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Rapport | Doc. 870 | 06 octobre 1958

Répercussions éventuelles de la zone de libre-échange sur les échanges européens des pays non membres

Commission des questions économiques et du développement

Rapporteur : M. Per FEDERSPIEL, Danemark

Origine - Voir 1 6 e séance, 14 octobre 1958 (renvoi à un comité de rédaction), et Renvoi n° 235. 1958 - 10e session - Deuxième partie

A. Projet de directive

(open)
1. L'Assemblée,
2. Prenant acte du rapport préliminaire établi par la commission économique au sujet des répercussions éventuelles de la zone de libre-échange sur les échanges européens des pays non-membres ;
3. Parfaitement convaincue que l'intégration économique européenne est compatible et devrait aller de pair avec des mesures de libération progressive des échanges et des paiements à l'échelle mondiale, dans l'intérêt de l'Europe occidentale et des pays d'outre-mer ;
4. Convaincue qu'un taux élevé d'activité économique en Europe occidentale, dans le cadre d'un système mondial de libre-échange, profitera également aux pays moins développés, mais se rendant compte que des mesures spéciales d'assistance seront nécessaires pour développer leurs exportations et améliorer le niveau de vie de leurs populations, et que ce problème devra, dès le début, être étudié de près et de façon suivie,
5. Charge la commission économique de poursuivre ses travaux et de consigner ses conclusions dans un rapport qu'elle soumettra à une session ultérieure de l'Assemblée.

B. Exposé de motifs

(open)

1. Introduction

1. En 1956, les exportations de l'Europe occidentale ont représenté 41 % du total mondial, un peu moins de la moitié, soit 19 %, allant vers des pays tiers. La majeure partie de ces dernières exportations (69 %) était destinée à des pays de production primaire.
2. Pour la même année, les importations de l'Europe occidentale ont représenté 45 % du total mondial, un peu plus de la moitié, soit 23 %, consistant en importations en provenance du reste du monde. La majeure partie de ces dernières importations provenait des pays de production primaire (57 %) et d'Amérique du Nord (30 %).
3. Ces données succinctes illustrent non seulement la position-clé de l'Europe occidentale dans les échanges mondiaux, mais aussi l'importance particulière de ses échanges avec les pays de production primaire 
			(1) 
			Y compris toute l'Amérique latine, l'Afrique, le Proche-Orient, le Moyen-Orient et l'Extrême-Orient (à l'exception du Japon), et non compris les échanges des pays d'Europe orientale avec l'U.R.S.S. et la Chine continentale.. En même temps, les échanges de ceux-ci avec l'Europe occidentale constituent près des trois cinquièmes de leurs importations en provenance de pays n'appartenant pas à leur catégorie et de leurs exportations vers ces pays.
4. Au cours des vingt dernières années, les pays de production primaire ont vu leur part dans les exportations mondiales tomber de 31 à 30 %, tandis que leur part dans les importations mondiales passait de 25 à 30 %. Cette évolution a été particulièrement marquée ces dernières années, surtout en ce qui concerne le fléchissement relatif des exportations de ces pays. En conséquence, l'excédent de 2,8 milliards de dollars qu'accusait leur balance commerciale en 1950 a fait place à un déficit de 1,2 milliard de dollars en 1956.
5. En examinant les répercussions éventuelles de la zone de libre-échange sur les échanges européens des pays non membres, il paraît donc justifié de s'attacher essentiellement à la question des relations commerciales de l'Europe occidentale avec les pays de production primaire, en laissant de côté celle des relations commerciales avec les pays industriels (en particulier l'Amérique du Nord et le Japon).

