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A. Projet de
résolution
(open)
Rapport | Doc. 16249 | 12 septembre 2025
Le respect des obligations découlant de l'adhésion au Conseil de l'Europe de la Hongrie
Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)
A. Projet de
résolution 
(open)1. La Hongrie a adhéré au Conseil
de l'Europe le 6 novembre 1990. Lors de son adhésion, elle s'est engagée
à respecter les obligations incombant à tous les États membres en
vertu de l'article 3 du Statut du Conseil de l'Europe (STE no 1)
en matière de démocratie pluraliste, d'État de droit et de droits
humains. L'Assemblée parlementaire suit de près le respect par la
Hongrie de ses obligations en tant que membre du Conseil de l'Europe
depuis 2013. Dans sa Résolution
2460 (2022), compte tenu des préoccupations de longue date concernant
l'État de droit et la démocratie, l'Assemblée a décidé d'ouvrir
une procédure de suivi à l'égard de la Hongrie.
2. Depuis cette résolution, la Commission pour le respect des
obligations et engagements des États membres du Conseil de l’Europe
(Commission de suivi) a demandé cinq avis à la Commission européenne pour
la démocratie par le droit (Commission de Venise). Ces avis portent
sur la création d’un Bureau pour la défense de la souveraineté,
des réformes judiciaires, la réforme électorale et un projet de
loi sur la transparence de la vie publique. La commission sur l’égalité
et la non-discrimination de l’Assemblée a adressé une demande d’avis
sur la compatibilité avec les normes internationales relatives aux
droits humains du 15e amendement à la
Loi fondamentale. L’Assemblée salue l’adoption des réformes législatives
de 2023 qui ont amélioré l’indépendance du pouvoir judiciaire et
renforcé l’autonomie du système judiciaire. Ces réformes sont en
phase avec les recommandations de la Commission de Venise et la Résolution 2460 (2022) de l’Assemblée. L’Assemblée souligne la nécessité pour
les autorités hongroises d’exécuter intégralement l’arrêt rendu
dans l’affaire Baka c. Hongrie et
de garantir pleinement la liberté d’expression des juges sur les questions
d’intérêt public concernant le pouvoir judiciaire. Elle invite les
autorités hongroises à envisager des solutions structurelles pour
l’indexation du salaire de base des juges afin de mieux garantir
leur indépendance vis-à-vis des pressions politiques.
3. L’Assemblée est gravement préoccupée par l’absence de progrès
et par l’aggravation de la situation dans certains domaines en lien
avec un nombre important de recommandations formulées dans la Résolution 2460 (2022).
4. Dans le domaine du droit constitutionnel, l’Assemblée se réfère
à la Résolution 1941 (2013) et réitère ses préoccupations face à l’affaiblissement
du système de freins et de contrepoids démocratiques, et à l’instrumentalisation
des normes constitutionnelles, de la Loi fondamentale et des lois
cardinales, visant à verrouiller les préférences politiques du parti
au pouvoir. L’Assemblée appelle la Hongrie à veiller à ce que les nominations
par le parlement à la Cour constitutionnelle, aux hautes fonctions
judiciaires et aux organes de contrôle indépendants soient effectuées
indépendamment de l’affiliation politique des candidats, conformément
aux avis et aux rapports de la Commission de Venise, en particulier
en ce qui concerne les majorités qualifiées et les mécanismes antiblocages.
5. L’Assemblée prend note des préoccupations concernant le processus
législatif, notamment en ce qui concerne sa transparence, l’efficacité
des consultations publiques sur les projets de loi et le rôle de
l’opposition au parlement. Elle est profondément préoccupée par
le fait que la Hongrie est soumise à un ordre juridique spécial
depuis 2020, qui permet au gouvernement de promulguer des décrets
d’urgence qui outrepassent les lois ordinaires et érodent encore
davantage le contrôle parlementaire et le système de freins et de
contrepoids. L’Assemblée demande instamment aux autorités hongroises
de mettre fin à cet ordre juridique spécial relatif à «l’état de
danger», et ce bien avant les prochaines élections.
6. Dans le domaine des élections, l’Assemblée se réfère à la Résolution 2460 (2022) dans laquelle elle a conclu «que le cadre électoral
actuel ne garantit pas une égalité des chances propices à des élections équitables.»
Les réformes successives ont amplifié la distorsion entre les suffrages
obtenus et le nombre de sièges remportés. Bien que la visée première
du système mixte hongrois soit d’équilibrer le majoritarisme et
la proportionnalité, les réformes ont favorisé les partis dominants,
transformant les victoires électorales du Fidesz en majorités constitutionnelles
des deux tiers lors de chaque élection depuis 2014. L’Assemblée
note que, selon l’avis de la Commission de Venise sur la loi LXXIX
de 2024 portant amendement de certaines lois en matière d’élections,
la dernière réforme électorale n’a pas répondu à cette préoccupation.
7. L’Assemblée s’associe à la Commission de Venise pour appeler
à une révision complète de la législation électorale après les élections
de 2026, sur la base d’une consultation inclusive avec les principaux
partis politiques, les organisations de la société civile et les
universitaires. Une telle réforme devrait:
7.1. prendre en compte les recommandations restées en suspens
de la Commission de Venise et du Bureau des institutions démocratiques
et des droits de l'homme (BIDDH) concernant la délimitation des circonscriptions
électorales;
7.2. réduire le nombre de circonscriptions uninominales et
de comtés dans lesquels chaque parti doit désigner des candidats;
7.3. améliorer la transparence du financement des partis politiques
et des campagnes électorales, notamment sur les réseaux sociaux,
et garantir une application solide et politiquement indépendante
de la réglementation sur le financement de la vie politique, y compris
par la Cour des comptes;
7.4. réformer le système de représentation des minorités au
parlement conformément à la décision de la Cour dans l’affaire Bakirdizi et E.C. c. Hongrie, et
assurer la participation effective des personnes appartenant à toutes
les minorités nationales aux processus de décision politique et
aux organes élus au niveau national.
8. Dans le domaine de la lutte contre la corruption, l’absence
de volonté politique pour s’attaquer à la corruption de haut niveau
est profondément inquiétante. L’Assemblée appelle les autorités
hongroises à autoriser sans délai la publication des rapports du
Groupe d'États contre la corruption (GRECO) évaluant la conformité
avec les recommandations concernant la prévention de la corruption
au sein des hautes fonctions de l’exécutif et la prévention de la
corruption des parlementaires, des juges et des procureurs, à renforcer
les institutions indépendantes de lutte contre la corruption et
à garantir des pratiques transparentes en matière de marchés publics.
9. L’Assemblée appelle la Hongrie à assurer un contrôle public
des «fondations de gestion d’actifs d’intérêt public» (KEKVA) en
garantissant une gouvernance transparente, un contrôle parlementaire
et l’obligation de rendre des comptes pour tous les biens et fonds
publics gérés par ces entités.
10. Dans le domaine des médias, l’Assemblée rappelle ses préoccupations
concernant la concentration de la propriété des médias, le manque
de pluralisme des médias et l’influence politique sur le contenu
des médias. L’Assemblée appelle les autorités hongroises à renforcer
l’indépendance de fonctionnement du Conseil des médias, en réduisant
la durée du mandat du président de l’Autorité des médias et en retirant
à ce dernier certains de ses pouvoirs de nomination. Elle appelle
également de nouveau les autorités hongroises à envisager la mise
en œuvre d’une procédure de nomination des membres du Conseil des
médias plus ouverte et pluraliste, notamment en permettant aux groupes
de la société civile de participer au processus de nomination. Compte
tenu du rôle extrêmement important de l’État et des entreprises
publiques sur le marché de la publicité dans les médias, à travers
lequel d’importantes ressources de l’État sont canalisées vers les médias
progouvernementaux, l’Assemblée demande aux autorités de veiller
à ce que la répartition de cette publicité, y compris sur les réseaux
sociaux, soit équitable et transparente.
11. Dans le domaine de la société civile, l’Assemblée est profondément
préoccupée par la succession de mesures visant à réduire au silence
les organisations de la société civile et les médias indépendants. L’Assemblée
rappelle qu’aux termes des Principes de Reykjavík pour la démocratie,
la société civile est indispensable au bon fonctionnement de la
démocratie, tout comme le maintien d’un environnement sûr et favorable
dans lequel la société civile ainsi que les défenseurs des droits
humains peuvent opérer sans entraves, insécurité ni violence. En
vue de garantir un tel environnement, l’Assemblée appelle la Hongrie
à abolir le Bureau de protection de la souveraineté et à modifier
le projet de loi sur la transparence de la vie publique conformément
aux recommandations de la Commission de Venise.
12. L’Assemblée se déclare prête à poursuivre le dialogue constructif
et la coopération étroite avec les autorités hongroises dans le
cadre de la procédure de suivi, afin de soutenir la mise en œuvre
de ces recommandations, et espère qu’il en résultera une collaboration
fructueuse qui renforcera l’engagement de la Hongrie en faveur des
valeurs et des normes du Conseil de l’Europe.
B. Exposé des motifs par M. Eerik-Niiles Kross et M. George Papandreou, corapporteurs
(open)1. Introduction
1. Le 6 novembre 1990, la Hongrie
est devenue le 24e État membre du Conseil
de l’Europe et s’est engagée à respecter les obligations qui incombent
à tout État membre au titre de l’article 3 du Statut du Conseil de
l’Europe (STE no 1) concernant le pluralisme
démocratique, la prééminence du droit et les droits humains
. L’adhésion du pays est intervenue
peu après la transition pacifique du régime communiste vers une
république parlementaire démocratique. La Hongrie a été le premier
pays de l’ancien «bloc de l’Est» à vouloir rejoindre le Conseil
de l’Europe
.


2. Depuis l’adoption d’une nouvelle Constitution en 2011, l’évolution
de la situation en Hongrie suscite des inquiétudes et a conduit
l’Assemblée à intensifier ses travaux sur le respect, par la Hongrie,
des normes du Conseil de l’Europe et des obligations lui incombant
en tant que membre. Le cadre constitutionnel et législatif a été
évalué à maintes reprises, ce qui a notamment conduit à l’adoption
de 27 avis par la Commission européenne pour la démocratie par le
droit (Commission de Venise) depuis 2011.
3. En 2011, une proposition de résolution a été déposée sur la
question des «Graves revers dans le domaine de la prééminence du
droit et des droits de l’homme en Hongrie»
, afin de demander l’ouverture d’une procédure
de suivi complète. En 2013, l’Assemblée déplorait «de profondes
et vives inquiétudes quant à la mesure dans laquelle le pays satisfait
encore à ses obligations» et décidait de suivre de près l’évolution
de la situation
. Dans la Résolution 2162 (2017) «Évolutions
inquiétantes en Hongrie: projet de loi sur les ONG restreignant
la société civile et possible fermeture de l’Université d’Europe
centrale»
, l’Assemblée est convenue que la
situation méritait «sa pleine et entière attention ainsi que la
mobilisation de la compétence du Conseil de l’Europe afin d’aider
les autorités hongroises à se conformer aux normes pertinentes du
Conseil de l’Europe et des instances internationales dans le domaine
de la liberté d’association et de la liberté d’expression». En 2018,
dans son rapport sur l’évolution de la procédure de suivi de l’Assemblée
, la commission
a déclaré qu’il était inquiétant d’observer comment le Gouvernement
hongrois s’emploie à bâtir une «démocratie illibérale». Le rapporteur
a mentionné «l’accumulation de réformes visant à établir un contrôle politique
sur la plupart des institutions essentielles tout en affaiblissant
le système d’équilibre des pouvoirs».




