Imprimer
Autres documents liés

Rapport | Doc. 16186 | 03 juin 2025

Projet de protocole d'amendement à la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Titus CORLĂŢEAN, Roumanie, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 16143, Renvoi 4867 du 7 avril 2025. 2025 - Troisième partie de session

A. Projet d'avis 
			(1) 
			Projet d’avis adopté
à l’unanimité par la commission le 13 mai 2025.

(open)
1. Réitérant avec la plus grande fermeté sa condamnation du terrorisme sous toutes ses formes, l'Assemblée parlementaire se félicite de la finalisation du projet de protocole d'amendement à la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme, qui permettra de renforcer encore la lutte contre ce fléau en tenant compte de son évolution récente.
2. Depuis de nombreuses années, le Conseil de l'Europe élabore des normes juridiques essentielles pour lutter contre le terrorisme. Son principal instrument juridique dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, la Convention pour la prévention du terrorisme (STCE n° 196, ci-après «la Convention de Varsovie»), a été adoptée en 2005 dans le but d'améliorer les politiques et stratégies de lutte contre le terrorisme au niveau national, tout en facilitant la coopération internationale. En 2015, avec l'adoption du Protocole additionnel à la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme (STCE n° 217), le Conseil de l'Europe est devenu la première organisation internationale à mettre en place un instrument juridique régional pour mettre en œuvre les obligations imposées par la Résolution 2178 (2014) du Conseil de sécurité des Nations Unies concernant la lutte contre les combattants terroristes étrangers.
3. Une fois adopté, le projet de protocole d'amendement à la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme (ci-après «le projet de protocole» établira la première définition internationale contraignante et complète du terrorisme, qui élargira la formulation actuelle de l'article 1 de la Convention de Varsovie afin d'englober toutes les formes de terrorisme actuellement répandues. Plus précisément, les actes tels que le cyberterrorisme qui vise des infrastructures cruciales ou le terrorisme environnemental n'avaient pas encore été pleinement anticipés en 2005, au moment de l'adoption de la Convention de Varsovie. La mise en place d'une définition juridique paneuropéenne commune de l'infraction terroriste, qui tienne compte des défis contemporains, est donc une mesure bienvenue et souhaitable.
4. Le projet de protocole modifie la définition de l'infraction terroriste aux fins de la Convention de Varsovie en ajoutant une liste d'actes criminels qui, lorsqu'ils sont commis intentionnellement dans un but terroriste et par leur nature ou leur contexte, peuvent porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale. La définition proposée est très proche de celle qui figure à l'article 3 de la Directive (UE) 2017/541 relative à la lutte contre le terrorisme et ne s'en écarte que dans la mesure nécessaire pour pouvoir s'appliquer au cadre de la Convention de Varsovie et de son Protocole additionnel.
5. Tout en appuyant la nécessité de renforcer les outils de prévention du terrorisme et de lutte contre ce phénomène, l'Assemblée prend note des préoccupations exprimées par certains États membres du Conseil de l'Europe et certaines institutions internationales au sujet de la portée de la définition proposée du terrorisme, qui, selon eux, pourrait entraîner une insécurité juridique et donner lieu à une application arbitraire, excessive et abusive, ainsi que de l'absence d'une clause d'exception qui protégerait les activités légitimes, comme celles des organisations humanitaires.
6. L'Assemblée rappelle que la garantie consacrée à l'article 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (STE n° 5, ci-après «la Convention») est un élément essentiel de l'État de droit. Elle incarne, entre autres, le principe selon lequel seule la loi peut définir une infraction et prescrire une peine (nullum crimen, nulla poena sine lege) et le principe selon lequel le droit pénal ne doit pas être interprété de manière extensive au détriment d'un accusé. Dans le même temps, selon la Cour européenne des droits de l'homme, l'article 7 de la Convention ne saurait être interprété comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre au cas par cas, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l’infraction et raisonnablement prévisible. Ces principes ne sauraient être appliqués de manière moins rigoureuse lorsqu'il s'agit de poursuivre et de punir les infractions terroristes, même dans les circonstances les plus difficiles.
