un tel réseau dans le projet de résolution. Si cette proposition est adoptée par l’Assemblée, il faudra très probablement dégager des ressources supplémentaires pour la concrétiser, ce qui pourrait nécessiter des contributions volontaires spécifiques de la part des États membres. J’espère que l’Assemblée et les États membres comprendront l’intérêt d’établir un groupe de parlementaires qui se consacre à la promotion de l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme.

9. Conclusion

79. Je ne me lasserai pas de dire que 75 ans après l’adoption de la Convention, nous parlons encore des bases mêmes de ce que nous sommes tous convenus d’établir: le respect et l’exécution des arrêts de la Cour. L’exécution des arrêts de la Cour reflète l’efficacité de l’ensemble du système de la Convention européenne des droits de l’homme mais également l’état actuel des choses. Les arrêts de la Cour ne peuvent contribuer à la protection des droits humains que s’ils sont correctement exécutés; et la Cour ne peut rendre de nouveaux arrêts en temps utile que si les États appliquent les anciens. La Déclaration de Reykjavík a permis à chaque État membre du Conseil de l’Europe de s’engager sans équivoque à exécuter les arrêts de la Cour. Elle nous a également indiqué la voie à suivre pour y parvenir. L’heure est venue pour chacun d’entre nous – gouvernements, parlementaires, tribunaux et société civile – d’emprunter cette voie et d’aller de l’avant. Comme je l’ai indiqué en introduction, la vie d’un enfant dans un coin de l’Europe peut être déterminée par la volonté des États d’exécuter les arrêts partout sur notre continent. Nous devrions tous aborder l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme en ayant à l’esprit la gravité de cette réalité.