1. Introduction
1. En tant que promoteur de la proposition de recommandation
sur ce projet, et rapporteur de la commission de la culture, de
la science et de l’éducation, je tiens à exprimer ma gratitude à
Mme Barbara Putz-Plecko, de l’Université
des arts appliqués de Vienne, qui a préparé le rapport général
et
participé à un échange de vues avec la commission. Mes remerciements
vont également aux membres de la commission qui ont participé aux
discussions animées lors de plusieurs réunions de la commission
et apporté d’utiles contributions à ce travail.
2. Simon Rattle fait l’analyse suivante: «En matière d’éducation,
il devient évident que la société est en train de changer: nous
n’avons plus rien à faire d’un modèle de ruche où un millier d’abeilles
ouvrières étaient au service d’une reine. Dans les milieux professionnels,
tout le monde me dit que nous éduquons les jeunes en fonction des
besoins d’aujourd’hui. Nous n’avons pas besoin d’individus au système
de pensée rigide. Il nous faut des personnes capables d’une vision
globale, qui sachent créer des liens, des liens inattendus. Et c’est
bien dans ce domaine que les arts excellent et que l’éducation artistique
peut apporter plus que toute autre discipline».
3. L’éducation doit prendre en considération les défis que lui
lance la société. Le monde est caractérisé par une évolution rapide,
une mondialisation croissante et des relations économiques, sociétales
et culturelles toujours plus complexes. L’information, l’éducation
et le savoir deviennent progressivement les moteurs des nouvelles
structures socio-économiques. Les qualifications et compétences
des citoyens deviennent ainsi notre matière première essentielle,
et donc des facteurs déterminants dans la compétition internationale.
Elles sont la clé de l’avenir de chacun de nos pays.
4. Selon le ministère fédéral autrichien de l’Education, des
Sciences et des Arts: «Pour anticiper ces énormes défis que nous
devons relever, il faut jeter les fondements d’une éducation appropriée
qui fournira les jalons et l’orientation nécessaires et nous permettra
une approche constructive et critique face à un monde en rapide
évolution».
5. Les établissements d’enseignement doivent non seulement comprendre,
mais aussi anticiper l’évolution des besoins, afin de préparer correctement
les enfants et les adolescents à la vie professionnelle et sociale. Dans
ce sens, l’art et la culture constituent des éléments indispensables
d’une éducation globale ayant pour but le bien-être de chaque individu,
son épanouissement optimal et sa participation active à la vie de
la société en tant que membre créatif de la collectivité.
6. La capacité à relever de manière efficace les défis auxquels
sont confrontés la société et chaque individu, la capacité de gérer
de manière responsable les ressources et l’environnement, de bonnes compétences
relationnelles et de communication, une bonne capacité de réflexion
ainsi que la capacité d’apprendre, de prendre des décisions et d’agir
avec compétence sont des objectifs de l’éducation dont la réalisation
contribue considérablement à améliorer la vie.
2. L’éducation
artistique et culturelle
7. Ainsi, l’expérience artistique favorise des processus
d’apprentissage extrêmement importants, comme par exemple la reconnaissance
et la prise en compte de la différence, ou bien la capacité de trouver
des correspondances et d’établir des liens au sein d’un groupe hétérogène.
8. Par sa vision du monde et son approche de la créativité, l’art
peut, comme la science, contribuer au développement global de la
société. En outre, l’éducation culturelle crée une base constructive
pour les rencontres et les discussions, la coexistence et la coopération.
L’art constitue une des bases de la culture générale et non pas
un luxe qui peut éventuellement se rajouter lorsque tous les autres
objectifs de l’éducation sont atteints.
9. La mission de l’école dans notre société consiste non seulement
à transmettre des savoirs et des compétences à nos enfants, mais
aussi à ouvrir des espaces d’expérimentation et de développement permettant
aux jeunes de mieux se connaître et se familiariser avec le monde,
et favorisant l’épanouissement de leur personnalité.
10. L’éducation «dans les disciplines artistiques» et l’éducation
«par les arts» sont les clés de l’éducation culturelle au sens large,
dont elles constituent en même temps des éléments essentiels. Selon
la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’éducation doit
viser l’épanouissement de la personnalité, des talents et des aptitudes
mentales et physiques de chaque enfant.
11. Selon l’analyse d’Anne Bamford dans l’inventaire mondial comparatif
et systématisé qu’elle a réalisé pour l’UNESCO, intitulée The WOW Factor, l’éducation culturelle,
à savoir l’éducation dans les disciplines artistiques et l’éducation
par les arts (qui utilise les méthodes de l’enseignement artistique
comme outils pédagogiques dans toutes sortes de disciplines), contribue
de manière importante à cet objectif. Elle est en effet un moteur
du développement personnel.