7. L'Assemblée se félicite du fait que le préambule du projet de protocole réaffirme expressément que toutes les mesures prises pour prévenir ou réprimer les infractions terroristes doivent être conformes aux droits humains et aux libertés fondamentales pertinents, en particulier ceux que consacre la Convention, ainsi qu'aux autres obligations découlant du droit international, y compris, le cas échéant, du droit international humanitaire. Elle regrette toutefois que cette notion ne transparaisse pas dans les dispositions substantielles du projet de protocole.
8. Rappelant que la lutte contre le terrorisme et la protection des normes et valeurs du Conseil de l'Europe doivent être des objectifs complémentaires, l'Assemblée réaffirme que, pour les droits qui font l'objet de restrictions au titre de la Convention, toute limitation doit être nécessaire dans une société démocratique et proportionnée à l'objectif légitime poursuivi, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Elle souligne en outre que le droit à la liberté d'expression vaut non seulement pour les «informations» ou «idées» accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'État ou une fraction quelconque de la population.
9. Se référant à sa Résolution 2509 (2023) «La répression transnationale, une menace croissante pour l’État de droit et les droits humains», l'Assemblée est consciente du risque que la législation antiterroriste puisse être détournée dans certains États membres à des fins politiques. Elle note en outre que l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne, dans son rapport de 2021 sur l’incidence de la Directive (UE) 2017/541 de l'Union européenne sur les droits humains, a observé que le recours à la législation et aux mesures antiterroristes pouvait être étendu dans certains États membres de l'Union européenne à des activités telles que les mouvements non violents, les manifestations publiques et les organisations non gouvernementales, qui ne sont clairement pas destinées à être qualifiées de [nature] terroriste. À ce titre, l'Assemblée estime que la définition juridique du terrorisme devrait être aussi précise que possible, afin de limiter le risque de divergences dans son application au niveau national et d’éviter toute application arbitraire.
10. À cet égard, l'Assemblée note les préoccupations exprimées au sujet de la formulation proposée pour l'article 1, paragraphe 2, alinéa c), qui inclut «gravement déstabiliser ou détruire les structures politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales fondamentales d'un pays ou d'une organisation internationale» parmi les trois buts terroristes possibles définissant une infraction terroriste. Toutefois, elle prend note de la précision apportée dans le projet de rapport explicatif (paragraphe 36), selon laquelle «les activités légitimes protégées par les législations relatives aux droits humains, telles que la liberté de religion et de conscience, et la liberté d'expression ou de publication, ne devraient pas être érigées en infractions pénales» en vertu des nouvelles dispositions. L'Assemblée estime que cette explication pourrait être renforcée en ajoutant la phrase suivante au paragraphe 36 du projet de rapport explicatif: «Par exemple, l'expression publique d'opinions radicales, polémiques, choquantes ou controversées sur des questions politiques sensibles n'entre pas dans le champ d'application du présent Protocole d’amendement».
11. L'Assemblée estime en outre que le fait d'inclure la menace de commettre l'un des actes énumérés aux alinéas a) à i) de l’article 1, paragraphe 1, augmente le risque d'une criminalisation excessive et, par conséquent, de la criminalisation de l'exercice du droit à la liberté d'expression. Elle recommande donc que le champ d'application de l'article 1, paragraphe 1, alinéa j), soit limité aux seules menaces «graves» et «crédibles» de commettre l'un des actes énumérés à cet alinéa.
12. Enfin, l'Assemblée est favorable à la proposition qui vise à compléter la Convention de Varsovie par une exception humanitaire expresse, conformément à la Résolution 2664 (2022) du Conseil de sécurité des Nations Unies. Compte tenu de la portée limitée du projet de protocole, elle invite le Comité des ministres à demander au Comité de lutte contre le terrorisme (CDCT) de tenir compte de cette proposition dans ses travaux futurs, dans le cadre d'un examen plus complet de la Convention de Varsovie, notamment de son article 12 et d’autres dispositions.
13. L'Assemblée recommande donc au Comité des Ministres d'apporter la modification suivante au projet de protocole d'amendement à la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme:
13.1. à l'article 1, paragraphe 1, alinéa j), remplacer les mots «la menace» par les mots «la menace grave et crédible».

