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Rapport | Doc. 16249 | 12 septembre 2025

Le respect des obligations découlant de l'adhésion au Conseil de l'Europe de la Hongrie

Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)

Corapporteur : M. Eerik-Niiles KROSS, Estonie, ADLE

Corapporteur : M. George PAPANDREOU, Grèce, SOC

Origine - Renvoi en commission: Résolution 1115 (1997). 2025 - Quatrième partie de session

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 9 septembre 2025.

(open)
1. La Hongrie a adhéré au Conseil de l'Europe le 6 novembre 1990. Lors de son adhésion, elle s'est engagée à respecter les obligations incombant à tous les États membres en vertu de l'article 3 du Statut du Conseil de l'Europe (STE no 1) en matière de démocratie pluraliste, d'État de droit et de droits humains. L'Assemblée parlementaire suit de près le respect par la Hongrie de ses obligations en tant que membre du Conseil de l'Europe depuis 2013. Dans sa Résolution 2460 (2022), compte tenu des préoccupations de longue date concernant l'État de droit et la démocratie, l'Assemblée a décidé d'ouvrir une procédure de suivi à l'égard de la Hongrie.
2. Depuis cette résolution, la Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l’Europe (Commission de suivi) a demandé cinq avis à la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise). Ces avis portent sur la création d’un Bureau pour la défense de la souveraineté, des réformes judiciaires, la réforme électorale et un projet de loi sur la transparence de la vie publique. La commission sur l’égalité et la non-discrimination de l’Assemblée a adressé une demande d’avis sur la compatibilité avec les normes internationales relatives aux droits humains du 15e amendement à la Loi fondamentale. L’Assemblée salue l’adoption des réformes législatives de 2023 qui ont amélioré l’indépendance du pouvoir judiciaire et renforcé l’autonomie du système judiciaire. Ces réformes sont en phase avec les recommandations de la Commission de Venise et la Résolution 2460 (2022) de l’Assemblée. L’Assemblée souligne la nécessité pour les autorités hongroises d’exécuter intégralement l’arrêt rendu dans l’affaire Baka c. Hongrie et de garantir pleinement la liberté d’expression des juges sur les questions d’intérêt public concernant le pouvoir judiciaire. Elle invite les autorités hongroises à envisager des solutions structurelles pour l’indexation du salaire de base des juges afin de mieux garantir leur indépendance vis-à-vis des pressions politiques.
3. L’Assemblée est gravement préoccupée par l’absence de progrès et par l’aggravation de la situation dans certains domaines en lien avec un nombre important de recommandations formulées dans la Résolution 2460 (2022).
4. Dans le domaine du droit constitutionnel, l’Assemblée se réfère à la Résolution 1941 (2013) et réitère ses préoccupations face à l’affaiblissement du système de freins et de contrepoids démocratiques, et à l’instrumentalisation des normes constitutionnelles, de la Loi fondamentale et des lois cardinales, visant à verrouiller les préférences politiques du parti au pouvoir. L’Assemblée appelle la Hongrie à veiller à ce que les nominations par le parlement à la Cour constitutionnelle, aux hautes fonctions judiciaires et aux organes de contrôle indépendants soient effectuées indépendamment de l’affiliation politique des candidats, conformément aux avis et aux rapports de la Commission de Venise, en particulier en ce qui concerne les majorités qualifiées et les mécanismes antiblocages.
5. L’Assemblée prend note des préoccupations concernant le processus législatif, notamment en ce qui concerne sa transparence, l’efficacité des consultations publiques sur les projets de loi et le rôle de l’opposition au parlement. Elle est profondément préoccupée par le fait que la Hongrie est soumise à un ordre juridique spécial depuis 2020, qui permet au gouvernement de promulguer des décrets d’urgence qui outrepassent les lois ordinaires et érodent encore davantage le contrôle parlementaire et le système de freins et de contrepoids. L’Assemblée demande instamment aux autorités hongroises de mettre fin à cet ordre juridique spécial relatif à «l’état de danger», et ce bien avant les prochaines élections.
6. Dans le domaine des élections, l’Assemblée se réfère à la Résolution 2460 (2022) dans laquelle elle a conclu «que le cadre électoral actuel ne garantit pas une égalité des chances propices à des élections équitables.» Les réformes successives ont amplifié la distorsion entre les suffrages obtenus et le nombre de sièges remportés. Bien que la visée première du système mixte hongrois soit d’équilibrer le majoritarisme et la proportionnalité, les réformes ont favorisé les partis dominants, transformant les victoires électorales du Fidesz en majorités constitutionnelles des deux tiers lors de chaque élection depuis 2014. L’Assemblée note que, selon l’avis de la Commission de Venise sur la loi LXXIX de 2024 portant amendement de certaines lois en matière d’élections, la dernière réforme électorale n’a pas répondu à cette préoccupation.
7. L’Assemblée s’associe à la Commission de Venise pour appeler à une révision complète de la législation électorale après les élections de 2026, sur la base d’une consultation inclusive avec les principaux partis politiques, les organisations de la société civile et les universitaires. Une telle réforme devrait:
7.1. prendre en compte les recommandations restées en suspens de la Commission de Venise et du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH) concernant la délimitation des circonscriptions électorales;
7.2. réduire le nombre de circonscriptions uninominales et de comtés dans lesquels chaque parti doit désigner des candidats;
7.3. améliorer la transparence du financement des partis politiques et des campagnes électorales, notamment sur les réseaux sociaux, et garantir une application solide et politiquement indépendante de la réglementation sur le financement de la vie politique, y compris par la Cour des comptes;
7.4. réformer le système de représentation des minorités au parlement conformément à la décision de la Cour dans l’affaire Bakirdizi et E.C. c. Hongrie, et assurer la participation effective des personnes appartenant à toutes les minorités nationales aux processus de décision politique et aux organes élus au niveau national.
8. Dans le domaine de la lutte contre la corruption, l’absence de volonté politique pour s’attaquer à la corruption de haut niveau est profondément inquiétante. L’Assemblée appelle les autorités hongroises à autoriser sans délai la publication des rapports du Groupe d'États contre la corruption (GRECO) évaluant la conformité avec les recommandations concernant la prévention de la corruption au sein des hautes fonctions de l’exécutif et la prévention de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs, à renforcer les institutions indépendantes de lutte contre la corruption et à garantir des pratiques transparentes en matière de marchés publics.
9. L’Assemblée appelle la Hongrie à assurer un contrôle public des «fondations de gestion d’actifs d’intérêt public» (KEKVA) en garantissant une gouvernance transparente, un contrôle parlementaire et l’obligation de rendre des comptes pour tous les biens et fonds publics gérés par ces entités.
10. Dans le domaine des médias, l’Assemblée rappelle ses préoccupations concernant la concentration de la propriété des médias, le manque de pluralisme des médias et l’influence politique sur le contenu des médias. L’Assemblée appelle les autorités hongroises à renforcer l’indépendance de fonctionnement du Conseil des médias, en réduisant la durée du mandat du président de l’Autorité des médias et en retirant à ce dernier certains de ses pouvoirs de nomination. Elle appelle également de nouveau les autorités hongroises à envisager la mise en œuvre d’une procédure de nomination des membres du Conseil des médias plus ouverte et pluraliste, notamment en permettant aux groupes de la société civile de participer au processus de nomination. Compte tenu du rôle extrêmement important de l’État et des entreprises publiques sur le marché de la publicité dans les médias, à travers lequel d’importantes ressources de l’État sont canalisées vers les médias progouvernementaux, l’Assemblée demande aux autorités de veiller à ce que la répartition de cette publicité, y compris sur les réseaux sociaux, soit équitable et transparente.
11. Dans le domaine de la société civile, l’Assemblée est profondément préoccupée par la succession de mesures visant à réduire au silence les organisations de la société civile et les médias indépendants. L’Assemblée rappelle qu’aux termes des Principes de Reykjavík pour la démocratie, la société civile est indispensable au bon fonctionnement de la démocratie, tout comme le maintien d’un environnement sûr et favorable dans lequel la société civile ainsi que les défenseurs des droits humains peuvent opérer sans entraves, insécurité ni violence. En vue de garantir un tel environnement, l’Assemblée appelle la Hongrie à abolir le Bureau de protection de la souveraineté et à modifier le projet de loi sur la transparence de la vie publique conformément aux recommandations de la Commission de Venise.
12. L’Assemblée se déclare prête à poursuivre le dialogue constructif et la coopération étroite avec les autorités hongroises dans le cadre de la procédure de suivi, afin de soutenir la mise en œuvre de ces recommandations, et espère qu’il en résultera une collaboration fructueuse qui renforcera l’engagement de la Hongrie en faveur des valeurs et des normes du Conseil de l’Europe.

B. Exposé des motifs par M. Eerik-Niiles Kross et M. George Papandreou, corapporteurs

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1. Introduction

1. Le 6 novembre 1990, la Hongrie est devenue le 24e État membre du Conseil de l’Europe et s’est engagée à respecter les obligations qui incombent à tout État membre au titre de l’article 3 du Statut du Conseil de l’Europe (STE no 1) concernant le pluralisme démocratique, la prééminence du droit et les droits humains 
			(2) 
			Voir l’Avis 153 (1990)
de l’Assemblée, Demande
d’adhésion de la Hongrie au Conseil de l’Europe.. L’adhésion du pays est intervenue peu après la transition pacifique du régime communiste vers une république parlementaire démocratique. La Hongrie a été le premier pays de l’ancien «bloc de l’Est» à vouloir rejoindre le Conseil de l’Europe 
			(3) 
			Voir
le rapport de l’Assemblée sur la demande d’adhésion de la Hongrie
au Conseil de l’Europe, Doc. 6288, 21 septembre 1990..
2. Depuis l’adoption d’une nouvelle Constitution en 2011, l’évolution de la situation en Hongrie suscite des inquiétudes et a conduit l’Assemblée à intensifier ses travaux sur le respect, par la Hongrie, des normes du Conseil de l’Europe et des obligations lui incombant en tant que membre. Le cadre constitutionnel et législatif a été évalué à maintes reprises, ce qui a notamment conduit à l’adoption de 27 avis par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) depuis 2011.
3. En 2011, une proposition de résolution a été déposée sur la question des «Graves revers dans le domaine de la prééminence du droit et des droits de l’homme en Hongrie» 
			(4) 
			«Graves revers dans le domaine de la prééminence
du droit et des droits de l’homme en Hongrie»., afin de demander l’ouverture d’une procédure de suivi complète. En 2013, l’Assemblée déplorait «de profondes et vives inquiétudes quant à la mesure dans laquelle le pays satisfait encore à ses obligations» et décidait de suivre de près l’évolution de la situation 
			(5) 
			Résolution 1941 (2013).. Dans la Résolution 2162 (2017) «Évolutions inquiétantes en Hongrie: projet de loi sur les ONG restreignant la société civile et possible fermeture de l’Université d’Europe centrale» 
			(6) 
			Résolution 2162 (2017)., l’Assemblée est convenue que la situation méritait «sa pleine et entière attention ainsi que la mobilisation de la compétence du Conseil de l’Europe afin d’aider les autorités hongroises à se conformer aux normes pertinentes du Conseil de l’Europe et des instances internationales dans le domaine de la liberté d’association et de la liberté d’expression». En 2018, dans son rapport sur l’évolution de la procédure de suivi de l’Assemblée 
			(7) 
			Doc. 14450 partie4, «L’évolution de la procédure de suivi de l’Assemblée
(janvier-décembre 2017) et l’examen périodique du respect des obligations
de l’Estonie, de la Grèce, de la Hongrie et de l’Irlande, Rapport
d’examen périodique: Hongrie»., la commission a déclaré qu’il était inquiétant d’observer comment le Gouvernement hongrois s’emploie à bâtir une «démocratie illibérale». Le rapporteur a mentionné «l’accumulation de réformes visant à établir un contrôle politique sur la plupart des institutions essentielles tout en affaiblissant le système d’équilibre des pouvoirs».
4. En 2019, l’Assemblée a décidé de préparer un rapport d’examen périodique sur le respect des obligations découlant de l’adhésion au Conseil de l’Europe de la Hongrie. À la suite de ce rapport, l’Assemblée a décidé, dans la Résolution 2460 (2022), d’ouvrir une procédure de suivi complète à l’égard de la Hongrie «[c]ompte tenu des questions de longue date relatives à l’État de droit et à la démocratie largement laissées sans réponse par les autorités».
5. Nous avons été désignés corapporteurs en janvier et mars 2023. Dans le cadre de la procédure de suivi, la Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi) a sollicité l’avis de la Commission de Venise sur le projet de loi relatif à la «défense de la souveraineté nationale», sur une loi générale relative aux questions de justice, sur le quatorzième amendement à la Loi fondamentale de la Hongrie et sur la réforme électorale de 2024. Nous nous sommes rendus à Budapest et Debrecen en novembre 2024 en visite d’information. Nous avons rendu compte de nos constatations à la commission de suivi en janvier 2025. En mai 2025, celle-ci a tenu un échange de vues avec le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe et la présidente de la commission de Venise sur «Les défis auxquels sont confrontés la société civile et les médias indépendants en Hongrie». Le 19 mai 2025, nous avons publié une déclaration appelant le Parlement hongrois à ne pas adopter le projet de loi sur «la transparence de la vie publique» 
			(8) 
			«<a href='https://pace.coe.int/fr/news/9893/the-hungarian-draft-law-on-transparency-in-public-life-must-not-be-adopted-say-pace-monitors'>La
proposition de loi hongroise sur ‘la transparence de la vie publique’
ne doit pas être adoptée, selon les corapporteurs de l’APCE pour
le suivi de la Hongrie</a>», 19 mai 2025.; en juin 2025, la commission de suivi a sollicité l’avis de la commission de Venise sur ce projet de loi. Un avant-projet du présent rapport a été approuvé par la commission de suivi en juin 2025 et envoyé aux autorité hongroises pour commentaires. Nous avons reçu ces commentaires le 6 août 2025 et avec les informations fournies, nous avons préparé le présent exposé des motifs.
6. Ce rapport ne se veut pas une étude exhaustive mais une analyse de la situation du pays au regard des normes du Conseil de l’Europe. Nous avons décidé de centrer ce rapport sur les questions mises en évidence dans le rapport de 2022, qui s’est conclu par l’ouverture d’une procédure de suivi pour la Hongrie. Dans sa Résolution 2460 (2022), l’Assemblée a estimé que «l’exercice incontesté du pouvoir par la même coalition depuis 2010» avait «considérablement réduit le caractère effectif du système de freins et contrepoids». La résolution précise en outre que «les effets cumulés des mesures préjudiciables à l’indépendance du pouvoir judiciaire, à la situation des médias, à la transparence et à l’obligation de rendre des comptes des institutions de l’État compromettent globalement le fonctionnement des institutions démocratiques». Pour pouvoir comprendre les effets cumulés de mesures nombreuses et variées sur une longue période, nous avons jugé nécessaire d’examiner l’évolution des différentes réformes adoptées au cours des deux dernières décennies.