2. Tendances générales des importations de produits primaires

6. On a souvent fait observer que les importations de produits primaires effectuées par les pays industriels — cette remarque ne s'applique donc pas seulement à l'Europe occidentale — tendent à baisser par rapport à leur production industrielle. L'une des causes en est que le progrès technique a conduit à substituer des produits synthétiques à de nombreuses matières premières industrielles d'origine naturelle. Une autre explication réside dans la politique autarcique que la plupart des pays d'Europe occidentale ont suivie au cours des vingt-cinq dernières années en ce qui concerne les denrées alimentaires, jointe au fait que la demande de ces denrées croît moins vite que la demande d'articles manufacturés. Les effets de ces facteurs ont été compensés, mais seulement en partie, par l'accroissement marqué des importations de certaines autres matières premières, notamment les combustibles minéraux et les métaux. C'est ainsi qu'entre 1952 et 1956, l'Europe occidentale a accru de 20 % ses importations en provenance des pays de production primaire, alors que ses importations totales augmentaient de 33 %.
7. La composition des importations de l'Europe occidentale en provenance des pays exportateurs de produits primaires a subi des transformations considérables par suite de ces tendances à long terme. La part des denrées alimentaires et des matières premières agricoles qui, en 1925-1928 et 1934-1938, était respectivement de 95 et de 90 % du total, était tombée à 70 % en 1956 ; dans le même temps, la part du pétrole brut passait de 3 % à 19 %, et celle des autres produits minéraux de 7 à 13 %.
8. Ces modifications se sont accompagnées d'importants changements dans la répartition par origine des importations de produits primaires, la part des pays exportateurs de pétrole et de produits minéraux ayant fortement augmenté aux dépens des pays exportant principalement des produits alimentaires et agricoles. En particulier, la part de l'Amérique latine dans ces importations est tombée de 35 % en 1928 et 28 % en 1937-1938 à 21 % en 1956, tandis que la part de la zone sterling d'outre-mer 
			(2) 
			Pays du Commonwealth (moins le Canada), colonies britanniques, Birmanie, Irak, Jordanie et Libye. et des autres régions rattachées 
			(3) 
			Territoires français, belges, néerlandais, portugais, ainsi que la Tunisie et le Maroc. passait de 51 % en 1928 et 57 % en 1937-1938 à 68 % en 1956 (la zone sterling d'outre-mer représentant les quatre cinquièmes de ce pourcentage).
9. En ce qui concerne les denrées alimentaires — le groupe le plus important avec, comme principaux produits, le café, le thé, le cacao, la viande, les céréales, le sucre et le tabac — environ 45 % des importations de l'Europe occidentale en provenance des pays de production primaire ont été fournis en 1956 par la zone sterling d'outre-mer, tandis que 40 % de ces importations se répartissaient également entre les autres régions rattachées et les pays d'Amérique latine non membres de la zone dollar 
			(4) 
			Argentine, Brésil, Chili, Paraguay, Pérou et Uruguay.. En ce qui concerne les matières premières, la part de la zone sterling d'outre-mer a été encore plus importante, 55 %, alors que 30 % de ces importations se répartissaient également entre les autres régions rattachées et divers pays exportateurs de produits primaires non spécifiés. Enfin, la zone sterling d'outre-mer a fourni 60 % des importations de combustibles de l'Europe occidentale en provenance des pays exportateurs de produits primaires, principalement du pétrole brut, tandis que divers pays exportateurs de produits primaires non spécifiés en fournissaient un peu plus de 20 % et les pays d'Amérique latine faisant partie de la zone dollar environ 13 %

3. Orientation future des échanges

10. L'économie de l'Europe occidentale est une économie en expansion et, en considérant l'avenir, il convient tout d'abord d'examiner l'évolution probable des échanges européens en faisant complètement abstraction des incidences que pourra avoir une zone de libre-échange englobant le marché commun.
11. La Commission Économique pour l'Europe (C.E.E.) a tenté d'évaluer les besoins de l'Europe occidentale en produits primaires importés jusqu'en 1975, en partant de deux hypothèses distinctes relatives au rythme de l'expansion économique dans cette région du monde. La première hypothèse (I) implique une augmentation de 60 % du produit national brut d'ici 1975, la seconde (II) une augmentation de 100 % ; en ce qui concerne plus particulièrement la production agricole, on admet qu'elle augmentera de 30 % dans la première hypothèse et de 35 % dans la seconde. Dans le premier cas, l'indice en volume des besoins d'importation de l'Europe occidentale serait en 1975 de 130 (1954-1956 = 100) ; dans le second, de 170.
12. Quant aux principales catégories de produits primaires, ces prévisions aboutissent à modifier comme suit les besoins d'importation de l'Europe occidentale d'ici 1975.
13. Pour les denrées alimentaires, l'accroissement est évalué à 10 % dans l'hypothèse I et à 30 % dans l'hypothèse II. (Dans l'hypothèse I, l'accroissement porterait uniquement sur les boissons tropicales, le tabac, et les huiles et graisses végétales ; dans l'hypothèse II, on enregistrerait également des augmentations substantielles pour la viande, les céréales, le sucre et les fruits.)
14. Pour les combustibles minéraux, l'accroissement des besoins d'importation de pétrole serait de 40 % dans l'hypothèse I et de 150 % dans l'hypothèse II, tandis que pour le charbon l'augmentation est évaluée à 70 % dans les deux cas. Pour les produits minéraux, les minerais, etc., on prévoit dans les deux hypothèses de très forts accroissements (de plusieurs centaines pour cent) pour des produits tels que le minerai de fer, l'aluminium et le zinc.
15. En résumé, dans l'hypothèse I, les perspectives des exportateurs de denrées alimentaires et de matières premières agricoles sont nettement défavorables, et même dans l'hypothèse II, qui est optimiste, elles n'apparaissent guère brillantes. En ce qui concerne la future répartition par région d'origine des importations de produits primaires en Europe occidentale, la C.E.E. estime que, dans les deux hypothèses, ce sont les pays d'Amérique latine membres de la zone dollar, les territoires d'outre-mer dépendants et certains pays d'Asie qui seraient les plus grands bénéficiaires ; ils verraient en effet plus que doubler leurs recettes d'exportation en Europe occidentale. Pour les pays d'Amérique latine non membres de la zone dollar et pour la zone sterling d'outre-mer — essentiellement producteurs de denrées alimentaires et de matières premières agricoles — l'expansion serait sensiblement plus faible.

