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Rapport | Doc. 16237 | 05 septembre 2025

Les journalistes comptent: l’intensification des initiatives en faveur de la libération des journalistes ukrainiens retenus en captivité par la Fédération de Russie s’impose

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteure : Mme Yevheniia KRAVCHUK, Ukraine, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc.16020, Renvoi 4822 du 28 juin 2024. 2025 - Quatrième partie de session

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 4 septembre
2025.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire déplore les conditions difficiles dans lesquelles les journalistes et les professionnels des médias travaillent en temps de guerre. Trop souvent, ces personnes doivent faire de grands sacrifices et risquent leur vie pour nous fournir des informations fiables en période de conflit.
2. La guerre d’agression en cours contre l’Ukraine illustre de manière frappante à la fois l’importance et la difficulté de leur mission.
3. Depuis le début de la guerre d’agression à grande échelle en février 2022, plus de 800 crimes commis par la Fédération de Russie contre des médias et des personnels des médias ont été enregistrés. Depuis le 24 février 2022, la Russie a tué 108 professionnels des médias: 12 personnes ont perdu la vie alors qu’elles étaient en reportage, tandis que 96 autres sont mortes au combat ou ont été tuées par des bombardements russes ou à la suite d’actes de tortures. Malgré le port visible du signe «PRESS», les journalistes sont parfois délibérément visés par des tirs militaires. Les journalistes d’investigation sont de plus en plus la cible d’attaques, tant physiques qu’en ligne. Les cyberattaques, les atteintes au secret des sources et les restrictions à l’accès à l’information sont également des sujets préoccupants.
4. La Fédération de Russie a pris pour cible des infrastructures de médias, frappant des tours de télévision dans au moins neuf régions ukrainiennes et causant des dommages importants aux bâtiments abritant les bureaux de rédaction de la société publique ukrainienne de radiodiffusion à l’étranger, de Channel 5 et d’autres médias.
5. Cette situation n’a rien de surprenant, car la guerre d’agression russe contre l’Ukraine est aussi une guerre contre la vérité et, à ce titre, les médias et les journalistes libres sont considérés comme des ennemis par l’État agresseur, qui s’efforce de cacher au monde les atrocités qu’il commet.
6. Au moins 26 professionnels des médias et journalistes sont illégalement privés de liberté et détenus en tant que civils en Fédération de Russie et dans les territoires ukrainiens temporairement occupés. Ils et elles font face à des accusations criminelles forgées de toutes pièces et sont exposés à des violations des droits fondamentaux, à des actes de torture et même à la mort. On ignore toujours où se trouvent plusieurs journalistes ukrainiens; or, selon les circonstances, leur disparition pourrait constituer des cas de disparition forcée au regard du droit international. Le fait que le nombre de victimes parmi les journalistes ne cesse d’augmenter est particulièrement préoccupant.
7. L’enlèvement systématique et les mauvais traitements infligés aux journalistes professionnels et citoyens ont commencé avec l’occupation de la Crimée par la Fédération de Russie en 2014; certains de ces journalistes sont en captivité en Russie depuis près de dix ans.
8. L’Assemblée rappelle que la Fédération de Russie est liée par les obligations qui lui incombent en vertu du droit international humanitaire et du droit international des droits humains. Les journalistes travaillant dans des zones de conflit armé sont des civils et sont à ce titre protégés par le droit international humanitaire, à condition de n’entreprendre aucune action qui porte atteinte à leur statut de personnes civiles.
9. L’Assemblée souligne que l’établissement d’une paix durable et juste en Ukraine doit intégrer une composante humanitaire, notamment la libération inconditionnelle de toutes les personnes civiles en captivité.
10. Compte tenu du mépris du régime russe actuel à l’égard du droit international, le seul moyen actuellement disponible pour garantir la libération et le retour en Ukraine des journalistes illégalement détenus consiste à exercer toutes les pressions politiques, économiques et diplomatiques sur la Fédération de Russie.
11. Il s’agit d’un rôle essentiel que tous les États membres du Conseil de l’Europe peuvent et doivent jouer. En outre, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et les organisations internationales dont la Fédération de Russie est membre, en particulier les Nations Unies et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), peuvent jouer un rôle important à cet égard.
12. La campagne du Conseil de l’Europe pour la sécurité des journalistes intitulée «Les journalistes comptent» devrait mettre en lumière la situation des journalistes ukrainiens détenus illégalement par la Fédération de Russie, et cette action de sensibilisation pourrait être renforcée par les associations internationales et locales de journalistes. En outre, la Plateforme du Conseil de l’Europe pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes pourrait faire pression sur les autorités russes en collectant et en vérifiant les alertes sur les menaces graves, en exigeant des réponses officielles et en les relayant au public.
13. Les personnes responsables de crimes contre des journalistes doivent rendre des comptes. L’Assemblée est particulièrement horrifiée par le sort de Victoria Roshchyna, journaliste ukrainienne torturée et décédée dans des circonstances indescriptibles, après avoir passé plus d’un an en détention en Russie.
14. L’Assemblée se félicite de la récente libération de trois journalistes ukrainiens: Vladyslav Yesypenko, illégalement détenu par la Fédération de Russie depuis mars 2021, après avoir été enlevé en Crimée; Dmytro Khyliuk, arrêté à Kozarovychi, région de Kyiv en mars 2022; et Mark Kaliush, arrêté à Melitopol, région de Zaporijjia en août 2023. Leur retour chez eux rappelle avec force l’importance de la pression internationale sur les régimes autoritaires afin qu’ils respectent les droits fondamentaux des civils, y compris des journalistes. L’Assemblée exprime son soutien le plus sincère à ces journalistes ainsi qu’à tous les autres journalistes détenus illégalement qui continuent de subir une détention illégale.
15. Enfin, l’Assemblée insiste sur la nécessité d’accorder des réparations aux victimes des crimes commis par la Fédération de Russie, en particulier ceux qui concernent les journalistes et les infrastructures des médias.
16. Au vu de ces considérations, l’Assemblée appelle la Fédération de Russie:
16.1. à mettre immédiatement un terme à toutes les violations du droit international visant le personnel et les infrastructures des médias;
16.2. à libérer immédiatement l’ensemble des journalistes détenus en violation du droit international, notamment les personnes suivantes (la liste qui suit précise leur nom, ainsi que le lieu et la date de leur arrestation):
  • Oleksii Bessarabov, Sébastopol, Crimée, 09/11/2016;
  • Dmytro Shtyblikov, Sébastopol, Crimée, 09/11/2016;
  • Ernes Ametov, Bakhtchissaraï, Crimée, 11/10/2017;
  • Marlen Asanov, Bakhtchissaraï, Crimée, 11/10/2017;
  • Tymur Ibrahimov, Bakhtchissaraï, Crimée, 11/10/2017;
  • Seiran Saliev, Bakhtchissaraï, Crimée, 11/10/2017;
  • Server Mustafaiev, Bakhtchissaraï, Crimée, 21/05/2018;
  • Rustem Sheikhaliev, Simferopol, Crimée, 27/03/2019;
  • Ruslan Suleimanov, Simferopol, Crimée, 27/03/2019;
  • Osman Arifmemetov, Rostov-sur-le-Don, Russie, 28/03/2019;
  • Remzi Bekirov, Rostov-sur-le-Don, Russie, 28/03/2019;
  • Amet Suleimanov, Bakhtchissaraï, Crimée, 11/03/2020;
  • Asan Akhtemov, Simferopol, Crimée, 04/09/2021;
  • Iryna Danylovych, Koktebel, Crimée, 29/04/2022;
  • Yevheniy Ilchenko, Melitopol, région de Zaporijjia, 10/07/2022;
  • Vilen Temerianov, Vil’ne, Crimée, 11/08/2022;
  • Iryna Levchenko, Melitopol, région de Zaporijjia, 06/05/2023;
  • Vladyslav Hershon, Melitopol, région de Zaporijjia, 20/08/2023;
  • Anastasia Hlukhovska, Melitopol, région de Zaporijjia, 20/08/2023;
  • Heorhiy Levchenko, Melitopol, région de Zaporijjia, 20/08/2023;
  • Oleksandr Malyshev, Melitopol, région de Zaporijjia, 20/08/2023;
  • Maksym Rupchov, Melitopol, région de Zaporijjia, 20/08/2023;
  • Yana Suvorova, Melitopol, région de Zaporijjia, 20/08/2023;
  • Aziz Azizov, Bakhtchissaraï, Crimée, 05/03/2024;
  • Rustem Osmanov, Bakhtchissaraï, Crimée, 05/03/2024;
  • Hennadiy Osmak, Henichesk, région de Kherson, 11/03/2024;
16.3. à fournir aux organismes internationaux, ainsi qu’aux familles, des informations précises et à jour sur la localisation et l’état de santé de ces personnes détenues:
16.4. à garantir au CICR et/ou à d’autres organisations humanitaires indépendantes un accès sans entrave à tous les lieux où sont détenus des civils afin de contrôler les conditions de détention des journalistes et leur état de santé;
16.5. à garantir à la Mission de surveillance des droits de l’homme des Nations Unies en Ukraine un accès sans entrave à ces personnes détenues dans les territoires temporairement occupés de l’Ukraine.
17. L’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe à soutenir:
17.1. les activités du Registre des dommages pour l’Ukraine,
17.2. l’établissement de la Commission d’indemnisation pour l’Ukraine,
17.3. la mise en place et le fonctionnement du Tribunal spécial pour le crime d’agression contre l’Ukraine,
17.4. les mécanismes visant à amener les responsables à répondre de leurs actes, qui ont été mis en place sous l’égide du Conseil de l’Europe, en s’attachant à répondre aux besoins des victimes et des survivant·es, y compris des journalistes;
17.5. les actions visant à assurer l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, notamment les arrêts rendus dans les affaires interétatiques Ukraine c. Russie;
17.6. les efforts visant à élaborer un nouveau protocole spécial à la quatrième Convention de Genève et à promouvoir une résolution de l'Assemblée générale des Nations unies reconnaissant le statut des civils privés illégalement de leur liberté, y compris les journalistes professionnels et citoyens, et établissant des procédures pour la vérification, le retour, le suivi et la libération de ces civils pendant les conflits armés.
18. L’Assemblée appelle la Cour pénale internationale, ou les États membres en vertu du principe de compétence universelle, à poursuivre et à faire traduire en justice les responsables de la Fédération de Russie impliqués dans la détention illégale, la torture, les mauvais traitements, la disparition forcée ou le meurtre de journalistes ukrainiens et la destruction d’infrastructures de médias.
19. L’Assemblée demande instamment aux États membres et à l’Union européenne:
19.1. de renforcer leur régime de sanctions et d’imposer des sanctions individuelles aux auteurs de crimes contre des journalistes et des infrastructures de médias. Les sanctions pourraient inclure des interdictions de voyager, des sanctions financières, des gels des avoirs, des restrictions à la participation à des forums multilatéraux, ainsi que des restrictions en matière de visas pour les membres de la famille proche. Ces sanctions devraient s’appliquer aux hauts responsables de l’armée et de la sécurité de la Fédération de Russie qui, au vu de leurs fonctions, avaient accès aux informations pertinentes et aux pouvoirs de décision et n’ont pas empêché ou fait cesser ces violations, mais aussi aux responsables de rang inférieur, dont les directeurs de centres de détention et les gardiens qui ont pris part à ces violations. Ce sont notamment:
19.1.1. les commandants de groupes de troupes opérationnelles des Forces armées russes impliqués dans l’agression contre l’Ukraine;
19.1.2. les chefs d’État-major et les chefs adjoints au sein de ces dispositifs;
19.1.3. les commandants des forces de missiles, de drones (UAV) et d’artillerie au niveau opérationnel ou au niveau du district militaire;
19.1.4. les commandants des flottes (en particulier la flotte de la mer Noire) opérant dans des zones où des frappes sur des infrastructures civiles ont été enregistrées;
19.1.5. les responsables de l’État-major général et la direction du service de renseignement militaire (GRU) impliqués dans la planification opérationnelle et le ciblage;
19.1.6. les directeurs des centres de détention où des journalistes et des civils ont été illégalement détenus et torturés;
19.1.7. la direction du service pénitentiaire fédéral du ministère russe de la Justice;
19.1.8. les responsables supervisant le contrôle des médias et la propagande dans les territoires occupés;
19.2. de soutenir financièrement les journalistes et les médias libres ukrainiens, en vue de les aider à survivre en temps de guerre, et d’encourager la participation des journalistes déplacés à l’extérieur de leur pays aux activités de médias et de projets européens;
19.3. de sensibiliser au sort des journalistes ukrainiens, d’instaurer des programmes de mentorat pour les personnes détenues et de leur fournir un soutien par l’envoi de lettres à leurs lieux de détention.
20. L’Assemblée appelle les États membres et la Cour pénale internationale à enquêter sur toute incitation à commettre des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, et le génocide contre le peuple ukrainien – y compris les discours de haine, la désinformation et la propagande, notamment ceux qui visent à justifier l’agression illégale contre l’Ukraine – et à poursuivre les responsables.
21. L’Assemblée appelle les États membres à soutenir le travail des institutions nationales des droits de l’homme, y compris les bureaux de l’Ombudsman, en matière de surveillance, de documentation et de défense des droits et de la protection des journalistes pendant les conflits armés, notamment par l’intermédiaire d’une assistance technique et financière et d’une aide au renforcement des capacités.
22. Enfin, l’Assemblée décide d’instaurer une commémoration annuelle lors de sa partie de session d’automne en l’honneur des correspondant·es de guerre et des journalistes qui risquent (et souvent perdent) la vie dans l’exercice de leurs fonctions en défendant le droit à l’information dans les zones de conflit. Cette commémoration sera appelée «Victoire pour Victoria» en mémoire de la journaliste ukrainienne Victoria Roshchyna.