12. Les parents sont de plus en plus conscients de ce fait. En
Autriche, la dernière enquête culturelle de l’Institut de recherches
sociales empiriques (Ifes, Institut für Empirische Sozialforschung)
a révélé que les parents souhaitent plus d’art et de culture à l’école,
parce qu’ils considèrent l’éducation culturelle extrêmement importante
pour le développement de la personnalité de leurs enfants. De son
côté, le Conseil nordique vient de désigner l’éducation culturelle
comme un domaine auquel l’école devra accorder plus d’attention
dans les années à venir, pour le développer en conséquence.
13. Les processus artistiques permettent de découvrir le monde
«autrement». L’apprentissage est un processus créatif. Ce que nous
apprenons dépend en grande partie de la manière dont nous apprenons:
du lieu, de l’ambiance, du temps et du rythme de l’apprentissage,
ainsi que de la clarté de l’enseignement. Les méthodes d’enseignement
inspirées par l’art ouvrent de nouveaux espaces d’expérimentation
et de développement. C’est un constat facilement identifiable, examiné
et décrit dans de nombreuses études. Elles permettent de transmettre
des connaissances et des idées de manière extrêmement vivante et
claire. Elles favorisent une compréhension positive de la diversité,
d’approches différentes et de points de vue multiples – en permettent,
par exemple, de comprendre qu’il y a plusieurs réponses possibles
et plus d’une solution à un problème.
14. Entre autres, l’évolution de la situation démographique, à
laquelle l’école doit aujourd’hui s’adapter de manière constructive,
a mis en évidence le fait qu’il n’existe pas de culture homogène
pour tous, et nous sommes plus que jamais appelés à tenir compte
de cette réalité. Une approche fondée sur les capacités logiques
et artistiques et la sensibilité des enfants leur permet de découvrir
de nouveaux mondes et de s’y familiariser de manière ludique.
15. Les facteurs essentiels de cette approche sont la perception
et la créativité, le plaisir et la curiosité de voir et d’entendre,
d’essayer, de simuler, de transformer de manière ludique et de produire
des effets nouveaux, avec l’aide et sous le contrôle des enseignants.
Et bien sûr, encore et toujours, l’invention. Ces facteurs permettent
un accès indispensable et différent au monde extérieur et aux choses
de l’esprit (parallèlement à l’accès cognitif via les technologies
et les médias). Il est prouvé que tous nos sens sont nécessaires
à notre développement: des études neuroscientifiques montrent que
la pensée est stimulée par les sens et que la neuroplasticité est
utile à la créativité.
16. L’alphabétisation – conçue comme objectif de l’éducation et
compétence clé – doit viser au-delà de la maîtrise de la langue
considérée comme moyen d’expression et de communication. La créativité
s’exprime en de multiples «langages». L’école doit offrir le temps
et l’espace nécessaires au développement de formes d’expression
linguistiques et non linguistiques. Il faut favoriser ou même créer
des situations expérimentales permettant aux jeunes de découvrir
et de créer, d’inventer de nouveaux modes d’action selon leur propre langage,
avec leurs méthodes et leurs formes d’expression propres.
17. Une démarche artistique implique toujours une recherche personnelle
en même temps qu’une réflexion créative. Elle permet une meilleure
compréhension de soi-même ainsi qu’une meilleure compréhension du monde
et la création de nouveaux liens avec le monde. Et elle est une
source de compréhension et de connaissance spécifique.
18. L’éducation esthétique, ou éducation artistique, associe la
connaissance et l’émotion. Nous savons que ceux qui n’apprennent
pas à gérer leurs émotions risquent d’avoir d’énormes lacunes concernant
la perception de la réalité, la capacité de prendre des décisions,
les compétences utiles à la vie quotidienne et aux relations sociales.
3. La mise en œuvre
de l’éducation culturelle
19. Il est surprenant de constater que ces évidences
sont peu prises en compte. S’il y a eu de nombreuses déclarations
d’intention, peu de mesures ont été prises en matière de politique
de l’éducation pour faciliter et promouvoir un changement de système.
Il convient de redoubler d’effort pour établir des synergies entre
les connaissances, les compétences et la créativité. A quelques
exceptions près, les responsables de l’éducation souscrivent à ces
idées sans réelle conviction.
