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A. Projet de
résolution
(open)
Rapport | Doc. 16243 | 09 septembre 2025
Promouvoir la couverture santé universelle
Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable
A. Projet de
résolution 
(open)1. La couverture santé universelle
(CSU), fondée sur le principe de «ne laisser personne de côté», constitue
un engagement politique central du Programme de développement durable
à l’horizon 2030 des Nations Unies, et fait l’objet de la cible
3.8 de l’Objectif de développement durable (ODD) 3. Dans le Pacte
pour l’avenir adopté en 2024, les chefs d’État et de gouvernement
réunis à l’Assemblée générale des Nations Unies ont réaffirmé leur
volonté de redoubler d’efforts pour concrétiser cet objectif.
2. La santé est une priorité politique du Conseil de l’Europe.
Le Secrétaire général l’a rappelé à l’occasion de la Journée mondiale
de la Santé (7 avril) «La santé est notre bien le plus précieux
et une préoccupation de premier ordre pour tous les Européens (…)
Aujourd’hui plus que jamais, les soins de santé doivent être synonymes
de confiance, de sécurité et d’accès, ce qui nécessite une approche
holistique (…) Aujourd’hui, et chaque jour, réaffirmons qu’un système
de santé équitable et de qualité est un élément essentiel d’une démocratie
saine».
3. Les objectifs poursuivis en matière de santé, tant au niveau
mondial que régional, reposent sur un socle juridique solide et
largement consensuel. Le droit de jouir du meilleur état de santé
physique et mentale, le droit à la protection de la santé et le
droit à la protection sociale sans discrimination sont des droits
humains fondamentaux, indissociablement liés à la dignité humaine
et essentiels à l’exercice effectif de l’ensemble des autres droits.
4. L’Assemblée parlementaire l’a déjà inscrit à son agenda dans
la Résolution 2500 (2023) «Urgence de santé publique: la nécessité
d’une approche holistique du multilatéralisme et des soins de santé»:
Elle y rappelle que les soins de santé primaires sont la pierre
angulaire de la CSU, garantissant prévention, promotion de la santé,
traitement, protection financière, et nécessitent un financement
durable. Dans ce cadre, la prévention et la lutte contre les discriminations
fondées sur le genre étant essentielles, la CSU doit inclure pleinement
la santé sexuelle, reproductive et mentale, ainsi que la prise en
charge complète des victimes de violence.
5. La CSU constitue un investissement stratégique dans le développement
durable. Elle améliore les résultats sanitaires, la cohésion sociale,
l’équité, l’égalité de genre et la stabilité économique. Elle est
reconnue comme une base essentielle de la sécurité sanitaire mondiale
pour résister aux crises sanitaires, géopolitiques, économiques
et climatiques. Malgré cela, les progrès vers la CSU stagnent avec
plus de 4,5 milliards de personnes ne bénéficiant pas entièrement
de services essentiels, 2 milliards connaissant des difficultés
dues au non-remboursement de frais de santé, et 344 millions tombées
dans l'extrême pauvreté à cause des frais de santé et une détérioration
de la protection financière.
6. Bien que les États membres du Conseil de l’Europe affichent
des progrès supérieurs à la moyenne mondiale, les inégalités d’accès
aux soins et les disparités sanitaires y persistent, voire s’aggravent. L’Assemblée
souligne l’urgence de renforcer l’action pour atteindre la cible
3.8 de l’ODD 3 d’ici à 2030, en mobilisant pleinement les leviers
du Cadre stratégique 2024-2027 de la plateforme CSU2030, en vue
de la prochaine réunion de haut niveau prévue en 2027.
7. Au cœur du plaidoyer pour faire progresser la CSU, le Conseil
de l’Europe apporte une contribution unique fondée sur les droits
humains. En mobilisant ses traités – la Convention européenne des
droits de l’homme (STE n°5), la Charte sociale européenne (révisée)
(STE n°163) et la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine
(STE n°164, «Convention d’Oviedo») –, il influence les législations
et politiques sociales et de santé publique de ses États membres.
Cette approche holistique, centrée sur la dignité humaine, associe
notamment la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
et du Comité européen des droits sociaux, l’action du Comité directeur
pour les droits de l’homme dans les domaines de la biomédecine et
de la santé, les interventions du Commissaire aux droits de l’homme
et les initiatives du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux.
Elle constitue un levier déterminant pour faire du droit à la santé
une réalité pour toutes et tous, en cohérence avec les objectifs
de la CSU et de l’ODD 3.
8. L’Assemblée reconnaît que la Charte sociale européenne est
l’instrument clé du Conseil de l’Europe pour promouvoir la CSU.
Ses articles 11 et 13, interprétés à la lumière de la définition
de la santé de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), garantissent
le droit à la protection de la santé pour toutes les personnes présentes
sur le territoire des États parties, sans distinction de statut
administratif. La jurisprudence du Comité européen des droits sociaux
renforce ce cadre en précisant les obligations positives des États: garantir
des soins disponibles, accessibles économiquement et géographiquement,
acceptables culturellement et de qualité, tout en assurant l’accès
effectif aux soins essentiels. Elle intègre également les déterminants
sociaux de la santé (logement, énergie, alimentation), affirmant
ainsi une approche globale et intégrée de la CSU.
9. La Convention d’Oviedo soutient directement la cible 3.8 de
l’ODD 3 en posant le principe d’un accès équitable à des soins de
qualité, tenant compte des besoins de santé et des ressources disponibles. S’appuyant
sur cette base, la Recommandation CM/Rec(2023)1 du Comité des Ministres
appelle les États à garantir un accès équitable aux médicaments
et équipements médicaux, y compris en période de pénuries, pour
les personnes atteintes de maladies graves. L’Assemblée salue également
l’action du Comité directeur pour les droits humains dans les domaines
de la biomédecine et de la santé, qui fait de l’accès équitable
et rapide aux innovations médicales une priorité stratégique.
10. Dans un contexte de soutien politique fragilisé, de tensions
géopolitiques croissantes et de contraintes budgétaires, l’Assemblée
souligne l’importance de porter un message collectif, clair et mobilisateur
en faveur de la CSU. Les engagements pris dans le cadre des ODD
s’imposent aux États membres du Conseil de l’Europe. Pour que la
CSU devienne une réalité, il est indispensable que chaque État s’approprie
ces objectifs et que chaque parlement participe activement à leur
mise en œuvre dans les politiques publiques nationales.
11. L’Assemblée considère que le Conseil de l’Europe a toute légitimité
à rejoindre la plateforme CSU2030, aux côtés d’autres organisations
internationales telles que l’Organisation de coopération et de développement économiques.
Cette adhésion renforcerait sa contribution à l’alignement mondial
des efforts en faveur de la CSU et permettrait de promouvoir ses
normes et outils dans un cadre multilatéral. En rejoignant le comité
de pilotage de la plateforme et en endossant le Pacte mondial CSU2030,
le Conseil de l’Europe pourrait davantage mobiliser les gouvernements
et parlements de ses États membres, renforcer la place des droits humains
dans les systèmes de santé et contribuer à faire de la CSU un objectif
commun, partagé et mesurable.
12. L’Assemblée appelle les États membres et observateurs du Conseil
de l’Europe, ainsi que les États dont le parlement bénéficie du
statut d’observateur ou de partenaire pour la démocratie auprès
de l’Assemblée:
12.1. en ce qui concerne
la CSU et les politiques de santé:
12.1.1. à inscrire l’objectif de la CSU comme priorité politique
nationale, conformément à la cible 3.8 de l’ODD 3 et aux engagements
réitérés dans le Pacte pour l’avenir adopté en 2024, en affectant
à sa réalisation un budget suffisant conformément notamment aux
recommandations de l’OMS;
12.1.2. à garantir, en particulier pour les personnes en situation
de vulnérabilité, un accès équitable, abordable et de qualité aux
soins de santé physique et mentale, y compris des dispositifs d’intervention
proactive pour les personnes qui, en raison de leur santé, ne peuvent reconnaître
leur besoin de soins ni se déplacer vers les services;
12.1.3. à investir de manière accrue et durable dans les soins
de santé primaires, reconnus comme fondement de la CSU et condition
essentielle à la résilience sanitaire et sociale;
12.1.4. à reconnaître et intégrer les déterminants sociaux de
la santé (tels que l’accès au logement, à l’alimentation, à l’énergie
ou à un environnement sain) dans les politiques publiques de santé
et de cohésion sociale;
12.1.5. à inclure, dans le cadre de la CSU, des services complets
et accessibles de prévention, de santé sexuelle, reproductive et
mentale, ainsi que de soutien des victimes de violence sexuelle;
12.2. en ce qui concerne la mobilisation des instruments du
Conseil de l’Europe:
12.2.1. à progresser
dans l’acceptation plus large des dispositions de la Charte sociale européenne
(révisée) qui sont indispensables pour réduire les inégalités en
matière de santé et faire avancer l’engagement de ne pas faire de
laissés pour compte;
12.2.2. à se référer de manière systématique aux normes et aux
actions du Conseil de l’Europe en matière de droits humains dans
l’élaboration des politiques de santé, en particulier à la Charte sociale
européenne (révisée) et à la Convention d’Oviedo;
12.2.3. à appliquer les recommandations du Comité des Ministres
en matière d’accès équitable aux médicaments et aux soins, notamment
la Recommandation CM/Rec(2023)1, y compris en période de crise ou
de pénurie;
12.2.4. à promouvoir activement les travaux du Comité directeur
pour les droits humains dans les domaines de la biomédecine et de
la santé relatifs à l’accès équitable et rapide à l’innovation médicale;
12.3. en ce qui concerne la coordination et le multilatéralisme:
12.3.1. à affirmer leur engagement pour
la CSU dans les enceintes internationales pertinentes et plaider
pour une approche fondée sur les droits humains dans les systèmes
de santé;
12.3.2. à soutenir l’adhésion du Conseil de l’Europe à la plateforme
multilatérale CSU2030, afin d’y faire entendre la voix des droits
sociaux et de promouvoir l’alignement entre les engagements internationaux
et les normes européennes;
12.3.3. à renforcer la responsabilité des parlements dans la mise
en œuvre des objectifs de la CSU, notamment en leur fournissant
les outils et ressources proposés par la plateforme CSU2030 et des
guides de l’Union interparlementaire, afin de surveiller, encadrer,
évaluer et ajuster les politiques publiques de santé;
12.3.4. à traduire, dans les législations nationales, les engagements
multilatéraux pris en matière de CSU (notamment dans le cadre de
la plateforme CSU2030), par l’adoption de lois, de budgets dédiés
et de mécanismes parlementaires de suivi, en s’appuyant sur les
standards européens et les bonnes pratiques issues de la coopération
internationale.
B. Exposé des motifs par M. Stefan Schennach, rapporteur
(open)1. Introduction
1. Le 21 mars 2023, la commission
des questions sociales, de la santé et du développement durable
(«la commission») a déposé une proposition de résolution intitulée
«Promouvoir la couverture sanitaire universelle». La proposition
a été renvoyée à la commission pour rapport et Mme Heike
Engelhardt (SOC, Allemagne) a été désignée rapporteure le 20 juin
2023. Mme Engelhardt ayant quitté l’Assemblée parlementaire,
j’ai pris le relais et été désigné rapporteur le 25 juin 2025.
2. La proposition de résolution faisait suite à la réunion de
haut niveau sur la santé tenue en septembre 2023 à l'Assemblée générale
des Nations Unies qui a placé la couverture santé universelle (CSU)
au premier rang des priorités et confirmé la volonté politique d'en
faire une réalité d'ici à 2030. C’est dans ce contexte que l’Assemblée
parlementaire a été appelée à examiner comment les États membres
du Conseil de l’Europe devraient participer à la promotion de la
CSU et coopérer avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS),
le Partenariat international pour la CSU (CSU2030) et d’autres acteurs
clés pour atteindre cet objectif.
3. Je rappelle que la commission a modifié le titre français
du rapport pour faire référence à la «Couverture Santé Universelle»
au lieu de la «Couverture Sanitaire Universelle», pour traduire
«Universal Health Coverage». Bien que le terme «sanitaire» soit
encore largement utilisé, le terme «santé» renvoie directement à
l'accès équitable de chaque personne aux soins essentiels (et pas
seulement aux infrastructures de santé), ce qui est l'objectif central
de la CSU, et reflète mieux le terme anglais «health»
.