B. Exposé des motifs par Mme Yevheniia Kravchuk, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Le présent rapport fait suite à la proposition de résolution intitulée «Les journalistes comptent: l’intensification des initiatives en faveur de la libération des journalistes ukrainiens retenus en captivité par la Fédération de Russie s’impose» (Doc. 16020). Ses signataires s’inquiètent du fait que les journalistes ukrainiens sont de plus en plus pris pour cible par les envahisseurs russes en raison de leurs activités professionnelles.
2. Depuis le début de la guerre d’agression à grande échelle en février 2022, l’Institute of Mass Information (IMI) – une organisation non gouvernementale ukrainienne à but non lucratif, qui surveille l’évolution de la liberté d’expression en Ukraine depuis plus de 20 ans – a consigné des faits prouvant plus de 800 crimes commis par la Fédération de Russie contre des médias et des professionnels des médias. Depuis le 24 février 2022, la Russie a tué 108 professionnels des médias. Selon des données datant du 9 mai 2025, douze personnes ont perdu la vie alors qu’elles étaient en reportage tandis que 96 autres sont mortes au combat ou ont été tuées par des bombardements russes ou à la suite d’actes de torture 
			(2) 
			<a href='https://imi.org.ua/en/news/35-years-of-the-full-scale-war-russia-commits-841-crimes-against-journalists-and-media-in-ukraine'>«3,5
years of the full-scale war: Russia commits 841 crimes against journalists
and media in Ukraine», Institute of Mass Information (IMI), 24 août
2025.</a>.
3. D’après le Centre pour les libertés civiles de Kyiv, l’un des aspects les plus effroyables de cette guerre est la disparition forcée de dizaines de milliers de civils sous l’occupation russe. La Fédération de Russie est toujours liée par les obligations qui lui incombent en vertu du droit international humanitaire et du droit international des droits humains, notamment le devoir de respecter et de protéger les journalistes civils qui ne participent pas directement aux hostilités. La pratique systématique des disparitions forcées constitue un crime contre l’humanité, comme le reconnaît la Résolution 47/133 de l’Assemblée générale des Nations Unies intitulée «Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées». De plus, selon la Convention des Nations Unies sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, aucune prescription ne s’applique aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité.
4. Les journalistes sont des civils et doivent être traités comme tels. Pourtant, au moins 26 professionnels des médias et journalistes sont illégalement privés de liberté et détenus en tant que civils en Fédération de Russie 
			(3) 
			<a href='https://imi.org.ua/en/monitorings/ukrainian-journalists-in-russian-captivity-the-up-to-date-list-i64252'>«Ukrainian
journalists detained by Russia: Up-to-date list</a>», IMI, 11 octobre 2024., sous le coup d’accusations criminelles forgées de toutes pièces et exposés à des violations des droits fondamentaux, à des actes de torture et même à la mort. On ignore toujours où se trouvent plusieurs journalistes ukrainiens. Malheureusement, le nombre de victimes parmi les journalistes ne cesse d’augmenter.
5. Récemment, Reporters sans frontières (RSF) a déposé sa neuvième plainte contre la Russie auprès de la Cour pénale internationale (CPI) et de la justice ukrainienne afin de lutter contre l’impunité des personnes responsables de ces crimes de guerre. Les plaintes antérieures de RSF ont donné lieu ou contribué à 14 enquêtes du parquet ukrainien sur des crimes contre des journalistes.
6. La Cour européenne des droits de l’homme a récemment estimé que de nombreuses pratiques administratives de la Fédération de Russie sur le territoire ukrainien occupé étaient contraires à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5) et que la Russie «doit sans délai libérer ou renvoyer en toute sécurité toutes les personnes qui, sur le territoire ukrainien occupé par les forces russes ou sous contrôle russe, étaient privées de liberté en violation de l’article 5 de la Convention avant le 16 septembre 2022 et qui sont toujours détenues par les autorités russes» (voir chapitre 5.1).
7. Il est de la plus haute importance que les États membres intensifient la pression politique et diplomatique sur la Fédération de Russie afin d’assurer la libération et le retour en Ukraine des journalistes qui ont été arrêtés et sont détenus illégalement. À cet égard, plus récemment, le 9 juillet 2025, un rapport du Secrétaire Général sur la situation des droits humains dans les territoires de l’Ukraine temporairement contrôlés ou occupés par la Fédération de Russie a encouragé les organes compétents en matière de droits humains, y compris le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, à donner la priorité aux victimes et à garantir et promouvoir leurs droits, ainsi que leur indemnisation et leur réadaptation. Ces efforts pourraient inclure des actions de la part d’organisations internationales dont la Fédération de Russie est membre, notamment les Nations Unies et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), et le Comité international de la Croix-Rouge pourrait également jouer un rôle à cet égard. En outre, «Les journalistes comptent», la campagne du Conseil de l’Europe pour la sécurité des journalistes, pourrait être utilisée plus largement pour mettre en lumière la situation des journalistes ukrainiens détenus illégalement en Fédération de Russie, une action de sensibilisation que les associations internationales et locales de journalistes pourraient amplifier.
8. Le but du présent rapport est de sensibiliser au sort des journalistes ukrainiens retenus en captivité en Fédération de Russie. À cette fin, j’analyserai les instruments existants du Conseil de l’Europe qui pourraient être utiles et j’explorerai les pistes que les États membres pourraient suivre pour accroître la pression politique et diplomatique sur la Fédération de Russie afin d’assurer la libération et le retour en Ukraine des journalistes qui ont été capturés et sont détenus illégalement. Ces efforts pourraient inclure des actions de la part d’organisations internationales dont la Fédération de Russie est membre, notamment les Nations Unies et l’OSCE. La participation éventuelle du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) sera également examinée.
9. Tout en mettant l'accent sur la situation difficile des journalistes, le présent rapport devrait également servir à promouvoir des mesures pour toutes les personnes civiles ukrainiennes qui sont détenues et font face à une situation similaire, afin de veiller à ce qu’elles ne soient pas oubliées et puissent retourner auprès de leurs familles et de leurs proches.
10. Je prendrai en considération les points suivants:
  • le droit international humanitaire relatif à la protection des journalistes en temps de guerre, y compris le cadre juridique non contraignant du Conseil de l’Europe;
  • les violations concrètes du droit international humanitaire par la Fédération de Russie à l’égard des journalistes ukrainiens;
  • les actions en justice portées devant la CPI;
  • les enquêtes du parquet ukrainien sur les crimes contre des journalistes;
  • les stratégies possibles pour intensifier la pression politique et diplomatique sur la Fédération de Russie afin de libérer les journalistes détenus;
  • le rôle éventuel du Conseil de l’Europe et en particulier sa campagne pour la sécurité des journalistes intitulée «Les journalistes comptent»;
  • le travail des associations locales de journalistes.
11. Les discussions lors de l’audition conjointe du 30 janvier 2025 sur «Les prisonniers de guerre ukrainiens, les journalistes et autres civils retenus en captivité par la Fédération de Russie» 
			(4) 
			Le 30 janvier 2025,
la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des
médias a tenu une audition conjointe sur le thème «Prisonniers de
guerre, journalistes et autres civils ukrainiens détenus en captivité
par la Fédération de Russie» avec la commission des questions politiques
et de la démocratie, la commission des questions juridiques et des
droits de l’homme et la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées, avec la participation de: M. Maksym
Butkevych, défenseur des droits humains, officier des Forces armées
ukrainiennes, ancien prisonnier de guerre, journaliste; Mme Leniie
Umerova, otage civile tatare de Crimée récemment échangée (citoyenne ukrainienne);
M. Yulian Pylypei, marine ukrainienne, défenseur de Marioupol, deux
ans et demi de captivité en Russie; Mme Nataliia
Yashchuk, responsable sur la question des conséquences de la guerre,
Centre pour les libertés civiles, Kyiv. L’audition a été suivie
d’un échange de vues. et les auditions du 10 avril 2025 
			(5) 
			Le 10 avril 2025, la
commission a tenu une audition avec la participation de: M. Oleh
Borysov, chaîne de télévision ukrainienne internationale FREEDOM,
Ukraine; Mme Kateryna Dyachuk, cheffe
du département sur le suivi en matière de liberté d’expression à
l’Institute of Mass Information (IMI), Ukraine; M. Michael O’Flaherty,
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe; Mme Rodica
Ciochina, campagne pour la sécurité des journalistes et la liberté d’expression
et Comité directeur sur les médias et la société de l’information
(CDMSI), Direction générale de la démocratie et de la dignité humaine
(DGII), Conseil de l’Europe. et du 3 juin 2025 
			(6) 
			Le 3 juin 2025, la
commission a tenu une audition avec la participation de: Mme Sevgil
Musayeva, journaliste ukrainienne, rédactrice en chef de Ukrainska
Pravda (en ligne); M. Edouard Perrin, rédacteur en chef, Forbidden
Stories; M. Dmytro Lubinets, Commissaire aux droits de l'homme du
Parlement ukrainien (en ligne); et M. Philippe Tremblay, Directeur,
Bureau du Représentant pour la liberté des médias, OSCE, Vienne. m’ont permis de développer plus en détail mes propositions.

