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Avis de commission | Doc. 11806 | 27 janvier 2009

La mise en œuvre de la Résolution 1633 (2008) sur les conséquences de la guerre entre la Géorgie et la Russie

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Andreas GROSS, Suisse, SOC

Origine - Voir Doc. 11800 présenté par la commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres (commission de suivi). 2009 - Première partie de session

A. Conclusions par la commission des questions politiques

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1. La commission des questions politiques partage les points de vue et les inquiétudes exprimées dans le rapport de la commission de suivi relatifs à la mise en œuvre de la Résolution 1633 (2008) ainsi que son évaluation de la situation.
2. En outre, la commission souhaite faire les recommandations suivantes:
a. L’Assemblée devrait continuer à œuvrer en faveur d’un règlement du conflit qui oppose la Géorgie et la Russie. Pour ce faire, elle devrait poursuivre son activité de diplomatie parlementaire et encourager le dialogue bilatéral entre les parlementaires des deux Etats membres concernés.
b. L’Assemblée devrait peser de tout son poids pour faciliter l’ouverture et le succès de négociations sur le rétablissement de la présence de l’OSCE en Géorgie dès l’année prochaine.
c. La communauté internationale doit saisir les possibilités qui s’offrent à elle de régler les conflits du Haut-Karabakh et de la Transnistrie. L’Assemblée doit être plus active sur ces questions. Elle doit aussi suivre attentivement la situation politique en Ukraine, tant interne qu’au regard de la stabilité régionale.
d. L’Assemblée doit s’attacher, avec un regain d’énergie et d’enthousiasme, à encourager un esprit de dialogue et de partenariat parmi ses Etats membres, avec la pleine inclusion de la Russie.
e. Le Conseil de l’Europe et l’Assemblée devraient jouer un rôle accru dans le domaine de la prévention des conflits.
f. La commission des questions politiques devrait suivre les conséquences de la guerre entre la Géorgie et la Russie au niveau de la stabilité régionale, tel que demandé par le Bureau de l’Assemblée en tant que suite de la Résolution 1633 (2008), et devrait être saisie pour rapport sur ce sujet.

B. Amendements proposés par la commission des questions politiques

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La commission des questions politiques a décidé de proposer les amendements suivants au projet de résolution:

Amendement A (au projet de résolution)

Au paragraphe 1, remplacer la phrase:

«Le 2 octobre, l’Assemblée parlementaire a adopté la Résolution 1633 (2008) sur “Les conséquences de la guerre entre la Géorgie et la Russie”»
par la phrase suivante:
«L’Assemblée parlementaire réaffirme pleinement sa Résolution 1633 (2008) sur “Les conséquences de la guerre entre la Géorgie et la Russie”, adoptée le 2 octobre 2008.»

Amendement B (au projet de résolution)

Au paragraphe 12, après la phrase:

«Celui-ci pourrait prévoir la mise en place d’une présence sur le terrain dans les deux régions séparatistes, comme le demandait l’Assemblée dans sa Résolution 1633 (2008)»,
ajouter la partie de phrase suivante:
«y inclus un médiateur (ombudsman) qui pourrait traiter des demandes individuelles dans des cas de violations des droits de l’homme».

Amendement C (au projet de résolution)

Après le paragraphe 14, ajouter un nouveau paragraphe comme suit:

«Ayant considéré les conséquences de la guerre entre la Géorgie et la Russie sur des autres “conflits gelés” en Europe, l’Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l’Europe à intensifier leurs efforts diplomatiques afin de trouver des solutions qui évitent des confrontations violentes. En même temps, l’Assemblée devrait intensifier ses activités sur ces questions, notamment en ce qui concerne le Haut-Karabakh et la Transnistrie.»

Amendement D (au projet de résolution)

Après le paragraphe 14, ajouter un nouveau paragraphe comme suit:

«L’Assemblée réitère son engagement à jouer un rôle dans le domaine de la prévention des conflits et, dans ce cadre, salue la création d’une sous-commission ad hoc sur les systèmes d’alerte précoce et la prévention des conflits en Europe au sein de sa commission des questions politiques.»

