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Rapport | Doc. 16185 | 03 juin 2025

Mouvement olympique et maintien de la paix: la neutralité du sport sert-elle les valeurs du sport?

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteur : M. Mogens JENSEN, Danemark, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15721, Renvoi 4716 du 2 mars 2023. 2025 - Troisième partie de session

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 7 avril
2025.

(open)
1. Le sport et le Mouvement olympique peuvent jouer un rôle essentiel dans la préservation de la paix et la promotion de la démocratie et des normes internationalement reconnues en matière de droits humains. L’Assemblée parlementaire salue le rôle central du Comité international olympique (CIO), qui rassemble les principales parties prenantes de la scène sportive mondiale pour atteindre ces objectifs, tout en s’efforçant de surmonter les divergences.
2. La neutralité et l’autonomie du sport devraient permettre aux institutions sportives de remplir leur mission et de sauvegarder les valeurs sportives de manière efficace, sans crainte de pressions ou d’ingérences indues. Bien que les relations complexes et changeantes entre l’État et les instances sportives, tant au niveau national qu’international, font qu’il est difficile d’établir une délimitation claire entre politique et sport, l’Assemblée estime que ces deux principes fondamentaux doivent être reconnus et dûment respectés par les pouvoirs publics et que le mouvement sportif devrait assumer les responsabilités qui en découlent. Toutefois, ces principes doivent être bien compris et mis en œuvre conformément aux objectifs et valeurs du Mouvement olympique mentionnés ci-dessus.
3. L’Assemblée reconnaît que la Charte olympique mentionne le respect des droits humains internationalement reconnus, mais leur prévalence n’est pas toujours affirmée avec suffisamment de force par les instances dirigeantes du sport et, malgré les nombreuses prises de position et déclarations, leur protection dans la pratique et leur mise en œuvre manquent encore de cohérence et d’efficacité.
4. Les principes de neutralité et d’autonomie du sport doivent servir la paix et défendre les principes démocratiques et les droits humains; ils ne peuvent être une justification pour l’inertie ou une hésitation à réagir lorsque la paix, la démocratie et les droits humains sont menacés, critiqués ou niés dans les faits.
5. L’Assemblée rappelle que si la Charte olympique a une importance et une valeur constitutionnelles pour le mouvement sportif, elle n’est pas supérieure aux conventions et traités internationaux: l’obligation de respecter pleinement les normes internationales en matière de droits humains doit primer sur la nécessité de garantir la neutralité politique du sport, et le concept d’autonomie du sport n’exonère pas les organisations sportives de toute responsabilité si elles ne protègent pas la dignité humaine et les droits humains.
6. L’Assemblée souhaite encourager le Mouvement olympique et le CIO à renforcer le lien entre le sport et le droit humanitaire et, en particulier, à intensifier l’engagement collectif en faveur d’un environnement mondial pacifique et coopératif lors des jeux Olympiques. Tout pays qui participe activement à une guerre ou un conflit armé doit s’engager, a minima, à cesser temporairement des hostilités pour la durée des jeux Olympiques et doit immédiatement être tenu de rendre des comptes en cas de violation de la Trêve olympique.
7. Certains gouvernements utilisent la participation aux jeux Olympiques et à d’autres compétitions sportives majeures, l’organisation de ces événements et la célébration des victoires des équipes et des athlètes nationaux pour affirmer leur pouvoir et d’étendre leur influence et leur prestige pour le consolider. Cette approche remet en cause l’idée même de la neutralité du sport. L’Assemblée condamne fermement toute conception martiale à l’égard du sport, visant à démontrer publiquement, outre la primauté sportive, la suprématie économique et politique, voire à présenter des régimes autocratiques comme une alternative à la gouvernance démocratique, ce qui est incompatible avec les valeurs consacrées par la Charte olympique.
8. Pour éviter cette approche, les instances dirigeantes du sport ne peuvent pas s’appuyer uniquement sur les comités nationaux olympiques, en particulier lorsque ceux-ci ne semblent pas être autonomes mais sous le contrôle du gouvernement. Une surveillance accrue et la mise en place d’un système de suivi indépendant sont essentielles pour renforcer la capacité du CIO à recueillir des informations sur le respect effectif des valeurs qu’il proclame.
9. Les athlètes sont des acteurs clés et des alliés puissants dans la mise en œuvre de la Charte olympique et de ses valeurs; ils doivent respecter la neutralité politique, mais ce principe et les règlements sportifs adoptés pour assurer son respect ne doivent pas les empêcher de soutenir la paix ou de condamner les violations des droits humains et ils ne peuvent justifier que des athlètes soient sanctionnés pour cela.
10. Ni les gouvernements démocratiques ou les organisations internationales, ni les athlètes ou les instances dirigeantes du sport ne peuvent, au nom de la neutralité et de l’autonomie du sport, rester silencieux et passifs face à de graves violations des droits humains.
11. L’Assemblée convient que les athlètes ne doivent pas être tenus pour responsables du comportement de leur gouvernement et que le droit des athlètes à participer à des compétitions sportives doit être préservé dans la mesure du possible. Toutefois, si un gouvernement viole gravement les principes olympiques et les valeurs du sport, les athlètes de ce pays ne devraient être autorisés à participer aux jeux Olympiques ou aux manifestations sportives majeures organisées par les fédérations sportives internationales qu’en tant qu’athlètes neutres sous la bannière olympique.
12. En outre, des circonstances exceptionnelles peuvent nécessiter des mesures plus strictes, y compris une interdiction totale des athlètes d’un pays donné. Cela devrait être le cas d’une part lorsque une telle interdiction est nécessaire pour protéger d’autres droits humains qui peuvent prévaloir sur le droit des athlètes individuels à participer à des manifestations sportives et d’autre part, lorsqu’il est dans la pratique impossible pour les athlètes concernés de se désolidariser des actions de leur gouvernement, notamment parce que leur droit d’exprimer librement des critiques est refusé par le régime autoritaire et répressif de leur pays.
13. C’est le cas en Fédération de Russie et au Bélarus, où non seulement la quasi-totalité des athlètes de haut niveau sont des employés de l’État et/ou bénéficient d’un soutien financier de l’État, mais où la liberté d’expression n’existe pas et où le fait de prendre position contre le gouvernement exposerait un athlète au risque de perdre son emploi, son salaire et son statut social, et même d’être emprisonné. En outre, dans ces pays, le sport est clairement un outil de soft power pour le pouvoir en place, qu’il détourne pour faire accepter, si ce n’est approuver, la guerre d’agression contre l’Ukraine, malgré les terribles violations massives des droits humains et la menace évidente pour l’ordre juridique international que cette guerre a engendrées.
14. Compte tenu de ce qui précède, l’Assemblée invite le Comité international olympique:
14.1. à renforcer les dispositions de la Charte olympique qui engagent le CIO et ses membres à respecter et à protéger la dignité humaine et les droits humains internationalement reconnus;
14.2. à établir la Trêve olympique en tant que condition nécessaire à la participation d’un pays aux jeux Olympiques et à inclure, dans la Charte olympique et les autres règlements pertinents du CIO, les dispositions nécessaires pour faire respecter efficacement l’obligation d’appliquer la Trêve olympique;
14.3. à introduire, dans la Charte olympique, une disposition indiquant qu’une attitude martiale à l’égard du sport est incompatible avec l’Olympisme et les valeurs sportives, et à renforcer l’obligation pour les institutions sportives nationales, en particulier les comités nationaux olympiques, de fonctionner dans des conditions de stricte indépendance et d’autonomie;
14.4. à mettre en place, en coopération avec les organisations de défense des droits humains, un système de surveillance efficace, tel qu’une commission indépendante soutenue par des spécialistes indépendants, dotée de pouvoirs d’enquête pour évaluer et condamner les violations des droits humains et les atteintes aux valeurs sportives au sein du Mouvement olympique, y compris l’utilisation manipulatrice du sport par un gouvernement;
14.5. à modifier la Règle 50 de la Charte olympique de manière à préciser que la neutralité politique n’empêche pas les athlètes de soutenir la paix ou de condamner les violations des droits humains.
15. En vue de renforcer l’État de droit au sein du Mouvement olympique et du CIO, l’Assemblée recommande la mise en place d’un organe juridictionnel du sport, indépendant et impartial, chargé d’assurer l’interprétation et la mise en œuvre cohérentes de la Charte olympique et de ses principes fondamentaux par toutes les instances dirigeantes du sport.
16. Enfin, l’Assemblée est convaincue que le CIO et sa présidente nouvellement élue sont fermement résolus à promouvoir les droits humains et les libertés fondamentales et à mettre le sport au service du développement harmonieux de l’humanité en vue de promouvoir une société pacifique. Dans ce contexte, l’Assemblée se félicite que le CIO soit un partenaire institutionnel de la nouvelle Alliance parlementaire pour la bonne gouvernance et l’intégrité dans le sport et elle invite le CIO à envisager la conclusion d’un protocole d’accord avec le Conseil de l’Europe.

