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A. Projet de
résolution
(open)
Rapport | Doc. 16244 | 09 septembre 2025
Analyse et lignes directrices visant à garantir le droit au logement
Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable
A. Projet de
résolution 
(open)1. Le droit à un logement convenable
est un droit humain universel reconnu par le droit international
des droits humains, notamment par la Charte sociale européenne (révisée)
(STE no 163). Essentiel à la jouissance de
tous les droits économiques, sociaux et culturels dans les cadres
internationaux relatifs aux droits humains, au même titre que les
droits civils et politiques, il s’inscrit dans le droit de toute
personne à un niveau de vie suffisant. Un logement convenable signifie
le droit de vivre en sécurité, en paix et dans la dignité – dans
un logement sûr, sain, d’un coût abordable, accessible et adapté
aux besoins, doté d’un accès à l’eau potable et d’installations
sanitaires et énergétiques. Garantir le droit au logement pour toutes
et tous n’est pas seulement une obligation légale, c’est aussi une
pierre angulaire de la justice sociale et du développement humain,
et donc de la stabilité démocratique.
2. Les droits humains étant universels, indivisibles, interdépendants
et intimement liés, toute violation du droit à un logement convenable
peut porter atteinte à la jouissance d’un large éventail d’autres
droits humains. De même, le droit à un logement convenable peut
aussi être affecté par la mesure dans laquelle d’autres droits humains
sont garantis. Bien que ce droit soit essentiel au bien-être humain,
il reste une promesse non tenue pour plus d’un milliard de personnes
dans le monde qui ne sont pas convenablement logées. En Europe,
plus de 1,3 million de personnes étaient sans abri en 2023, dont
400 000 enfants, et environ 19,2 millions vivaient dans des conditions
de logement précaires graves.
3. Les guerres et les conflits armés aggravent le problème du
logement pour les populations touchées, comme en Ukraine où environ
13 % des logements ont été gravement endommagés ou détruits. L’Assemblée parlementaire
note qu’au vu des destructions massives et délibérées d’habitations
dans les zones de guerre, notamment la situation humanitaire catastrophique
à Gaza où 92 % des bâtiments résidentiels sont détruits ou endommagés,
le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à un logement
convenable a appelé à la création d’un nouveau crime – le domicide
– au niveau international.
4. L’Assemblée déplore la financiarisation du logement, qui est
traité comme une marchandise plutôt que comme un droit humain et
un bien social. Elle s’inquiète de l’insuffisance de l’offre dans
de nombreuses villes, de l’accroissement des inégalités de revenus,
de la hausse du chômage, de la crise du coût de la vie, des taux d’intérêt
élevés, ainsi que de la flambée des loyers et la pénurie de logements
causée par les résidences secondaires et les locations de courte
durée, qui mettent l’accès à un logement convenable sous pression
dans toute l’Europe. Dans ce contexte, certaines catégories de la
population, telles que les ménages à faibles revenus et les familles
monoparentales, les personnes migrantes, y compris réfugiées ou
déplacées, les Roms, les personnes sans emploi et les travailleurs
et travailleuses précaires, les personnes sortant d’un séjour dans
une institution, les étudiant·es et les jeunes, ou encore les familles
et les personnes âgées, sont particulièrement vulnérables et nécessitent
une protection spécifique.
5. L’Assemblée souligne l’obligation pour les États membres d’assurer
la mise en œuvre effective du droit au logement conformément aux
exigences du droit international des droits humains, notamment la
Charte sociale européenne (révisée) (articles 31, 30 et 16), en
mettant l’accent sur la prévention du sans-abrisme et en prévoyant
des mesures globales à court, moyen et long terme. Elle insiste
sur la nécessité d’adapter les logements existants et nouveaux aux
impératifs actuels de développement durable et de résilience accrue
aux effets du changement climatique et aux catastrophes naturelles.
6. L’Assemblée est préoccupée par l’augmentation des inégalités
en matière de revenus et de logement dans les États membres, tandis
que le secteur du logement social est externalisé au secteur privé
et sous-financé dans bon nombre d’entre eux. Elle reconnaît la nécessité
urgente de lutter contre la financiarisation et la spéculation sur
les marchés du logement, de promouvoir l’accessibilité financière
et de prévenir le sans-abrisme. Elle appelle les États membres du
Conseil de l’Europe:
6.1. à considérer
le logement comme un droit humain et non comme une marchandise;
6.2. à augmenter les investissements publics dans le logement
social et abordable, en particulier au niveau des pouvoirs locaux;
6.3. à adopter des stratégies de logement à long terme, fondées
sur les droits et axées sur la prévention du sans-abrisme;
6.4. à offrir des garanties juridiques contre les expulsions
forcées et le sans-abrisme, ainsi qu’une protection équilibrée à
la fois des propriétaires et des locataires;
6.5. à améliorer les systèmes d’allocation logement, les mécanismes
d’aide au revenu, ainsi que la transmission du logement entre les
générations;
6.6. à réglementer les locations de courte durée et les propriétés
vacantes afin d’augmenter l’offre de logements;
6.7. à mettre en œuvre des réglementations plus strictes pour
enrayer la spéculation immobilière.
7. Reconnaissant les bonnes pratiques dans certains États membres
et certaines villes, l’Assemblée souligne l’efficacité des investissements
publics à long terme, de la mixité socio-économique, des services sociaux
intégrés et de la construction durable. Elle invite les États membres:
7.1. à mettre en place des mesures
d’encadrement des loyers dans les zones urbaines où la demande de
logements est élevée et lier les augmentations de loyer au revenu
moyen régional plutôt qu'à l'inflation;
7.2. à promouvoir les coopératives d’habitation et les programmes
immobiliers à profit limité;
7.3. à favoriser l’accès des jeunes à des logements abordables
financièrement grâce à l’habitat groupé, au logement étudiant, à
des subventions ciblées et à des programmes de logement intergénérationnel;
7.4. à garantir l’accès à un logement convenable aux ménages
à faibles revenus, aux familles monoparentales, aux personnes migrantes,
y compris réfugiées, aux Roms, aux personnes en situation de handicap,
aux personnes âgées, aux femmes ayant quitté un partenaire violent
et aux personnes sortant d’une institution;
7.5. à communiquer aux locataires des informations sur leurs
droits en matière de logement et les connaissances financières de
base.
8. L’Assemblée considère que le droit au logement, envisagé sous
l’angle de la durabilité, associe la perspective écologique (économie
des ressources, conception résiliente aux changements climatiques,
faible empreinte environnementale) à la justice sociale (protection
des groupes de population vulnérables, non-discrimination, égalité
des chances), la santé publique (approche «Une seule santé» qui
vise à équilibrer et à optimiser la santé des personnes, des animaux
et des écosystèmes), et la logique économique (croissance de qualité,
prospérité partagée, investissements intelligents et gains à long
terme). Considérant que l’action est moins coûteuse que l’inaction,
l’Assemblée exhorte les États membres:
8.1. à donner la priorité à la rénovation à grande échelle
du parc immobilier vieillissant, notamment dans le cadre du Pacte
vert pour l’Europe et de l’initiative «vague de rénovation», le
cas échéant;
8.2. à accorder une place centrale aux modèles de logement
éco-énergétiques, résilients aux changements climatiques et à faible
émission de carbone;
8.3. à investir dans des infrastructures publiques durables
et un aménagement du territoire qui intègre des objectifs environnementaux,
économiques et sociaux;
8.4. à faciliter l’accès des ménages vulnérables au financement
de logements respectueux de l’environnement.
9. L’Assemblée rappelle aux États membres leurs obligations au
titre des articles 16, 30 et 31 de la Charte sociale européenne
(révisée) et recommande:
9.1. d’accepter
les articles 16, 30 et 31 et de ratifier, d’accepter ou d’approuver
le Protocole additionnel prévoyant un système de réclamations collectives
(STE no 158), si cela n’a pas encore
été fait;
9.2. de renforcer l’application des droits socio-économiques
sur la base des orientations du Comité européen des Droits sociaux
(CEDS) et d’étendre la mise en œuvre des droits sociaux consacrés
par la Charte sociale européenne (révisée) à toutes les personnes
résidant sur leur territoire;
9.3. de collecter des données ventilées sur le logement afin
d’identifier et de traiter les inégalités systémiques.
10. L’Assemblée soutient fermement le travail de la Banque de
développement du Conseil de l’Europe qui aide les États membres
à fournir des logements plus durables, plus inclusifs et plus abordables
aux populations vulnérables, en particulier dans le cadre des efforts
de reconstruction en Ukraine et de la lutte contre les déficits
structurels en matière de logement dans les zones urbaines et rurales
défavorisées.
11. Enfin, l’Assemblée invite les parlements nationaux des États
membres:
11.1. à suivre la mise en
œuvre du droit au logement aux niveaux national et local;
11.2. à garantir une participation significative des jeunes
et des communautés vulnérables à l’élaboration des politiques de
logement;
11.3. à œuvrer en faveur de la reconnaissance du domicide et
de sa classification en tant qu’infraction pénale au niveau international.
B. Exposé des motifs par Mme Aurora Floridia, rapporteure
(open)1. Introduction
1. Le droit à un logement convenable,
c’est-à-dire un logement sûr, sain, d’un coût abordable et accessible, doté
d’un accès à l’eau potable et d’installations sanitaires et énergétiques,
est un droit universel. Il est reconnu et codifié par le droit international,
y compris par différents traités européens tels que la Charte sociale européenne
(STE no 163). Bien que ce droit soit
essentiel au bien-être humain, plus d’un milliard de personnes dans
le monde ne sont pas convenablement logées
.
En Europe, plus de 1,3 million de personnes étaient sans abri en
2023, dont 400 000 enfants
. Selon les estimations
d’Eurostat, 4,3 % de la population européenne, soit plus de 19,2 millions
de personnes, ont été confrontées à «des conditions de logement
précaires graves» en 2020. De plus, depuis fin février 2022, date
à laquelle l’agression militaire contre l’Ukraine a commencé, plus de
4,5 millions de réfugié·es ukrainiens ont rejoint les États membres
de l’Union européenne, alors qu’environ 13 % des logements en Ukraine
ont été gravement endommagés ou détruits
.