4. En 2019, l’Assemblée a décidé de préparer un rapport d’examen
périodique sur le respect des obligations découlant de l’adhésion
au Conseil de l’Europe de la Hongrie. À la suite de ce rapport,
l’Assemblée a décidé, dans la Résolution 2460 (2022), d’ouvrir une
procédure de suivi complète à l’égard de la Hongrie «[c]ompte tenu
des questions de longue date relatives à l’État de droit et à la
démocratie largement laissées sans réponse par les autorités».
5. Nous avons été désignés corapporteurs en janvier et mars 2023.
Dans le cadre de la procédure de suivi, la Commission pour le respect
des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (commission
de suivi) a sollicité l’avis de la Commission de Venise sur le projet
de loi relatif à la «défense de la souveraineté nationale», sur
une loi générale relative aux questions de justice, sur le quatorzième amendement
à la Loi fondamentale de la Hongrie et sur la réforme électorale
de 2024. Nous nous sommes rendus à Budapest et Debrecen en novembre
2024 en visite d’information. Nous avons rendu compte de nos constatations
à la commission de suivi en janvier 2025. En mai 2025, celle-ci
a tenu un échange de vues avec le Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe et la présidente de la commission de Venise
sur «Les défis auxquels sont confrontés la société civile et les
médias indépendants en Hongrie». Le 19 mai 2025, nous avons publié
une déclaration appelant le Parlement hongrois à ne pas adopter
le projet de loi sur «la transparence de la vie publique»
; en juin 2025, la
commission de suivi a sollicité l’avis de la commission de Venise
sur ce projet de loi. Un avant-projet du présent rapport a été approuvé
par la commission de suivi en juin 2025 et envoyé aux autorité hongroises
pour commentaires. Nous avons reçu ces commentaires le 6 août 2025
et avec les informations fournies, nous avons préparé le présent
exposé des motifs.

6. Ce rapport ne se veut pas une étude exhaustive mais une analyse
de la situation du pays au regard des normes du Conseil de l’Europe.
Nous avons décidé de centrer ce rapport sur les questions mises
en évidence dans le rapport de 2022, qui s’est conclu par l’ouverture
d’une procédure de suivi pour la Hongrie. Dans sa Résolution 2460
(2022), l’Assemblée a estimé que «l’exercice incontesté du pouvoir
par la même coalition depuis 2010» avait «considérablement réduit
le caractère effectif du système de freins et contrepoids». La résolution
précise en outre que «les effets cumulés des mesures préjudiciables
à l’indépendance du pouvoir judiciaire, à la situation des médias,
à la transparence et à l’obligation de rendre des comptes des institutions de
l’État compromettent globalement le fonctionnement des institutions
démocratiques». Pour pouvoir comprendre les effets cumulés de mesures
nombreuses et variées sur une longue période, nous avons jugé nécessaire
d’examiner l’évolution des différentes réformes adoptées au cours
des deux dernières décennies.
2. Fonctionnement des institutions démocratiques
7. La Hongrie est une république
parlementaire dotée d’un parlement monocaméral: l’Assemblée nationale élit
le Premier ministre et – à la majorité des deux tiers – les principaux
responsables publics du pays (à savoir le Président de la République,
les membres et le Président de la Cour constitutionnelle, le Président
de la Cour suprême (Curia), le Procureur général, le Président de
l’Office national de la justice (ONJ), le Commissaire et les Commissaires
adjoints aux droits fondamentaux et le Président de la Cour des
comptes).
8. Les majorités qualifiées constitutionnelles, telles que la
majorité des deux tiers, utilisée en Hongrie, peuvent jouer un rôle
crucial pour le maintien du système de freins et contrepoids dans
la gouvernance démocratique. Elles ont vocation à empêcher une seule
force politique de modifier unilatéralement des lois fondamentales
ou de procéder à des nominations potentiellement politisées aux
institutions clés de l’État. Cette exigence est censée encourager
le consensus, protéger le pluralisme et veiller à ce que les changements
apportés au cadre constitutionnel ou institutionnel reflètent un
accord plus large au niveau de la société plutôt que la volonté
d’une majorité temporaire. Selon la Commission de Venise: «Une règle
de majorité qualifiée ne sera d’aucun secours dans un système où
le parti gouvernemental ou un bloc possède déjà le nombre nécessaire
de voix pour nommer à lui seul les candidats. En pareil cas, l’exigence
de majorité qualifiée peut finir par desservir l’opposition à long
terme, (...) donc la règle de majorité qualifiée risque de pérenniser
le choix d’une majorité au pouvoir à un moment donné.»
On peut donc conclure que, dans un système
où aucun parti politique ne peut disposer d’une majorité qualifiée
à lui seul, un mécanisme de majorité qualifiée constitutionnelle
peut constituer un frein constitutionnel utile, tandis que dans
un système permettant à un parti d’obtenir la majorité qualifiée,
une telle mesure porterait atteinte au fonctionnement démocratique. L’évolution
des institutions hongroises en fournit l’exemple parfait.

9. La pratique de la coalition Fidesz-KDNP est contraire au principe
de fonctionnement de la majorité qualifiée comme un contrepoids
dans une démocratie. Cette coalition a modifié la loi électorale
afin de faciliter l’obtention d’une majorité des deux tiers et a
utilisé cette majorité des deux tiers pour amender unilatéralement la
Loi fondamentale, procéder à des nominations au sein d’institutions
clés et adopter des lois cardinales afin de verrouiller des choix
politiques. En conséquence, le système de freins et contrepoids
institutionnels en Hongrie a été profondément modifié au bénéfice
du pouvoir exécutif, au point de soulever de graves questions quant
à l’absence de freins et contrepoids adéquats dans la structure
constitutionnelle de ce pays.
2.1. Les réformes électorales et leur impact sur la pérennisation des majorités des deux tiers
10. Le parlement est composé de
199 membres élus pour un mandat de quatre ans, dont 106 élus au
scrutin majoritaire dans des circonscriptions uninominales. Les
93 autres membres sont élus selon un système national de représentation
proportionnelle (avec un seuil de 5 % pour les partis politiques,
10 % pour les listes avec deux partis et 15 % pour les listes avec
plus de deux partis). Ce système amplifie les majorités et accorde au
parti vainqueur un avantage significatif.
11. La coalition Fidesz-KDNP a remporté les élections législatives
de 2010, 2014, 2018 et 2022 et a systématiquement obtenu une majorité
des deux tiers au parlement depuis les élections de 2010 (sauf entre 2015
et 2018, à la suite d’une élection partielle). Plusieurs aspects
importants de la législation électorale ont été modifiés depuis
que le Fidesz a pris le pouvoir.
2.1.1. Carte électorale et listes électorales
12. En 2010, la coalition Fidesz-KDNP
a obtenu 53 % des voix, ce qui s’est traduit par 68 % des sièges
au parlement. Pour la deuxième fois depuis 1989, une coalition détenait
seule une majorité des deux tiers. La coalition Fidesz-KDNP a décidé
d’utiliser cette majorité pour élaborer une nouvelle constitution,
la «Loi fondamentale». Le nombre de membres du parlement monocaméral
a été réduit de moitié (passant de 386 à 199)
.

13. Cette réduction drastique induisait un redécoupage des circonscriptions
électorales. L’Assemblée parlementaire a demandé aux autorités hongroises
de veiller à ce que les circonscriptions électorales soient définies
par une autorité indépendante sur la base de critères juridiques
clairs, et à ce que les limites des circonscriptions ne soient pas
définies par la loi, en particulier par une loi cardinale. Cependant,
c’est précisément par une loi cardinale que la coalition au pouvoir
a décidé de définir les nouvelles circonscriptions. Le processus
de délimitation a été critiqué pour son manque de transparence,
d’indépendance et de consultation. Il a été largement qualifié de
«charcutage électoral»
. Selon certaines estimations, à la
suite du redécoupage de la carte électorale, en supposant que le
Fidesz et son rival obtiennent un nombre égal de voix au niveau
général, le Fidesz se verrait accorder 10 sièges de plus que son
rival
.


14. En décembre 2024, la coalition au pouvoir a de nouveau modifié
la législation sur les élections, y compris le découpage de certaines
circonscriptions. Le projet de loi
contenait 80 articles ainsi qu’une
annexe de 26 pages présentant les limites des circonscriptions électorales
dans le détail. Le projet de loi a été présenté par une commission
parlementaire et non par le gouvernement, échappant ainsi à l’exigence
de consultation publique. Aucune information n’a été fournie concernant
la méthodologie appliquée lors du redécoupage des circonscriptions
électorales. Le projet de réforme a été adopté en moins d’un mois,
en dépit des vives protestations des députés de l’opposition. La
commission de suivi a soumis cette loi à la Commission de Venise,
qui a adopté son avis le 14 juin 2025
.


15. Le redécoupage des circonscriptions électorales est intervenu
sans consultation préalable ni transparence quant à la méthodologie
employée, ce qui est contraire aux normes européennes et aux recommandations
formulées clairement et à maintes reprises par la Commission de
Venise et le BIDDH (Bureau des institutions démocratiques et des
droits de l'homme) de l'Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe (OSCE). Ce faisant, les autorités hongroises n’ont pas
répondu de manière adéquate à la Résolution 2460 (2022), aux termes
de laquelle le processus devait «être transparent, associer tous
les partis au sein du parlement et être fondé sur des critères clairs
et largement admis». Ce manque de transparence ajoute encore aux
inquiétudes à l’égard d’un risque de «charcutage électoral» en faveur
de la coalition au pouvoir. Dans son avis de 2025, la Commission
de Venise a confirmé ce qui suit: «La procédure rapide qui a été
suivie n’est pas conforme à la liste de contrôle sur l’État de droit
établie par la Commission de Venise, ni compatible avec le rapport
de la Commission sur le rôle de l’opposition dans un parlement démocratique.
(…) il est regrettable que la consultation publique ait été évitée
sur une question aussi importante et délicate que la loi électorale
et, en particulier, le redécoupage des circonscriptions, qui concerne directement
le public et la participation des citoyens au processus démocratique.»
Le
Gouvernement hongrois est parfaitement conscient que la prééminence
du droit requiert des délais suffisants pour mener des consultations:
lorsqu’un jugement de la Cour européenne des droits de l’homme lui
impose de modifier la législation électorale, il a justifié son
inaction comme suit: «Le jugement soulève le besoin de modifier
la législation. Des amendements ne sont possibles qu’après des consultations
étendues avec la participation des représentants des nationalités
et d’autres parties prenantes. Ce processus requiert des délais
suffisants.» 


16. Les changements apportés par la réforme électorale de 2011
ont également permis aux citoyennes et citoyens hongrois vivant
à l’étranger de voter, mais dans des conditions variables selon
leurs antécédents de résidence sur le territoire hongrois. Ainsi
les personnes installées à l’étranger mais ayant conservé une résidence
légale en Hongrie ont la possibilité de voter dans les bureaux de
vote ouverts dans les missions diplomatiques hongroises. Ces électrices
et électeurs peuvent voter à la fois pour une liste nationale à
la proportionnelle et pour un·e candidat·e dans une circonscription
individuelle. De leur côté, les électrices et électeurs qui n’ont
jamais résidé en Hongrie peuvent voter par correspondance, mais
uniquement pour une liste nationale à la proportionnelle. Cette
disposition de vote par correspondance s’étend principalement à
la diaspora hongroise qui vit dans les pays voisins et dispose de
la double nationalité. De nombreuses préoccupations ont été exprimées
quant à la fiabilité du vote par correspondance et des allégations
de fraude ont été soulevées
. Toutefois, la Commission électorale
nationale s’est déclarée incompétente car la fraude alléguée avait
eu lieu en dehors du champ d’application territorial de la loi,
décision qui a été confirmée par la Curia
. Le registre des votes par correspondance
contient les coordonnées d’un demi-million d’électrices et électeurs.
Aux élections législatives de 2022, le Fidesz a recueilli 93,89 %
des voix de la diaspora alors que la moyenne nationale pour la liste
du parti était de 54 %.


17. Selon le BIDDH, les différentes modalités du vote à l’étranger
en fonction de l’historique de résidence en Hongrie des électeurs
remettent en cause le principe d’égalité du suffrage. Étant donné
le risque élevé de fraude dans le cas d’un vote par correspondance,
l’incapacité de la Commission électorale nationale d’enquêter sur
les fraudes potentielles et l’écart important entre les résultats
du vote par correspondance et la moyenne nationale, nous pensons
qu’une réforme du système s’impose. Conformément aux recommandations
du BIDDH, nous considérons que la mise en place de procédures uniformes
de vote et d’inscription des citoyens de l’étranger devraient être
une priorité. Dans son avis de 2025, la Commission de Venise a aussi
appelé à modifier ce système lors d’une future réforme.
18. En 2021, les exigences relatives à l’inscription sur les listes
électorales et à la résidence ont été redéfinies d’une manière qui
a affaibli les garanties contre la manipulation. Cet amendement
a donné aux électrices et électeurs la possibilité de fixer leur
résidence légale et donc de voter dans n’importe quelle circonscription
du pays, indépendamment de leur lieu de résidence. La nouvelle disposition
pourrait leur permettre de s’inscrire dans les circonscriptions
où une course très serrée est attendue, une situation qualifiée de
«tourisme électoral». Selon le Bureau national des élections, 157 551 personnes
se sont inscrites pour voter dans des lieux autres que leur lieu
de résidence légale en 2022. Cependant, à la suite de la décision
de la Commission électorale nationale d’«adopter une approche novatrice
du formatage des données», il est devenu impossible d’établir des
comparaisons précises entre les registres électoraux consécutivement
à l’adoption de cette loi
.