B. Exposé des motifs par M. Mogens Jensen, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le présent rapport fait suite à une proposition de résolution déposée par M. Indrek Saar (Estonie, SOC) et d’autres membres de l’Assemblée parlementaire intitulée «Exclusion des athlètes et des dirigeants de la Fédération de Russie et du Bélarus de la participation au mouvement olympique international» 
			(2) 
			Doc. 15721. Cette proposition de résolution a été déposée à la
suite d’un débat d’actualité sur le thème «Soutenir l’Ukraine un
an après le début de la guerre d’agression à grande échelle de la
Fédération de Russie: le rôle du Conseil de l’Europe», tenu lors
de la <a href='https://pace.coe.int/fr/pages/session-202303'>réunion
de la Commission permanente de l’Assemblée </a>des 2 et 3 mars 2023, à La Haye..
2. Le 28 mars 2023, le Comité international olympique (CIO) a publié des recommandations à l’intention des fédérations sportives internationales de sports et des organisateurs de manifestations sportives internationales afin d’autoriser les athlètes individuels de la Russie et du Bélarus à participer aux compétitions en tant qu’athlètes «neutres», sous réserve qu’ils répondent à des critères d’éligibilité stricts, notamment le fait de ne pas soutenir la guerre en Ukraine et de ne pas être sous contrat avec l’armée. Aucun drapeau, hymne, couleur ou autre identification de la Russie ou du Bélarus ne seraient présents et aucun·e représentant·e des gouvernements de la Russie ou du Bélarus ne pourrait être invité·e ou accrédité·e 
			(3) 
			«<a href='https://olympics.com/cio/news/le-cio-emet-des-recommandations-a-l-intention-des-federations-internationales-et-des-organisateurs-de-manifestations-sportives'>À
la suite de la demande adressée par le 11e Sommet olympique, le
CIO émet des recommandations pour les Fédérations internationales
et les organisateurs de manifestations sportives internationales
concernant la participation d’athlètes munis d’un passeport russe
ou bélarussien aux compétitions internationales</a>», Olympics.com, 28 mars 2023.. La mise en œuvre effective des conditions d’éligibilité a toutefois été contestée par plusieurs fédérations sportives internationales, ce qui a conduit à des positions divergentes dans différents sports.
3. La commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias a tenu une audition publique le 25 avril 2023 
			(4) 
			La vidéo de l’audition
est disponible <a href='https://pace.coe.int/fr/news/9061/strong-views-at-a-pace-hearing-on-whether-athletes-from-russia-and-belarus-should-be-excluded-from-the-paris-olympics-'>ici</a>. et, par la suite, la Commission permanente de l’Assemblée a tenu un débat d’actualité intitulé «Exclure les athlètes de Russie et du Bélarus aux Jeux Olympiques» le 26 mai 2023, à Riga 
			(5) 
			<a href='https://pace.coe.int/fr/pages/session-202305'>Commission
permanente (26 mai 2023)</a>..
4. Un débat d’urgence, demandé par les cinq groupes politiques, sur la «Guerre d’agression contre l’Ukraine – Participation des athlètes russes et bélarussiens aux Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024?» a eu lieu le 22 juin 2023, durant la troisième partie de session de l’Assemblée 
			(6) 
			Voir Doc. 15795, rapport de la commission de la culture, de la science,
de l'éducation et des médias, rapporteure: Mme Linda
Hofstad Helleland, Norvège, PPE/DC..
5. La Résolution 2507 (2023) adoptée alors invitait instamment tous les représentants des comités nationaux olympiques (CNO) et des fédérations sportives nationales et internationales à exprimer leur opposition à la proposition du CIO de permettre aux athlètes russes et bélarussiens de participer aux Jeux de 2024. Le rapport présentait une analyse des principaux arguments avancés pour justifier la levée de l’interdiction et la participation des athlètes russes et bélarussiens, y apportait une réponse et concluait qu’une telle participation, bien que sous des conditions strictes de «neutralité», n’était pas acceptable.
6. Le 12 octobre 2023, la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias a décidé de modifier le titre de ce rapport pour qu’il s’intitule «Mouvement olympique et maintien de la paix: la neutralité du sport est-elle au service des valeurs du sport?», en vue de donner suite à la Résolution 2507 (2023), ainsi qu'aux résolutions «Le sport pour tous: nous unir pour des sociétés plus fortes» (Doc. MSL17(2022)10) 
			(7) 
			Adoptée lors de la
17e Conférence du Conseil de l'Europe
des ministres responsables du sport, Antalya, Türkiye, 26-27 octobre
2022. et «La gouvernance collaborative et la bonne gouvernance du sport: soutenir une nouvelle approche à la hauteur de son importance sociétale » (Doc. MSL18(2024)05) 
			(8) 
			Adoptée lors de la
18e Conférence du Conseil de l'Europe
des ministres responsables du sport, Porto, Portugal, 8-10 octobre
2024., d’élargir le champ de l’analyse et d’examiner le rôle du mouvement sportif international dans la défense des valeurs fondamentales, des droits humains et de la paix.
7. Le 5 décembre 2023, la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias a tenu une audition à laquelle ont participé M. Luigi Melica, Professeur de droit public comparé à l’Université de Salento (Italie), et M. Bernard Hilgers, trésorier des Académies Olympiques Européennes.
8. Le 8 décembre 2023, la commission exécutive du CIO a finalement pris position, approuvant la participation d’athlètes neutres individuels qualifiés par le biais des systèmes de qualification des fédérations sportives internationales 
			(9) 
			«<a href='https://olympics.com/cio/news/la-commission-executive-du-cio-admet-les-athletes-individuels-neutres-aux-jeux-olympiques-de-paris-2024-et-impose-des-conditions-d-admission-strictes'>La
commission exécutive du CIO admet les athlètes individuels neutres
aux Jeux Olympiques de Paris 2024 et impose des conditions d’admission
strictes</a>», Olympics.com, 8 décembre 2023.. Certain·es athlètes ont accepté leur invitation olympique mais ont finalement renoncé à concourir quelques semaines avant le début de la compétition, tandis que la participation d’autres athlètes a été contestée pendant les Jeux 
			(10) 
			«<a href='https://www.theguardian.com/sport/article/2024/jul/23/russia-belarus-olympic-games-ukraine-war-ioc'>Russian
and Belarusian Olympic athletes accused of supporting war in Ukraine</a>», The Guardian - Paris Olympic Games
2024, 23 juillet 2024..
9. Dans ce contexte, le rapport, tout en donnant suite à la Résolution 2507 (2023), se concentrera principalement sur les relations et la tension entre les principes de neutralité du sport et le rôle du sport dans la préservation de la paix ainsi que dans la défense et le soutien des valeurs universelles, telles qu’elles sont inscrites dans la Charte olympique.
10. Il importe pour cela d’examiner la relation complexe et en constante évolution qui existe entre politique et sport international, ainsi que l’essence du Mouvement olympique en tant que catalyseur fondamental de la paix et de la démocratie, des questions qui ont fait l’objet de deux autres auditions organisées par la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias en 2024 
			(11) 
			21 mars 2024, Paris:
échange de vues auquel a participé M. Jean-Pierre Siutat, Vice-Président
du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), chargé
des relations internationales. 27 mai 2024, Copenhague: audition
à laquelle ont participé M. Hans Natorp, Président de la Confédération
danoise des sports, Danemark; M. Jörg Krieger, Professeur associé,
Président du Réseau de recherche sur le sport et la société, Département
de santé publique, Université d’Aarhus, Danemark; et M. Antonio
Di Marco, chargé de cours sur le droit de l’Union européenne à l’Université de
Strasbourg, France..
11. Le 4 décembre 2024, la commission a examiné le rapport d’expert établi par le professeur Melica 
			(12) 
			Professeur Luigi Melica,
«<a href='https://pace-apps.coe.int/folders/917a6228-e467-4cf3-85c1-8eb6bda8ad26/committees/documents/2784-7624-8587/view'>Mouvement
olympique et maintien de la paix: la neutralité du sport est-elle
au service des valeurs du sport? </a>», Université de Salento, Italie., avec la participation de M. Guido Battaglia, responsable des partenariats et des affaires institutionnelles au Centre pour le sport et les droits de l’homme, à Genève.
12. Malheureusement, malgré des demandes répétées, il n’a à ce jour pas été possible de rencontrer des responsables du CIO, ni d’entendre leur point de vue lors de réunions de la commission; les responsables du CIO ont toutefois décidé, après consultation, de communiquer leurs observations sur le projet de rapport, que j’ai intégrées dans les chapitres suivants.
13. Le 20 mars 2025, Kirsty Coventry, ancienne présidente de la commission des athlètes du CIO, a été élue 10e Présidente du CIO 
			(13) 
			Kirsty
Coventry prendra ses fonctions le 23 juin 2025, date officielle de
la Journée olympique, pour un mandat de huit ans, renouvelable une
fois pour quatre ans., devenant ainsi la première femme et la première personne originaire du continent africain à occuper ce poste. Son élection intervient à un moment de fortes tensions géopolitiques et de débats sur l'action du Mouvement olympique concernant des questions profondément clivantes telles que la neutralité, la participation, l'influence croissante des régimes autoritaires, les règles d'éligibilité liées au genre, les préoccupations environnementales et les progrès de l'intelligence artificielle dans le sport, alors que se profilent les Jeux 2028 de Los Angeles, qui se dérouleront sous la nouvelle administration américaine.