2. L’insuffisance de l’offre dans de nombreuses villes, l’accroissement
des inégalités de revenus et la hausse du chômage, la crise du coût
de la vie et les taux d’intérêt élevés, ainsi que la flambée des
loyers, les locations à court terme, les résidences secondaires
et les logements vacants mettent sous pression l’accès à un logement
convenable. Certaines catégories de la population, telles que les
ménages à faible revenu et les parents isolés, les personnes migrantes
et réfugiées, les Roms, les personnes sans emploi et les travailleurs et
travailleuses précaires, les étudiant·es et les jeunes, les familles
et les femmes quittant des relations violentes, sont particulièrement
vulnérables et nécessitent une protection spéciale. Les États se
sont engagés à respecter, protéger et mettre en œuvre le droit au
logement tel qu’inscrit dans divers traités internationaux. Cependant,
trop de personnes dans les États membres du Conseil de l’Europe
vivent dans des conditions incompatibles avec leur dignité et leurs
droits humains, en grande partie à cause de la financiarisation
du logement, qui est traité comme une marchandise plutôt que comme
un droit humain et un bien social. Si, à court terme, les États
doivent prendre des mesures immédiates pour répondre aux besoins
les plus pressants des personnes confrontées à la crise du logement,
un engagement à moyen et long terme s’impose pour apporter des solutions
globales et pérennes, mettant l'accent sur la prévention du sans-abrisme
et garantissant un logement convenable pour toutes et tous.
3. La proposition de résolution «Analyse et lignes directrices
visant à garantir le droit au logement et à un logement décent»
(Doc. 15566), déposée par M. Antón Gómez-Reino (Espagne, GUE) et
plusieurs de ses collègues, a été renvoyée à la commission des questions
sociales, de la santé et du développement durable pour rapport et
j’ai été nommée rapporteure le 12 octobre 2023 pour succéder à Mme Selin Sayek
Böke.
4. La proposition de résolution exprime une profonde inquiétude
quant au fait qu’un·e Européen·ne sur quatre éprouve de «sérieuses
difficultés» à faire face à ses dépenses de logement, et que plus
de la moitié des jeunes (âgés de 18 à 34 ans) dans de nombreux pays
européens sont dans l’incapacité de vivre de manière autonome. Elle
fait notamment référence à un rapport de 2020 de la Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe qui souligne le problème
de l’accès à un logement stable et appelle les gouvernements à adopter
des «mesures énergiques» pour améliorer la situation. Par ailleurs,
le texte précise que, compte tenu des problèmes dans le domaine
du logement et «de l’absence de politiques publiques visant à garantir
le droit [à un logement convenable]», le Conseil de l’Europe et
ses États membres devraient s’engager à rédiger un ensemble de lignes
directrices générales sur les bonnes pratiques relatives à «l’accès à
un logement décent».
5. Dans le cadre de ses travaux au titre du présent rapport,
la commission a tenu une série d'auditions publiques et d'échanges
de vues, et a effectué plusieurs visites sur le terrain à Marrakech
et Ben Guérir (Maroc)
, Paris (France)
et
Lisbonne (Portugal)
. En ma qualité de rapporteure, j'ai
également entrepris une visite d'information à Vienne pour étudier
le modèle de logement de cette ville (21-22 novembre 2024)
, j’ai participé à la conférence «Répondre
au sans-abrisme par l’investissement social» (3 décembre 2024, Strasbourg)
et à l'événement «Droits sociaux: construire la justice sociale
et la stabilité démocratique» (Bruxelles, 5 juin 2025), je me suis
entretenue en ligne avec la Présidente du Comité européen des Droits sociaux
(CEDS) et j'ai consulté des représentant·es de la jeunesse en ma
qualité de rapporteure pour la jeunesse de la commission.




6. Je tiens à remercier tous les expert·es pour leurs précieuses
contributions sur lesquelles je m’appuie dans ce rapport pour recenser
et mettre en évidence, à l’attention des décideurs de nos États
membres, les bonnes pratiques nationales en matière de politiques
de logement. À cette fin, je tiens également à souligner l’obligation
qui incombe aux États membres de garantir la mise en œuvre effective
du droit au logement ainsi que la nécessité d’adapter les logements
existants et nouveaux aux impératifs actuels de développement durable
et de résilience accrue aux effets du changement climatique et des
catastrophes naturelles.
2. Le droit au logement: le cadre juridique international
7. Le droit à un logement convenable
est un droit humain reconnu par le droit international des droits humains
et découle du droit à un niveau de vie suffisant. Il est considéré
comme faisant partie intégrante de la jouissance de tous les droits
économiques, sociaux et culturels dans les instruments internationaux
relatifs aux droits humains, au même titre que les droits civils
et politiques
. Le droit à un logement convenable
a été reconnu en tant que composante du droit à un niveau de vie
suffisant à l’article 25, paragraphe 1, de la Déclaration universelle
des droits de l’homme de 1948 et à l’article 11, paragraphe 1, du
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
(PIDESC) de 1966. Le caractère convenable du logement fait référence
à la sécurité d'occupation, à la disponibilité de services essentiels
(tels que l'eau, l'énergie, l'assainissement), à l’accessibilité
financière, à l'habitabilité, à l'accessibilité, à l'emplacement
approprié et au respect de l'identité culturelle.

8. Plusieurs autres traités internationaux relatifs aux droits
humains contiennent des dispositions sur le droit au logement. Certains
sont d'application générale, tandis que d'autres protègent les droits
humains de groupes spécifiques (et souvent vulnérables), tels que
les personnes réfugiées, les travailleurs et travailleuses migrant·es,
les enfants, les femmes, les peuples autochtones, les personnes
en situation de handicap et les personnes victimes de discrimination
raciale. La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés a
en fait été le tout premier instrument juridiquement contraignant
à contenir une disposition sur le droit au logement.
9. En outre, le droit international des droits humains protège
le droit à un logement convenable pendant les conflits armés. Il
découle de l'article 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale
que la destruction massive et l'appropriation de biens qui ne sont
pas justifiées par des nécessités militaires et qui sont commises illégalement
et arbitrairement constituent un crime de guerre. Dans certaines
circonstances, la démolition arbitraire de logements, les expulsions
forcées et les déplacements forcés, les attaques contre des habitations et
des bâtiments civils peuvent constituer un crime contre l'humanité
ou un crime de guerre au regard du droit pénal international
. En ce qui concerne la destruction
massive délibérée d'habitations dans les zones de guerre, comme
à Gaza où 92 % de tous les bâtiments résidentiels ont été détruits
ou endommagés, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit
à un logement convenable, Balakrishnan Rajagopal, a appelé à la
création d'un nouveau crime – le domicide – au niveau international
.


10. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des
Nations Unies a clarifié la portée de la disposition relative au
droit à un logement convenable dans son Observation générale n°4
sur le droit à un logement convenable et dans son Observation générale
n°7 sur les expulsions forcées. L'Observation générale n°4 précise
que le droit au logement doit être réalisé sans discrimination fondée
sur l'âge, la situation économique, l'appartenance à un groupe ou
à une autre organisation, et que le droit au logement doit être compris
comme le droit de vivre quelque part en sécurité, dans la paix et
la dignité. L'Observation générale n°7 considère que les expulsions
forcées sont incompatibles avec les exigences du PIDESC, à moins
qu'elles ne soient menées dans le strict respect du droit relatif
aux droits de l'homme et des principes de raison et de proportionnalité,
garantissant ainsi qu'aucune autre solution n'était envisageable
dans la situation en question. Le Comité des droits de l'enfant
a précisé le droit spécifique des enfants à un logement convenable,
découlant de l'article 27 de la Convention relative aux droits de
l'enfant, dans son observation générale n° 21 (1997). Au niveau
national, certains pays européens protègent le droit au logement
dans leur constitution (notamment la Belgique, la Finlande, la Grèce,
les Pays-Bas, l'Italie, la Pologne, le Portugal, la Slovénie, l'Espagne,
la Suède et la Suisse)
.