2. Fonctionnement des institutions démocratiques

7. La Hongrie est une république parlementaire dotée d’un parlement monocaméral: l’Assemblée nationale élit le Premier ministre et – à la majorité des deux tiers – les principaux responsables publics du pays (à savoir le Président de la République, les membres et le Président de la Cour constitutionnelle, le Président de la Cour suprême (Curia), le Procureur général, le Président de l’Office national de la justice (ONJ), le Commissaire et les Commissaires adjoints aux droits fondamentaux et le Président de la Cour des comptes).
8. Les majorités qualifiées constitutionnelles, telles que la majorité des deux tiers, utilisée en Hongrie, peuvent jouer un rôle crucial pour le maintien du système de freins et contrepoids dans la gouvernance démocratique. Elles ont vocation à empêcher une seule force politique de modifier unilatéralement des lois fondamentales ou de procéder à des nominations potentiellement politisées aux institutions clés de l’État. Cette exigence est censée encourager le consensus, protéger le pluralisme et veiller à ce que les changements apportés au cadre constitutionnel ou institutionnel reflètent un accord plus large au niveau de la société plutôt que la volonté d’une majorité temporaire. Selon la Commission de Venise: «Une règle de majorité qualifiée ne sera d’aucun secours dans un système où le parti gouvernemental ou un bloc possède déjà le nombre nécessaire de voix pour nommer à lui seul les candidats. En pareil cas, l’exigence de majorité qualifiée peut finir par desservir l’opposition à long terme, (...) donc la règle de majorité qualifiée risque de pérenniser le choix d’une majorité au pouvoir à un moment donné.» 
			(9) 
			CDL-AD(2019)015, Commission
de Venise, «Paramètres des rapports entre la majorité parlementaire
et l’opposition dans une démocratie: une liste des critères», 21-22 juin
2019. On peut donc conclure que, dans un système où aucun parti politique ne peut disposer d’une majorité qualifiée à lui seul, un mécanisme de majorité qualifiée constitutionnelle peut constituer un frein constitutionnel utile, tandis que dans un système permettant à un parti d’obtenir la majorité qualifiée, une telle mesure porterait atteinte au fonctionnement démocratique. L’évolution des institutions hongroises en fournit l’exemple parfait.
9. La pratique de la coalition Fidesz-KDNP est contraire au principe de fonctionnement de la majorité qualifiée comme un contrepoids dans une démocratie. Cette coalition a modifié la loi électorale afin de faciliter l’obtention d’une majorité des deux tiers et a utilisé cette majorité des deux tiers pour amender unilatéralement la Loi fondamentale, procéder à des nominations au sein d’institutions clés et adopter des lois cardinales afin de verrouiller des choix politiques. En conséquence, le système de freins et contrepoids institutionnels en Hongrie a été profondément modifié au bénéfice du pouvoir exécutif, au point de soulever de graves questions quant à l’absence de freins et contrepoids adéquats dans la structure constitutionnelle de ce pays.

2.1. Les réformes électorales et leur impact sur la pérennisation des majorités des deux tiers

10. Le parlement est composé de 199 membres élus pour un mandat de quatre ans, dont 106 élus au scrutin majoritaire dans des circonscriptions uninominales. Les 93 autres membres sont élus selon un système national de représentation proportionnelle (avec un seuil de 5 % pour les partis politiques, 10 % pour les listes avec deux partis et 15 % pour les listes avec plus de deux partis). Ce système amplifie les majorités et accorde au parti vainqueur un avantage significatif.
11. La coalition Fidesz-KDNP a remporté les élections législatives de 2010, 2014, 2018 et 2022 et a systématiquement obtenu une majorité des deux tiers au parlement depuis les élections de 2010 (sauf entre 2015 et 2018, à la suite d’une élection partielle). Plusieurs aspects importants de la législation électorale ont été modifiés depuis que le Fidesz a pris le pouvoir.

2.1.1. Carte électorale et listes électorales

12. En 2010, la coalition Fidesz-KDNP a obtenu 53 % des voix, ce qui s’est traduit par 68 % des sièges au parlement. Pour la deuxième fois depuis 1989, une coalition détenait seule une majorité des deux tiers. La coalition Fidesz-KDNP a décidé d’utiliser cette majorité pour élaborer une nouvelle constitution, la «Loi fondamentale». Le nombre de membres du parlement monocaméral a été réduit de moitié (passant de 386 à 199) 
			(10) 
			Loi CCIII de 2011 sur
l’élection des membres de l’Assemblée nationale..
13. Cette réduction drastique induisait un redécoupage des circonscriptions électorales. L’Assemblée parlementaire a demandé aux autorités hongroises de veiller à ce que les circonscriptions électorales soient définies par une autorité indépendante sur la base de critères juridiques clairs, et à ce que les limites des circonscriptions ne soient pas définies par la loi, en particulier par une loi cardinale. Cependant, c’est précisément par une loi cardinale que la coalition au pouvoir a décidé de définir les nouvelles circonscriptions. Le processus de délimitation a été critiqué pour son manque de transparence, d’indépendance et de consultation. Il a été largement qualifié de «charcutage électoral» 
			(11) 
			OSCE/BIDDH,
«Rapport final sur les élections législatives en Hongrie», 6 avril
2014. Voir également The Economist, 2 avril
2022, <a href='https://www.economist.com/graphic-detail/2022/04/02/a-wild-gerrymander-makes-hungarys-fidesz-party-hard-to-dislodge'>«A
wild gerrymander makes Hungary’s Fidesz party hard to dislodge».</a>. Selon certaines estimations, à la suite du redécoupage de la carte électorale, en supposant que le Fidesz et son rival obtiennent un nombre égal de voix au niveau général, le Fidesz se verrait accorder 10 sièges de plus que son rival 
			(12) 
			<a href='https://politicalcapital.hu/library.php?article_read=1&article_id=127'>«Halfway
into the Hungarian electoral reform</a>», Political capital, 19 avril 2012..
14. En décembre 2024, la coalition au pouvoir a de nouveau modifié la législation sur les élections, y compris le découpage de certaines circonscriptions. Le projet de loi 
			(13) 
			<a href='https://www.parlament.hu/web/torvenyalkotasi-bizottsag/a-bizottsag-altal-targyalt-iromanyok?p_p_id=hu_parlament_cms_pair_portlet_PairProxy_INSTANCE_9xd2Wc9jP4z8&p_p_lifecycle=1&p_p_state=normal&p_p_mode=view&p_auth=rg10BTPC&_hu_parlament_cms_pair_portlet_PairProxy_INSTANCE_9xd2Wc9jP4z8_pairAction=%2Finternet%2Fcplsql%2Fogy_irom.irom_adat%3Fp_ckl%3D42%26p_izon%3D10000'>«Egyes
választási tárgyú törvények módosításáról».</a> contenait 80 articles ainsi qu’une annexe de 26 pages présentant les limites des circonscriptions électorales dans le détail. Le projet de loi a été présenté par une commission parlementaire et non par le gouvernement, échappant ainsi à l’exigence de consultation publique. Aucune information n’a été fournie concernant la méthodologie appliquée lors du redécoupage des circonscriptions électorales. Le projet de réforme a été adopté en moins d’un mois, en dépit des vives protestations des députés de l’opposition. La commission de suivi a soumis cette loi à la Commission de Venise, qui a adopté son avis le 14 juin 2025 
			(14) 
			CDL-AD(2025)018, «Avis
sur la loi LXXIX portant amendement de certaines lois en matière
d’élections», 14 juin 2025..
15. Le redécoupage des circonscriptions électorales est intervenu sans consultation préalable ni transparence quant à la méthodologie employée, ce qui est contraire aux normes européennes et aux recommandations formulées clairement et à maintes reprises par la Commission de Venise et le BIDDH (Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme) de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Ce faisant, les autorités hongroises n’ont pas répondu de manière adéquate à la Résolution 2460 (2022), aux termes de laquelle le processus devait «être transparent, associer tous les partis au sein du parlement et être fondé sur des critères clairs et largement admis». Ce manque de transparence ajoute encore aux inquiétudes à l’égard d’un risque de «charcutage électoral» en faveur de la coalition au pouvoir. Dans son avis de 2025, la Commission de Venise a confirmé ce qui suit: «La procédure rapide qui a été suivie n’est pas conforme à la liste de contrôle sur l’État de droit établie par la Commission de Venise, ni compatible avec le rapport de la Commission sur le rôle de l’opposition dans un parlement démocratique. (…) il est regrettable que la consultation publique ait été évitée sur une question aussi importante et délicate que la loi électorale et, en particulier, le redécoupage des circonscriptions, qui concerne directement le public et la participation des citoyens au processus démocratique.» 
			(15) 
			Ibid., paragraphe 12. Le Gouvernement hongrois est parfaitement conscient que la prééminence du droit requiert des délais suffisants pour mener des consultations: lorsqu’un jugement de la Cour européenne des droits de l’homme lui impose de modifier la législation électorale, il a justifié son inaction comme suit: «Le jugement soulève le besoin de modifier la législation. Des amendements ne sont possibles qu’après des consultations étendues avec la participation des représentants des nationalités et d’autres parties prenantes. Ce processus requiert des délais suffisants.» 
			(16) 
			Communication
from the authorities (18 December 2024) concerning the case of Bakirdzi and E.C. v. Hungary (Application
No. <a href='https://hudoc.exec.coe.int/eng'>49636/14</a>). Information made available under Rule 8.2a of the
Rules of the Committee of Ministers for the supervision of the execution
of judgments and of the terms of friendly settlements. (en anglais
uniquement)
16. Les changements apportés par la réforme électorale de 2011 ont également permis aux citoyennes et citoyens hongrois vivant à l’étranger de voter, mais dans des conditions variables selon leurs antécédents de résidence sur le territoire hongrois. Ainsi les personnes installées à l’étranger mais ayant conservé une résidence légale en Hongrie ont la possibilité de voter dans les bureaux de vote ouverts dans les missions diplomatiques hongroises. Ces électrices et électeurs peuvent voter à la fois pour une liste nationale à la proportionnelle et pour un·e candidat·e dans une circonscription individuelle. De leur côté, les électrices et électeurs qui n’ont jamais résidé en Hongrie peuvent voter par correspondance, mais uniquement pour une liste nationale à la proportionnelle. Cette disposition de vote par correspondance s’étend principalement à la diaspora hongroise qui vit dans les pays voisins et dispose de la double nationalité. De nombreuses préoccupations ont été exprimées quant à la fiabilité du vote par correspondance et des allégations de fraude ont été soulevées 
			(17) 
			<a href='https://hungarytoday.hu/discarded-burnt-postal-ballots-scandals-postal-voting-hungary-fidesz-opposition-rmdsz/'>https://hungarytoday.hu/discarded-burnt-postal-ballots-scandals-postal-voting-hungary-fidesz-opposition-rmdsz/.</a>. Toutefois, la Commission électorale nationale s’est déclarée incompétente car la fraude alléguée avait eu lieu en dehors du champ d’application territorial de la loi, décision qui a été confirmée par la Curia 
			(18) 
			<a href='https://kuria-birosag.hu/hu/valhat/kvkvii3940820222-szamu-hatarozat'>Kvk.VII.39.408/2022/2.
számú határozat.</a>. Le registre des votes par correspondance contient les coordonnées d’un demi-million d’électrices et électeurs. Aux élections législatives de 2022, le Fidesz a recueilli 93,89 % des voix de la diaspora alors que la moyenne nationale pour la liste du parti était de 54 %.
17. Selon le BIDDH, les différentes modalités du vote à l’étranger en fonction de l’historique de résidence en Hongrie des électeurs remettent en cause le principe d’égalité du suffrage. Étant donné le risque élevé de fraude dans le cas d’un vote par correspondance, l’incapacité de la Commission électorale nationale d’enquêter sur les fraudes potentielles et l’écart important entre les résultats du vote par correspondance et la moyenne nationale, nous pensons qu’une réforme du système s’impose. Conformément aux recommandations du BIDDH, nous considérons que la mise en place de procédures uniformes de vote et d’inscription des citoyens de l’étranger devraient être une priorité. Dans son avis de 2025, la Commission de Venise a aussi appelé à modifier ce système lors d’une future réforme.
18. En 2021, les exigences relatives à l’inscription sur les listes électorales et à la résidence ont été redéfinies d’une manière qui a affaibli les garanties contre la manipulation. Cet amendement a donné aux électrices et électeurs la possibilité de fixer leur résidence légale et donc de voter dans n’importe quelle circonscription du pays, indépendamment de leur lieu de résidence. La nouvelle disposition pourrait leur permettre de s’inscrire dans les circonscriptions où une course très serrée est attendue, une situation qualifiée de «tourisme électoral». Selon le Bureau national des élections, 157 551 personnes se sont inscrites pour voter dans des lieux autres que leur lieu de résidence légale en 2022. Cependant, à la suite de la décision de la Commission électorale nationale d’«adopter une approche novatrice du formatage des données», il est devenu impossible d’établir des comparaisons précises entre les registres électoraux consécutivement à l’adoption de cette loi 
			(19) 
			Pour
plus de détails, voir: «ODIHR Election Observation Mission Final
Report», (Rapport final de la mission d’observation électorale du
BIDDH), 3 avril 2022, p. 16..
19. Les électrices et électeurs qui ont déclaré appartenir à une minorité nationale peuvent choisir de voter pour la liste de la minorité nationale concernée, auquel cas ils ne participent pas au vote sur les listes des partis nationaux. Chacun des 13 gouvernements autonomes des minorités nationales a le droit de présenter une liste unique de candidats. Pour être élu, le premier candidat sur la liste doit obtenir un quart du quotient électoral. Si ce quotient préférentiel n’est pas atteint, la minorité nationale a droit à un représentant parlementaire sans droit de vote. En 2022, dans l’affaire Bakirdzi et E.C. c. Hongrie, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que le système hongrois de représentation des minorités ne respectait pas le droit à des élections libres, ni le droit de ne pas subir de discrimination. La Cour a estimé que, bien que les États n’aient pas l’obligation internationale d’adopter des seuils préférentiels pour les minorités nationales, si un État opte pour un tel système, une telle mesure devrait contribuer à permettre aux minorités nationales de participer au choix du corps législatif, sur un pied d'égalité avec le reste de la société, plutôt que de perpétuer l'exclusion des représentants minoritaires de la prise de décision politique au niveau national. Dans ce cas, le système mis en place limitait la possibilité pour les électeurs des minorités nationales de renforcer leur efficacité politique en tant que groupe et menaçait de réduire, au lieu d’accroître, la diversité et la participation des minorités à la prise de décision politique. En tout état de cause, selon l’article 15 de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE n° 157), la Hongrie doit prendre des mesures pour créer les conditions nécessaires à la participation effective des personnes appartenant à des minorités nationales à la vie culturelle, sociale et économique, ainsi qu'aux affaires publiques, en particulier celles les concernant. Une telle obligation implique que les personnes appartenant aux minorités nationales doivent bénéficier d’opportunités égales à celles de la majorité de la population en matière de participation aux processus politiques, notamment une représentation effective et réelle au parlement.