2. Les Jeux contestés (et «neutres»?) de Paris 2024 et au-delà

14. En septembre 2023, les dirigeants du G20, réunis à New Delhi, ont publié une déclaration dans laquelle ils se réjouissaient de la tenue des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris en 2024, comme un «symbole de paix, de dialogue entre les nations et d’inclusivité, avec la participation de tous» 
			(14) 
			<a href='https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/09/10/declaration-des-chefs-detat-et-de-gouvernement-du-g20-a-new-delhi'>Déclaration
des chefs d’État et de gouvernement du G20 à New Delhi.</a>.
15. Se félicitant de cette déclaration, le Président du CIO, Thomas Bach, a qualifié de «déplorable» l’attitude des gouvernements européens, qu’il a accusés de faire preuve de «deux poids, deux mesures», posant la question de savoir pourquoi ils n’avaient émis aucun commentaire sur la participation d’athlètes dont les pays sont impliqués dans les 70 autres guerres, conflits armés et crises en cours dans le monde.
16. M. Bach a déploré le non-respect de la volonté de la majorité au sein du Mouvement olympique ou du principe de l’autonomie du sport, que les gouvernements européens demandent aux autres pays, tout en ignorant complètement la déclaration des deux rapporteurs spéciaux du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, fondée sur le principe de non-discrimination. Il a affirmé que les «interventions politiques» n’avaient fait que «renforcer l’unité du Mouvement olympique» 
			(15) 
			«<a href='https://olympics.com/cio/media/questions-reponses-concernant-la-declaration-sur-la-solidarite-avec-l-ukraine-sur-les-sanctions-a-l-encontre-de-la-russie-et-du-belarus'>Questions-réponses
concernant la participation d’athlètes porteurs d’un passeport russe
ou bélarussien aux compétitions internationales. Comment la communauté
internationale et les dirigeants politiques ont-ils réagi face à l’approche
adoptée par le CIO sur la question de la participation des athlètes
porteurs d’un passeport russe ou bélarussien aux compétitions internationales?</a>», Olympics.com, (modifié le 25 octobre 2023)..
17. Comme souligné précédemment, les reproches de M. Bach ne sont pas tout à fait exacts. D’une part, l’autonomie du sport n’est pas entravée par ceux qui expriment des opinions divergentes et demandent instamment au CIO de privilégier une autre voie, comme le font les pays européens démocratiques. D’autre part, l’autonomie du sport est assurément menacée lorsque les autorités étatiques d’une dictature exercent un contrôle total sur les organismes sportifs nationaux et, de fait, décident de leurs politiques, comme c’est le cas en Russie et au Bélarus. En outre, l’Assemblée a répondu à la déclaration des deux rapporteurs spéciaux du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies et expliqué en détail, par le biais du rapport de Mme Helleland, 
			(16) 
			Doc. 15795 op. cit. pourquoi nous ne pouvions pas suivre leur raisonnement sur le principe de non-discrimination, auquel nous sommes sans conteste très attachés.
18. S’exprimant devant la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias à Copenhague, Jörg Krieger, Président du Réseau de recherche sur le sport et la société à l’Université d’Aarhus, a souligné que le CIO avait aussi décidé d’exclure les équipes dont les membres sont russes ou bélarussiens. Ainsi, bien que le CIO ait motivé sa décision (ce dont, bien entendu, nous nous félicitons), cela confirme que, finalement, l’argument de la non-discrimination ne s’applique pas forcément à l’ensemble des athlètes et montre qu’une réflexion plus approfondie peut être nécessaire pour trouver la ligne de conduite à adopter selon les circonstances.
19. Le CIO a fait référence à l’opinion d’une «écrasante majorité» d’athlètes, au communiqué du dernier Sommet olympique, aux consultations avec les parties prenantes concernées, ainsi qu’à la Résolution A/78/10 de l’Assemblée générale des Nations Unies relative à la Trêve olympique pour Paris 2024. Il a également réaffirmé son engagement à soutenir les athlètes ukrainiens au moyen du Fonds de solidarité dédié 
			(17) 
			«<a href='https://olympics.com/cio/news/la-commission-executive-du-cio-admet-les-athletes-individuels-neutres-aux-jeux-olympiques-de-paris-2024-et-impose-des-conditions-d-admission-strictes'>La
commission exécutive du CIO admet les athlètes individuels neutres
aux Jeux Olympiques de Paris 2024 et impose des conditions d’admission
strictes»</a>, Olympics.com, 8 décembre 2023..
20. Quelques semaines plus tard, le 12 octobre 2023, la commission exécutive du CIO a été contrainte de suspendre le Comité olympique russe en raison de sa décision d’inclure des organisations sportives régionales qui sont sous l’autorité du Comité national olympique ukrainien, en violation de la Charte olympique 
			(18) 
			«<a href='https://www.olympics.com/cio/news/suspension-avec-effet-immediat-du-comite-olympique-russe-par-la-commission-executive-du-cio'>Suspension
avec effet immédiat du Comité olympique russe par la commission
exécutive du CIO»</a>, Olympics.com, 12 octobre 2023..
21. La mise en œuvre des conditions d’éligibilité a été contestée par certaines fédérations sportives internationales 
			(19) 
			Notamment <a href='https://worldathletics.org/news/press-releases/council-meeting-march-2023-russia-belarus-female-eligibility'>World
Athletics</a>., qui ont adopté des positions divergentes de celle du CIO. En effet, il est assez difficile (je dirais même «naïf») de raisonnablement s’attendre à ce que les athlètes russes puissent prendre leurs distances par rapport à la guerre, en raison de la situation politique dans le pays, où la liberté d’expression est actuellement inexistante et où toute personne exprimant un désaccord est menacée, emprisonnée, voire éliminée si elle est trop gênante.
22. La Russie n’a pas retransmis les jeux Olympiques sur les chaînes de télévision nationales (elle avait également refusé de le faire en 1984, année où l’Union soviétique avait boycotté les Jeux d’été organisés aux États-Unis) 
			(20) 
			«<a href='https://apnews.com/article/olympics-2024-russia-media-835aabe6cca7cb288dbee07c2f6a2ebd'>Paris
Olympics: Russian media won’t show the games on TV</a>», AP News, 27
juillet 2024., et un certain nombre de responsables politiques et de personnalités des médias ont même qualifié les athlètes concourant à Paris de «traitres». Des athlètes russes ont participé aux Jeux malgré le fait qu’ils ou elles soutenaient la guerre en Ukraine via les réseaux sociaux, ce qui a engendré d’autres protestations pendant l’été 
			(21) 
			«<a href='https://www.politico.eu/article/russian-athletes-paris-summer-olympics-war-in-ukraine-neutrality/'>Trio
of Russian athletes competing in Paris 2024 despite supporting war
in Ukraine»</a>, Politico, 27
juillet 2024., tout en montrant bien que l’objectif de la neutralité du sport est utopique et, qu’en outre, il est rarement interprété et mis en œuvre de la même manière par toutes les parties prenantes.
23. Lors de leurs échanges sur la guerre en Ukraine, en mars 2025, Donald Trump et Vladimir Poutine se seraient entretenus sur la possibilité d'organiser un match de hockey et le Président Trump pourrait soutenir la participation de la Russie à la Coupe du monde en 2026 et aux jeux Olympiques en 2028 
			(22) 
			«<a href='https://www.theguardian.com/sport/2025/mar/20/putins-ice-hockey-diplomacy-reveals-lasting-scars-of-sports-soft-power'>Putin’s
ice hockey diplomacy reveals lasting scars of sport’s soft power»</a>, The Guardian<a href=''>, </a><a href=''>20 mars 2025.</a>.
24. Dans une interview, la nouvelle présidente du CIO, Kirsty Coventry, a affirmé qu’elle ferait de l'inclusivité sa priorité: «le rôle du CIO est de faire en sorte que tous les athlètes puissent participer aux Jeux. Il ne s’agit pas seulement des guerres et conflits majeurs en Europe et au Moyen-Orient – il y a aussi des guerres et des conflits en Afrique. Comment allons-nous protéger et soutenir ces athlètes? (…) Si je suis élue à la présidence du CIO, je chargerai un groupe de travail d'élaborer un ensemble de directives pour nous aider à mieux gérer ces périodes de conflit, la priorité étant donnée aux intérêts des athlètes» (traduction non officielle). Parmi ces questions d'actualité figure aussi la participation des athlètes russes aux Jeux d'hiver de Milan-Cortina 2026 
			(23) 
			«<a href='https://www.nytimes.com/athletic/6200545/2025/03/18/kirsty-coventry-ioc-president-elections/'>Kirsty
Coventry interview: The IOC’s first woman president and Africa’s
most-decorated Olympian»</a>, The Athletic<a href=''>, 18 mars 2025</a>; «<a href='https://www.insidethegames.biz/articles/1152432/coventrys-election-russian-olympics'>Coventry’s
win renews Russia's expectations»</a>, Inside the Games, 21
mars 2025..