20. Dans de nombreux pays d’Europe, la diminution des heures de
cours et les changements de priorités se font au détriment de ces
domaines d’éducation, si bien que les potentialités des enfants
et des adolescents restent souvent ignorées. Non seulement les chances
de développement de certains sont gâchées précocement, mais leurs
capacités sont aussi perdues pour la société, alors que celle‑ci
a besoin plus que jamais des compétences et des qualités développées
grâce à l’éducation artistique et culturelle.
21. Ces compétences et qualités majeures sont:
- l’aptitude à observer et à percevoir
avec discernement;
- imagination, l’inventivité et l’intuition;
- la créativité pour les mettre en pratique;
- la sensibilité;
- la capacité de communiquer;
- la capacité de sélectionner et d’évaluer efficacement
l’information;
- la compréhension des relations et des corrélations;
- la capacité de réflexion critique;
- l’aptitude à associer la réflexion et l’action dans les
processus de création et d’organisation et à utiliser ses connaissances
en fonction des besoins;
- l’aptitude à la prise autonome de décisions;
- l’aptitude à l’innovation;
- l’aptitude à créer de nouvelles connexions.
22. La créativité et la capacité d’innovation sont des facteurs
décisifs pour un développement économique et social durable. Nous
sommes aujourd’hui à la fin de l’ère industrielle. Les aptitudes
et savoir-faire qui étaient nécessaires pour garantir l’ordre social
de la société industrielle perdent de leur importance. Le monde
du travail actuel n’est plus défini principalement par la demande,
mais par le renouvellement permanent et l’innovation. Une des principales
compétences recherchées à l’avenir sera la capacité de décider de
manière autonome, et sans se référer à des modèles préétablis, quelle
solution apporter à un problème nouveau.
23. La connaissance et la créativité sont les nouveaux facteurs
économiques. Des études montrent que les moteurs de l’économie à
l’avenir ne seront ni les matières premières et les machines, ni
les capitaux et les terres. Désormais, la réussite des pays et des
régions dépendra principalement des créateurs et des esprits novateurs.
24. «L’éducation créative», selon Monika Kircher‑Kohl, PDG de
Infineon Technologies Austria, «est indispensable à une économie
innovante. C’est l’éducation culturelle qui apprend à travailler
efficacement ensemble dans le respect et la compréhension au sein
d’équipes et d’organisations mondialisées. L’éducation artistique
donne aux jeunes le courage de franchir les frontières et de développer
pleinement leur personnalité, et pas seulement leurs talents intellectuels.
L’éducation dans une société démocratique est intrinsèquement liée
à ces qualités».
25. Par conséquent, il faut accorder une attention particulière
aux capacités potentielles multiples des jeunes et leur offrir les
moyens nécessaires à leur plein épanouissement. Malheureusement,
le changement de modèle promis n’a trouvé jusqu’ici que très peu
de répercussions dans le système éducatif, ou s’est limité à l’organisation
de stages de «créativité» très rigides.
26. L’Union européenne a reconnu le rôle majeur de la créativité
dans la réussite économique et sociale en déclarant l’année 2009
«Année européenne de la créativité et de l’innovation». Bien qu’aucun
budget spécifique ne soit consacré à cette initiative, les programmes
existants serviront à soutenir les manifestations organisées dans
le cadre de cette année.
27. La créativité – la capacité de créer – doit pouvoir se développer
librement et à son rythme; elle a besoin de patience et de confiance.
On ne peut pas la mesurer ni la classer en catégories. Elle se nourrit
de liberté et est allergique à l’autorité. Cependant, les systèmes
d’enseignement actuels sont d’énormes machines à classer et ranger,
qui s’opposent à tout comportement s’écartant de la norme. La créativité
a besoin pour s’exprimer d’individus autonomes et de communautés
tolérantes et ouvertes, qui sont des objectifs de l’éducation culturelle.
28. Un enseignement inadapté ou de mauvaise qualité constitue
un handicap. Néanmoins, la nette hiérarchisation des disciplines
scolaires, renforcée par l’instrument du programme PISA de l’OCDE, (actuellement
les disciplines prioritaires sont celles mesurées par PISA), qui
coïncide avec l’utilitarisme à courte vue caractérisant notre société,
ne facilite pas la réalisation des objectifs de l’éducation culturelle.
Cette tendance de la société à ne rechercher et n’apprécier que
l’utilité immédiate ne tient pas compte des corrélations et traduit
une absence de vision à long terme. Nous savons que les problèmes
futurs ne seront résolus que si les approches rationnelles sont
complétées par des modes de communication permettant de percevoir
et de comprendre des situations complexes. Ce n’est que dans ces
conditions que le savoir peut guider l’action.