19. Les électrices et électeurs qui ont déclaré appartenir à une
minorité nationale peuvent choisir de voter pour la liste de la
minorité nationale concernée, auquel cas ils ne participent pas
au vote sur les listes des partis nationaux. Chacun des 13 gouvernements
autonomes des minorités nationales a le droit de présenter une liste unique
de candidats. Pour être élu, le premier candidat sur la liste doit
obtenir un quart du quotient électoral. Si ce quotient préférentiel
n’est pas atteint, la minorité nationale a droit à un représentant
parlementaire sans droit de vote. En 2022, dans l’affaire Bakirdzi et E.C. c. Hongrie, la
Cour européenne des droits de l’homme a jugé que le système hongrois
de représentation des minorités ne respectait pas le droit à des
élections libres, ni le droit de ne pas subir de discrimination.
La Cour a estimé que, bien que les États n’aient pas l’obligation internationale
d’adopter des seuils préférentiels pour les minorités nationales,
si un État opte pour un tel système, une telle mesure devrait contribuer
à permettre aux minorités nationales de participer au choix du corps
législatif, sur un pied d'égalité avec le reste de la société, plutôt
que de perpétuer l'exclusion des représentants minoritaires de la
prise de décision politique au niveau national. Dans ce cas, le
système mis en place limitait la possibilité pour les électeurs
des minorités nationales de renforcer leur efficacité politique
en tant que groupe et menaçait de réduire, au lieu d’accroître,
la diversité et la participation des minorités à la prise de décision
politique. En tout état de cause, selon l’article 15 de la Convention-cadre
pour la protection des minorités nationales (STE n° 157), la Hongrie doit prendre des mesures
pour créer les conditions nécessaires à la participation effective
des personnes appartenant à des minorités nationales à la vie culturelle,
sociale et économique, ainsi qu'aux affaires publiques, en particulier
celles les concernant. Une telle obligation implique que les personnes
appartenant aux minorités nationales doivent bénéficier d’opportunités
égales à celles de la majorité de la population en matière de participation
aux processus politiques, notamment une représentation effective
et réelle au parlement.
2.1.2. Modification des règles du suffrage: transformer les majorités simples en super-majorités
20. Les réformes électorales ont
également modifié le suffrage dans les 106 circonscriptions individuelles en
remplaçant le système à deux tours par un système de scrutin uninominal
majoritaire à un tour. Ce changement est intervenu parallèlement
à l’assouplissement des règles régissant la création de nouveaux partis
politiques et a ainsi entraîné la formation de nombreux «faux partis»
qui ont dilué le vote
. Les effets combinés du système de
scrutin uninominal majoritaire à un tour et du nombre accru de partis
politiques favorisent mathématiquement le plus grand parti. Lors
des élections législatives de 2022, les candidats du Fidesz-KDNP
ont obtenu 52,5 % des voix au niveau des circonscriptions, mais
82 % des sièges correspondants.

21. Les règles concernant les votes sur liste de parti ont également
été modifiées pour favoriser les partis dominants. Avant 2014, les
voix en faveur des candidats perdants de la circonscription étaient
ajoutées aux voix du parti afin d’essayer d’équilibrer le nombre
de voix obtenu par certains partis avec la proportion de leurs sièges
parlementaires. La loi a toutefois été modifiée en décembre 2011
de sorte que le nombre de voix de la candidate ou du candidat vainqueur
au-delà de la majorité stricte soit également ajouté aux voix du
parti. Ce mécanisme donne lieu à une sorte de «compensation du vainqueur».
Il amplifie la disproportion entre le nombre de voix obtenues et
le nombre de sièges remportés. Bien que la visée première du système
électoral mixte hongrois soit d’équilibrer le majoritarisme et la
proportionnalité, ces réformes ont introduit un biais en faveur
des partis dominants.
22. Depuis son introduction, le système a permis au Fidesz-KDNP
d’obtenir six sièges supplémentaires en 2014
,
cinq en 2018 et six à nouveau en 2022. Ce système de «compensation
du vainqueur» a ainsi transformé les majorités simples en majorités
des deux tiers lors de chaque élection depuis sa mise en place.

2.1.3. Financement des partis et des campagnes politiques
23. La Hongrie dispose d’un cadre
juridique régissant le financement des campagnes, qui prévoit notamment
un financement important par l’État et un encadrement des dépenses.
Toutefois, le système est compromis par une application insuffisante,
un manque de transparence et la prédominance d’un soutien indirect
aux campagnes. Ces difficultés contribuent à des disparités significatives
entre les partis et à des risques de corruption persistants.
24. D’après le Groupe d’États contre la corruption (GRECO): «L'absence
générale de transparence du financement des campagnes électorales
est particulièrement préoccupante, au vu des éléments qui portent
à croire que l'immense majorité de ce financement n'est ni comptabilisé,
ni déclaré.»
Le BIDDH et le GRECO
appellent
depuis longtemps à une révision de la législation hongroise sur
les partis politiques. Il conviendrait plus particulièrement d’améliorer
la transparence du financement des campagnes en divulguant les dons supérieurs
à un montant donné. Pour créer des conditions plus équitables, les
dépenses de tiers en faveur des campagnes devraient également être
limitées. Dans sa dernière évaluation sur la transparence du financement
des partis, le GRECO a estimé que les préoccupations demeuraient
en grande partie identiques, notant que la Loi relative à la procédure
électorale avait été modifiée au cours de la procédure d’évaluation
du GRECO sans mettre en œuvre les recommandations de ce dernier
pour une meilleure transparence.


25. Selon un rapport de trois organisations non gouvernementales
hongroises, le Fidesz-KDNP a dépensé près de huit fois plus que
l’opposition en matière d’affichage public au cours de la campagne
électorale de 2022
. La campagne pour les élections européennes
de 2024 a une fois de plus mis en évidence d’importantes disparités
dans les dépenses politiques. Les dépenses publicitaires en soutien
à la campagne du Fidesz sur les réseaux sociaux (Meta et Google)
se sont élevées à 5,4 millions d’euros, contre un quart de cette
somme pour les 15 partis d’opposition et les médias associés (1,4 million
d’euros)
. Le chevauchement entre
les campagnes politiques et les communications du gouvernement et
des partis au pouvoir ainsi que le recours massif au financement
par des tiers exacerbent encore ce déséquilibre. Deux acteurs affiliés
au gouvernement ont ainsi joué un rôle majeur dans la campagne.
MegaFon, une organisation œuvrant dans les domaines de la formation,
de la coordination, du financement et de la promotion des «influenceurs»
proches du pouvoir sur les réseaux sociaux, a dépensé près de 2,2 millions
d’euros en publicité politique sur les réseaux sociaux, et le Forum
de coopération civile (CÖF), une ONG à laquelle le Fidesz confie
généralement ses campagnes de dénigrement, a quant à lui dépensé
0,4 million d’euros supplémentaires. Conjointement, les deux mandataires
ont dépensé deux fois plus que tous les partis d’opposition réunis.


26. La Cour des comptes de la Hongrie (ÁSZ) joue un rôle central
dans le contrôle du financement des campagnes politiques. Elle est
chargée de vérifier l’utilisation des fonds consacrés aux campagnes électorales.
Son président est élu par le parlement, à la majorité des deux tiers,
pour un mandat exceptionnellement long, d’une durée de 12 ans. Entre
2010 et juillet 2022, la Cour des comptes était présidée par un
ancien député et vice-président du groupe parlementaire du Fidesz,
qui a démissionné de ses fonctions politiques après avoir été nommé
à la Cour des comptes. L’impartialité de cette institution est mise
en question dans la mesure où elle a imposé de lourdes amendes à
des partis d’opposition à plusieurs occasions (1,7 million d’euros
en 2017 et 1,3 million d’euros en 2024) mais n’a en revanche pas
imposé d’amendes au parti au pouvoir, malgré des preuves de pratiques
similaires en matière de financement de campagne
.

2.2. Utilisation partisane de la réforme constitutionnelle et des lois cardinales
27. La majorité des deux tiers
dont dispose la coalition au pouvoir depuis 2010 (interrompue pendant
deux ans en raison d’une élection partielle) a permis, dans la pratique,
de modifier les institutions sans avoir besoin de véritablement
consulter, ou de rechercher un consensus ou un soutien de la part
d’autres parties prenantes.
2.2.1. Réformes constitutionnelles unilatérales
28. En 2011, l’examen du projet
de Constitution au parlement a duré neuf jours et tous les amendements de
l’opposition ont été rejetés. La Loi fondamentale a été adoptée
par les députés de la coalition Fidesz-KDNP, alors que l’opposition
avait boycotté le vote final
. Depuis,
15 autres amendements constitutionnels ont été adoptés.

29. Dans la Résolution 1941 (2013), l’Assemblée a souligné que
«la principale raison justifiant qu’une majorité qualifiée des deux
tiers soit requise en matière constitutionnelle est de protéger
le cadre constitutionnel de modifications frivoles par un parti
au pouvoir et de garantir que la Constitution est fondée sur le
consensus le plus large possible entre l’ensemble des forces politiques
en ce qui concerne les fondements juridiques et démocratiques de
l’État. Le fait de disposer d’une majorité des deux tiers ne dégage
jamais un parti ou une coalition au pouvoir de l’obligation de rechercher
un consensus et de respecter les vues et intérêts de la minorité,
et d’en tenir compte. La tentative de la coalition gouvernementale
en Hongrie d’utiliser sa majorité exceptionnelle des deux tiers
pour faire passer en force des réformes était contraire à ces principes démocratiques.»
30. Néanmoins, à notre grand regret, la majorité au pouvoir a
continué d’adopter des amendements constitutionnels débattus à la
hâte, sans le soutien de l’opposition. En 2021, la commission de
Venise déplorait une nouvelle fois la rapidité de la procédure d’adoption
du neuvième amendement à la Loi fondamentale, déclarant que la procédure
rapide qui avait été suivie, sans aucune consultation, ne respectait
pas le rôle de l’opposition au sein d’un parlement démocratique,
et notant qu’aucune raison n’avait été avancée pour expliquer pourquoi
cet amendement aurait dû être adopté selon une procédure aussi rapide
. Les dixième, onzième,
douzième et treizième amendements ont été adoptés de la même manière.

31. Le quatorzième amendement à la Loi fondamentale a été introduit
le 19 novembre 2024. Les discussions détaillées au sein de la commission
ont duré une journée et la commission de la justice a produit un
rapport d’une page sur le débat approfondi. Le projet de loi a été
adopté un mois après sa présentation; seuls les membres de la coalition
Fidesz-KDNP ont voté en sa faveur. Quatre mois plus tard, le 12 mars
2025, le quinzième amendement à la Loi fondamentale a été proposé.
Dans une lettre adressée au Président de l’Assemblée nationale hongroise,
le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a exprimé plusieurs
préoccupations quant à la compatibilité de cet amendement avec les
normes internationales relatives aux droits humains du Conseil de
l’Europe. Le parlement a néanmoins adopté ce quinzième amendement
le 15 avril 2025, à peine un mois après son dépôt
. L’amendement a été approuvé par
les membres de la coalition Fidesz-KDNP et par les membres du parti
d’extrême droite «My Hazank». Tous les autres députés de l’opposition
ont voté contre.