3. Neutralité du sport, politique et considérations éthiques

25. Le CIO tient à rappeler que l'autonomie et la neutralité politique sont des principes fondamentaux du Mouvement olympique qui doivent être respectés en toutes circonstances. Les Jeux ont vocation à unir le monde autour de l'universalité du sport, de ses valeurs et de ses règles, ainsi que de l'intégrité des compétitions sportives. Pour ce faire, l'événement doit rester au-dessus des conflits politiques et des ingérences politiques extérieures; il appartient aux seules fédérations sportives et CNO de décider quels athlètes peuvent participer aux compétitions internationales, et ce uniquement sur la base de leurs performances sportives.
26. Conformément aux normes internationales, l'attachement du CIO aux Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme est inscrit dans la Charte olympique ainsi que dans son Code d'éthique et son Cadre stratégique relatif aux droits humains. Les modifications apportées à la Charte olympique n'ont fait que renforcer cet attachement en inscrivant les droits humains dans les Principes fondamentaux de l'Olympisme (Principes 1 et 4 de l'Olympisme) et en veillant à ce que les principes en la matière soient respectés dans le processus de sélection ainsi que dans l'organisation des Jeux et leur tenue. Son engagement prend la forme de conseils, d'outils, d'un accompagnement des parties prenantes pour qu’elles s’engagent, d'un examen technique et d'autres formes d'engagement visant à garantir le respect des principes en matière de droits humains pendant toute la durée des Jeux.
27. Le concept de neutralité du sport doit être clarifié, ainsi que la pertinence des droits humains dans le Mouvement olympique, en gardant à l’esprit son noble objectif «de mettre le sport au service du développement harmonieux de l’humanité, en vue de promouvoir une société pacifique soucieuse de préserver la dignité humaine» 
			(24) 
			Principe fondamental
2 de la Charte olympique..
28. L’analyse effectuée par le professeur Melica de 13 révisions différentes de la Charte entre 1978 et 1990 montre comment le sport et les jeux Olympiques ont fini par être considérés comme un instrument de paix accompagnant l’émergence de nouvelles démocraties 
			(25) 
			Voir aussi Luigi Melica,
«Reammissione degli atleti russi e bielorussi e interpretazione
della Carta Olimpica», (à paraître)..
29. Une révision ultérieure de la Charte a permis d’ajouter une référence explicite à la paix après la révolution hongroise de 1956, qui a conduit au boycott des jeux Olympiques de Melbourne 
			(26) 
			Boycott organisé par
les Comités olympiques d’Espagne, des Pays-Bas et de Suisse. (1956) par plusieurs pays, pour protester contre l’invasion de la Hongrie par l’Union soviétique 
			(27) 
			L’Égypte,
l’Irak et le Liban n’ont pas participé pour protester contre l’occupation
militaire du canal de Suez par la France, la Grande-Bretagne et
Israël. La Chine a également boycotté les Jeux pour protester contre
l’autorisation donnée à Taïwan de participer aux Jeux en tant que
pays distinct..
30. Le concept de neutralité politique lui-même a été utilisé pour la première fois dans les années 1990. Depuis 2007, des pays comme la Fédération de Russie et le Qatar ont été exclus des jeux Olympiques d’hiver ou d’été en raison de graves violations des droits humains.
31. Le principe de neutralité dans le sport a été formellement introduit en 2019, avant les jeux Olympiques d’hiver en Chine et les championnats du monde de football au Qatar, où de nombreuses manifestations ont été réprimées.
32. Il s’agissait vraisemblablement de mettre un terme à la vague de protestations contre les violations des droits humains organisées dans le monde du sport contre certains pays que le CIO ou les fédérations sportives avaient choisis pour accueillir des événements sportifs majeurs 
			(28) 
			Au cours
de la période 2000-2018, la Fédération de Russie a accueilli les
championnats du monde d’athlétisme de 2013, les jeux Olympiques
d’hiver de 2014 à Sotchi et les championnats du monde de football
de 2018; la Chine a accueilli les jeux Olympiques de 2008 et les
jeux Olympiques d’hiver de 2022; et le Qatar a accueilli les championnats
du monde de football de 2022..
33. Cette décision a été prise en espérant que les compétitions sportives deviendraient un catalyseur important de réformes politiques et de croissance économique, ce qui est quelque peu contradictoire avec la prétendue neutralité du sport. Une autre contradiction provient du fait que le sport peut être utilisé, parfois indûment, comme un outil de soft power permettant de détourner l’attention d’une réputation politique ou humanitaire douteuse et de remodeler l’image d’un pays.
34. S’exprimant à Paris devant la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias, Bernard Hilgers a reconnu que la neutralité politique du sport est un principe éthique fondamental universel du Mouvement olympique, qui est inscrit dans le Code d’éthique du CIO au même titre que le principe d’universalité (article 1.2) et fait partie du Principe fondamental 5 de l’Olympisme. Le sport devrait transcender la politique et les crises internationales, et les Jeux ne peuvent contribuer à la paix que par un engagement fondamental en faveur de la neutralité politique et de l’universalité, et par le biais de la solidarité. M. Hilgers a cependant admis que la politisation croissante du sport empêchait les événements sportifs, y compris les jeux Olympiques ou les championnats du monde, de remplir leur mission.
35. «Diplomatie du ping-pong» entre la Chine et les États-Unis, «diplomatie du cricket» entre l'Inde et le Pakistan, réconciliation sud-africaine grâce au rugby – l’histoire est jalonnée d’exemples de rapprochement pour la paix par le sport.
36. Depuis vingt ans, le CIO prétend appliquer une approche centrée sur l’athlète, fondée sur les valeurs fondamentales d’unité, de solidarité et de non-discrimination. L’accent a été mis sur le droit de participer à des événements sportifs dans le cadre du droit de participer à la vie culturelle, ainsi que sur le principe fondamental selon lequel les jeux Olympiques sont des compétitions entre athlètes en tant qu’individus ou équipes et non entre pays, conformément à la Charte olympique.
37. En outre, le CIO estime que les athlètes ne peuvent être tenu·es responsables du comportement individuel de leurs gouvernements et que les sanctions ne peuvent viser que les gouvernements (en interdisant le drapeau et l’hymne nationaux et en bannissant les dirigeants du pays). Il est d’avis qu’il s’agit là de la seule forme de discrimination possible, et qu’une interdiction totale est inadmissible.
38. Si je n’ai aucune difficulté à accepter le principe que les athlètes individuel·les ne peuvent être tenu·es directement responsables de ce que font leurs gouvernements respectifs, je ne pense pas que cela exclut automatiquement la possibilité qu’une interdiction totale soit la seule solution dans certains cas. Comme souligné dans la Résolution 2507 (2023) de l’Assemblée:
  • il est pratiquement impossible, pour les athlètes russes et bélarussiens, de prouver leur neutralité et leur distance par rapport à ces régimes, et encore moins de faire une déclaration quelconque contre la guerre, sans se mettre dans une situation dangereuse;
  • les régimes russe et bélarussien peuvent utiliser les victoires de leurs athlètes dans leur propagande, créant ainsi un récit d’acceptation et de normalisation qui minimiserait la gravité des actes commis par les Gouvernements russe et bélarussien;
  • les arguments en faveur de la participation des athlètes russes et bélarussiens, fondés sur la neutralité, l’indépendance du mouvement sportif et la non-discrimination, ne font pas le poids face à l’impératif de condamner et de rejeter les atrocités commises et de démontrer le soutien total et indéfectible de la communauté internationale à l’Ukraine, tandis que l’offensive se poursuit. Les acteurs qui proclament leur adhésion aux droits humains, tels que le CIO et les fédérations sportives internationales, ne sauraient faire abstraction de cela.
39. La Charte olympique souligne le rôle central des athlètes dans le contexte du Mouvement olympique, non seulement pour les protéger des influences extérieures qui nuisent au sport et des dangers liés aux activités sportives, mais aussi pour renforcer leur rôle politique et représentatif dans la gouvernance du sport (Règles 16 et 21).
40. Cependant, s’agissant de la «neutralité», les athlètes souhaitent exercer leur droit à la liberté d’expression et expriment de plus en plus des opinions politiques. Ils sont souvent soutenus par des marques qui ont conscience du fait que le silence n’est pas synonyme de «neutralité» et adoptent une position socio-politique plus marquée en se retirant du parrainage de manifestations sportives majeures 
			(29) 
			«<a href='https://www.thedrum.com/opinion/2024/01/19/politics-and-sports-have-never-been-closer-brands-silence-isnt-neutrality'>Politics
and sports have never been closer. For brands, silence isn’t neutrality»</a>,The Drum, 19 janvier
2024..
41. Les spécialistes du sport ont également utilisé la notion de soft power dans leur analyse de la politisation du sport au cours des dernières décennies et du rôle des personnes puissantes que les gouvernements ont placées dans les fédérations sportives internationales, autre état de fait qui est clairement incompatible avec l’idée de la neutralité du sport 
			(30) 
			«<a href='https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/27690148.2023.2196268?scroll=top&needAccess=true'>International
Sport Federations as Forums to Initiate Soft Power Processes: The
Case of Russia</a>», Asian Journal of Sport
History & Culture: vol. 2, no 1<a href=''>, 12 juin 2023.</a>.
42. Compte tenu du poids économique indéniable du secteur sportif aujourd’hui, des flux financiers colossaux que génèrent les grands événements sportifs et des liens trop étroits entre le sport et les pouvoirs économiques et politiques (y compris étatiques), il est probable que le sport devienne de plus en plus non pas un soft power au service de la paix et des principes démocratiques, mais un instrument de pression économique, entrant ainsi dans le champ du hard power 
			(31) 
			Julie Tribolo, «<a href='https://hal.science/hal-03697694'>Sport
et paix, un mariage de raison? Retour sur trente ans d'utilisation
du sport au service de la paix par les Nations Unies</a>», L’Observateur des Nations
Unies, 2022, Le droit international face aux problématiques contemporaines
du sport, vol. 52 (2022-1), pp. 35-58. traditionnel, qui est tout sauf «neutre».
43. Il est dès lors nécessaire que les institutions démocratiques et les instances dirigeantes du sport abordent des questions éthiques importantes concernant la séparation du sport et de la politique, les intérêts et valeurs contradictoires que révèle la neutralité du sport, ainsi que le paradoxe de la neutralité du sport et de l’organisation de manifestations sportives majeures pour faciliter la réalisation «d’objectifs politiques» 
			(32) 
			Voir
aussi «Symposium on Sport and Neutrality», Inland Norway University
of Applied Sciences, 23 octobre 2023..