4. Mon postulat est le suivant: la CSU n’est pas seulement un
objectif politique ou un engagement international parmi d’autres,
elle est une exigence fondamentale pour garantir les droits humains
de toutes et tous, sans exception. Elle incarne la promesse que
chaque individu, indépendamment de son origine, de sa situation
sociale ou de ses ressources, puisse accéder aux soins essentiels
dont il a besoin pour vivre dignement. Dans nos sociétés, la CSU
constitue un socle indispensable de justice sociale, de cohésion
et de résilience, car elle protège les plus vulnérables et renforce
la capacité collective à faire face aux crises. Mon rapport s’inscrit
donc dans une démarche résolument engagée: faire de la santé un
droit effectif et universel, au cœur de la démocratie et du respect
de la dignité humaine.
5. Les concepts fondamentaux de mon rapport sont largement admis
et font consensus. La santé est reconnue comme un droit humain depuis
1948 (article 25 de la Déclaration universelle des droits de l'homme). Le
droit à la santé comme droit fondamental a ensuite été inscrit au
niveau mondial, à l’article 12 du Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels (droit de jouir du meilleur
état de santé physique et mentale possible) et, au niveau régional
européen, à l’article 11 de la Charte sociale européenne (STE no 35,
droit à la protection de la santé).
6. La santé est définie comme un état de complet bien-être physique,
mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de
maladie ou d’infirmité (Constitution de l'OMS, 1946). Cette définition
joue un rôle crucial en mettant l'accent sur une approche holistique
et en reconnaissant que la santé ne se résume pas à l'absence de
maladie, mais qu'elle englobe aussi le bien-être physique, mental
et social.
7. La couverture universelle signifie que toute personne a accès,
dans des conditions abordables et sans discrimination, aux services
de santé dont elle a besoin – depuis la promotion de la santé jusqu’aux traitements,
en passant par la prévention, les soins de réadaptation et les soins
palliatifs. La CSU englobe les services médicaux et les mécanismes
de protection sociale. Elle a pour objectif de garantir l’équité
en matière d’usage des services de santé, de qualité des soins de
santé et de protection financière. La CSU est donc l’expression
concrète du droit à la santé
.