C. Exposé des motifs, par M. Gross

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1. Introduction

1. Je tiens à féliciter les rapporteurs de la commission de suivi pour leur travail. Je partage leurs points de vue et leurs inquiétudes en ce qui concerne la mise en œuvre de la Résolution 1633 (2008) et souscris à leur analyse de la situation actuelle.
2. Lorsque des conflits dégénèrent en vraie guerre entre deux Etats membres du Conseil de l’Europe, un certain nombre de questions se posent au Conseil de l’Europe et à l’Assemblée parlementaire: pourquoi n’avons-nous pas réussi à empêcher cette guerre? Avons-nous prêté suffisamment attention aux conflits entre les deux pays concernés? Avons-nous négligé des développements importants? Sommes-nous incapables d’influencer nos propres membres pour qu’ils ne cherchent pas à résoudre leurs conflits par la violence? Existe-t-il d’autres situations en Europe qui risquent de tourner à l’affrontement violent entre Etats dans l’avenir? Comment l’éviter?
3. Je traiterai essentiellement, dans cet avis, des moyens d’établir la paix dans la région et de ce que nous devrions faire aujourd’hui pour éviter une guerre en Europe demain, et après-demain, en tirant les enseignements de la guerre entre la Géorgie et la Russie. Pour ce faire, je m’appuierai sur les discussions intéressantes et de grande ampleur que le Comité des présidents a eues aussi bien à Tbilissi qu’à Moscou, qui ont largement dépassé l’analyse de la situation d’après-guerre pour aborder les chances de parvenir à garantir la stabilité de la région à l’avenir.

2. La guerre est terminée, les conflits ne le sont pas

4. Même si les opérations militaires sont terminées, les conflits entre la Géorgie et la Russie, à l’origine de l’escalade de la violence en août, sont loin d’être résolus. Au contraire, comme le montre en détail le rapport de la commission de suivi, un certain nombre d’incidents impliquant toutes les parties en présence se sont produits depuis la fin des hostilités. En fait, ces incidents semblent se multiplier, faisant craindre une escalade qui pourrait aboutir à un nouveau conflit militaire.
5. Des informations particulièrement inquiétantes ont été rapportées de Moscou où certaines sources affirment que des éléments portent à croire que l’armée géorgienne serait en train de se réarmer, ce qui indiquerait que la Géorgie se prépare à rouvrir la guerre. Nous devons tout faire pour l’éviter.
6. Bien que les deuxième et troisième cycles de négociations conduits à Genève sous l’égide de l’Union européenne aient été constructifs à certains égards, la Russie n’est pas revenue sur sa reconnaissance de l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, comme le demandait l’Assemblée dans sa Résolution 1633 (2008). De plus, des troupes russes restent stationnées à Akhalgori et dans les zones à peuplement géorgien de Haute Abkhazie, deux régions qui n’ont pas été touchées directement par les opérations militaires pendant la guerre. Il va sans dire que la Géorgie refuse d’accepter une limitation de son intégrité territoriale.
7. L’animosité continue de régner entre les parties. A ce jour, la Géorgie n’a pas rétabli l’accès aux sites web russes depuis son territoire. On peut en revanche se féliciter qu’elle ait repris, le 25 janvier 2009, l’approvisionnement en gaz de la région séparatiste d’Ossétie du Sud, coupé depuis le début de la guerre. Je crois qu’il convient de faire remarquer que la Russie n’a jamais cessé ses livraisons de gaz à la Géorgie depuis le début de la guerre.
8. De son côté, la Russie a voté contre le renouvellement du mandat de l’OSCE en Géorgie, qui courait depuis 1992. L’OSCE va donc devoir mettre fin à ses nombreuses activités dans le pays pour cette année. La Russie a justifié son refus par l’impossibilité d’accepter que les activités de l’OSCE en Ossétie du Sud soient associées, d’une manière ou d’une autre, à celles menées dans le reste de la Géorgie, Moscou ayant reconnu l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud.
9. Ces signes inquiétants donnent à penser que les tensions sont fortes et que la situation est explosive. L’Europe ne peut pas se permettre une nouvelle guerre dans une région globalement instable où un certain nombre de conflits ne sont pas résolus.
10. Il faudra aussi éviter que le statut des deux régions séparatistes puisse conduire à une escalade de la violence ou même à une guerre. Leur avenir et leurs relations avec leurs voisins doivent faire l’objet de négociations diplomatiques.
11. Pour reprendre une idée de mon collègue David Wilshire, je tiens à dire que pour prévenir de nouvelles violences, il faudra de la flexibilité sur la question du statut des deux régions. Il faudra aussi de la flexibilité en ce qui concerne l’accès à ces deux régions pour pouvoir apporter une réponse humanitaire adaptée et de l’aide à ceux qui souffrent.
12. L’expression «conflits gelés» est trompeuse: il n’est pas possible de garantir qu’un conflit «gelé» n’aura pas d’effets. Le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe a raison de vouloir remplacer l’expression «conflits gelés» par «volcans en sommeil». C’est ce à quoi nous sommes confrontés aujourd’hui: les conséquences de l’explosion d’un volcan en sommeil en Abkhazie et en Ossétie du Sud. Dans le Haut-Karabakh, l’explosion serait encore plus destructrice et entraînerait bien plus de souffrances humaines.

