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Rapport | Doc. 12199 | 09 avril 2010

Richesses, bien public et bien-être: comment les concilier dans une Europe en mutation?

(Ancienne) Commission des questions économiques et du développement

Rapporteur : M. Konstantinos VRETTOS, Grèce, SOC

Résumé

Aujourd’hui, la crise économique oblige nos sociétés à repenser leur rapport à la richesse et à envisager la croissance économique en tenant compte du bien-être des sociétés. Le XXIe siècle ne saurait être construit avec des outils hérités du XXe siècle.

Si le produit intérieur brut (PIB) reste encore un indicateur fondamental de mesure de nos économies, il demeure insuffisant pour mesurer le bien-être, car il s’agit d’une norme purement comptable. Il convient aujourd’hui de prendre en compte d’autres indicateurs qui traduisent la variété des facteurs contribuant au bien-être des sociétés, tels que la santé, l’environnement, l’éducation et les valeurs démocratiques.

De nombreuses institutions européennes et internationales ont commencé à réfléchir à cette question et aux premières applications concrètes. Le Conseil de l’Europe a contribué à cette vaste réflexion et ce rapport de l’Assemblée parlementaire reflète ces discussions, qui traitent des questions fondamentales de la démocratie, des droits de l’homme et de l’Etat de droit, y compris dans leurs composantes économiques.

Ce rapport insiste sur la nécessité de prendre en compte la variété des aspects sociaux afin de progresser vers une meilleure mesure du bien-être de nos populations et d’avancer vers une nouvelle définition d’un progrès qui devra refléter à l’avenir les préoccupations de nos sociétés, transformées durablement par la récente crise économique.

A. Projet de résolution

(open)
1. Le but fondamental de la société européenne est d’assurer à tous une vie prospère et digne. Depuis les destructions tragiques causées par les deux guerres mondiales, l’Europe s’est cherché une voie de développement pour renforcer son engagement envers les valeurs morales et spirituelles communes qui inspirent les principes de la démocratie, des droits de l’homme et de l’Etat de droit. Cependant, la dernière décennie a révélé bien des défaillances du modèle de développement actuel fondé sur une trop grande dépendance vis-à-vis de la génération favorisée de l’après-guerre et l’absence d’approche systémique. Il convient de rééquilibrer croissance économique, bien-être social et protection de l’environnement de manière à ce que la qualité de la vie soit au cœur des politiques de développement.
2. Le produit intérieur brut (PIB), qui mesure le niveau de production d’un pays, est devenu l’étalon des progrès de notre civilisation, de sa richesse et du bien-être des citoyens. Cependant, la crise économique en cours oblige nos sociétés à repenser leurs rapports à la richesse et à considérer la croissance économique en tenant compte du bien-être des sociétés et des impératifs environnementaux. L’Assemblée estime que l’utilisation du PIB comme instrument unique de mesure de l’état économique et social de nos sociétés ne suffit plus car il conserve une caractéristique purement comptable. L’équation automatique entre croissance du PIB et croissance du bien-être des populations est devenue obsolète.
3. L’Assemblée parlementaire considère qu’il est devenu nécessaire d’apporter des réponses politiques, économiques, sociales et environnementales adaptées dans un monde en rapide évolution et une Europe où les disparités économiques subsistent, notamment entre l’est et l’ouest. De ce fait, elle souligne l’importance de prendre en considération d’autres facteurs qui ne soient pas monétaires ou financiers et qui concourent cependant à l’accroissement de la richesse nationale d’un Etat et du bien-être de leurs populations. Les décideurs politiques et économiques doivent se doter dès à présent de nouveaux outils transversaux représentatifs des grands défis du XXIe siècle que sont la réorganisation de l’économie mondiale, le changement climatique et les questions démographiques.
4. L’Assemblée se félicite des diverses initiatives du Conseil de l’Europe (séminaire «Impliquer les citoyens/communautés dans l’évaluation et la promotion du bien-être et du progrès: vers des nouveaux concepts et outils», Strasbourg, 27-28 novembre 2008), de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui a lancé un projet mondial intitulé «Mesurer le progrès des» sociétés, de la Commission européenne, du Parlement européen, du Club de Rome, du World Wildlife Fund et de l’OCDE, avec leur conférence jointe «Le PIB et au-delà – Mesurer le progrès, la richesse réelle et le bien-être des nations» (Bruxelles,19-20 novembre 2007) et son suivi, ainsi que de la Commission de mesure de la performance économique et du progrès social qui a formulé ses recommandations le 14 septembre 2009.
5. L’Assemblée invite les parlements nationaux à s’inspirer des travaux accomplis par les organisations et experts internationaux divers lors de l’élaboration des futures lois et à ouvrir des débats dans chaque pays sur les implications des initiatives susmentionnées dans un contexte national.
6. Afin de se faire une idée plus précise du bien-être des Européens, l’Assemblée engage notamment les Etats membres du Conseil de l’Europe à mieux prendre en compte les principes suivants:
6.1. les questions environnementales sont d’une importance capitale pour le bien-être des sociétés européennes et surtout pour la survie des générations futures. Le réchauffement climatique, l’épuisement des ressources naturelles, les dommages environnementaux et la disparition d’espèces animales et végétales ont des répercussions majeures sur l’environnement immédiat et les conditions de vie des 800 millions de citoyens du Conseil de l’Europe. Il convient donc de mesurer avec précision la santé de ce capital naturel ainsi que les menaces qui planent sur lui et qui se répercutent sur le capital humain;
6.2. la santé des citoyens européens, la gestion des systèmes publics de santé et un accès à des soins de qualité qui doit être étendu au plus grand nombre sont essentiels. Les défis liés à la démographie imposent à nos sociétés de nouveaux choix en matière de santé. L’augmentation de l’espérance de vie génère certes des politiques structurelles d’adaptation mais elle est également source de croissance économique;
6.3. l’aggravation des inégalités et la dégradation du bien-être social sont bien souvent les premières conséquences des crises économiques. Aujourd’hui plus qu’avant, il convient de protéger et d’aider les populations les plus fragiles et les plus susceptibles de subir des discriminations (comme l’écart salarial entre les femmes et les hommes ou les difficultés à trouver un emploi et un logement pour les personnes issues des minorités). Trouver les indicateurs qui nous renseigneront le plus précisément sur l’état de la cohésion sociale en Europe doit être l’une de nos principales priorités;
6.4. le renforcement de la démocratie, de l’Etat de droit et du respect des droits de l’homme demeurent des priorités absolues pour le Conseil de l’Europe. Vivre en paix, jouir des libertés publiques et civiles, bénéficier d’une justice équitable et de mesures contre la corruption et respecter les différences ethniques, linguistiques et religieuses accroissent un bien-être politique qui se transforme rapidement en avantages économiques;
6.5. un niveau d’éducation élevé est une condition essentielle à la formation des citoyens et à la compétitivité de nos sociétés au sein de la mondialisation;
6.6. les dégradations successives du marché du travail et leurs conséquences humaines désastreuses dues au chômage ou à un emploi précaire, mais aussi aux déficits budgétaires publics croissants entraînent fatalement une diminution du bien-être des populations.
7. L’Assemblée appelle donc les Etats membres du Conseil de l’Europe à allouer des ressources budgétaires adaptées à leurs politiques de développement en vue de poursuivre une croissance économique plus saine et équilibrée.
8. De plus, l’Assemblée estime que ces nouveaux indicateurs de bien-être sociétal ne doivent pas occulter une réflexion globale sur la manière d’améliorer le PIB afin qu’il couvre des données économiques non mesurées, comme les diverses activités de l’économie domestique.
9. L’Assemblée souhaite que s’engage dès à présent sur cette question du bien-être une vaste concertation internationale à l’occasion de rencontres à haut niveau car elle sait pertinemment que la mesure du bien-être ne pourra être efficace qu’en cas de consensus général et de soutien unanime des initiatives allant dans ce sens. Cette grande concertation pourrait s’inscrire dans les grandes discussions internationales en cours, comme le G20 où un groupe de travail sur les indicateurs de croissance pourrait être constitué. Cette concertation doit également porter sur notre mode de vie dont la crise économique a mis les défaillances en exergue. Ce groupe de travail pourrait ainsi avancer de nouvelles solutions économiques pour nos sociétés, qui ne se résumeraient pas au simple choix entre un Etat omniprésent et la seule loi de l’économie de marché.
10. L’Assemblée appelle également les Etats membres et particulièrement les collectivités territoriales, à multiplier les initiatives visant à sensibiliser les populations à ce que signifie un plus grand bien-être. A ce titre, elle encourage vivement toutes les collectivités territoriales qui le souhaitent à collaborer dans ce sens avec le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe qui a acquis une vaste expérience en ce domaine.
11. L’Assemblée considère aussi que la société civile doit être pleinement associée aux différents travaux en cours sur la recherche d’indicateurs. Etant les premiers concernés, les citoyens doivent être consultés sur le modèle d’une véritable démocratie participative avant la mise en œuvre de tout indicateur. Les nouveaux indicateurs ne peuvent être fixés que dans le cadre d’un consensus social.
12. Enfin, l’Assemblée considère que les différentes instances du Conseil de l’Europe se doivent de poursuivre leurs travaux sur cette question fondamentale du bien-être.