8. Tous les pays sont confrontés au défi de réduire l’écart entre
les besoins réels en services de santé de qualité et leur accessibilité
effective. Il n’est donc pas étonnant que la réalisation de la CSU
soit devenue une obligation politique majeure, inscrite dans le
Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations
Unies. Elle repose sur le principe de «ne laisser personne de côté»
et d’aider prioritairement les populations les plus défavorisées.
Ce défi engage des choix de gouvernance, de priorités budgétaires
et de mécanismes de solidarité. Ces choix ne peuvent ni être différés
ni relégués derrière d’autres priorités: chaque occasion doit être
saisie pour garder la CSU au cœur des agendas politiques, le présent
rapport en témoigne.
9. Ce rapport, qui s’adresse en premier lieu aux parlements des
États membres du Conseil de l’Europe, s’inscrit dans une dynamique
plus large portée par le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe
à travers le Nouveau Pacte démocratique. Ce pacte souligne l’interdépendance
entre la santé, la justice sociale et la résilience démocratique.
En effet, des systèmes de santé équitables, accessibles et de qualité
sont non seulement un levier de cohésion sociale, mais aussi un
fondement indispensable pour garantir l'inclusion, la confiance
dans les institutions et la participation citoyenne
.

2. Promouvoir la couverture santé universelle comme moteur du développement durable
2.1. La couverture santé universelle, un levier transversal des Objectifs de développement durable
10. Au-delà de la santé elle-même,
la CSU constitue un investissement stratégique dans le développement durable.
Elle améliore non seulement les résultats sanitaires, mais aussi
la cohésion sociale, l’équité, l’égalité de genre et la stabilité
économique. Une population en bonne santé est plus productive, mieux
éduquée et davantage capable de contribuer au développement durable.
Le lien entre la santé et le développement durable est reconnu au
niveau politique dans le monde entier. En témoigne la décision d'intégrer
un objectif de développement durable (ODD) spécialement consacré
à la santé dans le Programme de développement durable à l'horizon
2030 adopté par les Nations Unies en septembre 2015 (le Programme
2030)
. Il s’agit de l'ODD 3
«Permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être
de tous à tout âge». La cible 3.8 inclut la réalisation de la «couverture
santé universelle» et précise les éléments de cette couverture:
la protection contre les risques financiers, l'accès à des services
de santé essentiels de qualité et l'accès à des médicaments et vaccins
essentiels sûrs, efficaces, de qualité et d’un coût abordable.

11. La CSU ne peut être atteinte sans un accès effectif aux soins
de santé mentale. Les personnes vivant avec des troubles psychiques
sévères restent souvent invisibles pour le système de santé : elles
ne reconnaissent pas toujours leur besoin de soins et rencontrent
des obstacles physiques, sociaux et financiers pour y accéder. Les
interventions proactives, fixes, mobiles ou communautaires, sont
donc essentielles : elles permettent de détecter précocement les
besoins, d’assurer un suivi continu et de réduire les inégalités
en santé. La CSU doit intégrer ces dispositifs comme un pilier central
pour protéger les populations vulnérables et garantir des soins
de santé mentale accessibles, inclusifs et non stigmatisants
.

12. En intégrant une approche sensible au genre, la CSU offre
en particulier une opportunité pour faire progresser les droits
des femmes et des filles, en corrigeant les inégalités systémiques
liées aux rôles sociaux, à l’exposition aux risques et à l’accès
aux services, et en renforçant la participation des femmes aux processus décisionnels
en matière de santé
.
Elle permet de mieux répondre aux besoins spécifiques des femmes exposées
à la violence sexuelle, y compris dans le cadre de la prostitution,
en assurant un accès non discriminatoire à la prévention, aux soins
et à l’accompagnement psychosocial, tout en contribuant à lutter contre
leur stigmatisation et exclusion sociale. Ces thèmes, très chers
à ma prédécesseure, étant au cœur d’autres rapports qui seront débattus
prochainement par notre Assemblée
, je
ne m’y attarderai pas.


13. Un autre enjeu crucial d’équité et de cohésion sociale dans
l’application de la CSU est l’accès des personnes migrantes aux
soins de santé
.
Ce sujet fera également l’objet d’un rapport à venir, qui permettra d’en
approfondir les implications juridiques et opérationnelles
.


14. Selon l’OMS, chaque dollar investi dans la santé permettait
un retour économique variant entre 1,50 et 121 USD selon les interventions
menées, en renforçant la productivité, la participation de la main-d’œuvre
et la résilience des familles et des communautés face aux chocs
économiques ou climatiques
.
La CSU est également reconnue comme une base essentielle de la sécurité
sanitaire mondiale. La Banque mondiale et l’OMS soulignent que les
systèmes de santé robustes fondés sur la CSU sont indispensables
pour améliorer la préparation aux pandémies, aux crises humanitaires
et aux enjeux du changement climatique
.


15. Pour accélérer les progrès vers la CSU, une plateforme mondiale
multipartite CSU2030 – a été créée en 2016. Hébergée par l’OMS en
partenariat avec la Banque mondiale, le Fonds des Nations unies
pour l'enfance (UNICEF), l’Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE) et de nombreux acteurs publics, associatifs et
parlementaires, cette plateforme coordonne les efforts internationaux, pour
transformer les engagements politiques en réformes concrètes. J’y
reviendrai en détail plus loin.
16. Un nouvel élan a été donné aux efforts destinés à établir
une CSU le 10 octobre 2019, à la première réunion de haut niveau
sur la CSU. L’Assemblée générale des Nations Unies a adopté une
déclaration politique intitulée «Couverture sanitaire universelle:
œuvrer ensemble pour un monde en meilleure santé». La déclaration
reconnaît que la santé contribue à la promotion et à la protection
des droits humains et engage les États à faire en sorte qu’un milliard
de personnes supplémentaires accèdent, d’ici à 2023, à des services
de santé essentiels de qualité, en vue de parvenir à une couverture
universelle d’ici à 2030. La déclaration considère la santé mentale
et le bien-être psychologique comme une composante essentielle de
la CSU et souligne la nécessité de respecter pleinement les droits
humains des personnes rencontrant des problèmes de santé mentale
.