2. Droit international humanitaire relatif à la protection des journalistes

12. Conformément au droit international humanitaire, il existe deux catégories de journalistes: 1) les correspondant·es de guerre et 2) les autres journalistes, qui sont considérés comme des personnes civiles, à condition de n’entreprendre aucune action qui porte atteinte à ce statut.
13. Selon l’article 4.A.4 de la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, les «correspondants de guerre» sont «les personnes qui suivent les forces armées sans en faire directement partie […] à condition qu’elles en aient reçu l’autorisation des forces armées qu’elles accompagnent, celles-ci étant tenues de leur délivrer à cet effet une carte d’identité semblable au modèle annexé».
14. Les prisonniers de guerre ne peuvent être poursuivis du fait de leur participation directe aux hostilités et leur détention vise à les empêcher de continuer de participer au conflit. Ils doivent être libérés et rapatriés sans délai après la fin des hostilités. La puissance détentrice peut les poursuivre en justice pour d’éventuels crimes de guerre, mais non pour des actes de violence licites au regard du droit international humanitaire. En tout état de cause, les prisonniers de guerre doivent être traités avec humanité et sont protégés contre tout acte de violence ainsi que contre l’intimidation, les insultes et la curiosité publique. Il existe d’autres règles concernant les conditions minimales acceptables de détention, notamment celles qui concernent le logement, la nourriture, l’habillement, l’hygiène et les soins de santé.
15. La Convention relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre et en particulier l’article 79 du Protocole additionnel aux Conventions de Genève relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I) étend la protection du droit humanitaire aux journalistes engagés dans des missions professionnelles périlleuses dans des zones de conflit armé. Ces journalistes doivent être considérés comme des personnes civiles au sens de l’article 50.1 du Protocole I. Les journalistes, en tant que tels, bénéficient de la protection des Conventions et du Protocole I, à condition de n’entreprendre aucune action qui porte atteinte à leur statut de personnes civiles et sans préjudice du droit des correspondant·es de guerre accrédités auprès des forces armées de bénéficier du statut prévu par l’article 4.A.4 de la Troisième Convention. Ils peuvent obtenir une carte d’identité qui atteste de leur statut de journaliste, conforme au modèle joint à l’Annexe II du Protocole I. Cette carte est délivrée par le gouvernement de l’État dont le ou la journaliste est un·e ressortissant·e ou sur le territoire duquel il ou elle réside ou dans lequel se trouve l’agence ou l’organe de presse qui l’emploie. Si d’impérieuses raisons de sécurité le justifient, une partie à un conflit peut imposer une résidence forcée à des civils ou procéder à leur internement, mais ces mesures ne peuvent pas être utilisées comme sanction. Les personnes internées doivent être libérées dès que les motifs ayant nécessité leur internement cessent d’exister. Les règles du droit international humanitaire qui régissent le traitement et les conditions de détention des interné·es civils sont très similaires à celles qui s’appliquent aux prisonniers de guerre.
16. Dans le cas de conflits armés non internationaux, l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et en particulier le Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II) prévoient que les personnes privées de liberté pour des raisons liées au conflit doivent elles aussi être traitées avec humanité, en toutes circonstances. Elles sont notamment protégées contre le meurtre, la torture et les traitements cruels, humiliants ou dégradants. Les personnes détenues du fait de leur participation aux hostilités ne sont pas à l’abri de poursuites pénales en vertu du droit interne applicable.
17. En l’absence de convention internationale spécifique définissant les notions de liberté d’information et de droit des journalistes, la mise en œuvre de ces principes est soumise aux contraintes imposées par les droits nationaux, souvent guidées par le principe de l’ordre public. Par conséquent, les journalistes et les médias peuvent faire l’objet de divers chefs d’accusation au titre du droit national, notamment pour atteinte à la sécurité nationale, propagande ennemie, incitation à la violence, aux troubles intérieurs, à la haine, au séparatisme, à la diffamation, etc 
			(7) 
			Voir
le <a href='https://dictionnaire-droit-humanitaire.org/content/article/2/journaliste/'>Dictionnaire
pratique du droit humanitaire – Journaliste.</a>.

3. Mesures de protection des journalistes au niveau international

3.1. Nations Unies

18. Plusieurs initiatives ont été mises en œuvre au sein du système des Nations Unies dans le but de prévenir les actes de violence contre des journalistes 
			(8) 
			Une liste non exhaustive
de textes, déclarations, décisions, résolutions et conventions relatifs
aux droits humains et à la sécurité des journalistes est disponible
à l’adresse suivante: <a href='https://www.unesco.org/fr/safety-journalists/basic-texts'>www.unesco.org/fr/safety-journalists/basic-texts</a>..
19. La Résolution 29 de l’UNESCO (1997) intitulée «Condamnation de la violence contre les journalistes» a invité le Directeur général de l’UNESCO à condamner l’assassinat et toute forme de violence physique dirigés contre des journalistes en tant que crimes contre la société et à demander que les autorités compétentes s’acquittent du devoir qui leur incombe de prévenir ces crimes, d’enquêter à leur sujet, de les sanctionner et d’en réparer les conséquences. En outre, elle a exhorté les États membres à établir le principe de l’imprescriptibilité des crimes contre les personnes quand ces crimes sont perpétrés pour empêcher l’exercice de la liberté d’information et d’expression ou quand ils ont pour but d’entraver le cours de la justice. Les États devraient rendre possible les poursuites et les condamnations de celles et ceux qui incitent à l’assassinat de personnes exerçant leur droit à la liberté d’expression et veiller à ce que les auteurs d’infractions commises contre des journalistes agissant dans l’exercice de leur activité professionnelle ou contre des médias soient traduits devant les juridictions ordinaires ou de droit commun.
20. La Résolution 1738 (2006) du Conseil de sécurité des Nations Unies a condamné les attaques délibérément perpétrées contre des journalistes, des professionnels des médias et le personnel associé visés ès qualité en période de conflit armé, et a demandé à toutes les parties de mettre fin à ces pratiques. Dans sa résolution, le Conseil de sécurité a condamné de nouveau toutes les incitations à la violence contre des civils en période de conflit armé, et a réaffirmé la nécessité de traduire en justice toutes les personnes qui incitent à la violence, conformément au droit international applicable. En outre, il a rappelé l’injonction qu’il a adressée à toutes les parties à un conflit armé de se conformer strictement aux obligations mises à leur charge par le droit international concernant la protection des civils, y compris les journalistes, les professionnels des médias et le personnel associé. Il a demandé instamment aux États et à toutes les autres parties à un conflit armé de tout faire pour empêcher que des violations du droit international humanitaire soient commises contre des civils, dont des journalistes, des professionnels des médias et le personnel associé. Par ailleurs, il a exhorté toutes les parties concernées, en période de conflit armé, à respecter l’indépendance professionnelle et les droits des journalistes, des professionnels des médias et du personnel associé qui sont des civils. Enfin, il a prié le Secrétaire général de consacrer une section de ses rapports suivants sur la protection des civils en période de conflit armé à la question de la sûreté et de la sécurité des journalistes, des professionnels des médias et du personnel associé.
21. La Déclaration de Medellin sur «la sécurité des journalistes et la lutte contre l’impunité», adoptée le 4 mai 2007, a encouragé les États membres à mettre en œuvre plusieurs mesures pour prévenir et contrer les violences contre des journalistes, telles que les enquêtes sur tous les actes de ce type, la libération des journalistes détenus, la signature et la ratification des Protocoles additionnels I et II aux Conventions de Genève et du Statut de Rome de la CPI, ainsi que le respect des engagements énoncés dans la Résolution 29 (1997) de l’UNESCO.
22. Le Plan d’action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité vise à créer un environnement libre et sûr pour les journalistes et les professionnels des médias, renforçant ainsi la paix, la démocratie et le développement durable dans le monde entier. Il aborde les aspects fondamentaux de la prévention, de la protection et des poursuites pénales et appelle à une approche globale et fondée sur une coalition pour sa mise en œuvre. Le Plan comprend six domaines:

3.2. Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)

23. L’OSCE, par l’intermédiaire de son ou de sa Représentant·e pour la liberté des médias, surveille la sécurité des journalistes 
			(9) 
			<a href='https://www.osce.org/fom/safety-of-journalists'>OSCE:
Safety of journalists</a>., en prêtant notamment attention aux cas d’agressions physiques, d’incarcération et de harcèlement. Le ou la Représentant·e dialogue avec les États participants et les autres parties concernées par la voie diplomatique et par des déclarations publiques. En outre, il ou elle aide les États participants à faire progresser la liberté des médias. En 2022, la Représentante a lancé un nouveau projet visant à dresser un état des lieux des politiques et des mesures existantes dans les États participants de l’OSCE pour promouvoir et garantir la sécurité des journalistes, à recenser les lacunes persistantes et à formuler des recommandations basées sur des exemples de bonnes pratiques. Sept tables rondes ont lieu dans le cadre du projet, chacune couvrant une dimension particulière de la sécurité des journalistes:
  • la collecte de données, l’analyse et l’établissement de rapports sur les attaques et les violences à l’égard des journalistes, ainsi que la promotion du travail journalistique;
  • la sécurisation des conditions de travail;
  • la sécurité des journalistes dans les situations de conflit;
  • les perspectives intersectionnelles;
  • la sécurité numérique;
  • le harcèlement juridique;
  • les missions de prévention de la police et la lutte contre l’impunité.