B. Exposé des motifs, par M. Vrettos, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. La crise économique qui touche fortement les économies européennes a mis en évidence les défaillances d’un système qui a favorisé les dérives économiques et sociétales les plus dramatiques. Au nom d’une croissance toujours plus forte et de la poursuite imprudente de l’accumulation de richesses, de mauvaises pratiques économiques se sont répandues.
2. Ces pratiques se sont malheureusement de moins en moins préoccupées du bien-être des populations et non seulement pour les plus défavorisées, mais également pour celles que l’on considère comme relevant des classes moyennes. En outre, la croissance est trop souvent considérée comme un raccourci vers le progrès, et ce malgré l’accumulation des preuves d’un déséquilibre grandissant entre les aspects sociaux, environnementaux et économiques, du développement.
3. Depuis 1989 et la chute du mur de Berlin, des écarts de croissance économique ont été observés entre les différents Etats européens qui se trouvaient soit en Occident, soit dans la sphère d’influence de l’Union soviétique, principalement en Europe centrale et orientale. Le bien-être des différentes populations nationales n’a donc pas suivi la même trajectoire.
4. L’association permanente entre croissance, progrès et bien-être des populations a souvent conduit non pas à associer ces trois notions dans l’esprit des décideurs politiques et économiques, mais à ne privilégier qu’une ou deux d’entre elles, comme la croissance et le progrès, qui devaient automatiquement dans l’esprit des décideurs entraîner la troisième notion, celle du bien-être.
5. Or ce ne fut pas le cas. Car, premièrement, le bien-être qui devait «automatiquement» découler de la somme du progrès et de la croissance ne suscita que peu d’intérêt réel et, deuxièmement, ce même progrès se mit à régresser dans certains de ses composants comme la santé ou l’environnement. Car l’erreur commise a été de ne pas définir avec précision ce que l’on entendait par bien-être et par progrès, longtemps considérés comme des notions générales résultant du seul produit intérieur brut (PIB).

2. Le bien-être peut-il être défini économiquement?

6. Les notions de bien-être et de progrès ont été sujettes à discussion. Que regroupent-elles? Comment les définir? De quelle manière l’économie influence-t-elle le bien-être et caractérise-t-elle le progrès? Existe-t-il un lien avec la notion de bonheur, encore moins quantifiable?
7. L’idée de bien-être remonte à la philosophie grecque et plus particulièrement à celle de Platon qui définit, dans le Gorgias et le Philèbe, les notions de bien-être et de bonheur comme un sentiment de satisfaction lié à la poursuite de biens réels sans pour autant demeurer illimité. Platon estime également que le progrès est un processus continu permettant d’arriver à un niveau d’organisation politique et économique de plus en plus élevé.
8. Suivant cette idée de progrès et de bien-être associée à l’amélioration économique des sociétés, d’autres penseurs tels qu’Auguste Comte ou le comte de Saint-Simon s’engagent dans cette voie philosophique. L’utilitarisme de Jeremy Bentham propose même de réaliser «le plus grand bonheur du plus grand nombre». Très vite dépassés par l’omniprésence de l’économie dans les sociétés, les gouvernants décident alors de faire l’analogie entre progrès économique et bien-être des sociétés, l’un entraînant fatalement l’autre. Plus la richesse d’un Etat est importante et plus le bien-être des sociétés s’élève, pense-t-on. Puis les sciences économiques formalisent cette idée avec cependant un seuil limite, à travers l’optimum de Pareto dans ce qu’il convient d’appeler la nouvelle économie du bien-être. En effet, selon cette théorie formulée par l’économiste Vilfredo Pareto au début du XXe siècle, cet optimum constitue un état à partir duquel le bien-être d’un individu ne peut s’améliorer sans détériorer celui d’un autre individu.
9. La richesse d’une nation devient bientôt quantifiable grâce à l’invention du PIB, en 1934, indicateur économique mesurant le niveau de production d’un pays, autant en matière de biens que de services. Mis en place après la crise de 1929 et la grande dépression qui suivit, le PIB a été un instrument efficace de mesure de l’activité économique surtout pendant la période de reconstruction de l’Europe après la seconde guerre mondiale. Mais déjà son inventeur, Simon Kuznets, prix Nobel d’économie, affirmait devant le Congrès des Etats-Unis que «la mesure du revenu national peut difficilement servir à évaluer le bien-être d’une nation». Robert Kennedy, ministre de la Justice, alla même plus loin en estimant que «le PIBmesure à peu près tout sauf ce qui rend la vie digne d’être vécue».
10. Cette critique du PIB évoquée par Simon Kuznets dès son origine perdura mais perdit de sa force pendant la seconde guerre mondiale et surtout après, lors de l’instauration des institutions de Bretton Woods et des réflexions économiques sur la monnaie notamment. D’autant que la croissance économique fut au rendez-vous. Mais le ralentissement de cette dernière au début des années 1970 entraîna un nouveau regain d’intérêt pour le bien-être. Le Club de Rome, dans un rapport «Limits to Growth» (1972), fut le premier à tirer la sonnette d’alarme en montrant que la croissance économique n’amenait pas automatiquement le bien-être des populations. Cette idée fut vite relayée par d’autres économistes tels que William Nordhaus et James Tobin (prix Nobel d’économie 1981) qui réfléchirent à un bien-être monétaire.
11. Il devient dès lors vite évident que le PIB ne permet pas de mesurer le bien-être ni même la richesse d’une société et de ses membres. C’est ce que montre le paradoxe d’Easterlin (1974) où une croissance du PIB ne veut pas dire croissance du bien-être. Pire encore, une progression du PIB peut se révéler trompeuse et cacher en réalité des pertes de richesse et de bien-être, creuser les inégalités et augmenter les atteintes au développement. Si le PIB d’une grande partie des économies de la planète n’a cessé d’augmenter depuis les années 1950 jusqu’en 2008, le bien-être, quant à lui, n’a pas toujours suivi cette même courbe ascendante.
12. Les travaux de l’économiste indien Amartya Sen (prix Nobel d’économie 1998) sur l’évolution des politiques économiques en matière d’effets sur le bien-être des sociétés ont mis en évidence des paramètres non mesurables par le PIB, tels que l’accès aux soins et à l’information ou la jouissance des droits fondamentaux qui concourent à l’augmentation du bien-être. «Les sociétés et les communautés auxquelles nous appartenons déterminent très différemment ce que nous pouvons faire ou non. Les réalités épidémiologiques de la région où nous vivons peuvent avoir un profond impact sur notre santé et notre bien-être» 
			(1) 
			Amartya Sen, Repenser l’inégalité, Seuil, 2000,
p. 41., précise ainsi le prix Nobel indien.
13. Quant au bonheur, on a bien souvent considéré cette notion comme purement philosophique alors qu’elle est également économique. Depuis les travaux d’Ed Diener, professeur de psychologie à l’université d’Illinois, on constate que le bonheur est créateur de croissance économique (esprit d’innovation, sociabilité, facilité à prendre des décisions et à gérer des situations complexes et difficiles).