3. Progression vers un règlement du conflit du Haut-Karabakh: une retombée positive de la guerre entre la Géorgie et la Russie?

13. Loin de s’être propagée dans le Sud-Caucase, la guerre entre la Géorgie et la Russie semble avoir eu pour conséquence, entre autres, l’apparition de certains signes positifs permettant d’espérer que le règlement du conflit du Haut-Karabakh est à portée de main. Au moins certains des pays concernés semblent-ils comprendre que le moment est venu pour eux d’être plus proactifs.
14. Au cours de la guerre, l’Azerbaïdjan et l’Arménie ont montré qu’ils avaient le sens des responsabilités. L’Azerbaïdjan a adopté une attitude neutre et s’est abstenu de critiquer ouvertement l’intervention russe. Cette attitude s’explique peut-être par la crainte que la Russie ne pousse ses reconnaissances à d’autres régions séparatistes, dont le Haut-Karabakh.
15. L’Arménie de son côté ne s’est pas servie de la reconnaissance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud par la Russie pour reconnaître l’indépendance du Haut-Karabakh.
16. Cette modération s’explique notamment par la vulnérabilité stratégique et économique de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie, mise en évidence par la guerre entre la Géorgie et la Russie. En effet, en coupant momentanément toutes les voies d’acheminement du gaz et du pétrole sur le territoire géorgien, la guerre a nui aux exportations énergétiques de l’Azerbaïdjan. L’économie arménienne a été encore plus touchée étant donné que, du fait du blocus que lui imposent la Turquie et l’Azerbaïdjan, 70 % de ses exportations transitent habituellement par la Géorgie. Enclavée, l’Arménie s’est retrouvée coupée de la Russie, son principal allié militaire, avec lequel elle entretient des liens économiques étroits. La seule voie de communication terrestre entre l’Arménie et la Russie passe aujourd’hui par l’Azerbaïdjan.
17. Au lendemain de cette guerre, l’Azerbaïdjan et l’Arménie pourraient donc avoir un intérêt renouvelé pour améliorer leurs relations, ce qui passe par la résolution du conflit du Haut-Karabakh. En outre, l’Arménie pourrait avoir de bonnes raisons de normaliser ses relations avec la Turquie afin de briser son isolement économique. Ce n’est pas par hasard que, juste après la guerre entre la Géorgie et la Russie, le Président turc, Abdullah Gül, a lancé une nouvelle initiative de sécurité régionale, baptisée «Plate-forme de coopération et de stabilité du Caucase». Auparavant, il s’était rendu en Arménie pour ce qui a été la première visite présidentielle turque en Arménie. Cette visite a été suivie de réunions des ministres des affaires étrangères.
18. Parallèlement, la Russie ressent plus impérieusement la nécessité de parvenir à un règlement rapide du conflit pour tenter d’améliorer ses relations avec l’Azerbaïdjan, mettre fin à l’isolement de son principal allié dans la région, l’Arménie, et renforcer son rôle de bâtisseur de paix dans le Sud-Caucase.
19. C’est dans ce contexte que les Présidents russes, azerbaïdjanais et arménien ont signé la «Déclaration de Moscou» sous les auspices de la Russie, le 2 novembre 2008. Le texte réaffirme leur volonté de résoudre politiquement le différend sur le Haut-Karabakh.
20. Il importe maintenant au plus haut point que les parties au conflit et le Groupe de Minsk de l’OSCE restent sur leur lancée et fassent tout leur possible pour garantir un règlement durable du conflit. L’Assemblée, pour sa part, devrait également reprendre ses activités sur la question dans le cadre de la commission ad hoc sur la mise en œuvre de la Résolution 1416 (2005) sur le conflit du Haut-Karabakh traité par la Conférence de Minsk de l’OSCE.