3.3. Conseil de l’Europe

24. Le Conseil de l’Europe s’est intéressé à la question de la protection des journalistes à plusieurs reprises. L’instrument juridique le plus important à cet égard est la Recommandation CM/Rec(2016)4 du Comité des Ministres aux États membres sur la protection du journalisme et la sécurité des journalistes et autres acteurs des médias, qui a condamné le niveau alarmant et inacceptable des menaces pesant sur les journalistes et les acteurs des médias en Europe et a fourni des lignes directrices spécifiques aux États membres pour agir dans les domaines de la prévention, de la protection, des poursuites, de la promotion de l’information, de l’éducation et de la sensibilisation 
			(10) 
			Voir
aussi le <a href='https://www.coe.int/fr/web/freedom-expression/implementation-guide'>Guide
de mise en œuvre de la Recommandation CM/Rec(2016)4.</a>. Par la suite, la Résolution sur la sécurité des journalistes de la Conférence des ministres responsables des médias et de la société de l’information du 11 juin 2021 a invité le Conseil de l’Europe à mener une vaste campagne au niveau européen pour promouvoir la protection du journalisme et la sécurité des journalistes et à soutenir les campagnes correspondantes au niveau national, ce qui a conduit au lancement de la campagne du Conseil de l’Europe pour la sécurité des journalistes intitulée «Les journalistes comptent».
25. Cette campagne est une initiative destinée à promouvoir la liberté de la presse et à protéger les journalistes contre les violences, les menaces et le harcèlement dans l’exercice de leur métier.
26. Les objectifs de la campagne sont les suivants:
  • promouvoir le développement de campagnes correspondantes au niveau national;
  • encourager les États à prendre des mesures en vue de l’adoption de plans d’action nationaux pour la sécurité des journalistes;
  • contribuer à l’élaboration de cadres juridiques et institutionnels appropriés au niveau national;
  • faire évoluer la situation de manière efficace et significative dans la pratique.
27. La campagne s’appuie sur un constat: les journalistes ne se contentent pas de couvrir des événements, ils et elles sont souvent pris entre deux feux dans l’exercice de leurs fonctions. Les journalistes ukrainiens sont pris pour cible d’une manière qui compromet gravement leur capacité à informer librement. Beaucoup ont été tués et beaucoup d’autres sont toujours détenus illégalement. Nombre de journalistes ont par ailleurs disparu, leurs proches laissés dans l’ignorance, et la communauté internationale a souvent du mal à apporter une réponse effective.
28. La campagne a régulièrement mis en avant la situation des journalistes ukrainiens à plusieurs niveaux, notamment lors de conférences et de débats, mais aussi lors d’événements et d’activités de grande envergure. Ainsi, la conférence annuelle 2024 a porté sur la situation des journalistes en Ukraine et une exposition de photographies a été organisée à cette occasion avec l’Union nationale des journalistes ukrainiens. La campagne a aussi permis d’attirer l’attention de la communauté internationale sur le sujet grâce à la projection de plusieurs films – dont le film «20 jours à Marioupol», qui relate les risques pris par les journalistes pour informer en temps de guerre – et à la présence de journalistes ukrainiens venus témoigner directement devant les participant·es.
29. En 2025, la campagne se concentre sur les poursuites judiciaires et sur la lutte contre l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes, avec l’appui de représentant·es du parquet ukrainien, de journalistes et des points focaux ukrainiens de la campagne. Les activités menées impliquent généralement la présence et la participation d’autres organisations internationales, ce qui permet d’élargir le public touché et de placer la question de la situation des journalistes ukrainiens sur la scène internationale. D’autres groupes de médias et associations internationales de journalistes participent également à ces événements et se font l’écho des questions abordées. Ces partenariats contribuent à la mise en place d’un solide réseau de défense des journalistes. En permettant que les cas des journalistes ukrainiens soient systématiquement médiatisés dans les forums internationaux, ces actions coordonnées renforcent la visibilité de la crise et accentuent la pression diplomatique exercée sur la Russie pour qu’elle libère les journalistes détenus.
30. En ce qui concerne la participation de l’Ukraine à la campagne 
			(11) 
			<a href='https://www.coe.int/en/web/freedom-expression/ukraine-national-chapter'>Journalists
Matter, Council of Europe Campaign for the Safety of Journalists:
Ukraine, National chapter</a>., le pays a été le premier des 46 États membres à mettre en place un comité de campagne, à réunir des acteurs nationaux pertinents et à adopter un plan d’action national pour la sécurité des journalistes. Ce plan prévoit des mesures de protection, même si l’agression militaire qui se poursuit souligne la nécessité d’accentuer les pressions internationales et de renforcer le soutien aux journalistes ukrainiens.
31. La campagne peut aider à accélérer les efforts visant à libérer les journalistes ukrainiens en augmentant la pression politique et diplomatique, car le réseau dont elle dispose peut renforcer cet appel. En mobilisant ses relais, la campagne peut aussi placer le sort de l’Ukraine sous les projecteurs de l’actualité internationale et faire en sorte que le sujet soit évoqué lors d’événements très médiatisés. Elle peut réunir nos partenaires internationaux au sein des organisations encore ouvertes aux représentant·es russes, afin de favoriser d’une certaine façon l’émergence de nouvelles formes de coopération multilatérale destinée à protéger les journalistes exposés à des risques.
32. L’Assemblée s’intéresse aussi depuis plusieurs années à la question de la protection des journalistes 
			(12) 
			Voir par exemple les
Résolutions 1535 (2007), 2035 (2015), 2141 (2017) et 2213 (2018). Voir aussi la <a href='https://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-fr.asp?fileid=24762&lang=fr'>Résolution 2217 (2018)</a>, la Recommandation 2130 (2018) et la <a href='https://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/X2H-Xref-ViewHTML.asp?FileID=10831&lang=FR'>Recommandation
1702 (2005).</a>.
33. Dans sa Résolution 2573 (2024) «Personnes disparues, prisonniers de guerre et personnes civiles en captivité en raison de la guerre d’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine», l’Assemblée a rappelé que, bien que les détentions illégales par la Fédération de Russie aient commencé en 2014, nombre des personnes enlevées ont été capturées depuis le début de la guerre à grande échelle en 2022. Elle a souligné que la situation dans la Crimée temporairement occupée restait particulièrement difficile et a exhorté ses membres à mobiliser leurs gouvernements, la société civile et les réseaux de médias pour sensibiliser au sort des journalistes ukrainiens. L’Assemblée a également appelé à maintenir une pression internationale sur la Fédération de Russie pour que cette dernière libère les journalistes détenus et permette à des organismes internationaux indépendants de se rendre immédiatement sur place afin d’inspecter les conditions de détention de ces journalistes. La communauté internationale doit insister sur la transparence et la responsabilité afin de protéger la dignité humaine et les droits des personnes emprisonnées illégalement.
34. La commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias s’est tout particulièrement attachée à mettre en avant les instruments du Conseil de l’Europe qui peuvent être utiles à cet égard.
35. Dans sa Résolution 2317 (2020) «Menaces sur la liberté des médias et la sécurité des journalistes en Europe», l’Assemblée a déclaré que les organes du Conseil de l’Europe devaient non seulement poursuivre leur action en faveur d’un environnement sûr pour les journalistes et les autres acteurs des médias dans tous les pays d’Europe et au-delà, mais aussi se mobiliser pleinement pour inciter les États membres à remédier rapidement et efficacement à toute menace qui pèse sur la liberté des médias, en encourageant vivement et en soutenant les réformes qui s’imposent à cet égard. Tous les États membres du Conseil de l’Europe devraient garantir de manière effective la sécurité des journalistes, créer un environnement propice à la liberté des médias et empêcher l’utilisation abusive des lois ou des dispositions normatives qui peuvent porter atteinte à cette liberté, sans laquelle il n’y a pas de démocratie. En outre, la Recommandation 2168 (2020) a souligné le rôle de la Plateforme du Conseil de l’Europe pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes et a formulé un certain nombre de recommandations au Comité des Ministres pour accroître le rôle de cette plateforme et exploiter tout son potentiel.
36. Dans sa Résolution 2532 (2024) «Garantir la liberté des médias et la sécurité des journalistes: une obligation des États membres», l’Assemblée s’est déclarée profondément préoccupée par les multiples atteintes à la liberté des médias et par les nombreux cas d’impunité, notamment en ce qui concerne les meurtres de journalistes. Elle a en outre salué le lancement de la campagne «Les journalistes comptent» du Conseil de l’Europe pour la sécurité des journalistes et a appelé les États membres à soutenir pleinement cette campagne et à y contribuer activement. Enfin, l’Assemblée a appelé tous les États membres à coopérer avec les partenaires de la Plateforme pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes, et à mettre en place des mécanismes de réponse efficaces à leurs alertes.
37. L’objectif de la plateforme est de constituer un mécanisme de surveillance et de traitement en temps réel des menaces dont sont victimes les journalistes et les professionnels des médias. Depuis 2015, le Conseil de l’Europe coopère à ce projet novateur avec d’importantes organisations de journalistes et de défense de la liberté d’expression.
38. La plateforme enregistre des alertes relatives aux menaces graves pesant sur la liberté des médias et la sécurité des journalistes et en vérifie l’exactitude factuelle. Ces alertes sont transmises par les organisations partenaires de la plateforme et sont ensuite publiées dans le but de sensibiliser l’opinion publique et d’inciter les autorités nationales à agir. En rendant ces alertes publiques, la plateforme vise à responsabiliser les États membres et à les encourager à respecter leurs engagements en matière de protection de la liberté d’expression, conformément à la Convention européenne des droits de l’homme. Elle favorise également le dialogue entre les journalistes, la société civile et les gouvernements dans le but de répondre à des problématiques systémiques qui menacent la liberté des médias. Il est attendu des États membres qu’ils agissent et traitent les problèmes et qu’ils informent la plateforme des actions engagées en réponse aux alertes. Les États membres du Conseil de l’Europe ont également l’obligation positive de garantir un environnement propice au pluralisme des médias.
39. En outre, la Plateforme pour la sécurité des journalistes constitue un outil de sensibilisation et de signalement. Elle permet d’analyser les tendances et les défis en matière de sécurité des journalistes et de liberté des médias en Europe, sur la base de données empiriques. Ses rapports annuels et les données collectées façonnent les politiques et les actions du Conseil de l’Europe. Ils servent ainsi de fondement à des initiatives plus vastes visant à contrer les menaces qui pèsent sur la liberté de la presse. La plateforme met également en avant les travaux conduits par le Conseil de l’Europe dans le domaine de la liberté des médias, tels que les textes établis par l’Assemblée, les normes adoptées par le Comité des Ministres, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière ou le travail du Commissaire aux droits de l’homme.
40. La plateforme dépend des contributions volontaires des gouvernements pour financer ses activités en faveur de la liberté de la presse et de la sécurité des journalistes.
41. Elle publie une évaluation annuelle qui fournit des informations essentielles sur les tendances et les problématiques liées à la liberté de la presse en Europe, ainsi que des orientations sur la manière de les traiter aux niveaux national et européen.
42. L’évaluation de 2024 montre que les journalistes n’avaient jusque-là jamais été exposés à un tel éventail de menaces qui mettent en danger leur profession et portent atteinte au droit du public d’être informé. Les conséquences de la guerre en Ukraine se font sentir bien au-delà des frontières de ce pays et l’on assiste à un renforcement de la sécurité en Europe qui va souvent à l’encontre des libertés fondamentales. En temps de crise, même nos démocraties libérales peuvent être tentées de prendre des mesures de restriction des libertés.
43. En ce qui concerne l’Ukraine, l’évaluation de 2024 cite la guerre en Ukraine comme le sujet de préoccupation majeure de l’année, les journalistes ukrainiens et internationaux risquant quotidiennement leur vie sur les lignes de front. L’Ukraine est le pays ayant le plus grand nombre d’alertes sur la plateforme (40) et où la plupart des violations se sont produites sur des territoires occupés par la Russie ou ont été attribuées aux forces russes. En 2024, la plateforme a recensé au moins sept cas dans lesquels des journalistes ont été pris pour cible, dont la mort tragique, fin août, de Ryan Evans, conseiller en sécurité de Reuters, victime d’une frappe de missile dans l’est de l’Ukraine. Dans un certain nombre d’autres cas, des journalistes ont été blessés et des bureaux de rédaction ont fait l’objet d’attaques.
44. La section qui suit donne un aperçu plus complet des actions menées par la Fédération de Russie contre des journalistes ukrainiens.