2.1.2. Modification des règles du suffrage: transformer les majorités simples en super-majorités

20. Les réformes électorales ont également modifié le suffrage dans les 106 circonscriptions individuelles en remplaçant le système à deux tours par un système de scrutin uninominal majoritaire à un tour. Ce changement est intervenu parallèlement à l’assouplissement des règles régissant la création de nouveaux partis politiques et a ainsi entraîné la formation de nombreux «faux partis» qui ont dilué le vote 
			(20) 
			Voir:
Alex Cooper, «<a href='https://www.occrp.org/en/feature/fake-parties-real-money-hungarys-bogus-party-problem'>Fake
Parties, Real Money: Hungary’s Bogus Party Problem</a>», Organized Crime and Corruption Reporting Project,
10 décembre 2018. Selon le BIDDH: «Bien que le détournement de fonds
publics soit le motif le plus souvent cité pour la prolifération
de ces partis, d’autres raisons incluaient leur potentiel de diviser
le vote, en particulier dans le cas d’élections très disputées.»
BIDDH, Élections législatives en Hongrie, 8 avril 2018, <a href='https://www.osce.org/odihr/elections/hungary/377410?download=true'>«Statement
of preliminary findings and conclusions».</a>. Les effets combinés du système de scrutin uninominal majoritaire à un tour et du nombre accru de partis politiques favorisent mathématiquement le plus grand parti. Lors des élections législatives de 2022, les candidats du Fidesz-KDNP ont obtenu 52,5 % des voix au niveau des circonscriptions, mais 82 % des sièges correspondants.
21. Les règles concernant les votes sur liste de parti ont également été modifiées pour favoriser les partis dominants. Avant 2014, les voix en faveur des candidats perdants de la circonscription étaient ajoutées aux voix du parti afin d’essayer d’équilibrer le nombre de voix obtenu par certains partis avec la proportion de leurs sièges parlementaires. La loi a toutefois été modifiée en décembre 2011 de sorte que le nombre de voix de la candidate ou du candidat vainqueur au-delà de la majorité stricte soit également ajouté aux voix du parti. Ce mécanisme donne lieu à une sorte de «compensation du vainqueur». Il amplifie la disproportion entre le nombre de voix obtenues et le nombre de sièges remportés. Bien que la visée première du système électoral mixte hongrois soit d’équilibrer le majoritarisme et la proportionnalité, ces réformes ont introduit un biais en faveur des partis dominants.
22. Depuis son introduction, le système a permis au Fidesz-KDNP d’obtenir six sièges supplémentaires en 2014 
			(21) 
			Voir BIDDH, «Rapport
final sur les élections législatives en Hongrie, 6 avril 2014»., cinq en 2018 et six à nouveau en 2022. Ce système de «compensation du vainqueur» a ainsi transformé les majorités simples en majorités des deux tiers lors de chaque élection depuis sa mise en place.

2.1.3. Financement des partis et des campagnes politiques

23. La Hongrie dispose d’un cadre juridique régissant le financement des campagnes, qui prévoit notamment un financement important par l’État et un encadrement des dépenses. Toutefois, le système est compromis par une application insuffisante, un manque de transparence et la prédominance d’un soutien indirect aux campagnes. Ces difficultés contribuent à des disparités significatives entre les partis et à des risques de corruption persistants.
24. D’après le Groupe d’États contre la corruption (GRECO): «L'absence générale de transparence du financement des campagnes électorales est particulièrement préoccupante, au vu des éléments qui portent à croire que l'immense majorité de ce financement n'est ni comptabilisé, ni déclaré.» 
			(22) 
			<a href='www.coe.int/fr/web/greco/home'>GRECO</a>, «<a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=09000016806c6b31'>Rapport
d’Évaluation</a>, Transparence du financement des partis politiques».<a href='https://www.coe.int/fr/web/greco/home'></a> Le BIDDH et le GRECO 
			(23) 
			Voir GRECO, <a href='https://rm.coe.int/third-evaluation-round-second-addendum-to-the-second-compliance-report/168096947f'>«Deuxième
Addendum au Deuxième Rapport de Conformité sur la Hongrie</a>», 1 août 2019, et «Rapport final 2022» du BIDDH. appellent depuis longtemps à une révision de la législation hongroise sur les partis politiques. Il conviendrait plus particulièrement d’améliorer la transparence du financement des campagnes en divulguant les dons supérieurs à un montant donné. Pour créer des conditions plus équitables, les dépenses de tiers en faveur des campagnes devraient également être limitées. Dans sa dernière évaluation sur la transparence du financement des partis, le GRECO a estimé que les préoccupations demeuraient en grande partie identiques, notant que la Loi relative à la procédure électorale avait été modifiée au cours de la procédure d’évaluation du GRECO sans mettre en œuvre les recommandations de ce dernier pour une meilleure transparence.
25. Selon un rapport de trois organisations non gouvernementales hongroises, le Fidesz-KDNP a dépensé près de huit fois plus que l’opposition en matière d’affichage public au cours de la campagne électorale de 2022 
			(24) 
			K-Monitor,
Political Capital et Transparency International, <a href='https://transparency.hu/wp-content/uploads/2022/03/kozteruleti_kampanykoltesek_2022_gyorsjelentes_marcius.pdf'>«Választási
kampány 2022: törvényt sérthetett a Fidesz, nyolcszoros túlerőben
a kormányoldal plakátkampánya az ellenzékkel szemben».</a>. La campagne pour les élections européennes de 2024 a une fois de plus mis en évidence d’importantes disparités dans les dépenses politiques. Les dépenses publicitaires en soutien à la campagne du Fidesz sur les réseaux sociaux (Meta et Google) se sont élevées à 5,4 millions d’euros, contre un quart de cette somme pour les 15 partis d’opposition et les médias associés (1,4 million d’euros) 
			(25) 
			Political
Capital, Mertek Media Monitor, Lakmusz, European Media and Information
Fund, «<a href='https://politicalcapital.hu/news.php?article_id=3389'>Fidesz
& Co. flooded social media with anti-Western hostile disinformation
in Hungary’s election campaign, reaching EU spending records</a>», juin 2024.. Le chevauchement entre les campagnes politiques et les communications du gouvernement et des partis au pouvoir ainsi que le recours massif au financement par des tiers exacerbent encore ce déséquilibre. Deux acteurs affiliés au gouvernement ont ainsi joué un rôle majeur dans la campagne. MegaFon, une organisation œuvrant dans les domaines de la formation, de la coordination, du financement et de la promotion des «influenceurs» proches du pouvoir sur les réseaux sociaux, a dépensé près de 2,2 millions d’euros en publicité politique sur les réseaux sociaux, et le Forum de coopération civile (CÖF), une ONG à laquelle le Fidesz confie généralement ses campagnes de dénigrement, a quant à lui dépensé 0,4 million d’euros supplémentaires. Conjointement, les deux mandataires ont dépensé deux fois plus que tous les partis d’opposition réunis.
26. La Cour des comptes de la Hongrie (ÁSZ) joue un rôle central dans le contrôle du financement des campagnes politiques. Elle est chargée de vérifier l’utilisation des fonds consacrés aux campagnes électorales. Son président est élu par le parlement, à la majorité des deux tiers, pour un mandat exceptionnellement long, d’une durée de 12 ans. Entre 2010 et juillet 2022, la Cour des comptes était présidée par un ancien député et vice-président du groupe parlementaire du Fidesz, qui a démissionné de ses fonctions politiques après avoir été nommé à la Cour des comptes. L’impartialité de cette institution est mise en question dans la mesure où elle a imposé de lourdes amendes à des partis d’opposition à plusieurs occasions (1,7 million d’euros en 2017 et 1,3 million d’euros en 2024) mais n’a en revanche pas imposé d’amendes au parti au pouvoir, malgré des preuves de pratiques similaires en matière de financement de campagne 
			(26) 
			Voir: BIDDH de l’OSCE,
«Hongrie, Élections législatives et référendum, 3 avril 2022: rapport
final de la mission d’observation des élections», 29 juillet 2022;
et Commission européenne, «Rapport 2025 sur l’état de droit, chapitre consacré
à la situation de l’état de droit en Hongrie», 8 juillet 2025..

2.2. Utilisation partisane de la réforme constitutionnelle et des lois cardinales

27. La majorité des deux tiers dont dispose la coalition au pouvoir depuis 2010 (interrompue pendant deux ans en raison d’une élection partielle) a permis, dans la pratique, de modifier les institutions sans avoir besoin de véritablement consulter, ou de rechercher un consensus ou un soutien de la part d’autres parties prenantes.

2.2.1. Réformes constitutionnelles unilatérales

28. En 2011, l’examen du projet de Constitution au parlement a duré neuf jours et tous les amendements de l’opposition ont été rejetés. La Loi fondamentale a été adoptée par les députés de la coalition Fidesz-KDNP, alors que l’opposition avait boycotté le vote final 
			(27) 
			L’adoption
de la Loi fondamentale de 2011 est examinée en détail dans le document
Doc. 13229 et la Résolution 1941 (2013).. Depuis, 15 autres amendements constitutionnels ont été adoptés.
29. Dans la Résolution 1941 (2013), l’Assemblée a souligné que «la principale raison justifiant qu’une majorité qualifiée des deux tiers soit requise en matière constitutionnelle est de protéger le cadre constitutionnel de modifications frivoles par un parti au pouvoir et de garantir que la Constitution est fondée sur le consensus le plus large possible entre l’ensemble des forces politiques en ce qui concerne les fondements juridiques et démocratiques de l’État. Le fait de disposer d’une majorité des deux tiers ne dégage jamais un parti ou une coalition au pouvoir de l’obligation de rechercher un consensus et de respecter les vues et intérêts de la minorité, et d’en tenir compte. La tentative de la coalition gouvernementale en Hongrie d’utiliser sa majorité exceptionnelle des deux tiers pour faire passer en force des réformes était contraire à ces principes démocratiques.»
30. Néanmoins, à notre grand regret, la majorité au pouvoir a continué d’adopter des amendements constitutionnels débattus à la hâte, sans le soutien de l’opposition. En 2021, la commission de Venise déplorait une nouvelle fois la rapidité de la procédure d’adoption du neuvième amendement à la Loi fondamentale, déclarant que la procédure rapide qui avait été suivie, sans aucune consultation, ne respectait pas le rôle de l’opposition au sein d’un parlement démocratique, et notant qu’aucune raison n’avait été avancée pour expliquer pourquoi cet amendement aurait dû être adopté selon une procédure aussi rapide 
			(28) 
			<a href='https://www.coe.int/en/web/venice-commission/-/cdl-ad-2021-029-f'>CDL-AD(2021)029</a>, paragraphe 13.. Les dixième, onzième, douzième et treizième amendements ont été adoptés de la même manière.
31. Le quatorzième amendement à la Loi fondamentale a été introduit le 19 novembre 2024. Les discussions détaillées au sein de la commission ont duré une journée et la commission de la justice a produit un rapport d’une page sur le débat approfondi. Le projet de loi a été adopté un mois après sa présentation; seuls les membres de la coalition Fidesz-KDNP ont voté en sa faveur. Quatre mois plus tard, le 12 mars 2025, le quinzième amendement à la Loi fondamentale a été proposé. Dans une lettre adressée au Président de l’Assemblée nationale hongroise, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a exprimé plusieurs préoccupations quant à la compatibilité de cet amendement avec les normes internationales relatives aux droits humains du Conseil de l’Europe. Le parlement a néanmoins adopté ce quinzième amendement le 15 avril 2025, à peine un mois après son dépôt 
			(29) 
			<a href='https://abouthungary.hu/news-in-brief/hungary-s-parliament-adopts-15th-amendment-of-fundamental-law'>https://abouthungary.hu/news-in-brief/hungary-s-parliament-adopts-15th-amendment-of-fundamental-law.</a>. L’amendement a été approuvé par les membres de la coalition Fidesz-KDNP et par les membres du parti d’extrême droite «My Hazank». Tous les autres députés de l’opposition ont voté contre.

2.2.2. Utilisation de la majorité des deux tiers pour verrouiller des préférences politiques et affaiblir le système de freins et contrepoids

