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A. Projet de
résolution
(open)
Rapport | Doc. 16237 | 05 septembre 2025
Les journalistes comptent: l’intensification des initiatives en faveur de la libération des journalistes ukrainiens retenus en captivité par la Fédération de Russie s’impose
Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias
A. Projet de
résolution 
(open)1. L’Assemblée parlementaire déplore
les conditions difficiles dans lesquelles les journalistes et les professionnels
des médias travaillent en temps de guerre. Trop souvent, ces personnes
doivent faire de grands sacrifices et risquent leur vie pour nous
fournir des informations fiables en période de conflit.
2. La guerre d’agression en cours contre l’Ukraine illustre de
manière frappante à la fois l’importance et la difficulté de leur
mission.
3. Depuis le début de la guerre d’agression à grande échelle
en février 2022, plus de 800 crimes commis par la Fédération de
Russie contre des médias et des personnels des médias ont été enregistrés.
Depuis le 24 février 2022, la Russie a tué 108 professionnels des
médias: 12 personnes ont perdu la vie alors qu’elles étaient en
reportage, tandis que 96 autres sont mortes au combat ou ont été
tuées par des bombardements russes ou à la suite d’actes de tortures.
Malgré le port visible du signe «PRESS», les journalistes sont parfois délibérément
visés par des tirs militaires. Les journalistes d’investigation
sont de plus en plus la cible d’attaques, tant physiques qu’en ligne.
Les cyberattaques, les atteintes au secret des sources et les restrictions à
l’accès à l’information sont également des sujets préoccupants.
4. La Fédération de Russie a pris pour cible des infrastructures
de médias, frappant des tours de télévision dans au moins neuf régions
ukrainiennes et causant des dommages importants aux bâtiments abritant
les bureaux de rédaction de la société publique ukrainienne de radiodiffusion
à l’étranger, de Channel 5 et d’autres médias.
5. Cette situation n’a rien de surprenant, car la guerre d’agression
russe contre l’Ukraine est aussi une guerre contre la vérité et,
à ce titre, les médias et les journalistes libres sont considérés
comme des ennemis par l’État agresseur, qui s’efforce de cacher
au monde les atrocités qu’il commet.
6. Au moins 26 professionnels des médias et journalistes sont
illégalement privés de liberté et détenus en tant que civils en
Fédération de Russie et dans les territoires ukrainiens temporairement
occupés. Ils et elles font face à des accusations criminelles forgées
de toutes pièces et sont exposés à des violations des droits fondamentaux,
à des actes de torture et même à la mort. On ignore toujours où
se trouvent plusieurs journalistes ukrainiens; or, selon les circonstances,
leur disparition pourrait constituer des cas de disparition forcée
au regard du droit international. Le fait que le nombre de victimes
parmi les journalistes ne cesse d’augmenter est particulièrement
préoccupant.
7. L’enlèvement systématique et les mauvais traitements infligés
aux journalistes professionnels et citoyens ont commencé avec l’occupation
de la Crimée par la Fédération de Russie en 2014; certains de ces journalistes
sont en captivité en Russie depuis près de dix ans.
8. L’Assemblée rappelle que la Fédération de Russie est liée
par les obligations qui lui incombent en vertu du droit international
humanitaire et du droit international des droits humains. Les journalistes
travaillant dans des zones de conflit armé sont des civils et sont
à ce titre protégés par le droit international humanitaire, à condition
de n’entreprendre aucune action qui porte atteinte à leur statut
de personnes civiles.
9. L’Assemblée souligne que l’établissement d’une paix durable
et juste en Ukraine doit intégrer une composante humanitaire, notamment
la libération inconditionnelle de toutes les personnes civiles en
captivité.
10. Compte tenu du mépris du régime russe actuel à l’égard du
droit international, le seul moyen actuellement disponible pour
garantir la libération et le retour en Ukraine des journalistes
illégalement détenus consiste à exercer toutes les pressions politiques,
économiques et diplomatiques sur la Fédération de Russie.
11. Il s’agit d’un rôle essentiel que tous les États membres du
Conseil de l’Europe peuvent et doivent jouer. En outre, le Comité
international de la Croix-Rouge (CICR) et les organisations internationales
dont la Fédération de Russie est membre, en particulier les Nations
Unies et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe
(OSCE), peuvent jouer un rôle important à cet égard.
12. La campagne du Conseil de l’Europe pour la sécurité des journalistes
intitulée «Les journalistes comptent» devrait mettre en lumière
la situation des journalistes ukrainiens détenus illégalement par
la Fédération de Russie, et cette action de sensibilisation pourrait
être renforcée par les associations internationales et locales de
journalistes. En outre, la Plateforme du Conseil de l’Europe pour
renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes
pourrait faire pression sur les autorités russes en collectant et
en vérifiant les alertes sur les menaces graves, en exigeant des
réponses officielles et en les relayant au public.
13. Les personnes responsables de crimes contre des journalistes
doivent rendre des comptes. L’Assemblée est particulièrement horrifiée
par le sort de Victoria Roshchyna, journaliste ukrainienne torturée et
décédée dans des circonstances indescriptibles, après avoir passé
plus d’un an en détention en Russie.
14. L’Assemblée se félicite de la récente libération de trois
journalistes ukrainiens: Vladyslav Yesypenko, illégalement détenu
par la Fédération de Russie depuis mars 2021, après avoir été enlevé
en Crimée; Dmytro Khyliuk, arrêté à Kozarovychi, région de Kyiv
en mars 2022; et Mark Kaliush, arrêté à Melitopol, région de Zaporijjia
en août 2023. Leur retour chez eux rappelle avec force l’importance
de la pression internationale sur les régimes autoritaires afin
qu’ils respectent les droits fondamentaux des civils, y compris
des journalistes. L’Assemblée exprime son soutien le plus sincère
à ces journalistes ainsi qu’à tous les autres journalistes détenus
illégalement qui continuent de subir une détention illégale.
15. Enfin, l’Assemblée insiste sur la nécessité d’accorder des
réparations aux victimes des crimes commis par la Fédération de
Russie, en particulier ceux qui concernent les journalistes et les
infrastructures des médias.
16. Au vu de ces considérations, l’Assemblée appelle la Fédération
de Russie:
16.1. à mettre immédiatement
un terme à toutes les violations du droit international visant le
personnel et les infrastructures des médias;
16.2. à libérer immédiatement l’ensemble des journalistes détenus
en violation du droit international, notamment les personnes suivantes
(la liste qui suit précise leur nom, ainsi que le lieu et la date
de leur arrestation):
- Oleksii Bessarabov, Sébastopol, Crimée, 09/11/2016;
- Dmytro Shtyblikov, Sébastopol, Crimée, 09/11/2016;
- Ernes Ametov, Bakhtchissaraï, Crimée, 11/10/2017;
- Marlen Asanov, Bakhtchissaraï, Crimée, 11/10/2017;
- Tymur Ibrahimov, Bakhtchissaraï, Crimée, 11/10/2017;
- Seiran Saliev, Bakhtchissaraï, Crimée, 11/10/2017;
- Server Mustafaiev, Bakhtchissaraï, Crimée, 21/05/2018;
- Rustem Sheikhaliev, Simferopol, Crimée, 27/03/2019;
- Ruslan Suleimanov, Simferopol, Crimée, 27/03/2019;
- Osman Arifmemetov, Rostov-sur-le-Don, Russie, 28/03/2019;
- Remzi Bekirov, Rostov-sur-le-Don, Russie, 28/03/2019;
- Amet Suleimanov, Bakhtchissaraï, Crimée, 11/03/2020;
- Asan Akhtemov, Simferopol, Crimée, 04/09/2021;
- Iryna Danylovych, Koktebel, Crimée, 29/04/2022;
- Yevheniy Ilchenko, Melitopol, région de Zaporijjia, 10/07/2022;
- Vilen Temerianov, Vil’ne, Crimée, 11/08/2022;
- Iryna Levchenko, Melitopol, région de Zaporijjia, 06/05/2023;
- Vladyslav Hershon, Melitopol, région de Zaporijjia, 20/08/2023;
- Anastasia Hlukhovska, Melitopol, région de Zaporijjia, 20/08/2023;
- Heorhiy Levchenko, Melitopol, région de Zaporijjia, 20/08/2023;
- Oleksandr Malyshev, Melitopol, région de Zaporijjia, 20/08/2023;
- Maksym Rupchov, Melitopol, région de Zaporijjia, 20/08/2023;
- Yana Suvorova, Melitopol, région de Zaporijjia, 20/08/2023;
- Aziz Azizov, Bakhtchissaraï, Crimée, 05/03/2024;
- Rustem Osmanov, Bakhtchissaraï, Crimée, 05/03/2024;
- Hennadiy Osmak, Henichesk, région de Kherson, 11/03/2024;
16.3. à fournir aux organismes internationaux, ainsi qu’aux
familles, des informations précises et à jour sur la localisation
et l’état de santé de ces personnes détenues:
16.4. à garantir au CICR et/ou à d’autres organisations humanitaires
indépendantes un accès sans entrave à tous les lieux où sont détenus
des civils afin de contrôler les conditions de détention des journalistes
et leur état de santé;
16.5. à garantir à la Mission de surveillance des droits de
l’homme des Nations Unies en Ukraine un accès sans entrave à ces
personnes détenues dans les territoires temporairement occupés de
l’Ukraine.
17. L’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe
à soutenir:
17.1. les activités du
Registre des dommages pour l’Ukraine,
17.2. l’établissement de la Commission d’indemnisation pour
l’Ukraine,
17.3. la mise en place et le fonctionnement du Tribunal spécial
pour le crime d’agression contre l’Ukraine,
17.4. les mécanismes visant à amener les responsables à répondre
de leurs actes, qui ont été mis en place sous l’égide du Conseil
de l’Europe, en s’attachant à répondre aux besoins des victimes
et des survivant·es, y compris des journalistes;
17.5. les actions visant à assurer l’exécution des arrêts de
la Cour européenne des droits de l’homme, notamment les arrêts rendus
dans les affaires interétatiques Ukraine
c. Russie;
17.6. les efforts visant à élaborer un nouveau protocole spécial
à la quatrième Convention de Genève et à promouvoir une résolution
de l'Assemblée générale des Nations unies reconnaissant le statut
des civils privés illégalement de leur liberté, y compris les journalistes
professionnels et citoyens, et établissant des procédures pour la
vérification, le retour, le suivi et la libération de ces civils
pendant les conflits armés.
18. L’Assemblée appelle la Cour pénale internationale, ou les
États membres en vertu du principe de compétence universelle, à
poursuivre et à faire traduire en justice les responsables de la
Fédération de Russie impliqués dans la détention illégale, la torture,
les mauvais traitements, la disparition forcée ou le meurtre de journalistes
ukrainiens et la destruction d’infrastructures de médias.
19. L’Assemblée demande instamment aux États membres et à l’Union
européenne:
19.1. de renforcer leur
régime de sanctions et d’imposer des sanctions individuelles aux
auteurs de crimes contre des journalistes et des infrastructures
de médias. Les sanctions pourraient inclure des interdictions de
voyager, des sanctions financières, des gels des avoirs, des restrictions
à la participation à des forums multilatéraux, ainsi que des restrictions
en matière de visas pour les membres de la famille proche. Ces sanctions
devraient s’appliquer aux hauts responsables de l’armée et de la
sécurité de la Fédération de Russie qui, au vu de leurs fonctions,
avaient accès aux informations pertinentes et aux pouvoirs de décision
et n’ont pas empêché ou fait cesser ces violations, mais aussi aux
responsables de rang inférieur, dont les directeurs de centres de
détention et les gardiens qui ont pris part à ces violations. Ce
sont notamment:
19.1.1. les commandants
de groupes de troupes opérationnelles des Forces armées russes impliqués
dans l’agression contre l’Ukraine;
19.1.2. les chefs d’État-major et les chefs adjoints au sein de
ces dispositifs;
19.1.3. les commandants des forces de missiles, de drones (UAV)
et d’artillerie au niveau opérationnel ou au niveau du district
militaire;
19.1.4. les commandants des flottes (en particulier la flotte
de la mer Noire) opérant dans des zones où des frappes sur des infrastructures
civiles ont été enregistrées;
19.1.5. les responsables de l’État-major général et la direction
du service de renseignement militaire (GRU) impliqués dans la planification
opérationnelle et le ciblage;
19.1.6. les directeurs des centres de détention où des journalistes
et des civils ont été illégalement détenus et torturés;
19.1.7. la direction du service pénitentiaire fédéral du ministère
russe de la Justice;
19.1.8. les responsables supervisant le contrôle des médias et
la propagande dans les territoires occupés;
19.2. de soutenir financièrement les journalistes et les médias
libres ukrainiens, en vue de les aider à survivre en temps de guerre,
et d’encourager la participation des journalistes déplacés à l’extérieur
de leur pays aux activités de médias et de projets européens;
19.3. de sensibiliser au sort des journalistes ukrainiens, d’instaurer
des programmes de mentorat pour les personnes détenues et de leur
fournir un soutien par l’envoi de lettres à leurs lieux de détention.
20. L’Assemblée appelle les États membres et la Cour pénale internationale
à enquêter sur toute incitation à commettre des crimes de guerre,
des crimes contre l’humanité, et le génocide contre le peuple ukrainien
– y compris les discours de haine, la désinformation et la propagande,
notamment ceux qui visent à justifier l’agression illégale contre
l’Ukraine – et à poursuivre les responsables.
21. L’Assemblée appelle les États membres à soutenir le travail
des institutions nationales des droits de l’homme, y compris les
bureaux de l’Ombudsman, en matière de surveillance, de documentation
et de défense des droits et de la protection des journalistes pendant
les conflits armés, notamment par l’intermédiaire d’une assistance
technique et financière et d’une aide au renforcement des capacités.
22. Enfin, l’Assemblée décide d’instaurer une commémoration annuelle
lors de sa partie de session d’automne en l’honneur des correspondant·es
de guerre et des journalistes qui risquent (et souvent perdent) la
vie dans l’exercice de leurs fonctions en défendant le droit à l’information
dans les zones de conflit. Cette commémoration sera appelée «Victoire
pour Victoria» en mémoire de la journaliste ukrainienne Victoria Roshchyna.
B. Exposé des motifs par Mme Yevheniia Kravchuk, rapporteure
(open)1. Introduction
1. Le présent rapport fait suite
à la proposition de résolution intitulée «Les journalistes comptent: l’intensification
des initiatives en faveur de la libération des journalistes ukrainiens
retenus en captivité par la Fédération de Russie s’impose» (Doc. 16020). Ses signataires s’inquiètent du fait que les journalistes ukrainiens
sont de plus en plus pris pour cible par les envahisseurs russes
en raison de leurs activités professionnelles.
2. Depuis le début de la guerre d’agression à grande échelle
en février 2022, l’Institute
of Mass Information (IMI) – une organisation non gouvernementale ukrainienne
à but non lucratif, qui surveille l’évolution de la liberté d’expression
en Ukraine depuis plus de 20 ans – a consigné des faits prouvant
plus de 800 crimes commis par la Fédération de Russie contre des
médias et des professionnels des médias. Depuis le 24 février 2022,
la Russie a tué 108 professionnels des médias. Selon des données
datant du 9 mai 2025, douze personnes ont perdu la vie alors qu’elles
étaient en reportage tandis que 96 autres sont mortes au combat
ou ont été tuées par des bombardements russes ou à la suite d’actes
de torture
.