B. Exposé des motifs par M. Titus Corlăţean, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Depuis l'adoption de la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme (STCE n° 196, ci-après «la Convention de Varsovie») en 2005, le monde, et en particulier le continent européen, a été le théâtre d'une série d'attentats terroristes dévastateurs, dont beaucoup ont fait de nombreuses victimes et causé des traumatismes profonds. Leur ampleur et leur brutalité ont laissé des traces indélébiles dans la conscience nationale, les stratégies de sécurité et la coopération internationale en matière de lutte contre le terrorisme et de prévention de celui-ci. Il est donc positif que le Comité du Conseil de l'Europe de lutte contre le terrorisme (CDCT) ait élaboré un projet de protocole d’amendement à la Convention de Varsovie (ci-après le «projet de protocole») visant à établir une définition juridique complète de l'infraction terroriste aux fins de la Convention de Varsovie. À l'heure actuelle, celle-ci s'appuie sur les principaux traités internationaux de lutte contre le terrorisme pour définir cette infraction, ce qui a pour conséquence que certaines infractions qui pourraient être qualifiées de terroristes de par leur nature et leur contexte ne relèvent pas du champ d'application de cet instrument.
2. Le CDCT, par l'intermédiaire de son sous-groupe chargé d'examiner la faisabilité de convenir d'une définition du terrorisme, a commencé à délibérer sur cette question en mai 2018. Sa proposition, telle qu'elle figure dans le projet de protocole, instaurera une liste d'actes criminels qui, lorsqu'ils sont commis intentionnellement dans un but terroriste et par leur nature ou leur contexte, peuvent porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale, devraient être considérés comme des infractions terroristes en plus de celles qui figurent dans les traités listés en annexe à la Convention de Varsovie. La définition proposée est très proche de celle de la Directive (UE) 2017/541 du Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne du 15 mars 2017 relative à la lutte contre le terrorisme 
			(2) 
			<a href='https://eur-lex.europa.eu/eli/dir/2017/541/oj/eng'>Directive
(UE) 2017/541</a> du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2017
relative à la lutte contre le terrorisme et remplaçant la décision-cadre
2002/475/JAI du Conseil et modifiant la décision 2005/671/JAI du
Conseil.. Le projet de texte de la définition a été approuvé lors de la 11e réunion plénière du CDCT qui s'est tenue à Helsinki en décembre 2023. Lors de sa 12e réunion plénière suivante tenue en mai 2024, le CDCT a décidé d'incorporer cette définition au moyen d'un protocole d'amendement.
3. Le 2 avril 2025, lors de leur 1524e réunion, les Délégués des Ministres ont décidé de transmettre le projet de protocole à l'Assemblée parlementaire pour avis dans les meilleurs délais. Suite au renvoi par l’Assemblée à la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, cette commission m'a désigné rapporteur lors de sa réunion à Strasbourg le 7 avril 2025.
4. Le 8 avril 2025, la commission a procédé à un échange de vues avec M. Nicola Piacente, président du CDCT. Je le remercie du concours précieux qu'il a apporté à mes travaux sur ce dossier.
5. Dans mon exposé des motifs, je commencerai par présenter les principales caractéristiques du projet de protocole (chapitre 2). Je résumerai ensuite les avis sur ce projet d'instrument présentés par les différentes parties prenantes (chapitre 3). Enfin, je donnerai ma propre appréciation du projet de texte (chapitre 4).

2. Principales caractéristiques du projet de protocole

6. Le préambule présente les grands principes et les buts du projet de protocole. Il rappelle à juste titre l'importance de la coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme et la nécessité de renforcer ces initiatives. Il réaffirme également l'obligation de mettre en œuvre le projet de protocole conformément aux normes et principes pertinents en matière de droits humains et d'État de droit, ainsi que de préserver l'intégrité et la cohérence des cadres juridiques internationaux connexes, en particulier le droit international humanitaire.