4. Incidences de la zone de libre-échange

4.1. L'expansion économique

16. Dans quelle mesure les extrapolations résumées ci-dessus seront-elles influencées par la zone de libre-échange ?
17. La réponse à cette question dépendra dans une très large mesure des répercussions de l'intégration économique européenne sur le rythme de l'expansion économique. En Europe occidentale, le rapport des importations à la production industrielle est élevé (30 %, contre 9 % aux États-Unis) et, qui plus est, apparaît relativement stable ; dès lors plus le taux d'expansion est important, plus le niveau des importations est élevé. En outre,1 les déplacements des courants commerciaux engendrés par une zone de libre-échange auraient tendance à être beaucoup moins prononcés dans un climat d'expansion économique rapide.
18. Du point de vue économique, la zone de libre-échange, tout comme le marché commun, a précisément pour but d'assurer l'utilisation la plus rationnelle des ressources productives et d'accélérer ainsi le relèvement du niveau de vie. Mais les deux systèmes prévoient l'introduction progressive et ordonnée de nouvelles conditions de concurrence, avec des garanties adéquates destinées à limiter les conséquences sociales défavorables et, d'une manière générale, les difficultés économiques d'adaptation. Les avantages économiques de l'intégration peuvent donc se trouver atténués par des considérations d'ordre social aussi bien que d'intérêt national, notamment pendant les premières phases de la période de transition.
19. Cette remarque vaut notamment pour l'utilisation et la répartition plus rationnelles de la main-d'oeuvre ainsi qu'une plus libre circulation des capitaux entre les pays membres. De même, dans l'agriculture, la concurrence accrue et la spécialisation internationale pourraient aboutir à des accroissements substantiels de la productivité, mais les puissantes considérations qui militent contre une action vigoureuse en ce sens sont trop connues pour qu'il soit nécessaire d'y insister.
20. Compte tenu de ces éléments, il est permis — avec toutes les réserves qui s'imposent — de se demander si- les avantages de l'intégration économique pourront entraîner plus du doublement du produit national brut d'ici 1975, ce que prévoit la C.E.E. dans l'hypothèse optimiste II. Il convient d'ajouter que, si la C.E.E. parvient à cette prévision plus favorable, c'est surtout en supposant une élévation du taux des transferts de main-d'oeuvre de l'agriculture vers l'industrie, accompagnée d'une augmen-tation de la proportion des femmes ayant un emploi rémunéré ; il est présumé également que le chômage aura fortement diminué, notamment dans les pays de l'Europe méridionale. Ces hypothèses portent, précisément sur les domaines critiques où la zone de libre-échange, tout comme le marché commun, éprouvera le plus de difficultés à progresser.
21. Étant donné que les modifications de la production provoquées par l'intégration ne semblent pas devoir modifier sensiblement les besoins nets de l'Europe occidentale en produits primaires, l'accroissement de 70 % des importations de ces produits envisagés par la C.E.E. peut donc être considéré comme la meilleure évaluation dont on dispose. C'est évidemment là une conclusion importante.