3. D’après le Centre
pour les libertés civiles de Kyiv, l’un des aspects les plus effroyables de cette guerre est
la disparition forcée de dizaines de milliers de civils sous l’occupation
russe. La Fédération de Russie est toujours liée par les obligations
qui lui incombent en vertu du droit international humanitaire et
du droit international des droits humains, notamment le devoir de
respecter et de protéger les journalistes civils qui ne participent
pas directement aux hostilités. La pratique systématique des disparitions
forcées constitue un crime contre l’humanité, comme le reconnaît
la Résolution
47/133 de l’Assemblée générale des Nations Unies intitulée «Déclaration sur la protection de toutes les
personnes contre les disparitions forcées». De plus, selon la Convention
des Nations Unies sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre
et des crimes contre l’humanité, aucune prescription ne s’applique aux crimes de guerre
et aux crimes contre l’humanité.
4. Les journalistes sont des civils et doivent être traités comme
tels. Pourtant, au moins 26 professionnels des médias et journalistes
sont illégalement privés de liberté et détenus en tant que civils
en Fédération de Russie
, sous le
coup d’accusations criminelles forgées de toutes pièces et exposés
à des violations des droits fondamentaux, à des actes de torture
et même à la mort. On ignore toujours où se trouvent plusieurs journalistes
ukrainiens. Malheureusement, le nombre de victimes parmi les journalistes
ne cesse d’augmenter.

5. Récemment, Reporters
sans frontières (RSF) a déposé sa neuvième
plainte contre la Russie auprès de la Cour pénale internationale
(CPI) et de la justice ukrainienne afin de lutter contre
l’impunité des personnes responsables de ces crimes de guerre. Les
plaintes antérieures de RSF ont donné lieu ou contribué à 14 enquêtes
du parquet ukrainien sur des crimes contre des journalistes.
6. La Cour européenne des droits de l’homme a récemment estimé
que de nombreuses pratiques administratives de la Fédération de
Russie sur le territoire ukrainien occupé étaient contraires à l’article 10
de la Convention
européenne des droits de l’homme (STE n° 5) et que la Russie «doit sans délai libérer ou renvoyer
en toute sécurité toutes les personnes qui, sur le territoire ukrainien
occupé par les forces russes ou sous contrôle russe, étaient privées
de liberté en violation de l’article 5 de la Convention avant le
16 septembre 2022 et qui sont toujours détenues par les autorités
russes» (voir chapitre 5.1).
7. Il est de la plus haute importance que les États membres intensifient
la pression politique et diplomatique sur la Fédération de Russie
afin d’assurer la libération et le retour en Ukraine des journalistes
qui ont été arrêtés et sont détenus illégalement. À cet égard, plus
récemment, le 9 juillet 2025, un rapport du Secrétaire Général
sur la situation des droits humains dans les territoires de l’Ukraine
temporairement contrôlés ou occupés par la Fédération de Russie a encouragé les organes compétents en matière de droits
humains, y compris le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil
de l’Europe, à donner la priorité aux victimes et à garantir et
promouvoir leurs droits, ainsi que leur indemnisation et leur réadaptation.
Ces efforts pourraient inclure des actions de la part d’organisations
internationales dont la Fédération de Russie est membre, notamment
les Nations Unies et l’Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe (OSCE), et le Comité international de la Croix-Rouge pourrait
également jouer un rôle à cet égard. En outre, «Les journalistes
comptent», la campagne du Conseil de l’Europe pour la sécurité des
journalistes, pourrait être utilisée plus largement pour mettre en
lumière la situation des journalistes ukrainiens détenus illégalement
en Fédération de Russie, une action de sensibilisation que les associations
internationales et locales de journalistes pourraient amplifier.
8. Le but du présent rapport est de sensibiliser au sort des
journalistes ukrainiens retenus en captivité en Fédération de Russie.
À cette fin, j’analyserai les instruments existants du Conseil de
l’Europe qui pourraient être utiles et j’explorerai les pistes que
les États membres pourraient suivre pour accroître la pression politique et
diplomatique sur la Fédération de Russie afin d’assurer la libération
et le retour en Ukraine des journalistes qui ont été capturés et
sont détenus illégalement. Ces efforts pourraient inclure des actions
de la part d’organisations internationales dont la Fédération de
Russie est membre, notamment les Nations Unies et l’OSCE. La participation
éventuelle du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) sera
également examinée.
9. Tout en mettant l'accent sur la situation difficile des journalistes,
le présent rapport devrait également servir à promouvoir des mesures
pour toutes les personnes civiles ukrainiennes qui sont détenues
et font face à une situation similaire, afin de veiller à ce qu’elles
ne soient pas oubliées et puissent retourner auprès de leurs familles
et de leurs proches.
10. Je prendrai en considération les points suivants:
- le droit international humanitaire relatif à la protection des journalistes en temps de guerre, y compris le cadre juridique non contraignant du Conseil de l’Europe;
- les violations concrètes du droit international humanitaire par la Fédération de Russie à l’égard des journalistes ukrainiens;
- les actions en justice portées devant la CPI;
- les enquêtes du parquet ukrainien sur les crimes contre des journalistes;
- les stratégies possibles pour intensifier la pression politique et diplomatique sur la Fédération de Russie afin de libérer les journalistes détenus;
- le rôle éventuel du Conseil de l’Europe et en particulier sa campagne pour la sécurité des journalistes intitulée «Les journalistes comptent»;
- le travail des associations locales de journalistes.
11. Les discussions lors de l’audition conjointe du 30 janvier
2025 sur «Les prisonniers de guerre ukrainiens, les journalistes
et autres civils retenus en captivité par la Fédération de Russie»
et les auditions du 10 avril 2025
et du 3 juin 2025
m’ont
permis de développer plus en détail mes propositions.



