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A. Projet de
résolution
(open)
Rapport | Doc. 16185 | 03 juin 2025
Mouvement olympique et maintien de la paix: la neutralité du sport sert-elle les valeurs du sport?
Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias
A. Projet de
résolution 
(open)1. Le sport et le Mouvement olympique
peuvent jouer un rôle essentiel dans la préservation de la paix
et la promotion de la démocratie et des normes internationalement
reconnues en matière de droits humains. L’Assemblée parlementaire
salue le rôle central du Comité international olympique (CIO), qui
rassemble les principales parties prenantes de la scène sportive
mondiale pour atteindre ces objectifs, tout en s’efforçant de surmonter
les divergences.
2. La neutralité et l’autonomie du sport devraient permettre
aux institutions sportives de remplir leur mission et de sauvegarder
les valeurs sportives de manière efficace, sans crainte de pressions
ou d’ingérences indues. Bien que les relations complexes et changeantes
entre l’État et les instances sportives, tant au niveau national qu’international,
font qu’il est difficile d’établir une délimitation claire entre
politique et sport, l’Assemblée estime que ces deux principes fondamentaux
doivent être reconnus et dûment respectés par les pouvoirs publics
et que le mouvement sportif devrait assumer les responsabilités
qui en découlent. Toutefois, ces principes doivent être bien compris
et mis en œuvre conformément aux objectifs et valeurs du Mouvement
olympique mentionnés ci-dessus.
3. L’Assemblée reconnaît que la Charte olympique mentionne le
respect des droits humains internationalement reconnus, mais leur
prévalence n’est pas toujours affirmée avec suffisamment de force
par les instances dirigeantes du sport et, malgré les nombreuses
prises de position et déclarations, leur protection dans la pratique
et leur mise en œuvre manquent encore de cohérence et d’efficacité.
4. Les principes de neutralité et d’autonomie du sport doivent
servir la paix et défendre les principes démocratiques et les droits
humains; ils ne peuvent être une justification pour l’inertie ou
une hésitation à réagir lorsque la paix, la démocratie et les droits
humains sont menacés, critiqués ou niés dans les faits.
5. L’Assemblée rappelle que si la Charte olympique a une importance
et une valeur constitutionnelles pour le mouvement sportif, elle
n’est pas supérieure aux conventions et traités internationaux:
l’obligation de respecter pleinement les normes internationales
en matière de droits humains doit primer sur la nécessité de garantir
la neutralité politique du sport, et le concept d’autonomie du sport
n’exonère pas les organisations sportives de toute responsabilité
si elles ne protègent pas la dignité humaine et les droits humains.
6. L’Assemblée souhaite encourager le Mouvement olympique et
le CIO à renforcer le lien entre le sport et le droit humanitaire
et, en particulier, à intensifier l’engagement collectif en faveur
d’un environnement mondial pacifique et coopératif lors des jeux
Olympiques. Tout pays qui participe activement à une guerre ou un
conflit armé doit s’engager, a minima,
à cesser temporairement des hostilités pour la durée des jeux Olympiques
et doit immédiatement être tenu de rendre des comptes en cas de
violation de la Trêve olympique.
7. Certains gouvernements utilisent la participation aux jeux
Olympiques et à d’autres compétitions sportives majeures, l’organisation
de ces événements et la célébration des victoires des équipes et
des athlètes nationaux pour affirmer leur pouvoir et d’étendre leur
influence et leur prestige pour le consolider. Cette approche remet
en cause l’idée même de la neutralité du sport. L’Assemblée condamne
fermement toute conception martiale à l’égard du sport, visant à
démontrer publiquement, outre la primauté sportive, la suprématie
économique et politique, voire à présenter des régimes autocratiques
comme une alternative à la gouvernance démocratique, ce qui est
incompatible avec les valeurs consacrées par la Charte olympique.
8. Pour éviter cette approche, les instances dirigeantes du sport
ne peuvent pas s’appuyer uniquement sur les comités nationaux olympiques,
en particulier lorsque ceux-ci ne semblent pas être autonomes mais
sous le contrôle du gouvernement. Une surveillance accrue et la
mise en place d’un système de suivi indépendant sont essentielles
pour renforcer la capacité du CIO à recueillir des informations
sur le respect effectif des valeurs qu’il proclame.
9. Les athlètes sont des acteurs clés et des alliés puissants
dans la mise en œuvre de la Charte olympique et de ses valeurs;
ils doivent respecter la neutralité politique, mais ce principe
et les règlements sportifs adoptés pour assurer son respect ne doivent
pas les empêcher de soutenir la paix ou de condamner les violations
des droits humains et ils ne peuvent justifier que des athlètes
soient sanctionnés pour cela.
10. Ni les gouvernements démocratiques ou les organisations internationales,
ni les athlètes ou les instances dirigeantes du sport ne peuvent,
au nom de la neutralité et de l’autonomie du sport, rester silencieux et
passifs face à de graves violations des droits humains.
11. L’Assemblée convient que les athlètes ne doivent pas être
tenus pour responsables du comportement de leur gouvernement et
que le droit des athlètes à participer à des compétitions sportives
doit être préservé dans la mesure du possible. Toutefois, si un
gouvernement viole gravement les principes olympiques et les valeurs
du sport, les athlètes de ce pays ne devraient être autorisés à
participer aux jeux Olympiques ou aux manifestations sportives majeures
organisées par les fédérations sportives internationales qu’en tant qu’athlètes
neutres sous la bannière olympique.
12. En outre, des circonstances exceptionnelles peuvent nécessiter
des mesures plus strictes, y compris une interdiction totale des
athlètes d’un pays donné. Cela devrait être le cas d’une part lorsque
une telle interdiction est nécessaire pour protéger d’autres droits
humains qui peuvent prévaloir sur le droit des athlètes individuels
à participer à des manifestations sportives et d’autre part, lorsqu’il
est dans la pratique impossible pour les athlètes concernés de se
désolidariser des actions de leur gouvernement, notamment parce
que leur droit d’exprimer librement des critiques est refusé par
le régime autoritaire et répressif de leur pays.
13. C’est le cas en Fédération de Russie et au Bélarus, où non
seulement la quasi-totalité des athlètes de haut niveau sont des
employés de l’État et/ou bénéficient d’un soutien financier de l’État,
mais où la liberté d’expression n’existe pas et où le fait de prendre
position contre le gouvernement exposerait un athlète au risque
de perdre son emploi, son salaire et son statut social, et même
d’être emprisonné. En outre, dans ces pays, le sport est clairement
un outil de soft power pour
le pouvoir en place, qu’il détourne pour faire accepter, si ce n’est
approuver, la guerre d’agression contre l’Ukraine, malgré les terribles
violations massives des droits humains et la menace évidente pour
l’ordre juridique international que cette guerre a engendrées.
14. Compte tenu de ce qui précède, l’Assemblée invite le Comité
international olympique:
14.1. à
renforcer les dispositions de la Charte olympique qui engagent le
CIO et ses membres à respecter et à protéger la dignité humaine
et les droits humains internationalement reconnus;
14.2. à établir la Trêve olympique en tant que condition nécessaire
à la participation d’un pays aux jeux Olympiques et à inclure, dans
la Charte olympique et les autres règlements pertinents du CIO,
les dispositions nécessaires pour faire respecter efficacement l’obligation
d’appliquer la Trêve olympique;
14.3. à introduire, dans la Charte olympique, une disposition
indiquant qu’une attitude martiale à l’égard du sport est incompatible
avec l’Olympisme et les valeurs sportives, et à renforcer l’obligation pour
les institutions sportives nationales, en particulier les comités
nationaux olympiques, de fonctionner dans des conditions de stricte
indépendance et d’autonomie;
14.4. à mettre en place, en coopération avec les organisations
de défense des droits humains, un système de surveillance efficace,
tel qu’une commission indépendante soutenue par des spécialistes indépendants,
dotée de pouvoirs d’enquête pour évaluer et condamner les violations
des droits humains et les atteintes aux valeurs sportives au sein
du Mouvement olympique, y compris l’utilisation manipulatrice du
sport par un gouvernement;
14.5. à modifier la Règle 50 de la Charte olympique de manière
à préciser que la neutralité politique n’empêche pas les athlètes
de soutenir la paix ou de condamner les violations des droits humains.
15. En vue de renforcer l’État de droit au sein du Mouvement olympique
et du CIO, l’Assemblée recommande la mise en place d’un organe juridictionnel
du sport, indépendant et impartial, chargé d’assurer l’interprétation
et la mise en œuvre cohérentes de la Charte olympique et de ses
principes fondamentaux par toutes les instances dirigeantes du sport.
16. Enfin, l’Assemblée est convaincue que le CIO et sa présidente
nouvellement élue sont fermement résolus à promouvoir les droits
humains et les libertés fondamentales et à mettre le sport au service
du développement harmonieux de l’humanité en vue de promouvoir une
société pacifique. Dans ce contexte, l’Assemblée se félicite que
le CIO soit un partenaire institutionnel de la nouvelle Alliance
parlementaire pour la bonne gouvernance et l’intégrité dans le sport
et elle invite le CIO à envisager la conclusion d’un protocole d’accord
avec le Conseil de l’Europe.
B. Exposé des motifs par M. Mogens Jensen, rapporteur
(open)1. Introduction
1. Le présent rapport fait suite
à une proposition de résolution déposée par M. Indrek Saar (Estonie,
SOC) et d’autres membres de l’Assemblée parlementaire intitulée
«Exclusion des athlètes et des dirigeants de la Fédération de Russie
et du Bélarus de la participation au mouvement olympique international»
.