3. Les indicateurs économiques existants du bien-être

14. Aujourd’hui, le bien-être économique résulte d’une multitude de facteurs, ce qui explique les difficultés que l’on rencontre lorsqu’il s’agit de le mesurer, de le quantifier. Parmi ses différents composants, on peut citer: un environnement sain, un accès facile à l’éducation, un chômage bas, un accès facile aux services de santé, un niveau de revenus financiers suffisant, un cadre de vie sans discriminations et tolérant, une mixité sociale, une stabilité démocratique où chaque citoyen est appelé à exprimer librement son avis, un accès à une information pluraliste, une égalité devant la loi, un respect des droits de l’homme, pour ne citer que ces quelques exemples.
15. Dans un ouvrage paru en 1971, Les Indicateurssociaux, Jacques Delors, futur président de la Commission européenne, identifiait 14 indicateurs susceptibles d’influencer le bien-être. Les indicateurs purement économiques, comme l’utilisation du revenu et des ressources nationales et l’évolution des patrimoines, côtoyaient le développement de la solidarité, la mobilité sociale, l’utilisation du temps ou le développement urbain.
16. Le Bhoutan a été le premier Etat de la planète à consacrer un indicateur en partie économique au bien-être. Le Bonheur national brut (BNB) proposé par le roi du Bhoutan Jigme Singye Wangchuck, en 1972, est composé de quatre piliers: développement socio-économique équitable et durable, préservation et promotion des valeurs culturelles, défense de la nature et bonne gouvernance. Le BNB inclut déjà différents paramètres touchant des domaines autres que celui purement économique tels que les conditions sociales, le respect des identités culturelles ou la protection de l’environnement.
17. L’Indice de développement humain (IDH) crée en 1990 par les Nations Unies tente de formaliser synthétiquement ces différents aspects du bien-être. Il est né du travail de l’ancien ministre des Finances du Pakistan, Mahbub ul Haq (1934-1998), qui s’est très vite rendu compte dans son pays que croissance économique et réduction de la pauvreté n’allaient pas forcément de pair. Celui qui théorisa le concept de «croissance propauvre» montra qu’une croissance et des revenus élevés n’entraînaient pas automatiquement un bien-être au sein de la population. De cette constatation est né l’IDH. Tout en prenant en compte le PIB par habitant, l’IDH va plus loin en prenant également en considération l’espérance de vie et le niveau de formation. Ici aussi, l’accès aux soins et l’éducation contribuent à déterminer le bien-être.
18. D’autres indicateurs de bien-être ont ensuite vu le jour pour mesurer le bonheur des populations et des sociétés. Parmi les plus importants, citons le «Subjective Well-Being Measurement» (SWBM) du professeur Adrian White, de l’université de Leicester, qui s’appuie sur des études subjectives, essentiellement des sondages et des analyses microéconomiques. De nombreux économistes travaillent depuis plusieurs années sur cette question devenue prégnante, qu’il s’agisse de l’économiste français Patrick Viveret ou de la New Economics Foundation et son «Happy Planet Index» qui a montré que, au-delà de 15 000 dollars de PIB/habitant, le bien-être ne s’appuie plus sur le revenu.
19. Des indices alternatifs comme l’indicateur de progrès véritable, mis en avant par de nombreux économistes et des groupes de réflexion sur la politique publique dans le domaine «Redéfinir le progrès», et l’indice de bien-être économique durable, ou celui de l’épargne nette ajustée mis au point par la Banque mondiale tentent de pallier les défaillances du PIB en tenant compte de certaines activités économiques non monétaires comme le travail domestique ou les dommages causés par la pollution par exemple. L’épargne nette ajustée permet déjà d’aller au-delà du PIB sans pour autant circonscrire totalement le bien-être. Cet indicateur exprime ainsi la variation du capital économique, humain et naturel d’un pays en ajustant l’épargne nationale brute à partir de quatre variables: déduction de la consommation de capital fixe, ajout des investissements en capital humain (assimilés aux dépenses d’éducation), déduction de la baisse des stocks de ressources naturelles consommées (énergie, minerais, forêts) et des dommages causés par la pollution (notamment émissions de CO2). Par exemple, les Etats trop dépendants d’exportations de ressources non renouvelables, comme la Fédération de Russie, possèdent une épargne nette ajustée négative. Ainsi, mesurer l’érosion du capital naturel permet de commencer à cerner le bien-être.
20. D’autres initiatives peuvent être mentionnées, comme celle développée par Pierre Le Roy, directeur de la revue Globeco, avec l’indice du bonheur mondial, qui est combiné à un indicateur de fracture mondiale et à un indice de mondialisation, ou l’indice exclusif du bonheur intérieur net (BIN), élaboré par la revue l’Expansion et le Centre canadien d’étude des niveaux de vie (CENV), qui prend en compte quatre variables: la consommation moyenne, l’égalité sociale, la sécurité économique (chômage, indemnisation, dépenses de santé, etc.) et le capital humain (niveau d’éducation et état de l’environnement).
21. Ces différents instruments de mesure du bien-être et du bonheur arrivent sensiblement tous au même résultat lorsqu’on compare leur classement des Etats, et plus particulièrement des pays membres du Conseil de l’Europe où le bien-être est le plus élevé. La Norvège, le Danemark, la Suède, l’Islande, l’Autriche et les Pays-Bas dominent les classements de l’IDH, du SWBM et de l’indice global 
			(2) 
			Raphael Wintrebert,
«Mesurer le bonheur: des indicateurs pertinents pour la France?»,
Fondation pour l’innovation politique, avril 2007..
22. Aujourd’hui, il apparaît que ces indicateurs demeurent incomplets pour traduire avec précision le bien-être économique car, comme le rappelle Enrico Giovannini, ancien statisticien en chef de l’OCDE, « il n’est pas possible d’inventer un indicateur synthétique, une sorte de PIB bonheur. On ne peut pas agréger l’économie, l’environnement et la psychologie. En revanche, on peut mettre au point des indicateurs complémentaires qui, à côté des indicateurs économiques, mesurent les droits de l’homme ou la qualité de la gouvernance» 
			(3) 
			Le
Devoir, 24 juillet 2007.. D’où la nécessité de trouver de nouveaux outils qui traduisent de façon beaucoup plus précise ce bien-être économique.