4. Réaffirmer le rôle du Mouvement olympique en tant qu’outil de paix et de progrès démocratique

44. Comme discuté lors de plusieurs auditions de la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias, le sport peut apporter l’unité et des changements positifs dans la société, et le Mouvement olympique a cette capacité considérable à rassembler les personnes qui cherchent à surmonter les différences et à promouvoir la paix.
45. S’exprimant devant la commission, Bernard Hilgers a reconnu que les réalisations potentielles du Mouvement olympique et de ses institutions pour l’instauration de la paix étaient limitées. Cependant, le sport peut rassembler les communautés (citons la Trêve olympique, l’équipe olympique des réfugiés et l’équipe commune d’athlètes de Corée du Sud et de Corée du Nord 
			(33) 
			Voir toutes les initiatives
du CIO pour <a href='https://olympics.com/cio/paix-et-developpement'>«La paix
et le développement par le sport</a>», Olympics.com.), quelles que soient les différences, même en temps de crise. Selon lui, le message de paix en temps de guerre ne peut être que de transcender les conflits en accueillant les Jeux, de manière unifiée et politiquement neutre.

4.1. Le rôle essentiel et sous-estimé de la Trêve olympique

46. La Conférence ministérielle de 2024 à Porto, reconnaissant le sport comme une ressource commune pour la cohésion sociale et la diplomatie internationale, a vivement recommandé la mise en place de mécanismes renforcés pour que le sport reste une force unificatrice plutôt qu'un champ de bataille politique. Les ministres ont une nouvelle fois rappelé que les manifestations sportives, en particulier les jeux Olympiques, doivent contribuer activement aux efforts de paix. La reconnaissance de l'équipe olympique des réfugiés lors de la remise du Prix Nord-Sud du Conseil de l'Europe en 2024 souligne le rôle du sport en tant qu'outil d'inclusion sociale et de défense des droits humains.
47. Dès lors, l'appel symbolique à la Trêve olympique doit devenir une obligation contraignante, de sorte que tout pays engagé dans un conflit actif soit tenu de cesser les hostilités en tant que condition préalable à sa participation.
48. À cet égard, il serait également utile de réviser et de renforcer l’institution de la Trêve olympique, afin de répondre également à certaines des critiques concernant l’application d’une politique de «deux poids deux mesures» avancées par le Président Bach. En effet, le concept de Trêve olympique, ancré dans la tradition grecque antique d’Ekecheiria, vise à garantir une période de paix et de respect mutuel entre les États en guerre pendant les jeux Olympiques.
49. Le Professeur Di Marco a expliqué à la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias qu’il n’existait pas de cadre juridique régissant la Trêve; celle-ci ne fait l’objet que d’une résolution des Nations Unies. Aucune déclaration des pays «belligérants» participant aux jeux Olympiques n’est prévue, et la Trêve n’est évoquée dans aucun document des jeux Olympiques (contrats, chartes, etc.). En outre, elle n’est pas clairement définie: consiste-t-elle en la fin des combats, une pause humanitaire, un armistice, une période de cessez-le-feu ou la cessation des hostilités? Dans ce contexte, toute décision de sanctionner un pays semble arbitraire. M. Di Marco est d’avis que la Charte devrait être modifiée de sorte à préciser si la Trêve est une règle, une mesure symbolique ou un appel du Secrétaire général des Nations Unies, et ainsi définir ainsi des critères et des sanctions, y compris les conditions et les modalités d’exclusion.
50. Je partage le point de vue de M. Di Marco selon lequel il convient d’étendre la portée de cette définition et de renforcer le lien juridique entre sport et droit humanitaire afin d’obliger les pays à répondre de leurs actes et de les rendre passibles de sanctions. Cette responsabilité incombe certainement à l’ensemble des États membres de la communauté internationale. Mais elle devrait également incomber aux autorités sportives, qui ont des outils à leur disposition pour ce faire, tels que les sanctions financières, l’imposition de conditions à respecter pour l’accueil de manifestations sportives internationales, les restrictions du droit de participer aux compétitions et les interdictions de participation visant les athlètes ou les pays.
51. Selon le CIO, subordonner la participation aux jeux Olympiques au respect de la Trêve sortirait du cadre du sport et risquerait de porter atteinte aux principes fondamentaux du Mouvement olympique. À ses yeux, les Jeux ont vocation à rassembler les athlètes du monde entier lors d'une compétition loyale et pacifique, et toute décision ayant trait à la guerre et à la paix est du ressort exclusif des autorités gouvernementales. La résolution des Nations Unies sur la Trêve olympique s'adresse aux États, pas aux organisations sportives ni aux athlètes, et le CIO n’est soumis à aucune règle ou mécanisme contraignant dans les conflits internationaux. Subordonner leur participation aux décisions des gouvernements reviendrait à priver injustement les athlètes du fruit d’un travail de toute une vie à cause d’événements qu'ils ne contrôlent pas. Ce principe a été réaffirmé dans le statut des athlètes individuels neutres, qui a permis à celles et ceux qui détenaient un passeport russe ou bélarussien de participer aux Jeux de Paris 2024 dans des conditions de neutralité strictes.
52. En ces temps où la stabilité mondiale, le droit international, les valeurs démocratiques et les droits humains sont fortement menacés, il me semble qu’il conviendrait de faire de la Trêve olympique une condition de participation, en mettant l’accent sur la promotion de la paix, de l’unité et de la bonne volonté entre les nations. La Trêve impliquerait que tout pays participant à une guerre ou un conflit armé actifs s’engage à une cessation temporaire des hostilités pour la durée des jeux Olympiques et soit, naturellement, tenu immédiatement responsable en cas de violation de la Trêve. Ce geste symboliserait un engagement collectif à favoriser un environnement mondial pacifique et coopératif pendant les Jeux. En faisant de la Trêve olympique une condition préalable à la participation, les nations témoigneraient de leur attachement aux principes de l’harmonie internationale, de l’esprit sportif et de la diplomatie. L’exclusion des pays en conflit actif des Jeux constituerait pour les dirigeants une puissante incitation à donner la priorité aux solutions pacifiques et à encourager le dialogue comme alternative à la confrontation armée.