4. Caucase du Nord

21. La situation tendue et instable du Caucase du Nord, en particulier en Tchétchénie, au Daghestan et en Ingouchie, inquiète la Russie mais aussi le Conseil de l’Europe.
22. En Ingouchie notamment, la sécurité s’est dégradée ces derniers mois malgré le changement de dirigeant (meurtres, enlèvements, attentats à l’explosif).
23. L’avenir du Caucase du Nord dépend dans une large mesure du règlement ou de l’aggravation des problèmes et conflits à l’échelle régionale. S’ils s’aggravent, on assistera inévitablement à une escalade de la violence, à la multiplication des attentats terroristes et à une fracture de plus en plus nette avec le reste de la Fédération de Russie aux plans politique, culturel, religieux et économique.
24. Il se peut que de nombreux observateurs occidentaux aient sous-estimé les liens de loyauté culturelle et sociale qui unissent les peuples du Caucase du Nord et du Sud. Ces loyautés expliquent peut-être en grande partie pourquoi la Fédération de Russie a riposté aussi rapidement et avec autant de détermination à l’attaque contre les troupes russes de maintien de la paix à Tskhinvali.

5. Transnistrie et Ukraine

25. Contrairement à ce que craignaient dans un premier temps certains experts et médias, Moscou s’est bornée à reconnaître l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, en laissant de côté d’autres régions à velléités séparatistes comme la Transnistrie.
26. Paradoxalement, au lendemain de la guerre entre la Géorgie et la Russie, les perspectives de solution négociée en Transnistrie se sont améliorées, le Gouvernement moldove ayant réaffirmé qu’il était pleinement favorable à une solution négociée non violente offrant la plus large autonomie possible à la Transnistrie.
27. La Russie devrait être motivée pour faire pression sur les dirigeants de Transnistrie pour qu’ils acceptent le compromis, ce qui confirmerait le caractère exceptionnel de son attitude à l’égard des déclarations d’indépendance unilatérales de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, attitude qui ne marque en aucune manière un nouveau tournant, plus agressif, de sa politique étrangère vis-à-vis de ses voisins occidentaux. A cette fin, l’ouverture d’un nouveau processus de négociation a été planifiée lors de réunions du Président russe Medvedev avec le Président moldove Voronine à Sotchi (25 août 2008) et avec le dirigeant transnistrien Smirnov à Moscou (3 septembre 2008).
28. De la même manière, la Russie a donné des arguments très convaincants montrant qu’il n’était pas dans son intérêt de soutenir la sécession d’une partie du territoire ukrainien. Cependant, la préservation de l’unité d’un pays aussi divisé du point de vue social et culturel est un défi de taille pour ses dirigeants qui sont eux-mêmes très partagés politiquement.
29. Dans les mois à venir, l’Assemblée devrait suivre avec une attention particulière l’évolution de la situation politique en Moldova et en Ukraine. Les rapporteurs de la commission de suivi concernés se devront d’être proactifs et formuler des recommandations constructives. L’Ukraine a aussi besoin d’assistance au niveau conceptuel sur la façon d’intégrer les différents groupes présents dans sa société et sur le moyen de renforcer l’unité de l’Etat sans mettre en question les différentes identités de sa population. Les enseignements tirés de l’expérience d’autres Etats multiethnique seraient utiles.