32. Faute de la contrainte imposée par la nécessité de rechercher un consensus ou de tenir compte des opinions minoritaires, la majorité au pouvoir a été en mesure de rédiger et d’amender seule la Constitution. En conséquence, les règles constitutionnelles ont été modifiées, ce qui affaiblit le système de freins et contrepoids au sein des institutions et impose les choix politiques des partis au pouvoir aux futurs gouvernements en leur accordant une valeur supra-légale. La Loi fondamentale contient par exemple des dispositions qui devraient normalement être traitées dans la législation ordinaire, telles que le droit de payer en espèces, et comprend des dispositions détaillées sur le système de retraite, le soutien familial et la fiscalité, entérinant ainsi des choix politiques ordinaires sous le statut de loi constitutionnelle ou cardinale, non modifiable sans une majorité des deux tiers.
33. Les «lois cardinales» sont adoptées à la majorité des deux tiers. Elles visent à empêcher de pouvoir trop aisément modifier des aspects liés à la Constitution. Ces lois sont importantes dans la Constitution hongroise; elles ont vocation à assurer la stabilité, à protéger les intérêts des minorités et à consolider les éléments les plus importants de l’État. L’Assemblée a exprimé des préoccupations quant au recours à ces lois pour des questions qui devraient être traitées dans la législation ordinaire ou dans le cadre du fonctionnement politique majoritaire. La multiplication des choix politiques placés hors d’atteinte de la majorité simple réduit la signification des élections futures et accroît la probabilité qu’une majorité des deux tiers verrouille ses préférences politiques et l’ordre juridique national. Les élections n’auraient plus aucun sens si le législateur était privé de la possibilité de modifier la législation sur des points importants. Ainsi, lorsque des règles de détail très spécifiques sont fixées dans une loi cardinale, «l’essence même de la démocratie est en jeu» 
			(30) 
			CDL-AD (2011)016, paragraphe 26.. Le recours massif aux lois cardinales par la majorité au pouvoir est une autre façon d’user de sa majorité des deux tiers pour imposer ses préférences politiques et limiter les possibilités des futures majorités de mettre en œuvre leur propre programme politique.
34. Le fait de disposer d’une majorité des deux tiers peut également permettre de contrôler les nominations au sein de nombreux organes indépendants qui jouent un rôle essentiel dans le système de freins et contrepoids, tels que la Cour constitutionnelle. Avant 2010, la nomination des juges de la Cour constitutionnelle exigeait un large consensus parlementaire, ce qui empêchait la domination d’un groupe politique. En 2011, la majorité Fidesz-KDNP a modifié ces règles, permettant la nomination des juges sans le soutien de l’opposition, portant leur nombre de 11 à 15 et étendant la durée de leur mandat à 12 ans. En conséquence, sur les 19 juges nommés depuis 2010, seulement quatre ont eu besoin du soutien de l’opposition durant une brève période au cours de laquelle le gouvernement n’avait pas de super-majorité. Le parti au pouvoir a ainsi pu façonner la composition de la Cour constitutionnelle, suscitant des inquiétudes quant à l’impartialité de cette instance et à son alignement sur les intérêts du gouvernement. En juillet 2023, quatre juges ont été élus à la Cour constitutionnelle, exclusivement par la coalition Fidesz-KDNP. L’opposition avait proposé une seule candidature, mais celle-ci n’a même pas été mise aux voix 
			(31) 
			Hungarian Conservative,
5 July 2023, <a href='https://www.hungarianconservative.com/articles/current/new_judges_constitutional_court_hungary/'>«New
Judges Confirmed to the Constitutional Court».</a>. En décembre 2024, les règles d’éligibilité des juges de la Cour constitutionnelle ont été modifiées une fois de plus, en supprimant l’obligation d’occuper depuis 20 ans un emploi dans le domaine juridique exigeant spécifiquement un diplôme en droit. Cette modification est intervenue peu de temps avant la nomination de trois nouveaux juges à la Cour par les partis au pouvoir.
35. L’élection du Président de la Curia illustre la politisation du processus de nomination par la majorité au pouvoir. L’actuel Président de la Curia, M. Zsolt András Varga, a été élu en 2020. Il était auparavant membre de la Cour constitutionnelle. Le Conseil national de la justice, organe constitutionnel dont la mission est de garantir l’indépendance des juridictions et des magistrats, s’était prononcé contre sa candidature par 13 voix contre 1, affirmant que sa nomination «ne répond pas à l’exigence constitutionnelle selon laquelle la personne siégeant au sommet du système judiciaire doit être indépendante des autres composantes du pouvoir et donner une impression d’impartialité à un observateur extérieur» 
			(32) 
			<a href='https://orszagosbiroitanacs.hu/az-obt-velemenyezte-a-kuriai-elnokenek-javasolt-szemelyt/'>https://orszagosbiroitanacs.hu/az-obt-velemenyezte-a-kuriai-elnokenek-javasolt-szemelyt/.</a>. La Commission de Venise a également estimé que la nomination du Président de la Curia pouvait présenter de sérieux risques de politisation et des conséquences importantes pour l’indépendance du pouvoir judiciaire 
			(33) 
			CDL-AD(2021)036, «Avis
sur les modifications de la Loi sur l’organisation et l’administration
des tribunaux et la Loi sur le statut juridique et la rémunération
des juges, adoptées par le Parlement hongrois en décembre 2020», paragraphe 15..
36. Une même tendance a été observée dans le cadre de l’élection du Procureur général, du Commissaire aux droits fondamentaux, du Président de la Cour des comptes et du Président et des quatre membres du Conseil des médias. Chacune de ces autorités a été choisie par la seule majorité au pouvoir, ce qui affaiblit le système de freins et contrepoids prévu par la Constitution.
37. Cette pratique en matière de nominations entraîne également une politisation des organes de supervision, qui devraient être indépendants, ce qui compromet sérieusement le mécanisme de freins et contrepoids nécessaire pour obliger le gouvernement à répondre de ses actes. Elle fait en outre peser la menace de blocages institutionnels sur les futurs gouvernements, dont l’action risque d’être entravée par des «autorités indépendantes» politisées.

2.3. Le processus législatif et la séparation des pouvoirs

38. L’affaiblissement du système de freins et contrepoids et l’absence d’obligation de rendre des comptes pour le gouvernement sont d’autant plus préoccupants que le parlement n’exerce pas son pouvoir de contrôle de manière satisfaisante, en raison d’abus de la procédure législative.
39. Dominé par des super-majorités, le parlement a perdu son rôle de porte-parole ou de défenseur du peuple, en particulier des groupes marginalisés ou sous-représentés, et de contrôle du pouvoir exécutif. «Des projets complexes et controversés devraient normalement être annoncés longtemps à l’avance, et leur examen être précédé d’avant-projets donnant lieu à une forme de consultation (par internet). Le public devrait être en mesure de fournir un authentique apport [...]. Le temps additionnel prévu pour les consultations publiques augmente les possibilités offertes à l’opposition d’influer sur le contenu de la législation proposée par le gouvernement ou la majorité. Cette dernière ne devrait pas manipuler la procédure pour éviter les consultations publiques de ce type.» 
			(34) 
			Commission
de Venise, CDL-AD(2019)015, op. cit., paragraphe 74. Le processus législatif hongrois est loin de répondre à ces exigences en matière de transparence, de participation du public et de qualité des procédures d’élaboration des lois.
40. Officiellement, la grande majorité des projets de lois sont adoptés à l’initiative du gouvernement, après une consultation publique. Toutefois, pour certaines réformes parmi les plus importantes, telles que les modifications de la Loi fondamentale, le gouvernement évite souvent une consultation publique véritable en passant par des commissions parlementaires ou par des députés de la majorité pour soumettre des propositions législatives majeures. Par exemple, cela a été le cas pour la loi sur la protection de la souveraineté et pour le quatorzième amendement à la Loi fondamentale. Il arrive souvent aussi que le gouvernement commence par proposer uniquement des amendements techniques, puis introduise des amendements nouveaux et substantiels très tardivement, juste avant les votes en plénière, par l’intermédiaire de la commission des lois. C’est un moyen d’éviter un débat parlementaire et une consultation publique en bonne et due forme. Les périodes de consultation ne dépassent presque jamais le minimum légal de huit jours et la justification qui accompagne la publication des projets de loi est généralement minimale ou opaque, empêchant un débat public éclairé. Il ressort des données empiriques que la grande majorité des opinions publiques sont rejetées sans justification valable et que les rapports officiels sur les objectifs législatifs manquent de transparence en ce qui concerne les exemptions et la méthodologie appliquée, ce qui entrave l’évaluation externe. En outre, la qualité et la transparence des analyses d’impact demeurent insuffisantes, et les réformes essentielles et les mesures de renforcement des capacités en faveur d’un soutien parlementaire n’ont toujours pas été mises en œuvre 
			(35) 
			Voir
le rapport 2024 de la Commission européenne sur l’État de droit.. Le recours croissant à des audiences soi-disant publiques tenues par voie électronique restreint encore davantage la participation réelle, en particulier dans le cas de projets controversés. Collectivement, ces pratiques soulignent des lacunes persistantes en ce qui concerne le caractère inclusif, la responsabilité (obligation de rendre des comptes) et la qualité du processus législatif hongrois. Tous les rapports des institutions internationales, telles que la Commission européenne, la Commission de Venise, l’OSCE/BIDDH, le Parlement européen ou notre Assemblée, ont souligné l’absence de débat et de consultation dignes de ce nom au parlement sur les lois les plus importantes et les plus controversées.
41. Cette absence de débat démocratique a été poussée à l’extrême avec le recours continu et sans restriction à des «ordres juridiques spéciaux». Le gouvernement s’est d’abord octroyé des pouvoirs d’exception pendant la pandémie de Covid-19, décrétant l’état de danger le 11 mars 2020. À l’époque, nombre de décrets visaient à atténuer la menace immédiate de la Covid. Le 25 mai 2022, immédiatement après la fin de l’état de danger lié à la Covid-19, le gouvernement a déclaré un nouvel état de danger, invoquant cette fois la guerre en Ukraine et les risques humanitaires connexes comme justification. Le cadre juridique régissant les ordres juridiques spéciaux a été modifié le 1er novembre 2022, élargissant le pouvoir du gouvernement de déclarer un état de danger pour des raisons diverses, y compris les situations de catastrophe humanitaire dans des pays voisins. Le quinzième amendement et le projet de loi T/11153 ont une nouvelle fois modifié ce cadre juridique, avec effet au 1er janvier 2026. En conséquence, toute dérogation à une loi par décret gouvernemental nécessitera l’autorisation préalable du parlement. Aucun changement n’a été apporté aux règles constitutionnelles selon lesquelles la durée initiale de l’«état de danger» est de 30 jours et toute prolongation par le gouvernement nécessite l’autorisation du parlement.
42. Cette pratique est en totale contradiction avec les principes régissant les situations d’état d’urgence. Le gouvernement a eu largement recours à ces décrets – plus de mille ont été adoptés depuis 2020 – pour modifier la législation du jour au lendemain, sans aucune possibilité de discussion. Le peu de contrôle dont disposait encore le parlement a disparu. Le gouvernement a utilisé le pouvoir de gouverner par décret pour légiférer dans des domaines qui semblent sans aucun rapport avec la guerre en Ukraine, par exemple pour répondre à une crise économique et fiscale croissante. Face à la «crise humanitaire», le gouvernement a publié des décrets d’urgence qui incluent des mesures économiques telles que le contrôle des prix, le contrôle de l’État sur certaines entreprises, la révision de la réglementation en matière d’approvisionnement en électricité, en gaz naturel et en pétrole, et des mesures spéciales applicables à des matières premières importantes comme le bois 
			(36) 
			Mészáros G., «How Misuse
of Emergency Powers Dismantled the Rule of Law in Hungary». Israel Law Review. 2024;57(2):288-307.
Et Gárdos-Orosz, F. et Burján, E. (2025) «From Constitutional Risk
Management to Constitutional Risk Management (Emergency Law Misuse)
in Hungary», European Journal of Risk
Regulation, pages 1 à 12.. Au début de 2022, face aux grèves organisées par les syndicats de l’éducation hongrois afin de protester contre les bas salaires, l’augmentation de la charge de travail et le manque d’autonomie, le gouvernement a publié un décret d’urgence empêchant, dans les faits, d’organiser une véritable grève.
43. L’établissement de KEKVA, ou «fondations de gestion d’actifs d’intérêt public», a encore affaibli la surveillance et le contrôle du parlement. Depuis 2021, ces fondations sont utilisées pour le transfert de quantités massives de biens publics – y compris des universités, des biens immobiliers, des sociétés d’État et d’autres avoirs de valeur – jusqu’ici sous propriété directe de l’État, pour les placer entre les mains de conseils d’administration dominés par des personnalités politiques. Le gouvernement a transféré plusieurs milliers de milliards de forints d’actifs aux fondations KEKVA. Plus de 70 % des établissements d’enseignement supérieur hongrois, ainsi que des musées, des fermes d’État et des biens sociaux, sont désormais détenus par ces fondations. La loi portant création des fondations KEKVA dispose explicitement que ces organismes doivent être indépendants de «tout gouvernement au pouvoir à ce moment-là». Dans la pratique, cela signifie que les élus – au sein du gouvernement ou dans l’opposition – n’exercent aucun contrôle formel sur les activités ou les actifs des fondations. Celles-ci bénéficient de l’autonomie d’entités privées, même si elles gèrent des biens publics et reçoivent des fonds publics. Leurs décisions, leurs dépenses ou la gestion de leurs actifs ne sont pas soumises à des mécanismes solides d’examen parlementaire ou public. Ces institutions contribueront, elles aussi, à limiter sérieusement la capacité des futurs gouvernements à mettre en œuvre leurs propres politiques.