4.2. Prévenir les approches martiales à l’égard du sport et protéger son essence et ses valeurs

53. Le sport doit rester un pont entre les pays, surtout dans les moments difficiles. Cependant, il n’est pas acceptable qu’il soit utilisé à des fins de propagande, de manipulation et d’exploitation; le Mouvement olympique ne doit pas permettre cela. Le nationalisme et la politique peuvent interagir défavorablement au sein du sport. Dans le même temps, la politique a montré qu’elle était un puissant moyen d’aider le CIO à diffuser son message et à acquérir du pouvoir. Ce pouvoir est politique et s’accompagne de responsabilités 
			(34) 
			«<a href='https://blogs.ed.ac.uk/sport-matters/2021/02/16/the-dichotomy-of-political-power-and-political-position-at-the-olympic-games/'>The
Dichotomy of Political Power and Political Position at the Olympic
Games</a>», Sport Matters, 16 février 2021..
54. Le sport doit être protégé par l’ensemble de la société, y compris les organisations sportives, les athlètes, les décideurs politiques et les organisations non gouvernementales.
55. En tant qu’expression de la société, il doit répondre au système de valeurs convenu au niveau international, non seulement de jure à travers les chartes, conventions et statuts internationaux, mais aussi de facto, dans la mise en œuvre concrète des politiques sportives, notamment face aux violations massives des droits humains.
56. Les organismes sportifs mondiaux, comme toutes les institutions supranationales, sont confrontés à ces défis politiques; ils ont des objectifs communs mais souvent des moyens différents pour les atteindre. Ils disposent d’un pouvoir considérable pour faire progresser les droits humains et la paix dans le monde en prenant des mesures concrètes.
57. Le fait de revendiquer la neutralité absolue du sport pour se tenir à l’écart de la politique peut conduire à nier le noyau éthique du sport et les valeurs fondamentales de l’Olympisme. Nous devons souligner la pertinence des droits humains dans le Mouvement olympique et la responsabilité de ce dernier dans le contexte de la mission olympique de paix, en particulier en temps de guerre.
58. Le professeur Melica a souligné que la conception martiale du sport, qui vise à démontrer publiquement la primauté du sport, mais aussi la primauté économique et politique, en présentant des régimes autoritaires comme une alternative aux démocraties libérales, est contraire aux valeurs de l’Olympisme. Cet aspect devrait être pris en considération lors de l’attribution des Jeux.
59. Il convient également de reconnaître que les athlètes qui dénoncent la discrimination et les violations des droits humains appliquent concrètement la Charte olympique en s’acquittant de l’obligation énoncée à la Règle 27, qui impose aux membres du Mouvement olympique de diffuser les principes de l’Olympisme et de surveiller leur mise en œuvre. Cette règle, qui fait de la Charte un véritable outil de paix et de démocratie, implique que le monde du sport ne peut rester totalement neutre 
			(35) 
			La
commission des athlètes du CIO a reçu le plein soutien de la commission
exécutive du CIO pour une série de <a href='https://olympics.com/cio/news/la-commission-executive-du-cio-souscrit-pleinement-aux-recommandations-de-la-commission-des-athletes-sur-la-regle-50'>recommandations</a> concernant la Règle 50 de la Charte olympique et l’expression
de l’opinion des athlètes aux jeux Olympiques. Celles-ci font explicitement
référence aux principes et valeurs à mettre en avant, tels que la
paix, l’harmonie, le respect d’autrui, la dignité humaine, l’égalité
et la non-discrimination, l’unité, etc..
60. Par conséquent, non seulement l’affirmation de la neutralité du sport ne peut subsister sans une réponse efficace au problème de l’instrumentalisation du sport et des grands événements sportifs, mais cette neutralité est remise en question par l’axiologie du sport: lorsque les valeurs fondamentales sont bafouées, les instances dirigeantes du sport doivent réagir et prendre position, quelles que soient les conséquences politiques directes ou indirectes de leur réponse.
61. En d’autres termes, le débat sur la neutralité du sport ne peut être dissocié de la nécessité d’étudier des moyens concrets de protéger les valeurs de ce dernier, de promouvoir la paix et le respect des droits humains et de défendre les «principes éthiques fondamentaux universels», tels qu’ils sont également inscrits dans la Charte olympique.
62. Cette discussion ne se limite pas, bien entendu, au contexte de la guerre d’agression russe, car les valeurs fondamentales susmentionnées doivent être protégées en tout temps et en tout lieu avec cohérence et sans complaisance, en adoptant des mesures et des sanctions proportionnelles à l’ampleur des menaces. À cet égard, comme l’a clairement indiqué Mme Helleland dans son rapport: «si le CIO estime que d’autres conflits – y compris des conflits internes – appellent des sanctions plus sévères à l’encontre de certains pays du Mouvement olympique, (...) il peut compter sur le soutien du Conseil de l’Europe et de son Assemblée parlementaire, tant que les objectifs poursuivis par le CIO sont la démocratie, les droits humains, le respect du droit international et la paix, et que ses sanctions sont conformes à ces objectifs.» (§ 49).

4.3. La neutralité politique et la liberté d’expression des athlètes au service des valeurs inscrites dans la Charte olympique