2.2.2. Utilisation de la majorité des deux tiers pour verrouiller des préférences politiques et affaiblir le système de freins et contrepoids
32. Faute de la contrainte imposée
par la nécessité de rechercher un consensus ou de tenir compte des opinions
minoritaires, la majorité au pouvoir a été en mesure de rédiger
et d’amender seule la Constitution. En conséquence, les règles constitutionnelles
ont été modifiées, ce qui affaiblit le système de freins et contrepoids au
sein des institutions et impose les choix politiques des partis
au pouvoir aux futurs gouvernements en leur accordant une valeur
supra-légale. La Loi fondamentale contient par exemple des dispositions
qui devraient normalement être traitées dans la législation ordinaire,
telles que le droit de payer en espèces, et comprend des dispositions
détaillées sur le système de retraite, le soutien familial et la
fiscalité, entérinant ainsi des choix politiques ordinaires sous
le statut de loi constitutionnelle ou cardinale, non modifiable
sans une majorité des deux tiers.
33. Les «lois cardinales» sont adoptées à la majorité des deux
tiers. Elles visent à empêcher de pouvoir trop aisément modifier
des aspects liés à la Constitution. Ces lois sont importantes dans
la Constitution hongroise; elles ont vocation à assurer la stabilité,
à protéger les intérêts des minorités et à consolider les éléments
les plus importants de l’État. L’Assemblée a exprimé des préoccupations
quant au recours à ces lois pour des questions qui devraient être
traitées dans la législation ordinaire ou dans le cadre du fonctionnement
politique majoritaire. La multiplication des choix politiques placés
hors d’atteinte de la majorité simple réduit la signification des
élections futures et accroît la probabilité qu’une majorité des
deux tiers verrouille ses préférences politiques et l’ordre juridique
national. Les élections n’auraient plus aucun sens si le législateur était
privé de la possibilité de modifier la législation sur des points
importants. Ainsi, lorsque des règles de détail très spécifiques
sont fixées dans une loi cardinale, «l’essence même de la démocratie
est en jeu»
.
Le recours massif aux lois cardinales par la majorité au pouvoir
est une autre façon d’user de sa majorité des deux tiers pour imposer
ses préférences politiques et limiter les possibilités des futures
majorités de mettre en œuvre leur propre programme politique.

34. Le fait de disposer d’une majorité des deux tiers peut également
permettre de contrôler les nominations au sein de nombreux organes
indépendants qui jouent un rôle essentiel dans le système de freins
et contrepoids, tels que la Cour constitutionnelle. Avant 2010,
la nomination des juges de la Cour constitutionnelle exigeait un
large consensus parlementaire, ce qui empêchait la domination d’un
groupe politique. En 2011, la majorité Fidesz-KDNP a modifié ces
règles, permettant la nomination des juges sans le soutien de l’opposition, portant
leur nombre de 11 à 15 et étendant la durée de leur mandat à 12 ans.
En conséquence, sur les 19 juges nommés depuis 2010, seulement quatre
ont eu besoin du soutien de l’opposition durant une brève période
au cours de laquelle le gouvernement n’avait pas de super-majorité.
Le parti au pouvoir a ainsi pu façonner la composition de la Cour
constitutionnelle, suscitant des inquiétudes quant à l’impartialité
de cette instance et à son alignement sur les intérêts du gouvernement.
En juillet 2023, quatre juges ont été élus à la Cour constitutionnelle,
exclusivement par la coalition Fidesz-KDNP. L’opposition avait proposé
une seule candidature, mais celle-ci n’a même pas été mise aux voix
. En décembre 2024, les règles d’éligibilité
des juges de la Cour constitutionnelle ont été modifiées une fois
de plus, en supprimant l’obligation d’occuper depuis 20 ans un emploi
dans le domaine juridique exigeant spécifiquement un diplôme en
droit. Cette modification est intervenue peu de temps avant la nomination
de trois nouveaux juges à la Cour par les partis au pouvoir.

35. L’élection du Président de la Curia illustre la politisation
du processus de nomination par la majorité au pouvoir. L’actuel
Président de la Curia, M. Zsolt András Varga, a été élu en 2020.
Il était auparavant membre de la Cour constitutionnelle. Le Conseil
national de la justice, organe constitutionnel dont la mission est
de garantir l’indépendance des juridictions et des magistrats, s’était
prononcé contre sa candidature par 13 voix contre 1, affirmant que
sa nomination «ne répond pas à l’exigence constitutionnelle selon
laquelle la personne siégeant au sommet du système judiciaire doit
être indépendante des autres composantes du pouvoir et donner une
impression d’impartialité à un observateur extérieur»
. La Commission de Venise a également estimé
que la nomination du Président de la Curia pouvait présenter de
sérieux risques de politisation et des conséquences importantes
pour l’indépendance du pouvoir judiciaire
.


36. Une même tendance a été observée dans le cadre de l’élection
du Procureur général, du Commissaire aux droits fondamentaux, du
Président de la Cour des comptes et du Président et des quatre membres
du Conseil des médias. Chacune de ces autorités a été choisie par
la seule majorité au pouvoir, ce qui affaiblit le système de freins
et contrepoids prévu par la Constitution.
37. Cette pratique en matière de nominations entraîne également
une politisation des organes de supervision, qui devraient être
indépendants, ce qui compromet sérieusement le mécanisme de freins
et contrepoids nécessaire pour obliger le gouvernement à répondre
de ses actes. Elle fait en outre peser la menace de blocages institutionnels
sur les futurs gouvernements, dont l’action risque d’être entravée
par des «autorités indépendantes» politisées.
2.3. Le processus législatif et la séparation des pouvoirs
38. L’affaiblissement du système
de freins et contrepoids et l’absence d’obligation de rendre des
comptes pour le gouvernement sont d’autant plus préoccupants que
le parlement n’exerce pas son pouvoir de contrôle de manière satisfaisante,
en raison d’abus de la procédure législative.
39. Dominé par des super-majorités, le parlement a perdu son rôle
de porte-parole ou de défenseur du peuple, en particulier des groupes
marginalisés ou sous-représentés, et de contrôle du pouvoir exécutif.
«Des projets complexes et controversés devraient normalement être
annoncés longtemps à l’avance, et leur examen être précédé d’avant-projets
donnant lieu à une forme de consultation (par internet). Le public
devrait être en mesure de fournir un authentique apport [...]. Le
temps additionnel prévu pour les consultations publiques augmente
les possibilités offertes à l’opposition d’influer sur le contenu
de la législation proposée par le gouvernement ou la majorité. Cette
dernière ne devrait pas manipuler la procédure pour éviter les consultations
publiques de ce type.»
Le
processus législatif hongrois est loin de répondre à ces exigences en
matière de transparence, de participation du public et de qualité
des procédures d’élaboration des lois.

40. Officiellement, la grande majorité des projets de lois sont
adoptés à l’initiative du gouvernement, après une consultation publique.
Toutefois, pour certaines réformes parmi les plus importantes, telles
que les modifications de la Loi fondamentale, le gouvernement évite
souvent une consultation publique véritable en passant par des commissions
parlementaires ou par des députés de la majorité pour soumettre
des propositions législatives majeures. Par exemple, cela a été
le cas pour la loi sur la protection de la souveraineté et pour
le quatorzième amendement à la Loi fondamentale. Il arrive souvent
aussi que le gouvernement commence par proposer uniquement des amendements
techniques, puis introduise des amendements nouveaux et substantiels
très tardivement, juste avant les votes en plénière, par l’intermédiaire
de la commission des lois. C’est un moyen d’éviter un débat parlementaire
et une consultation publique en bonne et due forme. Les périodes
de consultation ne dépassent presque jamais le minimum légal de
huit jours et la justification qui accompagne la publication des
projets de loi est généralement minimale ou opaque, empêchant un
débat public éclairé. Il ressort des données empiriques que la grande
majorité des opinions publiques sont rejetées sans justification
valable et que les rapports officiels sur les objectifs législatifs manquent
de transparence en ce qui concerne les exemptions et la méthodologie
appliquée, ce qui entrave l’évaluation externe. En outre, la qualité
et la transparence des analyses d’impact demeurent insuffisantes,
et les réformes essentielles et les mesures de renforcement des
capacités en faveur d’un soutien parlementaire n’ont toujours pas
été mises en œuvre
.
Le recours croissant à des audiences soi-disant publiques tenues par
voie électronique restreint encore davantage la participation réelle,
en particulier dans le cas de projets controversés. Collectivement,
ces pratiques soulignent des lacunes persistantes en ce qui concerne
le caractère inclusif, la responsabilité (obligation de rendre des
comptes) et la qualité du processus législatif hongrois. Tous les
rapports des institutions internationales, telles que la Commission
européenne, la Commission de Venise, l’OSCE/BIDDH, le Parlement
européen ou notre Assemblée, ont souligné l’absence de débat et
de consultation dignes de ce nom au parlement sur les lois les plus
importantes et les plus controversées.

41. Cette absence de débat démocratique a été poussée à l’extrême
avec le recours continu et sans restriction à des «ordres juridiques
spéciaux». Le gouvernement s’est d’abord octroyé des pouvoirs d’exception
pendant la pandémie de Covid-19, décrétant l’état de danger le 11 mars
2020. À l’époque, nombre de décrets visaient à atténuer la menace
immédiate de la Covid. Le 25 mai 2022, immédiatement après la fin de
l’état de danger lié à la Covid-19, le gouvernement a déclaré un
nouvel état de danger, invoquant cette fois la guerre en Ukraine
et les risques humanitaires connexes comme justification. Le cadre
juridique régissant les ordres juridiques spéciaux a été modifié
le 1er novembre 2022, élargissant le
pouvoir du gouvernement de déclarer un état de danger pour des raisons
diverses, y compris les situations de catastrophe humanitaire dans des
pays voisins. Le quinzième amendement et le projet de loi T/11153
ont une nouvelle fois modifié ce cadre juridique, avec effet au
1er janvier 2026. En conséquence, toute
dérogation à une loi par décret gouvernemental nécessitera l’autorisation
préalable du parlement. Aucun changement n’a été apporté aux règles
constitutionnelles selon lesquelles la durée initiale de l’«état
de danger» est de 30 jours et toute prolongation par le gouvernement
nécessite l’autorisation du parlement.
42. Cette pratique est en totale contradiction avec les principes
régissant les situations d’état d’urgence. Le gouvernement a eu
largement recours à ces décrets – plus de mille ont été adoptés
depuis 2020 – pour modifier la législation du jour au lendemain,
sans aucune possibilité de discussion. Le peu de contrôle dont disposait
encore le parlement a disparu. Le gouvernement a utilisé le pouvoir
de gouverner par décret pour légiférer dans des domaines qui semblent
sans aucun rapport avec la guerre en Ukraine, par exemple pour répondre
à une crise économique et fiscale croissante. Face à la «crise humanitaire»,
le gouvernement a publié des décrets d’urgence qui incluent des
mesures économiques telles que le contrôle des prix, le contrôle de
l’État sur certaines entreprises, la révision de la réglementation
en matière d’approvisionnement en électricité, en gaz naturel et
en pétrole, et des mesures spéciales applicables à des matières
premières importantes comme le bois
. Au début
de 2022, face aux grèves organisées par les syndicats de l’éducation hongrois
afin de protester contre les bas salaires, l’augmentation de la
charge de travail et le manque d’autonomie, le gouvernement a publié
un décret d’urgence empêchant, dans les faits, d’organiser une véritable
grève.

43. L’établissement de KEKVA, ou «fondations de gestion d’actifs
d’intérêt public», a encore affaibli la surveillance et le contrôle
du parlement. Depuis 2021, ces fondations sont utilisées pour le
transfert de quantités massives de biens publics – y compris des
universités, des biens immobiliers, des sociétés d’État et d’autres
avoirs de valeur – jusqu’ici sous propriété directe de l’État, pour
les placer entre les mains de conseils d’administration dominés
par des personnalités politiques. Le gouvernement a transféré plusieurs
milliers de milliards de forints d’actifs aux fondations KEKVA.
Plus de 70 % des établissements d’enseignement supérieur hongrois,
ainsi que des musées, des fermes d’État et des biens sociaux, sont
désormais détenus par ces fondations. La loi portant création des
fondations KEKVA dispose explicitement que ces organismes doivent être
indépendants de «tout gouvernement au pouvoir à ce moment-là». Dans
la pratique, cela signifie que les élus – au sein du gouvernement
ou dans l’opposition – n’exercent aucun contrôle formel sur les
activités ou les actifs des fondations. Celles-ci bénéficient de
l’autonomie d’entités privées, même si elles gèrent des biens publics
et reçoivent des fonds publics. Leurs décisions, leurs dépenses
ou la gestion de leurs actifs ne sont pas soumises à des mécanismes
solides d’examen parlementaire ou public. Ces institutions contribueront, elles
aussi, à limiter sérieusement la capacité des futurs gouvernements
à mettre en œuvre leurs propres politiques.
3. Respect de l’État de droit
3.1. Indépendance de la justice
44. Selon la Commission européenne
pour l’efficacité de la justice (CEPEJ), le système judiciaire hongrois est
efficace
.
Il bénéficie d’un niveau de numérisation très élevé. La Hongrie
affiche de très bons résultats en termes de délais pour trancher
les affaires civiles et commerciales contentieuses ainsi que les
affaires administratives dans toutes les instances judiciaires.