2. Le 28 mars 2023, le Comité international olympique (CIO) a
publié des recommandations à l’intention des fédérations sportives
internationales de sports et des organisateurs de manifestations
sportives internationales afin d’autoriser les athlètes individuels
de la Russie et du Bélarus à participer aux compétitions en tant
qu’athlètes «neutres», sous réserve qu’ils répondent à des critères
d’éligibilité stricts, notamment le fait de ne pas soutenir la guerre
en Ukraine et de ne pas être sous contrat avec l’armée. Aucun drapeau,
hymne, couleur ou autre identification de la Russie ou du Bélarus
ne seraient présents et aucun·e représentant·e des gouvernements
de la Russie ou du Bélarus ne pourrait être invité·e ou accrédité·e
. La
mise en œuvre effective des conditions d’éligibilité a toutefois
été contestée par plusieurs fédérations sportives internationales,
ce qui a conduit à des positions divergentes dans différents sports.

3. La commission de la culture, de la science, de l'éducation
et des médias a tenu une audition publique le 25 avril 2023
et, par la suite, la Commission
permanente de l’Assemblée a tenu un débat d’actualité intitulé «Exclure
les athlètes de Russie et du Bélarus aux Jeux Olympiques» le 26
mai 2023, à Riga
.


4. Un débat d’urgence, demandé par les cinq groupes politiques,
sur la «Guerre d’agression contre l’Ukraine – Participation des
athlètes russes et bélarussiens aux Jeux Olympiques et Paralympiques
de Paris 2024?» a eu lieu le 22 juin 2023, durant la troisième partie
de session de l’Assemblée
.

5. La Résolution 2507
(2023) adoptée alors invitait instamment tous les représentants
des comités nationaux olympiques (CNO) et des fédérations sportives
nationales et internationales à exprimer leur opposition à la proposition
du CIO de permettre aux athlètes russes et bélarussiens de participer
aux Jeux de 2024. Le rapport présentait une analyse des principaux
arguments avancés pour justifier la levée de l’interdiction et la
participation des athlètes russes et bélarussiens, y apportait une
réponse et concluait qu’une telle participation, bien que sous des
conditions strictes de «neutralité», n’était pas acceptable.
6. Le 12 octobre 2023, la commission de la culture, de la science,
de l'éducation et des médias a décidé de modifier le titre de ce
rapport pour qu’il s’intitule «Mouvement olympique et maintien de
la paix: la neutralité du sport est-elle au service des valeurs
du sport?», en vue de donner
suite à la Résolution
2507 (2023), ainsi qu'aux résolutions «Le
sport pour tous: nous unir pour des sociétés plus fortes» (Doc. MSL17(2022)10)
et «La gouvernance
collaborative et la bonne gouvernance du sport: soutenir une nouvelle
approche à la hauteur de son importance sociétale » (Doc. MSL18(2024)05)
, d’élargir le champ de l’analyse et d’examiner
le rôle du mouvement sportif international dans la défense des valeurs
fondamentales, des droits humains et de la paix.


7. Le 5 décembre 2023, la commission de la culture, de la science,
de l'éducation et des médias a tenu une audition à laquelle ont
participé M. Luigi Melica, Professeur de droit public comparé à
l’Université de Salento (Italie), et M. Bernard Hilgers, trésorier
des Académies Olympiques Européennes.
8. Le 8 décembre 2023, la commission exécutive du CIO a finalement pris
position, approuvant la participation d’athlètes neutres individuels
qualifiés par le biais des systèmes de qualification des fédérations sportives
internationales
.
Certain·es athlètes ont accepté leur invitation olympique mais ont
finalement renoncé à concourir quelques semaines avant le début
de la compétition, tandis que la participation d’autres athlètes
a été contestée pendant les Jeux
.


9. Dans ce contexte, le rapport, tout en donnant suite à la Résolution 2507 (2023), se concentrera principalement sur les relations
et la tension entre les principes de neutralité du sport et le rôle
du sport dans la préservation de la paix ainsi que dans la défense
et le soutien des valeurs universelles, telles qu’elles sont inscrites
dans la Charte olympique.
10. Il importe pour cela d’examiner la relation complexe et en
constante évolution qui existe entre politique et sport international,
ainsi que l’essence du Mouvement olympique en tant que catalyseur
fondamental de la paix et de la démocratie, des questions qui ont
fait l’objet de deux autres auditions organisées par la commission
de la culture, de la science, de l'éducation et des médias en 2024
.