7. La principale disposition de fond du projet de protocole est l'article 1, qui remplacera l'article 1 de la Convention de Varsovie, donnant ainsi un nouveau sens au terme «infraction terroriste» dans l'ensemble de la Convention de Varsovie. La définition proposée de l'«infraction terroriste» englobe deux catégories d'actes. Premièrement, elle comprend toute infraction entrant dans le champ d'application et définie dans l'un des traités internationaux énumérés en annexe à la Convention de Varsovie (qui ne sera pas modifiée par le projet de protocole). Deuxièmement, elle s'étend à une série d'actes qui, en vertu du droit national, constituent des infractions pénales et qui, par leur nature ou leur contexte, peuvent porter gravement atteinte à un État ou à une organisation internationale. Ces actes doivent être commis intentionnellement et dans un ou plusieurs des buts suivants: gravement intimider une population, contraindre indûment les pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte, ou gravement déstabiliser ou détruire les structures politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales fondamentales d'un pays ou d'une organisation internationale. Les actes visés comprennent, notamment, les atteintes à la vie pouvant entraîner la mort, les atteintes à l'intégrité physique d'une personne, les enlèvements, la destruction massive d'infrastructures ou de biens susceptibles de mettre en danger la vie d'autrui ou d'entraîner des pertes économiques importantes, la capture illicite de moyens de transport publics ou de marchandises (à l'exclusion des aéronefs et des navires), le trafic d'armes de destruction massive (y compris leur développement ou leur utilisation), la libération de substances dangereuses ou la provocation d'incendies ou d'inondations mettant en danger des vies humaines, la perturbation de services essentiels tels que l'approvisionnement en eau et en énergie, la perturbation grave des systèmes d'information et la menace de commettre l'un des actes susmentionnés.
8. Le projet de rapport explicatif précise en outre que le chapeau du deuxième volet de l'article 1, paragraphe 1, établit un seuil de gravité en exigeant que «la nature ou le contexte» d'un acte soit de nature à «porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale», distinguant ainsi les infractions pénales ordinaires des infractions à caractère terroriste. Cette condition garantit que seules les infractions graves relèvent du champ d'application de la définition de la Convention de Varsovie et qu'il existe un risque réel de préjudice causé par cet acte. Elle permet également aux Parties d'exercer leur pouvoir discrétionnaire pour qualifier des actes de terrorisme, en fonction des circonstances propres à chaque cas. En outre, pour les actes visés par le deuxième volet de la définition, le projet de rapport explicatif précise que l'exigence qu'ils soient commis intentionnellement renforce la gravité de l'infraction. Le fait d'inclure cet élément intentionnel constitue une garantie contre une interprétation trop large de l'infraction. Cette intention peut être déduite de circonstances objectives et factuelles. Elle doit englober chacun des actes énumérés à l'article 1, paragraphe 1, y compris leurs conséquences spécifiées, telles que le fait de mettre en danger des vies humaines par la libération de substances dangereuses. Cette exigence est conforme aux définitions données dans la plupart des traités pertinents mentionnés dans l'annexe. Elle correspond également aux dispositions qui incriminent les infractions liées au terrorisme dans la Convention de Varsovie, en particulier ses articles 5 à 7. En outre, l'élément intentionnel est conforme aux dispositions du Protocole additionnel, en particulier ses articles 2 à 6.
9. S'agissant des buts visés à l'article 1, paragraphe 2, le projet de rapport explicatif précise que le terrorisme se distingue des autres actes criminels par trois buts constitutifs, qui traduisent chacun l'intention spécifique de l'auteur et la recherche d'un impact qui ne se limite pas aux victimes immédiates. Il souligne que les actes terroristes sont motivés par des causes politiques, idéologiques, raciales, ethniques, religieuses ou d'autres considérations de même nature. L'emploi d'adverbes tels que «gravement» et «indûment» est essentiel pour caractériser la gravité et l'intention particulière des infractions terroristes, afin d'éviter toute incrimination excessive et toute application arbitraire. L'infraction terroriste est constituée uniquement lorsque l'acte, l'intention, le but et le seuil de gravité sont tous réunis. Il n'est pas nécessaire que l'acte ait réellement produit l'effet recherché, il suffit que l'auteur ait eu l'intention de produire cet effet. La détermination de l'intention repose sur la nature, le contexte et les circonstances factuelles de l'acte. En outre, l'interprétation et l'application des buts énumérés doivent être conformes au droit international et aux normes relatives aux droits humains, en particulier celles qu'a établies la Cour européenne des droits de l'homme. L'exercice légitime de la liberté de religion ou de la liberté d'expression ne doit pas être incriminé en vertu de ces dispositions. Bien que la formulation permette une certaine souplesse dans la mise en œuvre au niveau national, le champ d'application se limite aux actes terroristes véritables. Cette précaution garantit que le cadre juridique reste proportionné et respecte les droits fondamentaux, tout en permettant de lutter contre les menaces graves.