3. Respect de l’État de droit

3.1. Indépendance de la justice

44. Selon la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ), le système judiciaire hongrois est efficace 
			(37) 
			Commission
européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ).. Il bénéficie d’un niveau de numérisation très élevé. La Hongrie affiche de très bons résultats en termes de délais pour trancher les affaires civiles et commerciales contentieuses ainsi que les affaires administratives dans toutes les instances judiciaires.
45. Cependant, le niveau d’indépendance de la justice en Hongrie, tel qu’il est perçu par le grand public et les entreprises, est faible. Selon les chiffres officiels de l’Union européenne, 37 % de la population générale et 38 % des entreprises considèrent que le niveau d’indépendance des tribunaux et des juges est «assez bon ou très bon» en 2025. Le niveau d’indépendance perçu par le grand public a diminué par rapport à 2024 (41 %) et par rapport à 2021 (41 %) 
			(38) 
			Commission
européenne, «Rapport 2025 sur l’état de droit», chapitre consacré
à la situation de l’état de droit en Hongrie, 8 juillet 2025, page 4.. Le système judiciaire est soumis à une pression politique constante. Il a fait l’objet d’une restructuration importante après 2010: le Conseil national de la justice (CNJ), organe indépendant, a cédé sa place à un système mixte composé du Président ou de la Présidente de l’Office national de la justice (ONJ) et d’un nouveau Conseil national de la justice (CNJ).
46. L’ONJ est composé d’un Président, élu à la majorité des deux tiers des membres du parlement et de vice-présidents, nommés sur proposition du Président. Seule une personne exerçant en qualité de juge peut être élue à la présidence de l’ONJ. Cette dernière concentre dans ses mains la quasi-totalité des pouvoirs de l’ONJ.
47. Le CNJ est composé de 15 membres, qui sont toutes et tous des magistrats. Le Président ou la Présidente de la Curia – élu par le Parlement à la majorité des deux tiers – en est membre de droit. Les 14 autres membres sont élus par l’Assemblée des juges au scrutin secret.
48. En conséquence de cette réforme, les pouvoirs administratifs ont été concentrés entre les mains du Président de l’ONJ et le CNJ a été relégué à une place subalterne, assumant essentiellement un rôle de supervision et doté d’une autorité qui apparaît, dans les faits, très faible. Le large pouvoir discrétionnaire du Président de l’ONJ en ce qui concerne les nominations judiciaires et le pouvoir de réaffecter les juges sans leur consentement – prétendument dans le but d’équilibrer les charges de travail – a été critiqué en raison du manque de garanties adéquates contre les abus et de l’atteinte au principe de l’inamovibilité des magistrats 
			(39) 
			Pour une analyse approfondie,
voir Assemblée: «Le respect
des obligations découlant de l’adhésion au Conseil de l’Europe de
la Hongrie», Doc. 15619, 26 septembre 2022.. Cela a amené la Commission de Venise, le GRECO, le Commissaire aux droits de l’homme et la Commission européenne à exprimer des préoccupations concernant le manque d’indépendance de la justice et l’absence de freins et contrepoids efficaces.
49. En décembre 2022, après la décision de l’Assemblée d’ouvrir une procédure de suivi, l’accès de la Hongrie aux fonds accordés par l’UE au titre de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR) a été subordonné au respect de 27 «super jalons» définis par le Conseil de l’Union européenne en réponse à des préoccupations de longue date concernant l’État de droit, en particulier l’indépendance et le fonctionnement efficace du système judiciaire hongrois. En conséquence, le Parlement hongrois a adopté la Loi X de 2023, un train de réformes législatives spécifiquement conçu dans le but de satisfaire les conditions fixées par l’Union européenne et ainsi débloquer les fonds européens gelés. Ces mesures comprenaient notamment l’accroissement des pouvoirs du Conseil national de la justice – organe indépendant –, la limitation de l’influence indue et de la prise de décisions discrétionnaires par le Président de l’ONJ et une administration plus objective et transparente des tribunaux; la réforme du fonctionnement de la Curia afin de limiter le risque d’influence politique; et la suppression du rôle de la Cour constitutionnelle dans l’examen des décisions finales rendues par les juges à la demande des autorités publiques. En décembre 2023, la Commission européenne a approuvé les réformes engagées par la Hongrie et autorisé le pays à commencer à solliciter des fonds de l’UE 
			(40) 
			Communiqué
de presse, 13 décembre 2023, <a href='https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_23_6465'>«La
Commission considère que la réforme judiciaire menée par la Hongrie
remédie aux lacunes en matière d’indépendance de la justice, mais
maintient les mesures relevant de la conditionnalité budgétaire».</a>. Ces réformes ont répondu à des préoccupations que l’Assemblée avait exprimées dans sa Résolution 2460 (2022) et représentent une étape majeure vers l’indépendance de la justice en Hongrie. Nous saluons ces progrès.
50. Toutefois, les derniers développements soulignent la persistance d’obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Les niveaux de rémunération des magistrats font partie de ces obstacles. En Hongrie, les salaires des juges figurent parmi les plus bas de l’Union européenne. Selon les données 2023 de la CEPEJ, le salaire brut absolu d’un·e juge en début de carrière en Hongrie est de 25 759 €, ce qui est nettement inférieur à la médiane de l’UE, qui s’établit à 58 128 €. La Hongrie est le pays de l’UE où le salaire brut absolu minimum est le plus bas. Par rapport au salaire annuel moyen dans le pays, le salaire d’un·e juge en début de carrière est 1,3 fois plus élevé (la médiane de l’UE est de 1,9) 
			(41) 
			CEPEJ, «Tableau de
bord 2025 de la justice dans l’UE, partie 2 – fiches pour chacun
des États membres de l’UE», 1er juillet
2025, p. 656..
51. En Hongrie, les salaires des magistrats ne sont pas automatiquement indexés; les modifications salariales dépendent de l’adoption du budget annuel. Depuis le 1er janvier 2022, le salaire de base est resté inchangé alors que l’inflation a été de 40 % au cours de la même période. Le budget central annuel pour 2025 et 2026 a fait augmenter le salaire de base des juges de 15 % et 10 % respectivement. Cependant, le processus décisionnel suscite des inquiétudes. En vertu de la législation hongroise, le ministre des Finances est tenu d’inclure sans modification dans le projet de budget le montant du salaire de base proposé par le Président de l’ONJ; le parlement est alors libre d’adopter ou de modifier le projet. Toutefois, le 11 novembre 2024, le ministère des Finances a présenté un projet de budget qui ne comprenait pas l’augmentation proposée de la rémunération de base (le président de l’ONJ avait proposé une hausse de 35 %). Le gouvernement a ensuite déclaré que toute revalorisation salariale ferait l’objet de négociations sur des réformes judiciaires structurelles 
			(42) 
			Szabad Europa, 12 novembre 2024, <a href='https://www.szabadeuropa.hu/a/a-kormany-csomagban-targyaltatna-a-birok-fizetesemeleset-az-igazsagugyi-jogszabalyok-modositasaval/33199100.html'>«A
kormány csomagban tárgyaltatja a bírók fizetésemelését az igazságügyi jogszabályok
módosításával</a>» (Le gouvernement négocie actuellement une série d'augmentations
salariales pour les juges en modifiant la législation judiciaire).. Un projet d’«Accord» a ensuite été proposé à l’ONJ pour adoption, mais il est resté confidentiel jusqu’à ce que l’ONJ prenne sa décision. L’Association hongroise des magistrats (MABIE) a publié une déclaration pour protester contre la décision et mettre en garde contre une grave violation de l’indépendance judiciaire. Malgré la forte opposition des associations judiciaires, ledit «Accord» a été signé le 22 novembre 2024 par le Président de la Curia, le Président de l’ONJ, le Président du CNJ et le ministre de la Justice. Devant l’opposition des professions juridiques, le Président du CNJ a démissionné le 3 décembre 2024 et le CNJ s’est retiré de l’accord le 15 janvier 2025.
52. Dans l’intervalle, le Président de la commission parlementaire de la justice a soumis le quatorzième amendement à la Loi fondamentale, contenant certaines dispositions reprises de l’«Accord» contesté, et une proposition de modification de la loi sur la Cour constitutionnelle. Un quinzième amendement à la Loi fondamentale a été adopté sur la proposition de membres du Fidesz, et une loi générale portant modification de lois judiciaires a été déposée par le gouvernement. À la demande de la commission de suivi, la Commission de Venise a adopté un avis sur ces textes dans la mesure où ils ont des répercussions sur la nomination des magistrats 
			(43) 
			Commission
de Venise, «Avis sur les amendements constitutionnels et législatifs
concernant les conditions requises pour être nommé procureur général
et juge de la Cour constitutionnelle, ainsi que la nomination et
la mise à la retraite des juges», CDL-AD(2025)028, 14 juin 2025..
53. Dans son avis, la Commission de Venise note que le pouvoir judiciaire n’a pas été réellement consulté sur les changements constitutionnels qui ont eu un impact direct sur la nomination et la retraite des juges. Elle estime qu’il aurait dû y avoir des consultations effectives avec le pouvoir judiciaire, qui auraient pu avoir lieu sous la forme de consultations avec le Conseil national de la justice et la communauté judiciaire 
			(44) 
			Ibid.,
paragraphe 24..
54. Ce manque de consultation de la communauté judiciaire est d’autant plus inquiétant que des pressions continuent à être exercées sur les juges, y compris lors de débats internes sur des questions essentielles concernant l’indépendance judiciaire. Le président de la Curia a critiqué les président·es de juridiction qui avaient signé une lettre de protestation contre l’«Accord» quadrilatéral avec le gouvernement et a déclaré que ces personnes trompent leurs collègues de manière irresponsable et arbitraire et inventent délibérément des mensonges 
			(45) 
			Voir <a href='https://kuria-birosag.hu/hu/sajto/kuria-elnokenek-valaszlevele-az-orszagos-biroi-tanacs-es-az-orszagos-birosagi-hivatal'>https://kuria-birosag.hu/hu/sajto/kuria-elnokenek-valaszlevele-az-orszagos-biroi-tanacs-es-az-orszagos-birosagi-hivatal</a>.. Le 20 mars 2024, un média proche du gouvernement a publié un article qui «accusait» à tort l’ancien président du Conseil national de la justice (CNJ) d’avoir mis fin à la détention provisoire d’une personne accusée de possession de pornographie enfantine 
			(46) 
			Magyar Nemzet, <a href='https://magyarnemzet.hu/belfold/2024/03/ime-a-biroi-csoportvezeto-akinek-beosztottja-elengedte-a-gyermekpornografiaval-gyanusitott-volt-allami-vezetot'>«Íme,
a bírói csoportvezető, akinek beosztottja elengedte a gyermekpornográfiával
gyanúsított volt állami vezetőt</a>», 20 mars 2024.. En janvier 2025, après la publication, par le même ancien président du CNJ, d’un article dans lequel il affirmait que la Hongrie était au bord d'une prise de pouvoir totale, une nouvelle campagne de dénigrement a été lancée contre lui 
			(47) 
			<a href='https://mandiner.hu/belfold/2025/01/munkaban-a-halozat-ujabb-tamadast-inditottak-magyarorszag-es-a-kuria-elnoke-ellen'>«Munkában
a „hálózat” – újabb támadást indítottak Magyarország és a Kúria
elnöke ellen».</a>. La persistance de ce climat d’hostilité est très préoccupante. La Hongrie a en effet été condamnée pour violation de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5) dans l’affaire Baka c. Hongrie, dans laquelle la Cour a mis en évidence un «effet dissuasif» qui décourage les juges et les présidents de juridiction de participer au débat public sur des questions concernant l’indépendance de la justice. L’exécution de cet arrêt, qui fait l’objet d’une procédure de surveillance soutenue, a été réexaminée en mars 2025. Le Comité des Ministres a invité «les autorités à envisager d’adopter de nouvelles mesures générales pour remédier à l'“effet dissuasif” présent au sein du système judiciaire et pour faire en sorte que la liberté d'expression des juges, notamment en ce qui concerne les questions d'intérêt public relatives au système judiciaire, soit garantie sans ambiguïté, non seulement en théorie mais aussi en pratique» 
			(48) 
			<a href='https://search.coe.int/cm?i=09125948802643a5'>https://search.coe.int/cm?i=09125948802643a5.</a>.

3.2. Prévention et répression de la corruption

55. L’affaiblissement du système de freins et contrepoids, les atteintes à l’indépendance du pouvoir judiciaire et les tentatives de politisation du pouvoir judiciaire ont des conséquences négatives sur la lutte contre la corruption.
56. Le niveau perçu de corruption en Hongrie est l’un des plus élevés d’Europe, et aucun progrès n’a été signalé à cet égard ces dernières années. Selon l’enquête Eurobaromètre de 2025 sur les attitudes des citoyennes et citoyens à l’égard de la corruption, 88 % des Hongrois considèrent que la corruption est un phénomène «répandu» dans leur pays 
			(49) 
			«Citizens’
attitudes towards corruption in the EU in 2025», <a href='https://europa.eu/eurobarometer/api/deliverable/download/file?deliverableId=99822'>https://europa.eu/eurobarometer/api/deliverable/download/file?deliverableId=99822.</a>. Selon la même enquête, 78 % des personnes interrogées estiment que les affaires de corruption de haut niveau ne faisaient pas l’objet de poursuites suffisantes et 75 % considèrent qu’il n’est pas possible de réussir en affaires dans ce pays sans entretenir des liens avec la sphère politique. Dans l’édition 2024 de l’Indice de perception de la corruption de Transparency International, la Hongrie a perdu six places et recule au 82e rang.
57. Sur cette question, les autorités hongroises sont en désaccord avec plusieurs organisations internationales ainsi qu’avec des organisations de la société civile. La mise en œuvre des recommandations du GRECO, du mécanisme de conditionnalité de l’Union européenne et de l’OCDE n’est pas satisfaisante. Les autorités indépendantes chargées de la lutte contre la corruption en Hongrie se heurtent à de sérieux obstacles dans l’exercice de leur mandat.
58. La Hongrie est membre du GRECO depuis 1999 et a participé à ses cinq cycles d’évaluation. Les quatrième et cinquième cycles, qui portent respectivement sur la prévention de la corruption des parlementaires, juges et procureurs et sur la promotion de l’intégrité au sein des gouvernements centraux, sont toujours en cours. Le GRECO a constaté que la plupart des mesures destinées à promouvoir l’intégrité et à prévenir la corruption ciblent les agents publics des échelons inférieurs et intermédiaires. Le cadre déontologique applicable aux plus hautes fonctions de l’exécutif est faible: il n’existe aucun code de déontologie et aucune règle éthique applicables, les règles en matière de lobbying ne s’appliquent pas aux hautes fonctions de l’exécutif, et il n’y a pas de règle contre l’utilisation abusive des ressources publiques ni de restrictions qui s’appliqueraient aux activités pouvant être exercées après la cessation de ces hautes fonctions. En outre, le système de déclaration de patrimoine repose sur des déclarations remplies à la main et la vérification de ces déclarations laisse à désirer. Les autorités hongroises n’ont pas encore autorisé la publication des rapports sur la conformité avec les recommandations concernant la prévention de la corruption au sein des hautes fonctions de l’exécutif et la prévention de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs. Le GRECO a demandé des mesures de mise en œuvre supplémentaires pour 2025.
59. Dans le cadre du mécanisme de conditionnalité lancé en avril 2022 pour assurer la protection du budget de l’UE, la Hongrie s’est engagée à mettre en œuvre 17 mesures de lutte contre la corruption afin de remédier aux violations des principes de l’État de droit. Toutefois, en décembre 2022, le Conseil de l’Union européenne a conclu que les mesures correctives adoptées présentaient de graves défaillances et ne permettaient pas de remédier de manière adéquate aux violations constatées de l’État de droit et aux risques qu’elles faisaient peser sur le budget de l’Union. En conséquence, le Conseil a décidé de suspendre 55 % des engagements budgétaires, pour un montant de quelque 6,3 milliards d’euros. Le Conseil a également interdit la prise d’engagements financiers auprès des fondations de gestion d’actifs d’intérêt public (KEKVA) pour des fonds de l’UE 
			(50) 
			<a href='https://eur-lex.europa.eu/eli/dec_impl/2022/2506/oj?eliuri=eli%3Adec_impl%3A2022%3A2506%3Aoj&locale=fr'>Décision
d’exécution (UE) 2022/2506 du Conseil du 15 décembre 2022 relative
à des mesures de protection du budget de l’Union contre les violations
des principes de l’État de droit en Hongrie.</a>. Pour lever cette suspension et pouvoir à nouveau prétendre aux fonds, la Hongrie aurait dû mettre en œuvre certaines réformes d’ici la fin de l’année 2024, notamment en matière de lutte contre la corruption et d’indépendance du pouvoir judiciaire. Ce délai n’ayant pas été respecté, la tranche des fonds suspendus à hauteur de 1,04 milliard d’euros a été définitivement perdue à la fin de 2024. Jamais encore un État membre de l’UE ne s’était ainsi vu irrévocablement dessaisi de fonds accordés par l’Union dans le cadre du mécanisme de conditionnalité. En début d’année 2025, les 19 milliards d’euros restants étaient toujours gelés, dans l’attente de nouvelles réformes. Si la Hongrie ne remplit pas les conditions d’ici la fin de cette année, elle risque de perdre un milliard d’euros supplémentaire.
60. En décembre 2023, le Groupe de travail de l’OCDE sur la corruption a décidé de dépêcher une mission à haut niveau à Budapest afin de débattre du fait que la Hongrie n’avait accompli aucun progrès tangible pour donner suite aux recommandations qui lui avaient été adressées de longue date, plusieurs d’entre elles remontant à 2012. Ces recommandations sont liées à la méconnaissance par les autorités hongroises de leur exposition au risque de corruption transnationale, à leur absence de stratégie visant à détecter activement les actes de corruption transnationale et à mener résolument des enquêtes le cas échéant, à des délais d’instruction insuffisants pour pouvoir appliquer des mesures d’enquête, et au manque de clarté des textes de loi concernant la mise en jeu de la responsabilité des personnes morales ayant commis des actes de corruption transnationale 
			(51) 
			<a href='https://www.oecd.org/fr/about/news/speech-statements/2024/10/oecd-working-group-on-bribery-cancels-high-level-mission-to-hungary.html'>«Le
Groupe de travail de l’OCDE sur la corruption annule une mission
à haut niveau en Hongrie».</a>. Cette mission a cependant été annulée, le Gouvernement hongrois ayant été dans l’incapacité de se faire représenter de manière suffisante, par des ministres et des hauts fonctionnaires, lors de cette rencontre. Il s’agissait de la toute première annulation d’une mission à haut niveau.
61. Selon des informations divulguées en décembre 2024 
			(52) 
			<a href='https://www.direkt36.hu/en/english-eu-investigators-probing-orbans-son-in-law-surveilled-sparking-intelligence-agency-infighting/'>«EU
Investigators Probing Orbán’s Son-in-Law Surveilled, Sparking Intelligence
Agency Infighting».</a>, les services de renseignement hongrois (le Bureau d’information, IH) se sont livrés à des pratiques illégales d’écoute et de filature d’agents de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) en mission en Hongrie; les agents qui travaillaient sur une affaire impliquant le gendre du Premier ministre Viktor Orbán ont été l’objet d’une attention particulière. L’OLAF a finalement conclu que de nombreuses irrégularités avaient été commises dans le cadre de marchés publics accordés par l’UE.
62. Tous ces exemples témoignent de sérieuses préoccupations quant au niveau de corruption en Hongrie. À cela s’ajoutent les obstacles à la mise en place des réformes nécessaires, ce qui soulève des questions quant à la volonté politique de mettre en œuvre de bonne foi les améliorations requises. Les irrégularités systémiques et les déficiences dans les procédures de passation des marchés publics, le faible niveau de concurrence en matière de marchés publics et l’absence de prévention des conflits d’intérêts suscitent des préoccupations évidentes. Les organes responsables de la lutte contre la corruption sont trop nombreux et fragmentés (tels que le Groupe de travail anti-corruption, la Cour des comptes, l’Autorité des marchés publics, l’Autorité de la concurrence, l’Autorité de l’intégrité, le ministère public et l’appareil judiciaire), ce qui nuit à leur efficacité. En outre, la plupart des institutions de l’État censées agir comme freins et contrepoids démocratiques dans la lutte contre la corruption sont dirigées par des personnes nommées par la majorité au pouvoir, dont la proactivité est mise en doute.
63. À la demande de la Commission européenne, deux organes indépendants ont été récemment créés: l’Autorité de l’intégrité et le Groupe de travail anti-corruption.
64. L’Autorité de l’intégrité est un organe autonome de l’administration publique qui a été créé en novembre 2022. Sa mission principale est de prévenir, détecter et corriger la corruption, la fraude, les conflits d’intérêts et autres irrégularités, mais uniquement dans le cadre de l’utilisation des fonds de l’UE.
65. Le Groupe de travail anti-corruption a été créé en décembre 2022. Composé de représentant·es du gouvernement et d’organisations de la société civile, il assume un rôle consultatif et analytique.
66. Malheureusement, ces deux entités sont déjà confrontées à des crises et sont incapables de fonctionner correctement. En janvier 2025, une enquête criminelle a été ouverte contre le Président de l’Autorité de l’intégrité, alléguant qu’il avait mal géré les fonds, et les bureaux de l’Autorité ont fait l’objet d’une perquisition policière. Le Président de l’Autorité de l’intégrité a nié les allégations de mauvaise gestion et affirmé que les enquêtes étaient motivées par des considérations politiques. Cette situation s’accompagne de conséquences néfastes, elle risque de dissuader les lanceurs d’alerte et compromet la capacité de l’Autorité à fonctionner de manière indépendante. En ce qui concerne le Groupe de travail anti-corruption, trois organisations de la société civile ont refusé d’adopter le rapport annuel en 2024, estimant qu’il ne donnait pas une description précise des problèmes de corruption en Hongrie et que des engagements suffisamment ambitieux faisaient défaut. En 2025, aucun rapport annuel n’a été adopté.
67. Le manque d’engagement apparent des autorités hongroises en faveur de la lutte contre la corruption est préoccupant, en particulier au regard de l’engagement à «mener une lutte implacable contre la corruption, notamment grâce à des actions de prévention, et en demandant des comptes aux détenteurs du pouvoir public», énoncé dans la Déclaration de Reykjavik. Dans sa décision de décembre 2022, le Conseil de l’Union européenne a fait mention «d’une incapacité, d’une impossibilité ou d’une réticence systémiques des autorités hongroises à empêcher les décisions contraires au droit applicable en matière de marchés publics et de conflits d’intérêts, et donc à lutter de manière adéquate contre les risques de corruption».
68. Plutôt que de s’engager dans une lutte sérieuse contre la corruption, la politique des autorités hongroises semble attaquer et déstabiliser les institutions et les organisations engagées dans cette lutte. Les deux autorités indépendantes créées en 2022 sont incapables de fonctionner et les organisations de la société civile qui jouent un rôle prépondérant dans la lutte contre la corruption en Hongrie sont considérées comme des menaces à la souveraineté hongroise. Selon les rapports officiels du Bureau de protection de la souveraineté, organe constitutionnel dont le Président est nommé par le Premier ministre: «Les concepts de ‘transparence’ et de ‘lutte contre la corruption’ n’ont, en définitive, pas vocation à promouvoir l’équité dans la vie publique ou la concurrence entre les acteurs du marché, mais plutôt à défendre les intérêts économiques et politiques américains.»
69. Dans leurs commentaires, les autorités ont indiqué que, à la suite d’échanges avec le Groupe de travail de l’OCDE sur la corruption, le parlement a prolongé les délais d’instruction de manière à ce qu’ils tiennent compte de la complexité et de la gravité de l’affaire, a élargi les possibilités d’engager la responsabilité pénale des personnes morales ayant commis des actes de corruption, et a établi un cadre structuré applicable aux relations entre le parquet et les personnes morales soumises à une enquête.