4. Violations du droit international humanitaire par la Fédération de Russie concernant des journalistes ukrainiens

4.1. Introduction

45. Depuis le début de la guerre, le paysage médiatique ukrainien a subi de lourdes pertes 
			(13) 
			<a href='https://rsf.org/en/country/ukraine'>RSF: Ukraine</a>.. Les journalistes ukrainiens doivent faire face à de nouvelles difficultés, comme le fait de travailler dans des conditions dangereuses et instables dans tout le périmètre de la zone de guerre, ou de survivre dans un contexte de crise financière, sans électricité, etc. Un grand nombre de médias ont été contraints de fermer, tandis que d’autres ont dû réduire leurs activités et suspendre temporairement les contrats de travail de leurs employé·es et les versements de salaire. Les médias locaux et la presse écrite ont été particulièrement touchés par ces difficultés.
46. À plusieurs reprises, la Fédération de Russie a pris pour cible des infrastructures de médias, frappant des tours de télévision à Kyiv, à Kharkiv et dans d’autres régions de l’Ukraine 
			(14) 
			<a href='https://rsf.org/en/rsf-refers-russian-strikes-four-ukrainian-tv-towers-international-criminal-court'>«RSF
refers Russian strikes on four Ukrainian TV towers to International
Criminal Court</a>».. Le 6 avril 2025, un missile balistique russe a frappé Kyiv, causant d’importants dommages aux bâtiments abritant les bureaux de rédaction de la société publique ukrainienne de radiodiffusion à l’étranger 
			(15) 
			<a href='https://uatv.ua/en/putin-and-his-troops-are-doing-everything-to-destroy-the-truth-ua-journalist-oleh-borysov-on-pace/'>«Putin
and his troops are doing everything to destroy the truth – UA Journalist
Oleh Borysov on PACE»</a>.. À titre d’explication, le ministère russe de la Défense a officiellement déclaré avoir détruit une installation militaire. À la suite d’une attaque massive de missiles russes sur Kyiv dans la nuit du 10 juillet, les bureaux de la chaîne de télévision ukrainienne «Channel 5» ont subi d’importants dégâts 
			(16) 
			<a href='https://uatv.ua/en/russian-attack-damages-channel-5-office-in-kyiv-what-s-known/'>«Russian
Attack Damages “Channel 5” Office in Kyiv»</a>.. Plus récemment, le 28 août 2025, une attaque russe de grande ampleur contre l'Ukraine a endommagé les bureaux de Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL) et d'Ukrainska Pravda à Kiev, tandis que dans la région de Dnipropetrovsk, une frappe de drone a endommagé les locaux du journal local Mezhivsky Merydian 
			(17) 
			<a href='https://cpj.org/2025/08/russian-strikes-on-ukraine-damage-3-media-outlets/'>«Russian
strikes on Ukraine damage 3 media outlets»</a>..
47. La sécurité des journalistes est une question de plus en plus préoccupante. Malgré le port visible du signe «PRESS», les journalistes sont parfois délibérément visés par des tirs militaires et la liste des reporters blessés ou tués et des locaux de médias gravement endommagés par des frappes aériennes ne cesse de s’allonger. Les journalistes d’investigation font face à une augmentation des attaques, tant physiques qu’en ligne, de la part des autorités russes. Enfin, les cyberattaques, les atteintes au secret des sources et les restrictions à l’accès à l’information sont également des sujets préoccupants.
48. D’après l’IMI, la Russie a tué 108 professionnels des médias depuis le 24 février 2022. Selon des données datant du 9 mai 2025, douze personnes ont perdu la vie alors qu’elles étaient en reportage tandis que 96 autres sont mortes au combat ou ont été tuées par des bombardements russes ou à la suite d’actes de torture. Des dizaines de journalistes ont subi des commotions cérébrales, ont été victimes de fractures, de blessures ou d’éclats d’obus lors de leurs reportages. Au moins 333 médias ont cessé tout ou partie de leurs activités en raison de l’invasion russe à grande échelle; des milliers de professionnels des médias ont quitté le pays ou ont dû changer de travail. L’IMI a également enregistré des cas de menaces adressées à des journalistes et à des rédacteurs en chef de médias nationaux et régionaux. Dans un premier temps, les occupants ont menacé les journalistes physiquement (en se rendant à leur domicile ou à celui de leurs parents); par la suite, les menaces se sont déplacées vers l’espace numérique (au moyen de courriels contenant des menaces de poursuites pénales, d’emprisonnement en Sibérie, de torture, d’interrogatoires et de recours à l’arme nucléaire). En particulier, le 18 mai 2022, le comité de rédaction du centre d’investigation journalistique «Syla Pavdy» a reçu une lettre contenant des menaces de recours à l’arme nucléaire par la Russie 
			(18) 
			<a href='https://imi.org.ua/en/news/russians-begin-to-threaten-journalists-with-nuclear-weapons-i45654'>«Russians
begin to threaten journalists with nuclear weapons»</a>..
49. Les enlèvements et les mauvais traitements infligés aux journalistes ont commencé avec l’annexion de la Crimée par la Russie, se sont poursuivis avec l’occupation de l’est du Donbass et se sont intensifiés lors de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine.
50. Au cours des premiers mois de l’occupation de la péninsule de Crimée, les forces de sécurité russes ont pratiquement anéanti le journalisme professionnel en Crimée afin de supprimer la liberté d’expression, de prendre le contrôle des médias et de contraindre les journalistes à diffuser la propagande russe. En conséquence, un grand nombre de médias de Crimée ont cessé leurs activités et de nombreux journalistes ont quitté le territoire de la péninsule. Ces événements ont favorisé l’émergence de journalistes citoyens en Crimée, qui prennent chaque jour des risques pour rendre compte de la situation sous l’occupation. Dans la majorité des cas, ils et elles ne sont pas des journalistes professionnels, mais des militant·es tatars de Crimée et des parents de prisonniers politiques. La plupart sont contraints de travailler dans l’anonymat pour leur sécurité. Les journalistes citoyens sont souvent persécutés par les forces de sécurité russes d’occupation. De nombreux journalistes citoyens ont été emprisonnés illégalement sous l’occupation. La liste compte actuellement 15 journalistes citoyens, dont Amet Suleymanov, Iryna Danylovych, Server Mustafaev, Osman Arifmemetov, Tymur Ibrahimov et Marlen Asanov. La Russie essaye progressivement de supprimer complètement la liberté d’expression, notamment en modifiant la législation qui a été illégalement intégrée dans les territoires temporairement occupés, et les autorités d’occupation cherchent constamment des prétextes pour emprisonner illégalement les journalistes citoyens, les espionner, les enlever, les mettre au secret, les torturer, effectuer des perquisitions à leur domicile, saisir leur matériel professionnel, leur imposer des amendes administratives et les juger illégalement dans des affaires montées de toutes pièces, en les accusant de sabotage, d’extrémisme ou de terrorisme.
51. En agissant ainsi, les autorités russes veulent éviter de reconnaître les crimes qu’elles ont commis contre des journalistes. Il n’y a pas de mécanisme pour libérer les personnes civiles, contrairement à ce qui existe pour les prisonniers de guerre.
52. La Fédération de Russie s’est emparée des bureaux des médias ukrainiens dans les territoires occupés afin de diffuser délibérément sa propagande agressive dans ces régions. Certains médias ont par ailleurs été contraints de fermer en raison des menaces proférées ouvertement par les forces russes, de l’impossibilité de travailler sous l’occupation temporaire, des dégâts subis par leurs bureaux et de la crise financière provoquée par la guerre menée par la Russie. En outre, l’IMI a recensé des cas de journalistes capturés et emmenés par les forces russes. Au moins 100 journalistes de médias régionaux et nationaux ont été détenus par la Russie depuis le début de la guerre russo-ukrainienne en 2014.
53. Selon Reporters sans frontières 
			(19) 
			<a href='https://www.youtube.com/watch?v=IOagLtep4mg'>Reporters
without borders, «Declared dead by Russia, the brutal reality of
Victoria Roshchyna’s last months in captivity»</a>., dans les territoires occupés, tous les professionnels ukrainiens de l’information qui travaillent sur place et refusent de collaborer avec les forces d’occupation russes sont arrêtés. Les forces d’occupation russes se rendent à leur domicile et les arrêtent au milieu de la nuit. Du jour au lendemain, leurs familles n’ont plus de nouvelles et ignorent où leurs proches sont détenus. Le travail des familles pour les identifier et les localiser est long et difficile.
54. À ce jour, au moins 26 personnes civiles ukrainiennes travaillant dans le journalisme sont détenues illégalement par la Russie, dans des conditions épouvantables, au seul motif qu’elles ont documenté la vérité, qui est une tâche essentielle. Il s’agit de journalistes de la Crimée occupée et, depuis le début de l’invasion à grande échelle en 2022, de journalistes de certaines parties de l’oblast de Zaporijjia, de la ville de Kyiv et également de l’oblast de Kyiv. Ces personnes sont victimes de mauvais traitements et de tortures, sans pouvoir bénéficier de soins médicaux. Elles ne peuvent avoir de contact ni avec leur famille ni avec leur avocat. Leurs proches vivent dans la peur et l’incertitude. Ces journalistes sont privés d’une procédure régulière, d’une aide juridique et d’une assistance humanitaire de base, ce qui constitue une autre violation de leurs droits humains fondamentaux.
55. Un rapport publié en 2024 sur le refus de procès équitables en Russie a fourni des données suggérant que les violations des garanties fondamentales d’indépendance et d’impartialité du pouvoir judiciaire ne sont peut-être pas de simples faiblesses procédurales, mais plutôt le reflet d’une volonté délibérée d’orienter le système judiciaire au service d’intérêts politiques, éventuellement en sapant les droits des personnes qui contestent ou contredisent les objectifs politiques dominants 
			(20) 
			Iryna
Marchuk, Sergiu Ostaf, Daria Svyrydova et Maksym Tymochko, «Denying
a fair trial as an atrocity crime during Russia’s war against Ukraine:
context, practice, law and perspectives» (2024).. Les procès sont utilisés comme un instrument de persécution contre les opposants réels ou supposés au régime russe. Les prisonniers de guerre ukrainiens sont soumis à des simulacres de procès particulièrement sévères, sont souvent présentés comme de «dangereux nazis» ou «terroristes» à la population russe, et sont faussement accusés de crimes de guerre ou d’autres crimes graves au regard du droit pénal russe, afin d’influencer l’opinion publique russe en faveur de l’«opération militaire spéciale». Les victimes ne peuvent se prévaloir des protections offertes par le droit international humanitaire, car elles sont jugées pour des infractions de droit commun en vertu du droit pénal russe. Il règne un déni de justice systématique du fait de la détérioration du système judiciaire et des lois russes. Le rapport conclut en exhortant la CPI à reconnaître le caractère odieux du crime de déni de procès équitable et à accorder à l’enquête sur ce crime la même priorité qu’à celle concernant les crimes commis dans les lieux de détention illégale et de torture.