11. Au niveau régional, la Charte sociale européenne (révisée)
(STE n° 163, 1996) établit le droit au logement à l’article 31,
demandant aux Parties contractantes de prendre des mesures destinées
«à favoriser l'accès au logement d’un niveau suffisant», «à prévenir
et à réduire l’état de sans-abri en vue de son élimination progressive»
et «à rendre le coût du logement accessible aux personnes qui ne
disposent pas de ressources suffisantes». J’estime que tous les
États membres du Conseil de l'Europe qui ne l'ont pas encore fait
devraient accepter d'être liés par cet article
.
En outre, diverses dispositions de la Convention européenne des
droits de l'homme (STE n° 5) sont pertinentes en matière de lutte
contre le sans-abrisme et l'exclusion en matière de logement: article
2 (droit à la vie), article 3 (interdiction de la torture ou des
traitements inhumains ou dégradants), article 6 (droit à un procès
équitable), article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale),
article 13 (droit à un recours effectif), article 14 (interdiction
de la discrimination) et article 1 du Protocole additionnel (STE
n° 9) (protection de la propriété).

12. L’article 30 de la Charte sociale européenne (révisée) promeut
le droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale
et l’article 16 énonce le droit de la famille à une protection sociale,
juridique et économique; ils contiennent des dispositions spécifiques
concernant la responsabilité de l’État de fournir des logements
adaptés aux besoins des familles ou un accès effectif au logement
par le biais de politiques-cadres et de prestations sociales. Pour
se conformer à ces dispositions, les États doivent prendre les mesures nécessaires
pour veiller à ce que les personnes se trouvant ou risquant de se
trouver en situation d’exclusion sociale ou de pauvreté, et leurs
familles puissent bénéficier d’un accès effectif, entre autres,
au logement. La Charte garantit également la protection des droits
de groupes de population vulnérables ou défavorisés comme les enfants
et les jeunes (articles 7 et 17), les personnes en situation de
handicap (article 15), les travailleurs et travailleuses migrant·es
(article 19), les personnes âgées (article 23), les Roms et autres groupes
minoritaires, ainsi que les enfants et les adultes en situation
irrégulière sur le territoire d’un des États parties.
13. De plus, la procédure de réclamations collectives, qui s’applique
à 16 États parties à la Charte en vertu du protocole additionnel
à la Charte sociale européenne prévoyant un système de réclamations
collectives de 1995 (STE n° 158), permet à des organisations syndicales,
patronales ou non gouvernementales nationales et internationales,
de déposer des réclamations concernant des violations de la Charte,
y compris en matière d’accès au logement, à l’encontre des États
qui ont accepté la disposition en question. Le CEDS examine les réclamations
collectives et publie des rapports nationaux pour évaluer la manière
dont les États parties respectent la Charte en matière de réalisation
des droits socio-économiques qu'elle consacre, par le biais de la
législation, des politiques et des pratiques au niveau national.
14. Le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe
publie régulièrement des commentaires sur la protection des groupes
vulnérables, notamment en matière de logement. Récemment, le Commissaire a
souligné les difficultés d'accès à un logement convenable et aux
services essentiels connexes pour les communautés roms en Grèce,
en demandant instamment la mise en œuvre de la stratégie nationale
et du plan d'action pour l'inclusion sociale des Roms 2021-2030
.

2.1. Exemples tirés de la jurisprudence du Comité européen des droits sociaux
15. À titre d’exemple, dans sa
décision relative à la réclamation collective déposée par la Fédération européenne
des Associations nationales travaillant avec les Sans-abri (FEANTSA)
c. République tchèque (réclamation n° 191/2020) rendue publique
le 24 janvier 2025, le CEDS a jugé qu’il y avait violation de l’article 16
de la Charte sociale européenne de 1961 (droit de la famille à une
protection sociale, juridique et économique) concernant l’accès
au logement et l’exclusion du logement des groupes vulnérables,
notamment les Roms, à la lumière de la nouvelle législation et de
la politique en matière de logement dans le pays. Le CEDS a estimé
que la législation autorisant les expulsions en Tchéquie, ne prévoyait
pas les garanties suffisantes pour les groupes vulnérables, que
l’offre de logements sociaux était insuffisante et les remèdes à cet
égard n’étaient pas efficaces, et que l’accès des groupes défavorisés
aux allocations de logement était entravé, des pratiques discriminatoires
affectant de manière disproportionnée la minorité rom.
16. Le CEDS a également constaté des violations de plusieurs articles
de la Charte révisée (notamment les articles 30, 31(1), 16, 11(1),
11(3), 17(1) et (2), 23 et 15(3)) dans la réclamation n° 206/2022
c. Espagne
concernant, entre autres, les droits
au logement et à la protection contre la pauvreté et l'exclusion
sociale des groupes de population vulnérables (notamment les enfants,
les personnes âgées, les personnes handicapées, la minorité rom)
en raison des coupures d'électricité qui ont eu de graves conséquences
sur la vie d'environ 4 500 habitant·es, dont 1 800 enfants, entraînant
des problèmes médicaux et une détérioration des conditions de santé.
Cette affaire, dans laquelle les habitant·es du bidonville vivent
sans électricité depuis octobre 2020, illustre une situation d’extrême
pauvreté énergétique
. La décision du CEDS souligne que
pour que les personnes puissent jouir de leurs droits au logement,
à la santé et à l’éducation, elles ont besoin d’un «accès stable,
cohérent et sûr à […] l’énergie». Une autre réclamation n° 203/2021
, FEANTSA c. Belgique soulève le
problème de la politique flamande du logement qui ne parvient pas
suffisamment à améliorer la situation difficile de nombreuses familles
en matière de logement, en particulier les familles sans-abri avec
enfants, les travailleurs et travailleuses migrants et les Gens
du voyage, en violation de plusieurs dispositions de la Charte (articles 11,
30, 19(4.c), 17 et E).



17. En 2018, dans le cadre de la réclamation du Comité européen
d’action spécialisée pour l’Enfant et la Famille dans leur milieu
de vie (EUROCEF) c. France (n° 114/2015), le CEDS a constaté plusieurs
violations du droit des mineurs étrangers non accompagnés à une
protection sociale, juridique et économique en France (article 17(1)
de la Charte) pour les motifs suivants: les carences relevées dans
le dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation
des mineurs étrangers non accompagnés; la détention de mineurs étrangers
non accompagnés dans les zones d’attente et les hôtels; l’hébergement
inapproprié des mineurs ou leur exposition à la vie dans la rue
(violation de l’article 7(10) de la Charte); et le défaut de provision
d’un abri (violation de l’article 31(2) de la Charte).
2.2. Indivisibilité des droits
18. Les droits humains étant universels,
indivisibles, interdépendants et intimement liés, une violation
du droit à un logement convenable peut porter atteinte à la jouissance
d’un large éventail d’autres droits humains. De même, le droit à
un logement convenable peut aussi être affecté par la mesure dans
laquelle d’autres droits fondamentaux sont garantis. Bien que les
États aient fréquemment réaffirmé l’importance du plein respect
du droit à un logement convenable, il subsiste un écart inquiétant
entre les normes fixées dans les traités internationaux, notamment
l’article 11, paragraphe 1, du PIDESC, ainsi que les articles 16,
30 et 31 de la Charte sociale européenne (révisée), et la situation
qui prévaut dans de nombreuses régions du monde, y compris dans
les États membres du Conseil de l’Europe. Cela est dû en partie
au fait que le logement est rarement traité comme un droit humain
au niveau national
.

3. Mauvaises conditions de logement et sans-abrisme: défis à relever dans les États membres du Conseil de l’Europe
19. Partout en Europe et au-delà,
la hausse rapide des coûts du logement, la conjoncture défavorable
du marché du travail et la diminution des filets de protection sociale,
les politiques migratoires dures et la pauvreté poussent les populations
vulnérables, les groupes à faible revenu et de plus en plus de membres
de la classe moyenne à quitter les villes ou à vivre dans des conditions
exiguës qui ne répondent pas aux normes d’un logement décent. Par
ailleurs, certaines défaillances systémiques créent une incertitude
en matière de logement pour les personnes amenées à quitter un cadre
institutionnel (structures d’accueil, hôpital ou établissement de
santé mentale, prison, centre de rétention pour personnes migrantes).
Le changement climatique, les catastrophes naturelles et les conflits
armés menacent de plus en plus la jouissance du droit à un logement
convenable. Les «nomades numériques», les travailleurs et travailleuses
à distance originaires de pays où les salaires sont plus élevés,
les résidences secondaires et les locations de courte durée destinées aux
touristes au détriment de la population locale font disparaître
les communautés locales dans de nombreuses capitales européennes
, mais aussi dans certaines zones
périurbaines.