4. Respect des droits humains

70. Depuis 2010, la Hongrie connaît une érosion systématique du pluralisme, marquée par des interventions gouvernementales qui portent atteinte à la liberté des médias, l’imposition de restrictions croissantes aux ONG indépendantes, la transformation des institutions universitaires et culturelles via le recours à des fondations d’intérêt public et la mise en place de nouveaux mécanismes tels que le Bureau de protection de la souveraineté.

4.1. Liberté des médias

71. En 2010, le gouvernement Fidesz-KDNP s’est appuyé sur sa super-majorité parlementaire pour promulguer de nouvelles lois sur les médias qui ont centralisé l’autorité de supervision réglementaire au sein de la nouvelle Autorité des médias et de son organe subsidiaire, le Conseil des médias. Le président de l’Autorité des médias, nommé par le Premier ministre pour un mandat de neuf ans, préside également le Conseil des médias et nomme son encadrement supérieur. Les autres membres du Conseil sont élus par le parlement à la majorité des deux tiers, assurant dans les faits le contrôle au Fidesz. Par conséquent, la longue durée du mandat de ces fonctionnaires ne se traduit pas par une indépendance institutionnelle. Avant les élections nationales de 2022, le départ à la retraite anticipée du président du Conseil a permis au Premier ministre Orbán de nommer un nouveau président dont le mandat expirera en 2030.
72. Le Conseil des médias exerce un pouvoir considérable sur le paysage médiatique, notamment en contrôlant le Fonds de soutien aux médias et de gestion des biens des médias (MTVA), en octroyant les licences pour la télévision et la radio et en approuvant les fusions entre sociétés de médias. L’absence de garanties juridiques solides pour l’indépendance de ce Conseil des médias a suscité des inquiétudes à propos de décisions discriminatoires politiquement motivées. D’après les données de Mertek Media Monitor, 75 % des appels d’offres lancés pour la radiodiffusion entre 2018 et 2021 ont été attribués à des stations liées au Fidesz, ce qui révèle une utilisation partisane des pouvoirs réglementaires pour façonner le paysage médiatique. La fermeture forcée de Klubrádió, la dernière station de radio nationale critique à l’égard du gouvernement, en est un exemple. Cette mesure a incité la Commission européenne à engager une procédure en manquement contre la Hongrie et à saisir la Cour de justice de l’Union européenne. La Cour n’a pas encore rendu son arrêt définitif, mais l’avocat général a conclu que le refus du Conseil des médias de renouveler la licence de Klubrádió était disproportionné, tout comme l’exclusion de Klubrádió du nouvel appel d’offres, et que les autorités hongroises n’avaient pas appliqué de critères objectifs, transparents, non discriminatoires et proportionnés 
			(53) 
			CJUE, communiqué de
presse no 42/25, 3 avril 2025, <a href='https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2025-04/cp250042fr.pdf'>Conclusions
de l’avocat général dans l’affaire C-92/23 | Commission c. Hongrie.</a>.
73. La concentration de la propriété des médias menace le pluralisme des médias. Depuis 2010, la propriété des médias est fortement concentrée dans les mains de l’État et d’investisseurs proches du gouvernement, aboutissant à un paysage médiatique où près de 80 % du marché de l’information sur les affaires publiques et politiques est financé par des sources contrôlées par le parti au pouvoir 
			(54) 
			International Press
Institute, Analyse: <a href='https://ipi.media/analysis-one-year-after-election-media-freedom-in-hungary-remains-suffocated/'>One
year after election, media freedom in Hungary remains suffocated</a>, 5 avril 2023.. Le rapport Media Pluralism Monitor 2023 et le rapport de la Commission européenne sur l’État de droit classent tous deux le risque pour le pluralisme des médias en Hongrie à un niveau «élevé» ou «très élevé». Par ailleurs, la Rapporteure spéciale des Nations Unies sur la liberté d’expression a souligné la prédominance des médias progouvernementaux et le déclin des voix indépendantes ou critiques, qu’elle attribue aux pratiques de distorsion mises en place par les gouvernements successifs de la coalition Fidesz. Le gouvernement défend l’existence d’un pluralisme des médias en Hongrie en invoquant les quelques médias indépendants encore présents et précise que certains d’entre eux restent en tête du marché (même si ce n’est que de justesse). Cependant, la situation globale du marché montre que le gouvernement contrôle directement ou indirectement la majorité des médias, dont la diffusion dépasse de loin celle des médias indépendants. La publicité d’État dans les médias sert à soutenir les médias pro-gouvernementaux. L’État est, de loin, l’acteur le plus important sur le marché de la publicité dans les médias. La publicité d’État représente plus de 30 % du marché, et 75 % à 80 % des recettes publicitaires vont à KESMA (Fondation pour la presse et les médias d’Europe centrale, congloméral regroupant des centaines de médias nationaux et locaux). Il semble que l’État ait commencé à transférer ses dépenses publicitaires de la presse écrite vers les médias sociaux; cette tendance a été observée durant la campagne qui a précédé les élections au Parlement européen (voir paragraphe 25).
74. La propriété des médias se traduit dans le contenu éditorial. L’influence politique sur le contenu des publications est évidente. Les médias du service public sont généralement considérés comme fonctionnant sous le contrôle direct du gouvernement. Plusieurs rapports d’enquête et témoignages indiquent que la direction de ces médias demande régulièrement à son personnel de mettre en avant les questions qui intéressent le gouvernement, voire de diffuser des contenus rédigés ou dictés par des hauts responsables du cabinet du Premier ministre 
			(55) 
			Centre
for Media Pluralism and Media Freedom, <a href='https://cadmus.eui.eu/bitstream/handle/1814/75725/Hungary_results_mpm_2023_cmpf.pdf'>«Monitoring
media pluralism in the digital era</a>», rapport sur la Hongrie, juin 2023..
75. Selon une enquête menée par la commission d’enquête du Parlement européen sur l’utilisation de Pegasus et de logiciels espions de surveillance équivalents (PEGA), le Gouvernement hongrois a utilisé le logiciel espion Pegasus, qu’il a acheté en 2017, pour cibler des journalistes, des responsables politiques et des militants. En février 2023, une délégation de la commission PEGA s’est rendue en Hongrie. Selon ses conclusions, «tout indique que des logiciels espions ont été utilisés largement de manière abusive en Hongrie; les explications des autorités, qui invoquent la sécurité nationale, apparaissent très peu convaincantes. Il est largement établi que des personnes ont été espionnées dans le but d’accroître encore le contrôle politique et financier de l’espace public et du marché des médias» 
			(56) 
			<a href='https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2023-0189_FR.html'>«Rapport
relatif à l’enquête sur les allégations d’infraction et de mauvaise
administration dans l’application du droit de l’Union lors de l’utilisation
de Pegasus et de logiciels espions de surveillance équivalents</a>» (2022/2077(INI))..