17. L’engagement consistant à faire de la santé pour toutes et
tous une réalité à l'horizon 2030 a été réaffirmé le 21 septembre
2023, lors de la deuxième réunion de haut niveau de l’Assemblée
générale des Nations Unies, à mi-parcours du Programme 2030. Les
chefs d'État et de gouvernement ont reconnu à l'unanimité que la
CSU était essentielle pour réaliser tous les ODD
.
À la suite de cette réunion, les États membres se sont engagés
à redoubler d’efforts en faveur de la CSU et ont décidé de convoquer
la prochaine réunion de haut niveau en 2027. Cet engagement a été
réaffirmé dans le Pacte pour l’avenir adopté par l’Assemblée générale
des Nationaux Unies en septembre 2024
.


2.2. Des progrès en berne
18. Les progrès vers la CSU ne
sont toutefois pas au rendez-vous. L’indice mondial de couverture
des services en vue de la CSU, qui est passé de 45 à 68 (sur 100)
entre 2000 et 2021, a très peu évolué́ entre 2015 et 2019 avant
de stagner à partir de 2019. D’après les données les plus récentes,
environ 4,5 milliards de personnes, soit plus de la moitié de la
population mondiale (de 14 % à 87 % des habitants selon les pays), ne
sont pas entièrement couvertes par les services de santé essentiels.
La protection financière se détériore également. La part de la population
confrontée à des dépenses de santé catastrophiques
est en augmentation.
En 2021, 2 milliards de personnes connaissaient des difficultés
dues au non-remboursement de frais de santé, et 344 millions ont
basculé dans l'extrême pauvreté à cause des frais de santé
.


19. La pandémie de covid-19 a eu un impact significatif sur ces
indicateurs. Les ressources et les efforts ont été réorientés vers
la gestion de la pandémie et la protection financière a été compromise
par la perte de revenus due aux mesures de santé publique et la
réduction de la marge de manœuvre budgétaire du secteur public.
En même temps, la pandémie a aussi démontré partout dans le monde
que des systèmes de santé solides et inclusifs fondés sur la CSU
s'en sont mieux sortis. Ils ont assuré un meilleur accès aux soins primaires,
dans de meilleures conditions d’égalité, et se sont révélés mieux
préparés et plus aptes à mobiliser rapidement des ressources
.

20. Même dans les États membres du Conseil de l'Europe, la CSU
est sortie des agendas depuis le pic de la pandémie. Bien que les
progrès vers la CSU y soient plus importants qu'au niveau mondial,
les inégalités entre les groupes de population sur le plan de la
santé se sont aggravées au cours des 10 à 15 dernières années. Barrières
financières, géographiques et juridiques, crise du coût de la vie,
politiques spécifiques en matière de migrations et de sécurité,
les obstacles sont complexes et multiformes
.
En outre, depuis 2022, la guerre d’agression menée par la Russie,
qui fait perdre à l'Ukraine des infrastructures essentielles à la couverture
sanitaire de sa population, exerce une pression sur les systèmes
de santé des pays voisins qui accueillent des personnes déplacées,
mais aussi sur les systèmes de santé de nombreux pays européens
dont les ressources sont réaffectées à la sécurité et à la défense.
Dans tous les pays européens, les ressources risquent d’être détournées
des systèmes de santé nationaux en raison de la concurrence croissante
avec d'autres priorités urgentes.

21. Le coût humain de l’absence de progression dans l’instauration
de la CSU est colossal. La mortalité́ maternelle n’a pas reculé́
depuis 2015, avec près de 300 000 femmes qui meurent chaque année
pendant la grossesse ou lors de l’accouchement. La vaccination des
enfants est au point mort, le nombre d’enfants non vaccinés ou sous-vaccinés
ayant augmenté de 2,7 millions en 2023 par rapport à 2019. Les
maladies non transmissibles sont en hausse: 17 millions de personnes
en meurent chaque année avant d’atteindre l’âge de 70 ans et 86 %
de ces décès se produisent dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.
Le moyen le plus rapide et le plus efficace, équitable et inclusif
pour parvenir à la CSU passe par une approche fondée sur les soins
de santé primaires. Celle-ci pourrait permettre de fournir 90 %
des services de santé essentiels, ce qui pourrait sauver 60 millions
de vies et augmenter l’espérance de vie de 3,7 ans à l’échelle
mondiale d’ici à 2030, tout en générant environ 75 % des progrès
attendus dans le domaine de la santé grâce aux ODD
.
Pour y parvenir, l'OMS recommande à chaque pays d'allouer ou de
réaffecter 1 % supplémentaire de son PIB aux soins de santé primaires
.


2.3. Un rôle central pour les parlements dans la concrétisation des engagements
22. Dans ce contexte d'un soutien
politique en perte de vitesse, de tensions géopolitiques, de crise budgétaire
et autres défis, je suis persuadé que les arguments en faveur de
la CSU doivent être avancés collectivement, plus clairement et d'une
manière convaincante pour toutes les parties prenantes. Les engagements
en faveur des ODD lient les États membres du Conseil de l'Europe
et leurs parlements nationaux. Chaque pays est responsable au premier
chef de la mise en œuvre du Programme 2030, dans le cadre de ses
politiques et priorités nationales, et compte tenu de sa situation
et de ses capacités. Pour que le Programme 2030 donne les résultats
escomptés, il est indispensable que chaque État se l’approprie et
que chaque parlement contribue à traduire les politiques de développement
durable en mesures concrètes au niveau national. Je reviendrai plus
loin sur les leviers dont disposent les parlementaires pour s’engager
dans ce sens.
23. L’Assemblée a les moyens de faire passer ces messages: si
l'on veut préparer l'avenir, il est indispensable de réaliser des
progrès substantiels vers la CSU en termes de soins primaires d’ici
à 2030. C'est un objectif à la portée de la plupart des pays de
notre continent. L'Assemblée s'en est déjà fait l'écho dans la Résolution
2500 (2023) «Urgence de santé publique: la nécessité d’une approche
holistique du multilatéralisme et des soins de santé», qui appelle
les États membres à investir dans les soins de santé primaires (9.3.1)
et à fournir une couverture sanitaire universelle à toute personne
présente sur leur territoire, quels que soient son statut juridique,
sa nationalité, son appartenance ethnique, sa religion, son genre,
son orientation sexuelle, son handicap, y compris le handicap mental,
son état de santé, son milieu socio-économique ou toute autre situation
pertinente (9.3.3).
24. J’appelle l’Assemblée à s’impliquer davantage et à se faire
le relais des trois voies de changement définies par le Cadre stratégique
2024-2027 élaboré par la plateforme CSU2030 dans la perspective
de la prochaine réunion de haut niveau sur la CSU en 2027: plaidoyer
(influencer les décisions des institutions politiques, économiques
et sociales pour faire progresser la CSU), responsabilité (suivre
la mise en œuvre des engagements pour favoriser les actions, les
décisions, les politiques et les programmes en faveur de la CSU), et
alignement (réunir les parties prenantes pour échanger des informations
et faire valoir l’importance de l’alignement sur un seul plan national
et de travailler au sein des structures nationales pour renforcer
les systèmes de santé)
.