29. Les langages artistiques contribuent de manière essentielle
au développement de ces différents modes de communication. Mais
à cause de la place très marginale qu’elles occupent dans la plupart
des systèmes d’éducation ou d’un enseignement de qualité médiocre,
au lieu d’être encouragées, certaines formes d’intelligence et de
compréhension sont, au contraire, entravées.
30. Les enseignants jouent un rôle crucial pour l’éveil et l’encouragement
du potentiel créatif des élèves. Ils sont aussi exemplaires par
leur manière d’enseigner et leur personnalité. C’est pourquoi la
formation des enseignants est si importante. Ils doivent pouvoir
capter l’attention des élèves et développer leurs capacités dans
le sens évoqué précédemment et dispenser un enseignement clair et
adapté aux objectifs poursuivis. En même temps, ils doivent être
ouverts à une approche interdisciplinaire et capables de travailler
en équipe.
31. En fait, de nombreux enseignants sont très favorables aux
activités artistiques et culturelles et certains y consacrent du
temps, ce qui a des effets positifs durables pour tous les participants.
Par contre, on constate une disproportion évidente entre l’engagement
personnel apporté par ces enseignants et le manque de soutien institutionnel
d’un système qui n’est pas suffisamment acquis à ces activités.
Trop souvent, les enseignants doivent surmonter toutes sortes d’obstacles
structurels avant de pouvoir mener à bien leurs activités. Les enseignants
et leurs syndicats devraient s’engager activement dans cette démarche,
avec le soutien des pouvoirs publics.
32. Les établissements artistiques et d’enseignement ont une mission
éducative. Il faut promouvoir une nouvelle culture de l’éducation,
en donnant des moyens d’action aux communautés éducatives et aux
réseaux de soutien nouvellement créés. Les institutions culturelles
doivent elles aussi repenser leur rôle en matière d’éducation culturelle.
D’une manière générale, elles privilégient la production, la présentation
et la conservation du patrimoine culturel, alors que l’éducation
vient au second plan.
33. On observe à cet égard de grandes différences en Europe selon
les pays. Dans le cadre des mandats et des mesures de politique
culturelle et d’éducation, certaines institutions culturelles offrent
des programmes d’éducation culturelles, variables d’un pays à l’autre,
qui s’adressent également aux écoles. En fait, depuis quelque temps,
ces institutions ne sont plus évaluées seulement en fonction de
leur production artistique, mais sur leur capacité à attirer un
public intéressé et informé, et à remplir leur mission éducative.
On observe ainsi un renforcement des contacts entre ces «partenaires
éducatifs», complété, du moins dans quelques pays d’Europe, par
d’utiles mesures structurelles d’accompagnement.
34. En outre, certaines institutions culturelles assurent explicitement
la mission politique et culturelle qui consiste à prendre en charge
des groupes-cibles défavorisés socialement et en matière d’éducation,
et à promouvoir d’une manière générale la participation culturelle
des jeunes.
35. L’éducation esthétique nous conduit ainsi d’une certaine manière
au cœur de l’éducation culturelle. L’essentiel est de permettre
un accès cognitif ainsi qu’une exposition ludique à l’art et à la
culture. La pensée, la communication et les processus d’intégration
sont également importants. L’emploi de termes trop vagues peut être
à l’origine de malentendus et de fausses attentes.
36. Alors que l’éducation artistique part du sujet, l’éducation
culturelle est un dialogue et s’intéresse aux relations des citoyens
entre eux et avec leur environnement. Elle contribue à la socialisation
des individus et renforce leur aptitude à participer activement
à la vie de la société, à différents niveaux et de multiples façons.
4. L’éducation culturelle,
un concept global
37. L’éducation culturelle figure parmi les préoccupations
de l’Europe depuis un certain nombre d’années. Ce n’est pas le centre
d’intérêt particulier de quelques idéalistes férus d’art et de culture.
C’est un domaine d’activité professionnelle dans lequel travaillent
des enseignants, des éducateurs culturels et des artistes.
38. Ceux-ci veulent développer la compétence culturelle, qui devrait
être selon l’Union européenne une des compétences clés du 21e siècle.
La compétence culturelle s’acquiert et se développe par des processus d’apprentissage
à long terme, respectant le rythme de chacun. C’est le résultat
de l’éducation et de l’apprentissage tout au long de la vie.