10. Les autres articles du projet de protocole comportent des clauses finales similaires à celles qui figurent dans d'autres conventions du Conseil de l'Europe, notamment l'interdiction de formuler des réserves à l'égard des dispositions du projet de protocole.

3. Avis des parties prenantes sur la définition proposée

11. Dans sa communication du 4 octobre 2024, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, le professeur Ben Saul, a présenté des commentaires et des propositions sur la définition proposée du terrorisme 
			(3) 
			<a href='https://spcommreports.ohchr.org/TMResultsBase/DownLoadPublicCommunicationFile?gId=29418'>https://spcommreports.ohchr.org/TMResultsBase/DownLoadPublicCommunicationFile?gId=29418.</a>. Tout en notant certains aspects positifs de la proposition, en particulier le relèvement du seuil de responsabilité des deux premiers éléments intentionnels spécifiques (par l'ajout des adverbes «gravement» et «indûment») et l'établissement d'une exigence contextuelle objective en vertu de laquelle les actes énumérés «par leur nature ou leur contexte, peuvent porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale», il fait part d'un certain nombre de préoccupations. Le professeur Saul souligne un risque d'incrimination excessive et de détournement de cette disposition par des régimes qui entendent utiliser la législation antiterroriste pour cibler la dissidence politique. Il fait remarquer, à propos du troisième élément intentionnel spécifique, que la notion de «structures fondamentales» n'est pas clairement définie, ce qui, couplé à la notion de simple «déstabilisation» (par opposition à «destruction»), ajoute à l'imprécision et augmente le risque d'abaissement du seuil de préjudice. Selon lui, le projet d'article 1, paragraphe 2, alinéa c), est redondant et superflu, compte tenu de l'exigence primordiale que les actes «[puissent] porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale», et devrait être supprimé. Il a en outre critiqué la proposition d'incriminer la menace de commettre une infraction terroriste, qui, selon lui, fixe un seuil de responsabilité trop bas, car elle pourrait viser toute menace, même insignifiante. Le professeur Saul a recommandé de prévoir une clause d'exclusion contraignante des activités humanitaires et médicales protégées par le droit international humanitaire, ainsi que pour des activités légitimes des organisations de défense des droits humains. Il a également appelé à la création d'une exception pour les «manifestations démocratiques», qui exclurait les actes de sensibilisation, de protestation, de dissidence ou les actions collectives qui ne visent pas à provoquer la mort, des lésions corporelles graves ou à compromettre gravement la santé ou la sécurité publiques. Le professeur Saul a également regretté que la consultation et la participation de la société civile semblent avoir été limitées, sans appel public à contributions ni consultation spécifique sur la question.
12. En 2023, le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH) de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a publié une note sur la proposition de révision de la définition des infractions terroristes prévue à l'article 1 de la Convention de Varsovie. Il y évaluait positivement le fait de vouloir préciser l'élément matériel des infractions terroristes, en y ajoutant l'exigence d'une intention de commettre les actes répréhensibles et la précision du but poursuivi. Toutefois, le BIDDH a également noté que la proposition était susceptible d'aboutir à une notion élargie du terrorisme, qui laisserait une grande marge d'appréciation aux autorités chargées de sa mise en œuvre et risquerait d'entraîner des interprétations arbitraires ou excessives. Il a également demandé que l'ajout du terme «menace» soit entièrement reconsidéré ou que ce terme soit défini de manière restrictive à l'aide de qualificatifs appropriés, en l'associant à un danger réel et immédiat, lorsque l'auteur aurait la capacité de commettre cette infraction ou de faire croire raisonnablement à sa cible qu'il en est capable. Le BIDDH a également critiqué le caractère vague du libellé du but visé au projet d'article 1, paragraphe 2, alinéa c), et a souligné la nécessité de prévoir des exceptions ou des clauses d'exclusion pour protéger les activités légitimes, en particulier la défense ou l'exercice des droits humains 
			(4) 
			<a href='https://legislationline.org/taxonomy/term/25663'>Note
on the Proposed Revision of the Definition of Terrorist Offences
in Article 1 of the Council of Europe Convention on the Prevention
of Terrorism</a> (28 septembre 2023), BIDDH..