3. Nourrir le plaidoyer: la contribution du Conseil de l’Europe à la réalisation de la couverture santé universelle
25. Mes recherches pour construire
ce rapport ont mis en évidence que même si le Conseil de l’Europe
ne l’aborde pas en ces termes, ses organes, traités et activités
contribuent de manière systématique et coordonnée à la réalisation
de la CSU. Cela n’a rien de surprenant: le droit à la santé et le
droit à la protection sociale sans discrimination sont des droits
humains fondamentaux autonomes et reconnus comme des conditions
indispensables à l'exercice des autres droits humains; ils sont
depuis longtemps invoqués aux niveaux mondial et régional pour soutenir
la CSU
.

26. Étant donné les limites de mon rapport, je n’approfondirai
pas la protection indirecte offerte par la Convention européenne
des droits de l'homme (STE n° 5). Tout en gardant à l’esprit que
les trois traités sont indissociablement liés par la même matrice,
à savoir la dignité humaine – valeur fondamentale et socle du droit européen
des droits humains, les soins de santé en étant une condition indispensable
–, je suis d’avis que l’approche universaliste
et inclusive de la Charte sociale européenne (révisée) (STE n° 163)
et la jurisprudence de son organe de contrôle composé d’experts
indépendants – le Comité européen des droits sociaux– ainsi que
la Convention sur les Droits de l’Homme et la biomédecine (STE n°
164, «Convention d’Oviedo») et les actions de son organe intergouvernemental
de suivi – le Comité directeur pour les droits humains dans les domaines
de la biomédecine et de la santé – constituent les principaux atouts
juridiques et opérationnels du Conseil de l’Europe pour nourrir
le plaidoyer en faveur de la CSU
.


27. À ces instruments s’ajoute la contribution essentielle de
la Direction européenne de la qualité du médicament et des soins
de santé (EDQM), qui veille à l’élaboration et à la promotion de
normes élevées concernant la sécurité, l’efficacité et la qualité
des médicaments et des pratiques médicales. Ce rôle est fondamental
pour assurer une CSU effective, en garantissant que les soins dispensés
répondent à des critères rigoureux, ce qui renforce la confiance
dans les systèmes de santé au sein des États membres.
28. J’accorde également une place essentielle au rôle de vigie
indépendant du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
qui place la CSU au cœur de son mandat, interpelle les gouvernements
sur les barrières financières, promeut le renforcement des soins
primaires et l’élimination des paiements directs excessifs pour
garantir l’accès sans discrimination aux services de santé
. Je renvoie en
particulier à la contribution thématique exceptionnelle publiée
par l’ancienne Commissaire après la pandémie et aux recommandations
qu’elle et son successeur ont faites pour renforcer nos systèmes
de santé par une approche basée sur les droits humains
. J’invite
aussi l’Assemblée à appeler les États membres à soutenir les initiatives de
l’organe responsable de la dimension territoriale des ODD au sein
du Conseil de l'Europe – le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux
– en faveur de la réduction des inégalités territoriales pour améliorer
la CSU
. Bien
que mon rapport ne puisse examiner de manière détaillée les contributions
spécifiques de ces deux organes, leur action est cruciale pour donner
plein effet aux normes du Conseil de l’Europe en matière de droits humains
dans toute stratégie visant à renforcer la CSU.



29. Je précise enfin que si, pour des raisons de clarté, ce chapitre
adopte une présentation fragmentée, il importe de souligner que
la CSU appelle à une approche holistique : les États membres doivent
saisir l’ensemble des initiatives du Conseil de l’Europe en matière
de santé comme des dispositifs complémentaires. À ce titre, j’invite
à porter une attention particulière à la Conférence sur la protection
de la santé qui sera organisée à Strasbourg le 15 octobre 2025 par
le Conseil de l’Europe. Cette rencontre mettra précisément en lumière
l’action transversale et multisectorielle de l’Organisation pour
faire du droit à la santé un droit humain effectif et contribuer
de cette manière à la réalisation de l’ODD 3.
3.1. Le cadre normatif phare: la Charte sociale européenne
30. Inscrit dans la Constitution
de l'OMS en 1946, le droit à la santé est reflété au niveau européen
à l'article 11 de la Charte sociale («la Charte») qui garantit le
droit à la protection de la santé. En acceptant cette disposition,
les Parties contractantes s'engagent à reconnaître à toute personne
le droit de bénéficier de toutes les mesures lui permettant de jouir
du meilleur état de santé physique et mentale possible. Pris isolément
ou en combinaison avec l'article E (clause de non-discrimination),
cet engagement implique que les États garantissent à toutes et tous
le droit d'accès aux soins de santé et qu'ils veillent à ce que
le système de santé soit accessible à l'ensemble de la population
.

31. Pour définir la santé aux fins de l’article 11, le Comité
européen des droits sociaux s’aligne sur la définition de l’OMS
– un état de complet bien-être physique, mental et social – et considère
que le respect de l’intégrité physique et psychologique fait partie
intégrante du droit à la protection de la santé. Le «but et l’objectif de
la Charte [étant] de protéger les droits non seulement en théorie
mais également dans les faits», la conformité avec l’article 11
est évaluée au regard de la situation juridique et de sa mise en
œuvre en pratique
. Suivant
l’exemple des traités spécialisés des Nations Unies, largement ratifiés
par les États membres du Conseil de l'Europe, la Charte et la jurisprudence
du Comité établissent également des normes plus détaillées pour
certains groupes ayant des besoins spécifiques et souvent négligés
en matière d'accès aux soins de santé
,
.



32. Ce qui m’a particulièrement intéressé à l’examen de la jurisprudence
du Comité européen des droits sociaux relative à l’article 11 et
que je souhaite mettre en avant c’est qu’elle emprunte tous les
éléments du cadre d’analyse AAAQ. Je rappelle que ce cadre est l’outil
normatif et méthodologique issu du droit international des droits
humains conçu pour opérationnaliser le droit au meilleur état de
santé possible reconnu à l’article 12 du Pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels, et mobilisé pour évaluer la
réalisation effective de la cible 3.8 de l’ODD 3
. Ce
cadre repose sur quatre composantes interdépendantes: la disponibilité
(suffisance des services), l’accessibilité (économique, géographique,
et informationnelle), l’acceptabilité (respect des différences culturelles
et des besoins individuels), et la qualité (conformité médicale
et efficacité des soins)
.