39. C’est là que les difficultés apparaissent et que l’on se pose
des questions. Dans cette société mondialisée de compétition et
de logique du rendement, où trouver l’espace et le temps pour l’imagination, l’individualité,
la créativité, des zones de liberté pour des rencontres ouvertes
et curieuses, pour résoudre les contradictions de manière constructive,
pour la solidarité?
40. S’interroger sur ce qu’est réellement la compétence culturelle
amène à réfléchir sur ce que signifie précisément la culture. Il
existe différentes définitions souvent semblables mais parfois contradictoires,
qui toutes influent sur l’approche adoptée concernant les mesures
nécessaires en matière de politique culturelle.
41. Citons celles qui illustrent le mieux les différentes positions
et qui permettent de repérer les points de vue opposés. Raymond
Williams, avec sa définition de la culture «comme un mode de vie
complet», fournit le thème récurrent des études culturelles anglo-américaines,
qui supprime la différence entre la culture du quotidien et la «culture»,
et influe ainsi considérablement sur le débat européen.
42. La définition de la culture de l’UNESCO est également très
générale. Selon cette organisation, la culture est considérée comme
«l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels
et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social»
(englobant les modes de vie, les systèmes de valeurs, les traditions
et les croyances religieuses et autres).
43. Le rapport britannique «All Our Futures» qui introduit le
programme des «Creative Partnerships» décrit la culture comme les
valeurs et les comportements partagés caractérisant les différents
groupes sociaux et communautés. Cette définition correspond à une
société multiculturelle et pluriethnique, dans laquelle la diversité
culturelle constitue un aspect essentiel de la politique sociale
et culturelle.
44. En Europe occidentale, et plus particulièrement dans les pays
germanophones, la culture était considérée jusqu’à présent comme
une tradition liée à l’histoire des idées et correspondant à l’idéal d’éducation
de «la personne cultivée» développé par les intellectuels des classes
moyennes depuis le 18e siècle. Dans ce contexte, la «culture» est
considérée comme une source de richesses inestimables pour l’éducation,
à laquelle on oppose de manière parfois inquiétante la culture de
la vie quotidienne et la culture populaire.
45. Depuis quelque temps, les concepts culturels traditionnels
ont disparu pour laisser la place à une multitude de styles de vie,
qui ne correspondent plus systématiquement à un modèle artistique
contraignant. Ainsi, la notion actuelle de l’éducation culturelle
est fondée sur l’idée qu’il existe des zones d’interaction situées à
l’interface de la culture populaire et de la «culture».
5. L’éducation interculturelle,
partie intégrante de l’éducation culturelle
46. L’aptitude au dialogue interculturel et la compréhension
transculturelle sont déterminantes pour notre avenir. De nos jours,
quand nous parlons de culture et d’éducation, nous devons prendre
en considération les flux migratoires internationaux, les réseaux
mondiaux de communication, les grandes entreprises internationales
ainsi que le problème de la pauvreté, qui touche toutes les sociétés.
47. L’Europe, en tant qu’espace culturel et économique, a besoin
de citoyens qualifiés possédant une compétence interculturelle,
s’intéressant à la diversité linguistique, prêts à réfléchir de
manière innovante et non conventionnelle, dotés d’une forte conscience
sociale et capables d’engager des actions solidaires.
48. Le Livre blanc du Conseil de l’Europe sur le dialogue interculturel
adopté par le Comité des Ministres le 7 mai 2008 souligne la valeur
du dialogue interculturel pour prévenir les clivages ethniques,
religieux, linguistiques et culturels et reconnaît que la musique,
l’art et la danse peuvent être des outils puissants d’éducation
interculturelle. Il indique également que les arts traversent naturellement
les frontières et s’adresse directement aux émotions des personnes.
Les créateurs qui sont engagés dans des activités culturelles ouvrent
de nouveaux espaces et de nouvelles possibilités de dialogue. Cette
approche a été à l’origine de l’initiative «Artistes pour le dialogue»
proposée lors de la Conférence du Conseil de l’Europe des ministres responsables
de la culture à Bakou (Azerbaïdjan) les 2 et 3 décembre 2008.
49. Il est évident que la diversité et un environnement multiculturel
favorisent généralement la créativité. Le dialogue entre les cultures
et l’examen des ressemblances et des différences – c’est-à-dire
de la diversité européenne – constituent la base d’une coexistence
pacifique et harmonieuse. Ils améliorent la qualité de la vie et
les chances de développement pour tous et renforcent notre sens
des responsabilités envers une Europe unie et le monde dans son
ensemble.