6. Un avenir commun en partenariat avec la Russie

30. Contrairement à ce que prétendent certains politiques et universitaires, je ne crois pas que la politique étrangère de la Russie ait changé, qu’elle soit devenue une politique d’affrontement. Je suis convaincu que ces dernières années, l’«Occident» – c’est-à-dire les Etats-Unis et les pays européens – a fait plusieurs erreurs, la première ayant été de sous-estimer l’importance d’agir en réel partenariat avec la Russie. Pourtant, aucun des grands problèmes de l’Europe ou du monde ne peut être résolu sans la Russie ou contre elle.
31. Comme le déclarait récemment Sir Roderic Lyne, ex-ambassadeur du Royaume-Uni en Russie: «L’affrontement ne répond à aucun besoin objectif. Le Président Medvedev a déclaré à Evian que "l’affrontement ne nous intéresse pas du tout". En venir à cette extrémité serait coûteux et dommageable pour l’ensemble de nos intérêts. La gestion des problèmes mondiaux est pour nous d’un intérêt vital. La crise dans le Caucase et celle des marchés financiers ont eu l’effet salutaire de nous rappeler notre interdépendance et notre aptitude à coopérer lorsque nous y sommes obligés.» 
			(1) 
			Sir Roderic Lyne, «From
the Megaphone to the Microphone?», Russia
in Global Affairs, vol. 6, no 4,
octobre-décembre 2008, p. 37 à 50.
32. Pour créer les meilleures conditions en vue d’établir un partenariat, nous devons apprendre à nous mettre les uns à la place des autres. Un vrai partenariat n’interdit à aucun des partenaires de poser les questions qui fâchent et de faire des remarques critiques si nécessaire.
33. En ce sens, je souhaiterais citer l’analyse que fait un expert russe des événements qui ont conduit à la guerre entre la Géorgie et la Russie:
«Au tournant du XXIe siècle, en deux décennies – un grain de sable au regard de l’Histoire – le monde a connu des bouleversements dans tous les domaines: l’économie, la politique, le droit, les technologies de l’information et les échanges culturels et humanitaires. Les pays sont devenus de plus en plus interdépendants à mesure que le processus de mondialisation s’intensifiait, ce qui a eu deux conséquences: de nouvelles perspectives pour une diplomatie multilatérale et la multiplication des mouvements transfrontières de personnes et de capitaux.
Au début des années 1990, la nouvelle Russie indépendante s’est engagée avec empressement sur la voie des réformes internes et de l’intégration dans l’économie mondiale. Elle a établi des relations de partenariat avec l’OTAN et l’Union européenne, en s’imposant à elle-même des restrictions considérables en matière d’armement conventionnel et de puissance militaire. Il y a encore peu de temps, la Russie coopérait avec l’OTAN dans le cadre de forces multinationales de rétablissement de la paix dans les Balkans. L’élargissement de l’OTAN aux pays d’Europe centrale et orientale et aux pays Baltes a été relativement pacifique, bien que Moscou ait exprimé clairement son objection de principe à cette politique occidentale en l’absence de toute menace militaire à l’Est. Parallèlement, la Russie et l’OTAN ont mis en place des dispositifs concrets d’action conjointe dans la perspective d’un partenariat stratégique.
Dès les premières années de la présidence de Vladimir Poutine, Moscou n’a pas hésité à prêter son concours aux Etats-Unis après les attentats terroristes de dimension internationale commis sur leur territoire. La Russie a alors offert une aide qui, loin de se limiter à de vaines paroles, s’est traduite par des actes, notamment le sacrifice de certains intérêts touchant à sa sécurité nationale en Asie centrale.
A cette époque, la Russie et l’Occident entretenaient encore l’espoir illusoire d’un règlement non conflictuel de leurs différends, basé sur leurs intérêts communs face aux nouveaux problèmes surgissant sur la scène mondiale.
Les dirigeants russes se sont montrés disposés à faire des compromis de taille, étant donné que les pays occidentaux leur rendaient la pareille et faisaient preuve de discernement dans l’évaluation des difficultés de la transition démocratique en Russie.