4.2. La société civile

76. Le Gouvernement hongrois a pris plusieurs mesures à l’encontre des organisations de la société civile indépendantes, en particulier celles qui défendent les droits humains, luttent contre la corruption et protègent l’environnement. Dans le même temps, il a largement aidé les organisations qui partagent ses idées à collecter des fonds, souvent auprès de sources publiques ou semi-publiques.
77. Le Gouvernement hongrois a renforcé son contrôle sur le financement de la société civile, en réduisant progressivement l’accès aux sources de financement indépendantes et en mettant en place des subventions contrôlées par l’État. A la suite d’un désaccord entre le gouvernement et les donateurs du fonds de l’EEE/Norvège portant sur l’administration du fonds, les versements ont été suspendus. Le Gouvernement hongrois a créé son propre fonds (Városi Civil Alap – VCA) et l’a doté de 110 millions d’euros. La liste des bénéficiaires montre que les ONG qui perçoivent les montants les plus élevés sont étroitement liées à la coalition au pouvoir. Selon une enquête indépendante réalisée en 2021, seul un tiers des organisations qui ont reçu le montant maximal n’ont pas d’affiliation politique claire avec le Fidesz, tandis que plus de la moitié des ONG ayant reçu les subventions les plus importantes du VCA sont des organisations contrôlées par des responsables politiques ou des candidats du Fidesz-KDNP 
			(57) 
			<a href='https://english.atlatszo.hu/2021/08/11/organizations-run-by-fidesz-politicians-win-hungarian-ngo-grants-set-up-to-replace-norway-ngo-grants/'>«Organisations
run by Fidesz politicians win Hungarian NGO grants set up to replace
Norway NGO Grants».</a>.
78. Le Forum de coopération civile (CÖF) est une organisation qui diffuse régulièrement des messages alignés sur ceux du gouvernement par le biais de communiqués de presse, de déclarations publiques, de panneaux d’affichage et des réseaux sociaux. Ses communications reprennent souvent la rhétorique du Fidesz, notamment sur des thèmes tels que la souveraineté nationale, l’immigration, le scepticisme à l’égard de l’Union européenne et l’opposition à l’influence étrangère, en particulier celle de George Soros 
			(58) 
			Voir, par exemple: <a href='https://civilek.info/olvasoi-level-csunya-veget-ert-a-soros-halozat-naredra-modi-indiai-miniszterelnok-megbuktatasara-szott-terve/'>«The
Soros Network’s Plan to Topple Indian Prime Minister Narendra Modi
Has Come to an Ugly End»</a>; <a href='https://civilek.info/olvasoi-level-a-globsec-es-mitoszai-hazank-nemzeti-celjaival-megy-szembe-a-bajnait-is-leigazolo-soros-kozeli-ngo/'>«LOBSEC
and its ‘myths’ – Does the Soros-close NGO that also signed the
Bajnai conflict with our country’s national goals».</a>. Le CÖF cible fréquemment les partis d’opposition, les ONG indépendantes et les voix critiques en les qualifiant de menaces pour la souveraineté nationale ou d’agents de l’influence étrangère. Cette organisation bénéficie d’un soutien financier considérable de la part d’entreprises publiques et de fondations affiliées au Fidesz (qui reçoivent des fonds publics) 
			(59) 
			<a href='https://english.atlatszo.hu/2018/05/20/state-owned-hungarian-energy-group-gave-e17-million-to-ngo-favored-by-orban-to-improve-public-thinking/'>«State-owned
Hungarian energy group gave €1,7 million to NGO favored by Orban
to ‘improve public thinking’</a>», 20 mai 2018; <a href='https://english.atlatszo.hu/2019/03/27/state-owned-lottery-company-gives-e219000-to-ngo-favored-by-the-government/'>«State-owned
lottery company gives €219 000 to NGO favored by the government»</a>, 27 mars 2019; <a href='https://english.atlatszo.hu/2024/06/19/the-fidesz-party-foundation-supports-cof-with-an-annual-sum-of-nearly-huf-70-million/'>«The Fidesz
party foundation supports CÖF with an annual sum of nearly HUF 70
million»,</a> 19 juin 2024..
79. Parmi les entités qui soutiennent le gouvernement, on peut également citer megafon.hu, une plateforme médiatique numérique hongroise et organisation militante qui cherche à amplifier les voix de la droite en ligne et à contrer ce qu’elle décrit comme la domination du «courant libéral» sur internet. La plateforme encourage ouvertement les utilisateurs à devenir des «combattants de la liberté numérique de la droite» et propose diverses ressources – notamment des formations, du mentorat et de la publicité – aux influenceurs qui diffusent les discours du gouvernement sur plusieurs plateformes de réseaux sociaux, principalement sous forme de courtes vidéos 
			(60) 
			<a href='https://megafon.hu/'>https://megafon.hu/.</a>. Les dépenses sur les réseaux sociaux de megafon.hu dépassent celles du gouvernement et du parti Fidesz 
			(61) 
			Euractiv,
4 janvier 2022, <a href='https://www.euractiv.com/section/politics/short_news/orbans-influencers-shower-cash-become-largest-social-media-spenders/'>«Orban’s
influencers shower cash, become largest social media spenders».</a>. Selon les données officielles de Meta et de Google, megafon.hu a dépensé près de 2,2 millions d’euros en publicité à caractère politique sur les réseaux sociaux pour la campagne des élections européennes de 2024. Plus de la moitié de ces dépenses ont été consacrées à la promotion de vidéos qui diffusent des propos hostiles 
			(62) 
			La
notion de «propos hostiles» dépasse la simple désinformation et
englobe la déformation délibérée de faits par le biais de récits
et de narrations manipulatrices; l’exagération des craintes existantes
et des menaces perçues; la présentation des acteurs sociopolitiques
et des membres de l’opposition comme des ennemis. Voir Flore, M., <a href='https://publications.jrc.ec.europa.eu/repository/handle/JRC118914'>«Understanding
Citizens’ Vulnerabilities (II): From Disinformation to Hostile Narratives»</a>, Office des publications de l’Union européenne, Luxembourg,
2020.. Les sources de financement de megafon.hu restent floues. L’organisation affirme être soutenue par le monde des affaires ancré à droite et nie recevoir des fonds publics, mais ne fait preuve d’aucune transparence quant à ses donateurs ou à l’origine de ses appuis financiers. Pour l’année 2024, megafon.hu a déclaré un revenu de plus de 14 millions d’euros 
			(63) 
			Telex.hu,
31 mai 2025, <a href='https://telex.hu/gazdasag/2025/05/31/megafon-veszteseg-ceges-beszamolo'>«Rekordösszegű,
5,8 milliárdos bevételből lett veszteséges tavaly a Megafon».</a>.
80. À l’opposé, les organisations de la société civile qui reçoivent des fonds étrangers – notamment de particuliers, d’organisations caritatives et d’institutions de l’UE – sont soumises à une pression croissante sous couvert d’un prétendu manque de transparence. Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits de l'homme a constaté que les défenseur·es des droits humains en Hongrie étaient confrontés à «une pression énorme due à la critique publique, à la stigmatisation médiatique, à des inspections injustifiées et à une baisse du financement public». Il a exhorté le gouvernement à élargir et à renforcer l’espace accordé à la société civile 
			(64) 
			<a href='https://www.ohchr.org/fr/documents/country-reports/ahrc3452add2-report-special-rapporteur-situation-human-rights-defenders'>A/HRC/34/52/Add.2,
«Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des
droits de l’homme sur sa mission en Hongrie</a>» (en anglais).. En 2017, une «loi sur la transparence» a obligé les ONG qui reçoivent plus de 23 000 d’euros par an à s’enregistrer en tant qu’«organisations recevant de l’aide de l’étranger». Ces organisations étaient en outre tenues d’afficher visiblement cette qualification et de déclarer le nom des donateurs dont la contribution était supérieure à 1 400 euros par an. Le non-respect de cette obligation pouvait entraîner la condamnation à des peines d’amendes et, à terme, la dissolution de l’ONG. En 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé que cette loi violait le droit de l’UE, car elle stigmatisait les organisations de la société civile et imposait à leurs activités des restrictions injustifiées. Une autre loi a été adoptée en mai 2021, qui exige des ONG dont le bilan annuel dépasse environ 54 000 euros qu’elles se soumettent à un audit de la Cour des comptes. Cet audit évalue la conformité juridique de l’organisation et donne lieu à un rapport public dont les conclusions ne peuvent être contestées devant les tribunaux, même si elles sont infondées. La loi impose une lourde charge administrative aux ONG concernées et accorde aux auditeurs l’accès à tous les documents, y compris aux informations sensibles et confidentielles. En outre, cette réglementation est considérée comme discriminatoire, car elle exclut certaines organisations – comme les associations religieuses, les groupes minoritaires et les syndicats – sans justification adéquate, malgré leur capacité à influencer la vie publique.
81. En 2023, le revenu total des associations et fondations s’élevait à 3,36 milliards d’euros, dont 40 % provenaient de financements publics et 22 % de sources privées; le reste provenait notamment d’entreprises. Les organisations de la société civile critiques à l’égard du gouvernement ne peuvent pas obtenir de fonds publics et dépendent donc entièrement de sources internationales, comme le programme CERV de l’UE ou l’ancienne agence des États-Unis pour le développement international (USAID), ainsi que du financement participatif et de donateurs privés. Actuellement, l’accès à ces financements est sérieusement menacé par la politique gouvernementale.

4.3. Le Bureau de protection de la souveraineté

82. Les tentatives destinées à réprimer la société civile indépendante se sont intensifiées de manière inquiétante en décembre 2023, avec l’adoption de la loi sur la protection de la souveraineté. Lorsque le projet de loi a été présenté, nous avons publié une déclaration pour alerter sur le fait qu’il prévoyait «des dispositions dont les conséquences potentielles sur le fonctionnement des institutions démocratiques, les droits humains et l’État de droit, seraient considérables» et nous avons appelé le Gouvernement hongrois à soumettre ce projet de loi à la Commission de Venise 
			(65) 
			<a href='https://pace.coe.int/fr/news/9289/hungary-should-submit-the-bill-on-the-defence-of-national-sovereignty-to-the-venice-commission-pace-monitors-say'>«La
Hongrie devrait soumettre la proposition de loi sur ‘la défense
de la souveraineté nationale’ à la Commission de Venise, selon les
corapporteurs de l’Assemblée</a>», 27 novembre 2023.. La Commissaire aux droits de l’homme a déclaré que cette loi présentait un risque important pour les droits humains et qu’elle devrait être abandonnée 
			(66) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/hungary-the-proposal-for-a-defence-of-national-sovereignty-package-should-be-abandoned'>«Hongrie:
La proposition d’un paquet législatif ‘défense de la souveraineté
nationale’ devrait être abandonnée</a>», 27 novembre 2023.. La Commission de suivi a soumis la proposition de loi à la Commission de Venise le 11 décembre 2023, mais le Parlement hongrois a adopté la loi le lendemain, malgré les appels unanimes en faveur d’une évaluation approfondie. Le 7 février 2024, la Commission européenne a décidé d’ouvrir une procédure d’infraction contre la Hongrie, au motif que la législation pourrait violer, entre autres, le principe de démocratie et plusieurs droits fondamentaux tels que le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit à la protection des données à caractère personnel, la liberté d’expression et d’information, la liberté d’association, les droits électoraux des citoyens de l’UE ou le droit à un recours effectif et à un procès équitable.
83. La loi a apporté deux grands changements à l’ordre juridique hongrois: elle a créé un nouvel organisme public, le Bureau de protection de la souveraineté, et elle a modifié la législation électorale, pénale et d’autres textes pertinents afin d’interdire le financement étranger des campagnes électorales. Dans son avis rendu en mars 2024, la Commission de Venise a conclu que si l’influence étrangère sur les processus électoraux est citée dans le préambule et la justification, le champ d’application de la loi est cependant beaucoup plus large, puisqu’il recouvre des «processus décisionnels étatiques et sociaux» où la justification basée sur l’intégrité électorale ne s’applique pas 
			(67) 
			«Avis sur la loi LXXXVIII
de 2023 sur la protection de la souveraineté nationale», CDL-AD(2024)001.. Ainsi, les pouvoirs du Bureau de protection de la souveraineté s’étendent au-delà des campagnes électorales pour englober l’activité politique au sens large et les campagnes pour le changement social. L’analyse juridique indique ce qui suit: «la loi a créé un nouvel organe doté de compétences extrêmement larges qui peut interférer avec la vie privée de toute personne morale ou physique et s’engager dans la dénonciation de cette entité sans être soumis à aucun mécanisme de contrôle ou d’examen. Ainsi, au lieu de rendre “les divers processus de prise de décision électorale et sociale transparents”, la loi risque d’avoir un effet dissuasif sur la discussion libre et démocratique dans la société hongroise.» La Commission de Venise conclut que la réglementation relative à la création du Bureau de protection de la souveraineté, à son mandat et à ses compétences est contraire aux normes internationales et devrait être abrogée.
84. Parmi ses premières publications, le Bureau de protection de la souveraineté a publié une tribune du Washington Post de 1991. Cet article décrivait comment l’effondrement de l’Union soviétique avait marqué le début d’une nouvelle ère où l’espionnage traditionnel et les opérations secrètes étaient moins efficaces, en soulignant la montée en puissance des mouvements ouverts et publics et des changements induits par l’information 
			(68) 
			<a href='https://szuverenitasvedelmihivatal.hu/dokumentumok/Ignatius-cikk_1991_WaPo_en.pdf'>https://szuverenitasvedelmihivatal.hu/dokumentumok/Ignatius-cikk_1991_WaPo_en.pdf.</a>. En l’absence de toute information contextuelle, on peut s’interroger sur la pertinence de cet article dans la Hongrie de 2025. Confirmant les craintes de la Commission de Venise, le Bureau de protection de la souveraineté s’est livré à une campagne de dénonciation publique des organisations de la société civile critiques à l’égard des autorités et a publié ses premiers «rapports d’enquête» sur Transparency International Hongrie 
			(69) 
			<a href='https://szuverenitasvedelmihivatal.hu/dokumentumok/The-impact-of-Transparency-International-Hungarys-activities-on-Hungarian-sovereignty.pdf'>«The
impact of Transparency International Hungary’s activities on Hungarian
sovereignty».</a>, Átlátszó 
			(70) 
			«<a href='https://szuverenitasvedelmihivatal.hu/dokumentumok/the-impact-of-atlatszos-activities-on-hungarian-sovereignty.pdf'>The
impact of Átlátszó’s activities on Hungarian sovereignty».</a> et la fondation Ökotars. Selon ces rapports d’enquête, «les notions de “transparence” et de “lutte contre la corruption” [...] sont des armes au service des intérêts économiques et politiques des États-Unis» 
			(71) 
			La même phrase figure
dans les deux rapports, au paragraphe 3 pour Átlátszó et au paragraphe 4
pour Transparency International Hongrie.. L’un des rapports affirmait que Transparency International causerait un préjudice politique, économique et social à la Hongrie au motif que l’indice de perception de la corruption influence la perception internationale des pays. Les demandes d’accès aux données d’intérêt général soumises par Átlátszó auraient pour but de dissimuler des activités de renseignement, alors qu’elles concernent des données publiques officielles. Depuis l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, les publications du Bureau de protection de la souveraineté se concentrent désormais sur les institutions de l’Union européenne 
			(72) 
			«<a href='https://szuverenitasvedelmihivatal.hu/dokumentumok/The-European-Comissions-Cerv-Programme-This-is-how-Brussels-turned-on-the-money-tap-to-fund-the-Soros-network.pdf'>The
European Commission’s Cerv Programme, This is how Brussels turned
on the money tap to fund the Soros network»</a>, 29 janvier 2025; <a href='https://szuverenitasvedelmihivatal.hu/dokumentumok/Szankcios-csomag.pdf'>«Les
derniers plans de sanctions de la Commission européenne contre la
Russie ont été dictés par l'Ukraine»</a> (en hongrois uniquement), 18 juin 2025; «<a href='https://szuverenitasvedelmihivatal.hu/dokumentumok/Brusszel-hadjarata-a-nemzeti-szuverenitas-ellen.pdf'>La
guerre menée par Bruxelles contre la souveraineté nationale»</a> (en hongrois uniquement), 16 juillet 2025. et sur l’Ukraine.
85. Ces rapports, adoptés par une autorité établie par la Loi fondamentale, défendent une conception erronée du rôle de la société civile dans nos démocraties. La Cour européenne des droits de l’homme a affirmé à maintes reprises le lien direct qui existe entre démocratie, pluralisme et liberté d’association. En effet, la manière dont le droit interne consacre cette liberté et l’application concrète de cette législation par les autorités sont révélatrices de l’état de la démocratie dans un pays.