13. Au cours du processus de négociation, la Suisse a formulé plusieurs observations au sujet de la définition proposée. Elle s'est notamment montrée sceptique quant à l'inclusion de la menace comme acte terroriste, en raison du risque d'incrimination des activités susceptibles d'être protégées par le droit des droits humains, et a jugé que le troisième but possible, énoncé à l'article 1, paragraphe 2, alinéa c), était trop vague et risquait d'entraîner une incrimination excessive, une application arbitraire et éventuellement des abus inhérents à l'utilisation d'une formulation trop large. Elle s'est également ralliée à la proposition d'ajout d'une clause d'exception formulée par le BIDDH. Compte tenu du consensus général en faveur du strict respect du projet proposé par l'Union européenne, la Suisse a accepté de retirer ses propositions et a proposé que certains éléments de sa position soient expliqués et développés plus en détail dans le rapport explicatif 
			(5) 
			<a href='https://rm.coe.int/cdct-2023-14-liste-des-decisions-helsinki-2780-4809-7801-v-1/1680ae3146'>https://rm.coe.int/cdct-2023-14-liste-des-decisions-helsinki-2780-4809-7801-v-1/1680ae3146</a>, Annexe II.. Dans sa déclaration faite lors de la réunion plénière du CDCT les 13 et 14 novembre 2024 à Strasbourg, la Suisse a déploré de ne pas avoir eu la possibilité d'intégrer dans le projet de rapport explicatif certains des points soulevés par le professeur Ben Saul dans sa communication du 4 octobre 2024, notamment à propos du principe de sécurité juridique et de l'exception humanitaire 
			(6) 
			<a href='https://rm.coe.int/cdct-2024-12-fr-lod-2749-3152-9739-v-1/1680b27a60'>CDCT(2024)12</a>, Annexe I..

4. Évaluation, conclusions et propositions

14. Le fait de vouloir donner une définition autonome de l'infraction terroriste est une évolution souhaitable qui, si elle aboutit, favorisera la coopération internationale et renforcera la lutte contre le terrorisme sous toutes ses formes. Toutefois, définir l'infraction terroriste en termes plus généraux élargira nécessairement le champ de la responsabilité pénale et pourra donc avoir un impact important sur les droits humains. Dans sa Résolution 2090 (2016) «Combattre le terrorisme international tout en protégeant les normes et les valeurs du Conseil de l'Europe» (rapporteur: M. Tiny Kox, Pays-Bas, GUE), l'Assemblée a estimé que la lutte contre le terrorisme et la protection des normes et des valeurs du Conseil de l'Europe n'étaient pas contradictoires mais complémentaires. Dans cet esprit, je formulerai donc plusieurs observations et propositions en vue d'améliorer la définition proposée.
15. Je me félicite du fait que le préambule du projet de protocole réaffirme expressément que toutes les mesures prises pour prévenir ou réprimer les infractions terroristes doivent être conformes aux droits humains et aux libertés fondamentales pertinents, en particulier ceux que consacre la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (STE n° 5, ci-après «la Convention»), ainsi qu'aux autres obligations découlant du droit international, y compris, le cas échéant, du droit international humanitaire. Conjointement avec l'article 12 de la Convention de Varsovie, qui prévoit que l'incrimination d'infractions spécifiques doit être effectuée dans le respect des obligations en matière de droits humains, en particulier le droit à la liberté d'expression, à la liberté d'association et à la liberté de religion, tels qu'énoncés, lorsqu'ils sont applicables à cette Partie, dans la Convention, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et d'autres obligations découlant du droit international, il instaure une garantie contre les abus et l'incrimination excessive.