45. Cependant, le niveau d’indépendance de la justice en Hongrie,
tel qu’il est perçu par le grand public et les entreprises, est
faible. Selon les chiffres officiels de l’Union européenne, 37 %
de la population générale et 38 % des entreprises considèrent que
le niveau d’indépendance des tribunaux et des juges est «assez bon
ou très bon» en 2025. Le niveau d’indépendance perçu par le grand
public a diminué par rapport à 2024 (41 %) et par rapport à 2021
(41 %)
.
Le système judiciaire est soumis à une pression politique constante.
Il a fait l’objet d’une restructuration importante après 2010: le
Conseil national de la justice (CNJ), organe indépendant, a cédé
sa place à un système mixte composé du Président ou de la Présidente
de l’Office national de la justice (ONJ) et d’un nouveau Conseil
national de la justice (CNJ).

46. L’ONJ est composé d’un Président, élu à la majorité des deux
tiers des membres du parlement et de vice-présidents, nommés sur
proposition du Président. Seule une personne exerçant en qualité
de juge peut être élue à la présidence de l’ONJ. Cette dernière
concentre dans ses mains la quasi-totalité des pouvoirs de l’ONJ.
47. Le CNJ est composé de 15 membres, qui sont toutes et tous
des magistrats. Le Président ou la Présidente de la Curia – élu
par le Parlement à la majorité des deux tiers – en est membre de
droit. Les 14 autres membres sont élus par l’Assemblée des juges
au scrutin secret.
48. En conséquence de cette réforme, les pouvoirs administratifs
ont été concentrés entre les mains du Président de l’ONJ et le CNJ
a été relégué à une place subalterne, assumant essentiellement un
rôle de supervision et doté d’une autorité qui apparaît, dans les
faits, très faible. Le large pouvoir discrétionnaire du Président
de l’ONJ en ce qui concerne les nominations judiciaires et le pouvoir
de réaffecter les juges sans leur consentement – prétendument dans
le but d’équilibrer les charges de travail – a été critiqué en raison
du manque de garanties adéquates contre les abus et de l’atteinte
au principe de l’inamovibilité des magistrats
. Cela
a amené la Commission de Venise, le GRECO, le Commissaire aux droits
de l’homme et la Commission européenne à exprimer des préoccupations
concernant le manque d’indépendance de la justice et l’absence de
freins et contrepoids efficaces.

49. En décembre 2022, après la décision de l’Assemblée d’ouvrir
une procédure de suivi, l’accès de la Hongrie aux fonds accordés
par l’UE au titre de la facilité pour la reprise et la résilience
(FRR) a été subordonné au respect de 27 «super jalons» définis par
le Conseil de l’Union européenne en réponse à des préoccupations de
longue date concernant l’État de droit, en particulier l’indépendance
et le fonctionnement efficace du système judiciaire hongrois. En
conséquence, le Parlement hongrois a adopté la Loi X de 2023, un
train de réformes législatives spécifiquement conçu dans le but
de satisfaire les conditions fixées par l’Union européenne et ainsi
débloquer les fonds européens gelés. Ces mesures comprenaient notamment l’accroissement
des pouvoirs du Conseil national de la justice – organe indépendant –,
la limitation de l’influence indue et de la prise de décisions discrétionnaires
par le Président de l’ONJ et une administration plus objective et
transparente des tribunaux; la réforme du fonctionnement de la Curia
afin de limiter le risque d’influence politique; et la suppression
du rôle de la Cour constitutionnelle dans l’examen des décisions
finales rendues par les juges à la demande des autorités publiques.
En décembre 2023, la Commission européenne a approuvé les réformes
engagées par la Hongrie et autorisé le pays à commencer à solliciter
des fonds de l’UE
. Ces réformes ont répondu à des préoccupations
que l’Assemblée avait exprimées dans sa Résolution 2460 (2022) et
représentent une étape majeure vers l’indépendance de la justice
en Hongrie. Nous saluons ces progrès.

50. Toutefois, les derniers développements soulignent la persistance
d’obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Les niveaux
de rémunération des magistrats font partie de ces obstacles. En
Hongrie, les salaires des juges figurent parmi les plus bas de l’Union
européenne. Selon les données 2023 de la CEPEJ, le salaire brut
absolu d’un·e juge en début de carrière en Hongrie est de 25 759 €,
ce qui est nettement inférieur à la médiane de l’UE, qui s’établit
à 58 128 €. La Hongrie est le pays de l’UE où le salaire brut absolu
minimum est le plus bas. Par rapport au salaire annuel moyen dans
le pays, le salaire d’un·e juge en début de carrière est 1,3 fois
plus élevé (la médiane de l’UE est de 1,9)
.

51. En Hongrie, les salaires des magistrats ne sont pas automatiquement
indexés; les modifications salariales dépendent de l’adoption du
budget annuel. Depuis le 1er janvier
2022, le salaire de base est resté inchangé alors que l’inflation
a été de 40 % au cours de la même période. Le budget central annuel
pour 2025 et 2026 a fait augmenter le salaire de base des juges
de 15 % et 10 % respectivement. Cependant, le processus décisionnel
suscite des inquiétudes. En vertu de la législation hongroise, le
ministre des Finances est tenu d’inclure sans modification dans
le projet de budget le montant du salaire de base proposé par le Président
de l’ONJ; le parlement est alors libre d’adopter ou de modifier
le projet. Toutefois, le 11 novembre 2024, le ministère des Finances
a présenté un projet de budget qui ne comprenait pas l’augmentation proposée
de la rémunération de base (le président de l’ONJ avait proposé
une hausse de 35 %). Le gouvernement a ensuite déclaré que toute
revalorisation salariale ferait l’objet de négociations sur des réformes
judiciaires structurelles
.
Un projet d’«Accord» a ensuite été proposé à l’ONJ pour adoption,
mais il est resté confidentiel jusqu’à ce que l’ONJ prenne sa décision.
L’Association hongroise des magistrats (MABIE) a publié une déclaration
pour protester contre la décision et mettre en garde contre une
grave violation de l’indépendance judiciaire. Malgré la forte opposition
des associations judiciaires, ledit «Accord» a été signé le 22 novembre
2024 par le Président de la Curia, le Président de l’ONJ, le Président
du CNJ et le ministre de la Justice. Devant l’opposition des professions
juridiques, le Président du CNJ a démissionné le 3 décembre 2024
et le CNJ s’est retiré de l’accord le 15 janvier 2025.

52. Dans l’intervalle, le Président de la commission parlementaire
de la justice a soumis le quatorzième amendement à la Loi fondamentale,
contenant certaines dispositions reprises de l’«Accord» contesté,
et une proposition de modification de la loi sur la Cour constitutionnelle.
Un quinzième amendement à la Loi fondamentale a été adopté sur la
proposition de membres du Fidesz, et une loi générale portant modification de
lois judiciaires a été déposée par le gouvernement. À la demande
de la commission de suivi, la Commission de Venise a adopté un avis
sur ces textes dans la mesure où ils ont des répercussions sur la
nomination des magistrats
.

53. Dans son avis, la Commission de Venise note que le pouvoir
judiciaire n’a pas été réellement consulté sur les changements constitutionnels
qui ont eu un impact direct sur la nomination et la retraite des
juges. Elle estime qu’il aurait dû y avoir des consultations effectives
avec le pouvoir judiciaire, qui auraient pu avoir lieu sous la forme
de consultations avec le Conseil national de la justice et la communauté
judiciaire
.

54. Ce manque de consultation de la communauté judiciaire est
d’autant plus inquiétant que des pressions continuent à être exercées
sur les juges, y compris lors de débats internes sur des questions
essentielles concernant l’indépendance judiciaire. Le président
de la Curia a critiqué les président·es de juridiction qui avaient
signé une lettre de protestation contre l’«Accord» quadrilatéral
avec le gouvernement et a déclaré que ces personnes trompent leurs
collègues de manière irresponsable et arbitraire et inventent délibérément
des mensonges
. Le 20 mars 2024, un média proche
du gouvernement a publié un article qui «accusait» à tort l’ancien
président du Conseil national de la justice (CNJ) d’avoir mis fin
à la détention provisoire d’une personne accusée de possession de
pornographie enfantine
. En janvier 2025,
après la publication, par le même ancien président du CNJ, d’un
article dans lequel il affirmait que la Hongrie était au bord d'une
prise de pouvoir totale, une nouvelle campagne de dénigrement a
été lancée contre lui
. La persistance de ce climat d’hostilité
est très préoccupante. La Hongrie a en effet été condamnée pour
violation de la Convention européenne des droits de l’homme (STE
n° 5) dans l’affaire Baka c. Hongrie,
dans laquelle la Cour a mis en évidence un «effet dissuasif» qui
décourage les juges et les présidents de juridiction de participer
au débat public sur des questions concernant l’indépendance de la
justice. L’exécution de cet arrêt, qui fait l’objet d’une procédure
de surveillance soutenue, a été réexaminée en mars 2025. Le Comité
des Ministres a invité «les autorités à envisager d’adopter de nouvelles
mesures générales pour remédier à l'“effet dissuasif” présent au sein
du système judiciaire et pour faire en sorte que la liberté d'expression
des juges, notamment en ce qui concerne les questions d'intérêt
public relatives au système judiciaire, soit garantie sans ambiguïté,
non seulement en théorie mais aussi en pratique»
.




3.2. Prévention et répression de la corruption
55. L’affaiblissement du système
de freins et contrepoids, les atteintes à l’indépendance du pouvoir judiciaire
et les tentatives de politisation du pouvoir judiciaire ont des
conséquences négatives sur la lutte contre la corruption.
56. Le niveau perçu de corruption en Hongrie est l’un des plus
élevés d’Europe, et aucun progrès n’a été signalé à cet égard ces
dernières années. Selon l’enquête Eurobaromètre de 2025 sur les
attitudes des citoyennes et citoyens à l’égard de la corruption,
88 % des Hongrois considèrent que la corruption est un phénomène
«répandu» dans leur pays
. Selon la même enquête, 78 % des
personnes interrogées estiment que les affaires de corruption de
haut niveau ne faisaient pas l’objet de poursuites suffisantes et
75 % considèrent qu’il n’est pas possible de réussir en affaires
dans ce pays sans entretenir des liens avec la sphère politique.
Dans l’édition 2024 de l’Indice de perception de la corruption de
Transparency International, la Hongrie a perdu six places et recule
au 82e rang.