63. Les athlètes sont au cœur du projet olympique: leur droit de pratiquer le sport fait partie du droit de participer à la vie culturelle, qui englobe le droit de «développer et d’exprimer leur humanité, leur vision du monde et la signification qu’ils donnent à leur existence et à leur épanouissement par l’intermédiaire, entre autres, de valeurs, de croyances, de convictions, de langues, de connaissances, de l’expression artistique, des institutions et des modes de vie» 
			(36) 
			Rapporteur spécial
dans le domaine des droits culturels, <a href='https://www.ohchr.org/fr/special-procedures/sr-cultural-rights/international-standards'>https://www.ohchr.org/fr/special-procedures/sr-cultural-rights/international-standards.</a>.
64. Le CIO défend la liberté d'expression tout en veillant au respect des athlètes pendant les compétitions et les cérémonies. À partir des éléments fournis par plus de 3 500 athlètes, il a mis à jour les directives relatives à l'expression des athlètes et modifié la Règle 40 de la Charte olympique. Celle-ci énonce désormais clairement que chaque concurrent·e, officiel·le d’équipe ou autre membre du personnel d’équipe jouit de la liberté d’expression dans le respect des valeurs olympiques et des directives du CIO.
65. La Règle 50.2 rappelle indirectement le principe de neutralité politique en affirmant qu’«aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique» 
			(37) 
			Concernant cette règle
et son évolution, voir Commission européenne, «<a href='https://data.europa.eu/doi/10.2766/204495'>Study on athletes’
rights in and around big sport events</a>», pp. 137-139,
2024.. Historiquement, cette règle a souvent donné lieu à une interprétation étroite, privant les athlètes de la possibilité de contester tout acte ou toute décision politique, même ceux ou celles qui concernent les droits humains.
66. Cependant, à la demande de la commission des athlètes, la commission exécutive du CIO a récemment soutenu des recommandations concernant la modification de la Règle 50 
			(38) 
			«<a href='https://olympics.com/cio/news/la-commission-executive-du-cio-souscrit-pleinement-aux-recommandations-de-la-commission-des-athletes-sur-la-regle-50'>La
commission exécutive du CIO souscrit pleinement aux recommandations
de la commission des athlètes sur la Règle 50 et l’expression de
l’opinion des athlètes aux Jeux Olympiques</a>», Olympics.com,
21 avril 2021. Les recommandations sont le fruit d’un vaste processus
qualitatif et quantitatif de consultation lancé par la commission
des athlètes du CIO en juin 2020 auprès de plus de 3 500 athlètes
représentant 185 CNO et l’ensemble des 41 sports olympiques, en
veillant à garantir une représentation pleinement égale des genres.
Ce processus a été soutenu par les commissions des athlètes des
associations continentales de CNO et l’Association Mondiale des
Olympiens. en vue de protéger la liberté d’expression des athlètes, pour des applications futures et diverses, en fonction du lieu, du moment et du contenu. Ces modifications encouragent les athlètes à promouvoir la solidarité, l’unité et l’inclusion lors des cérémonies d’ouverture et de clôture. Elles précisent que les athlètes peuvent, via la Fresque de la Trêve olympique, montrer leur soutien aux idéaux de la Trêve olympique et étendre la portée de cette dernière via l’engagement numérique. La seule restriction prévue concerne les podiums et les cérémonies officielles, qui sont préservés de tout type de protestations et manifestations, ou de tout acte perçu comme tel.
67. Les recommandations de la commission des athlètes sont parfaitement en ligne avec le cadre juridique de la Charte olympique, en particulier avec les principes fondamentaux 1, 2 et 4; elles font des athlètes des acteurs fondamentaux pour garantir l’adhésion à ces principes et à ceux inscrits dans la Résolution intitulée «Le sport, facteur de développement durable» 
			(39) 
			ONU,
Résolution «Le sport, facteur de développement durable», A/RES/77/27,
7 décembre 2022. Dans cette résolution, il est fait référence à
la Résolution de l’ONU intitulée «Transformer notre monde: le Programme
de développement durable à l’horizon 2030», A/RES/70/1, 25 septembre
2015, p. 37. La résolution de 2022 réaffirme que le sport est un
facteur important de développement durable et reconnait la contribution
croissante de ce dernier au développement et à la paix par la tolérance
et le respect qu’il favorise, à l’autonomisation des femmes et
des jeunes, de l’individu et de la collectivité, et à la réalisation
des objectifs de santé physique et mentale, d’éducation et d’inclusion sociale. adoptée par les Nations Unies en 2022. Elles peuvent également constituer des orientations pour de nouvelles modifications à la Règle 50.
68. Johannes Herber, le représentant des athlètes allemands, a fait observer qu’il était «dangereux de limiter à l’avance toute modification éventuelle de la Règle 50 à la portée de la Charte olympique» 
			(40) 
			«<a href='https://athleten-deutschland.org/en/statement-on-the-revision-of-rule-50-of-the-olympic-charter/'>Statement
on the Revision of Rule 50 of the Olympic Charter</a>», Ahtleten Deutschland
e.V., 11 juin 2020., ajoutant que «la Charte ne comporte pas d’engagement concernant les droits humains fondamentaux». Il a affirmé que si le principe de non-discrimination défendu par le CIO est essentiel, «il couvre peu d’autres droits méritant d’être protégés». Par conséquent, M. Herber a proposé d’ajouter un huitième principe d’Olympisme à la Charte, qui engagerait le CIO «à respecter tous les droits humains internationalement reconnus» 
			(41) 
			C’est le concept d’«Olympisme»
que définit le principe fondamental de la Charte («l’Olympisme se
veut créateur d’un style de vie fondé sur la joie dans l’effort,
la valeur éducative du bon exemple, la responsabilité sociale et
le respect des droits humains reconnus au plan international et
des principes éthiques fondamentaux universels dans le cadre des attributions
du Mouvement olympique»). Le respect des droits humains n’est donc
pas un engagement du CIO stricto sensu..
69. Je pense également que le CIO et toutes les instances dirigeantes du sport devraient activement participer à la protection des droits humains, en particulier au regard du fait que, souvent, les violations de ces droits touchent directement le monde du sport ou sont commises en son sein. À cette fin, ces instances devraient notamment adopter des mesures et des programmes de droits humains visant à lutter contre toutes les formes de discrimination, à promouvoir l’égalité de genre, à protéger l’intégrité du sport et sa pratique en toute sécurité et à défendre la probité du sport.
70. Il est temps de considérer sérieusement les athlètes comme des allié·es puissant·es et indépendant·es dans la mise en œuvre de la Charte olympique et des valeurs qu’elle promeut, loin de toute pression les incitant à prendre publiquement position, en précisant que la neutralité politique ne les empêche pas de soutenir la paix ou de condamner les violations des droits humains.

5. Recommandations et propositions finales en vue de la modification de la Charte olympique, de sorte qu’elle soutienne pleinement l’objectif de l’Olympisme