50. La politique de l’éducation, qui a pour objectif de promouvoir
la tolérance et la compréhension mutuelle, peut transformer le multiculturalisme
croissant des sociétés européennes en un atout pour la créativité, l’innovation
et la croissance.
6. Enseignement culturel
et apprentissage
51. Ainsi l’éducation culturelle vise le développement
de notre société par le biais de l’art et de la culture. Les formes
d’apprentissage souples et les processus de création partagés créent
des espaces propres aux rencontres et à la gestion constructive
de la différence. Ces espaces possèdent des dimensions physiques, intellectuelles,
affectives et sociales.
52. L’éducation culturelle ne peut pas se dispenser sur ordonnance.
Elle a besoin d’une nouvelle culture de l’enseignement et de l’apprentissage
qui soit:
- ouverte et coopérative
aux niveaux interne et externe;
- centrée sur les besoins des élèves;
- ouverte à l’innovation et à l’interdisciplinarité;
- orientée vers des projets.
53. C’est ainsi que Mme Claudia Schmied,
ministre autrichien de l’Education, décrit l’éducation culturelle comme
le thème central de l’évolution actuelle de l’école. Elle représente
une préoccupation commune et un processus dynamique impliquant les
parents, les élèves, les enseignants, les établissements scolaires,
les artistes, les éducateurs artistiques et culturels, la collectivité,
mais aussi les secteurs économique, politique et administratif.
54. La qualité de l’éducation culturelle dépend aussi des échanges
et des partenariats. L’aptitude à coopérer joue à cet égard un rôle
majeur. Il convient de créer et de développer des réseaux et des
partenariats entre la culture et le monde du travail, qui intègrent
la société civile et d’autres parties prenantes. Ces partenariats nécessitent
des conditions générales d’encadrement et un contrôle adéquats.
Et ils réussissent mieux lorsqu’ils s’inscrivent dans la stratégie
générale des établissements.
55. Les conditions préalables essentielles à une bonne coopération
sont les suivantes:
- des espaces
communs pour ces types d’apprentissage;
- des perspectives communes;
- des stratégies claires;
- la confiance mutuelle et le partage des responsabilités;
- une bonne collaboration;
- une excellente communication entre les partenaires;
- des frontières perméables entre les écoles et la collectivité;
- il faut éviter une trop grande formalisation en matière
de planification et d’exécution des activités;
- une attitude plus ouverte à l’égard de la qualité;
- une valorisation de l’engagement.
56. Pour faciliter l’apprentissage les uns des autres et la transmission
de l’expérience et des connaissances, il est important d’étayer
les processus et les résultats par des documents et de créer des
banques de données, de les ordonner méthodiquement et les rendre
accessibles.
57. Les communautés éducatives et les mesures prises en matière
d’enseignement doivent être fondées sur de bonnes pratiques, des
échanges différenciés et une diffusion appropriée. D’une manière
générale, on n’outrepasse pas les pouvoirs des institutions et on
ne tente pas de sortir de systèmes bien définis sans provoquer des
conflits. De plus, ces actions exigent un engagement très fort des
intéressés. Le désir de repousser les limites commence toujours
par un intérêt porté aux autres. Il faut aussi être ouvert à l’innovation et
avoir le courage de s’engager sur des chemins qui ne sont pas balisés.
58. Les objectifs européens – égalité des chances pour tous, ouverture
au monde et justice – doivent guider notre action. Lorsque nous
sommes conscients des défis posés aujourd’hui aux individus et à
la société – ne pas seulement tolérer les différences culturelles,
mais les analyser et comprendre les raisons de leurs manifestations
qui ne cessent d’évoluer, ne pas confondre intégration et assimilation,
et considérer la participation comme une action constructive et
non une activité passive – nous sommes véritablement au cœur de
l’éducation culturelle.
59. La langue, la culture des médias, la musique, les arts plastiques,
la danse, le théâtre, l’architecture, le design, la mode et le stylisme,
la culture de la vie quotidienne, les rites, les formes de pensée
et d’action ou les aspects de la culture populaire qui constituent
les bases du dialogue culturel sont une mine inépuisable de richesses,
de modes d’expression, de savoirs et d’expérience, passés et présents.