57. Sur cette question, les autorités hongroises sont en désaccord
avec plusieurs organisations internationales ainsi qu’avec des organisations
de la société civile. La mise en œuvre des recommandations du GRECO,
du mécanisme de conditionnalité de l’Union européenne et de l’OCDE
n’est pas satisfaisante. Les autorités indépendantes chargées de
la lutte contre la corruption en Hongrie se heurtent à de sérieux
obstacles dans l’exercice de leur mandat.
58. La Hongrie est membre du GRECO depuis 1999 et a participé
à ses cinq cycles d’évaluation. Les quatrième et cinquième cycles,
qui portent respectivement sur la prévention de la corruption des parlementaires,
juges et procureurs et sur la promotion de l’intégrité au sein des
gouvernements centraux, sont toujours en cours. Le GRECO a constaté
que la plupart des mesures destinées à promouvoir l’intégrité et
à prévenir la corruption ciblent les agents publics des échelons
inférieurs et intermédiaires. Le cadre déontologique applicable
aux plus hautes fonctions de l’exécutif est faible: il n’existe
aucun code de déontologie et aucune règle éthique applicables, les
règles en matière de lobbying ne s’appliquent pas aux hautes fonctions
de l’exécutif, et il n’y a pas de règle contre l’utilisation abusive
des ressources publiques ni de restrictions qui s’appliqueraient
aux activités pouvant être exercées après la cessation de ces hautes
fonctions. En outre, le système de déclaration de patrimoine repose
sur des déclarations remplies à la main et la vérification de ces
déclarations laisse à désirer. Les autorités hongroises n’ont pas
encore autorisé la publication des rapports sur la conformité avec
les recommandations concernant la prévention de la corruption au
sein des hautes fonctions de l’exécutif et la prévention de la corruption
des parlementaires, des juges et des procureurs. Le GRECO a demandé
des mesures de mise en œuvre supplémentaires pour 2025.
59. Dans le cadre du mécanisme de conditionnalité lancé en avril 2022
pour assurer la protection du budget de l’UE, la Hongrie s’est engagée
à mettre en œuvre 17 mesures de lutte contre la corruption afin
de remédier aux violations des principes de l’État de droit. Toutefois,
en décembre 2022, le Conseil de l’Union européenne a conclu que
les mesures correctives adoptées présentaient de graves défaillances
et ne permettaient pas de remédier de manière adéquate aux violations
constatées de l’État de droit et aux risques qu’elles faisaient peser
sur le budget de l’Union. En conséquence, le Conseil a décidé de
suspendre 55 % des engagements budgétaires, pour un montant de quelque
6,3 milliards d’euros. Le Conseil a également interdit la prise d’engagements
financiers auprès des fondations de gestion d’actifs d’intérêt public
(KEKVA) pour des fonds de l’UE
. Pour lever cette suspension et pouvoir
à nouveau prétendre aux fonds, la Hongrie aurait dû mettre en œuvre
certaines réformes d’ici la fin de l’année 2024, notamment en matière
de lutte contre la corruption et d’indépendance du pouvoir judiciaire.
Ce délai n’ayant pas été respecté, la tranche des fonds suspendus
à hauteur de 1,04 milliard d’euros a été définitivement perdue à
la fin de 2024. Jamais encore un État membre de l’UE ne s’était
ainsi vu irrévocablement dessaisi de fonds accordés par l’Union
dans le cadre du mécanisme de conditionnalité. En début d’année
2025, les 19 milliards d’euros restants étaient toujours gelés,
dans l’attente de nouvelles réformes. Si la Hongrie ne remplit pas
les conditions d’ici la fin de cette année, elle risque de perdre
un milliard d’euros supplémentaire.

60. En décembre 2023, le Groupe de travail de l’OCDE sur la corruption
a décidé de dépêcher une mission à haut niveau à Budapest afin de
débattre du fait que la Hongrie n’avait accompli aucun progrès tangible
pour donner suite aux recommandations qui lui avaient été adressées
de longue date, plusieurs d’entre elles remontant à 2012. Ces recommandations
sont liées à la méconnaissance par les autorités hongroises de leur exposition
au risque de corruption transnationale, à leur absence de stratégie
visant à détecter activement les actes de corruption transnationale
et à mener résolument des enquêtes le cas échéant, à des délais d’instruction
insuffisants pour pouvoir appliquer des mesures d’enquête, et au
manque de clarté des textes de loi concernant la mise en jeu de
la responsabilité des personnes morales ayant commis des actes de
corruption transnationale
. Cette mission a cependant été annulée,
le Gouvernement hongrois ayant été dans l’incapacité de se faire
représenter de manière suffisante, par des ministres et des hauts
fonctionnaires, lors de cette rencontre. Il s’agissait de la toute
première annulation d’une mission à haut niveau.

61. Selon des informations divulguées en décembre 2024
, les services de renseignement hongrois
(le Bureau d’information, IH) se sont livrés à des pratiques illégales
d’écoute et de filature d’agents de l’Office européen de lutte antifraude
(OLAF) en mission en Hongrie; les agents qui travaillaient sur une
affaire impliquant le gendre du Premier ministre Viktor Orbán ont
été l’objet d’une attention particulière. L’OLAF a finalement conclu
que de nombreuses irrégularités avaient été commises dans le cadre
de marchés publics accordés par l’UE.

62. Tous ces exemples témoignent de sérieuses préoccupations quant
au niveau de corruption en Hongrie. À cela s’ajoutent les obstacles
à la mise en place des réformes nécessaires, ce qui soulève des
questions quant à la volonté politique de mettre en œuvre de bonne
foi les améliorations requises. Les irrégularités systémiques et
les déficiences dans les procédures de passation des marchés publics,
le faible niveau de concurrence en matière de marchés publics et
l’absence de prévention des conflits d’intérêts suscitent des préoccupations
évidentes. Les organes responsables de la lutte contre la corruption
sont trop nombreux et fragmentés (tels que le Groupe de travail
anti-corruption, la Cour des comptes, l’Autorité des marchés publics, l’Autorité
de la concurrence, l’Autorité de l’intégrité, le ministère public
et l’appareil judiciaire), ce qui nuit à leur efficacité. En outre,
la plupart des institutions de l’État censées agir comme freins
et contrepoids démocratiques dans la lutte contre la corruption
sont dirigées par des personnes nommées par la majorité au pouvoir,
dont la proactivité est mise en doute.
63. À la demande de la Commission européenne, deux organes indépendants
ont été récemment créés: l’Autorité de l’intégrité et le Groupe
de travail anti-corruption.
64. L’Autorité de l’intégrité est un organe autonome de l’administration
publique qui a été créé en novembre 2022. Sa mission principale
est de prévenir, détecter et corriger la corruption, la fraude,
les conflits d’intérêts et autres irrégularités, mais uniquement
dans le cadre de l’utilisation des fonds de l’UE.
65. Le Groupe de travail anti-corruption a été créé en décembre
2022. Composé de représentant·es du gouvernement et d’organisations
de la société civile, il assume un rôle consultatif et analytique.
66. Malheureusement, ces deux entités sont déjà confrontées à
des crises et sont incapables de fonctionner correctement. En janvier
2025, une enquête criminelle a été ouverte contre le Président de
l’Autorité de l’intégrité, alléguant qu’il avait mal géré les fonds,
et les bureaux de l’Autorité ont fait l’objet d’une perquisition policière.
Le Président de l’Autorité de l’intégrité a nié les allégations
de mauvaise gestion et affirmé que les enquêtes étaient motivées
par des considérations politiques. Cette situation s’accompagne
de conséquences néfastes, elle risque de dissuader les lanceurs
d’alerte et compromet la capacité de l’Autorité à fonctionner de manière
indépendante. En ce qui concerne le Groupe de travail anti-corruption,
trois organisations de la société civile ont refusé d’adopter le
rapport annuel en 2024, estimant qu’il ne donnait pas une description précise
des problèmes de corruption en Hongrie et que des engagements suffisamment
ambitieux faisaient défaut. En 2025, aucun rapport annuel n’a été
adopté.
67. Le manque d’engagement apparent des autorités hongroises en
faveur de la lutte contre la corruption est préoccupant, en particulier
au regard de l’engagement à «mener une lutte implacable contre la
corruption, notamment grâce à des actions de prévention, et en demandant
des comptes aux détenteurs du pouvoir public», énoncé dans la Déclaration
de Reykjavik. Dans sa décision de décembre 2022, le Conseil de l’Union européenne
a fait mention «d’une incapacité, d’une impossibilité ou d’une réticence
systémiques des autorités hongroises à empêcher les décisions contraires
au droit applicable en matière de marchés publics et de conflits d’intérêts,
et donc à lutter de manière adéquate contre les risques de corruption».
68. Plutôt que de s’engager dans une lutte sérieuse contre la
corruption, la politique des autorités hongroises semble attaquer
et déstabiliser les institutions et les organisations engagées dans
cette lutte. Les deux autorités indépendantes créées en 2022 sont
incapables de fonctionner et les organisations de la société civile
qui jouent un rôle prépondérant dans la lutte contre la corruption
en Hongrie sont considérées comme des menaces à la souveraineté
hongroise. Selon les rapports officiels du Bureau de protection
de la souveraineté, organe constitutionnel dont le Président est
nommé par le Premier ministre: «Les concepts de ‘transparence’ et
de ‘lutte contre la corruption’ n’ont, en définitive, pas vocation
à promouvoir l’équité dans la vie publique ou la concurrence entre
les acteurs du marché, mais plutôt à défendre les intérêts économiques et
politiques américains.»
69. Dans leurs commentaires, les autorités ont indiqué que, à
la suite d’échanges avec le Groupe de travail de l’OCDE sur la corruption,
le parlement a prolongé les délais d’instruction de manière à ce
qu’ils tiennent compte de la complexité et de la gravité de l’affaire,
a élargi les possibilités d’engager la responsabilité pénale des
personnes morales ayant commis des actes de corruption, et a établi
un cadre structuré applicable aux relations entre le parquet et
les personnes morales soumises à une enquête.
4. Respect des droits humains
70. Depuis 2010, la Hongrie connaît
une érosion systématique du pluralisme, marquée par des interventions gouvernementales
qui portent atteinte à la liberté des médias, l’imposition de restrictions
croissantes aux ONG indépendantes, la transformation des institutions
universitaires et culturelles via le recours à des fondations d’intérêt
public et la mise en place de nouveaux mécanismes tels que le Bureau
de protection de la souveraineté.
4.1. Liberté des médias
71. En 2010, le gouvernement Fidesz-KDNP
s’est appuyé sur sa super-majorité parlementaire pour promulguer
de nouvelles lois sur les médias qui ont centralisé l’autorité de
supervision réglementaire au sein de la nouvelle Autorité des médias
et de son organe subsidiaire, le Conseil des médias. Le président
de l’Autorité des médias, nommé par le Premier ministre pour un
mandat de neuf ans, préside également le Conseil des médias et nomme
son encadrement supérieur. Les autres membres du Conseil sont élus
par le parlement à la majorité des deux tiers, assurant dans les
faits le contrôle au Fidesz. Par conséquent, la longue durée du
mandat de ces fonctionnaires ne se traduit pas par une indépendance
institutionnelle. Avant les élections nationales de 2022, le départ
à la retraite anticipée du président du Conseil a permis au Premier ministre
Orbán de nommer un nouveau président dont le mandat expirera en
2030.
72. Le Conseil des médias exerce un pouvoir considérable sur le
paysage médiatique, notamment en contrôlant le Fonds de soutien
aux médias et de gestion des biens des médias (MTVA), en octroyant
les licences pour la télévision et la radio et en approuvant les
fusions entre sociétés de médias. L’absence de garanties juridiques
solides pour l’indépendance de ce Conseil des médias a suscité des
inquiétudes à propos de décisions discriminatoires politiquement
motivées. D’après les données de Mertek Media Monitor, 75 % des appels
d’offres lancés pour la radiodiffusion entre 2018 et 2021 ont été
attribués à des stations liées au Fidesz, ce qui révèle une utilisation
partisane des pouvoirs réglementaires pour façonner le paysage médiatique.
La fermeture forcée de Klubrádió, la dernière station de radio nationale
critique à l’égard du gouvernement, en est un exemple. Cette mesure
a incité la Commission européenne à engager une procédure en manquement contre
la Hongrie et à saisir la Cour de justice de l’Union européenne.
La Cour n’a pas encore rendu son arrêt définitif, mais l’avocat
général a conclu que le refus du Conseil des médias de renouveler
la licence de Klubrádió était disproportionné, tout comme l’exclusion
de Klubrádió du nouvel appel d’offres, et que les autorités hongroises
n’avaient pas appliqué de critères objectifs, transparents, non
discriminatoires et proportionnés
.

73. La concentration de la propriété des médias menace le pluralisme
des médias. Depuis 2010, la propriété des médias est fortement concentrée
dans les mains de l’État et d’investisseurs proches du gouvernement, aboutissant
à un paysage médiatique où près de 80 % du marché de l’information
sur les affaires publiques et politiques est financé par des sources
contrôlées par le parti au pouvoir
. Le rapport Media
Pluralism Monitor 2023 et le rapport de la Commission européenne
sur l’État de droit classent tous deux le risque pour le pluralisme
des médias en Hongrie à un niveau «élevé» ou «très élevé». Par ailleurs,
la Rapporteure spéciale des Nations Unies sur la liberté d’expression
a souligné la prédominance des médias progouvernementaux et le déclin
des voix indépendantes ou critiques, qu’elle attribue aux pratiques
de distorsion mises en place par les gouvernements successifs de
la coalition Fidesz. Le gouvernement défend l’existence d’un pluralisme
des médias en Hongrie en invoquant les quelques médias indépendants
encore présents et précise que certains d’entre eux restent en tête
du marché (même si ce n’est que de justesse). Cependant, la situation
globale du marché montre que le gouvernement contrôle directement
ou indirectement la majorité des médias, dont la diffusion dépasse
de loin celle des médias indépendants. La publicité d’État dans
les médias sert à soutenir les médias pro-gouvernementaux. L’État
est, de loin, l’acteur le plus important sur le marché de la publicité dans
les médias. La publicité d’État représente plus de 30 % du marché,
et 75 % à 80 % des recettes publicitaires vont à KESMA (Fondation
pour la presse et les médias d’Europe centrale, congloméral regroupant des
centaines de médias nationaux et locaux). Il semble que l’État ait
commencé à transférer ses dépenses publicitaires de la presse écrite
vers les médias sociaux; cette tendance a été observée durant la
campagne qui a précédé les élections au Parlement européen (voir
paragraphe 25).