2. Droit international humanitaire relatif à la protection des journalistes
12. Conformément au droit international
humanitaire, il existe deux catégories de journalistes: 1) les correspondant·es
de guerre et 2) les autres journalistes, qui sont considérés comme
des personnes civiles, à condition de n’entreprendre aucune action
qui porte atteinte à ce statut.
13. Selon l’article 4.A.4 de la Convention
de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, les «correspondants de guerre» sont «les personnes
qui suivent les forces armées sans en faire directement partie […]
à condition qu’elles en aient reçu l’autorisation des forces armées
qu’elles accompagnent, celles-ci étant tenues de leur délivrer à
cet effet une carte d’identité semblable au modèle annexé».
14. Les prisonniers de guerre ne peuvent être poursuivis du fait
de leur participation directe aux hostilités et leur détention vise
à les empêcher de continuer de participer au conflit. Ils doivent
être libérés et rapatriés sans délai après la fin des hostilités.
La puissance détentrice peut les poursuivre en justice pour d’éventuels
crimes de guerre, mais non pour des actes de violence licites au
regard du droit international humanitaire. En tout état de cause,
les prisonniers de guerre doivent être traités avec humanité et
sont protégés contre tout acte de violence ainsi que contre l’intimidation,
les insultes et la curiosité publique. Il existe d’autres règles
concernant les conditions minimales acceptables de détention, notamment
celles qui concernent le logement, la nourriture, l’habillement,
l’hygiène et les soins de santé.
15. La Convention
relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre et en particulier l’article 79 du Protocole
additionnel aux Conventions de Genève relatif à la protection des
victimes des conflits armés internationaux (Protocole I) étend la protection du droit humanitaire aux journalistes
engagés dans des missions professionnelles périlleuses dans des
zones de conflit armé. Ces journalistes doivent être considérés comme
des personnes civiles au sens de l’article 50.1 du Protocole I.
Les journalistes, en tant que tels, bénéficient de la protection
des Conventions et du Protocole I, à condition de n’entreprendre
aucune action qui porte atteinte à leur statut de personnes civiles
et sans préjudice du droit des correspondant·es de guerre accrédités
auprès des forces armées de bénéficier du statut prévu par l’article 4.A.4
de la Troisième Convention. Ils peuvent obtenir une carte d’identité
qui atteste de leur statut de journaliste, conforme au modèle joint
à l’Annexe II du Protocole I. Cette carte est délivrée par le gouvernement
de l’État dont le ou la journaliste est un·e ressortissant·e ou
sur le territoire duquel il ou elle réside ou dans lequel se trouve
l’agence ou l’organe de presse qui l’emploie. Si d’impérieuses raisons
de sécurité le justifient, une partie à un conflit peut imposer
une résidence forcée à des civils ou procéder à leur internement,
mais ces mesures ne peuvent pas être utilisées comme sanction. Les
personnes internées doivent être libérées dès que les motifs ayant nécessité
leur internement cessent d’exister. Les règles du droit international
humanitaire qui régissent le traitement et les conditions de détention
des interné·es civils sont très similaires à celles qui s’appliquent
aux prisonniers de guerre.
16. Dans le cas de conflits armés non internationaux, l’article 3
commun aux Conventions de Genève de 1949 et en particulier le Protocole
additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à
la protection des victimes des conflits armés non internationaux
(Protocole II) prévoient que les personnes privées de liberté pour
des raisons liées au conflit doivent elles aussi être traitées avec
humanité, en toutes circonstances. Elles sont notamment protégées
contre le meurtre, la torture et les traitements cruels, humiliants
ou dégradants. Les personnes détenues du fait de leur participation
aux hostilités ne sont pas à l’abri de poursuites pénales en vertu
du droit interne applicable.
17. En l’absence de convention internationale spécifique définissant
les notions de liberté d’information et de droit des journalistes,
la mise en œuvre de ces principes est soumise aux contraintes imposées
par les droits nationaux, souvent guidées par le principe de l’ordre
public. Par conséquent, les journalistes et les médias peuvent faire
l’objet de divers chefs d’accusation au titre du droit national,
notamment pour atteinte à la sécurité nationale, propagande ennemie,
incitation à la violence, aux troubles intérieurs, à la haine, au séparatisme,
à la diffamation, etc
.

3. Mesures de protection des journalistes au niveau international
3.1. Nations Unies
18. Plusieurs initiatives ont été
mises en œuvre au sein du système des Nations Unies dans le but
de prévenir les actes de violence contre des journalistes
.

19. La Résolution 29
de l’UNESCO (1997) intitulée «Condamnation de la violence contre
les journalistes» a invité le Directeur général de l’UNESCO à condamner
l’assassinat et toute forme de violence physique dirigés contre
des journalistes en tant que crimes contre la société et à demander
que les autorités compétentes s’acquittent du devoir qui leur incombe
de prévenir ces crimes, d’enquêter à leur sujet, de les sanctionner
et d’en réparer les conséquences. En outre, elle a exhorté les États
membres à établir le principe de l’imprescriptibilité des crimes
contre les personnes quand ces crimes sont perpétrés pour empêcher l’exercice
de la liberté d’information et d’expression ou quand ils ont pour
but d’entraver le cours de la justice. Les États devraient rendre
possible les poursuites et les condamnations de celles et ceux qui
incitent à l’assassinat de personnes exerçant leur droit à la liberté
d’expression et veiller à ce que les auteurs d’infractions commises
contre des journalistes agissant dans l’exercice de leur activité
professionnelle ou contre des médias soient traduits devant les
juridictions ordinaires ou de droit commun.
20. La Résolution 1738 (2006)
du Conseil de sécurité des Nations Unies a condamné les attaques délibérément perpétrées contre
des journalistes, des professionnels des médias et le personnel
associé visés ès qualité en période de conflit armé, et a demandé
à toutes les parties de mettre fin à ces pratiques. Dans sa résolution,
le Conseil de sécurité a condamné de nouveau toutes les incitations
à la violence contre des civils en période de conflit armé, et a
réaffirmé la nécessité de traduire en justice toutes les personnes
qui incitent à la violence, conformément au droit international
applicable. En outre, il a rappelé l’injonction qu’il a adressée à
toutes les parties à un conflit armé de se conformer strictement
aux obligations mises à leur charge par le droit international concernant
la protection des civils, y compris les journalistes, les professionnels
des médias et le personnel associé. Il a demandé instamment aux
États et à toutes les autres parties à un conflit armé de tout faire
pour empêcher que des violations du droit international humanitaire
soient commises contre des civils, dont des journalistes, des professionnels
des médias et le personnel associé. Par ailleurs, il a exhorté toutes
les parties concernées, en période de conflit armé, à respecter
l’indépendance professionnelle et les droits des journalistes, des
professionnels des médias et du personnel associé qui sont des civils.
Enfin, il a prié le Secrétaire général de consacrer une section
de ses rapports suivants sur la protection des civils en période
de conflit armé à la question de la sûreté et de la sécurité des
journalistes, des professionnels des médias et du personnel associé.
21. La Déclaration
de Medellin sur «la sécurité des journalistes et la lutte contre
l’impunité», adoptée le 4 mai 2007, a encouragé les États membres
à mettre en œuvre plusieurs mesures pour prévenir et contrer les violences
contre des journalistes, telles que les enquêtes sur tous les actes
de ce type, la libération des journalistes détenus, la signature
et la ratification des Protocoles additionnels I et II aux Conventions
de Genève et du Statut
de Rome de la CPI, ainsi que le respect des engagements énoncés dans la
Résolution 29 (1997) de l’UNESCO.
22. Le Plan
d’action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la
question de l’impunité vise à créer un environnement libre et sûr pour les
journalistes et les professionnels des médias, renforçant ainsi
la paix, la démocratie et le développement durable dans le monde
entier. Il aborde les aspects fondamentaux de la prévention, de
la protection et des poursuites pénales et appelle à une approche
globale et fondée sur une coalition pour sa mise en œuvre. Le Plan
comprend six domaines:
- Sensibilisation: l’UNESCO, en association avec les États membres et d’autres organismes des Nations Unies, organise des journées internationales telles que la Journée mondiale de la liberté de la presse (3 mai), la Journée internationale de l’accès universel à l’information (28 septembre) et la Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre les journalistes (2 novembre), et décerne le Prix mondial de la liberté de la presse UNESCO/Guillermo Cano.
- Définition de normes et élaboration de politiques: un aspect fondamental du Plan d’action des Nations Unies est la définition de normes mondiales dont les politiques régionales et nationales peuvent s’inspirer. Au moins 30 pays ont créé ou renforcé des mécanismes nationaux de sécurité destinés à protéger les journalistes, ainsi qu’à prévenir et à poursuivre les attaques contre ces derniers et dernières, sur la base de résolutions des Nations Unies.
- Suivi et établissement de rapports: les Nations Unies ont développé depuis 1993 diverses bases de données pour surveiller l’état de la liberté de la presse, tant au niveau international que national, en particulier l’Observatoire de l’UNESCO sur les journalistes assassinés.
- Renforcement des capacités: cela inclut des formations pour les acteurs locaux, notamment les journalistes, les forces de sécurité et le système judiciaire. Il s’agit également d’aider les gouvernements nationaux à élaborer et à mettre en place des cadres juridiques favorables à la liberté d’expression et à la liberté d’information.
- Recherche: le Plan d’action des Nations Unies s’engage dans le domaine de la recherche universitaire. Par exemple, l’UNESCO organise tous les ans depuis 2016 une conférence universitaire sur la sécurité des journalistes, afin de promouvoir activement la poursuite des recherches dans ce domaine.
- Mise en place d’une coalition: les Nations Unies ont uni leurs forces à celles des médias, des ONG, des universités et des gouvernements pour élaborer le Plan d’action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité.
3.2. Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)
23. L’OSCE, par l’intermédiaire
de son ou de sa Représentant·e pour la liberté des médias, surveille
la sécurité des journalistes
, en prêtant notamment attention
aux cas d’agressions physiques, d’incarcération et de harcèlement.
Le ou la Représentant·e dialogue avec les États participants et
les autres parties concernées par la voie diplomatique et par des
déclarations publiques. En outre, il ou elle aide les États participants
à faire progresser la liberté des médias. En 2022, la Représentante
a lancé un nouveau projet visant à dresser un état des lieux des
politiques et des mesures existantes dans les États participants
de l’OSCE pour promouvoir et garantir la sécurité des journalistes,
à recenser les lacunes persistantes et à formuler des recommandations basées
sur des exemples de bonnes pratiques. Sept tables rondes ont lieu
dans le cadre du projet, chacune couvrant une dimension particulière
de la sécurité des journalistes:

- la collecte de données, l’analyse et l’établissement de rapports sur les attaques et les violences à l’égard des journalistes, ainsi que la promotion du travail journalistique;
- la sécurisation des conditions de travail;
- la sécurité des journalistes dans les situations de conflit;
- les perspectives intersectionnelles;
- la sécurité numérique;
- le harcèlement juridique;
- les missions de prévention de la police et la lutte contre l’impunité.
3.3. Conseil de l’Europe
24. Le Conseil de l’Europe s’est
intéressé à la question de la protection des journalistes à plusieurs
reprises. L’instrument juridique le plus important à cet égard est
la Recommandation CM/Rec(2016)4
du Comité des Ministres aux États membres sur la protection du journalisme
et la sécurité des journalistes et autres acteurs des médias, qui a condamné le niveau alarmant et inacceptable des
menaces pesant sur les journalistes et les acteurs des médias en
Europe et a fourni des lignes directrices spécifiques aux États
membres pour agir dans les domaines de la prévention, de la protection,
des poursuites, de la promotion de l’information, de l’éducation et
de la sensibilisation
. Par la suite, la Résolution
sur la sécurité des journalistes de la Conférence des ministres
responsables des médias et de la société de l’information du 11 juin
2021 a invité le Conseil de l’Europe à mener une vaste campagne
au niveau européen pour promouvoir la protection du journalisme
et la sécurité des journalistes et à soutenir les campagnes correspondantes
au niveau national, ce qui a conduit au lancement de la campagne
du Conseil de l’Europe pour la sécurité des journalistes intitulée
«Les journalistes comptent».

25. Cette campagne est une initiative destinée à promouvoir la
liberté de la presse et à protéger les journalistes contre les violences,
les menaces et le harcèlement dans l’exercice de leur métier.
26. Les objectifs de la campagne sont les suivants:
- promouvoir le développement de campagnes correspondantes au niveau national;
- encourager les États à prendre des mesures en vue de l’adoption de plans d’action nationaux pour la sécurité des journalistes;
- contribuer à l’élaboration de cadres juridiques et institutionnels appropriés au niveau national;
- faire évoluer la situation de manière efficace et significative dans la pratique.
27. La campagne s’appuie sur un constat: les journalistes ne se
contentent pas de couvrir des événements, ils et elles sont souvent
pris entre deux feux dans l’exercice de leurs fonctions. Les journalistes
ukrainiens sont pris pour cible d’une manière qui compromet gravement
leur capacité à informer librement. Beaucoup ont été tués et beaucoup
d’autres sont toujours détenus illégalement. Nombre de journalistes
ont par ailleurs disparu, leurs proches laissés dans l’ignorance,
et la communauté internationale a souvent du mal à apporter une réponse
effective.
28. La campagne a régulièrement mis en avant la situation des
journalistes ukrainiens à plusieurs niveaux, notamment lors de conférences
et de débats, mais aussi lors d’événements et d’activités de grande
envergure. Ainsi, la conférence
annuelle 2024 a porté sur la situation des journalistes en Ukraine
et une exposition de photographies a été organisée à cette occasion
avec l’Union nationale des journalistes ukrainiens. La campagne
a aussi permis d’attirer l’attention de la communauté internationale
sur le sujet grâce à la projection de plusieurs films – dont le
film «20 jours à Marioupol», qui relate les risques pris par les
journalistes pour informer en temps de guerre – et à la présence
de journalistes ukrainiens venus témoigner directement devant les
participant·es.
29. En 2025, la campagne se concentre sur les poursuites judiciaires
et sur la lutte contre l’impunité pour les crimes commis contre
des journalistes, avec l’appui de représentant·es du parquet ukrainien,
de journalistes et des points focaux ukrainiens de la campagne.
Les activités menées impliquent généralement la présence et la participation
d’autres organisations internationales, ce qui permet d’élargir
le public touché et de placer la question de la situation des journalistes
ukrainiens sur la scène internationale. D’autres groupes de médias
et associations internationales de journalistes participent également
à ces événements et se font l’écho des questions abordées. Ces partenariats
contribuent à la mise en place d’un solide réseau de défense des
journalistes. En permettant que les cas des journalistes ukrainiens
soient systématiquement médiatisés dans les forums internationaux,
ces actions coordonnées renforcent la visibilité de la crise et
accentuent la pression diplomatique exercée sur la Russie pour qu’elle
libère les journalistes détenus.
30. En ce qui concerne la participation de l’Ukraine à la campagne
, le pays a été le premier des 46 États membres
à mettre en place un comité de campagne, à réunir des acteurs nationaux
pertinents et à adopter un plan d’action national pour la sécurité
des journalistes. Ce plan prévoit des mesures de protection, même
si l’agression militaire qui se poursuit souligne la nécessité d’accentuer
les pressions internationales et de renforcer le soutien aux journalistes
ukrainiens.

31. La campagne peut aider à accélérer les efforts visant à libérer
les journalistes ukrainiens en augmentant la pression politique
et diplomatique, car le réseau dont elle dispose peut renforcer
cet appel. En mobilisant ses relais, la campagne peut aussi placer
le sort de l’Ukraine sous les projecteurs de l’actualité internationale et
faire en sorte que le sujet soit évoqué lors d’événements très médiatisés.
Elle peut réunir nos partenaires internationaux au sein des organisations
encore ouvertes aux représentant·es russes, afin de favoriser d’une certaine
façon l’émergence de nouvelles formes de coopération multilatérale
destinée à protéger les journalistes exposés à des risques.
32. L’Assemblée s’intéresse aussi depuis plusieurs années à la
question de la protection des journalistes
.