20. Dans une évolution inquiétante, le logement est devenu un
objet d’investissement de plus en plus attrayant pour les acteurs
privés et les entreprises sur le marché mondial, et ce à une échelle
bien plus grande que ce qui avait été observé auparavant. La financiarisation
du logement a entraîné une flambée des prix du logement, bien au-delà
de l’augmentation du salaire du travailleur moyen. Ainsi, les ménages
à revenus faibles et moyens doivent désormais consacrer une part
importante de leur revenu disponible au logement. Souvent, ils se
retrouvent dans une situation de «surcharge des coûts du logement»,
qui survient lorsque ce dernier représente plus de 40 % du revenu
disponible du ménage. En Europe, plus de 17 % de la population vit
dans un logement surpeuplé et plus de 10 % consacrent plus de 40 %
de leurs revenus pour se loger
.
En 2023, la part des coûts de logement pour les ménages pauvres
représentait environ 62 % de leur revenu en Grèce, 57 % au Danemark,
49 % au Luxembourg, 48 % en Suède et 46,7 % en Tchéquie, tandis
que l'indice des loyers a augmenté de 40 % en Slovénie, de 36,5 %
en Lituanie, de 34 % en Pologne et de 29 % en Estonie en seulement
deux ans, entre 2021 et 2023, contre une augmentation moyenne de
5,3 % dans l'Union européenne (UE). Certains pays non membres de
l'UE ont connu des hausses de loyer encore plus marquées, avec 37 %
au Monténégro, 43,5 % en Serbie et 232,9 % en Türkiye, reflétant
des taux d'inflation élevés
.


21. Alors que les coûts du logement augmentent depuis des décennies
et constituent le poste de dépense le plus important pour tous les
ménages
,
les dépenses connexes augmentent encore avec la hausse des factures
d’énergie que doivent payer les locataires de logements mal isolés
ou mal entretenus
. Nombreux sont ceux qui
se retrouvent dans des logements de moindre qualité dans des quartiers
plus défavorisés, ce qui entraîne une ségrégation spatiale entre
les groupes de revenus. Ces quartiers ont souvent un accès limité
aux équipements nécessaires pour surmonter les inégalités de revenus,
telles que des solutions de transport public moins nombreuses, des
niveaux réduits de services de santé et des ressources éducatives
de moindre qualité par rapport aux quartiers mieux nantis
.



22. Les inégalités en matière de logement et le nombre de sans-abri
ont augmenté à un rythme alarmant dans presque tous les États membres
du Conseil de l’Europe, tandis que le secteur du logement social
a été externalisé et sous-financé dans bon nombre d’entre eux. Les
inégalités de revenus et de logement sont étroitement liées. Le
manque d’accès à un logement stable et convenable a de toute évidence
des répercussions qui exacerbent d’autres inégalités, portent atteinte
à la dignité humaine, affectent l’état de santé des personnes concernées
et entravent la mobilité sociale
. L’accès à un logement convenable
peut être une condition préalable à la jouissance d’autres droits
humains, notamment le droit au travail, à la santé, à la sécurité
sociale, de vote, à la vie privée ou encore à l’éducation
. La crise du logement touche de
manière disproportionnée les groupes vulnérables déjà confrontés
à la discrimination, tels que les Roms et les Gens du voyage, les
personnes en situation de handicap, les minorités nationales, les
personnes réfugiées ou migrantes (en particulier d’origine non occidentale),
ainsi que les locataires sans sécurité de revenu, notamment les
jeunes, les travailleurs et travailleuses migrant·es, les personnes
au chômage, et celles qui se trouvent au bas de l’échelle du marché
du travail ou qui occupent des emplois atypiques. Les victimes de violence
domestique et les couples qui se séparent sont d’autres exemples
de personnes qui peuvent rencontrer des difficultés particulières
sur le marché du logement, surtout lorsqu’il y a des enfants
. Les familles nombreuses ont également
tendance à avoir du mal à trouver un logement convenable, en particulier dans
les villes.



23. Le sans-abrisme et les expulsions forcées constituent prima facie des violations du droit
au logement et enfreignent également plusieurs autres droits humains
. Selon le rapporteur
spécial des Nations Unies sur le droit à un logement convenable,
être sans-abri signifie ne pas disposer d’un logement stable, sûr
et convenable, ni avoir les moyens et la capacité de l’obtenir.
Il est largement reconnu que le sans-abrisme ne se limite pas à
l’absence d’un abri physique et d’un toit au-dessus de la tête,
mais qu’il s’agit également d’une condition qui entraîne la perte
de liens sociaux et l’exclusion sociale.

24. En outre, il existe différentes formes de sans-abrisme, y
compris le sans-abrisme caché, avec «les personnes vivant dans la
rue, dans des espaces ouverts ou dans des voitures; les personnes
vivant dans des hébergements d’urgence temporaires, dans des centres
d’accueil pour femmes, dans des camps ou d’autres hébergements temporaires
destinés aux personnes déplacées à l’intérieur de leur pays, aux
réfugiés ou migrants; et les personnes vivant dans des logements
fortement inadéquats et précaires, comme les habitants d’établissements
informels»
, ou lorsque les personnes n’ont
pas les moyens de vivre de façon autonome et sont contraintes financièrement
d’habiter avec leurs parents, des proches ou des amis. Comme nous
avons pu le constater lors de nos visites de logements sociaux à
Paris et d’un centre d’hébergement géré par Vinzirast à Vienne,
de nombreuses personnes ayant besoin d’un logement d’urgence souffrent
également de problèmes d’addiction ou de santé mentale.

25. Les expulsions forcées sont un sujet de préoccupation majeure.
Elles résultent de «l’éloignement permanent ou temporaire, contre
leur volonté, d’individus, de familles et/ou de communautés des
maisons et/ou des terres qu’ils occupent, sans que des formes appropriées
de protection juridique ou autre ne soient fournies et sans accès
à celles-ci»
. Les expulsions forcées intensifient
les inégalités, les conflits sociaux, la ségrégation et affectent
invariablement les plus pauvres, les plus vulnérables socialement
et économiquement, et les secteurs marginalisés de la société, en
particulier les femmes, les enfants, les minorités et les peuples autochtones
.


26. Les barrières juridiques et administratives peuvent constituer
un autre obstacle important à l’accès au logement. Certains pays
ont instauré un statut de sans-abrisme: en Angleterre, par exemple,
il faut répondre à cette définition pour être éligible au logement
et à l’aide. Ainsi, pour bénéficier d’un hébergement d’urgence, une
personne doit être légalement sans domicile fixe et en situation
régulière dans le pays
. L’obligation de devoir
présenter des documents administratifs peut être également un frein
à l’accès à l’hébergement d’urgence pour des personnes déjà éloignées
des démarches administratives et des services d’accompagnement.
Certains services demandent aux personnes d’avoir un casier judiciaire
vierge, d’être en situation régulière dans le pays ou encore simplement
de fournir une pièce d’identité. En Grèce, la plupart des centres
d’hébergement d’urgence exigent un relevé d’imposition et une preuve
d’identité, ce qui place les personnes migrantes sans-papiers et
les personnes victimes de traite des êtres humains dans une situation extrêmement
difficile
.
En outre, les hébergements d’urgence sont temporaires, n’offrent
pas toujours des conditions de vie appropriées et n’empêchent pas
de nouvelles situations d’instabilité.


27. Les expert·es suggèrent que la prévention du sans-abrisme
par des mesures structurelles est plus efficace et plus économique
que les réponses d'urgence à court terme. En vertu de l'article
31, paragraphe 3, de la Charte sociale européenne, les pays sont
tenus de disposer de systèmes complets d'aide au logement afin de
protéger les ménages les plus démunis et de garantir une offre suffisante
de logements accessibles financièrement. Parmi les autres mesures
structurelles recommandées par les expert·es figurent l'aide au revenu
et la réglementation des loyers, le développement du logement social,
l'adéquation des aides au logement, les conseils juridiques et l'aide
en matière de location, les procédures de règlement des dettes afin d'éviter
les expulsions pour loyers impayés, et un soutien spécifique aux
personnes quittant des structures institutionnelles. Il convient
également de saluer la décision récente du Royaume-Uni d'abroger,
d'ici au printemps 2026, la loi sur le vagabondage (Vagrancy Act),
qui criminalisait depuis longtemps le sans-abrisme en Angleterre
et au Pays de Galles.
4. Rôle de l’État dans la garantie du droit à un logement convenable pour toutes et tous: mettre l’accent sur la prévention grâce aux politiques sociales et aux investissements publics
28. Mes recherches et mes enquêtes
montrent que donner la priorité à la prévention du sans-abrisme
et à une meilleure utilisation des outils de politique publique
constitue une solution majeure et économiquement la plus avantageuse
pour soutenir les groupes de population vulnérables. La boîte à
outils de l’Organisation de coopération et de développement économiques
(OCDE) pour la lutte contre le sans-abrisme propose neuf éléments
constitutifs d'une stratégie intégrée en matière de logement, axée
sur les personnes et reposant sur l’élaboration de politiques (orientations
stratégiques fondées sur la participation des parties prenantes, analyse
des données et évaluation régulière en vue d’affiner les politiques),
la mise en œuvre des politiques (donner la priorité à la prévention,
garantir des solutions de logement à long terme et fournir un soutien
ciblé accompagné de services connexes), et l’action publique (des
structures, une communication, de multiples sources de financement
et des incitations efficaces; une bonne coordination et un renforcement
des capacités; et, enfin, des réformes économiques structurelles
garantissant la cohérence des politiques axées sur l’intérêt public)
.