74. La propriété des médias se traduit dans le contenu éditorial.
L’influence politique sur le contenu des publications est évidente.
Les médias du service public sont généralement considérés comme
fonctionnant sous le contrôle direct du gouvernement. Plusieurs
rapports d’enquête et témoignages indiquent que la direction de
ces médias demande régulièrement à son personnel de mettre en avant
les questions qui intéressent le gouvernement, voire de diffuser
des contenus rédigés ou dictés par des hauts responsables du cabinet
du Premier ministre
.

75. Selon une enquête menée par la commission d’enquête du Parlement
européen sur l’utilisation de Pegasus et de logiciels espions de
surveillance équivalents (PEGA), le Gouvernement hongrois a utilisé
le logiciel espion Pegasus, qu’il a acheté en 2017, pour cibler
des journalistes, des responsables politiques et des militants.
En février 2023, une délégation de la commission PEGA s’est rendue
en Hongrie. Selon ses conclusions, «tout indique que des logiciels
espions ont été utilisés largement de manière abusive en Hongrie; les
explications des autorités, qui invoquent la sécurité nationale,
apparaissent très peu convaincantes. Il est largement établi que
des personnes ont été espionnées dans le but d’accroître encore
le contrôle politique et financier de l’espace public et du marché
des médias»
.

4.2. La société civile
76. Le Gouvernement hongrois a
pris plusieurs mesures à l’encontre des organisations de la société
civile indépendantes, en particulier celles qui défendent les droits
humains, luttent contre la corruption et protègent l’environnement.
Dans le même temps, il a largement aidé les organisations qui partagent
ses idées à collecter des fonds, souvent auprès de sources publiques
ou semi-publiques.
77. Le Gouvernement hongrois a renforcé son contrôle sur le financement
de la société civile, en réduisant progressivement l’accès aux sources
de financement indépendantes et en mettant en place des subventions contrôlées
par l’État. A la suite d’un désaccord entre le gouvernement et les
donateurs du fonds de l’EEE/Norvège portant sur l’administration
du fonds, les versements ont été suspendus. Le Gouvernement hongrois a
créé son propre fonds (Városi Civil Alap –
VCA) et l’a doté de 110 millions d’euros. La liste des bénéficiaires montre
que les ONG qui perçoivent les montants les plus élevés sont étroitement
liées à la coalition au pouvoir. Selon une enquête indépendante
réalisée en 2021, seul un tiers des organisations qui ont reçu le
montant maximal n’ont pas d’affiliation politique claire avec le
Fidesz, tandis que plus de la moitié des ONG ayant reçu les subventions
les plus importantes du VCA sont des organisations contrôlées par
des responsables politiques ou des candidats du Fidesz-KDNP
.

78. Le Forum de coopération civile (CÖF) est une organisation
qui diffuse régulièrement des messages alignés sur ceux du gouvernement
par le biais de communiqués de presse, de déclarations publiques,
de panneaux d’affichage et des réseaux sociaux. Ses communications
reprennent souvent la rhétorique du Fidesz, notamment sur des thèmes
tels que la souveraineté nationale, l’immigration, le scepticisme
à l’égard de l’Union européenne et l’opposition à l’influence étrangère,
en particulier celle de George Soros
. Le CÖF cible fréquemment les partis
d’opposition, les ONG indépendantes et les voix critiques en les
qualifiant de menaces pour la souveraineté nationale ou d’agents
de l’influence étrangère. Cette organisation bénéficie d’un soutien
financier considérable de la part d’entreprises publiques et de
fondations affiliées au Fidesz (qui reçoivent des fonds publics)
.


79. Parmi les entités qui soutiennent le gouvernement, on peut
également citer megafon.hu, une plateforme médiatique numérique
hongroise et organisation militante qui cherche à amplifier les
voix de la droite en ligne et à contrer ce qu’elle décrit comme
la domination du «courant libéral» sur internet. La plateforme encourage ouvertement
les utilisateurs à devenir des «combattants de la liberté numérique
de la droite» et propose diverses ressources – notamment des formations,
du mentorat et de la publicité – aux influenceurs qui diffusent
les discours du gouvernement sur plusieurs plateformes de réseaux
sociaux, principalement sous forme de courtes vidéos
. Les dépenses sur les réseaux sociaux
de megafon.hu dépassent celles du gouvernement et du parti Fidesz
. Selon les données officielles de
Meta et de Google, megafon.hu a dépensé près de 2,2 millions d’euros
en publicité à caractère politique sur les réseaux sociaux pour
la campagne des élections européennes de 2024. Plus de la moitié
de ces dépenses ont été consacrées à la promotion de vidéos qui
diffusent des propos hostiles
. Les sources de financement de megafon.hu
restent floues. L’organisation affirme être soutenue par le monde
des affaires ancré à droite et nie recevoir des fonds publics, mais
ne fait preuve d’aucune transparence quant à ses donateurs ou à
l’origine de ses appuis financiers. Pour l’année 2024, megafon.hu
a déclaré un revenu de plus de 14 millions d’euros
.




80. À l’opposé, les organisations de la société civile qui reçoivent
des fonds étrangers – notamment de particuliers, d’organisations
caritatives et d’institutions de l’UE – sont soumises à une pression
croissante sous couvert d’un prétendu manque de transparence. Le
Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des défenseurs
des droits de l'homme a constaté que les défenseur·es des droits
humains en Hongrie étaient confrontés à «une pression énorme due
à la critique publique, à la stigmatisation médiatique, à des inspections injustifiées
et à une baisse du financement public». Il a exhorté le gouvernement
à élargir et à renforcer l’espace accordé à la société civile
. En 2017, une «loi
sur la transparence» a obligé les ONG qui reçoivent plus de 23 000
d’euros par an à s’enregistrer en tant qu’«organisations recevant
de l’aide de l’étranger». Ces organisations étaient en outre tenues
d’afficher visiblement cette qualification et de déclarer le nom
des donateurs dont la contribution était supérieure à 1 400 euros
par an. Le non-respect de cette obligation pouvait entraîner la
condamnation à des peines d’amendes et, à terme, la dissolution
de l’ONG. En 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)
a jugé que cette loi violait le droit de l’UE, car elle stigmatisait
les organisations de la société civile et imposait à leurs activités
des restrictions injustifiées. Une autre loi a été adoptée en mai
2021, qui exige des ONG dont le bilan annuel dépasse environ 54 000
euros qu’elles se soumettent à un audit de la Cour des comptes.
Cet audit évalue la conformité juridique de l’organisation et donne
lieu à un rapport public dont les conclusions ne peuvent être contestées
devant les tribunaux, même si elles sont infondées. La loi impose
une lourde charge administrative aux ONG concernées et accorde aux auditeurs
l’accès à tous les documents, y compris aux informations sensibles
et confidentielles. En outre, cette réglementation est considérée
comme discriminatoire, car elle exclut certaines organisations –
comme les associations religieuses, les groupes minoritaires et
les syndicats – sans justification adéquate, malgré leur capacité
à influencer la vie publique.

81. En 2023, le revenu total des associations et fondations s’élevait
à 3,36 milliards d’euros, dont 40 % provenaient de financements
publics et 22 % de sources privées; le reste provenait notamment
d’entreprises. Les organisations de la société civile critiques
à l’égard du gouvernement ne peuvent pas obtenir de fonds publics
et dépendent donc entièrement de sources internationales, comme
le programme CERV de l’UE ou l’ancienne agence des États-Unis pour
le développement international (USAID), ainsi que du financement participatif
et de donateurs privés. Actuellement, l’accès à ces financements
est sérieusement menacé par la politique gouvernementale.
4.3. Le Bureau de protection de la souveraineté
82. Les tentatives destinées à
réprimer la société civile indépendante se sont intensifiées de
manière inquiétante en décembre 2023, avec l’adoption de la loi
sur la protection de la souveraineté. Lorsque le projet de loi a
été présenté, nous avons publié une déclaration pour alerter sur
le fait qu’il prévoyait «des dispositions dont les conséquences
potentielles sur le fonctionnement des institutions démocratiques,
les droits humains et l’État de droit, seraient considérables» et
nous avons appelé le Gouvernement hongrois à soumettre ce projet
de loi à la Commission de Venise
. La Commissaire
aux droits de l’homme a déclaré que cette loi présentait un risque
important pour les droits humains et qu’elle devrait être abandonnée
. La Commission de
suivi a soumis la proposition de loi à la Commission de Venise le
11 décembre 2023, mais le Parlement hongrois a adopté la loi le
lendemain, malgré les appels unanimes en faveur d’une évaluation
approfondie. Le 7 février 2024, la Commission européenne a décidé
d’ouvrir une procédure d’infraction contre la Hongrie, au motif
que la législation pourrait violer, entre autres, le principe de
démocratie et plusieurs droits fondamentaux tels que le droit au
respect de la vie privée et familiale, le droit à la protection
des données à caractère personnel, la liberté d’expression et d’information,
la liberté d’association, les droits électoraux des citoyens de l’UE
ou le droit à un recours effectif et à un procès équitable.


83. La loi a apporté deux grands changements à l’ordre juridique
hongrois: elle a créé un nouvel organisme public, le Bureau de protection
de la souveraineté, et elle a modifié la législation électorale,
pénale et d’autres textes pertinents afin d’interdire le financement
étranger des campagnes électorales. Dans son avis rendu en mars
2024, la Commission de Venise a conclu que si l’influence étrangère
sur les processus électoraux est citée dans le préambule et la justification,
le champ d’application de la loi est cependant beaucoup plus large, puisqu’il
recouvre des «processus décisionnels étatiques et sociaux» où la
justification basée sur l’intégrité électorale ne s’applique pas
.
Ainsi, les pouvoirs du Bureau de protection de la souveraineté s’étendent
au-delà des campagnes électorales pour englober l’activité politique
au sens large et les campagnes pour le changement social. L’analyse
juridique indique ce qui suit: «la loi a créé un nouvel organe doté
de compétences extrêmement larges qui peut interférer avec la vie
privée de toute personne morale ou physique et s’engager dans la
dénonciation de cette entité sans être soumis à aucun mécanisme
de contrôle ou d’examen. Ainsi, au lieu de rendre “les divers processus
de prise de décision électorale et sociale transparents”, la loi
risque d’avoir un effet dissuasif sur la discussion libre et démocratique
dans la société hongroise.» La Commission de Venise conclut que
la réglementation relative à la création du Bureau de protection
de la souveraineté, à son mandat et à ses compétences est contraire
aux normes internationales et devrait être abrogée.

84. Parmi ses premières publications, le Bureau de protection
de la souveraineté a publié une tribune du Washington Post de 1991.
Cet article décrivait comment l’effondrement de l’Union soviétique
avait marqué le début d’une nouvelle ère où l’espionnage traditionnel
et les opérations secrètes étaient moins efficaces, en soulignant
la montée en puissance des mouvements ouverts et publics et des
changements induits par l’information
. En l’absence de toute information
contextuelle, on peut s’interroger sur la pertinence de cet article
dans la Hongrie de 2025. Confirmant les craintes de la Commission
de Venise, le Bureau de protection de la souveraineté s’est livré
à une campagne de dénonciation publique des organisations de la
société civile critiques à l’égard des autorités et a publié ses
premiers «rapports d’enquête» sur Transparency International Hongrie
, Átlátszó
et la fondation Ökotars. Selon ces
rapports d’enquête, «les notions de “transparence” et de “lutte
contre la corruption” [...] sont des armes au service des intérêts
économiques et politiques des États-Unis»
. L’un
des rapports affirmait que Transparency International causerait
un préjudice politique, économique et social à la Hongrie au motif
que l’indice de perception de la corruption influence la perception internationale
des pays. Les demandes d’accès aux données d’intérêt général soumises
par Átlátszó auraient pour but de dissimuler des activités de renseignement,
alors qu’elles concernent des données publiques officielles. Depuis
l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, les publications
du Bureau de protection de la souveraineté se concentrent désormais
sur les institutions de l’Union européenne
et
sur l’Ukraine.