33. Dans sa Résolution 2573 (2024)
«Personnes disparues, prisonniers de guerre et personnes civiles
en captivité en raison de la guerre d’agression de la Fédération
de Russie contre l’Ukraine», l’Assemblée a rappelé que, bien que les détentions illégales
par la Fédération de Russie aient commencé en 2014, nombre des personnes
enlevées ont été capturées depuis le début de la guerre à grande
échelle en 2022. Elle a souligné que la situation dans la Crimée
temporairement occupée restait particulièrement difficile et a exhorté ses
membres à mobiliser leurs gouvernements, la société civile et les
réseaux de médias pour sensibiliser au sort des journalistes ukrainiens.
L’Assemblée a également appelé à maintenir une pression internationale
sur la Fédération de Russie pour que cette dernière libère les journalistes
détenus et permette à des organismes internationaux indépendants
de se rendre immédiatement sur place afin d’inspecter les conditions
de détention de ces journalistes. La communauté internationale doit
insister sur la transparence et la responsabilité afin de protéger
la dignité humaine et les droits des personnes emprisonnées illégalement.
34. La commission de la culture, de la science, de l’éducation
et des médias s’est tout particulièrement attachée à mettre en avant
les instruments du Conseil de l’Europe qui peuvent être utiles à
cet égard.
35. Dans sa Résolution 2317 (2020)
«Menaces sur la liberté des médias et la sécurité des journalistes
en Europe», l’Assemblée a déclaré que les organes du Conseil de
l’Europe devaient non seulement poursuivre leur action en faveur
d’un environnement sûr pour les journalistes et les autres acteurs
des médias dans tous les pays d’Europe et au-delà, mais aussi se
mobiliser pleinement pour inciter les États membres à remédier rapidement
et efficacement à toute menace qui pèse sur la liberté des médias,
en encourageant vivement et en soutenant les réformes qui s’imposent
à cet égard. Tous les États membres du Conseil de l’Europe devraient
garantir de manière effective la sécurité des journalistes, créer
un environnement propice à la liberté des médias et empêcher l’utilisation
abusive des lois ou des dispositions normatives qui peuvent porter
atteinte à cette liberté, sans laquelle il n’y a pas de démocratie.
En outre, la Recommandation 2168 (2020) a souligné le rôle de la Plateforme du Conseil
de l’Europe pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité
des journalistes et a formulé un certain nombre de recommandations au
Comité des Ministres pour accroître le rôle de cette plateforme
et exploiter tout son potentiel.
36. Dans sa Résolution 2532 (2024)
«Garantir la liberté des médias et la sécurité des journalistes:
une obligation des États membres», l’Assemblée s’est déclarée profondément préoccupée par
les multiples atteintes à la liberté des médias et par les nombreux
cas d’impunité, notamment en ce qui concerne les meurtres de journalistes.
Elle a en outre salué le lancement de la campagne «Les journalistes
comptent» du Conseil de l’Europe pour la sécurité des journalistes
et a appelé les États membres à soutenir pleinement cette campagne
et à y contribuer activement. Enfin, l’Assemblée a appelé tous les
États membres à coopérer avec les partenaires de la Plateforme pour
renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes,
et à mettre en place des mécanismes de réponse efficaces à leurs
alertes.
37. L’objectif de la plateforme est de constituer un mécanisme
de surveillance et de traitement en temps réel des menaces dont
sont victimes les journalistes et les professionnels des médias.
Depuis 2015, le Conseil de l’Europe coopère à ce projet novateur
avec d’importantes organisations de journalistes et de défense de
la liberté d’expression.
38. La plateforme enregistre des alertes relatives aux menaces
graves pesant sur la liberté des médias et la sécurité des journalistes
et en vérifie l’exactitude factuelle. Ces alertes sont transmises
par les organisations partenaires de la plateforme et sont ensuite
publiées dans le but de sensibiliser l’opinion publique et d’inciter les
autorités nationales à agir. En rendant ces alertes publiques, la
plateforme vise à responsabiliser les États membres et à les encourager
à respecter leurs engagements en matière de protection de la liberté d’expression,
conformément à la Convention
européenne des droits de l’homme. Elle favorise également le dialogue entre les journalistes,
la société civile et les gouvernements dans le but de répondre à
des problématiques systémiques qui menacent la liberté des médias.
Il est attendu des États membres qu’ils agissent et traitent les
problèmes et qu’ils informent la plateforme des actions engagées
en réponse aux alertes. Les États membres du Conseil de l’Europe
ont également l’obligation positive de garantir un environnement
propice au pluralisme des médias.
39. En outre, la Plateforme pour la sécurité des journalistes
constitue un outil de sensibilisation et de signalement. Elle permet
d’analyser les tendances et les défis en matière de sécurité des
journalistes et de liberté des médias en Europe, sur la base de
données empiriques. Ses rapports annuels et les données collectées
façonnent les politiques et les actions du Conseil de l’Europe.
Ils servent ainsi de fondement à des initiatives plus vastes visant
à contrer les menaces qui pèsent sur la liberté de la presse. La
plateforme met également en avant les travaux conduits par le Conseil
de l’Europe dans le domaine de la liberté des médias, tels que les
textes établis par l’Assemblée, les normes adoptées par le Comité
des Ministres, la jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l’homme en la matière ou le travail du Commissaire aux droits
de l’homme.
40. La plateforme dépend des contributions volontaires des gouvernements
pour financer ses activités en faveur de la liberté de la presse
et de la sécurité des journalistes.
41. Elle publie une évaluation annuelle qui fournit des informations
essentielles sur les tendances et les problématiques liées à la
liberté de la presse en Europe, ainsi que des orientations sur la
manière de les traiter aux niveaux national et européen.
42. L’évaluation
de 2024 montre que les journalistes n’avaient jusque-là jamais
été exposés à un tel éventail de menaces qui mettent en danger leur
profession et portent atteinte au droit du public d’être informé.
Les conséquences de la guerre en Ukraine se font sentir bien au-delà
des frontières de ce pays et l’on assiste à un renforcement de la
sécurité en Europe qui va souvent à l’encontre des libertés fondamentales.
En temps de crise, même nos démocraties libérales peuvent être tentées
de prendre des mesures de restriction des libertés.
43. En ce qui concerne l’Ukraine, l’évaluation de 2024 cite la
guerre en Ukraine comme le sujet de préoccupation majeure de l’année,
les journalistes ukrainiens et internationaux risquant quotidiennement
leur vie sur les lignes de front. L’Ukraine est le pays ayant le
plus grand nombre d’alertes sur la plateforme (40) et où la plupart
des violations se sont produites sur des territoires occupés par
la Russie ou ont été attribuées aux forces russes. En 2024, la plateforme
a recensé au moins sept cas dans lesquels des journalistes ont été
pris pour cible, dont la mort tragique, fin août, de Ryan Evans,
conseiller en sécurité de Reuters, victime d’une frappe de missile
dans l’est de l’Ukraine. Dans un certain nombre d’autres cas, des
journalistes ont été blessés et des bureaux de rédaction ont fait
l’objet d’attaques.
44. La section qui suit donne un aperçu plus complet des actions
menées par la Fédération de Russie contre des journalistes ukrainiens.
4. Violations du droit international humanitaire par la Fédération de Russie concernant des journalistes ukrainiens
4.1. Introduction
45. Depuis le début de la guerre,
le paysage médiatique ukrainien a subi de lourdes pertes
. Les journalistes ukrainiens doivent
faire face à de nouvelles difficultés, comme le fait de travailler
dans des conditions dangereuses et instables dans tout le périmètre
de la zone de guerre, ou de survivre dans un contexte de crise financière,
sans électricité, etc. Un grand nombre de médias ont été contraints
de fermer, tandis que d’autres ont dû réduire leurs activités et
suspendre temporairement les contrats de travail de leurs employé·es
et les versements de salaire. Les médias locaux et la presse écrite
ont été particulièrement touchés par ces difficultés.

46. À plusieurs reprises, la Fédération de Russie a pris pour
cible des infrastructures de médias, frappant des tours de télévision
à Kyiv, à Kharkiv et dans d’autres régions de l’Ukraine
. Le 6 avril 2025, un missile balistique
russe a frappé Kyiv, causant d’importants dommages aux bâtiments
abritant les bureaux de rédaction de la société publique ukrainienne
de radiodiffusion à l’étranger
. À titre d’explication, le ministère russe
de la Défense a officiellement déclaré avoir détruit une installation
militaire. À la suite d’une attaque massive de missiles russes sur
Kyiv dans la nuit du 10 juillet, les bureaux de la chaîne de télévision
ukrainienne «Channel 5» ont subi d’importants dégâts
. Plus récemment, le 28 août 2025,
une attaque russe de grande ampleur contre l'Ukraine a endommagé
les bureaux de Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL) et d'Ukrainska
Pravda à Kiev, tandis que dans la région de Dnipropetrovsk, une
frappe de drone a endommagé les locaux du journal local Mezhivsky
Merydian
.




47. La sécurité des journalistes est une question de plus en plus
préoccupante. Malgré le port visible du signe «PRESS», les journalistes
sont parfois délibérément visés par des tirs militaires et la liste
des reporters blessés ou tués et des locaux de médias gravement
endommagés par des frappes aériennes ne cesse de s’allonger. Les
journalistes d’investigation font face à une augmentation des attaques,
tant physiques qu’en ligne, de la part des autorités russes. Enfin,
les cyberattaques, les atteintes au secret des sources et les restrictions
à l’accès à l’information sont également des sujets préoccupants.
48. D’après l’IMI, la Russie a tué 108 professionnels des médias depuis
le 24 février 2022. Selon des données datant du 9 mai 2025, douze
personnes ont perdu la vie alors qu’elles étaient en reportage tandis
que 96 autres sont mortes au combat ou ont été tuées par des bombardements
russes ou à la suite d’actes de torture. Des dizaines de journalistes
ont subi des commotions cérébrales, ont été victimes de fractures,
de blessures ou d’éclats d’obus lors de leurs reportages. Au moins
333 médias ont cessé tout ou partie de leurs activités en raison
de l’invasion russe à grande échelle; des milliers de professionnels
des médias ont quitté le pays ou ont dû changer de travail. L’IMI
a également enregistré des cas de menaces adressées à des journalistes
et à des rédacteurs en chef de médias nationaux et régionaux. Dans
un premier temps, les occupants ont menacé les journalistes physiquement
(en se rendant à leur domicile ou à celui de leurs parents); par
la suite, les menaces se sont déplacées vers l’espace numérique
(au moyen de courriels contenant des menaces de poursuites pénales,
d’emprisonnement en Sibérie, de torture, d’interrogatoires et de
recours à l’arme nucléaire). En particulier, le 18 mai 2022, le
comité de rédaction du centre d’investigation journalistique «Syla
Pavdy» a reçu une lettre contenant des menaces de recours à l’arme
nucléaire par la Russie
.

49. Les enlèvements et les mauvais traitements infligés aux journalistes
ont commencé avec l’annexion de la Crimée par la Russie, se sont
poursuivis avec l’occupation de l’est du Donbass et se sont intensifiés
lors de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine.
50. Au cours des premiers mois de l’occupation de la péninsule
de Crimée, les forces de sécurité russes ont pratiquement anéanti
le journalisme professionnel en Crimée afin de supprimer la liberté
d’expression, de prendre le contrôle des médias et de contraindre
les journalistes à diffuser la propagande russe. En conséquence,
un grand nombre de médias de Crimée ont cessé leurs activités et
de nombreux journalistes ont quitté le territoire de la péninsule.
Ces événements ont favorisé l’émergence de journalistes citoyens
en Crimée, qui prennent chaque jour des risques pour rendre compte
de la situation sous l’occupation. Dans la majorité des cas, ils
et elles ne sont pas des journalistes professionnels, mais des militant·es
tatars de Crimée et des parents de prisonniers politiques. La plupart
sont contraints de travailler dans l’anonymat pour leur sécurité.
Les journalistes citoyens sont souvent persécutés par les forces
de sécurité russes d’occupation. De nombreux journalistes citoyens
ont été emprisonnés illégalement sous l’occupation. La liste compte actuellement
15 journalistes citoyens, dont Amet Suleymanov, Iryna Danylovych,
Server Mustafaev, Osman Arifmemetov, Tymur Ibrahimov et Marlen Asanov.
La Russie essaye progressivement de supprimer complètement la liberté
d’expression, notamment en modifiant la législation qui a été illégalement
intégrée dans les territoires temporairement occupés, et les autorités
d’occupation cherchent constamment des prétextes pour emprisonner
illégalement les journalistes citoyens, les espionner, les enlever,
les mettre au secret, les torturer, effectuer des perquisitions
à leur domicile, saisir leur matériel professionnel, leur imposer des
amendes administratives et les juger illégalement dans des affaires
montées de toutes pièces, en les accusant de sabotage, d’extrémisme
ou de terrorisme.
51. En agissant ainsi, les autorités russes veulent éviter de
reconnaître les crimes qu’elles ont commis contre des journalistes.
Il n’y a pas de mécanisme pour libérer les personnes civiles, contrairement
à ce qui existe pour les prisonniers de guerre.
52. La Fédération de Russie s’est emparée des bureaux des médias
ukrainiens dans les territoires occupés afin de diffuser délibérément
sa propagande agressive dans ces régions. Certains médias ont par
ailleurs été contraints de fermer en raison des menaces proférées
ouvertement par les forces russes, de l’impossibilité de travailler
sous l’occupation temporaire, des dégâts subis par leurs bureaux
et de la crise financière provoquée par la guerre menée par la Russie.
En outre, l’IMI a recensé des cas de journalistes capturés et emmenés
par les forces russes. Au moins 100 journalistes de médias régionaux
et nationaux ont été détenus par la Russie depuis le début de la
guerre russo-ukrainienne en 2014.
53. Selon Reporters sans frontières
, dans les territoires occupés, tous
les professionnels ukrainiens de l’information qui travaillent sur
place et refusent de collaborer avec les forces d’occupation russes
sont arrêtés. Les forces d’occupation russes se rendent à leur domicile
et les arrêtent au milieu de la nuit. Du jour au lendemain, leurs
familles n’ont plus de nouvelles et ignorent où leurs proches sont
détenus. Le travail des familles pour les identifier et les localiser
est long et difficile.