11. Le 4 décembre 2024, la commission a examiné le rapport d’expert
établi par le professeur Melica
, avec
la participation de M. Guido Battaglia, responsable des partenariats
et des affaires institutionnelles au Centre pour le sport et les
droits de l’homme, à Genève.

12. Malheureusement, malgré des demandes répétées, il n’a à ce
jour pas été possible de rencontrer des responsables du CIO, ni
d’entendre leur point de vue lors de réunions de la commission;
les responsables du CIO ont toutefois décidé, après consultation,
de communiquer leurs observations sur le projet de rapport, que j’ai
intégrées dans les chapitres suivants.
13. Le 20 mars 2025, Kirsty Coventry, ancienne présidente de la
commission des athlètes du CIO, a été élue 10e Présidente
du CIO
, devenant ainsi la première
femme et la première personne originaire du continent africain à
occuper ce poste. Son élection intervient à un moment de fortes
tensions géopolitiques et de débats sur l'action du Mouvement olympique
concernant des questions profondément clivantes telles que la neutralité,
la participation, l'influence croissante des régimes autoritaires,
les règles d'éligibilité liées au genre, les préoccupations environnementales
et les progrès de l'intelligence artificielle dans le sport, alors
que se profilent les Jeux 2028 de Los Angeles, qui se dérouleront
sous la nouvelle administration américaine.

2. Les Jeux contestés (et «neutres»?) de Paris 2024 et au-delà
14. En septembre 2023, les dirigeants
du G20, réunis à New Delhi, ont publié une déclaration dans laquelle ils
se réjouissaient de la tenue des jeux Olympiques et Paralympiques
de Paris en 2024, comme un «symbole de paix, de dialogue entre les
nations et d’inclusivité, avec la participation de tous»
.

15. Se félicitant de cette déclaration, le Président du CIO, Thomas
Bach, a qualifié de «déplorable» l’attitude des gouvernements européens,
qu’il a accusés de faire preuve de «deux poids, deux mesures», posant
la question de savoir pourquoi ils n’avaient émis aucun commentaire
sur la participation d’athlètes dont les pays sont impliqués dans
les 70 autres guerres, conflits armés et crises en cours dans le
monde.
16. M. Bach a déploré le non-respect de la volonté de la majorité
au sein du Mouvement olympique ou du principe de l’autonomie du
sport, que les gouvernements européens demandent aux autres pays,
tout en ignorant complètement la déclaration des deux rapporteurs
spéciaux du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, fondée
sur le principe de non-discrimination. Il a affirmé que les «interventions
politiques» n’avaient fait que «renforcer l’unité du Mouvement olympique»
.

17. Comme souligné précédemment, les reproches de M. Bach ne sont
pas tout à fait exacts. D’une part, l’autonomie du sport n’est pas
entravée par ceux qui expriment des opinions divergentes et demandent instamment
au CIO de privilégier une autre voie, comme le font les pays européens
démocratiques. D’autre part, l’autonomie du sport est assurément
menacée lorsque les autorités étatiques d’une dictature exercent
un contrôle total sur les organismes sportifs nationaux et, de fait,
décident de leurs politiques, comme c’est le cas en Russie et au
Bélarus. En outre, l’Assemblée a répondu à la déclaration des deux
rapporteurs spéciaux du Conseil des droits de l’homme des Nations
Unies et expliqué en détail, par le biais du rapport de Mme Helleland,
pourquoi nous ne pouvions pas suivre
leur raisonnement sur le principe de non-discrimination, auquel
nous sommes sans conteste très attachés.

18. S’exprimant devant la commission de la culture, de la science,
de l'éducation et des médias à Copenhague, Jörg Krieger, Président
du Réseau de recherche sur le sport et la société à l’Université
d’Aarhus, a souligné que le CIO avait aussi décidé d’exclure les
équipes dont les membres sont russes ou bélarussiens. Ainsi, bien
que le CIO ait motivé sa décision (ce dont, bien entendu, nous nous
félicitons), cela confirme que, finalement, l’argument de la non-discrimination
ne s’applique pas forcément à l’ensemble des athlètes et montre
qu’une réflexion plus approfondie peut être nécessaire pour trouver
la ligne de conduite à adopter selon les circonstances.
19. Le CIO a fait référence à l’opinion d’une «écrasante majorité»
d’athlètes, au communiqué du dernier Sommet olympique, aux consultations
avec les parties prenantes concernées, ainsi qu’à la Résolution
A/78/10 de l’Assemblée générale des Nations Unies relative à la
Trêve olympique pour Paris 2024. Il a également réaffirmé son engagement
à soutenir les athlètes ukrainiens au moyen du Fonds de solidarité
dédié
.

20. Quelques semaines plus tard, le 12 octobre 2023, la commission
exécutive du CIO a été contrainte de suspendre le Comité olympique
russe en raison de sa décision d’inclure des organisations sportives
régionales qui sont sous l’autorité du Comité national olympique
ukrainien, en violation de la Charte olympique
.

21. La mise en œuvre des conditions d’éligibilité a été contestée
par certaines fédérations sportives internationales
, qui
ont adopté des positions divergentes de celle du CIO. En effet,
il est assez difficile (je dirais même «naïf») de raisonnablement
s’attendre à ce que les athlètes russes puissent prendre leurs distances
par rapport à la guerre, en raison de la situation politique dans
le pays, où la liberté d’expression est actuellement inexistante
et où toute personne exprimant un désaccord est menacée, emprisonnée,
voire éliminée si elle est trop gênante.

22. La Russie n’a pas retransmis les jeux Olympiques sur les chaînes
de télévision nationales (elle avait également refusé de le faire
en 1984, année où l’Union soviétique avait boycotté les Jeux d’été
organisés aux États-Unis)
, et un certain nombre de responsables
politiques et de personnalités des médias ont même qualifié les
athlètes concourant à Paris de «traitres». Des athlètes russes ont
participé aux Jeux malgré le fait qu’ils ou elles soutenaient la
guerre en Ukraine via les réseaux sociaux, ce qui a engendré d’autres protestations
pendant l’été
, tout en montrant bien que l’objectif
de la neutralité du sport est utopique et, qu’en outre, il est rarement
interprété et mis en œuvre de la même manière par toutes les parties
prenantes.


23. Lors de leurs échanges sur la guerre en Ukraine, en mars 2025,
Donald Trump et Vladimir Poutine se seraient entretenus sur la possibilité
d'organiser un match de hockey et le Président Trump pourrait soutenir la
participation de la Russie à la Coupe du monde en 2026 et aux jeux
Olympiques en 2028
.

24. Dans une interview, la nouvelle présidente du CIO, Kirsty
Coventry, a affirmé qu’elle ferait de l'inclusivité sa priorité:
«le rôle du CIO est de faire en sorte que tous les athlètes puissent
participer aux Jeux. Il ne s’agit pas seulement des guerres et conflits
majeurs en Europe et au Moyen-Orient – il y a aussi des guerres
et des conflits en Afrique. Comment allons-nous protéger et soutenir
ces athlètes? (…) Si je suis élue à la présidence du CIO, je chargerai
un groupe de travail d'élaborer un ensemble de directives pour nous
aider à mieux gérer ces périodes de conflit, la priorité étant donnée
aux intérêts des athlètes» (traduction non officielle). Parmi ces questions
d'actualité figure aussi la participation des athlètes russes aux
Jeux d'hiver de Milan-Cortina 2026
.