16. Néanmoins, je note que la définition proposée est essentiellement la même que celle qui figure dans la Directive (UE) 2017/541 relative à la lutte contre le terrorisme. Dans son rapport de 2021 sur l'incidence de cette directive sur les droits et libertés fondamentaux, l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne (FRA) a déclaré que «dans certains États membres, d’aucuns s’inquiètent du fait que la notion de terrorisme, et par conséquent le recours à la législation et aux mesures antiterroristes, soit étendue à des activités qui ne revêtent pas de nature terroriste au sens strict du terme. Les lois et mesures antiterroristes pourraient donc être utilisées contre les idéologies, les groupes et les individus que l’État considère comme indésirables, ce qui peut englober des mouvements anarchistes ou séparatistes non violents, des manifestations publiques de différents types, ainsi que des organisations non gouvernementales ou des ressortissants de pays tiers. Les avocats de la défense, les universitaires spécialistes de la lutte contre le terrorisme et des questions de droit pénal connexes, et les experts des ONG en particulier, mais aussi certains juges, affirment que cela peut conduire, entre autres, au non-respect du principe de proportionnalité dans l’utilisation des outils d’enquête et les peines imposées» 
			(7) 
			Agence
des droits fondamentaux de l'Union européenne, <a href='https://fra.europa.eu/sites/default/files/fra_uploads/fra-2021-directive-combating-terrorism-summary_fr.pdf'>Directive
(UE) 2017/541 relative à la lutte contre le terrorisme – Incidence
sur les libertés et les droits fondamentaux</a>, 18 novembre 2021.. Malgré ces préoccupations, qui concernent en particulier le «troisième but» énoncé dans le projet d'article 1, paragraphe 2, alinéa c), la disposition reste exactement la même que dans la Directive 2017/541.
17. Le but qui consiste à «gravement déstabiliser ou détruire les structures politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales fondamentales d'un pays ou d'une organisation internationale» figure déjà dans le préambule de la Convention de Varsovie. Le projet de rapport explicatif (paragraphe 36), précise à cet égard que «les activités légitimes protégées par les législations relatives aux droits humains, telles que la liberté de religion et de conscience, et la liberté d'expression ou de publication, ne devraient pas être érigées en infractions pénales» en vertu des nouvelles dispositions. Je crois que cette explication pourrait être renforcée en ajoutant la phrase suivante au paragraphe 36 du projet de rapport explicatif: «Par exemple, l'expression publique d'opinions radicales, polémiques, choquantes ou controversées sur des questions politiques sensibles n'entre pas dans le champ d'application du présent Protocole d’amendement», à l'instar de l'un des considérants de la Directive (UE) 2017/541 de l'Union européenne. Ces explications, associées à la clause générale relative aux droits humains figurant dans le préambule du projet de protocole, sont suffisantes pour apaiser les craintes exprimées par certains quant au fait que la formulation utilisée dans le projet d'article 1, paragraphe 2, alinéa c), est trop vague et pourrait conduire à une application disproportionnée de la nouvelle définition.
18. Il convient de rappeler que la Cour européenne des droits de l'homme a estimé que de nombreuses lois sont inévitablement rédigées en des termes qui, à des degrés divers, sont vagues, et que l'interprétation et l'application de ces textes dépendent de la pratique 
			(8) 
			Kokkinakis
c. Grèce, requête n° 14307/88, paragraphe 40, 25 mai
1993.. Néanmoins, compte tenu de la tendance actuelle à détourner le droit pénal, et en particulier les mesures antiterroristes, pour réprimer les opposants politiques 
			(9) 
			Résolution 2509 (2023) «La répression transnationale, une menace croissante
pour l'État de droit et les droits humains»., j'estime qu'il faudra faire preuve de la plus grande prudence lors de l’application des nouvelles dispositions. Le détournement des mesures antiterroristes, que ce soit pour créer un «effet dissuasif» ou pour réprimer des opposants, peut avoir des conséquences considérables pour les personnes visées, notamment le gel de leurs avoirs, l'exclusion financière et la violation des droits de propriété 
			(10) 
			Voir,
par exemple, Shorazova c. Malte,
requête n° 51853/19, 3 mars 2022.. Les autorités nationales, y compris les tribunaux, des États parties au Protocole devront appliquer la nouvelle définition en tenant dûment compte de la Convention et/ou des normes internationales relatives aux droits humains.