4.2. Exemples de journalistes décédés ou portés disparus

56. Le photojournaliste ukrainien Maks Levin couvrait l’invasion russe et les combats entre les forces russes et ukrainiennes dans l’oblast de Kyiv lorsqu’il a disparu le 13 mars 2022. Les preuves collectées par l’organisation internationale Reporters sans frontières 
			(21) 
			<a href='https://rsf.org/en/exclusive-rsf-investigation-death-maks-levin-information-and-evidence-collected-indicates'>Enquête
exclusive de RSF sur la mort de Maks Levin: «Information and evidence
collected indicates this Ukrainian journalist was executed».</a> montrent qu’il a été exécuté de sang-froid par les troupes russes le jour de sa disparition, peut-être après avoir été interrogé et torturé. Son corps et sa voiture ont été retrouvés le 1er avril 2022, dans une forêt au nord de Kyiv, qui était un champ de bataille à l’époque.
57. Le cas de Victoria Roshchyna est emblématique. Mme Roshchyna était une journaliste ukrainienne qui est décédée après avoir passé plus d’un an en détention en Russie. Les forces russes l’ont arrêtée en août 2023 sans chef d’accusation dans les territoires temporairement occupés de l’Ukraine, où elle faisait son métier de journaliste et prévoyait de raconter la vie de la population sous l’occupation. Victoria Roshchyna a d’abord été détenue dans des prisons russes pratiquant la torture, dans la partie occupée de l’oblast de Zaporijjia, avant d’être transférée dans la prison no 2 à Taganrog, dans la région de Rostov, en Russie. En octobre 2024, le ministère russe de la Défense a écrit au père de Victoria Roshchyna, Volodymyr Roshchyn, pour l’informer de la mort de sa fille en détention.
58. Un documentaire de Reporters sans frontières enquêtant sur le cas de Mme Roschchyna 
			(22) 
			<a href='https://www.youtube.com/watch?v=QDhpTD28OwE'>«What happened
to journalist Victoria Roshchyna in captivity? Victoria's last task»</a>. est sorti en mars 2025. Il montre qu’elle a été brutalement torturée: son corps présentait des coups de couteau, elle avait été électrocutée et pesait moins de 30 kilos; lorsqu’une équipe d’inspection s’est rendue à la prison, les surveillants ont caché Victoria Roshchyna dans une pièce fermée, à un autre étage. Mme Roshchyna a été vue pour la dernière fois le 8 septembre 2024, alors qu’elle était extraite de sa cellule et emmenée dans un lieu inconnu. Selon une enquête menée par Forbidden Stories 
			(23) 
			<a href='https://forbiddenstories.org/russia-detainees-investigation-viktoriia-roshchyna/'>«Russia’s
‘Ghost Detainees’: The Investigation That Cost Viktoriia Roshchyna
Her Life</a>»., la dépouille de Mme Roshchyna faisait partie des 757 cadavres rapatriés de Russie en Ukraine en février 2025. Dans une lettre adressée à Forbidden Stories, des procureurs ukrainiens ont indiqué que les analyses médico-légales «révélaient de nombreux signes de torture et de mauvais traitements sur le corps de la victime, notamment des abrasions et des hémorragies sur différentes parties du corps, une côte cassée, des blessures au cou et des traces possibles de choc électrique sur les pieds». De plus, le corps de Mme Roshchyna avait été restitué en mauvais état (il avait été congelé et était en état de momification) et présentait «des signes d’une autopsie pratiquée avant son retour en Ukraine». Certains organes manquaient – notamment au niveau du cerveau, du larynx et des globes oculaires – qui pourraient avoir été prélevés pour dissimuler les causes de sa mort.
59. Le Département principal des enquêtes du Service de sécurité d’Ukraine mène actuellement une enquête préliminaire sur l’emprisonnement illégal de Mme Roshchyna et sur sa mort. Une analyse génétique a été ordonnée pour identifier son corps et confirmer qu’il s’agit bien d’elle. Des prélèvements ADN ont été effectués sur les deux parents de la victime et ont permis de conclure avec une probabilité de plus de 99 % que le corps appartenait à Mme Roshchyna.
60. En outre, en février 2025, un examen médico-légal a été ordonné pour déterminer la cause de son décès, recenser les blessures qu’elle a subies et en préciser la nature. D’après les résultats de l’examen et compte tenu de l’état du corps, il n’a pas été possible, dans un premier temps, de déterminer la cause du décès. D’autres échantillons ont donc été prélevés et un examen médico-légal supplémentaire, avec l’aide d’experts français, est en cours afin de déterminer la cause du décès et la nature des blessures. Des forces de l’ordre ukrainiennes mènent actuellement une enquête afin d’établir toutes les circonstances entourant la privation de liberté de Mme Roshchyna, son décès et les actes de torture commis contre elle.
61. Le 1er août 2025, le Président de l’Ukraine a décerné à Victoria Roshchyna, par décret présidentiel 
			(24) 
			<a href='https://www.president.gov.ua/documents/5692025-56001'>УКАЗ
ПРЕЗИДЕНТА УКРАЇНИ №569/2025</a>., l’Ordre de la liberté à titre posthume. Il s’agit d’une distinction d’État décernée pour des mérites exceptionnels et remarquables dans l’affirmation de la souveraineté et de l’indépendance de l’Ukraine et dans la défense des droits constitutionnels et des libertés des individus et des citoyens et citoyennes.
62. Dmytro Khyliuk est un exemple de journaliste civil porté disparu, qui a été capturé par les troupes russes en mars 2022 
			(25) 
			<a href='https://nuju.org.ua/unian-correspondent-dmytro-khyliuk-in-russian-captivity-for-3-years/'>«UNIAN
correspondent Dmytro Khyliuk in russian captivity for 3 years»</a>., alors que l’oblast de Kyiv était occupé, puis emmené sur le territoire de la Fédération de Russie. Les otages civils devraient être libérés en dehors des échanges de prisonniers de guerre, mais dans le cas de M. Khyliuk, la Fédération de Russie a tenté de le faire passer pour un combattant. Dmytro Khyliuk a été détenu dans une prison de la région de Vladimir, en Russie, et les autorités russes n’ont pas communiqué d’informations sur ses conditions de détention. Un autre prisonnier de guerre ukrainien, libéré l’année dernière et ayant partagé une cellule avec Dmytro Khyliuk pendant un an, a déclaré qu’il avait perdu beaucoup de poids et ne pesait «pas plus de 45 kilos» à l’époque. Il a également indiqué que le journaliste avait fait l’objet de mauvais traitements cruels. Une enquête de Reporters sans frontières 
			(26) 
			<a href='https://rsf.org/en/disappearance-ukrainian-journalist-dmytro-khyliuk-russia-investigation-state-lie'>«’Disappearance’
of Ukrainian journalist Dmytro Khyliuk in Russia: investigation
of a State lie</a>». a permis de retrouver la trace de M. Khyliuk au centre de détention préventive no 2 de Novozybkov, une petite ville du sud-ouest de la Russie, située à une cinquantaine de kilomètres de la frontière ukrainienne.
63. Le 24 août 2025, M. Khyliuk a été libéré dans le cadre d'un échange de prisonniers entre l'Ukraine et la Russie 
			(27) 
			<a href='https://rsf.org/en/ukrainian-journalists-dmytro-khyliuk-and-mark-kaliush-finally-free-after-over-two-years-kremlin'>«Ukrainian
journalists Dmytro Khyliuk and Mark Kaliush finally free after over
two years in Kremlin jails»</a>..