4. La nécessité de disposer de nouveaux outils 

23. Il existe donc de nombreux domaines définissant le bien-être qui, sans être purement économiques, ont cependant une influence majeure sur les choix économiques des Etats et le bien-être des populations. On peut citer notamment le revenu et l’emploi, la santé, l’environnement, l’éducation, l’égalité et la gouvernance.

4.1. Le travail et ses revenus

24. Première source de revenus et souvent d’épanouissement personnel, le travail apparaît comme l’une des principales préoccupations des agents économiques, surtout en pleine période de crise économique qui voit le chômage remonter aux Etats-Unis, où plusieurs dizaines de milliers d’emplois sont détruits chaque mois, et dans les principaux Etats européens. Posséder un emploi stable, correctement rémunéré et dans lequel les citoyens se sentent épanouis, est une priorité pour la quasi-totalité des citoyens européens et agit profondément sur le bien-être, y compris sur ses conséquences économiques.
25. La perte d’un emploi signifie très souvent une diminution du niveau de vie, des difficultés financières qui peuvent s’accroître, voire la première étape d’une longue descente aux enfers de personnes qui n’ont d’autre solution que de recourir soit aux différentes aides sociales avec ce qu’elles comportent d’humiliation personnelle, soit à s’enfoncer dans la spirale infernale du crédit. Sur un plan personnel, une période de chômage provoque un sentiment d’inutilité, de stress qui peuvent entraîner de sérieuses conséquences sur la santé.
26. Le bien-être au travail est donc fondamental, car il conditionne bien souvent l’activité économique et en particulier la consommation. De plus, il n’est pas uniquement lié à la perte ou non de son emploi, mais également à la charge psychosociale de l’activité exercée. Ainsi, la vague de suicides qui a touché en 2008-2009 l’entreprise française France Telecom a révélé un profond mal-être parmi les salariés de l’entreprise qui affectait grandement leur bien-être professionnel et économique. La Belgique, qui s’est dotée depuis 1996 d’une loi sur le bien-être au travail, a lancé en novembre 2008 une stratégie nationale en matière de bien-être au travail (2008-2012), prévoyant notamment de renforcer la prévention et de favoriser les changements de comportement chez les travailleurs, par la promotion d’une culture de prévention des risques, et de mettre l’accent sur les nouveaux problèmes de bien-être (stress, drogue, alcool, nouvelles technologies, etc.)

4.2. La santé

27. La santé participe grandement au bien-être d’une société mais également à la croissance économique d’un pays. Un accès facile aux soins et des soins de qualité influencent en profondeur les structures démographiques d’un pays (augmentation de l’espérance de vie liée à la prévention des pathologies et amélioration de l’alimentation, par exemple) et permettent de doper la croissance économique dans toutes ses composantes (consommation, marché du travail, hausse des revenus, épargne, etc.). De plus, dans certains Etats ou régions, cette amélioration des systèmes de santé entraîne également des progrès sanitaires qui favorisent l’installation d’investissements étrangers dont les conséquences (emploi, services) profitent ensuite grandement aux populations locales et, de ce fait, à leur bien-être.
28. Il est donc prouvé que l’amélioration de la santé permet d’augmenter aussi bien les richesses nationales que le bien-être. David E. Bloom et David Canning, professeurs d’économie de l’université de Harvard, ont ainsi montré que l’augmentation d’une année d’espérance de vie accroît de 4 % le PIB par habitant. De plus, de mauvaises conditions de travail liées à des situations précaires, des plans de licenciements et des restructurations d’entreprises, ont des impacts négatifs sur la santé des acteurs économiques, entraînant un certain nombre de pathologies et des absences répétées qui pénalisent fortement l’activité économique des entreprises.