19. Un élément du projet de protocole qui me semble problématique est l'article 1, paragraphe 1, alinéa j), qui concerne la menace de commettre une infraction terroriste. Bien que je sois favorable, en principe, à l'incrimination de ce type de comportement, j'estime qu'il est impératif de fixer le seuil de responsabilité à un niveau approprié. La proposition présentée par le CDCT risque d'incriminer des menaces insignifiantes, alors que le consensus général est que seules les menaces graves, crédibles et susceptibles de causer un préjudice réel à des personnes ou à des biens doivent être incriminées. Cela garantit que le droit pénal vise les actes véritablement dangereux tout en évitant que des menaces insignifiantes, vagues ou non crédibles ne fassent l'objet de poursuites. L'Union européenne elle-même a recommandé, d'une manière générale, d'éviter d'incriminer un comportement à un stade injustement prématuré. Les actes qui ne présentent qu'un danger abstrait pour le droit ou l'intérêt protégé ne devraient être incriminés que si l'importance particulière du droit ou de l'intérêt protégé le justifie 
			(11) 
			<a href='https://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/en/jha/111543.pdf'>Council
conclusions of 30 November 2009 on model provisions, guiding the
Council’s criminal law deliberations</a>, n° 5.. À cet égard, je partage les observations formulées par le Liechtenstein 
			(12) 
			<a href='https://rm.coe.int/cdct-2023-14-liste-des-decisions-helsinki-2780-4809-7801-v-1/1680ae3146'>https://rm.coe.int/cdct-2023-14-liste-des-decisions-helsinki-2780-4809-7801-v-1/1680ae3146</a>, Annexe I. et la Suisse 
			(13) 
			<a href='https://rm.coe.int/cdct-2023-14-liste-des-decisions-helsinki-2780-4809-7801-v-1/1680ae3146'>https://rm.coe.int/cdct-2023-14-liste-des-decisions-helsinki-2780-4809-7801-v-1/1680ae3146</a>, Annexe II. au sein du CDCT, qui s'inquiètent du risque que cette disposition soit utilisée de manière trop large. À mon avis, la mention dans le projet de rapport explicatif du fait que cette disposition ne vise pas à ériger en infraction pénale des «comportements qui n'ont qu'un lien théorique avec des infractions terroristes réelles» n'est pas suffisante pour atténuer le risque d'incrimination excessive. Je pense que cette disposition devrait être limitée aux menaces qui sont à la fois «graves» et «crédibles», c'est-à-dire qui atteignent un certain degré de gravité et qui font que la cible peut raisonnablement croire que l'auteur serait capable de donner suite à la menace.
20. Enfin, je note que la Directive (UE) 2017/541 contient, dans ses considérants, plusieurs clauses dites «clauses d'exclusion», qui excluent de son champ d'application, par exemple, la fourniture d'activités humanitaires par des organisations humanitaires impartiales reconnues par le droit international, y compris le droit international humanitaire, et l'expression d'opinions radicales, polémiques ou controversées dans le débat public sur des questions politiques sensibles. Je partage l'avis du BIDDH et du Rapporteur spécial des Nations Unies (soutenu, dans une certaine mesure, par la Suisse), selon lequel la Convention de Varsovie pourrait bénéficier d'une exemption humanitaire explicite, similaire à celle que prévoit la Résolution 2664 (2022) du Conseil de sécurité des Nations Unies 
			(14) 
			<a href='http://undocs.org/S/RES/2664(2022)'>S/RES/2664(2022).</a>, qui précise que la fourniture, le traitement ou le versement de fonds, d'autres avoirs financiers ou ressources économiques, ou la fourniture de biens et de services nécessaires à l'acheminement en temps voulu de l'aide humanitaire ou à l'appui d'autres activités visant à répondre aux besoins essentiels de la population, sont autorisés et ne constituent pas une violation des mesures de gel des avoirs imposées par cet organe ou ses comités des sanctions. Compte tenu de la portée limitée du projet de protocole, je propose d'inviter le CDCT à tenir compte de cette proposition dans ses travaux futurs lorsqu'il examinera la Convention de manière plus approfondie, y compris les clauses de sauvegarde prévues à l'article 12 et autres dispositions.