4.2. Structure des échanges

22. Le second grand problème est celui-ci : dans quelle mesure et dans quel sens la zone de libre-échange (de même que le marché commun) influencera-t-elle la composition par marchandises des importations européennes de produits primaires et (ou) la répartition par origine de ces importations.
23. En examinant ce problème, une importante question préalable est celle de savoir si le fléchissement relatif des importations de produits primaires constaté ces dernières années traduit un déplacement des courants commerciaux dû au programme de libération des échanges de l'O.E.C.E. De 1951 à 1955, les importations de l'O.E.C.E. en provenance de la zone O.E.C.E. se sont accrues de 4 milliards de dollars, et les importations originaires des autres pays d'un milliards de dollars seulement. En conséquence, la part des importations intraeuropéennes est passée de 39 à 45 % du total. Cependant, le fort accroissement des échanges intraeuropéens a surtout porté sur les produits manufacturés, qui composent traditionnellement la majeure partie de ces échanges, et la part de l'Europe dans les importations de produits manufacturés est demeurée inchangée avec 76 %. Ce fait montre clairement qu'aucun déplacement important des courants commerciaux ne s'est produit pendant cette période qui a été caractérisée par un taux élevé d'expansion économique. Il confirme également que les principaux facteurs qui sont à la base du ralentissement relatif des échanges de l'Europe occidentale ont, dans une large mesure, un caractère permanent.
24. En ce qui concerne les changements dans la composition par marchandises, il y a lieu de souligner que les évaluations de la C.E.E. constituent une extrapolation directe des tendances actuelles. Compte tenu des observations formulées précédemment au sujet des effets de la zone de libre-échange, il ne semble pas qu'il y ait lieu de s'attendre à des modifications substantielles de ces tendances ; il n'est, toutefois, pas invraisemblable que l'accroissement des importations de produits tels que le caoutchouc, les produits minéraux et les métaux soit plus rapide que prévu, tandis que l'incertitude qui entoure le rythme du développement de l'énergie nucléaire rend particulièrement hasardeuses les estimations relatives aux importations de combustibles.
25. Les déplacements des courants commerciaux devraient, d'une façon générale, être d'autant moins accusés que le taux de l'expansion industrielle sera plus élevé dans les pays de la zone de libre-échange. Ils dépendront en outre de la question de savoir si les pays et territoires d'outre-mer seront ou non associés à la zone de libre-échange.
26. Dans la négative — hypothèse actuellement la plus probable — il convient d'établir une distinction entre les pays du marché commun et les autres pays de la zone de libre-échange.
27. Pour ce qui est des onze pays non membres du marché commun, il est peu probable que les importations de produits primaires, qui proviennent exclusivement (ou presque exclusivement) de pays extérieurs à l'Europe continentale soient affectées par un déplacement sensible des courants commerciaux. Il n'existe pas de concurrence européenne, et la suppression des droits de douane entre ces pays — droits qui, de toute manière, sont faibles ou inexistants pour un grand nombre des produits en question — n'influera guère sur le choix des fournisseurs.
28. Pour les articles dont l'Europe est productrice, la suppression des droits de douane intraeuropéens favorisera évidemment les producteurs européens. Toutefois, étant donné le maintien de tarifs douaniers nationaux vis-à-vis du monde extérieur, il n'y a pas lieu de s'attendre à des modifications importantes de la structure des importations. Il s'agit notamment des produits suivant : fruits, vins, légumes, produits laitiers, viande, céréales, certaines huiles et graisses animales et végétales, tabac, cuirs et certaines fibres. Une partie d'entre eux ne sont produits qu'en quantités relativement faibles, et cette situation ne semble guère devoir se modifier. Pour d'autres, notamment les produits laitiers et la viande, la production européenne augmentera probablement au détriment des importations provenant de fournisseurs tels que l'Australie, la Nouvelle Zélande et certains pays d'Amérique latine. (Pour les exportations du Commonwealth vers le Royaume-Uni, ces effets pourraient, bien entendu, être atténués par des arrangements spéciaux.)