54. À ce jour, au moins 26 personnes civiles ukrainiennes travaillant
dans le journalisme sont détenues illégalement par la Russie, dans
des conditions épouvantables, au seul motif qu’elles ont documenté
la vérité, qui est une tâche essentielle. Il s’agit de journalistes
de la Crimée occupée et, depuis le début de l’invasion à grande
échelle en 2022, de journalistes de certaines parties de l’oblast
de Zaporijjia, de la ville de Kyiv et également de l’oblast de Kyiv.
Ces personnes sont victimes de mauvais traitements et de tortures,
sans pouvoir bénéficier de soins médicaux. Elles ne peuvent avoir
de contact ni avec leur famille ni avec leur avocat. Leurs proches
vivent dans la peur et l’incertitude. Ces journalistes sont privés
d’une procédure régulière, d’une aide juridique et d’une assistance
humanitaire de base, ce qui constitue une autre violation de leurs
droits humains fondamentaux.
55. Un rapport publié en 2024 sur le refus de procès équitables
en Russie a fourni des données suggérant que les violations des
garanties fondamentales d’indépendance et d’impartialité du pouvoir
judiciaire ne sont peut-être pas de simples faiblesses procédurales,
mais plutôt le reflet d’une volonté délibérée d’orienter le système
judiciaire au service d’intérêts politiques, éventuellement en sapant
les droits des personnes qui contestent ou contredisent les objectifs
politiques dominants
.
Les procès sont utilisés comme un instrument de persécution contre
les opposants réels ou supposés au régime russe. Les prisonniers
de guerre ukrainiens sont soumis à des simulacres de procès particulièrement
sévères, sont souvent présentés comme de «dangereux nazis» ou «terroristes»
à la population russe, et sont faussement accusés de crimes de guerre
ou d’autres crimes graves au regard du droit pénal russe, afin d’influencer
l’opinion publique russe en faveur de l’«opération militaire spéciale».
Les victimes ne peuvent se prévaloir des protections offertes par
le droit international humanitaire, car elles sont jugées pour des
infractions de droit commun en vertu du droit pénal russe. Il règne
un déni de justice systématique du fait de la détérioration du système
judiciaire et des lois russes. Le rapport conclut en exhortant la
CPI à reconnaître le caractère odieux du crime de déni de procès équitable
et à accorder à l’enquête sur ce crime la même priorité qu’à celle
concernant les crimes commis dans les lieux de détention illégale
et de torture.

4.2. Exemples de journalistes décédés ou portés disparus
56. Le photojournaliste ukrainien
Maks Levin couvrait l’invasion russe et les combats entre les forces
russes et ukrainiennes dans l’oblast de Kyiv lorsqu’il a disparu
le 13 mars 2022. Les preuves collectées par l’organisation internationale
Reporters sans frontières
montrent qu’il a été exécuté de sang-froid
par les troupes russes le jour de sa disparition, peut-être après
avoir été interrogé et torturé. Son corps et sa voiture ont été
retrouvés le 1er avril 2022, dans une
forêt au nord de Kyiv, qui était un champ de bataille à l’époque.

57. Le cas de Victoria Roshchyna est emblématique. Mme Roshchyna
était une journaliste ukrainienne qui est décédée après avoir passé
plus d’un an en détention en Russie. Les forces russes l’ont arrêtée
en août 2023 sans chef d’accusation dans les territoires temporairement
occupés de l’Ukraine, où elle faisait son métier de journaliste
et prévoyait de raconter la vie de la population sous l’occupation.
Victoria Roshchyna a d’abord été détenue dans des prisons russes
pratiquant la torture, dans la partie occupée de l’oblast de Zaporijjia,
avant d’être transférée dans la prison no 2
à Taganrog, dans la région de Rostov, en Russie. En octobre 2024,
le ministère russe de la Défense a écrit au père de Victoria Roshchyna,
Volodymyr Roshchyn, pour l’informer de la mort de sa fille en détention.
58. Un documentaire de Reporters sans frontières enquêtant sur
le cas de Mme Roschchyna
est sorti en mars 2025. Il montre
qu’elle a été brutalement torturée: son corps présentait des coups
de couteau, elle avait été électrocutée et pesait moins de 30 kilos;
lorsqu’une équipe d’inspection s’est rendue à la prison, les surveillants
ont caché Victoria Roshchyna dans une pièce fermée, à un autre étage.
Mme Roshchyna a été vue pour la dernière
fois le 8 septembre 2024, alors qu’elle était extraite de sa cellule
et emmenée dans un lieu inconnu. Selon une enquête menée par Forbidden
Stories
, la dépouille de Mme Roshchyna
faisait partie des 757 cadavres rapatriés de Russie en Ukraine en
février 2025. Dans une lettre adressée à Forbidden Stories, des
procureurs ukrainiens ont indiqué que les analyses médico-légales
«révélaient de nombreux signes de torture et de mauvais traitements
sur le corps de la victime, notamment des abrasions et des hémorragies
sur différentes parties du corps, une côte cassée, des blessures
au cou et des traces possibles de choc électrique sur les pieds».
De plus, le corps de Mme Roshchyna avait
été restitué en mauvais état (il avait été congelé et était en état
de momification) et présentait «des signes d’une autopsie pratiquée
avant son retour en Ukraine». Certains organes manquaient – notamment
au niveau du cerveau, du larynx et des globes oculaires – qui pourraient
avoir été prélevés pour dissimuler les causes de sa mort.


59. Le Département principal des enquêtes du Service de sécurité
d’Ukraine mène actuellement une enquête préliminaire sur l’emprisonnement
illégal de Mme Roshchyna et sur sa mort.
Une analyse génétique a été ordonnée pour identifier son corps et
confirmer qu’il s’agit bien d’elle. Des prélèvements ADN ont été effectués
sur les deux parents de la victime et ont permis de conclure avec
une probabilité de plus de 99 % que le corps appartenait à Mme Roshchyna.
60. En outre, en février 2025, un examen médico-légal a été ordonné
pour déterminer la cause de son décès, recenser les blessures qu’elle
a subies et en préciser la nature. D’après les résultats de l’examen
et compte tenu de l’état du corps, il n’a pas été possible, dans
un premier temps, de déterminer la cause du décès. D’autres échantillons
ont donc été prélevés et un examen médico-légal supplémentaire,
avec l’aide d’experts français, est en cours afin de déterminer
la cause du décès et la nature des blessures. Des forces de l’ordre
ukrainiennes mènent actuellement une enquête afin d’établir toutes
les circonstances entourant la privation de liberté de Mme Roshchyna,
son décès et les actes de torture commis contre elle.
61. Le 1er août 2025, le Président
de l’Ukraine a décerné à Victoria Roshchyna, par décret présidentiel
, l’Ordre de la liberté à titre posthume.
Il s’agit d’une distinction d’État décernée pour des mérites exceptionnels et
remarquables dans l’affirmation de la souveraineté et de l’indépendance
de l’Ukraine et dans la défense des droits constitutionnels et des
libertés des individus et des citoyens et citoyennes.

62. Dmytro Khyliuk est un exemple de journaliste civil porté disparu,
qui a été capturé par les troupes russes en mars 2022
, alors que l’oblast de Kyiv était
occupé, puis emmené sur le territoire de la Fédération de Russie.
Les otages civils devraient être libérés en dehors des échanges
de prisonniers de guerre, mais dans le cas de M. Khyliuk, la Fédération
de Russie a tenté de le faire passer pour un combattant. Dmytro Khyliuk
a été détenu dans une prison de la région de Vladimir, en Russie,
et les autorités russes n’ont pas communiqué d’informations sur
ses conditions de détention. Un autre prisonnier de guerre ukrainien,
libéré l’année dernière et ayant partagé une cellule avec Dmytro Khyliuk
pendant un an, a déclaré qu’il avait perdu beaucoup de poids et
ne pesait «pas plus de 45 kilos» à l’époque. Il a également indiqué
que le journaliste avait fait l’objet de mauvais traitements cruels.
Une enquête de Reporters sans frontières
a permis de retrouver la trace
de M. Khyliuk au centre de détention préventive no 2
de Novozybkov, une petite ville du sud-ouest de la Russie, située
à une cinquantaine de kilomètres de la frontière ukrainienne.


63. Le 24 août 2025, M. Khyliuk a été libéré dans le cadre d'un
échange de prisonniers entre l'Ukraine et la Russie
.

4.3. Témoignages de journalistes libérés
64. Comme mentionné précédemment,
les enlèvements et les mauvais traitements infligés aux journalistes sont
antérieurs à l’invasion à grande échelle de l’Ukraine en février 2022.
65. Par exemple, Stanislav Aseyev, l’un des rares journalistes
indépendants à être resté dans la région du Donbass, dans l’est
de l’Ukraine, après la prise de contrôle par les séparatistes, y
a été détenu arbitrairement pendant deux ans et demi
. Après son enlèvement par des séparatistes
soutenus par la Russie le 2 juin 2017, M. Aseyev a été détenu à
l’isolement pendant un mois et demi. Pendant cette période, il a
été soumis à la torture. Il a ensuite été transféré à Isolatsia,
un ancien centre d’art contemporain transformé en camp de concentration
secret à Donetsk, où il a été contraint de faire des «aveux» publics
à la télévision russe. Il a été condamné pour des chefs d’accusation
d’espionnage et d’extrémisme, autrement dit pour le simple fait
d’être un journaliste. Il a finalement été libéré lors d’un échange
de prisonniers le 29 décembre 2019. Après son retour à Kyiv, M. Aseyev
a collaboré avec le groupe de journalisme d’investigation Bellingcat
pour localiser Denis Kulikovsky, le directeur d’Isolatsia, et a
contribué à son arrestation à Kyiv en 2021. Début janvier 2024, M. Kulikovsky
a été condamné à 15 ans de prison par un tribunal ukrainien pour
«traitements cruels»
.