71. Dans sa contribution aux travaux de la commission, le CIO a remercié l'Assemblée pour l'intérêt qu'elle portait au Mouvement olympique et lui a demandé de soutenir son action en faveur de la mission unificatrice des jeux Olympiques, de l'autonomie et de la neutralité du sport. Ces principes fondamentaux doivent être respectés pour que les Jeux restent une plateforme de paix et de compréhension qui rassemble les athlètes même en temps de conflit, et ne deviennent pas un outil de division. Le CIO s'engage à faire en sorte que l'événement continue d'incarner l'universalité et la solidarité dans un environnement sûr, accessible et inclusif.
72. Le CIO s'est également engagé à défendre l'intégrité dans le sport en améliorant en permanence sa gouvernance, ses politiques et ses processus. Dans le cadre de l'Agenda olympique 2020+5, il a revu ses normes de gouvernance afin de satisfaire aux normes financières et institutionnelles les plus élevées. Reconnaissant le rôle des pouvoirs publics, le CIO salue des initiatives telles que l'Alliance parlementaire pour la bonne gouvernance et l'intégrité dans le sport. Pour que son impact soit maximal, il a encouragé sa coopération avec le Partenariat international contre la corruption dans le sport, une initiative cofinancée par le CIO et le Conseil de l'Europe qui réunit les parties concernées pour lutter contre la corruption et promouvoir des pratiques éthiques. En tirant parti des cadres existants, l'Alliance parlementaire a la possibilité de renforcer l'intégrité dans le sport et le CIO est déterminé à soutenir ces efforts.
73. Dans ce rapport, j'ai voulu mettre en avant le rôle central des organisations sportives internationales, en particulier le CIO et la FIFA (Fédération internationale de football Association), dans la connexion entre l’arène sportive mondiale et le système international. Malgré la neutralité qu’elles revendiquent, ces deux organisations sont des acteurs politiques importants qui usent fréquemment de leur influence sur la scène internationale, ce qui remet en question le sens même et l’aspect pratique de la neutralité politique du sport revendiquée par le CIO 
			(42) 
			«<a href='https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/03932729.2023.2205789?src=recsys'>A
Game of Politics? International Sport Organisations and the Role
of Sport in International Politics»</a>, Tandfonline.com, 3
mai 2023..
74. Le sport international fait depuis toujours partie intégrante du système international. La règle de la neutralité sert avant tout de «boussole» pragmatique pour guider le comportement et le processus décisionnel des responsables sportifs. Plus fondamentalement, elle permet de défendre le monopole d’organisations sportives internationales telles que le CIO face à d’éventuels conflits ou fragmentations. En cette période de guerres à grande échelle, de violations flagrantes du droit international et de violations généralisées des droits humains, plusieurs commentateurs ont fait valoir, non sans raison, que la norme fonctionnelle de la neutralité devrait être remplacée par d'autres principes plus fondamentaux dont se revendique le Mouvement olympique, et avant tout, «promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine» 
			(43) 
			Leo Goretti, «Olympic
Neutrality and Norm Emergence in International Sport: A Long-Term
Perspective»; The International Journal
of Sport and Society, septembre 2024..
75. Les principes d’autonomie et d’indépendance du sport devraient contribuer à la paix et à la mise en œuvre des principes démocratiques, et non servir à les discréditer. Pour certains États, les victoires sportives sont à l’évidence une démonstration de pouvoir et de prestige; elles viennent transformer le sport et soutenir un certain modèle de gouvernance dans le cadre duquel le sport est perçu comme un instrumentum regni (instrument de pouvoir) essentiel. Cette approche est contraire à l’ordre juridique international et nie l’idée même de la neutralité du sport. Elle s’observe tout particulièrement dans les États où la démocratie est mal établie, ou défaillante.
76. Cette conception martiale du sport, qui vise à démontrer publiquement la primauté de celui-ci, mais aussi la primauté économique et politique en présentant des régimes autoritaires comme une alternative aux démocraties libérales, est contraire aux valeurs de la Charte olympique. Les gouvernements démocratiques, les organisations internationales, les athlètes et les instances dirigeantes du sport ne peuvent continuer de se taire au nom de l’autonomie du sport.
77. Bien que la Charte olympique fasse référence au respect des droits humains internationalement reconnus, leur importance n’est pas suffisamment claire et leur mise en œuvre manque de force et de cohérence. La promotion effective des droits humains exige que les organisations sportives rejettent fermement une vision martiale du sport.
78. Les instances dirigeantes du sport ne peuvent s’en remettre aux seuls CNO, car, parfois ceux-ci ne sont pas autonomes mais contrôlés par le gouvernement. En outre, il est fondamental d’accroître la surveillance pour renforcer la capacité du CIO à collecter des informations. Cet objectif pourrait notamment être atteint:
  • en modifiant la Règle 50 de sorte à préciser que la neutralité politique n’empêche pas les athlètes de soutenir la paix ou de condamner les violations des droits humains au nom des valeurs olympiques;
  • en introduisant une disposition dans la Charte établissant qu’une approche martiale du sport est incompatible avec l’Olympisme;
  • en mettant en place un système de suivi solide, par exemple grâce à la création d’une nouvelle commission soutenue par des spécialistes indépendants. Tous les membres des CNO, des fédérations sportives internationales et des fédérations nationales, ainsi que tous les athlètes affiliés ou enregistrés auprès de ces entités, devraient avoir le droit de déposer des plaintes ou d’effectuer des signalements ou toute autre alerte identifiant des violations potentielles des droits humains au sein du Mouvement olympique ou l’émergence d’une vision martiale du sport de la part des institutions sportives ou politiques nationales.
79. La Présidente du CIO nouvellement élue 
			(44) 
			«<a href='https://olympics.com/ioc/organisation/ioc-president-election'>Élection
du Président du CIO 2025</a>», Olympics.com. devrait faire de la lutte contre cette vision déformée du sport l’un des défis de son mandat. Celui-ci ne pourra être relevé que si la commission exécutive du CIO est déterminée à recueillir activement toutes les informations nécessaires.
80. L’Assemblée devrait prendre clairement position sur cette question. Chaque fois qu’un gouvernement porte atteinte aux principes et règles de l’Olympisme, la sanction imposée devrait être l’admission des athlètes du pays concerné en tant qu’athlètes indépendants. Comme nous l’avons constaté lors des jeux Olympiques de Paris 2024, une telle sanction peut nuire à la réputation des gouvernements concernés et a souvent plus d’impact qu’une interdiction totale de participation.
81. Les athlètes sont toujours très fiers de représenter leur pays, leur peuple et leur drapeau. Pour les États appliquant une approche martiale du sport, les victoires d’athlètes sans drapeau et sans hymne ne sont que des demi-victoires, voire des non-victoires, comme en atteste le fait qu’elles ne soient pas retransmises à la télévision nationale. Il est naturellement plus difficile d’associer la médaille d’un·e athlète indépendant·e à la puissance et au prestige de son pays d’origine. En fin de compte, les jeux Olympiques permettront d’éviter les approches impérialistes sans porter atteinte aux droits des athlètes, à moins que des circonstances exceptionnelles n’appellent des mesures exceptionnelles et plus strictes, telles qu’une interdiction totale de participation.
82. Par ailleurs, la Charte olympique ne contient pas de dispositions concernant l’impartialité et la transparence devant caractériser le système judiciaire appelé à évaluer la mise en œuvre de la Charte. Or, pour préserver spécifiquement l’autonomie et l’indépendance du sport, un contrôle constitutionnel approprié devrait être effectué par un organe judiciaire impartial et indépendant appliquant et interprétant les Principes fondamentaux de la Charte olympique, qui a la même valeur juridique que toute autre constitution 
			(45) 
			La Charte olympique
est la compilation des principes fondamentaux, des règles et des
statuts qui établissent et régissent le CIO, les fédérations sportives
internationales qui lui sont subordonnées et les CNO; elle régit
aussi l’organisation de chaque édition des jeux Olympiques et le
comportement des athlètes individuels concourant aux Jeux. En somme,
elle s’applique à tout ce qui, collectivement, forme ce que l’on
appelle le «Mouvement olympique».. Cet organe devrait également évaluer la «constitutionnalité» des réformes adoptées par les instances sportives internationales, étant donné que ces décisions ne doivent pas être laissées à ceux qui sont chargés de l’application des règles. En d’autres termes, il me semble que le CIO et le Mouvement olympique devraient renforcer la prééminence du droit dans le cadre de leur mandat 
			(46) 
			Lors
de la Conférence ministérielle de 2024 à Porto, les ministres ont
également fait valoir qu’il était urgent de renforcer la gouvernance
dans le sport, plaidant en faveur de la transparence, de la responsabilité
et de mécanismes de contrôle indépendants. Ces principes impliquent
de mettre en place un système de contrôle indépendant au sein du
CIO, pour que les structures de gouvernance restent autonomes et
respectent les valeurs fondamentales de l'Olympisme..
83. Enfin – et c’est là un aspect très important –, lors de l’attribution des Jeux, les engagements en matière de droits humains doivent être vérifiés et l’attribution doit être annulée si aucun progrès n’est réalisé. Dans sa Résolution 2420 (2022) «La gouvernance du football: les affaires et les valeurs», l’Assemblée appelle la FIFA et l’UEFA (Union des associations européennes de football) à revoir les conditions que les pays candidats à l’organisation des grands événements de football doivent respecter en matière de sauvegarde des droits humains, et à prévoir, si cela n’est pas encore le cas, un certain nombre d’exigences, précisées au paragraphe 20 de la résolution. Cet appel devrait naturellement être étendu à l’ensemble du Mouvement olympique. La possibilité d’imposer des conditions strictes en matière de droits humains pour toutes les grandes manifestations sportives est examinée dans le cadre du rapport de M. Kim Valentin (Danemark, ADLE) intitulé «La protection des droits humains dans et par le sport: obligations et responsabilités partagées?» 
			(47) 
			Doc. 16196.. Toutes les fédérations sportives internationales devraient encourager cette démarche, en prenant exemple sur le CIO.
84. Lors de l’audition organisée par la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias en décembre 2024 au sujet des conditions relatives aux droits humains pour les grands événements sportifs, à laquelle ont assisté des responsables d’Amnesty International, de l’Accord partiel élargi sur le sport (APES) et de World Athletics, il a été souligné que le droit international en matière de droits humains doit primer sur la neutralité politique. La Charte du CIO ne prévaut pas sur les conventions et traités internationaux, et le concept d’autonomie dans le sport ne doit pas exonérer les organisations de leur responsabilité – un point réaffirmé le 12 mars 2025 lors d'un échange de vues avec des responsables de la FIFA.
85. Le CIO doit s’assurer de manière adéquate que la vision des institutions politiques et sportives du pays hôte est compatible avec l’Olympisme et ses valeurs et que les institutions sportives nationales, en particulier les CNO, fonctionnent dans des conditions d’autonomie, telles qu’établies par la Charte olympique.
86. Pour finir, je souhaiterais évoquer ma vision de l’avenir – un avenir dans lequel le sport pourrait réellement incarner les valeurs olympiques de l’excellence, du respect et de l’amitié, ainsi que l’objectif ultime de l’Olympisme «de mettre le sport au service du développement harmonieux de l’humanité, en vue de promouvoir une société pacifique» –, en m’appuyant, pour cela, sur l’une des propositions ayant été examinées lors de la réunion de la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias le 27 mai 2024.
87. Le sport pourrait devenir un espace exempt de tout symbolisme politique exprimé par les drapeaux et les hymnes nationaux. Dans cette optique, le défilé des athlètes pendant la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques pourrait aussi être organisé par sport plutôt que par pays, par exemple. Cela permettrait en outre d’éviter les problèmes qui se posent en matière de représentation pour les athlètes ayant plusieurs nationalités ou pour les réfugiés. Ces deux scénarios seraient plus en phase avec l’objectif du sport tel qu’initialement défini que ne l’est l’actuel exercice d’équilibriste consistant à donner l’illusion d’une neutralité du sport, pourtant impossible 
			(48) 
			Je tiens à remercier
M. Jörg Krieger, pour sa contribution à ces réflexions et à attirer
l'attention sur son dernier ouvrage au titre provocateur, National symbols at the Olympic Games – an
Olympics without flags?, Routledge, 2025..