4.3. L’environnement

29. Le bien-être environnemental est aujourd’hui plus que jamais intimement lié au bien-être de nos sociétés et à la croissance économique de nos Etats. Les dangers du réchauffement climatique ont imposé à nos gouvernements de considérer avec la plus haute importance le paramètre du développement durable dans l’élaboration des politiques économiques. Selon de nombreux spécialistes, les Européens vivent aujourd’hui comme s’ils avaient à leur disposition 2,6 planètes. Ce mode de vie sans prise en compte d’un indicateur environnemental dans les choix économiques risque très vite d’être suicidaire aussi bien pour notre croissance que pour notre bien-être. Or le PIB ne prend pas en compte l’épuisement des ressources naturelles, les dommages environnementaux ou la disparition de certaines espèces animales et végétales. Mme Corinne Lepage, députée européenne et vice-présidente de la commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen, a estimé devant la commission des questions économiques et du développement 
			(4) 
			Audition
lors de la réunion de la commission des questions économiques et
du développement, le 19 juin 2009 au siège de l’OCDE. qu’il fallait «dépasser la cécité naturelle du PIB pour y intégrer des données fondamentales comme la dégradation de la biodiversité, du climat et de l’eau qui ont un impact économique et engager un effort de reconversion industrielle sans égal pour permettre un nouveau développement économique».
30. Vivre dans un environnement sain, respecté en matière d’alimentation, d’urbanisation, de consommation d’énergie et de préservation des espaces naturels et des espèces, concourt fortement à améliorer le bien-être de nos concitoyens. A l’inverse, ne pas prendre en compte les défis liés au changement climatique et à la surexploitation des ressources naturelles peut «saper le progrès futur, le bien-être et la prospérité», rappelle ainsi le Commissaire européen chargé de l’environnement, Stavros Dimas, bien décidé à travailler sur cet indicateur environnemental. Ce dernier estime que «nous devons prendre en compte les empreintes écologique et carbone et les autres indicateurs qui mesurent l’impact des investissements en termes de perte de capital humain et naturel» 
			(5) 
			Parliament
magazine, 29 octobre 2007..
31. Plusieurs outils tentent aujourd’hui de définir l’impact de l’environnement sur le bien-être des populations et sur la croissance économique. C’est le cas de l’empreinte carbonique qui permet de quantifier les gaz à effet de serre émis par les entreprises et les organisations. L’empreinte écologique évalue quant à elle la surface productive nécessaire à une population pour répondre à sa consommation de ressources et à ses besoins en absorption de déchets. Cet indice formalisé par l’économiste William E. Rees possède un formidable potentiel, celui de mettre en adéquation les besoins des hommes avec le potentiel environnemental de la planète afin d’aboutir à un environnement sain, propice au bien-être.
32. Le Conseil économique et social français a d’ailleurs, dans deux rapports 
			(6) 
			«Dépasser le PIB – indicateurs pour
un développement durable», 22 octobre 2008 et «Les indicateurs du développement
durable et l’empreinte écologique», 3 juin 2009., considéré l’empreinte écologique comme un indicateur de premier plan. Dans son rapport « Les indicateurs du développement durable et l’empreinte écologique», le rapporteur Philippe le Clézio considère que ce dernier a pour but «d’orienter les décisions publiques et les comportements des agents économiques dans un sens favorable au développement durable, c’est-à-dire qui respecte certes l’environnement mais conforte aussi la cohésion sociale et assure toujours plus largement la satisfaction des besoins de la population en préservant celle des générations futures» 
			(7) 
			«Les
indicateurs du développement durable et l’empreinte écologique»,
3 juin 2009..
33. Cependant, l’empreinte écologique se révèle partielle puisqu’elle n’englobe pas d’autres questions fondamentales concourant au bien-être. Un rapport 
			(8) 
			«Potential
of the Ecological Footprint for monitoring environmental impacts
from natural resource use», report to the European Commission, DG
Environment, mai 2008. remis en mai 2008 à la Direction de l’environnement de la Commission européenne par plusieurs instituts de recherche, tels que l’Ecologic et le Sustainable Europe Research Institute (SERI), concluait certes au fort potentiel de l’empreinte écologique mais préconisait de le combiner avec d’autres indicateurs mesurant le développement durable.
34. La Commission européenne a ainsi concentré ses efforts vers un indice environnemental qui soit global et qui prenne en compte les différents impacts sur l’environnement, tels que le changement climatique et l’utilisation des différentes formes d’énergie, les modifications subies par la nature et la biodiversité, la pollution de l’air et son impact sur la santé, la production de déchets et l’utilisation de ressources, un niveau d’hygiène suffisamment élevé, l’utilisation de l’eau et la pollution de cette dernière sur une planète où près d’un milliard 200 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau potable. La Commission européenne s’est donc engagée à présenter une version pilote d’un indice de pression environnemental dès 2010 permettant de mesurer toute atteinte à l’environnement sur le territoire de l’Union européenne et qui pourrait être, à terme, publié parallèlement au PIB.
35. De plus, le développement durable étant l’une des priorités de la Commission européenne, en raison de son impact sur le bien-être des populations et des générations futures, celle-ci a décidé d’instaurer dès 2009 un tableau de bord pilote du développement durable reposant sur les indicateurs de développement durable (IDD). Enfin, la Commission européenne souhaite également réfléchir à un indice permettant de mesurer les conséquences environnementales en dehors de l’Union européenne et à un indice global de qualité environnementale.
36. Il apparaît également nécessaire que cette prise en considération du facteur environnemental s’accompagne d’un sentiment de justice sociale entre les différentes catégories de la population, entre les riches et les pauvres. Si les riches polluent plus, ce sont les pauvres qui en subissent les conséquences. Rejoignant les conclusions du rapport 
			(9) 
			«Addressing
the social dimensions of environmental policy – A study on the linkages
between environmental and social sustainability in Europe», report
commissioned by the European Commission, DG Employment, Health and
Social Affairs, December 2008. de l’Institut pour l’environnement de Stockholm, il apparaît fondamental que tous les groupes de la société doivent être associés à l’implantation d’un tel processus et surtout que le coût de ce dernier ne doit pas pénaliser les groupes les plus défavorisés.

4.4. L’éducation

37. Le niveau d’éducation des différentes sociétés participe également à l’augmentation du bien-être mais également à la croissance économique d’un Etat. L’augmentation du niveau d’éducation et la lutte contre l’analphabétisme sont des indicateurs fondamentaux à prendre en compte dans cette nouvelle réflexion sur la croissance des nations. Il est d’ailleurs symptomatique de constater que bien souvent les pays en voie de développement consacrent une grande part de leur budget à l’éducation. C’est le cas, par exemple, de la Tunisie où les enfants de six ans sont à 99 % scolarisés et où le nombre d’étudiants est extrêmement élevé.
38. Cependant, l’aspect éducatif du bien-être ne s’arrête pas à ces deux indicateurs. Le bien-être passe également par l’acquisition de formations supérieures, de connaissances théoriques et de formations manuelles qui permettent d’acquérir une spécialisation forte, mais aussi par l’accès à la culture générale (lecture de la presse, accès à un cinéma diversifié et à des ouvrages non censurés). Celle-ci bénéficiera aussi bien au citoyen dans sa satisfaction personnelle et économique (augmentation de ses revenus et par conséquent de son pouvoir d’achat, par exemple) qu’à l’Etat, qui se dotera, en matière d’innovation, de compétences exportables sur les différents marchés mondiaux.
39. Enfin, l’éducation familiale doit également être prise en compte, car le temps consacré aux enfants contribue également au bien-être et accroît de manière indirecte le PIB. De façon plus générale, l’activité exercée par les femmes au sein du foyer, comme le ménage ou la préparation des repas, doit être prise en compte, car dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe, comme l’Allemagne ou la Finlande, cette activité représente environ 30 % du PIB.