29. En ce qui concerne les Six, l'établissement par la Communauté Économique Européenne d'un tarif extérieur commun, approximativement équivalent à la moyenne arithmétique des tarifs actuellement en vigueur, pourra entraîner certains changements dans le volume des importations de produits primaires de chacun des pays de la Communauté ; mais il n'en résultera pas nécessairement de changement marqué pour les Six pris collectivement, bien que les divers fournisseurs puissent être touchés différemment. La production du marché commun sera évidemment avantagée dans l'ensemble de la zone de libre-échange par rapport aux importations d'origine extérieure. Sauf pour certaines denrées alimentaires, il est probable que, là encore, les déplacements des courants commerciaux résultant du tarif commun seraient peu sensibles pour les pays exportateurs de produits primaires, considérés dans leur ensemble.
30. Un facteur beaucoup plus important à cet égard est l'accord d'association avec les territoires d'outre-mer des Six. Cet accord, aux termes duquel les exportations de ces territoires seront admises dans le marché commun aux conditions applicables entre les Six, étend les avantages créés par le marché commun sur le plan de la concurrence à la quasi totalité des produits primaires originaires des régions subtropicales et tropicales. Les territoires d'outre-mer associés sont en effet d'importants exportateurs de cacao, de café, de bananes, de tabac, de graines oléagineuses et d'huiles végétales, de coton et de bois tropicaux ; ils produisent également du thé, du sisal, du sucre, ainsi que de la bauxite, du cuivre et du minerai de fer.
31. Pour la plupart de ces produits, les pays du marché commun absorbent la grande majorité des exportations de ces territoires ; mais ces exportations ne représentent, en aucun cas, plus de la moitié du total des importations des Six. L'ampleur du préjudice que pourront subir les fournisseurs extérieurs traditionnels des Six dans leurs exportations vers ces pays dépendra, dans une large mesure, de l'écart entre le tarif commun les droits actuellement en vigueur. Les taux déjà fixés par le traité pour de nombreux articles sont souvent importants : 80 % pour le sucre, 35 % pour le thé, 30 % pour le tabac, 20 % pour les bananes, 16 % pour le café, 9 % pour le cacao — alors que les pays de la Communauté n'ayant pas de territoires associés outre-mer ne percevaient jusqu'à présent aucun droit sur un grand nombre de ces produits. En outre, la plupart d'entre eux figurent sur la liste des produits soumis aux clauses agricoles du traité, ce qui signifie que de nouvelles mesures de protection — prix minimum et contrats à long terme — pourront être adoptées.et
32. Le déclin des exportations vers la Communauté pourra être compensé par la conquête d'autres marchés, si les territoires associés n'augmentent pas en même temps leurs exportations. Le traité prévoit expressément l'expansion de la production dans les territoires associés et crée plus particulièrement un Fonds destiné à financer des projets de développement. Deux chiffres permettent de se faire une idée de l'ampleur du déplacement éventuel des courants commerciaux : les exportations des territoires associés à destination des pays européens non membres de la Communauté des Six ont représenté, en 1956, une valeur de 100 millions de dollars, tandis que, dans la même année, les Six ont importé de pays tiers pour 900 millions de dollars des mêmes produits.