60. En 2003, Simon Rattle, chef de l’Orchestre philharmonique
de Berlin, a monté un spectacle de ballet en collaboration avec
Royston Maldoom et 250 enfants berlinois d’origines sociale et culturelle
très variées. Ils ont répété ensemble «Le Sacre du printemps» de
Stravinsky qui a été présenté avec un immense succès à l’Arena Treptow
au Treptower Park. Ce travail commun, qui s’inscrivait dans une
série de projets, s’adressait à des jeunes originaires de quartiers
socialement défavorisés en utilisant la préparation d’un spectacle
comme un espace d’expérimentation et de confrontation de points
de vue différents sur la musique et le mouvement, la vie et ses
objectifs. Selon le danseur et chorégraphe Royston Maldoom: «Grâce
à la danse, nous découvrons nos vraies personnalités et celles des
autres, nous dépassons les barrières de la langue, de la race, du
sexe, ce qui permet d’oublier les stéréotypes liés à nos origines
économiques, sociales, religieuses et culturelles différentes, tout
en préservant notre propre identité».
61. L’éducation culturelle est le produit de processus d’apprentissage
qui tiennent compte des différences internes et des complexités
de la culture. Elle nous fait découvrir l’apprentissage par les
sens et comprendre comment, dans des situations différentes, les
hommes ont appréhendé le monde, l’ont interprété, ont agi dans ce
monde, l’ont changé de diverses façons et continuent de le faire.
Notre intérêt à l’égard de ces processus d’apprentissage est continuellement
mis à l’épreuve.
62. Lorsque les ressources diminuent et que l’insécurité augmente,
lorsque l’absence de chances ne permet pas d’espérer en l’avenir,
les frontières se ferment et nous avons tendance à nous rabattre
sur les stéréotypes qui opposent ce qui est à nous et ce qui est
étranger. L’idéalisation et la diabolisation accompagnent souvent ce
processus. Les comportements déviants par rapport aux comportements
familiers produisent des réactions de rejet et d’agression, ou sont
sanctionnés par la marginalisation des personnes concernées. Des
discussions sur l’identité et la culture servent souvent alors à
justifier leur mise à l’écart ou leur exclusion.
63. Les programmes d’éducation culturelle ne peuvent pas faire
de miracles, mais ils peuvent introduire des perspectives nouvelles,
mettre en évidence des opinions et des actions contestables et inciter
les personnes à réagir – même à un niveau modeste. Ainsi, ces programmes
ouvrent des espaces de négociation, favorisent la confrontation
active et contribuent au développement d’une culture de gestion
des conflits. Voir à cet égard les stratégies de travail de la Japanese
Foundation concernant la gestion des conflits.
64. En dehors de l’école, l’éducation s’acquiert de plus en plus
souvent dans des contextes informels et pendant le temps de loisir.
Les instruments éducatifs basés sur les technologies de l’information
qui sont proposés sont particulièrement utiles. Par ailleurs, le
fait de vivre à l’écart des grands centres d’activités ne doit pas
être un handicap pour qui que ce soit.
65. L’utilisation des nouvelles technologies permet de développer
considérablement ces projets et offre des possibilités entièrement
nouvelles pour la communication et la négociation. La
Recommandation 1836 (2008) de l’Assemblée parlementaire «Exploiter pleinement le
potentiel de l’apprentissage électronique pour l’enseignement et
la formation» fournit également des orientations générales à cet
égard.
66. Par exemple, le projet Border Games lancé
en Espagne a pour objectif d’aider de jeunes immigrés en leur faisant
concevoir et programmer un jeu vidéo. Dans le cadre d’une série
d’ateliers, qui permet à ces jeunes immigrés de créer un jeu vidéo
basé sur leur propre histoire au moyen d’un appareil de production
de jeux et avec l’aide d’un monteur, mais aussi d’apprendre combien
il est important de se familiariser avec les nouvelles technologies
et de les utiliser pour s’organiser et reprendre le contrôle de
leur vie et de leur environnement. (www.bordergames.org)
7. Conclusion
67. Chaque société est imprégnée par les différences
culturelles entre les générations, entre les différentes communautés,
entre les sexes, entre les catégories sociales et entre les diverses
appartenances et affiliations. Ces différences et reflètent la diversité
des origines et des conditions de vie. Nous les portons en nous.
Elles construisent notre identité. Notre avenir est conditionné
par la façon dont nous gérons ces différences externes et internes.
Elles confirment également l’importance croissante de l’éducation
culturelle.
68. Les bonnes pratiques exemplaires luttent contre la marginalisation,
l’isolement et l’exclusion. Un large éventail de projets et de programmes
s’adresse à des groupes cibles très différents. De nombreux exemples de
bonnes pratiques ont été présentés dans des documents.
69. L’Europe doit relever un défi en matière de politique éducative
et de politique culturelle. Au-delà des discours et des projets
extrêmement variés élaborés et mis en œuvre par des éducateurs dévoués,
l’éducation culturelle nécessite:
- une
infrastructure adaptée;
- des ressources financières et humaines;
- des débats d’experts sur les contenus et objectifs;
- un cadre politique adapté.