33. L’article 11 de la Charte, tel qu’interprété et appliqué par
le Comité européen des droits sociaux, donne juridiquement corps
à ces quatre dimensions par le biais d’obligations positives pesant
sur les Parties contractantes.Concernant
la disponibilité, le Comité a souligné la nécessité de fournir des
équipements et des places hospitalières et de former des professionnels
de santé en quantité suffisante, afin d'éviter tout retard dans
la prestation des soins de santé
. L'absence de
discrimination est mobilisée pour évaluer la conformité avec l'article
11
.
Pour la population rurale, la nécessité de créer une accessibilité
physique a été soulignée.
Le
Comité a souligné la nécessité de rendre les soins de santé économiquement
accessibles (abordables); cet élément recoupe le champ d'application
de l'article 13 (voir ci-dessous)
. L'accessibilité et l'acceptabilité
de l'information, notamment par la sensibilisation à diverses questions
liées à la santé, aux maladies et aux traitements disponibles, et
par une éducation culturellement appropriée, ont été soulignées
à plusieurs reprises par le Comité
. La jurisprudence s'est également
concentrée sur la qualité des services de santé
.






34. La lecture proposée est particulièrement pertinente en ce
qui concerne les groupes en situation de vulnérabilité. L’accès
aux soins de santé doit être garanti à tous et toutes sans discrimination
(même en période de pandémie). Cela implique que les soins de santé
doivent être effectifs et abordables pour tous et toutes, et que
les groupes particulièrement exposés doivent être protégés de manière
appropriée
. Par conséquent, le Comité
a reconnu des obligations spécifiques en matière d’accès aux soins aux
personnes transgenres
, aux personnes en situation de handicap
, aux femmes roms
,
aux personnes migrantes ou en situation irrégulière
. La même logique vaut également pour les
sans-abris, les personnes âgées, les personnes vivant en institution
et les détenus
.






35. L'accès aux soins de santé est une condition préalable indispensable
à l'exercice du droit à la santé. Ce droit est garanti par l’article
9 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux
et culturels qui reconnaît le droit à la sécurité sociale, incluant
l’accès aux soins médicaux. Ce principe est aussi au cœur des normes
et recommandations élaborées par l’Organisation internationale du
travail, notamment la Convention n° 102 qui sert de référence aux
systèmes nationaux de sécurité sociale.
36. Au niveau du Conseil de l’Europe, cette exigence est à nouveau
inscrite dans la Charte. L’article 12 appelle les États à maintenir
leur régime de sécurité sociale à un niveau satisfaisant et à le
porter progressivement à un niveau supérieur, en s’inspirant du
Code européen de sécurité sociale (STE n° 48). Mais c’est surtout
l'article 13 de la Charte qui m’intéresse comme mesure de la contribution
de la Charte et de la jurisprudence du Comité européen des droits
sociaux à la réalisation de la CSU. Cet article vise avant tout
à garantir un accès économique aux soins (volet accessibilité du
cadre AAAQ).
37. L’article 13 garantit le droit à une assistance sociale et
médicale d'urgence à quiconque se trouve sur le territoire d'une
Partie contractante
. En l’acceptant, les Parties
contractantes s’engagent à fournir des soins gratuits, ou bien le
financement total ou partiel des services pour les rendre abordables
lorsque les soins de santé ne sont pas autrement économiquement
accessibles
.
C'est un droit individuel qui doit faire l'objet d'un recours effectif
.
Les actes médicaux couverts incluent au moins les soins immédiatement
nécessaires, tels que les soins médicaux d'urgence mais ne se limitent
pas à ces soins
.
L'article couvre à la fois les soins ambulatoires primaires et spécialisés
.
L’assistance ne peut être limitée en raison de la durée du séjour,
de la résidence ou du séjour d'une personne sur le territoire
. Aucune limitation
dans le temps de l'assistance médicale ne peut être imposée
. La possibilité d'obtenir
une aide ne peut pas dépendre des cotisations au système de sécurité
sociale
. Enfin, il ne peut être renoncé à ce droit
en raison d'une faute commise
.









38. Enfin, un autre aspect de la jurisprudence du Comité européen
des droits sociaux est particulièrement utile pour le plaidoyer
en faveur de la CSU: en dépassant l’accès aux soins médicaux pour
inclure les déterminants sociaux de la santé comme le logement,
l’alimentation ou l’énergie, la jurisprudence du Comité embrasse
clairement ces dimensions
.
Le Comité affirme ainsi que l’absence de services de base – eau, électricité,
chauffage – a de graves répercussions sur les conditions d’hygiène
et de salubrité, ainsi que sur les soins et traitements physiques
et mentaux, notamment les soins cliniques ou préventifs
.
De même, le Comité souligne que l’alimentation adéquate est une
condition essentielle de santé, et que les États doivent garantir une
sécurité nutritionnelle suffisante pour prévenir les maladies et
les troubles du développement
.



3.2. La boussole éthique: la Convention d’Oviedo
39. Un autre levier juridique central
du Conseil de l’Europe pour contribuer à la réalisation de la CSU
est la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, dite
Convention d’Oviedo. Il s’agit du seul instrument juridique international
contraignant dans le domaine biomédical, visant à protéger la dignité
humaine, l’identité et l’intégrité de toute personne face aux applications
de la biologie et de la médecine. Souvent décrite comme un cadre
éthique partagé, elle transpose les questions biomédicales, notamment
la génétique, la recherche médicale, le consentement éclairé ou
la transplantation d’organes, en principes normatifs issus du droit international
des droits humains.
40. En concordance avec l’article 11 de la Charte sociale, l’article
3 de la Convention d’Oviedo fait obligation aux Parties, compte
tenu des besoins de santé et des ressources disponibles, de prendre
les mesures appropriées en vue d’assurer, dans les limites de leur
compétence, un accès équitable à des soins de santé de qualité appropriée.
L’objectif ultime est l’élimination des différences évitables, injustes
ou réparables entre les groupes de personnes
.

41. Sur cette base, l’organe intergouvernemental de suivi de la
Convention – le Comité directeur pour les droits humains dans les
domaines de la biomédecine et de la santé (CDBIO) – contribue de
manière substantielle à la mise en œuvre de la cible 3.8 de l’ODD
3. Le deuxième pilier thématique du plan d’action stratégique 2020-2025
élaboré par le CDBIO est précisément dédié à l’équité dans les soins
de santé et à l’élimination des disparités en matière de santé créées
par les changements sociaux et démographiques dans les États membres
du Conseil de l’Europe.
42. Dans cette veine, la Recommandation (2023)1 du Comité des
Ministres
a
été élaborée par le CDBIO en vue de protéger les droits fondamentaux
des personnes souffrant de problèmes de santé graves ou engageant
le pronostic vital, y compris dans un contexte de pénuries. Ce document
d’orientation politique appelle les 46 États membres à garantir
un accès équitable aux médicaments et aux équipements médicaux et
à protéger les droits fondamentaux. Elle introduit des garanties
procédurales et des principes d’action inspirés du droit international
des droits humains: absence de discrimination, priorisation fondée
sur des critères médicaux objectifs, transparence des décisions,
responsabilité des autorités, et participation inclusive des parties
prenantes. Ce texte est particulièrement intéressant pour nourrir
le plaidoyer en faveur de la réalisation de la CSU car les mesures
qu’il recommande touchent autant l’accessibilité aux soins de santé (non‑discrimination
et soins abordables), leur disponibilité (stocks stratégiques),
leur acceptabilité (intégration des besoins des plus vulnérables)
que leur qualité (certification et contrôle des produits), en parfaite
cohérence avec le cadre AAAQ.