29. Une partie du problème réside dans le fait que le logement
est traité comme une marchandise plutôt que comme un droit humain
et un bien social
. Une étude menée par la Banque de
développement du Conseil de l’Europe (CEB) en 2017 a révélé que
la plupart des gouvernements renonçaient ou avaient renoncé à fournir directement
des logements aux groupes défavorisés, que les dépenses publiques
en matière de logement social avaient diminué et que les États se
désengageaient de la fourniture directe de logements sociaux
. Selon une autre étude, réalisée
par le Fonds monétaire international (FMI), des mesures fiscales,
telles que des subventions ciblées en faveur du dernier tercile
de revenus, pourraient sauver 7 % des ménages de la détresse financière
pour un coût estimé à 0,8 % du PIB
. La situation en Europe est paradoxale:
malgré la pénurie de logements abordables, le nombre de logements
vacants y est élevé. Les États devraient mieux s’attaquer à ce problème,
en mettant en œuvre des politiques fiscales spécifiques et des stratégies
de mobilité résidentielle.



30. Les États doivent repenser leur approche et redoubler d'efforts
pour résoudre la crise du logement afin de garantir les droits à
la vie et à la santé qui sont liés au droit au logement. Les programmes
de logement durables constituent un aspect essentiel des stratégies
nationales dans ce domaine (avec les modèles «Housing First» (logement
d’abord) ciblant les sans-abri ou «Housing-led» (des solutions fondées
sur le logement) en faveur des populations à faibles revenus). Le
logement social joue donc un rôle déterminant à cet égard. Parmi
les États membres du Conseil de l’Europe, certains pays comme les
Pays-Bas, le Danemark et l’Autriche, se caractérisent par une part
de logement social très importante (plus de 20 % du parc immobilier total);
dans d’autres, comme le Royaume-Uni, la France, l’Irlande, l’Islande
et la Finlande, cette part se situe entre 10 et 19 %, tandis qu’en
Allemagne, en Belgique, en Hongrie, en Italie, à Malte, en Norvège,
en Pologne, en Slovénie, en Suisse et en Türkiye, elle est comprise
entre 2 et 9 %; la Lettonie, la République slovaque, le Luxembourg,
l’Espagne, l’Estonie, la Lituanie et la Tchéquie ont une part de
logement social très réduite (pas plus de 2 % du parc immobilier
total)
.

31. Les critères d’éligibilité à l’accès à un logement social
varient considérablement d’un pays à l’autre. Ils incluent principalement
le niveau de revenu (Autriche, Pays-Bas, Irlande, Allemagne, Italie,
Lettonie et certaines régions du Royaume-Uni et d’Estonie), la composition
ou la taille du ménage (Autriche) et la nationalité (Italie). Il
convient de noter qu’une condition de durée de résidence pour être
éligible à un logement social, applicable aux nationaux comme aux
non-nationaux, a été jugée par le CEDS contraire à l’article 19, paragraphe 4,
de la Charte sociale européenne. Le CEDS a qualifié cette exigence
de discrimination indirecte, étant donné que les travailleurs et
travailleuses migrant·es / non-nationaux ont beaucoup plus de mal
que les nationaux à satisfaire cette condition de durée de résidence.
Qui plus est, elle n’est justifiée par aucun motif valable d’intérêt
général
.

4.1. Le modèle viennois de logement social: plus d'un siècle de politique cohérente
32. Dans le cadre de mes travaux
sur ce rapport, j’ai exploré l’approche adoptée par Vienne en matière
de logement social, qui semble être l’exemple le plus réussi de
politiques publiques ambitieuses. Vienne est la sixième plus grande
ville de l’Union européenne et compte deux millions d’habitant·es
(2,8 millions dans l’ensemble de l’agglomération), dont près de
60 % vivent dans des logements municipaux subventionnés. Chaque
année, l’administration locale investit quelque 500 millions d’euros
dans la construction et la rénovation de logements, auxquels s’ajoutent
les aides financières directes accordées aux personnes dans le besoin.
Le système public de logement est financé par une taxe de 1 % prélevée
sur le salaire de tous les résident·es de Vienne et sur les loyers.
La disponibilité et l’accessibilité des logements sociaux favorisent également
la baisse des prix sur le marché immobilier privé et garantissent
une mixité sociale et une répartition équilibrée de la population
dans la ville. Plus remarquable encore, Vienne a mis en place une
stratégie parallèle d’aménagement urbain clairement axée sur le
soutien à la construction de nouveaux logements tout en préservant
les espaces verts (qui représentent actuellement la moitié du territoire
de la commune). Il n’est pas surprenant que Vienne figure en tête
des classements mondiaux en termes de qualité de vie et d’innovation
urbaine.
33. Le modèle viennois du logement repose sur trois piliers: les
appartements municipaux, les logements construits par des organismes
à but non lucratif ou à profit limité, et ceux réhabilités dans
le cadre du programme de rénovation urbaine. Contrairement à de
nombreuses autres villes, Vienne a conservé le contrôle des logements
municipaux; Wiener Wohnen, l’administration municipale du logement,
est ainsi le premier bailleur social d’Europe. La plupart des logements
à Vienne (76 %) sont des appartements locatifs, et environ 43 %
ont des loyers plafonnés. En combinant la capacité publique de disposer
de terrains à bâtir (grâce à un système de zonage des logements
subventionnés) et la planification à long terme de la construction
de logements ainsi que des infrastructures de transport, Vienne
parvient à freiner la spéculation et à rendre le logement plus abordable.
Chaque année, près de 5 000 appartements (soit 40 % du total des
nouveaux logements) viennent enrichir le parc de logements municipaux.
34. Par ailleurs, le recours aux outils de mise en concurrence
permet à la ville de maintenir un niveau de qualité élevé pour tout
nouveau projet de construction ou de réhabilitation de logements,
notamment en termes d’ajustement opérationnel afin de répondre aux
nouvelles normes de durabilité. Ainsi, la généralisation de l’isolation
thermique des bâtiments résidentiels grâce au programme Thewosan
permet de réduire d’environ 50 % la consommation d’énergie pour
se chauffer. De plus, le système de chauffage urbain de Vienne,
auquel près de la moitié des appartements sont raccordés, contribue
à réduire les émissions de gaz à effet de serre et la pollution
atmosphérique, car il fait de plus en plus appel à des sources d’énergie
renouvelables (principalement des pompes à chaleur à grande échelle,
la géothermie, l’énergie éolienne et solaire thermique); ces derniers
devraient permettre de couvrir l’intégralité des besoins en chauffage
urbain d’ici 2040.
35. Le modèle de logement viennois présente une caractéristique
importante: les seuils de revenus pour pouvoir prétendre à un appartement
municipal ne s’appliquent qu’au moment de l’emménagement; les locataires
peuvent rester dans le même appartement aussi longtemps qu’ils le
souhaitent, même si leurs revenus augmentent et dépassent le plafond
initial. Cela permet d’assurer une meilleure mixité entre les habitant·es
aux niveaux de revenu différents, et de favoriser leur intégration
sociale ainsi que la stabilité des communautés. Les critères d’éligibilité
prévoient un soutien spécifique aux jeunes (jusqu’à 30 ans), aux personnes
âgées, aux personnes en situation de handicap, aux familles monoparentales
et à d’autres groupes de population vulnérables. Il existe également
une procédure accélérée visant à faciliter l’accès au logement des
personnes en situation d’urgence, des travailleurs et travailleuses
migrant·es ayant des besoins temporaires, et des personnes demandeuses
d’asile ou réfugiées, pour lesquelles une solution de logement peut
être proposée dans les 24 heures
. Ce dispositif contribue grandement
à prévenir la déchéance sociale et le sans-abrisme.

36. Quels enseignements peut-on tirer de l’expérience de Vienne?
Tout d’abord, des investissements publics ambitieux et une planification
à long terme permettent de garantir le droit à un logement convenable considéré
comme un bien public, d’améliorer la cohésion sociale et de réduire
considérablement la spéculation sur le marché immobilier local.
Deuxièmement, une politique cohérente veille à ce que les objectifs
de développement durable bénéficient de l’attention requise pour
induire un changement stratégique dans les modes de vie de la population,
en améliorant le confort, en réduisant les factures énergétiques
et en atténuant l’empreinte environnementale.
4.2. Des logements subventionnés accompagnés de services intégrés à Paris et un plafonnement des loyers dans les zones urbaines
37. En juin 2024, des membres de
la commission ont visité deux logements sociaux (pensions de famille)
à Paris qui ont bénéficié du soutien de la CEB dans le cadre d’un
programme de cofinancement avec Adoma, une entreprise semi-publique.
Depuis 2015, la CEB a accordé deux prêts de 100 millions d’euros
à Adoma, destinés à la restructuration, à la modernisation ou à
la construction de logements sociaux. Comme nous l’avons appris
lors de la visite, ces projets sont axés sur l’intégration sociale
des personnes vulnérables par le logement dans le cadre d’une mission
d’intérêt public. Des services sociaux sur mesure sont ainsi proposés aux
personnes en situation de précarité (jeunes en transition vers l’autonomie,
travailleurs et travailleuses migrant·es, personnes à faibles revenus,
familles monoparentales, sans-abri, demandeurs et demandeuses d’asile,
personnes isolées ayant des besoins socio-sanitaires urgents souvent
dus à des problèmes d’addiction) afin de les aider à se prendre
en charge et de les encourager à s’intégrer pleinement dans la société.
38. Par ailleurs, plusieurs villes françaises (Paris, Lille, Lyon,
Bordeaux et Montpellier) ont mis en place ces dernières années des
dispositifs d’encadrement des loyers visant à freiner l’envolée
des prix de l’immobilier. De plus, l’indice national de référence
des loyers (IRL) a plafonné l’indexation annuelle. Cet indice s’est
avéré utile pour stabiliser les loyers dans les zones urbaines tendues,
où la demande de logements est particulièrement forte. L’évaluation
officielle de l’impact de ces mesures réglementaires n’est attendue
que l’année prochaine, mais les premières observations des expert·es
sont très positives.
39. De fait, la CEB joue un rôle important dans le cofinancement
de logements décents, durables et financièrement accessibles en
Europe. Rien qu’en 2023, elle a investi près de 375 millions d’euros
dans des logements sociaux abordables, répartis sur six prêts dans
huit pays, afin de soutenir les personnes déplacées, les sans-abri,
les personnes âgées, les étudiant·es ainsi que les personnes migrantes
et réfugiées. Un montant supplémentaire de 867 millions d’euros
(13 prêts dans huit pays) a été débloqué pour promouvoir la création de
quartiers inclusifs et de collectivités urbaines et rurales plus
résilientes (les projets visent à améliorer le traitement des eaux
usées, l’efficacité énergétique, la production d’énergie renouvelable
et l’accès à un système de santé décentralisé)
. Je tiens à encourager davantage
d’États membres à travailler avec la Banque afin d’améliorer l’accès
de leur population à un logement décent.