4.3. Témoignages de journalistes libérés

64. Comme mentionné précédemment, les enlèvements et les mauvais traitements infligés aux journalistes sont antérieurs à l’invasion à grande échelle de l’Ukraine en février 2022.
65. Par exemple, Stanislav Aseyev, l’un des rares journalistes indépendants à être resté dans la région du Donbass, dans l’est de l’Ukraine, après la prise de contrôle par les séparatistes, y a été détenu arbitrairement pendant deux ans et demi 
			(28) 
			<a href='https://rsf.org/en/stanislav-aseyev-first-month-detention-was-hardest'>Stanislav
Aseyev: «The first month in detention was the hardest»</a>.. Après son enlèvement par des séparatistes soutenus par la Russie le 2 juin 2017, M. Aseyev a été détenu à l’isolement pendant un mois et demi. Pendant cette période, il a été soumis à la torture. Il a ensuite été transféré à Isolatsia, un ancien centre d’art contemporain transformé en camp de concentration secret à Donetsk, où il a été contraint de faire des «aveux» publics à la télévision russe. Il a été condamné pour des chefs d’accusation d’espionnage et d’extrémisme, autrement dit pour le simple fait d’être un journaliste. Il a finalement été libéré lors d’un échange de prisonniers le 29 décembre 2019. Après son retour à Kyiv, M. Aseyev a collaboré avec le groupe de journalisme d’investigation Bellingcat pour localiser Denis Kulikovsky, le directeur d’Isolatsia, et a contribué à son arrestation à Kyiv en 2021. Début janvier 2024, M. Kulikovsky a été condamné à 15 ans de prison par un tribunal ukrainien pour «traitements cruels» 
			(29) 
			<a href='https://rsf.org/en/ukrainian-journalist-stanislav-aseyev-after-his-torturers-conviction-his-trial-greatest-success-my'>Ukrainian
journalist Stanislav Aseyev after his torturer's conviction: «His
trial is the greatest success of my life »</a>..
66. Maksym Butkevych, journaliste et défenseur des droits humains, est engagé depuis 15 ans en faveur des victimes de violations des droits humains, principalement les personnes réfugiées ou demandeuses d’asile. Cette activité l’a sensibilisé à la situation des droits humains en Russie, puisqu’il a travaillé avec des ressortissant·es russes qui avaient dû fuir leur pays, ainsi qu’avec des défenseur·es des droits humains qui y étaient restés. Après le début de l’invasion à grande échelle, il craignait que les droits humains soient anéantis et que tous les progrès réalisés en Ukraine en la matière soient effacés. Il a donc rejoint les Forces armées ukrainiennes, dans lesquelles il a exercé la fonction de commandant de peloton. Le 21 juin 2022, il a été capturé par les troupes russes dans la région de Louhansk, puis retenu en captivité par la Russie pendant plus de deux ans 
			(30) 
			Die
Zeit: <a href='https://www.zeit.de/politik/ausland/2024-12/maksym-butkevych-ukrainian-human-rights-activist-russian-prisoner-of-war-english/komplettansicht'>«And
yet he remained a human»</a>.. Après avoir appris son identité, les autorités russes ont monté de toutes pièces des accusations de crimes de guerre et l’ont torturé jusqu’à ce qu’il fasse de faux aveux, avant de le condamner à 13 ans de prison sans autre fondement que ces «aveux» forcés 
			(31) 
			Le Monde: <a href='https://www.lemonde.fr/en/international/article/2024/12/09/maksym-boutkevytch-s-two-years-of-captivity-and-interrogation-in-ukraine_6735669_4.html'>«Maksym
Butkevych's two years of captivity and interrogation in Ukraine»</a>.. Il a rencontré de nombreux prisonniers qui ont été soumis au même procédé. Le mode opératoire est le suivant: les Russes détruisent une ville avec de l’artillerie, puis attribuent la responsabilité des victimes civiles aux prisonniers de guerre ukrainiens. Il a pu constater de ses propres yeux comment le droit international humanitaire et le droit international relatif aux droits humains sont totalement bafoués par la Russie. Au cours des premiers mois, il a perdu 25 kilos. Il vivait dans une absence totale d’hygiène, n’a pas porté de chaussures pendant plusieurs mois et a été soumis à des coups, à des menaces de violence sexuelle et à des chocs électriques. La grande majorité des mauvais traitements infligés n’avaient pas pour but d’obtenir des informations importantes, mais de faire endurer des souffrances aux soldats ukrainiens au seul motif qu’ils maintenaient qu’ils étaient ukrainiens. Les agents de propagande russes leur disaient que la Russie allait bientôt l’emporter sur le champ de bataille, qu’elle avait l’armée la plus aguerrie d’Europe, voire d’Eurasie, et qu’elle ne s’arrêterait pas à l’Ukraine pour enseigner l’importance des valeurs traditionnelles. Malheureusement, outre les militaires prisonniers de guerre, il a rencontré des personnes civiles en détention, qui avaient été condamnées pour avoir coopéré avec l’Ukraine, et bon nombre d’entre elles ont été torturées et contraintes d’avouer des crimes qu’elles n’avaient jamais commis. La torture est un système organisé depuis le plus haut sommet; elle est encouragée. Des modifications du droit ont fait de ces personnes des traîtres à la Fédération de Russie. Un autre groupe de personnes civiles détenues était placé en «détention préventive», sans qu’elles ne soient accusées de quoi que ce soit, leur placement en détention pour une durée de trois mois étant prolongé à plusieurs reprises, sans qu’aucune information ne soit communiquée à leurs proches. Le nombre réel de personnes détenues dans ces conditions est inconnu, mais M. Butkevych estime que l’on compte davantage de personnes civiles détenues que de prisonniers de guerre, les tortures et les mauvais traitements étant tout aussi fréquents chez les civils que chez les militaires. Certains groupes sont spécifiquement visés, tels que les professionnels des médias, les journalistes et les militant·es du mouvement des Tatars de Crimée.

5. Procédures judiciaires

5.1. Cour européenne des droits de l’homme

67. Depuis le début de l’année 2014, la Cour européenne des droits de l’homme a reçu plusieurs requêtes interétatiques et des milliers de requêtes individuelles 
			(32) 
			<a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng-press'>HUDOC
– European Court of Human Rights</a>. concernant les conflits dans la République autonome de Crimée, dans la ville de Sébastopol et dans l’est de l’Ukraine, ainsi que concernant les opérations militaires de la Fédération de Russie sur le territoire de l’Ukraine.
68. Dans Ukraine c. Russie (Crimée), la Cour a estimé le 25 juin 2024 que les autorités russes étaient responsables de «pratiques administratives» constitutives de nombreuses violations de la Convention européenne des droits de l’homme , dont les violations des articles suivants:
  • Article 2: disparitions forcées et défaut d’enquêtes effectives à leur sujet;
  • Article 3: mauvais traitements infligés à des soldats ukrainiens, à des personnes d’origine ethnique ukrainienne, à des Tatars de Crimée et à des journalistes; conditions dégradantes de détention à la maison d’arrêt de Simferopol (SIZO) résultant de défaillances générales dans l’organisation et le fonctionnement du système pénitentiaire criméen; mauvais traitements infligés à des «prisonniers politiques ukrainiens» en Crimée et en Fédération de Russie et défaut d’enquêtes effectives à leur sujet;
  • Article 5: détention au secret non reconnue de soldats ukrainiens, de personnes d’origine ethnique ukrainienne, de Tatars de Crimée et de journalistes;
  • Article 10: répression illégale contre des médias non russes, y compris par la fermeture de chaînes de télévision ukrainiennes et tatares de Crimée; privation de liberté, inculpation et/ou condamnation irrégulières de «prisonniers politiques ukrainiens» en Crimée pour avoir exercé leur liberté d’expression;
  • Article 18 (combiné avec les articles 5, 6, 8, 10 et 11): restriction en cours des droits des «prisonniers politiques ukrainiens» dans un but inavoué non prévu par la Convention.
69. Concernant cet arrêt, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, dans son rôle de surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour, a déclaré dans sa décision du 6 mars 2025 que les autorités russes devaient rétablir immédiatement l’application du droit ukrainien en Crimée, cesser toutes les pratiques administratives jugées contraires à la Convention par la Cour et libérer tous les prisonniers politiques ukrainiens dont les droits humains ont été restreints par ces pratiques en Crimée, ainsi que libérer tous les soldats ukrainiens, les Ukrainien·nes de souche, les Tatars de Crimée et les journalistes illégalement détenus. En outre, le Comité des Ministres a invité les autorités des États membres à explorer tous les moyens possibles pour assurer l’exécution de cet arrêt, afin de faire en sorte que les auteurs des graves violations du droit international qui y ont été établies, répondent de leurs actes.
70. Le 9 juillet 2025, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a rendu un arrêt dans quatre affaires interétatiques opposant l’Ukraine à la Fédération de Russie. Dans son arrêt, la Cour a notamment estimé que plusieurs éléments étaient contraires à l’article 10 de la Convention, notamment: la pratique administrative d’ingérence injustifiée dans l’exercice de la liberté de recevoir ou de communiquer des informations et des idées, dans le territoire occupé en Ukraine; les cas de journalistes victimes d’intimidations, de détention, de mauvais traitements et d’homicide; les blocages et les refus d’enregistrement et d’accréditation de médias et de journalistes; l’application de prétendues lois interdisant et sanctionnant la diffusion d’informations favorables à l’Ukraine, y compris sur les réseaux sociaux; l’application de lois relatives au terrorisme et à l’extrémisme à des cas relevant de la liberté d’expression et à des reportages de médias indépendants; les effets excessifs et arbitraires des mesures de blocage de l’accès aux sites internet et aux radiodiffuseurs dans le territoire occupé. Elle a conclu que la Fédération de Russie était responsable de ces violations graves. Un suivi des mesures de mise en œuvre sera donné à l’arrêt lors de la réunion «Droits humains» de septembre 2025 du Comité des Ministres. Plus particulièrement, dans le dispositif de l’arrêt, la Cour a demandé à la Fédération de Russie «de libérer [sans délai] ou [de] renvoyer en toute sécurité toutes les personnes qui, sur le territoire ukrainien occupé par les forces russes ou sous contrôle russe, étaient privées de liberté en violation de l’article 5 de la Convention avant le 16 septembre 2022 et qui sont toujours détenues par les autorités russes».

5.2. Cour pénale internationale

71. À ce jour, RSF a déposé neuf plaintes auprès de la CPI, notamment au sujet des frappes russes sur quatre tours de radio et de télévision en Ukraine, des journalistes ou des équipes de journalistes qui ont été délibérément pris pour cible par les forces russes ou qui ont été victimes de bombardements indiscriminés, d’un fixeur ukrainien détenu pendant neuf jours et torturé par les forces russes et de l’assassinat du coordinateur vidéo de l’Agence France-Presse, Arman Soldin, et du journaliste ukrainien, Bohdan Bitik.
72. Ces plaintes de RSF ont donné lieu ou ont contribué à 14 enquêtes du parquet ukrainien sur des crimes contre des journalistes.
73. En février 2025, RSF a déposé sa neuvième plainte contre la Russie auprès de la CPI et de la justice ukrainienne concernant l’arrestation arbitraire et la déportation par la Fédération de Russie d’au moins 19 journalistes ukrainiens vers son territoire ou d’autres zones occupées en Ukraine.
74. RSF a également déposé deux plaintes pénales en France. Au total, l’organisation a recensé 53 événements pouvant être qualifiés de crimes de guerre, dont ont été victimes 121 journalistes, ainsi que le ciblage de 14 tours de télévision et infrastructures de médias.