3. Neutralité du sport, politique et considérations éthiques
25. Le CIO tient à rappeler que
l'autonomie et la neutralité politique sont des principes fondamentaux
du Mouvement olympique qui doivent être respectés en toutes circonstances.
Les Jeux ont vocation à unir le monde autour de l'universalité du
sport, de ses valeurs et de ses règles, ainsi que de l'intégrité
des compétitions sportives. Pour ce faire, l'événement doit rester
au-dessus des conflits politiques et des ingérences politiques extérieures;
il appartient aux seules fédérations sportives et CNO de décider
quels athlètes peuvent participer aux compétitions internationales,
et ce uniquement sur la base de leurs performances sportives.
26. Conformément aux normes internationales, l'attachement du
CIO aux Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises
et aux droits de l'homme est inscrit dans la Charte
olympique ainsi que dans son Code d'éthique et son Cadre
stratégique relatif aux droits humains. Les modifications apportées à la Charte olympique n'ont
fait que renforcer cet attachement en inscrivant les droits humains
dans les Principes fondamentaux de l'Olympisme (Principes 1 et 4
de l'Olympisme) et en veillant à ce que les principes en la matière
soient respectés dans le processus de sélection ainsi que dans l'organisation
des Jeux et leur tenue. Son engagement prend la forme de conseils,
d'outils, d'un accompagnement des parties prenantes pour qu’elles
s’engagent, d'un examen technique et d'autres formes d'engagement
visant à garantir le respect des principes en matière de droits
humains pendant toute la durée des Jeux.
27. Le concept de neutralité du sport doit être clarifié, ainsi
que la pertinence des droits humains dans le Mouvement olympique,
en gardant à l’esprit son noble objectif «de mettre le sport au
service du développement harmonieux de l’humanité, en vue de promouvoir
une société pacifique soucieuse de préserver la dignité humaine»
.

28. L’analyse effectuée par le professeur Melica de 13 révisions
différentes de la Charte entre 1978 et 1990 montre comment le sport
et les jeux Olympiques ont fini par être considérés comme un instrument
de paix accompagnant l’émergence de nouvelles démocraties
.

29. Une révision ultérieure de la Charte a permis d’ajouter une
référence explicite à la paix après la révolution hongroise de 1956,
qui a conduit au boycott des jeux Olympiques de Melbourne
(1956)
par plusieurs pays, pour protester contre l’invasion de la Hongrie
par l’Union soviétique
.


30. Le concept de neutralité politique lui-même a été utilisé
pour la première fois dans les années 1990. Depuis 2007, des pays
comme la Fédération de Russie et le Qatar ont été exclus des jeux
Olympiques d’hiver ou d’été en raison de graves violations des droits
humains.
31. Le principe de neutralité dans le sport a été formellement
introduit en 2019, avant les jeux Olympiques d’hiver en Chine et
les championnats du monde de football au Qatar, où de nombreuses
manifestations ont été réprimées.
32. Il s’agissait vraisemblablement de mettre un terme à la vague
de protestations contre les violations des droits humains organisées
dans le monde du sport contre certains pays que le CIO ou les fédérations
sportives avaient choisis pour accueillir des événements sportifs
majeurs
.

33. Cette décision a été prise en espérant que les compétitions
sportives deviendraient un catalyseur important de réformes politiques
et de croissance économique, ce qui est quelque peu contradictoire
avec la prétendue neutralité du sport. Une autre contradiction provient
du fait que le sport peut être utilisé, parfois indûment, comme
un outil de soft power permettant
de détourner l’attention d’une réputation politique ou humanitaire
douteuse et de remodeler l’image d’un pays.
34. S’exprimant à Paris devant la commission de la culture, de
la science, de l'éducation et des médias, Bernard Hilgers a reconnu
que la neutralité politique du sport est un principe éthique fondamental
universel du Mouvement olympique, qui est inscrit dans le Code d’éthique
du CIO au même titre que le principe d’universalité (article 1.2)
et fait partie du Principe fondamental 5 de l’Olympisme. Le sport
devrait transcender la politique et les crises internationales,
et les Jeux ne peuvent contribuer à la paix que par un engagement fondamental
en faveur de la neutralité politique et de l’universalité, et par
le biais de la solidarité. M. Hilgers a cependant admis que la politisation
croissante du sport empêchait les événements sportifs, y compris
les jeux Olympiques ou les championnats du monde, de remplir leur
mission.
35. «Diplomatie du ping-pong» entre la Chine et les États-Unis,
«diplomatie du cricket» entre l'Inde et le Pakistan, réconciliation
sud-africaine grâce au rugby – l’histoire est jalonnée d’exemples
de rapprochement pour la paix par le sport.
36. Depuis vingt ans, le CIO prétend appliquer une approche centrée
sur l’athlète, fondée sur les valeurs fondamentales d’unité, de
solidarité et de non-discrimination. L’accent a été mis sur le droit
de participer à des événements sportifs dans le cadre du droit de
participer à la vie culturelle, ainsi que sur le principe fondamental selon
lequel les jeux Olympiques sont des compétitions entre athlètes
en tant qu’individus ou équipes et non entre pays, conformément
à la Charte olympique.
37. En outre, le CIO estime que les athlètes ne peuvent être tenu·es
responsables du comportement individuel de leurs gouvernements et
que les sanctions ne peuvent viser que les gouvernements (en interdisant le
drapeau et l’hymne nationaux et en bannissant les dirigeants du
pays). Il est d’avis qu’il s’agit là de la seule forme de discrimination
possible, et qu’une interdiction totale est inadmissible.
38. Si je n’ai aucune difficulté à accepter le principe que les
athlètes individuel·les ne peuvent être tenu·es directement responsables
de ce que font leurs gouvernements respectifs, je ne pense pas que
cela exclut automatiquement la possibilité qu’une interdiction totale
soit la seule solution dans certains cas. Comme souligné dans la Résolution 2507 (2023) de l’Assemblée:
- il est pratiquement impossible, pour les athlètes russes et bélarussiens, de prouver leur neutralité et leur distance par rapport à ces régimes, et encore moins de faire une déclaration quelconque contre la guerre, sans se mettre dans une situation dangereuse;
- les régimes russe et bélarussien peuvent utiliser les victoires de leurs athlètes dans leur propagande, créant ainsi un récit d’acceptation et de normalisation qui minimiserait la gravité des actes commis par les Gouvernements russe et bélarussien;
- les arguments en faveur de la participation des athlètes russes et bélarussiens, fondés sur la neutralité, l’indépendance du mouvement sportif et la non-discrimination, ne font pas le poids face à l’impératif de condamner et de rejeter les atrocités commises et de démontrer le soutien total et indéfectible de la communauté internationale à l’Ukraine, tandis que l’offensive se poursuit. Les acteurs qui proclament leur adhésion aux droits humains, tels que le CIO et les fédérations sportives internationales, ne sauraient faire abstraction de cela.
39. La Charte olympique souligne le rôle central des athlètes
dans le contexte du Mouvement olympique, non seulement pour les
protéger des influences extérieures qui nuisent au sport et des
dangers liés aux activités sportives, mais aussi pour renforcer
leur rôle politique et représentatif dans la gouvernance du sport (Règles
16 et 21).
40. Cependant, s’agissant de la «neutralité», les athlètes souhaitent
exercer leur droit à la liberté d’expression et expriment de plus
en plus des opinions politiques. Ils sont souvent soutenus par des
marques qui ont conscience du fait que le silence n’est pas synonyme
de «neutralité» et adoptent une position socio-politique plus marquée
en se retirant du parrainage de manifestations sportives majeures
.