4.5. Réduire les inégalités

40. La réduction des inégalités économiques et sociales, et le souci d’une meilleure justice sociale concourent également à améliorer le bien-être et le bonheur des populations. Ces éléments deviennent donc des priorités absolues, surtout en période de crise économique. Il convient donc assurément de pouvoir rendre compte, le plus précisément possible, de l’état des inégalités et de la cohésion sociale dans nos sociétés. C’est ce qu’a rappelé l’Internationale socialiste à l’issue de la réunion de sa commission sur les questions financières globales, le 31 mars 2009: «Nous devons garantir que la cohésion sociale est notre priorité pendant cette crise mais également au-delà […]. Le défi du XXIe siècle est de combiner le système économique global avec les valeurs et les principes d’une société démocratique et juste.» Les 18 indicateurs dits «de Laeken» adoptés par le Conseil européen en décembre 2001 tentent de mesurer l’inclusion sociale en prenant en compte la pauvreté financière, l’emploi, la santé et l’éducation afin de prendre en compte l’aspect multidimensionnel de l’exclusion sociale.
41. Certes, l’économie dispose de plusieurs instruments permettant de rendre compte de ces inégalités. C’est le cas de la courbe de Lorenz sur les inégalités de revenus, du coefficient Gini sur la distribution des revenus dans une société. Mais ces courbes et graphiques traduisent plus une situation mathématique qu’une réalité physique. L’indice de santé sociale existe ainsi depuis 1959, date de sa création par le Fordham Institute. Constitué de 16 variables, le plus souvent réparties en différentes catégories d’âge, cet indice prend en considération la maltraitance des enfants, l’usage de drogue, la couverture par l’assurance- maladie, les délits violents, l’accès à un logement d’un prix abordable, pour ne citer que ces quelques exemples. Alors que le PIB continuait à progresser après 1973, l’indice de santé sociale entamait une descente régulière aux Etats-Unis. La Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail a également commencé à réfléchir sur cette question. Menant des enquêtes dans de nombreux pays de l’Union européenne, elle s’emploie à synthétiser ses résultats afin de permettre de définir un bien-être souvent lié à des facteurs tels que le salaire, une juste rémunération des efforts fournis, la sécurité de l’emploi, le temps disponible en dehors de l’activité professionnelle, les relations avec les collègues, l’autonomie ou la violence sur son lieu de travail. En République tchèque, par exemple, si les relations avec les collègues restent l’élément dont les travailleurs sont le plus satisfaits, elles n’arrivent qu’en cinquième position de leurs priorités, après le salaire, une juste rémunération des efforts fournis, la sécurité de l’emploi et l’attitude de leur hiérarchie 
			(10) 
			Mesurer la satisfaction
avec des éléments majeurs de la vie professionnelle, avril 2009..
42. La Commission européenne a compris que, si le PIB pouvait augmenter, il masquait de nombreuses incohérences en ce qui concerne l’accroissement des inégalités et de la pauvreté qui pouvaient augmenter dans le même temps. La cohésion sociale étant l’un des principaux objectifs de l’Union européenne, la Commission européenne souhaite disposer de données qui, parallèlement aux aspects proprement économiques, rendent compte de la réalité sociale.
43. Enfin, lorsqu’on traite des inégalités, il faut évoquer les inégalités persistantes entre les hommes et les femmes dans de nombreux domaines et notamment en matière économique (salaires, pouvoir d’achat, activités économiques, domestiques, etc.). L’indicateur sexospécifique de développement humain (ISDH) ajuste l’IDH en fonction des inégalités des sexes en prenant en compte la longévité et la santé (espérance de vie), l’instruction et l’accès au savoir (taux d’alphabétisation et de scolarisation), et le niveau de vie.

4.6. La gouvernance

44. Enfin, des paramètres liés à la démocratie, à l’Etat de droit et aux droits de l’homme de chacune et de chacun, favorisent le bien-être de nos sociétés. Sans entrer dans un débat pour savoir quel est le meilleur système économique ou si le libéralisme est bon ou mauvais, il convient de reconnaître que la liberté économique favorise grandement la croissance et le bien-être. A ce titre, le respect de la démocratie quant à la consultation régulière des citoyens, l’alternance politique, les libertés de réunion et d’expression, la liberté de circulation, la possibilité de consulter une presse pluraliste, l’absence de corruption au sein des administrations publiques et des organes politiques, et l’ascension sociale basée sur le mérite et la compétence favorisent grandement le bien-être des membres d’une société en mouvement, dynamique et qui souhaite s’investir pour s’améliorer, s’enrichir et progresser. Pierre Le Roy dans son indice du bonheur fait de la démocratie l’un des critères majeurs avec la sécurité, la liberté et le respect des droits de l’homme.
45. La paix peut peut-être aller de soi en Europe occidentale mais il existe encore, au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe, des zones de conflit ou de danger (Abkhazie, Ossétie du Sud, Haut-Karabakh, Caucase du Nord, Transnistrie) où la paix et la sécurité sont des données majeures pour le bien-être des populations. «Concernant la liberté, la démocratie et les droits de l’homme, il est difficile de choisir des critères qui seront forcément controversés comme le degré de démocratie de notre pays ou le degré de liberté de la presse; par contre, il est tout à fait possible de retenir deux critères consensuels» 
			(11) 
			Voir
le site www.globeco.fr/public/index.php?a=bonheur-national-brut., rappelle Pierre Le Roy qui cite le taux de participation aux élections, «bon baromètre de la vitalité de notre démocratie», et le sort réservé aux femmes, que traite également l’ISDH pour mesurer ce bien-être démocratique. Enfin, vivre dans un Etat où la sécurité contre les divers délits et agressions est garantie et où chaque citoyen peut arpenter les rues des villes sans risquer sa vie apparaît également comme un facteur important de son bien-être.
46. De plus, l’entrée dans l’Union européenne de nombreux pays d’Europe centrale a entraîné un bien-être lié à un certain nombre de paramètres tels que l’intégration au marché économique européen, la possibilité de participer aux institutions européennes et une sécurité géopolitique et professionnelle.
47. Le respect des minorités ethniques, linguistiques et religieuses, leur intégration et leur pleine adaptation dans la société contribuent également à créer un «vivre-ensemble» qui ne peut être que source de bien-être. La Direction de la cohésion sociale du Conseil de l’Europe a ainsi démontré dans l’une de ses publications 
			(12) 
			«Concilier bien-être
des migrants et intérêt collectif – Etat social, entreprises et
citoyenneté» (Tendances de la cohésion
sociale no 19), Editions du
Conseil de l’Europe, 2008. qu’«une idée “intégrée” de bien-être devrait dominer dans tous les domaines de la politique et être l’objectif d’une responsabilité partagée entre tous les acteurs concernés, voire le centre des efforts de coordination des différents acteurs compétents en matière de migration et d’intégration».
48. Le rôle des parlements nationaux sur ces thèmes est d’ailleurs fondamental. Les représentants des différents peuples européens doivent dès à présent s’approprier des travaux réalisés par les différentes organisations internationales et experts afin de s’en inspirer lors de l’élaboration des futures lois et autres décisions publiques.