66. Maksym Butkevych, journaliste et défenseur des droits humains,
est engagé depuis 15 ans en faveur des victimes de violations des
droits humains, principalement les personnes réfugiées ou demandeuses d’asile.
Cette activité l’a sensibilisé à la situation des droits humains
en Russie, puisqu’il a travaillé avec des ressortissant·es russes
qui avaient dû fuir leur pays, ainsi qu’avec des défenseur·es des
droits humains qui y étaient restés. Après le début de l’invasion
à grande échelle, il craignait que les droits humains soient anéantis et
que tous les progrès réalisés en Ukraine en la matière soient effacés.
Il a donc rejoint les Forces armées ukrainiennes, dans lesquelles
il a exercé la fonction de commandant de peloton. Le 21 juin 2022,
il a été capturé par les troupes russes dans la région de Louhansk,
puis retenu en captivité par la Russie pendant plus de deux ans
. Après avoir appris son identité,
les autorités russes ont monté de toutes pièces des accusations de
crimes de guerre et l’ont torturé jusqu’à ce qu’il fasse de faux
aveux, avant de le condamner à 13 ans de prison sans autre fondement
que ces «aveux» forcés
. Il a rencontré de nombreux prisonniers
qui ont été soumis au même procédé. Le mode opératoire est le suivant:
les Russes détruisent une ville avec de l’artillerie, puis attribuent
la responsabilité des victimes civiles aux prisonniers de guerre
ukrainiens. Il a pu constater de ses propres yeux comment le droit
international humanitaire et le droit international relatif aux
droits humains sont totalement bafoués par la Russie. Au cours des
premiers mois, il a perdu 25 kilos. Il vivait dans une absence totale
d’hygiène, n’a pas porté de chaussures pendant plusieurs mois et
a été soumis à des coups, à des menaces de violence sexuelle et
à des chocs électriques. La grande majorité des mauvais traitements infligés
n’avaient pas pour but d’obtenir des informations importantes, mais
de faire endurer des souffrances aux soldats ukrainiens au seul
motif qu’ils maintenaient qu’ils étaient ukrainiens. Les agents
de propagande russes leur disaient que la Russie allait bientôt
l’emporter sur le champ de bataille, qu’elle avait l’armée la plus aguerrie
d’Europe, voire d’Eurasie, et qu’elle ne s’arrêterait pas à l’Ukraine
pour enseigner l’importance des valeurs traditionnelles. Malheureusement,
outre les militaires prisonniers de guerre, il a rencontré des personnes
civiles en détention, qui avaient été condamnées pour avoir coopéré
avec l’Ukraine, et bon nombre d’entre elles ont été torturées et
contraintes d’avouer des crimes qu’elles n’avaient jamais commis.
La torture est un système organisé depuis le plus haut sommet; elle
est encouragée. Des modifications du droit ont fait de ces personnes
des traîtres à la Fédération de Russie. Un autre groupe de personnes
civiles détenues était placé en «détention préventive», sans qu’elles
ne soient accusées de quoi que ce soit, leur placement en détention
pour une durée de trois mois étant prolongé à plusieurs reprises,
sans qu’aucune information ne soit communiquée à leurs proches.
Le nombre réel de personnes détenues dans ces conditions est inconnu,
mais M. Butkevych estime que l’on compte davantage de personnes
civiles détenues que de prisonniers de guerre, les tortures et les
mauvais traitements étant tout aussi fréquents chez les civils que
chez les militaires. Certains groupes sont spécifiquement visés,
tels que les professionnels des médias, les journalistes et les
militant·es du mouvement des Tatars de Crimée.


5. Procédures judiciaires
5.1. Cour européenne des droits de l’homme
67. Depuis le début de l’année
2014, la Cour
européenne des droits de l’homme a reçu plusieurs requêtes interétatiques et des milliers
de requêtes individuelles
concernant les conflits dans la
République autonome de Crimée, dans la ville de Sébastopol et dans
l’est de l’Ukraine, ainsi que concernant les opérations militaires de
la Fédération de Russie sur le territoire de l’Ukraine.