43. Le deuxième pilier thématique du plan d’action stratégique
du CDBIO comporte une autre dimension: promouvoir l’accès équitable
et en temps opportun à des traitements innovants et à des technologies appropriées
en matière de soins de santé. En effet, si un nombre croissant de
traitements innovants et de technologies en matière de santé ont
fait leur apparition sur le marché, leur accessibilité est souvent
mise à mal notamment en raison de leur prix. Cette ambition est
alignée sur l’objectif poursuivi par l’article 3 de la Convention
d’Oviedo et implique que des efforts particuliers soient faits pour
améliorer l’accès des personnes et des groupes défavorisés à ces
traitements et technologies et pour veiller à ce que les nouveaux développements
ne créent pas ou n’exacerbent pas les déséquilibres existants.
44. J’ai enfin pris note avec intérêt du développement par le
CDBIO d’un Guide pour la littératie en santé (connaissance et maîtrise
des questions de santé) qui vise à réduire les disparités de santé
liées aux déterminants sociaux et démographiques
. Ce guide entend favoriser
l'autonomisation des personnes en situation de vulnérabilité pour
faciliter leur accès effectif, éclairé et équitable aux soins, y
compris en matière de santé sexuelle et reproductive.

4. Renforcer la responsabilité: les leviers parlementaires pour contribuer à réaliser la couverture santé universelle
45. Les normes du Conseil de l’Europe
en matière de droits sociaux et de bioéthique, abordées dans le chapitre
précédent, ne se limitent pas à alimenter le plaidoyer: leur pleine
effectivité dépend d’une mise en œuvre concrète, dans laquelle les
parlements ont un rôle déterminant à jouer. Le cadre stratégique
2024-2027 de la plateforme CSU2030 identifie, comme deuxième voie
de changement, la nécessité de renforcer la responsabilité à tous
les niveaux. Cela implique que les gouvernements soient tenus de
rendre compte de leurs engagements, et que les législateurs disposent
des outils nécessaires pour surveiller, encadrer, évaluer et ajuster
les politiques publiques de santé. Ce chapitre se consacre précisément
à cette dynamique: il explore les leviers à la disposition des parlementaires
pour relier les normes juridiques et éthiques à la mise en œuvre effective
de la CSU. L’objectif est clair: faire de la CSU et de la protection
financière pour la santé une priorité politique et inscrire cet
engagement dans les feuilles de route parlementaires nationales.
46. Dans cette perspective, les parlements apparaissent comme
des acteurs centraux. Le vote du budget, l’adoption de lois, la
définition de politiques nationales de santé ainsi que la mise en
place de mécanismes d’évaluation et de contrôle sont autant d’attributions
législatives décisives pour réaliser la CSU, et en faire une priorité
nationale durable. Qu’il s’agisse des engagements pris par les États
dans la Déclaration politique de la réunion de haut niveau des Nations
Unies sur la CSU (2019), des conclusions du Comité européen des
droits sociaux et de ses décisions sur les réclamations collectives
ou des recommandations du CDBIO, les États membres sont tenus de
dégager des orientations concrètes en matière de santé, de sécurité
sociale, d’accès aux soins, d’égalité d’accès et de les traduire
en propositions législatives, rapports d'évaluation, ou mesures budgétaires.
4.1. Puiser dans les ressources de la plateforme CSU2030
47. La plateforme CSU2030
constitue
une première ressource précieuse pour les parlementaires désireux de
jouer un rôle actif dans la réalisation de la CSU. Le 6 décembre
2024, la commission des questions sociales, de la santé et du développement
durable a auditionné Mme Marjolaine Nicod,
cheffe du Secrétariat CSU2030 de l’OMS. Elle a partagé avec nous
une liste impressionnante d’outils et de cadres fournis par la plateforme CSU2030
pour permettre aux parlementaires de surveiller les progrès et garantir
la transparence dans la mise en œuvre des engagements en faveur
de la CSU.

48. Parmi les ressources proposées par la plateforme CSU2030,
plusieurs outils me sont apparus plus particulièrement pertinents:
- premièrement, l’interface de suivi des progrès vers la CSU fournit des profils nationaux actualisés, combinant données quantitatives et qualitatives, visualisations, indicateurs sur la disponibilité et la qualité des services de santé, la protection financière, les inégalités d’accès ou encore la participation citoyenne. Ces profils sont accompagnés de tableaux de bord comparatifs facilitant la mise en perspective des résultats entre pays
.
- deuxièmement, le bilan des engagements pris lors de la réunion de haut niveau des Nations Unies sur la CSU (2019) propose une analyse synthétique de l’état d’avancement de chaque pays
. Ce document analytique «clé en main», coordonné avec les acteurs nationaux et internationaux, permet d’identifier les progrès, les lacunes et les zones d’amélioration.
- troisièmement, le document «Monitoring, Evaluation and Review of National Health Strategies»
offre un cadre méthodologique clair pour la mise en place de plateformes nationales de suivi-évaluation des stratégies de santé. Ce guide identifie les principes, les structures et les pratiques à adopter pour assurer une évaluation indépendante, régulière et transparente des politiques publiques. Les parlementaires peuvent s’en inspirer pour proposer de tels dispositifs dans leur propre pays.
- enfin, la boîte à outils sur l’alphabétisation budgétaire en santé vise à renforcer les capacités des parlementaires, des journalistes et des acteurs de la société civile dans l’analyse budgétaire. Il fournit des outils pratiques pour accéder à l’information budgétaire, en comprendre les enjeux, et formuler des propositions argumentées sur l’allocation des ressources en santé
.
49. J’encourage chaque membre de l’Assemblée à tirer pleinement
parti de ces outils. Fondés sur des données probantes, des méthodologies
éprouvées et des indicateurs comparables entre pays, ils peuvent nourrir
les débats parlementaires, éclairer l’évaluation des politiques
existantes et appuyer les réformes.
4.2. Mettre en pratique les guides élaborés par l’Union interparlementaire
50. Les guides élaborés par l’Union
interparlementaire (UIP) en partenariat avec l’OMS figurent également parmi
les outils les plus pertinents pour accompagner les parlementaires
mobilisés en faveur de la CSU
.
Ils offrent un cadre structuré et des exemples directement transposables
aux divers contextes nationaux. Le Guide n° 35 «La voie de la CSU»
présente les fondements de la CSU et les leviers législatifs à la
disposition des parlementaires, de la conception des lois au suivi
de leur application. Il est complété par le manuel «Garantir la
CSU» – livré avec des études de cas et des recommandations sur le
financement des systèmes de santé, la réduction des inégalités et
l’accès équitable aux soins – ainsi que par le guide «Six étapes
pour réaliser la CSU», qui propose une démarche structurée pour
évaluer les besoins, allouer les ressources et suivre l’impact des
réformes.