5. La recherche de solutions de logement pour les jeunes
40. L'accès au logement est devenu
de plus en plus compliqué pour les jeunes générations (étudiant·es, stagiaires,
jeunes travailleurs et travailleuses, jeunes familles et personnes
migrantes). L'OCDE considère
que les jeunes sont touchés de manière disproportionnée par la précarité
du logement et sont souvent confrontés à des pressions financières
supplémentaires. Consacrant plus de 40 % de leurs revenus au loyer
ou au remboursement de leur prêt immobilier, les jeunes ont peu
de marge de manœuvre pour d'autres dépenses essentielles telles
que l'éducation ou les soins de santé, surtout s'ils ne bénéficient
d'aucune aide financière. Compte tenu de l'offre limitée de logements
abordables pour les étudiants, notamment dans les grandes villes, les
jeunes sont souvent contraints de vivre dans des logements surpeuplés
ou inadéquats
. Ils peuvent également être victimes de
discrimination, car les propriétaires ont tendance à préférer les
locataires plus âgés disposant de revenus plus stables, et les banques
sont plus réticentes à accorder des prêts aux jeunes ayant des contrats
de travail à durée déterminée ou faiblement rémunérés. En outre,
l'essor des locations à court terme via des plateformes réduit encore
la disponibilité des options de location à long terme pour les petits appartements
.


41. Selon l'OCDE, les jeunes familles ont tendance à retarder
l'accès à la propriété en raison de contraintes financières, et
plus de 60 % des jeunes en Europe considèrent le coût du logement
comme le principal obstacle à leur indépendance financière. Si l'âge
moyen des primo-accédants à la propriété en Europe était de 29 ans au
début des années 2000, il est aujourd’hui passé à 34 ans. Ce problème
touche particulièrement l’Europe du Sud et de l'Est, où l'instabilité
économique et le taux de chômage élevé des jeunes rendent l'accès
à un logement convenable de plus en plus difficile. En outre, les
étudiant·es, les stagiaires et les jeunes actifs doivent déménager
plus fréquemment et sont régulièrement confrontés à des problèmes
de logement. La stratégie de l'UE pour la jeunesse (2019-2027) souligne
que l'accessibilité au logement est un enjeu crucial pour les jeunes
adultes
. L'âge moyen des jeunes quittant
le domicile parental est de 26,2 ans, avec des chiffres allant bien
au-delà de 30 ans dans des pays comme la Croatie, la République
slovaque, la Grèce, l'Italie et la Serbie à moins de 22 ans dans
les pays nordiques (Finlande, Suède et Danemark)
.


42. Dans certains pays (par exemple Allemagne, Italie, Pays-Bas),
la pénurie de logements étudiants a donné lieu à des manifestations
et à des appels pressants à l'intervention des pouvoirs publics.
Des études montrent que les jeunes souhaitent être activement associés
aux processus décisionnels qui affectent leurs possibilités de logement,
ce qui souligne la nécessité d'adopter des approches participatives
en matière d'urbanisme et l'importance d'une action au niveau municipal.
43. Plusieurs villes européennes ont mis en œuvre des stratégies
innovantes pour lutter contre la crise du logement chez les jeunes,
en particulier les étudiant·es et les jeunes professionnels. Aux
Pays-Bas, Amsterdam a développé des solutions créatives en s'associant
avec des universités et des promoteurs privés pour créer des complexes
de logements étudiants abordables et bien situés. Ces logements
comprennent souvent des équipements communs tels que des cuisines,
des salles d'étude et des espaces de loisirs, ce qui favorise un
sentiment de communauté parmi les étudiants. Afin d'éviter la spéculation
sur les prix, la ville a également introduit des plafonds de loyer
pour les logements étudiants.
44. En Espagne, Barcelone a adopté le logement coopératif comme
moyen de fournir des logements abordables et durables aux jeunes.
Dans ce modèle, les résidents sont collectivement propriétaires
et gèrent leurs logements, ce qui permet de maintenir les coûts
à un niveau bas tout en garantissant que les logements répondent
aux besoins de la communauté. La ville a également alloué des terrains
publics à des projets de logements coopératifs, facilitant ainsi
l'accès des jeunes à des logements financièrement accessibles. Cette approche
s'est avérée très efficace pour créer des environnements de vie
socialement inclusifs et axés sur la communauté.
45. En Finlande, Helsinki a adopté la stratégie «Housing First»
(le logement d'abord), qui a permis de réduire efficacement le nombre
de jeunes sans domicile fixe en donnant la priorité à l'accès immédiat
à un logement stable sans conditions préalables
.
Cette politique fournit non seulement un logement, besoin essentiel,
mais intègre également des services d'accompagnement, permettant
aux jeunes d'accéder plus rapidement à l'indépendance financière
et sociale. En outre, des organisations telles que l'Association
finlandaise pour le logement des jeunes (NAL) proposent des solutions
de logement adaptées aux jeunes, notamment des formules de cohabitation
qui favorisent l'accessibilité financière, l'engagement social,
le soutien communautaire et la durabilité environnementale
.


46. Les considérations environnementales sont au cœur des stratégies
finlandaises en matière de logement, l'accent étant mis sur des
pratiques de construction efficaces sur le plan énergétique et durables. Les
modèles de cohabitation en Finlande intègrent souvent des technologies
vertes telles que des panneaux solaires, des systèmes de chauffage
efficaces sur le plan énergétique et des matériaux respectueux de l'environnement,
ce qui réduit considérablement leur empreinte écologique et leurs
coûts d'exploitation. Ces solutions de logement respectueuses de
l'environnement permettent non seulement de répondre au problème immédiat
de l'accessibilité financière du logement, mais contribuent également
aux objectifs plus larges de la Finlande en matière de réduction
des émissions et de lutte contre le changement climatique. Le Gouvernement finlandais
encourage activement ces pratiques de logement inclusives et respectueuses
de l'environnement par le biais de programmes nationaux tels que
le «National Youth Work» (travail national pour la jeunesse) et le
«Youth Policy Programme» (programme pour la politique de la jeunesse).
Ces initiatives visent à améliorer les conditions de logement globales
des jeunes résidents en renforçant leurs connaissances financières,
en leur fournissant des ressources pour vivre de manière indépendante
et en encourageant des pratiques de logement durables. Grâce à ces
approches globales, la Finlande démontre un modèle efficace pour
répondre aux besoins des jeunes en matière de logement en combinant
des solutions abordables et durables avec un soutien politique solide
et une participation active des jeunes aux décisions relatives au
logement
.

47. Le Réseau croate de la jeunesse signale que les jeunes sont
particulièrement touchés par l'utilisation accrue des logements
à des fins touristiques (y compris les locations de courte durée)
ou comme résidences secondaires. Ces dernières sont souvent détenues
par des étrangers et utilisées pour des vacances personnelles, alors
qu'elles restent vides la plupart de l'année. En outre, on observe
une augmentation du nombre de travailleurs étrangers ayant besoin
d'un logement et de la conversion illégale de logements étudiants
à d'autres usages. Le Réseau croate de la jeunesse préconise donc
des mesures telles que la taxation des propriétés inoccupées, le
plafonnement ou le contrôle des loyers au niveau local, un recours
accru aux coopératives de logement, une meilleure réglementation
des logements pour les travailleurs étrangers, un contrôle plus
strict des locations de courte durée et davantage d'investissements
dans les logements étudiants et les logements sociaux
.