41. Les spécialistes du sport ont également utilisé la notion
de soft power dans leur analyse
de la politisation du sport au cours des dernières décennies et
du rôle des personnes puissantes que les gouvernements ont placées
dans les fédérations sportives internationales, autre état de fait
qui est clairement incompatible avec l’idée de la neutralité du
sport
.

42. Compte tenu du poids économique indéniable du secteur sportif
aujourd’hui, des flux financiers colossaux que génèrent les grands
événements sportifs et des liens trop étroits entre le sport et
les pouvoirs économiques et politiques (y compris étatiques), il
est probable que le sport devienne de plus en plus non pas un soft power au service de la paix
et des principes démocratiques, mais un instrument de pression économique,
entrant ainsi dans le champ du hard power
traditionnel,
qui est tout sauf «neutre».

43. Il est dès lors nécessaire que les institutions démocratiques
et les instances dirigeantes du sport abordent des questions éthiques
importantes concernant la séparation du sport et de la politique,
les intérêts et valeurs contradictoires que révèle la neutralité
du sport, ainsi que le paradoxe de la neutralité du sport et de l’organisation
de manifestations sportives majeures pour faciliter la réalisation
«d’objectifs politiques»
.

4. Réaffirmer le rôle du Mouvement olympique en tant qu’outil de paix et de progrès démocratique
44. Comme discuté lors de plusieurs
auditions de la commission de la culture, de la science, de l'éducation et
des médias, le sport peut apporter l’unité et des changements positifs
dans la société, et le Mouvement olympique a cette capacité considérable
à rassembler les personnes qui cherchent à surmonter les différences et
à promouvoir la paix.
45. S’exprimant devant la commission, Bernard Hilgers a reconnu
que les réalisations potentielles du Mouvement olympique et de ses
institutions pour l’instauration de la paix étaient limitées. Cependant,
le sport peut rassembler les communautés (citons la Trêve olympique,
l’équipe olympique des réfugiés et l’équipe commune d’athlètes de
Corée du Sud et de Corée du Nord
), quelles que soient
les différences, même en temps de crise. Selon lui, le message de
paix en temps de guerre ne peut être que de transcender les conflits en
accueillant les Jeux, de manière unifiée et politiquement neutre.

4.1. Le rôle essentiel et sous-estimé de la Trêve olympique
46. La Conférence ministérielle
de 2024 à Porto, reconnaissant le sport comme une ressource commune pour
la cohésion sociale et la diplomatie internationale, a vivement
recommandé la mise en place de mécanismes renforcés pour que le
sport reste une force unificatrice plutôt qu'un champ de bataille
politique. Les ministres ont une nouvelle fois rappelé que les manifestations
sportives, en particulier les jeux Olympiques, doivent contribuer
activement aux efforts de paix. La reconnaissance de l'équipe olympique
des réfugiés lors de la remise du Prix Nord-Sud du Conseil de l'Europe
en 2024 souligne le rôle du sport en tant qu'outil d'inclusion sociale
et de défense des droits humains.
47. Dès lors, l'appel symbolique à la Trêve olympique doit devenir
une obligation contraignante, de sorte que tout pays engagé dans
un conflit actif soit tenu de cesser les hostilités en tant que
condition préalable à sa participation.
48. À cet égard, il serait également utile de réviser et de renforcer
l’institution de la Trêve olympique, afin de répondre également
à certaines des critiques concernant l’application d’une politique
de «deux poids deux mesures» avancées par le Président Bach. En
effet, le concept de Trêve olympique, ancré dans la tradition grecque
antique d’Ekecheiria, vise
à garantir une période de paix et de respect mutuel entre les États
en guerre pendant les jeux Olympiques.
49. Le Professeur Di Marco a expliqué à la commission de la culture,
de la science, de l'éducation et des médias qu’il n’existait pas
de cadre juridique régissant la Trêve; celle-ci ne fait l’objet
que d’une résolution des Nations Unies. Aucune déclaration des pays
«belligérants» participant aux jeux Olympiques n’est prévue, et la
Trêve n’est évoquée dans aucun document des jeux Olympiques (contrats,
chartes, etc.). En outre, elle n’est pas clairement définie: consiste-t-elle
en la fin des combats, une pause humanitaire, un armistice, une
période de cessez-le-feu ou la cessation des hostilités? Dans ce
contexte, toute décision de sanctionner un pays semble arbitraire.
M. Di Marco est d’avis que la Charte devrait être modifiée de sorte
à préciser si la Trêve est une règle, une mesure symbolique ou un
appel du Secrétaire général des Nations Unies, et ainsi définir
ainsi des critères et des sanctions, y compris les conditions et
les modalités d’exclusion.
50. Je partage le point de vue de M. Di Marco selon lequel il
convient d’étendre la portée de cette définition et de renforcer
le lien juridique entre sport et droit humanitaire afin d’obliger
les pays à répondre de leurs actes et de les rendre passibles de
sanctions. Cette responsabilité incombe certainement à l’ensemble
des États membres de la communauté internationale. Mais elle devrait
également incomber aux autorités sportives, qui ont des outils à
leur disposition pour ce faire, tels que les sanctions financières,
l’imposition de conditions à respecter pour l’accueil de manifestations
sportives internationales, les restrictions du droit de participer
aux compétitions et les interdictions de participation visant les
athlètes ou les pays.
51. Selon le CIO, subordonner la participation aux jeux Olympiques
au respect de la Trêve sortirait du cadre du sport et risquerait
de porter atteinte aux principes fondamentaux du Mouvement olympique.
À ses yeux, les Jeux ont vocation à rassembler les athlètes du monde
entier lors d'une compétition loyale et pacifique, et toute décision
ayant trait à la guerre et à la paix est du ressort exclusif des
autorités gouvernementales. La résolution des Nations Unies sur
la Trêve olympique s'adresse aux États, pas aux organisations sportives
ni aux athlètes, et le CIO n’est soumis à aucune règle ou mécanisme
contraignant dans les conflits internationaux. Subordonner leur
participation aux décisions des gouvernements reviendrait à priver
injustement les athlètes du fruit d’un travail de toute une vie
à cause d’événements qu'ils ne contrôlent pas. Ce principe a été
réaffirmé dans le statut des athlètes individuels neutres, qui a
permis à celles et ceux qui détenaient un passeport russe ou bélarussien
de participer aux Jeux de Paris 2024 dans des conditions de neutralité
strictes.
52. En ces temps où la stabilité mondiale, le droit international,
les valeurs démocratiques et les droits humains sont fortement menacés,
il me semble qu’il conviendrait de faire de la Trêve olympique une
condition de participation, en mettant l’accent sur la promotion
de la paix, de l’unité et de la bonne volonté entre les nations.
La Trêve impliquerait que tout pays participant à une guerre ou
un conflit armé actifs s’engage à une cessation temporaire des hostilités
pour la durée des jeux Olympiques et soit, naturellement, tenu immédiatement
responsable en cas de violation de la Trêve. Ce geste symboliserait
un engagement collectif à favoriser un environnement mondial pacifique
et coopératif pendant les Jeux. En faisant de la Trêve olympique
une condition préalable à la participation, les nations témoigneraient
de leur attachement aux principes de l’harmonie internationale,
de l’esprit sportif et de la diplomatie. L’exclusion des pays en
conflit actif des Jeux constituerait pour les dirigeants une puissante
incitation à donner la priorité aux solutions pacifiques et à encourager
le dialogue comme alternative à la confrontation armée.
4.2. Prévenir les approches martiales à l’égard du sport et protéger son essence et ses valeurs
53. Le sport doit rester un pont
entre les pays, surtout dans les moments difficiles. Cependant,
il n’est pas acceptable qu’il soit utilisé à des fins de propagande,
de manipulation et d’exploitation; le Mouvement olympique ne doit
pas permettre cela. Le nationalisme et la politique peuvent interagir
défavorablement au sein du sport. Dans le même temps, la politique
a montré qu’elle était un puissant moyen d’aider le CIO à diffuser son
message et à acquérir du pouvoir. Ce pouvoir est politique et s’accompagne
de responsabilités
.