51. Ces documents, croisés avec les travaux du Comité européen
des droits sociaux
, m’ont permis de mieux
cerner le rôle concret que peuvent jouer les parlementaires. Plusieurs
exemples m’ont semblé particulièrement inspirants:

- premièrement, en ce qui concerne la mobilisation internationale: lors de la 141ème Assemblée de l’UIP à Belgrade (13-17 octobre 2019), plus de 1 800 parlementaires ont adopté une résolution appelant à l’adoption de lois nationales effectives pour atteindre la CSU d’ici à 2030. Des ateliers interparlementaires y ont également permis d’échanger sur les stratégies et bonnes pratiques en la matière.
- deuxièmement, en ce qui concerne les réformes nationales favorables à la CSU: en France, la création de la couverture maladie universelle, puis de la complémentaire santé solidaire, a permis un accès aux soins indépendant du statut professionnel ou du revenu, avec un remboursement progressif selon les ressources
. En Suède, la loi garantit un accès universel aux soins primaires, fondé sur les principes de dignité, de besoin et de solidarité
. Dans plusieurs pays d’Europe centrale et orientale (Hongrie, Lettonie), des plafonds annuels de reste à charge et des exemptions ciblées protègent les plus vulnérables contre les coûts de santé catastrophiques
.
- enfin, en ce qui concerne la planification politique durable: en Irlande, le programme Sláintecare, adopté par consensus interpartisan à l’Oireachtas, illustre l’impact possible d’un engagement transpartisan. Ce plan décennal vise la transformation progressive du système de santé vers un modèle véritablement universel, fondé sur l’équité et l’accessibilité
.
4.3. S’appuyer sur le réseau UNITE
52. Enfin, les parlementaires engagés
dans la réalisation de la CSU peuvent s’appuyer sur le réseau UNITE
,
une organisation parlementaire qui œuvre à la construction de systèmes
de santé durables, équitables et efficaces. Il promeut des réformes
législatives en santé, facilite l’échange d’expériences et soutient
les Objectifs de développement durable, en particulier l’ODD 3.
Composé de parlementaires actuels et anciens de différents niveaux
– local, national, régional – UNITE offre, grâce à ses bureaux politiques,
une plateforme d'échange entre parlementaires et organisations de
la société civile, fournissant des orientations pour influencer
et améliorer les politiques de santé.

5. Conclusion: renforcer l’alignement des acteurs en rejoignant la plateforme CSU2030
53. La réalisation effective de
la CSU exige un alignement stratégique et opérationnel de l’ensemble
des parties prenantes: gouvernements, parlements, organisations
internationales, société civile, partenaires de développement, secteur
privé et milieux académiques. Ce principe constitue la troisième
voie de changement identifiée par le cadre stratégique 2024-2027
de la plateforme CSU2030. Il repose sur une idée simple et puissante:
pour réussir, la CSU doit être portée collectivement, au sein de
systèmes inclusifs, coordonnés et orientés vers les résultats.
54. Dans cette perspective, je propose que le Conseil de l’Europe
rejoigne officiellement la plateforme CSU2030 à l’instar de l’OCDE,
organisation coordonnée avec laquelle notre Organisation partage
des valeurs communes. Le Conseil de l’Europe aurait tout à gagner selon
les propos de Mme Francesca Colombo de l'OCDE
(cheffe de la division de la santé de la Direction de l'emploi,
du travail et des affaires sociales) entendue par la commission
le 3 juin 2024. En devenant membre du comité de pilotage ou en s’associant
aux activités de la plateforme, il contribuerait à l’alignement
global des efforts en faveur de la CSU tout en affirmant sa vocation
à articuler droits humains et politiques de santé. Concrètement,
cette adhésion permettrait de mobiliser les parlementaires grâce
à des outils et campagnes ciblés – telles que la Journée internationale
de la CSU du 12 décembre – de favoriser l’intégration de la CSU
dans les agendas politiques nationaux pour accélérer la mise en
œuvre des ODD, de promouvoir l’investissement dans les soins de
santé primaires (en dépensant mieux, pas nécessairement plus) et
de soutenir des approches inclusives, en application de la résolution
adoptée en mai 2024 par l’Assemblée mondiale de la santé sur le
renforcement de la participation sociale pour la CSU
.

55. Concrètement, selon les explications fournies par la cheffe
du Secrétariat CSU2030 auditionnée par la commission, rejoindre
la plateforme impliquerait d’endosser le Pacte mondial CSU2030 –
un engagement politique volontaire proposé par la plateforme CSU2030
qui reconnaît la CSU comme priorité mondiale et appelle à une approche
fondée sur les soins de santé primaires, équitable et centrée sur
les personnes. Ses six principes fondamentaux sont parfaitement
alignés avec les valeurs et travaux du Conseil de l’Europe et de ses
États membres en matière de santé: ne laisser personne de côté,
adopter une approche basée sur les droits humains et l’équité, se
concentrer sur des systèmes de santé solides, efficaces et résilients,
accroître la transparence et la responsabilité, impliquer tous les
acteurs, investir plus, intelligemment et de manière durable. Cela
supposerait également une adhésion formelle au comité de pilotage,
permettant au Conseil de l’Europe de participer à l’élaboration
des orientations stratégiques de la plateforme et d’y représenter
les spécificités du cadre européen des droits sociaux. Enfin, la
collaboration serait possible à travers des campagnes conjointes,
des événements de plaidoyer ou des échanges de connaissances.
56. L’adhésion du Conseil de l’Europe à la plateforme CSU2030
trouverait par ailleurs un écho naturel dans la Conférence sur la
protection de la santé que l’Organisation accueillera à Strasbourg
le 15 octobre 2025. Cette rencontre mettra en lumière son approche
transversale et multisectorielle en matière de santé et de droits
humains, en résonance avec les principes de la CSU. Elle offrira
également une étape préparatoire utile en vue de la prochaine réunion
de haut niveau des Nations Unies sur la CSU prévue en 2027, en positionnant le
Conseil de l’Europe comme un acteur mobilisé pour contribuer concrètement
à la réalisation de l’ODD 3.
57. Enfin, il est crucial de souligner que cet engagement pour
la CSU s’inscrit pleinement dans la dynamique portée par le Nouveau
Pacte démocratique du Conseil de l’Europe. La santé équitable et
accessible est non seulement un levier fondamental de justice sociale
et de cohésion, mais aussi un pilier essentiel pour la résilience
démocratique, la confiance dans les institutions et la participation
citoyenne. Agir pour la CSU, c’est donc renforcer le socle même
des valeurs et missions de notre Organisation.