48. Le Conseil allemand de la jeunesse est préoccupé par la vente
de biens immobiliers municipaux et de sociétés immobilières municipales
dans tout le pays ces dernières années. Cela a rarement eu les effets escomptés,
à savoir une baisse des coûts et une augmentation des investissements.
Le Conseil de la jeunesse plaide donc en faveur du rétablissement
du statut de société à profit limité pour les sociétés immobilières
et du retour à une remunicipalisation à grande échelle du parc immobilier,
ce qui devrait contribuer à augmenter l'offre de logements abordables
et adaptés aux besoins au niveau local. Par ailleurs, il est nécessaire
d'investir davantage dans le logement social afin d'en augmenter
le volume et la qualité, dans le but de stimuler l'offre à long
terme et, en particulier, la rénovation des logements existants
conformément aux exigences en matière d'efficacité énergétique et
de développement durable.
6. Le défi de la reconstruction des logements en Ukraine
49. En raison de la guerre d’agression
à grande échelle contre l’Ukraine, le pays accuse une perte considérable
d’infrastructures sociales, le secteur du logement subissant des
dommages et des destructions considérables (estimés actuellement
à plus de 13 % du parc immobilier, ce qui touche plus de 2,5 millions
de ménages)
en
raison des bombardements intenses des villes ukrainiennes. Plus
de 4,5 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du
pays, d’où la nécessité urgente de reconstruire rapidement pour
répondre aux besoins de cette partie de la population. Les dégâts
massifs subis par les infrastructures essentielles, notamment le
chauffage urbain et l’approvisionnement en eau, ont encore aggravé
la situation
. La déclaration de Reykjavík souligne
l’engagement du Conseil de l’Europe à soutenir l’Ukraine dans ses
efforts de reconstruction, notamment en mettant en œuvre, dans un
esprit de solidarité, le plan d’action pour l’Ukraine, et à utiliser
tous les moyens disponibles au sein de l’Organisation.


50. La CEB, dont l’Ukraine est récemment devenue membre, jouera
un rôle important à cet égard, aux côtés d’autres institutions multilatérales
de développement. En mars 2024, la CEB a approuvé un prêt de 100 millions
d’euros à l’Ukraine pour financer l’indemnisation des propriétaires
de biens résidentiels détruits par la guerre, en mettant l’accent
sur les besoins des personnes déplacées à l’intérieur du pays et
de celles appartenant à des groupes de population vulnérables (tels
que les personnes en situation de handicap, les personnes âgées,
les femmes, les enfants et les anciens combattants). Ce projet,
fondé sur la loi ukrainienne sur les biens endommagés et détruits,
met à profit l’expérience acquise par la CEB dans le cadre du Programme
régional de logement mené dans les Balkans occidentaux.
51. Selon la dernière évaluation du Groupe de la Banque mondiale,
les besoins en matière de reconstruction et de relèvement sont les
plus élevés dans le secteur du logement (81 milliards d'euros) par
rapport à l'ensemble des besoins à long terme. Les autres besoins
en matière de reconstruction et de relèvement concernent les infrastructures
essentielles: le secteur des transports (75 milliards d'euros),
le secteur de l'énergie et des industries extractives (66 milliards
d'euros), le secteur du commerce et de l'industrie (plus de 62 milliards
d'euros) et l'agriculture (plus de 53 milliards d'euros), tandis
que le coût du déblaiement et de la gestion des débris dans tous
les secteurs s'élève à près de 12,6 milliards d'euros
.

7. Impacts du changement climatique et des catastrophes naturelles sur le droit au logement
52. Le droit au logement est de
plus en plus mis à mal par des facteurs environnementaux tels que
le changement climatique et les catastrophes naturelles. Parallèlement,
toute construction défaillante augmente les risques pour les personnes
et la nature. Si, par le passé, l’accessibilité économique des logements
était la principale préoccupation, la qualité et la durabilité des
habitations sont aujourd’hui une priorité croissante dans la plupart
des pays. L’habitat envisagé sous l’angle de la durabilité associe
la perspective «verte» (économie des ressources, conception résiliente,
faible empreinte environnementale) à la justice sociale (protection
des groupes de population vulnérables, non-discrimination, égalité
des chances pour toutes et tous), à la santé publique (approche
«Une seule santé» qui vise à équilibrer et optimiser la santé des
personnes, des animaux et des écosystèmes), et à la logique économique
(croissance de qualité, prospérité accrue, investissements intelligents
et gains à long terme). Ces différents aspects sont complexes, systémiques
et interdépendants.
53. Face à l’augmentation des catastrophes climatiques, le besoin
de solutions de logement résilientes, économes en énergie et abordables
devient de plus en plus pressant. Des interventions politiques fortes
sont nécessaires. La hausse des coûts d'assurance, les dommages
aux infrastructures et la spéculation foncière dans les zones touchées
par les catastrophes naturelles exacerbent encore l'inabordabilité
du logement et creusent les inégalités socio-économiques, affectant
de manière disproportionnée les populations vulnérables. La hausse
des températures, les phénomènes météorologiques extrêmes et les
catastrophes naturelles contribuent à l'instabilité du logement.
Selon le Cadre de l'OCDE de mesure du bien-être, l'action climatique doit
être pleinement intégrée dans les programmes sociétaux plus larges,
y compris les politiques de logement abordable, afin d'assurer la
résilience et la durabilité. Les gouvernements devraient donner
la priorité aux investissements dans les logements sociaux économes
en énergie, les solutions fondées sur la nature et la planification
urbaine adaptée au climat afin d'atténuer les risques. Des instruments
économiques, tels que des subventions ciblées pour les ménages à
faible revenu et des incitations à la rénovation durable des logements, sont
essentiels pour garantir que les politiques climatiques ne surchargent
pas les groupes défavorisés. De plus, supprimer progressivement
les subventions nuisibles à l’environnement et réformer les incitations fiscales,
comme le recommandent les organisations internationales, peut libérer
des ressources pour soutenir un logement durable et accessible financièrement,
en particulier pour les groupes à faible revenu. En l'absence de
politiques volontaristes, la crise du logement et la crise climatique
se renforceront mutuellement, creuseront les divisions socio-économiques
et rendront les logements convenables de plus en plus inaccessibles
.

54. Nous savons que le secteur du bâtiment, y compris du logement,
est à l’origine d’environ 37 % des émissions de CO2 en
Europe. Près des trois quarts des bâtiments ne sont pas économes
en énergie. Les catastrophes naturelles comme les inondations, les
sécheresses, les épisodes de canicule, les incendies de forêt, les
tempêtes et les tremblements de terre, gagnent en intensité et sont
de plus en plus fréquentes. Elles ont des répercussions sur les
populations, leurs habitations et leurs moyens de subsistance, ainsi
que sur les infrastructures publiques, l’utilisation des sols et
les services essentiels. L’Agence européenne pour l’environnement
a estimé les pertes économiques liées à des événements climatiques
pour les pays de l’Union européenne à plus de 162 milliards d’euros
entre 2021 et 2023; selon ses projections, les dommages pourraient
être multipliés par dix d’ici la fin du siècle. C’est aux gouvernements
d’envoyer les bons signaux réglementaires à l’industrie du logement,
afin de mettre en adéquation les objectifs socio-économiques et environnementaux
concernant la rénovation des logements existants, la construction
de nouvelles infrastructures résilientes au changement climatique
et l’amélioration de l’aménagement du territoire
.

55. Dans ce contexte, les quartiers urbains de Vauban et de Rieselfeld
à Fribourg (Allemagne) constituent un exemple européen pionnier
en matière de développement de logements durables
. Ils accueillent plus de 17 500 habitant·es
dans un espace de vie répondant aux normes de durabilité environnementale
les plus strictes et présentent une très forte intégration communautaire.
Le concept sous-jacent consiste à consacrer les deux tiers de la
surface aux espaces verts (forêts, agriculture paysanne, loisirs,
protection de l’eau) et à réserver seulement un tiers à l’urbanisation,
y compris aux logements «verts» (maisons passives et basse consommation),
à la production d’énergie (solaire, éolienne, hydraulique, cogénération)
et aux transports (réseaux de transport en commun combinés à des
mobilités douces telles que le vélo et la marche), en optimisant
les ressources renouvelables locales. Grâce à une approche coopérative
de la construction, les deux quartiers urbains ont vu le jour avec
les contributions de particuliers et de petits promoteurs immobiliers, sans
aucune aide financière des autorités locales (qui ont en revanche
fourni les infrastructures matérielles et sociales essentielles).
80 % des habitations sont des logements locatifs accessibles financièrement.