70. Des mesures de politique culturelle et d’éducation sont nécessaires
dans ce contexte, comme par exemple:
- la coordination de mesures individuelles;
- un travail de sensibilisation et de persuasion;
- une intensification de la coopération européenne;
- une sécurisation de l’offre scolaire et extrascolaire
en matière d’éducation culturelle;
- le financement de la recherche.
***
Commission chargée du rapport: Commission
de la culture, de la science et de l’éducation
Renvois en commission:Doc. 11327 rév, renvoi n° 3379 du 5 octobre 2007
Projet de recommandation adopté
à l’unanimité par la commission le 25 juin 2009
Membres de la Commission: Mme Anne Brasseur (Présidente), M. Detlef Dzembritzki (1e Vice-Président), M. Mehmet Tekelioğlu (2e Vice-Président),
Mme Miroslava Němcová, (3e Vice-Présidente), M. Vicenç Alay Ferrer,
M. Florin Serghei Anghel (Remplaçante:
Mme Maria Stavrositu), Mme Aneliya
Atanasova, M. Lokman Ayva,
M. Walter Bartoš, Mme Deborah Bergamini, Mme Oksana Bilozir,
Mme Guðfinna S. Bjarnadóttir, Mme Rossana Boldi, M. Ivan Brajović,
M. Petru Călian, M. Joan Cartes Ivern,
Lord David Chidgey, M. Miklós
Csapody, M. Vlad Cubreacov, Mme Lena Dąbkowska-Cichocka, M. Joseph
Debono Grech (Remplaçant: M. Joseph Falzon),
M. Daniel Ducarme, Mme Åse Gunhild Woie Duesund,
Mme Anke Eymer, M. Gianni Farina, M. Relu Fenechiu, Mme Blanca Fernández-Capel
Baños, M. Axel Fischer, M. Gvozden
Srećko Flego, M. Dario Franceschini,
M. José Freire Antunes (Remplaçant: M. José Luis Arnaut), Mme Gisèle Gautier (Remplaçant: M. Philippe Nachbar), M. Ioannis Giannellis-Theodosiadis (Remplaçant:
M. Georgios Voulgarakis),
M. Martin Graf, M. Oliver Heald (Remplaçante: Baroness Knight of Collingtree), M. Rafael Huseynov, M. Fazail İbrahimli,
M. Mogens Jensen (Remplaçante:
Mme Sophie Løhde), M. Morgan Johansson, Mme Francine John-Calame, Mme Flora Kadriu,
Mme Liana Kanelli, M. Jan Kaźmierczak,
Miss Cecilia Keaveney, Mme Svetlana
Khorkina, M. Serhii Kivalov, M. Anatoliy Korobeynikov, Mme Elvira Kovács, M. József Kozma, M. Jean-Pierre Kucheida,
M. Ertuğrul Kumcuoğlu, Mme Dalia Kuodytė,
M. Markku Laukkanen, M. René
van der Linden, Mme Milica Marković, Mme Muriel Marland-Militello, M. Andrew McIntosh,
Mme Maria Manuela de Melo,
Mme Assunta Meloni, M. Paskal Milo, Mme Christine Muttonen, (Remplaçant: M. Albrecht Konecny), M. Tomislav Nikolić,
M. Edward O’Hara, M. Kent Olsson, M. Andrey Pantev, Mme Antigoni Papadopoulos (Remplaçant: M. Fidias Sarikas), Mme Zatuhi Postanjyan, Mme Adoración Quesada
Bravo, M. Frédéric Reiss, Mme Mailis Reps, Mme Andreja Rihter (Remplaçant: M. Ljubo Germic), M. Nicolae Robu, Mme Tatiana Rosova, M. Paul Rowen, Mme Anta Rugāte, Mme Ana Sánchez Hernández,
M. Leander Schädler, M. Yury
Solonin (Remplaçant: M. Oleg Panteleev),
M. Christophe Steiner, Mme Doris Stump,
M. Valeriy Sudarenkov, M. Petro
Symonenko, M. Guiorgui Targamadzé, M. Hugo Vandenberghe, M. Klaas
De Vries, M. Piotr Wach (Remplaçant:
M. Michał Stuligrosz), M. Wolfgang
Wodarg.
N.B.: Les noms des membres qui ont pris part à la réunion
sont imprimés en caractères gras
Secrétariat de la commission: M. Ary, M. Dossow