Hélas, à l’Ouest, des représentants conservateurs de l’OTAN ont vu dans cette attitude le consentement d’une Russie affaiblie à jouer le rôle d’un partenaire de second rang et une chance inespérée d’occidentaliser le monde sous l’égide de structures internationales de coopération et de sécurité fortement influencées par les Etats-Unis. (…) Les relations entre la Russie et l’Occident ne sont pas passées en une nuit de la période postconflit idyllique à l’épreuve de force politiquement correcte. Les deux parties ont maintenu une coopération commerciale de façade pendant un certain temps tandis que les divergences sur les solutions à apporter aux grands problèmes du monde s’accumulaient. George W. Bush a affirmé à de multiples reprises que les Etats-Unis ne considéraient pas la Russie comme un ennemi alors que Moscou affirmait avec conviction que le temps du conflit était révolu et que l’histoire ne se répéterait pas.» 
			(2) 
			Alexander Aksenyonok,
«Paradigm change in Russian Foreign Policy»,
Russia in Global Affairs, p. 66 et suivantes.
34. Et voilà une autre citation d’un expert russe à propos de la politique étrangère de la Russie, que nous devrions prendre en compte si nous voulons parvenir à développer de nouvelles politiques communes en partenariat:
«A part ses ressources naturelles, la Russie d’aujourd’hui n’a rien à offrir qui mérite le moindre intérêt et encore moins le sacrifice de vies humaines. Sa diplomatie d’influence (soft power), sa capacité d’attraction par la persuasion et son influence morale et idéologique ne représentent plus rien. Elle n’est animée ni par un idéal démocratique (comparable à celui des Etats-Unis), ni par un idéal fondamentaliste (comparable à celui de certains pays et mouvements islamiques). Elle n’est ni un modèle d’intégration réussie fondée sur la démocratie (comme les Etats-Unis), ni un modèle de développement rapide (comme la Chine (…)). La Russie n’est pour aucun pays un allié indispensable (comme le Japon pour les Etats-Unis), ou un ennemi irréductible (comme l’Iran pour les mêmes Etats-Unis).
Par ailleurs, la tentative d’intégration de la Russie à l’Europe a échoué. La Russie doit donc chercher des moyens de renforcer sa puissance de persuasion et s’interroger sur ce qu’elle a à offrir au reste du monde, même si cela n’est pas à la même échelle qu’à la période soviétique.
L’adoption par la Russie d’une nouvelle politique étrangère passe par un certain nombre de mesures: cerner les intérêts fondamentaux du pays, comprendre lesquels correspondent aux intérêts d’autres acteurs internationaux majeurs sur l’échiquier politique mondial, transformer les centres d’intérêts convergents en lignes de force de la politique étrangère et, grâce à la coopération dans ces domaines d’intérêt commun, amener les partenaires à faire des concessions sur les points où leurs intérêts ne vont pas dans le même sens que ceux la Russie.
Vu la situation actuelle de la Russie, ses intérêts nationaux fondamentaux ne doivent pas être définis de manière trop large mais se limiter aux seuls intérêts qui comptent directement pour l’avenir de la nation, ceux qu’elle doit défendre de toutes ses forces. La Russie actuelle ne cherche pas à conquérir le monde et à lui imposer son idéologie à l’instar de l’Union soviétique, c’est pourquoi ses intérêts sont, aujourd’hui bien davantage qu’hier, nationaux. A présent, son principal objectif est de s’assurer un développement économique et social rapide, d’élever la qualité de vie au niveau des pays les plus avancés et de garantir la stabilité politique et sociale.» 
			(3) 
			Alexander Lukin, «From
a Post-Soviet to a Russian Foreign Policy»,
Russia in Global Affairs, p. 52 à 65.
35. Le Conseil de l’Europe a un rôle important à jouer pour reconstruire un dialogue réel et significatif et la compréhension mutuelle entre ses Etats membres.
36. Le monde a besoin de mettre au point une nouvelle architecture internationale pour la sécurité et la coopération afin d’apporter des réponses aux nouvelles réalités politiques. A cet égard, la proposition du Président Medvedev relative à un nouveau pacte de sécurité européen mérite d’être prise en considération attentivement et appelle une vraie réponse.
37. Mon espoir est que la nouvelle administration américaine fera preuve de plus d’empathie et de clairvoyance que la précédente. Dans son discours d’investiture, le Président Obama a fait part de son intention de recourir au dialogue à la négociation plutôt que d’imposer les décisions des Etats-Unis.