56. Lors de sa réunion tenue à Lisbonne le 13 septembre 2024,
la commission a effectué une visite de terrain sur le campus universitaire
NOVA SBE, à Cascais/Guincho, afin d’explorer les approches novatrices
en matière de développement durable impliquant la population locale.
Nous avons ainsi pu découvrir l’installation de capacités intelligentes
de production d’énergie renouvelable (cellules photovoltaïques)
dans toute la municipalité grâce à des projets élaborés conjointement
avec les habitant·es et plus de 110 partenaires professionnels.
En participant à des projets énergétiques innovants, les habitant·es
sont devenu·es des «prosommateurs», c’est-à-dire des producteurs-consommateurs
actifs qui contribuent au changement systémique. Un nouveau concept
d’écologisation des espaces publics a également été développé en consultation
avec la communauté locale afin de réduire considérablement la consommation
des ressources locales en eau pour l’entretien des espaces verts
publics, tout en renforçant la résilience au changement climatique
et en stimulant la biodiversité.
57. De plus, une approche globale des secteurs de la construction
et du logement, de l’énergie et de la mobilité a été mise au point
au Portugal, certaines communes menant des actions au niveau local.
Ainsi, Matosinhos, une ville portugaise de taille moyenne, est le
fer de lance du plan d’action des autorités locales en faveur de
la lutte contre le changement climatique et de la réduction de l’empreinte
environnementale de la ville et de ses habitant·es. Elle multiplie
les efforts pour améliorer l’isolation des logements, moderniser
les systèmes de chauffage, réaliser une cartographie de l’efficacité
énergétique du secteur du logement et réduire les déchets ainsi
que les émissions au niveau local.
58. Dans un contexte plus global, le réseau parlementaire de l’Assemblée
pour un environnement sain a également exploré les actions menées
au Maroc en matière de logement et d’aménagement urbain durables lors
de sa réunion à Marrakech et Ben Guerir, en mars 2023. L’urbanisation
rapide et la croissance démographique du pays ont conduit à une
expansion incontrôlée des agglomérations à la périphérie de certaines
zones urbaines. Après avoir étudié les politiques urbaines du Brésil
et de Singapour, les autorités ont cherché à expérimenter certaines
pratiques prometteuses afin de concevoir des logements durables
et résilients adaptés aux défis environnementaux, sociaux, culturels
et infrastructurels auxquels le Maroc est confronté. Les codes et
règlements du bâtiment visent à promouvoir la qualité et l’accessibilité
économique des logements, notamment dans le contexte de l’expansion
rapide de la construction d’hébergements locatifs touristiques de
courte durée. Comme nous l’avons constaté lors des tremblements
de terre dévastateurs qui ont frappé le Maroc et la Türkiye, l’effondrement
de bâtiments peut faire des centaines de victimes en quelques secondes;
aucun bâtiment ne devrait donc être construit ou reconstruit dans
les zones sismiques sans un strict respect des normes antisismiques.
59. À la lumière des objectifs de développement durable, de l’Accord
de Paris et des risques croissants pour la sécurité humaine, les
stratégies locales, nationales et européennes d’adaptation au changement
climatique et de développement durable en matière de logement devraient
saisir toutes les opportunités pour améliorer la conception des
bâtiments et adapter les constructions anciennes aux exigences modernes.
Les pays de l’UE sont également tenus d’agir de la sorte en vertu
du Pacte vert pour l’Europe, aux termes duquel ses membres s’engagent
à rénover les bâtiments publics et privés afin d’améliorer l’efficacité
énergétique, la résilience face aux aléas naturels et le niveau
de vie. En effet, près de 40 millions d’Européen·nes n’avaient pas
les moyens de chauffer correctement leur logement en 2022. L’initiative
«vague de rénovation» a ainsi pour objectif de rénover quelque 35 millions
de bâtiments d’ici à 2030, en accélérant les mesures visant à réduire
à la fois la précarité énergétique des ménages et leurs émissions
de gaz à effet de serre, à améliorer le confort et à réduire le
gaspillage des ressources. Les États doivent faciliter la transition
verte en soutenant les investissements dans des programmes de rénovation
à grande échelle, en mettant en place des incitations fiscales,
en encourageant la participation des ménages les plus vulnérables
et en protégeant les espaces verts contre une densification urbaine
excessive.
8. Voie à suivre: mettre l’accent sur les bonnes pratiques, l’intérêt public et une approche fondée sur les droits humains
60. Le droit au logement est un
droit humain fondamental consacré par le droit international, y
compris la Charte sociale européenne (notamment l’article 31 combiné
avec les articles 16, 30 et d’autres), qui oblige les États à promouvoir
l’accès à un logement convenable, à prévenir et à réduire le sans-abrisme
et à rendre le logement accessible financièrement. Cependant, malgré
cet engagement général, des millions d’Européen·nes restent confrontés
à une situation de privation grave de logement, au sans-abrisme
et à l’exclusion en raison de la hausse des coûts, de la pénurie
de logements (causée par les locations à court terme, les résidences
secondaires, l'offre insuffisante, etc.) et de la spéculation financière.
Les gouvernements doivent prendre des mesures urgentes pour s’attaquer
à ces problèmes structurels, en reconnaissant que le logement n’est
pas seulement une marchandise, mais un bien social essentiel à la
dignité humaine, à la santé et au bien-être.
61. Un défi majeur est la financiarisation du logement, qui est
de plus en plus considéré comme une source de profit plutôt que
comme un besoin fondamental. Cette tendance a entraîné une hausse
des prix du logement qui ne sont plus à la portée de nombreuses
personnes à revenus faibles ou intermédiaires. Pour remédier à cette
situation, les États devraient accroître les investissements publics
dans les logements sociaux abordables, mettre en œuvre des réglementations
plus strictes pour enrayer la spéculation immobilière et introduire
des mesures de contrôle des loyers afin de garantir l’accessibilité
du logement pour toutes les catégories de revenus. La Charte sociale
européenne offre un cadre solide en la matière en obligeant les
États à intervenir pour faire en sorte que l’accès à un logement
convenable ne devienne pas un privilège réservé aux personnes aisées.
62. La crise du sans-abrisme reste une préoccupation majeure,
de nombreux groupes vulnérables (tels que les familles à faible
revenu, les personnes migrantes et réfugiées, les jeunes, les personnes
âgées et les travailleurs et travailleuses précaires) peinant à
accéder à un logement sûr et stable. En leur qualité de régulateurs,
les États devraient privilégier les politiques de prévention, notamment
l’approche «Housing first» (Logement d’abord), qui propose un logement
permanent ainsi que des services d’aide sociale. Par ailleurs, il convient
de renforcer les protections juridiques contre les expulsions forcées,
en veillant à ce que tout déplacement soit effectué dans le respect
des procédures et des normes relatives aux droits humains. Les barrières
administratives, telles que l’obligation de fournir de nombreux
documents pour accéder aux centres d’hébergement d’urgence, devraient
être réduites au minimum afin de garantir une assistance rapide
aux personnes en situation de crise. Face à la pénurie persistante
de logements abordables en Europe, les États devraient veiller à
réglementer correctement les locations de courte durée et les résidences
secondaires afin de ne pas soustraire trop de biens du marché locatif
longue durée et d’option de logement, au détriment de la population
locale.
63. Les pays devraient se tourner vers les modèles de logement
les plus efficaces, comme le système de logement municipal de Vienne,
où 60 % des habitant·es vivent dans des appartements à loyer plafonné, soutenus
par des investissements publics durables. Le modèle parisien, qui
associe le logement social à des services essentiels et applique
l’encadrement des loyers, offre également de précieux enseignements
pour lutter contre l’insécurité en matière de logement. Les gouvernements
devraient adopter des stratégies d’aménagement urbain à long terme
qui privilégient la construction de logements abordables, convenables
et stables, afin d’éviter que les groupes à faible revenu ne soient
relégués en marge de la société.
64. La crise climatique et les besoins en matière de développement
durable confèrent une autre dimension aux politiques du logement.
Un grand nombre d’habitations en Europe ne sont pas suffisamment
résistantes aux catastrophes naturelles ni assez efficientes sur
le plan énergétique, contribuant ainsi à l’augmentation des coûts
et des dommages, y compris pour l’environnement. Les gouvernements
doivent mener des politiques de logement durable en co-investissant
dans des travaux de rénovation visant à améliorer l’efficacité énergétique, dans
des bâtiments et des infrastructures résilients au changement climatique,
ainsi que dans des sources d’énergie renouvelables disponibles localement.
Le Pacte vert pour l’Europe et l’initiative «vague de rénovation»
sont l’occasion d’aligner les politiques du logement sur les objectifs
de développement durable, de réduire la précarité énergétique, d’intégrer
le droit à un environnement sain et de garantir à tous les citoyen·nes
l’accès à un logement sûr et adapté au changement climatique.
65. Pour assurer une mise en œuvre effective, les États devraient
renforcer les mécanismes d'application de la loi liés au droit au
logement. Le CEDS joue un rôle essentiel en matière de suivi du
respect de la Charte sociale européenne, et les États parties doivent
renforcer leur engagement envers cet instrument en ratifiant, s’ils
ne l’ont pas encore fait, toutes les dispositions de l’article 31
ainsi que le Protocole additionnel prévoyant un système de réclamations
collectives. De plus, les gouvernements devraient améliorer les
systèmes de protection sociale, en élargissant l’accès aux allocations
de logement et à une aide financière aux personnes menacées de pauvreté
et de sans-abrisme.
66. In fine, la réalisation
de l’accès universel à un logement convenable suppose un changement
profond des priorités politiques. Les gouvernements doivent considérer
le logement comme un droit humain fondamental que les États ont
l’obligation de respecter, de protéger et de mettre en œuvre, et
non comme un bien spéculatif; ils doivent équilibrer la dynamique
du marché avec des investissements publics conséquents et des protections
sociales solides. En adoptant des stratégies en matière de logement
à la fois globales et fondées sur les droits humains, les États
seront en mesure de remplir leurs obligations au titre de la Charte sociale
européenne, de réduire les inégalités, l’exclusion et la polarisation
sociales, et de veiller à ce que le logement reste abordable, durable
et accessible à toutes et tous. Cela contribuera à la stabilité
démocratique.