5.3. Tribunaux ukrainiens

75. Depuis le début de l’invasion à grande échelle lancée par la Russie, des enquêtes préliminaires ont été menées en Ukraine dans le cadre de 122 procédures pénales liées à des crimes de guerre commis contre des journalistes pendant le conflit armé.
76. Les faits suivants ont été établis à ce jour:
  • 65 journalistes ont été tués, dont huit étrangers;
  • 46 journalistes ont été blessés, dont 25 internationaux;
  • 18 personnes ont été détenues ou emprisonnées illégalement;
  • 2 journalistes sont en captivité et 1 est porté disparu.
77. L’enquête préliminaire a donné les résultats suivants:
  • 16 personnes au total ont reçu des avis de suspicion dans le cadre de huit procédures pénales;
  • 5 actes d’accusation visant 11 personnes ont été transmis à la justice: 3 personnes ont été condamnées: 1 à neuf ans et 2 à douze ans d’emprisonnement; quant aux autres personnes, le procès est en cours.
78. Outre l’affaire Victoria Roshchyna, décrite plus haut, les paragraphes suivants présentent plusieurs exemples de procédures pénales engagées par la justice ukrainienne.
79. Le 12 mars 2025, le journaliste Oleh Baturin a été arrêté après avoir été dénoncé pour ses positions pro-ukrainiennes et ses activités journalistiques. Il a été détenu pendant un certain temps au commissariat de police du district de Kakhovka. Lors de son interrogatoire, on a menacé de le mutiler et de le tuer, puis pendant six jours, il a été menotté à un tuyau de sa cellule, où il devait rester debout en permanence. Il a ensuite été conduit aux bureaux de l’administration régionale de Kherson, où il a été interrogé sans subir de torture, puis transféré à la prison de Kherson. Il a été libéré le 25 mars 2022. Le 27 mars 2024, le tribunal du district Suvorovsky d’Odessa a condamné les accusés, deux représentants des forces d’occupation de la Fédération de Russie, à 12 ans de prison.
80. En juillet 2022, une journaliste de la chaîne de télévision «Ukraine», A. Slobodian, a été arrêtée pour avoir réalisé des reportages vidéo sur la situation à Kherson. Elle n’a pas été torturée, mais a été détenue du 5 juillet au 5 août 2022 dans le centre de détention temporaire de Kherson, où les conditions étaient inhumaines. Un procès est en cours.
81. Dans la nuit du 24 au 25 août 2024, un missile a frappé un hôtel à Kramatorsk où séjournaient des journalistes de l’agence Reuters, tuant l’un d’eux et en blessant cinq autres. Cet établissement, le seul de la ville à ne pas fonctionner régulièrement, n’ouvrait ses portes qu’après accord préalable avec son propriétaire et accueillait fréquemment des journalistes de divers médias. Selon les enquêteurs, les Forces armées russes auraient été informées de son emplacement; le principal suspect est un colonel général de l’armée russe. Une enquête est en cours.
82. En 2022, le réalisateur lituanien Mantas Kvedaravičius travaillait sur un film consacré à Marioupol. Officiellement présent dans la ville pour une mission humanitaire, il a tenté de la quitter à la fin du mois de mars, figurant sur la liste des personnes à évacuer. Le 28 mars 2022, lui et un autre homme (présents sur le territoire occupé) ont été arrêtés. Mantas Kvedaravičius était soupçonné d’être un observateur ou un membre d’un groupe de sabotage ukrainien. Il n’a pas été libéré et, le 1er avril 2022, son corps a été remis à sa compagne: il avait été exécuté et son corps présentait des ecchymoses. Les suspects appartiennent à des groupes armés illégaux de la Fédération de Russie. Une enquête conjointe avec la Lituanie est en cours et ces suspicions ont été rendues publiques le 20 février 2024.
83. Le 13 mars 2022, entre 12 h et 13 h, près du centre commercial Zhyraf à Irpin (district de Bucha, région de Kyiv), des militaires russes ont ouvert le feu sur une voiture transportant plusieurs personnes, entraînant la mort du journaliste du New York Times, Brent Reno. Une enquête est menée par la police nationale, le service de sécurité d’Ukraine et le bureau du procureur général.
84. Le 19 septembre 2022, une journaliste locale et rédactrice en chef du journal Kakhovska Zoria, Zh. Kyselyova, a été arrêtée à la suite d’une perquisition de son appartement. Elle a été conduite au commissariat de police de Novokakhovka, où elle a été interrogée, a été mise en garde et a été soumise à des pressions visant à la faire coopérer avec les autorités d’occupation, qui ont menacé d’emprisonner son fils mineur. Elle a été détenue au poste de police jusqu’au 1er octobre 2022, date à laquelle elle a été libérée. Une enquête préliminaire est en cours.
85. Le 27 juin 2024, des représentants de l’administration ou de l’armée russe se sont à nouveau rendus au domicile de Mme Kiselyova. Ils l’ont ligotée, lui ont mis un sac sur la tête et l’ont emmenée vers un lieu inconnu. Elle a été conduite dans une maison privée qu’elle ne connaissait pas, où elle a été interrogée sur ses positions pro-ukrainiennes, ses activités journalistiques, sa coopération avec les forces armées, le SBU, etc. Elle a également été interrogée sur des militant·es locaux, dont Oleh Baturin. Le lendemain, elle a probablement été emmenée jusqu’à la périphérie de Genichesk, où elle a été enfermée dans le sous-sol d’un petit hôtel. Elle y a été torturée, frappée sur tout le corps, électrocutée et accusée de subversion. Le 31 juillet 2024, elle a été libérée. Une enquête préliminaire est en cours.
86. Alors qu’elle travaillait dans les environs de Kyiv, K. Tolstyakova, une journaliste de Radio Liberty, a découvert des documents appartenant à des militaires russes. Elle a ensuite échangé des messages via WhatsApp et Telegram pour déterminer où ils se trouvaient. En réponse, un militaire russe a commencé à la menacer de mort par l’intermédiaire d’applications de messagerie. Le 26 septembre 2022, le tribunal du district de Solomianskyi à Kyiv a condamné ce militaire à neuf ans de prison.
87. Les forces de l’ordre ukrainiennes coopèrent avec la CPI depuis le début de l’invasion. Le bureau du procureur général répond aux demandes de la CPI conformément au droit international et national.

6. Récapitulatif

88. Depuis le début de sa guerre d’agression à grande échelle en février 2022, la Fédération de Russie a commis plus de 800 crimes contre des médias et des professionnels des médias.
89. Cette guerre est aussi une guerre contre la vérité et, à ce titre, les médias et les journalistes libres sont traités comme des ennemis par l’agresseur.
90. Les récents échanges de prisonniers entre l’Ukraine et la Fédération de Russie prouvent une fois de plus que le processus de libération des journalistes retenus en captivité en Russie présente certaines difficultés.
91. Nous savons toutes et tous que le régime russe actuel se moque du droit international. Par conséquent, le seul moyen de garantir la libération et le retour en Ukraine des journalistes qui ont été arrêtés et détenus illégalement est d’exercer une pression politique et diplomatique sur la Fédération de Russie. Il importe aussi de renforcer de manière continue et soutenue la pression exercée au moyen de sanctions et de mécanismes destinés à amener les responsables à répondre de leurs actes.
92. Tous les États membres du Conseil de l’Europe doivent assumer ce rôle. Il s’agit d’une obligation découlant à la fois du Statut du Conseil de l’Europe (STE n° 1) et de la Déclaration de Reykjavík.
93. En outre, je pense que les organisations internationales dont la Fédération de Russie est membre, en particulier les Nations Unies et l’OSCE, ainsi que le CICR, en tant qu’organisation internationale non gouvernementale, pourraient jouer un rôle important à cet égard.
94. S’agissant du Conseil de l’Europe, sa campagne pour la sécurité des journalistes, «Les journalistes comptent», pourrait être utilisée plus largement pour mettre en lumière la situation des journalistes ukrainiens détenus illégalement en Fédération de Russie, et cette action de sensibilisation pourrait être renforcée par les associations internationales et locales de journalistes. La Plateforme sur la sécurité des journalistes devrait participer à la documentation des cas de violations graves du droit international des droits humains par les autorités russes.
95. Je souhaiterais également encourager les parlementaires à travailler avec leur gouvernement pour soutenir les journalistes. Une aide financière serait également utile à cet effet, car la situation des médias ukrainiens sur le plan financier a été extrêmement fragilisée. L’Union européenne fait sa part, avec un nouveau programme de subventions de 10 millions d’euros 
			(33) 
			<a href='https://www.eeas.europa.eu/delegations/ukraine/eu-boosts-support-independent-media-ukraine-additional-%E2%82%AC10-million_en'>«EU
Boosts Support for Independent Media in Ukraine with an Additional
€10 Million»</a>., et les États membres pourraient faire de même pour aider les médias libres à survivre en temps de guerre. En outre, des mesures devraient être prises pour favoriser l’intégration des journalistes ukrainiens déplacés à l’extérieur de leur pays, afin qu’ils et elles puissent relayer des informations sur leur pays et sur la guerre d’agression dans les médias nationaux des États membres qui les ont accueillis.
96. Il est important de ne pas garder le silence. J’aimerais à cet égard citer l’exemple de Nariman Dzhelyal, premier vice-président du Mejlis du peuple tatar de Crimée, ancien prisonnier politique et journaliste, qui a probablement été l’un des premiers civils en captivité à être libéré. Il savait que l’Assemblée avait évoqué sa situation et demandé sa libération, et ce fut important pour lui, à son retour, de voir qu’il n’avait pas été oublié.
97. Pour ce qui est du devoir de mémoire, je voudrais saluer et soutenir la proposition du Président de l’Assemblée, M. Theodoros Rousopoulos, visant à instaurer une commémoration «Victoire pour Victoria» 
			(34) 
			Cette
proposition a été formulée le 3 juin 2025 lors de la réunion de
la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des
médias à Trondheim (Norvège)., en l’honneur des correspondant·es de guerre et des journalistes qui risquent (et souvent perdent) la vie dans l’exercice de leurs fonctions en défendant le droit à l’information et à la vérité dans les zones de conflit. M. Rousopoulos a proposé que cette commémoration, qui pourrait être célébrée lors de la partie de session d'automne de l'Assemblée, soit nommée en mémoire de Victoria Roshchyna, bien que son histoire ne soit pas isolée; en effet, chaque année, des dizaines de journalistes sont tués, emprisonnés ou disparaissent de force dans des zones de guerre.
98. Les objectifs de cette commémoration seraient les suivants:
  • commémorer les journalistes tués ou disparus lors de conflits, en particulier celles et ceux qui ont couvert des crimes de guerre ou ont défendu les droits humains;
  • promouvoir la liberté d’expression, l’indépendance des médias et la protection des journalistes, telles qu’elles sont inscrites dans la Convention européenne des droits de l’homme et les normes du Conseil de l’Europe;
  • soutenir les initiatives du Conseil de l’Europe telles que la Plateforme pour la protection du journalisme et la sécurité des journalistes.
99. La commémoration «Victoire pour Victoria» pourrait être marquée, par exemple, par des résolutions spécifiques de l'Assemblée, une minute de silence pendant la partie de session d’automne de l’Assemblée (Victoria est née en octobre 1996 et a été tuée en septembre 2024), des événements parallèles ou des auditions de commissions en coopération avec des organisations de journalisme de toute l’Europe.
100. Sur la base de ces conclusions, je propose une série de mesures concrètes dans le projet de résolution.