54. Le sport doit être protégé par l’ensemble de la société, y
compris les organisations sportives, les athlètes, les décideurs
politiques et les organisations non gouvernementales.
55. En tant qu’expression de la société, il doit répondre au système
de valeurs convenu au niveau international, non seulement de jure à travers les chartes, conventions
et statuts internationaux, mais aussi de facto,
dans la mise en œuvre concrète des politiques sportives, notamment
face aux violations massives des droits humains.
56. Les organismes sportifs mondiaux, comme toutes les institutions
supranationales, sont confrontés à ces défis politiques; ils ont
des objectifs communs mais souvent des moyens différents pour les
atteindre. Ils disposent d’un pouvoir considérable pour faire progresser
les droits humains et la paix dans le monde en prenant des mesures
concrètes.
57. Le fait de revendiquer la neutralité absolue du sport pour
se tenir à l’écart de la politique peut conduire à nier le noyau
éthique du sport et les valeurs fondamentales de l’Olympisme. Nous
devons souligner la pertinence des droits humains dans le Mouvement
olympique et la responsabilité de ce dernier dans le contexte de
la mission olympique de paix, en particulier en temps de guerre.
58. Le professeur Melica a souligné que la conception martiale
du sport, qui vise à démontrer publiquement la primauté du sport,
mais aussi la primauté économique et politique, en présentant des
régimes autoritaires comme une alternative aux démocraties libérales,
est contraire aux valeurs de l’Olympisme. Cet aspect devrait être
pris en considération lors de l’attribution des Jeux.
59. Il convient également de reconnaître que les athlètes qui
dénoncent la discrimination et les violations des droits humains
appliquent concrètement la Charte olympique en s’acquittant de l’obligation
énoncée à la Règle 27, qui impose aux membres du Mouvement olympique
de diffuser les principes de l’Olympisme et de surveiller leur mise
en œuvre. Cette règle, qui fait de la Charte un véritable outil
de paix et de démocratie, implique que le monde du sport ne peut
rester totalement neutre
.

60. Par conséquent, non seulement l’affirmation de la neutralité
du sport ne peut subsister sans une réponse efficace au problème
de l’instrumentalisation du sport et des grands événements sportifs,
mais cette neutralité est remise en question par l’axiologie du
sport: lorsque les valeurs fondamentales sont bafouées, les instances dirigeantes
du sport doivent réagir et prendre position, quelles que soient
les conséquences politiques directes ou indirectes de leur réponse.
61. En d’autres termes, le débat sur la neutralité du sport ne
peut être dissocié de la nécessité d’étudier des moyens concrets
de protéger les valeurs de ce dernier, de promouvoir la paix et
le respect des droits humains et de défendre les «principes éthiques
fondamentaux universels», tels qu’ils sont également inscrits dans
la Charte olympique.
62. Cette discussion ne se limite pas, bien entendu, au contexte
de la guerre d’agression russe, car les valeurs fondamentales susmentionnées
doivent être protégées en tout temps et en tout lieu avec cohérence et
sans complaisance, en adoptant des mesures et des sanctions proportionnelles
à l’ampleur des menaces. À cet égard, comme l’a clairement indiqué
Mme Helleland dans son rapport: «si le
CIO estime que d’autres conflits – y compris des conflits internes
– appellent des sanctions plus sévères à l’encontre de certains
pays du Mouvement olympique, (...) il peut compter sur le soutien
du Conseil de l’Europe et de son Assemblée parlementaire, tant que
les objectifs poursuivis par le CIO sont la démocratie, les droits
humains, le respect du droit international et la paix, et que ses
sanctions sont conformes à ces objectifs.» (§ 49).
4.3. La neutralité politique et la liberté d’expression des athlètes au service des valeurs inscrites dans la Charte olympique
63. Les athlètes sont au cœur du
projet olympique: leur droit de pratiquer le sport fait partie du
droit de participer à la vie culturelle, qui englobe le droit de
«développer et d’exprimer leur humanité, leur vision du monde et
la signification qu’ils donnent à leur existence et à leur épanouissement
par l’intermédiaire, entre autres, de valeurs, de croyances, de
convictions, de langues, de connaissances, de l’expression artistique,
des institutions et des modes de vie»
.

64. Le CIO défend la liberté d'expression tout en veillant au
respect des athlètes pendant les compétitions et les cérémonies.
À partir des éléments fournis par plus de 3 500 athlètes, il a mis
à jour les directives relatives à l'expression des athlètes et modifié
la Règle 40 de la Charte olympique. Celle-ci énonce désormais clairement
que chaque concurrent·e, officiel·le d’équipe ou autre membre du
personnel d’équipe jouit de la liberté d’expression dans le respect
des valeurs olympiques et des directives du CIO.
65. La Règle 50.2 rappelle indirectement le principe de neutralité
politique en affirmant qu’«aucune sorte de démonstration ou de propagande
politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site
ou autre emplacement olympique»
. Historiquement, cette règle a souvent
donné lieu à une interprétation étroite, privant les athlètes de
la possibilité de contester tout acte ou toute décision politique,
même ceux ou celles qui concernent les droits humains.