68. Dans Ukraine
c. Russie (Crimée), la Cour a estimé le 25 juin 2024 que les autorités
russes étaient responsables de «pratiques administratives» constitutives
de nombreuses violations de la Convention européenne des droits
de l’homme , dont les violations des articles suivants:
- Article 2: disparitions forcées et défaut d’enquêtes effectives à leur sujet;
- Article 3: mauvais traitements infligés à des soldats ukrainiens, à des personnes d’origine ethnique ukrainienne, à des Tatars de Crimée et à des journalistes; conditions dégradantes de détention à la maison d’arrêt de Simferopol (SIZO) résultant de défaillances générales dans l’organisation et le fonctionnement du système pénitentiaire criméen; mauvais traitements infligés à des «prisonniers politiques ukrainiens» en Crimée et en Fédération de Russie et défaut d’enquêtes effectives à leur sujet;
- Article 5: détention au secret non reconnue de soldats ukrainiens, de personnes d’origine ethnique ukrainienne, de Tatars de Crimée et de journalistes;
- Article 10: répression illégale contre des médias non russes, y compris par la fermeture de chaînes de télévision ukrainiennes et tatares de Crimée; privation de liberté, inculpation et/ou condamnation irrégulières de «prisonniers politiques ukrainiens» en Crimée pour avoir exercé leur liberté d’expression;
- Article 18 (combiné avec les articles 5, 6, 8, 10 et 11): restriction en cours des droits des «prisonniers politiques ukrainiens» dans un but inavoué non prévu par la Convention.
69. Concernant cet arrêt, le Comité des Ministres
du Conseil de l’Europe, dans son rôle de surveillance de l’exécution des arrêts
de la Cour, a déclaré dans sa décision du 6 mars 2025 que les autorités russes devaient rétablir immédiatement
l’application du droit ukrainien en Crimée, cesser toutes les pratiques
administratives jugées contraires à la Convention par la Cour et
libérer tous les prisonniers politiques ukrainiens dont les droits humains
ont été restreints par ces pratiques en Crimée, ainsi que libérer
tous les soldats ukrainiens, les Ukrainien·nes de souche, les Tatars
de Crimée et les journalistes illégalement détenus. En outre, le
Comité des Ministres a invité les autorités des États membres à
explorer tous les moyens possibles pour assurer l’exécution de cet
arrêt, afin de faire en sorte que les auteurs des graves violations
du droit international qui y ont été établies, répondent de leurs
actes.
70. Le 9 juillet 2025, la Grande Chambre de la Cour européenne
des droits de l’homme a rendu un arrêt dans quatre
affaires interétatiques opposant l’Ukraine à la Fédération de Russie. Dans son arrêt, la Cour a notamment estimé que plusieurs
éléments étaient contraires à l’article 10 de la Convention, notamment:
la pratique administrative d’ingérence injustifiée dans l’exercice
de la liberté de recevoir ou de communiquer des informations et
des idées, dans le territoire occupé en Ukraine; les cas de journalistes
victimes d’intimidations, de détention, de mauvais traitements et
d’homicide; les blocages et les refus d’enregistrement et d’accréditation
de médias et de journalistes; l’application de prétendues lois interdisant
et sanctionnant la diffusion d’informations favorables à l’Ukraine,
y compris sur les réseaux sociaux; l’application de lois relatives au
terrorisme et à l’extrémisme à des cas relevant de la liberté d’expression
et à des reportages de médias indépendants; les effets excessifs
et arbitraires des mesures de blocage de l’accès aux sites internet
et aux radiodiffuseurs dans le territoire occupé. Elle a conclu
que la Fédération de Russie était responsable de ces violations
graves. Un suivi des mesures de mise en œuvre sera donné à l’arrêt
lors de la réunion «Droits humains» de septembre 2025 du Comité
des Ministres. Plus particulièrement, dans le dispositif de l’arrêt,
la Cour a demandé à la Fédération de Russie «de libérer [sans délai]
ou [de] renvoyer en toute sécurité toutes les personnes qui, sur
le territoire ukrainien occupé par les forces russes ou sous contrôle
russe, étaient privées de liberté en violation de l’article 5 de
la Convention avant le 16 septembre 2022 et qui sont toujours détenues
par les autorités russes».
5.2. Cour pénale internationale
71. À ce jour, RSF a déposé neuf
plaintes auprès de la CPI, notamment au sujet des frappes russes
sur quatre tours de radio et de télévision en Ukraine, des journalistes
ou des équipes de journalistes qui ont été délibérément pris pour
cible par les forces russes ou qui ont été victimes de bombardements
indiscriminés, d’un fixeur ukrainien détenu pendant neuf jours et
torturé par les forces russes et de l’assassinat du coordinateur
vidéo de l’Agence France-Presse, Arman Soldin, et du journaliste
ukrainien, Bohdan Bitik.
72. Ces plaintes de RSF ont donné lieu ou ont contribué à 14 enquêtes
du parquet ukrainien sur des crimes contre des journalistes.
73. En février 2025, RSF a déposé sa neuvième
plainte contre la Russie auprès de la CPI et de la justice ukrainienne concernant
l’arrestation arbitraire et la déportation par la Fédération de
Russie d’au moins 19 journalistes ukrainiens vers son territoire
ou d’autres zones occupées en Ukraine.
74. RSF a également déposé deux plaintes pénales en France. Au
total, l’organisation a recensé 53 événements pouvant être qualifiés
de crimes de guerre, dont ont été victimes 121 journalistes, ainsi
que le ciblage de 14 tours de télévision et infrastructures de médias.
5.3. Tribunaux ukrainiens
75. Depuis le début de l’invasion
à grande échelle lancée par la Russie, des enquêtes préliminaires
ont été menées en Ukraine dans le cadre de 122 procédures pénales
liées à des crimes de guerre commis contre des journalistes pendant
le conflit armé.
76. Les faits suivants ont été établis à ce jour:
- 65 journalistes ont été tués, dont huit étrangers;
- 46 journalistes ont été blessés, dont 25 internationaux;
- 18 personnes ont été détenues ou emprisonnées illégalement;
- 2 journalistes sont en captivité et 1 est porté disparu.
77. L’enquête préliminaire a donné les résultats suivants:
- 16 personnes au total ont reçu des avis de suspicion dans le cadre de huit procédures pénales;
- 5 actes d’accusation visant 11 personnes ont été transmis à la justice: 3 personnes ont été condamnées: 1 à neuf ans et 2 à douze ans d’emprisonnement; quant aux autres personnes, le procès est en cours.
78. Outre l’affaire Victoria Roshchyna,
décrite plus haut, les paragraphes suivants présentent plusieurs exemples
de procédures pénales engagées par la justice ukrainienne.
79. Le 12 mars 2025, le journaliste Oleh Baturin a été arrêté
après avoir été dénoncé pour ses positions pro-ukrainiennes et ses
activités journalistiques. Il a été détenu pendant un certain temps
au commissariat de police du district de Kakhovka. Lors de son interrogatoire,
on a menacé de le mutiler et de le tuer, puis pendant six jours,
il a été menotté à un tuyau de sa cellule, où il devait rester debout
en permanence. Il a ensuite été conduit aux bureaux de l’administration
régionale de Kherson, où il a été interrogé sans subir de torture,
puis transféré à la prison de Kherson. Il a été libéré le 25 mars
2022. Le 27 mars 2024, le tribunal du district Suvorovsky d’Odessa
a condamné les accusés, deux représentants des forces d’occupation
de la Fédération de Russie, à 12 ans de prison.
80. En juillet 2022, une journaliste de la chaîne de télévision
«Ukraine», A. Slobodian, a été arrêtée pour avoir réalisé des reportages
vidéo sur la situation à Kherson. Elle n’a pas été torturée, mais
a été détenue du 5 juillet au 5 août 2022 dans le centre de détention
temporaire de Kherson, où les conditions étaient inhumaines. Un
procès est en cours.
81. Dans la nuit du 24 au 25 août 2024, un missile a frappé un
hôtel à Kramatorsk où séjournaient des journalistes de l’agence
Reuters, tuant l’un d’eux et en blessant cinq autres. Cet établissement,
le seul de la ville à ne pas fonctionner régulièrement, n’ouvrait
ses portes qu’après accord préalable avec son propriétaire et accueillait
fréquemment des journalistes de divers médias. Selon les enquêteurs,
les Forces armées russes auraient été informées de son emplacement;
le principal suspect est un colonel général de l’armée russe. Une enquête
est en cours.
82. En 2022, le réalisateur lituanien Mantas Kvedaravičius travaillait
sur un film consacré à Marioupol. Officiellement présent dans la
ville pour une mission humanitaire, il a tenté de la quitter à la
fin du mois de mars, figurant sur la liste des personnes à évacuer.
Le 28 mars 2022, lui et un autre homme (présents sur le territoire occupé)
ont été arrêtés. Mantas Kvedaravičius était soupçonné d’être un
observateur ou un membre d’un groupe de sabotage ukrainien. Il n’a
pas été libéré et, le 1er avril 2022,
son corps a été remis à sa compagne: il avait été exécuté et son
corps présentait des ecchymoses. Les suspects appartiennent à des
groupes armés illégaux de la Fédération de Russie. Une enquête conjointe
avec la Lituanie est en cours et ces suspicions ont été rendues
publiques le 20 février 2024.
83. Le 13 mars 2022, entre 12 h et 13 h, près du centre commercial
Zhyraf à Irpin (district de Bucha, région de Kyiv), des militaires
russes ont ouvert le feu sur une voiture transportant plusieurs
personnes, entraînant la mort du journaliste du New York Times,
Brent Reno. Une enquête est menée par la police nationale, le service de
sécurité d’Ukraine et le bureau du procureur général.
84. Le 19 septembre 2022, une journaliste locale et rédactrice
en chef du journal Kakhovska Zoria, Zh. Kyselyova, a été arrêtée
à la suite d’une perquisition de son appartement. Elle a été conduite
au commissariat de police de Novokakhovka, où elle a été interrogée,
a été mise en garde et a été soumise à des pressions visant à la
faire coopérer avec les autorités d’occupation, qui ont menacé d’emprisonner
son fils mineur. Elle a été détenue au poste de police jusqu’au
1er octobre 2022, date à laquelle elle
a été libérée. Une enquête préliminaire est en cours.
85. Le 27 juin 2024, des représentants de l’administration ou
de l’armée russe se sont à nouveau rendus au domicile de Mme Kiselyova.
Ils l’ont ligotée, lui ont mis un sac sur la tête et l’ont emmenée
vers un lieu inconnu. Elle a été conduite dans une maison privée
qu’elle ne connaissait pas, où elle a été interrogée sur ses positions pro-ukrainiennes,
ses activités journalistiques, sa coopération avec les forces armées,
le SBU, etc. Elle a également été interrogée sur des militant·es
locaux, dont Oleh Baturin. Le lendemain, elle a probablement été emmenée
jusqu’à la périphérie de Genichesk, où elle a été enfermée dans
le sous-sol d’un petit hôtel. Elle y a été torturée, frappée sur
tout le corps, électrocutée et accusée de subversion. Le 31 juillet
2024, elle a été libérée. Une enquête préliminaire est en cours.
86. Alors qu’elle travaillait dans les environs de Kyiv, K. Tolstyakova,
une journaliste de Radio Liberty, a découvert des documents appartenant
à des militaires russes. Elle a ensuite échangé des messages via WhatsApp
et Telegram pour déterminer où ils se trouvaient. En réponse, un
militaire russe a commencé à la menacer de mort par l’intermédiaire
d’applications de messagerie. Le 26 septembre 2022, le tribunal
du district de Solomianskyi à Kyiv a condamné ce militaire à neuf ans
de prison.
87. Les forces de l’ordre ukrainiennes coopèrent avec la CPI depuis
le début de l’invasion. Le bureau du procureur général répond aux
demandes de la CPI conformément au droit international et national.
6. Récapitulatif
88. Depuis le début de sa guerre
d’agression à grande échelle en février 2022, la Fédération de Russie
a commis plus de 800 crimes contre des médias et des professionnels
des médias.
89. Cette guerre est aussi une guerre contre la vérité et, à ce
titre, les médias et les journalistes libres sont traités comme
des ennemis par l’agresseur.
90. Les récents échanges de prisonniers entre l’Ukraine et la
Fédération de Russie prouvent une fois de plus que le processus
de libération des journalistes retenus en captivité en Russie présente
certaines difficultés.
91. Nous savons toutes et tous que le régime russe actuel se moque
du droit international. Par conséquent, le seul moyen de garantir
la libération et le retour en Ukraine des journalistes qui ont été
arrêtés et détenus illégalement est d’exercer une pression politique
et diplomatique sur la Fédération de Russie. Il importe aussi de
renforcer de manière continue et soutenue la pression exercée au
moyen de sanctions et de mécanismes destinés à amener les responsables
à répondre de leurs actes.
92. Tous les États membres du Conseil de l’Europe doivent assumer
ce rôle. Il s’agit d’une obligation découlant à la fois du Statut
du Conseil de l’Europe (STE n° 1) et de la Déclaration de Reykjavík.
93. En outre, je pense que les organisations internationales dont
la Fédération de Russie est membre, en particulier les Nations Unies
et l’OSCE, ainsi que le CICR, en tant qu’organisation internationale
non gouvernementale, pourraient jouer un rôle important à cet égard.
94. S’agissant du Conseil de l’Europe, sa campagne pour la sécurité
des journalistes, «Les journalistes comptent», pourrait être utilisée
plus largement pour mettre en lumière la situation des journalistes
ukrainiens détenus illégalement en Fédération de Russie, et cette
action de sensibilisation pourrait être renforcée par les associations
internationales et locales de journalistes. La Plateforme sur la
sécurité des journalistes devrait participer à la documentation
des cas de violations graves du droit international des droits humains
par les autorités russes.
95. Je souhaiterais également encourager les parlementaires à
travailler avec leur gouvernement pour soutenir les journalistes.
Une aide financière serait également utile à cet effet, car la situation
des médias ukrainiens sur le plan financier a été extrêmement fragilisée.
L’Union européenne fait sa part, avec un nouveau programme de subventions
de 10 millions d’euros
, et les États membres pourraient
faire de même pour aider les médias libres à survivre en temps de
guerre. En outre, des mesures devraient être prises pour favoriser l’intégration
des journalistes ukrainiens déplacés à l’extérieur de leur pays,
afin qu’ils et elles puissent relayer des informations sur leur
pays et sur la guerre d’agression dans les médias nationaux des
États membres qui les ont accueillis.

96. Il est important de ne pas garder le silence. J’aimerais à
cet égard citer l’exemple de Nariman Dzhelyal, premier vice-président
du Mejlis du peuple tatar de Crimée, ancien prisonnier politique
et journaliste, qui a probablement été l’un des premiers civils
en captivité à être libéré. Il savait que l’Assemblée avait évoqué
sa situation et demandé sa libération, et ce fut important pour
lui, à son retour, de voir qu’il n’avait pas été oublié.
97. Pour ce qui est du devoir de mémoire, je voudrais saluer et
soutenir la proposition du Président de l’Assemblée, M. Theodoros
Rousopoulos, visant à instaurer une commémoration «Victoire pour
Victoria»
, en l’honneur des
correspondant·es de guerre et des journalistes qui risquent (et
souvent perdent) la vie dans l’exercice de leurs fonctions en défendant
le droit à l’information et à la vérité dans les zones de conflit. M. Rousopoulos
a proposé que cette commémoration, qui pourrait être célébrée lors
de la partie de session d'automne de l'Assemblée, soit nommée en
mémoire de Victoria Roshchyna, bien que son histoire ne soit pas isolée;
en effet, chaque année, des dizaines de journalistes sont tués,
emprisonnés ou disparaissent de force dans des zones de guerre.

98. Les objectifs de cette commémoration seraient les suivants:
- commémorer les journalistes tués ou disparus lors de conflits, en particulier celles et ceux qui ont couvert des crimes de guerre ou ont défendu les droits humains;
- promouvoir la liberté d’expression, l’indépendance des médias et la protection des journalistes, telles qu’elles sont inscrites dans la Convention européenne des droits de l’homme et les normes du Conseil de l’Europe;
- soutenir les initiatives du Conseil de l’Europe telles que la Plateforme pour la protection du journalisme et la sécurité des journalistes.
99. La commémoration «Victoire pour Victoria» pourrait être marquée,
par exemple, par des résolutions spécifiques de l'Assemblée, une
minute de silence pendant la partie de session d’automne de l’Assemblée (Victoria
est née en octobre 1996 et a été tuée en septembre 2024), des événements
parallèles ou des auditions de commissions en coopération avec des
organisations de journalisme de toute l’Europe.
100. Sur la base de ces conclusions, je propose une série de mesures
concrètes dans le projet de résolution.