85. Ces rapports, adoptés par une autorité établie par la Loi
fondamentale, défendent une conception erronée du rôle de la société
civile dans nos démocraties. La Cour européenne des droits de l’homme
a affirmé à maintes reprises le lien direct qui existe entre démocratie,
pluralisme et liberté d’association. En effet, la manière dont le
droit interne consacre cette liberté et l’application concrète de
cette législation par les autorités sont révélatrices de l’état
de la démocratie dans un pays.
4.4. Transparence de la vie publique
86. Les attaques contre la société
civile se sont intensifiées depuis le début de l’année 2025. Le
17 janvier 2025, Viktor Orban a déclaré que «le premier objectif
de politique étrangère pour 2025 [était] de chasser l’empire Soros
hors d’Europe et de le renvoyer en Amérique» et que «[l]e moment
[était] venu de mettre les choses au clair, de démanteler les réseaux
étrangers qui menacent la souveraineté hongroise et de les renvoyer
chez eux».
87. Le 15 mars 2025, il a qualifié de «punaises» les acteurs de
la société civile hongroise indépendante: «[a]près la fête d’aujourd’hui,
nous lancerons le grand nettoyage de Pâques. Les punaises ont survécu
à l’hiver. Nous démantèlerons la machine financière qui achète les
responsables politiques, les juges, les journalistes, les organisations
pseudo-citoyennes et les militants politiques avec des dollars corrompus.
Nous disperserons toute cette armée de l’ombre. Ce sont […] les
larbins de Bruxelles, payés pour servir les intérêts de l’empire
contre leur propre pays. Ils sont ici depuis bien trop longtemps.
Ils ont survécu à trop de choses. Ils ont reçu de l’argent de trop
d’endroits. […] Nous les avons assez vus. […] Ils portent la lettre
écarlate, leur destin sera celui de la honte et du mépris. S’il
y a une justice, et il y en a une, une place leur est réservée en enfer.
Nous savons qui vous êtes.» 

88. Le 1er avril 2025, un député du
Fidesz a déposé un projet de loi pour modifier la loi sur la citoyenneté hongroise.
Le texte propose de suspendre la citoyenneté des personnes «dont
le maintien de la citoyenneté hongroise constitue une menace pour
l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale en
Hongrie». Plus précisément, le projet de loi propose de suspendre
la citoyenneté de quiconque «agit dans l’intérêt d’une puissance
étrangère ou d’une organisation étrangère ou poursuit les objectifs
d’une puissance étrangère ou d’une organisation étrangère d’une
manière incompatible avec la citoyenneté hongroise». Ce projet de
loi a été adopté le 11 juin 2025.
89. Le 13 mai 2025, un député du Fidesz a déposé un nouveau projet
de loi devant le Parlement hongrois, «relatif à la transparence
de la vie publique». Le projet de loi renforcerait les pouvoirs
du Bureau de protection de la souveraineté, ce qui pourrait rendre
impossible, pour les organisations de la société civile et les médias visés,
de poursuivre leurs activités. Nous avons immédiatement publié une
déclaration indiquant ce qui suit: «[l]e texte proposé rendrait
impossible le fonctionnement et l’existence même d’organisations
de la société civile et de médias indépendants. Il porte atteinte
de manière injustifiée et totalement disproportionnée à la liberté
d’association et d’expression des citoyens hongrois. L’adoption
de ce texte irait à l’encontre des obligations internationales de
la Hongrie en matière de respect des droits humains et des libertés fondamentales.»
Le 4 juin, le vote sur ce projet
de loi, qui devait avoir lieu le lendemain, a été reporté jusqu’à la
reprise des travaux parlementaires après la pause estivale. À notre
demande, la Commission de suivi a sollicité l’avis de la Commission
de Venise sur ce projet de loi.

4.5. L’incidence des fondations d’intérêt public sur la liberté académique et les institutions culturelles
90. Comme nous l’avons déjà évoqué,
un autre changement important depuis 2021 a été la transformation de
nombreux établissements d’enseignement supérieur et institutions
culturelles en «fondations d’intérêt public» (KEKVA), qui sont contrôlées
par des conseils d’administration dominés par des personnes nommées par
le gouvernement. En conséquence, le Gouvernement hongrois a supprimé
le contrôle public sur la plupart des établissements d’enseignement
supérieur et des institutions culturelles en Hongrie, tout en transférant
la direction à des conseils d’administration proches du pouvoir.
91. En raison de problèmes restés en suspens, le Conseil de l’Union
européenne a décidé, le 15 décembre 2022, qu’aucun engagement juridique
ne serait pris avec une fondation d’intérêt public ou une entité
détenue par une telle fondation. En conséquence, la Commission européenne
a exclu plus de 30 institutions hongroises, dont 21 universités,
de la participation à des programmes clés de l’UE tels que Horizon
Europe et Erasmus+. La Commission a conditionné le rétablissement
de l’accès à ces programmes au respect par la Hongrie des normes
en matière de transparence et de gouvernance
. Bien que le Gouvernement hongrois
ait proposé des modifications pour répondre à certaines des préoccupations
de la Commission (telles que la limitation de la durée des mandats
des membres des conseils d’administration et l’interdiction de la
nomination de certaines personnalités politiques au sein de ces
conseils), la Commission a indiqué que ces mesures restaient insuffisantes
et ne répondaient pas pleinement aux attentes de l’UE.

4.6. Liberté de réunion
92. Le 18 mars 2025, le Parlement
hongrois a adopté, dans le cadre d’une procédure d’urgence, une modification
de la loi LV de 2018 sur la liberté de réunion. Cette modification
législative interdit toute réunion qui contrevient à l’article 6.A
de la loi sur la protection de l’enfance et proscrit de fait tous
les rassemblements publics de personnes LGBTI ou sur des questions
liées à celles-ci, y compris la Marche des fiertés.
93. La Cour européenne des droits de l’homme a estimé à plusieurs
reprises que l’interdiction ou le refus d’autoriser des manifestations
publiques destinées à promouvoir les droits humains et l’égalité
des personnes LGBTI n’étaient pas nécessaires dans une société démocratique
et étaient donc contraires à l’article 11 de la Convention. Elle
a plutôt considéré que les autorités devaient prendre des mesures
positives pour garantir que ces manifestations et rassemblements
puissent se dérouler pacifiquement et que les manifestants soient protégés
contre la violence.
94. La loi hongroise autorise également l’utilisation de logiciels
de reconnaissance faciale pour identifier les personnes qui participent
à des rassemblements. Dans un arrêt concernant une utilisation similaire,
par la Russie, de la technologie de reconnaissance faciale à l’encontre
de manifestants pacifiques, la Cour a jugé que l’utilisation d’une
telle technologie dans cette situation pouvait avoir un effet dissuasif
sur l’exercice des droits à la liberté d’expression et à la liberté
de réunion et était incompatible avec les idéaux et les valeurs
d’une société démocratique régie par la prééminence du droit
.

95. La Marche des fiertés de Budapest, prévue pour le 28 juin
2025, a été interdite par la police sur la base d’une modification
récente de la loi LV de 2018 sur la liberté de réunion
. Le maire de Budapest s’est opposé à
cette décision et a annoncé que l’événement serait organisé par
les autorités locales. La Marche a finalement eu lieu et a rassemblé
200 000 personnes, pulvérisant ainsi le précédent record de participation,
qui était de 35 000 personnes
.


4.7. Respect des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme et des autres mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe
96. En 2024, 76 % des arrêts rendus
par la Cour européenne des droits de l’homme contre la Hongrie au cours
de la dernière décennie n’avaient toujours pas été exécutés, ce
qui représente le pourcentage le plus élevé parmi les États membres
de l’UE. Ce constat marque un recul par rapport à 2022 (72 %). Seuls
52,6 % des arrêts sont partiellement exécutés et 66 % des affaires
pendantes sont en suspens depuis plus de deux ans.
97. Les arrêts de principe en attente d’exécution
concernent
des questions cruciales de droits humains, notamment la surveillance
secrète non contrôlée, la liberté d’expression des juges, la durée
excessive des procédures judiciaires, l’emprisonnement à perpétuité,
les mauvais traitements infligés par la police et la discrimination
à l’égard des enfants roms dans l’éducation. En 2024, l’exécution
de 14 arrêts de la Cour a été examinée par le Comité des Ministres
du Conseil de l’Europe dans le cadre de la procédure soutenue. Le Comité
des Ministres a jugé l’exécution des arrêts insuffisante dans toutes
les affaires et a adopté des résolutions intérimaires dans le groupe
d’affaires Gazsó c. Hongrie sur
la durée excessive des procédures et dans le groupe d’affaires László Magyar c. Hongrie sur l’emprisonnement
à perpétuité. L’affaire Kenedi c. Hongrie,
qui concerne la non-exécution de décisions de justice relatives
à la liberté d’information, a été transférée en procédure de surveillance
soutenue en décembre 2024.

98. Le Commissaire aux droits de l’homme a demandé aux députés
hongrois de ne pas adopter le projet de loi sur la transparence
de la vie publique, à moins qu’il ne soit modifié pour se conformer
au droit international des droits humains, notamment en matière
de liberté d’expression et d’association, de droit au respect de
la vie privée, de droit à un procès équitable et d’interdiction
de la discrimination
. Il a également appelé les députés
hongrois à reconsidérer la modification de la loi sur le droit de
réunion, qui interdit, de fait, les événements tels que la Marche
des fiertés
. La commission sur l’égalité et la
non-discrimination de l’Assemblée a demandé à la Commission de Venise
de rendre un avis sur le quinzième amendement à la Loi fondamentale
adopté par l’Assemblée nationale hongroise le 14 avril 2025, qui
autorise une telle interdiction.


99. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des
peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a publié en
décembre 2024 le rapport relatif à sa visite périodique en Hongrie,
qui comprend plusieurs recommandations sur les questions d’immigration,
les personnes en garde à vue ainsi que les établissements pénitentiaires
et psychiatriques
.

100. Dans son rapport sur la Hongrie (sixième cycle de monitoring)
publié le 9 mars 2023, la Commission européenne contre le racisme
et l’intolérance (ECRI) recommande aux autorités de faire procéder
à un examen indépendant des mesures législatives adoptées pendant
la période d’«état de danger», de leurs conséquences pour les groupes
relevant du mandat de l’ECRI, notamment les personnes LGBTI, et
de leur conformité avec les normes du Conseil de l’Europe et les
autres normes relatives aux droits humains qui s’appliquent dans
les domaines de l’égalité et de la non-discrimination. L’ECRI recommande
également aux autorités de renforcer la capacité des services répressifs
de détecter et de traiter efficacement les propos et infractions
racistes et LGBTIphobes motivés par la haine
.

5. Conclusions
101. La Hongrie a connu un déclin
notable de la qualité de la démocratie, de l'État de droit et de
la protection des droits humains au cours des dernières années.
La concentration du pouvoir aux mains de la même majorité résulte
de l'effet cumulé de réformes constitutionnelles et électorales
successives. La capacité des institutions démocratiques à assurer
le contrôle et la responsabilité publique a été affaiblie, tandis
que la politisation des procédures législatives et des nominations
a compromis le pluralisme et la transparence. Avec l'affaiblissement
des freins et contrepoids constitutionnels, l'indépendance judiciaire
a été compromise et la capacité de lutter contre la corruption considérablement
réduite. Dans le même temps, les voix critiques ou indépendantes
dans les médias et la société civile ont été marginalisées.
102. La commission de suivi reconnaît l’ouverture au dialogue des
autorités hongroises et prend note des mesures limitées prises pour
répondre aux recommandations du Conseil de l'Europe. Un engagement
politique sincère et soutenu sera nécessaire pour rétablir le pluralisme,
l'État de droit et la pleine protection des droits fondamentaux
en Hongrie. Considérant l'importance capitale de répondre aux préoccupations
persistantes soulignées dans le présent rapport concernant la corruption
et le recul de la démocratie, la priorité devrait être donnée à
la mise en œuvre des recommandations de la Commission de Venise
et du GRECO concernant les réformes électorales, les nominations
judiciaires, les mesures de lutte contre la corruption et le respect
des libertés des médias et d'association. Un suivi étroit et continu
reste nécessaire, avec pour objectif global de renforcer les fondements
de la démocratie, de l'État de droit et des droits humains pour
tous les secteurs de la société hongroise.