66. Cependant, à la demande de la commission des athlètes, la
commission exécutive du CIO a récemment soutenu des recommandations
concernant la modification de la Règle 50
en vue de protéger la liberté d’expression
des athlètes, pour des applications futures et diverses, en fonction
du lieu, du moment et du contenu. Ces modifications encouragent
les athlètes à promouvoir la solidarité, l’unité et l’inclusion
lors des cérémonies d’ouverture et de clôture. Elles précisent que
les athlètes peuvent, via la Fresque de la Trêve olympique, montrer
leur soutien aux idéaux de la Trêve olympique et étendre la portée
de cette dernière via l’engagement numérique. La seule restriction
prévue concerne les podiums et les cérémonies officielles, qui sont
préservés de tout type de protestations et manifestations, ou de
tout acte perçu comme tel.

67. Les recommandations de la commission des athlètes sont parfaitement
en ligne avec le cadre juridique de la Charte olympique, en particulier
avec les principes fondamentaux 1, 2 et 4; elles font des athlètes
des acteurs fondamentaux pour garantir l’adhésion à ces principes
et à ceux inscrits dans la Résolution intitulée «Le sport, facteur
de développement durable»
adoptée
par les Nations Unies en 2022. Elles peuvent également constituer
des orientations pour de nouvelles modifications à la Règle 50.

68. Johannes Herber, le représentant des athlètes allemands, a
fait observer qu’il était «dangereux de limiter à l’avance toute
modification éventuelle de la Règle 50 à la portée de la Charte
olympique»
, ajoutant que «la Charte
ne comporte pas d’engagement concernant les droits humains fondamentaux».
Il a affirmé que si le principe de non-discrimination défendu par
le CIO est essentiel, «il couvre peu d’autres droits méritant d’être
protégés». Par conséquent, M. Herber a proposé d’ajouter un huitième
principe d’Olympisme à la Charte, qui engagerait le CIO «à respecter
tous les droits humains internationalement reconnus»
.


69. Je pense également que le CIO et toutes les instances dirigeantes
du sport devraient activement participer à la protection des droits
humains, en particulier au regard du fait que, souvent, les violations
de ces droits touchent directement le monde du sport ou sont commises
en son sein. À cette fin, ces instances devraient notamment adopter
des mesures et des programmes de droits humains visant à lutter
contre toutes les formes de discrimination, à promouvoir l’égalité
de genre, à protéger l’intégrité du sport et sa pratique en toute
sécurité et à défendre la probité du sport.
70. Il est temps de considérer sérieusement les athlètes comme
des allié·es puissant·es et indépendant·es dans la mise en œuvre
de la Charte olympique et des valeurs qu’elle promeut, loin de toute
pression les incitant à prendre publiquement position, en précisant
que la neutralité politique ne les empêche pas de soutenir la paix
ou de condamner les violations des droits humains.
5. Recommandations et propositions finales en vue de la modification de la Charte olympique, de sorte qu’elle soutienne pleinement l’objectif de l’Olympisme
71. Dans sa contribution aux travaux
de la commission, le CIO a remercié l'Assemblée pour l'intérêt qu'elle portait
au Mouvement olympique et lui a demandé de soutenir son action en
faveur de la mission unificatrice des jeux Olympiques, de l'autonomie
et de la neutralité du sport. Ces principes fondamentaux doivent
être respectés pour que les Jeux restent une plateforme de paix
et de compréhension qui rassemble les athlètes même en temps de
conflit, et ne deviennent pas un outil de division. Le CIO s'engage
à faire en sorte que l'événement continue d'incarner l'universalité
et la solidarité dans un environnement sûr, accessible et inclusif.
72. Le CIO s'est également engagé à défendre l'intégrité dans
le sport en améliorant en permanence sa gouvernance, ses politiques
et ses processus. Dans le cadre de l'Agenda olympique 2020+5, il
a revu ses normes de gouvernance afin de satisfaire aux normes financières
et institutionnelles les plus élevées. Reconnaissant le rôle des
pouvoirs publics, le CIO salue des initiatives telles que l'Alliance
parlementaire pour la bonne gouvernance et l'intégrité dans le sport.
Pour que son impact soit maximal, il a encouragé sa coopération
avec le Partenariat
international contre la corruption dans le sport, une initiative cofinancée par le CIO et le Conseil
de l'Europe qui réunit les parties concernées pour lutter contre
la corruption et promouvoir des pratiques éthiques. En tirant parti
des cadres existants, l'Alliance parlementaire a la possibilité
de renforcer l'intégrité dans le sport et le CIO est déterminé à
soutenir ces efforts.
73. Dans ce rapport, j'ai voulu mettre en avant le rôle central
des organisations sportives internationales, en particulier le CIO
et la FIFA (Fédération internationale de football Association),
dans la connexion entre l’arène sportive mondiale et le système
international. Malgré la neutralité qu’elles revendiquent, ces deux organisations
sont des acteurs politiques importants qui usent fréquemment de
leur influence sur la scène internationale, ce qui remet en question
le sens même et l’aspect pratique de la neutralité politique du
sport revendiquée par le CIO
.

74. Le sport international fait depuis toujours partie intégrante
du système international. La règle de la neutralité sert avant tout
de «boussole» pragmatique pour guider le comportement et le processus
décisionnel des responsables sportifs. Plus fondamentalement, elle
permet de défendre le monopole d’organisations sportives internationales
telles que le CIO face à d’éventuels conflits ou fragmentations.
En cette période de guerres à grande échelle, de violations flagrantes
du droit international et de violations généralisées des droits humains,
plusieurs commentateurs ont fait valoir, non sans raison, que la
norme fonctionnelle de la neutralité devrait être remplacée par
d'autres principes plus fondamentaux dont se revendique le Mouvement
olympique, et avant tout, «promouvoir une société pacifique, soucieuse
de préserver la dignité humaine»
.