7. Scénarios pour le long terme

38. «Il faut penser à après-demain pour préparer demain», écrivait il y a peu le professeur Egberg Jahn, de l’université de Mannheim 
			(4) 
			Egberg Jahn, Osteuropa 58, Berlin, novembre 2008,
p. 5 à 18..Autrement dit, nous devons nous pencher avec audace, imagination et clairvoyance sur tous les scénarios possibles pour le long terme, même s’ils semblent aujourd’hui provocateurs et irréalistes:
  • un premier scénario pourrait être que la reconnaissance du Kosovo et de l’Abkhazie remodèlera le droit international et que l’indépendance de ces entités sera aussi acceptée politiquement par la Serbie et la Géorgie, dans le cadre d’un règlement global qui permette à certains de ces pays d’atteindre leurs principaux objectifs de politique étrangère, comme l’intégration à l’Union européenne ou à une structure de sécurité commune;
  • un deuxième scénario pourrait être l’élaboration d’un nouveau pacte régional pour la paix et la sécurité dans le sud du Caucase, négocié par l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, l’Union européenne, la Russie, les Etats-Unis et la Turquie, pacte qui pourrait prévoir la démilitarisation de certaines zones de la région;
  • un troisième scénario pourrait être que l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie, ainsi que l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, deviennent des entités et des Etats neutres dont la sécurité commune serait garantie par l’Union européenne, la Russie et les Etats-Unis, que cela passe ou non par la création de nouvelles formes de fédération d’Etats;
  • un quatrième scénario pourrait être que l’Ossétie du Sud et le Haut-Karabakh deviennent des régions administrées conjointement par la Géorgie et la Russie pour la première, par l’Arménie et l’Azerbaïdjan pour la seconde, avec des garanties de sécurité de la part des principaux acteurs de la communauté internationale.
39. Pour que des scénarios qui semblent actuellement aussi irréalistes deviennent de l’ordre du possible, nous devons nous ouvrir au dialogue et à la discussion avec tous les groupes, toutes les parties, tous les pays et toutes les régions.

8. Développer le rôle du Conseil de l’Europe dans le domaine de la prévention des conflits

40. Le Conseil de l’Europe a été créé pour veiller à prévenir et à combattre la violence entre les pays d’Europe. En août 2008, pour la première fois dans l’histoire de l’Organisation, deux de ses Etats membres sont entrés en guerre l’un contre l’autre. L’Assemblée – qui n’a pas été capable de prévenir cette guerre – a été profondément choquée.
41. L’un des enseignements à tirer de la guerre entre la Géorgie et la Russie est, me semble-t-il, que le Conseil de l’Europe doit renforcer son rôle dans le domaine de la prévention des conflits pour éviter qu’ailleurs les tensions ne dégénèrent en violences généralisées. Tel que stipulé dans la Résolution 1633 (2008) sur les conséquences de la guerre entre la Géorgie et la Russie, «la démocratie, les droits de l’homme et la primauté du droit ne peuvent être vraiment respectés sans paix».
42. L’Assemblée peut très largement contribuer à ce travail de prévention en promouvant le dialogue interparlementaire et en pratiquant une diplomatie parlementaire. En fait, il faudrait qu’une structure permanente soit chargée, au sein de l’Assemblée, de suivre les situations politiques sensibles et de tirer le signal d’alarme avant que les violences n’éclatent. Dans cette optique, la nouvelle sous-commission ad hoc sur les systèmes d’alerte précoce et la prévention des conflits en Europe ne devrait pas cesser ses activités après la conférence sur les systèmes d’alerte précoce.
43. Dans ce contexte, le Conseil de l’Europe devrait envisager d’être présent sur le terrain, dans ces deux régions, en la personne d’un médiateur qui serait chargé de traiter les réclamations concernant les questions relatives aux droits de l’homme et de rendre compte au Conseil de l’Europe, à Strasbourg, sur ces questions.

___________

Commission chargée du rapport: commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres (commission de suivi).

Commission saisie pour avis: commission des questions politiques.

Renvoi en commission: Renvoi no 3496 du 28 novembre 2008.

Avis approuvé par la commission le 27 janvier 2009.

Secrétariat de la commission: M. Perin, Mme Nachilo, M. Chevtchenko, Mme Sirtori-Milner, Mme Alleon