4.4. Transparence de la vie publique

86. Les attaques contre la société civile se sont intensifiées depuis le début de l’année 2025. Le 17 janvier 2025, Viktor Orban a déclaré que «le premier objectif de politique étrangère pour 2025 [était] de chasser l’empire Soros hors d’Europe et de le renvoyer en Amérique» et que «[l]e moment [était] venu de mettre les choses au clair, de démanteler les réseaux étrangers qui menacent la souveraineté hongroise et de les renvoyer chez eux».
87. Le 15 mars 2025, il a qualifié de «punaises» les acteurs de la société civile hongroise indépendante: «[a]près la fête d’aujourd’hui, nous lancerons le grand nettoyage de Pâques. Les punaises ont survécu à l’hiver. Nous démantèlerons la machine financière qui achète les responsables politiques, les juges, les journalistes, les organisations pseudo-citoyennes et les militants politiques avec des dollars corrompus. Nous disperserons toute cette armée de l’ombre. Ce sont […] les larbins de Bruxelles, payés pour servir les intérêts de l’empire contre leur propre pays. Ils sont ici depuis bien trop longtemps. Ils ont survécu à trop de choses. Ils ont reçu de l’argent de trop d’endroits. […] Nous les avons assez vus. […] Ils portent la lettre écarlate, leur destin sera celui de la honte et du mépris. S’il y a une justice, et il y en a une, une place leur est réservée en enfer. Nous savons qui vous êtes.» 
			(73) 
			<a href='https://miniszterelnok.hu/en/speech-by-prime-minister-viktor-orban-on-the-177th-anniversary-of-the-hungarian-revolution-and-war-of-independence-of-1848-49/'>Discours
du Premier ministre Viktor Orbán à l’occasion du 177e anniversaire
de la Révolution hongroise et de la Guerre d’indépendance de 1848-1949</a> (en anglais).
88. Le 1er avril 2025, un député du Fidesz a déposé un projet de loi pour modifier la loi sur la citoyenneté hongroise. Le texte propose de suspendre la citoyenneté des personnes «dont le maintien de la citoyenneté hongroise constitue une menace pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale en Hongrie». Plus précisément, le projet de loi propose de suspendre la citoyenneté de quiconque «agit dans l’intérêt d’une puissance étrangère ou d’une organisation étrangère ou poursuit les objectifs d’une puissance étrangère ou d’une organisation étrangère d’une manière incompatible avec la citoyenneté hongroise». Ce projet de loi a été adopté le 11 juin 2025.
89. Le 13 mai 2025, un député du Fidesz a déposé un nouveau projet de loi devant le Parlement hongrois, «relatif à la transparence de la vie publique». Le projet de loi renforcerait les pouvoirs du Bureau de protection de la souveraineté, ce qui pourrait rendre impossible, pour les organisations de la société civile et les médias visés, de poursuivre leurs activités. Nous avons immédiatement publié une déclaration indiquant ce qui suit: «[l]e texte proposé rendrait impossible le fonctionnement et l’existence même d’organisations de la société civile et de médias indépendants. Il porte atteinte de manière injustifiée et totalement disproportionnée à la liberté d’association et d’expression des citoyens hongrois. L’adoption de ce texte irait à l’encontre des obligations internationales de la Hongrie en matière de respect des droits humains et des libertés fondamentales.» 
			(74) 
			<a href='https://pace.coe.int/fr/news/9893/the-hungarian-draft-law-on-transparency-in-public-life-must-not-be-adopted-say-pace-monitors'>«La
proposition de loi hongroise sur «la transparence de la vie publique»
ne doit pas être adoptée, selon les corapporteurs de l’APCE pour
le suivi de la Hongrie».</a> Le 4 juin, le vote sur ce projet de loi, qui devait avoir lieu le lendemain, a été reporté jusqu’à la reprise des travaux parlementaires après la pause estivale. À notre demande, la Commission de suivi a sollicité l’avis de la Commission de Venise sur ce projet de loi.

4.5. L’incidence des fondations d’intérêt public sur la liberté académique et les institutions culturelles

90. Comme nous l’avons déjà évoqué, un autre changement important depuis 2021 a été la transformation de nombreux établissements d’enseignement supérieur et institutions culturelles en «fondations d’intérêt public» (KEKVA), qui sont contrôlées par des conseils d’administration dominés par des personnes nommées par le gouvernement. En conséquence, le Gouvernement hongrois a supprimé le contrôle public sur la plupart des établissements d’enseignement supérieur et des institutions culturelles en Hongrie, tout en transférant la direction à des conseils d’administration proches du pouvoir.
91. En raison de problèmes restés en suspens, le Conseil de l’Union européenne a décidé, le 15 décembre 2022, qu’aucun engagement juridique ne serait pris avec une fondation d’intérêt public ou une entité détenue par une telle fondation. En conséquence, la Commission européenne a exclu plus de 30 institutions hongroises, dont 21 universités, de la participation à des programmes clés de l’UE tels que Horizon Europe et Erasmus+. La Commission a conditionné le rétablissement de l’accès à ces programmes au respect par la Hongrie des normes en matière de transparence et de gouvernance 
			(75) 
			<a href='https://www.euractiv.com/section/economy-jobs/news/hungarian-government-amends-law-to-reach-agreement-with-the-european-commission-on-erasmus-ban/'>«Hungarian
government amends law to reach agreement with the European Commission
on Erasmus ban</a>»; <a href='https://www.portfolio.hu/unios-forrasok/20241001/a-kormany-torvenyt-modosit-az-erasmus-program-feloldasaert-de-brusszel-kereseit-nem-elegiti-ki-712413'>version hongroise.</a>. Bien que le Gouvernement hongrois ait proposé des modifications pour répondre à certaines des préoccupations de la Commission (telles que la limitation de la durée des mandats des membres des conseils d’administration et l’interdiction de la nomination de certaines personnalités politiques au sein de ces conseils), la Commission a indiqué que ces mesures restaient insuffisantes et ne répondaient pas pleinement aux attentes de l’UE.

4.6. Liberté de réunion

92. Le 18 mars 2025, le Parlement hongrois a adopté, dans le cadre d’une procédure d’urgence, une modification de la loi LV de 2018 sur la liberté de réunion. Cette modification législative interdit toute réunion qui contrevient à l’article 6.A de la loi sur la protection de l’enfance et proscrit de fait tous les rassemblements publics de personnes LGBTI ou sur des questions liées à celles-ci, y compris la Marche des fiertés.
93. La Cour européenne des droits de l’homme a estimé à plusieurs reprises que l’interdiction ou le refus d’autoriser des manifestations publiques destinées à promouvoir les droits humains et l’égalité des personnes LGBTI n’étaient pas nécessaires dans une société démocratique et étaient donc contraires à l’article 11 de la Convention. Elle a plutôt considéré que les autorités devaient prendre des mesures positives pour garantir que ces manifestations et rassemblements puissent se dérouler pacifiquement et que les manifestants soient protégés contre la violence.
94. La loi hongroise autorise également l’utilisation de logiciels de reconnaissance faciale pour identifier les personnes qui participent à des rassemblements. Dans un arrêt concernant une utilisation similaire, par la Russie, de la technologie de reconnaissance faciale à l’encontre de manifestants pacifiques, la Cour a jugé que l’utilisation d’une telle technologie dans cette situation pouvait avoir un effet dissuasif sur l’exercice des droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion et était incompatible avec les idéaux et les valeurs d’une société démocratique régie par la prééminence du droit 
			(76) 
			<a href='https://hudoc.echr.coe.int/app/conversion/pdf/?library=ECHR&id=003-7694105-10618087&filename=Arrêt%20Glukhin%20c.%20Russie%20-%20Recours%20à%20la%20technologie%20de%20reconnaissance%20faciale%20d’un%20manifestant%20dans%20le%20métro%20de%20Moscou%20.pdf'>«Le
recours à la technologie de reconnaissance faciale a porté atteinte
aux droits d’un manifestant dans le métro de Moscou».</a>.
95. La Marche des fiertés de Budapest, prévue pour le 28 juin 2025, a été interdite par la police sur la base d’une modification récente de la loi LV de 2018 sur la liberté de réunion 
			(77) 
			<a href='https://www.police.hu/hu/hirek-es-informaciok/gyulekezesi-hatarozatok/tilto-hatarozat-78'>Tiltó
határozat | A Rendőrség hivatalos honlapja.</a>. Le maire de Budapest s’est opposé à cette décision et a annoncé que l’événement serait organisé par les autorités locales. La Marche a finalement eu lieu et a rassemblé 200 000 personnes, pulvérisant ainsi le précédent record de participation, qui était de 35 000 personnes 
			(78) 
			Le Monde, <a href='https://www.lemonde.fr/international/article/2025/06/28/en-hongrie-a-la-marche-des-fiertes-de-budapest-interdite-par-viktor-orban-une-mobilisation-record-et-des-tensions-attendues_6616284_3210.html?search-type=classic&ise_click_rank=1'>«À
Budapest, la Marche des fiertés rassemble près de 200 000 personnes,
malgré son interdiction par Viktor Orban», selon les organisateurs</a>, 28 juin 2025..

4.7. Respect des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme et des autres mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe

96. En 2024, 76 % des arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme contre la Hongrie au cours de la dernière décennie n’avaient toujours pas été exécutés, ce qui représente le pourcentage le plus élevé parmi les États membres de l’UE. Ce constat marque un recul par rapport à 2022 (72 %). Seuls 52,6 % des arrêts sont partiellement exécutés et 66 % des affaires pendantes sont en suspens depuis plus de deux ans.
97. Les arrêts de principe en attente d’exécution 
			(79) 
			Les «arrêts de principe»
désignent les affaires qui révèlent un problème en droit ou en pratique,
au niveau national, et qui nécessitent souvent l’adoption par l’État
de mesures générales nouvelles ou supplémentaires pour prévenir
la répétition de violations similaires. concernent des questions cruciales de droits humains, notamment la surveillance secrète non contrôlée, la liberté d’expression des juges, la durée excessive des procédures judiciaires, l’emprisonnement à perpétuité, les mauvais traitements infligés par la police et la discrimination à l’égard des enfants roms dans l’éducation. En 2024, l’exécution de 14 arrêts de la Cour a été examinée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe dans le cadre de la procédure soutenue. Le Comité des Ministres a jugé l’exécution des arrêts insuffisante dans toutes les affaires et a adopté des résolutions intérimaires dans le groupe d’affaires Gazsó c. Hongrie sur la durée excessive des procédures et dans le groupe d’affaires László Magyar c. Hongrie sur l’emprisonnement à perpétuité. L’affaire Kenedi c. Hongrie, qui concerne la non-exécution de décisions de justice relatives à la liberté d’information, a été transférée en procédure de surveillance soutenue en décembre 2024.
98. Le Commissaire aux droits de l’homme a demandé aux députés hongrois de ne pas adopter le projet de loi sur la transparence de la vie publique, à moins qu’il ne soit modifié pour se conformer au droit international des droits humains, notamment en matière de liberté d’expression et d’association, de droit au respect de la vie privée, de droit à un procès équitable et d’interdiction de la discrimination 
			(80) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/commissioner-asks-hungary-s-parliament-not-to-adopt-law-that-stifles-civil-society'>www.coe.int/fr/web/commissioner/view/-/asset_publisher/ugj3i6qSEkhZ/content/id/285621734?_com_liferay_asset_publisher_web_portlet_AssetPublisherPortlet_INSTANCE_ugj3i6qSEkhZ_languageId=fr_FR.</a>. Il a également appelé les députés hongrois à reconsidérer la modification de la loi sur le droit de réunion, qui interdit, de fait, les événements tels que la Marche des fiertés 
			(81) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/hungary-should-reconsider-the-law-on-assemblies-and-refrain-from-adopting-legislative-proposals-which-threaten-the-human-rights-of-lgbti-people'>www.coe.int/fr/web/commissioner/-/hungary-should-reconsider-the-law-on-assemblies-and-refrain-from-adopting-legislative-proposals-which-threaten-the-human-rights-of-lgbti-people.</a>. La commission sur l’égalité et la non-discrimination de l’Assemblée a demandé à la Commission de Venise de rendre un avis sur le quinzième amendement à la Loi fondamentale adopté par l’Assemblée nationale hongroise le 14 avril 2025, qui autorise une telle interdiction.
99. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a publié en décembre 2024 le rapport relatif à sa visite périodique en Hongrie, qui comprend plusieurs recommandations sur les questions d’immigration, les personnes en garde à vue ainsi que les établissements pénitentiaires et psychiatriques 
			(82) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/cpt/-/council-of-europe-anti-torture-committee-cpt-publishes-report-on-its-2023-periodic-visit-to-hungary-1'>www.coe.int/fr/web/cpt/-/council-of-europe-anti-torture-committee-cpt-publishes-report-on-its-2023-periodic-visit-to-hungary-1.</a>.
100. Dans son rapport sur la Hongrie (sixième cycle de monitoring) publié le 9 mars 2023, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) recommande aux autorités de faire procéder à un examen indépendant des mesures législatives adoptées pendant la période d’«état de danger», de leurs conséquences pour les groupes relevant du mandat de l’ECRI, notamment les personnes LGBTI, et de leur conformité avec les normes du Conseil de l’Europe et les autres normes relatives aux droits humains qui s’appliquent dans les domaines de l’égalité et de la non-discrimination. L’ECRI recommande également aux autorités de renforcer la capacité des services répressifs de détecter et de traiter efficacement les propos et infractions racistes et LGBTIphobes motivés par la haine 
			(83) 
			<a href='https://rm.coe.int/conclusions-de-l-ecri-sur-la-mise-en-oeuvre-des-recommandations-faisan/1680b1e957'>https://rm.coe.int/conclusions-de-l-ecri-sur-la-mise-en-oeuvre-des-recommandations-faisan/1680b1e957.</a>.

5. Conclusions

101. La Hongrie a connu un déclin notable de la qualité de la démocratie, de l'État de droit et de la protection des droits humains au cours des dernières années. La concentration du pouvoir aux mains de la même majorité résulte de l'effet cumulé de réformes constitutionnelles et électorales successives. La capacité des institutions démocratiques à assurer le contrôle et la responsabilité publique a été affaiblie, tandis que la politisation des procédures législatives et des nominations a compromis le pluralisme et la transparence. Avec l'affaiblissement des freins et contrepoids constitutionnels, l'indépendance judiciaire a été compromise et la capacité de lutter contre la corruption considérablement réduite. Dans le même temps, les voix critiques ou indépendantes dans les médias et la société civile ont été marginalisées.
102. La commission de suivi reconnaît l’ouverture au dialogue des autorités hongroises et prend note des mesures limitées prises pour répondre aux recommandations du Conseil de l'Europe. Un engagement politique sincère et soutenu sera nécessaire pour rétablir le pluralisme, l'État de droit et la pleine protection des droits fondamentaux en Hongrie. Considérant l'importance capitale de répondre aux préoccupations persistantes soulignées dans le présent rapport concernant la corruption et le recul de la démocratie, la priorité devrait être donnée à la mise en œuvre des recommandations de la Commission de Venise et du GRECO concernant les réformes électorales, les nominations judiciaires, les mesures de lutte contre la corruption et le respect des libertés des médias et d'association. Un suivi étroit et continu reste nécessaire, avec pour objectif global de renforcer les fondements de la démocratie, de l'État de droit et des droits humains pour tous les secteurs de la société hongroise.