75. Les principes d’autonomie et d’indépendance du sport devraient
contribuer à la paix et à la mise en œuvre des principes démocratiques,
et non servir à les discréditer. Pour certains États, les victoires
sportives sont à l’évidence une démonstration de pouvoir et de prestige;
elles viennent transformer le sport et soutenir un certain modèle
de gouvernance dans le cadre duquel le sport est perçu comme un instrumentum regni (instrument de
pouvoir) essentiel. Cette approche est contraire à l’ordre juridique
international et nie l’idée même de la neutralité du sport. Elle
s’observe tout particulièrement dans les États où la démocratie
est mal établie, ou défaillante.
76. Cette conception martiale du sport, qui vise à démontrer publiquement
la primauté de celui-ci, mais aussi la primauté économique et politique
en présentant des régimes autoritaires comme une alternative aux démocraties
libérales, est contraire aux valeurs de la Charte olympique. Les
gouvernements démocratiques, les organisations internationales,
les athlètes et les instances dirigeantes du sport ne peuvent continuer
de se taire au nom de l’autonomie du sport.
77. Bien que la Charte olympique fasse référence au respect des
droits humains internationalement reconnus, leur importance n’est
pas suffisamment claire et leur mise en œuvre manque de force et
de cohérence. La promotion effective des droits humains exige que
les organisations sportives rejettent fermement une vision martiale
du sport.
78. Les instances dirigeantes du sport ne peuvent s’en remettre
aux seuls CNO, car, parfois ceux-ci ne sont pas autonomes mais contrôlés
par le gouvernement. En outre, il est fondamental d’accroître la
surveillance pour renforcer la capacité du CIO à collecter des informations.
Cet objectif pourrait notamment être atteint:
- en modifiant la Règle 50 de sorte à préciser que la neutralité politique n’empêche pas les athlètes de soutenir la paix ou de condamner les violations des droits humains au nom des valeurs olympiques;
- en introduisant une disposition dans la Charte établissant qu’une approche martiale du sport est incompatible avec l’Olympisme;
- en mettant en place un système de suivi solide, par exemple grâce à la création d’une nouvelle commission soutenue par des spécialistes indépendants. Tous les membres des CNO, des fédérations sportives internationales et des fédérations nationales, ainsi que tous les athlètes affiliés ou enregistrés auprès de ces entités, devraient avoir le droit de déposer des plaintes ou d’effectuer des signalements ou toute autre alerte identifiant des violations potentielles des droits humains au sein du Mouvement olympique ou l’émergence d’une vision martiale du sport de la part des institutions sportives ou politiques nationales.
79. La Présidente du CIO nouvellement élue
devrait faire de
la lutte contre cette vision déformée du sport l’un des défis de
son mandat. Celui-ci ne pourra être relevé que si la commission
exécutive du CIO est déterminée à recueillir activement toutes les
informations nécessaires.

80. L’Assemblée devrait prendre clairement position sur cette
question. Chaque fois qu’un gouvernement porte atteinte aux principes
et règles de l’Olympisme, la sanction imposée devrait être l’admission
des athlètes du pays concerné en tant qu’athlètes indépendants.
Comme nous l’avons constaté lors des jeux Olympiques de Paris 2024,
une telle sanction peut nuire à la réputation des gouvernements
concernés et a souvent plus d’impact qu’une interdiction totale
de participation.
81. Les athlètes sont toujours très fiers de représenter leur
pays, leur peuple et leur drapeau. Pour les États appliquant une
approche martiale du sport, les victoires d’athlètes sans drapeau
et sans hymne ne sont que des demi-victoires, voire des non-victoires,
comme en atteste le fait qu’elles ne soient pas retransmises à la télévision
nationale. Il est naturellement plus difficile d’associer la médaille
d’un·e athlète indépendant·e à la puissance et au prestige de son
pays d’origine. En fin de compte, les jeux Olympiques permettront
d’éviter les approches impérialistes sans porter atteinte aux droits
des athlètes, à moins que des circonstances exceptionnelles n’appellent
des mesures exceptionnelles et plus strictes, telles qu’une interdiction
totale de participation.
82. Par ailleurs, la Charte olympique ne contient pas de dispositions
concernant l’impartialité et la transparence devant caractériser
le système judiciaire appelé à évaluer la mise en œuvre de la Charte.
Or, pour préserver spécifiquement l’autonomie et l’indépendance
du sport, un contrôle constitutionnel approprié devrait être effectué
par un organe judiciaire impartial et indépendant appliquant et
interprétant les Principes fondamentaux de la Charte olympique,
qui a la même valeur juridique que toute autre constitution
. Cet organe
devrait également évaluer la «constitutionnalité» des réformes adoptées
par les instances sportives internationales, étant donné que ces
décisions ne doivent pas être laissées à ceux qui sont chargés de l’application
des règles. En d’autres termes, il me semble que le CIO et le Mouvement
olympique devraient renforcer la prééminence du droit dans le cadre
de leur mandat
.


83. Enfin – et c’est là un aspect très important –, lors de l’attribution
des Jeux, les engagements en matière de droits humains doivent être
vérifiés et l’attribution doit être annulée si aucun progrès n’est
réalisé. Dans sa Résolution
2420 (2022) «La gouvernance
du football: les affaires et les valeurs», l’Assemblée appelle la FIFA et l’UEFA (Union des associations
européennes de football) à revoir les conditions que les pays candidats
à l’organisation des grands événements de football doivent respecter
en matière de sauvegarde des droits humains, et à prévoir, si cela
n’est pas encore le cas, un certain nombre d’exigences, précisées
au paragraphe 20 de la résolution. Cet appel devrait naturellement
être étendu à l’ensemble du Mouvement olympique. La possibilité
d’imposer des conditions strictes en matière de droits humains pour
toutes les grandes manifestations sportives est examinée dans le
cadre du rapport de M. Kim Valentin (Danemark, ADLE) intitulé «La
protection des droits humains dans et par le sport: obligations
et responsabilités partagées?»
.
Toutes les fédérations sportives internationales devraient encourager
cette démarche, en prenant exemple sur le CIO.

84. Lors de l’audition organisée par la commission de la culture,
de la science, de l'éducation et des médias en décembre 2024 au
sujet des conditions relatives aux droits humains pour les grands
événements sportifs, à laquelle ont assisté des responsables d’Amnesty
International, de l’Accord partiel élargi sur le sport (APES) et
de World Athletics, il a été souligné que le droit international
en matière de droits humains doit primer sur la neutralité politique.
La Charte du CIO ne prévaut pas sur les conventions et traités internationaux,
et le concept d’autonomie dans le sport ne doit pas exonérer les
organisations de leur responsabilité – un point réaffirmé le 12
mars 2025 lors d'un échange de vues avec des responsables de la
FIFA.
85. Le CIO doit s’assurer de manière adéquate que la vision des
institutions politiques et sportives du pays hôte est compatible
avec l’Olympisme et ses valeurs et que les institutions sportives
nationales, en particulier les CNO, fonctionnent dans des conditions
d’autonomie, telles qu’établies par la Charte olympique.
86. Pour finir, je souhaiterais évoquer ma vision de l’avenir
– un avenir dans lequel le sport pourrait réellement incarner les
valeurs olympiques de l’excellence, du respect et de l’amitié, ainsi
que l’objectif ultime de l’Olympisme «de mettre le sport au service
du développement harmonieux de l’humanité, en vue de promouvoir
une société pacifique» –, en m’appuyant, pour cela, sur l’une des
propositions ayant été examinées lors de la réunion de la commission
de la culture, de la science, de l'éducation et des médias le 27
mai 2024.
87. Le sport pourrait devenir un espace exempt de tout symbolisme
politique exprimé par les drapeaux et les hymnes nationaux. Dans
cette optique, le défilé des athlètes pendant la cérémonie d’ouverture
des jeux Olympiques pourrait aussi être organisé par sport plutôt
que par pays, par exemple. Cela permettrait en outre d’éviter les
problèmes qui se posent en matière de représentation pour les athlètes
ayant plusieurs nationalités ou pour les réfugiés. Ces deux scénarios
seraient plus en phase avec l’objectif du sport tel qu’initialement
défini que ne l’est l’actuel exercice d’équilibriste consistant
à donner l’illusion d’une neutralité du sport, pourtant impossible
.