5. Conclusion

33. Il résulte de tout ce qui précède qu'il est impossible de prévoir exactement quelles seront les répercussions directes de la zone de libre-échange sur les importations de produits primaires en Europe occidentale. Cependant, d'une manière tout à fait générale, il y a lieu de croire que ce projet ne lésera pas gravement les intérêts commerciaux des pays exportateurs de produits primaires. Deux considérations s'imposent en particulier. En premier lieu, il semble que la zone de libre-échange doive exercer un effet d'accélération sur le taux d'expansion économique de l'Europe occidentale, ce qui revêt une importance capitale pour le volume des importations de produits primaires. En second lieu, il est peu probable que la zone de libre-échange, comme telle, provoque de sérieuses perturbations dans la structure actuelle des importations de produits primaires en Europe occidentale ; par contre, il n'est pas exclu que le marché commun, avec son accord d'association, entraîne des déplacements des sources d'approvisionnement qui pourraient affecter sensiblement les intérêts com merciaux de certains pays.

5.1. La position d'Israël — Étude d'un cas particulier

34. Après les observations générales formulées dans les paragraphes précédents, nous nous efforcerons ci-après de décrire les incidences de la zone de libre-échange sur le commerce avec l'Europe occidentale d'un pays non membre — Israël — dont l'économie est liée dans une mesure exceptionnelle à celle de cette région du monde.
35. Dans ses dix premières années d'existence en tant qu'État, Israël a triplé sa population, qui atteint aujourd'hui près de 2 millions d'habitants, grâce surtout à une immigration massive. Pendant la même période, un afflux de capitaux de l'ordre de 2,5 milliards de dollars — consistant dans une large mesure en dons, fonds d'assistances et versements au titre de réparations — a permis de financer un déficit de la balance commerciale de plus de 2 milliards de dollars et de maintenir le taux d'investissement net à 20 % du produit national brut.
36. Bien que son économie ait connu un taux d'expansion élevé, Israël demeure à certains égards un pays sous-développé où beaucoup reste à faire pour exploiter les ressources naturelles et élargir les bases de l'économie afin qu'elle puisse se passer d'assistance extérieure. L'industrialisation du pays est en cours et, à l'heure actuelle, les investissements consacrés à l'industrie dépassent les investissements agricoles. Pour soutenir cet effort, Israël aura besoin, pendant quelque temps encore, d'une aide financière de l'étranger. Néanmoins, le grave déficit de sa balance commerciale ne peut persister indéfiniment, et le développement de ses exportations revêt donc une importance vitale.
37. En 1956 et 1957, les importations d'Israël ont atteint respectivement 367 et 432 millions de dollars, soit environ 30 % du revenu national, tandis que ses exportations s'élevaient respectivement à 105 et 139 millions de dollars. Quelque 66 % des importations consistaient en produits manufacturés, le reste se répartissant entre les matières premières (21 %) et les denrées alimentaires, les boissons et le tabac (23 %). Les produits agricoles, représentés presque exclusivement par les agrumes et produits des agrumes, prédominent dans les exportations avec 46 % du total (en 1957), le reste se composant de produits industriels (29 %) et de diamants taillés (24 %)
38. En 1956, 49 % des importations d'Israël provenaient des dix-sept pays membres de l'O.E.C.E., les produits manufacturés occupant une place prépondérante (112 sur 160 millions de dollars). Pour les Six, les produits manufacturés n'ont pas représenté moins de 82 % des exportations vers Israël, alors que le chiffre correspondant pour les onze autres pays de l'O.E.C.E. était de 71 %.
39. En 1957, les mêmes dix-sept pays ont absorbé 63 % du total des exportations d'Israël (contre 58 % en 1956). Les produits agricoles ne représentaient pas moins des deux tiers de ces exportations vers la zone de l'O.E.C.E., le tiers restant se répartissant à peu près également entre les produits industriels et les diamants taillés. Parmi les pays de l'O.E.C.E., le Royaume-Uni constitue pour Israël le marché le plus important et intervient pour près de 30 % dans le total de ses exportations vers l'Europe occidentale.
40. Étant donné la composition actuelle par marchandises de ses exportations vers la zone de l'O.E.C.E., nous pouvons, pour notre propos, considérer Israël essentiellement comme un pays exportateur de produits primaires qui dépend pour la majeure partie de ses exportations vers l'Europe d'un même groupe de produits, celui des agrumes et des jus et conserves d'agrumes dont le commerce est régi par une série d'accords commerciaux bilatéraux.
41. Si les remarques faites précédemment au sujet des futurs besoins d'importation de l'Europe occidentale s'appliquent donc également au principal produit d'exportation d'Israël, il convient de noter, premièrement, que les agrumes appartiennent à la catégorie des denrées alimentaires pour lesquelles le coefficient d'élasticité de la demande en fonction du revenu est relativement élevé et, deuxièmement, que ce produit ne concurrence pas les exportations des territoires d'outremer associés au marché commun. D'une manière générale, on peut donc faire abstraction ici de l'accord d'association.
42. Les oranges, mandarines et clémentines représentent environ 85 % des importations d'agrumes en Europe occidentale (ainsi que 85 % des exportations d'agrumes d'Israël). Pour ces trois fruits, le total des importations de l'Europe occidentale a atteint en 1956 269 millions de dollars (les Six en ayant importé pour 179 millions de dollars et les Onze pour 90 millions). Environ 11 % de ce total ont été fournis par l'Italie et 6 % par l'Algérie, la majeure partie provenant de pays non compris dans la zone de libre-échange, principalement l'Espagne, la Tunisie, le Maroc et Israël. Israël a fourni pour environ 31 millions de dollars de ces produits — soit de 11 à 12 % du total des importations de l'Europe occidentale — dont environ 8 millions aux Six et 23 millions aux autres pays de l'O.E.C.E.
43. Ainsi la préférence créée par la zone de libre-échange profitera surtout à l'Italie et à l'Algérie. Ces deux pays ne seront cependant pas en mesure, dans un avenir prévisible, de supplanter les autres producteurs. En outre, la concurrence entre les producteurs d'agrumes se trouve limitée par l'étalement des saisons de récolte.
44. On peut donc être fondé à conclure que les débouchés qu'offre l'Europe occidentale à Israël pour son principal produit d'exportation, les agrumes, ne paraissent pas devoir être gravement menacés par la création de la zone de libre-échange telle qu'on la conçoit aujourd'hui. Il en serait tout autrement si l'Espagne, le Maroc et la Tunisie s'associaient, d'une manière ou d'une autre, à la zone de libre-échange ou au marché commun.