5. Les différentes initiatives

49. Le Conseil de l’Europe et son Assemblée parlementaire ont depuis longtemps pris en considération ces questions de bien-être et de croissance économique. Déjà en 1975 – soit deux ans après le premier choc pétrolier – l’Assemblée adoptait la Résolution 592 (1975) relative aux conséquences économiques des «limites de la croissance» dans laquelle elle demeurait «convaincue de la nécessité d’utiliser une plus large part des fruits de la croissance économique pour résoudre les problèmes écologiques et sociaux, et combattre le gaspillage des ressources limitées».
50. Plus récemment, le Conseil de l’Europe et sa Division du développement de la cohésion sociale ont élaboré en 2005 un «Guide méthodologique» qui tente de définir des indicateurs de cohésion sociale. Cette même division, en partenariat avec l’OCDE et la province autonome du Trentin, a également organisé un vaste séminaire «Impliquer les citoyens/communautés dans l’évaluation et la promotion du bien-être et du progrès: vers des nouveaux concepts et outils» 
			(13) 
			27-28 novembre 2008,
Conseil de l’Europe, Strasbourg.. Ce séminaire est revenu sur des thèmes tels que les aspects institutionnels, les relations avec les pouvoirs publics, la corrélation des divers indicateurs, le développement des processus participatifs et l’invention de nouveaux outils et concepts. Tous les experts ont convenu qu’il fallait aller au-delà du PIB. Votre rapporteur a été amené à prononcer les mots de conclusion de ce séminaire.
51. La Commission européenne a également engagé des travaux sur ces thèmes précis. A l’occasion d’une conférence internationale, «Beyond GDP, measuring true wealth, and the well-being of nations», organisée en partenariat avec le Parlement européen, le Club de Rome, le WWF et l’OCDE à Bruxelles, les 19 et 20 novembre 2007, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a appelé de ses vœux «cette espèce de percée que nous avons vue dans les années 1930, une percée qui adapte le PIB ou qui le complète avec des indicateurs plus adaptés à nos besoins et à nos défis d’aujourd’hui».
52. La Commission européenne a donc engagé une vaste réflexion sur cette problématique. Dans sa communication au Conseil européen et au Parlement européen, en août 2009, la Commission européenne a convenu qu’il fallait adapter nos indicateurs à un monde en mutation aussi bien politiquement qu’économiquement et que ceux-ci devaient permettre de répondre aux préoccupations des citoyens. Elle a programmé cinq actions afin de mesurer le progrès: 1. ajouter des indicateurs environnementaux et sociaux au PIB et notamment un indice environnemental global; 2. faire en sorte que les informations soient disponibles rapidement pour une meilleure efficience; 3. renforcer la mesure des inégalités; 4. développer un tableau de bord européen du développement durable; 5. étendre les comptes nationaux aux thèmes touchant l’environnement et le social.
53. L’objectif final de la Commission européenne qui prévoit de dresser un rapport sur ces initiatives d’ici à 2012 suppose que «les politiques nationales et communautaires seront en fin de compte jugées sur leur capacité à atteindre ces objectifs et à améliorer le bien-être des citoyens européens. Pour cette raison, les futures politiques devront reposer sur des données rigoureuses, dûment mises à jour et acceptées de tous, et couvrant toutes les questions essentielles». Cet objectif permettra en outre de contribuer à fixer les nouvelles données stratégiques de la Stratégie de Lisbonne d’après 2010.
54. Mais c’est l’OCDE qui reste l’organisation internationale la plus impliquée sur cette question précise. L’OCDE a lancé un projet mondial, baptisé «Mesurer le progrès des sociétés», qui s’est donné pour objectif de mettre au point des indicateurs clés dans les domaines économique, social et environnemental, afin de donner une image globale de la façon dont évolue le bien-être d’une société. Ce projet regroupe de nombreux travaux émanant de plus de 1 200 participants venant de près de 130 pays et qui s’expriment lors des grands forums mondiaux de l’OCDE consacrés à ce sujet en coopération avec la Commission européenne, les Nations Unies, la Banque mondiale et l’Organisation de la Conférence Islamique.
55. Lors du second Forum mondial de l’OCDE (27-30 juin 2007), les différentes parties ont adopté une déclaration commune (Déclaration d’Istanbul) dans laquelle il a été convenu que «le bien-être dépend en partie de politiques publiques transparentes dont les responsables sont tenus comptables et que la disponibilité d’indicateurs statistiques sur les résultats économiques, sociaux, environnementaux, et leur diffusion auprès du public peuvent contribuer à promouvoir une gouvernance de qualité et à améliorer le processus démocratique».Cette déclaration trouve toute sa résonance dans les valeurs du Conseil de l’Europe et de son Assemblée parlementaire, en particulier au sein de la commission des questions économiques et du développement qui a toujours soutenu qu’une bonne gouvernance économique était un facteur de stabilité démocratique. Enfin, la déclaration d’Istanbul a manifesté entre autres sa volonté de «partager de meilleures pratiques sur la mesure du progrès sociétal et de stimuler le débat international en se basant sur des statistiques et des indicateurs adaptés».
56. Le 3e Forum mondial de l’OCDE, «Statistiques, connaissances et politiques»,qui s’est tenu à Busan en Corée du Sud (27-30 octobre 2009) a notamment été consacré aux nouveaux paradigmes permettant de mesurer le progrès et à la meilleure façon de garantir, et surtout de mesurer, le bien-être de nos populations. Des représentants des mondes économique, politique ou médiatique, mais également des acteurs de la société civile, aussi bien des ONG que des artistes, ont pu exprimer leurs visions du bien-être et leurs solutions pour en rendre compte.
57. A l’initiative du président de la République française, Nicolas Sarkozy, une commission de mesure de la performance économique et du progrès social a été instituée le 8 janvier 2008. Elle s’est donnée pour mission essentielle d’engager une «réflexion sur les moyens d’échapper à une approche trop quantitative, trop comptable de la mesure de nos performances collectives» et surtout d’élaborer de nouveaux indicateurs de richesse. Placée sous la présidence de Joseph Stiglitz (d’où son nom de «commission Stiglitz»), prix Nobel d’économie, elle regroupe d’autres prix Nobel et personnalités éminentes ayant travaillé sur les questions de bonheur et de bien-être économique, tels que Amartya Sen, Daniel Kahneman mais également Kenneth Arrow, James Heckman, Nicholas Stern ou Enrico Giovannini. L’objectif de cette commission est complémentaire de l’initiative de l’OCDE et de son projet «Mesurer le progrès des sociétés». Elle s’est davantage concentrée sur la qualité de vie que sur le bonheur à proprement parler, afin de couvrir un spectre plus large de domaines.
58. Comme le rappelle Joseph Stiglitz, le problème qui se pose réside dans «l’énorme fossé entre les mesures de variables tellement importantes comme la croissance économique, l’inflation, l’inégalité et la mobilité sociale et les perceptions publiques. Les revenus peuvent augmenter mais les gens se sentent plus pauvres ou l’inflation peut chuter mais les gens constatent des prix élevés dans leurs magasins de proximité» 
			(14) 
			Joseph
Stiglitz, Progress, what progress? . C’est dans cette optique que la commission a axé ses travaux sur trois domaines d’enquête donnant lieu à trois commissions de travail: 1. Comment étendre et modifier le PIB; 2. Comment la croissance économique et le progrès social peuvent être mis en relation avec le développement durable et l’environnement; 3. Comment mesurer la qualité de vie à partir de données évaluant la manière dont les citoyens vivent leurs vies et perçoivent leur bien-être.
59. Plusieurs réunions de cette commission ont permis d’avancer sur ces questions de bien-être. L’une d’elles, tenue les 22 et 23 avril 2008, est revenue sur l’importance de détecter les corrélations entre les données macroéconomiques comme celles du PIB et les indicateurs sociaux et environnementaux. Cette réunion a également souligné la nécessité de disposer d’indicateurs régulièrement actualisés. Les conclusions des travaux de cette commission Stiglitz ont été publiées le 14 septembre 2009 et comportent douze recommandations:

Recommandation n° 1: dans le cadre de l’évaluation du bien-être matériel, se référer aux revenus et à la consommation plutôt qu’à la production;

Recommandation n° 2: mettre l’accent sur la perspective des ménages;

Recommandation n° 3: prendre en compte le patrimoine en même temps que les revenus et la consommation;

Recommandation n° 4: accorder davantage d’importance à la répartition des revenus, de la consommation et des richesses;

Recommandation n° 5: élargir les indicateurs de revenus aux activités non marchandes;

Recommandation n° 6: la qualité de la vie dépend des conditions objectives dans lesquelles se trouvent les personnes et de leurs «capabilités» (capacités dynamiques). Il conviendrait d’améliorer les mesures chiffrées de la santé, de l’éducation, des activités personnelles et des conditions environnementales. En outre, un effort particulier devra porter sur la conception et l’application d’outils solides et fiables de mesure des relations sociales, de la participation à la vie politique et de l’insécurité, ensemble d’éléments dont on peut montrer qu’il constitue un bon prédicteur de la satisfaction que les gens tirent de leur vie;

Recommandation n° 7: les indicateurs de la qualité de la vie devraient, dans toutes les dimensions qu’ils recouvrent, fournir une évaluation exhaustive et globale des inégalités;

Recommandation n° 8: des enquêtes devront être conçues pour évaluer les liens entre les différents aspects de la qualité de la vie de chacun et les informations obtenues devront être utilisées lors de la définition de politiques dans différents domaines;

Recommandation n° 9: les instituts de statistiques devraient fournir les informations nécessaires pour agréger les différentes dimensions de la qualité de la vie et permettre ainsi la construction de différents indices;

Recommandation n° 10: les mesures du bien-être, tant objectif que subjectif, fournissent des informations essentielles sur la qualité de la vie. Les instituts de statistiques devraient intégrer à leurs enquêtes des questions visant à connaître l’évaluation que chacun fait de sa vie, de ses expériences et priorités;

Recommandation n° 11: l’évaluation de la durabilité nécessite un ensemble d’indicateurs bien défini dont les composantes devront avoir pour trait distinctif de pouvoir être interprétées comme des variations de certains «stocks» sous-jacents. Un indice monétaire de durabilité a sa place dans un tel ensemble; toutefois, en l’état actuel des connaissances, il devrait demeurer principalement axé sur les aspects économiques de la durabilité;

Recommandation n° 12: les aspects environnementaux de la durabilité méritent un suivi séparé reposant sur une batterie d’indicateurs physiques sélectionnés avec soin. Il est nécessaire, en particulier, que l’un d’eux indique clairement dans quelle mesure nous approchons de niveaux dangereux d’atteinte à l’environnement (du fait, par exemple, du changement climatique ou de l’épuisement des ressources halieutiques).

60. Un collectif d’associations, de chercheurs et de réseaux de la société civile, baptisé «Forum pour d’Autres Indicateurs de Richesses» (FAIR), a également vu le jour durant l’année 2008, dans la perspective des travaux de la commission Stiglitz avec laquelle FAIR travaille étroitement. Offrir une vision renouvelée de la richesse ou du développement humain durable et aller au-delà des simples indicateurs économiques sont ses principales missions. Selon l’un de ses membres, Florence Jany-Catrice, économiste et maître de conférences à l’université de Lille I, de nouveaux indicateurs doivent être inventés pour permettre une «expression plurielle du “progrès sociétal”, de “qualité de vie” de bien-être pour tous, de santé sociale, de richesses dans leurs multidimensionnalités: culturelles, sociales et environnementales».

6. Les premières applications dans les Etats membres du Conseil de l’Europe

61. Plusieurs Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe commencent à prendre en compte la diversité de ces indicateurs économiques, sociaux, environnementaux et démocratiques. En lien avec le Conseil de l’Europe ou de leur propre initiative, ces Etats visent à assurer le bien-être et le progrès de leurs sociétés et à intégrer ce critère particulier dans les réflexions et les décisions de leurs collectivités publiques.
62. Le Royaume-Uni, et plus particulièrement le pays de Galles, a été un pionnier dans cette réflexion. En effet, l’Assemblée galloise a, dès 2001, intégré ces divers indicateurs dans son processus administratif de décision, devenant la première collectivité au monde dans ce domaine. Le Canada a également mis au point un nouvel indice qui prend en compte sept facteurs: niveau de vie, emploi du temps, santé, environnement, éducation, vie communautaire, engagement civique.
63. Plusieurs collectivités territoriales ont lancé divers projets concrets qui s’inscrivent dans cette voie, sur le terrain, avec le concours des citoyens. L’Italie a, par exemple, lancé depuis 1999 de vastes plans de stratégie urbaine dans près de 70 villes afin de promouvoir à l’échelon local des formes de démocratie délibérative avec la société civile. C’est le cas, par exemple, dans la ville de Piacenza qui a mis en place un suivi local des besoins sociaux et où près de 60 travailleurs sociaux recensent les besoins des habitants pour améliorer leurs conditions de vie et leur bien-être. Cette même ville est également à l’origine d’un festival culturel, baptisé «les Usines du Bonheur» («Fabbriche della Felicità»), qui a permis la définition de nouveaux indicateurs et de comportements, produisant du bien-être et du bonheur, mais également un travail de recherche de sites urbains susceptibles d’apporter du bien-être ou, à l’inverse, de l’embarras 
			(15) 
			Paolo Rizzi, directeur
du laboratoire de l’économie locale, université catholique du Sacré-Cœur,
Piacenza, séminaire: «Impliquer les citoyens/communautés dans l’évaluation
et la promotion du bien-être et du progrès: vers des nouveaux concepts
et outils», 27-28 novembre 2008, Conseil de l’Europe, Strasbourg..
64. En lien avec son Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, qui s’est penché avec attention sur cette question, le Conseil de l’Europe a réalisé plusieurs expérimentations des principes évoqués dans le «Guide méthodologique» dans des quartiers, des entreprises, des écoles ou des services publics, par exemple à Mulhouse (France) ou à Timişoara (Roumanie). A Mulhouse, l’expérimentation a montré l’impact des diverses activités humaines (activités économiques des entreprises, projets ou actions spécifiques) sur le bien-être de la population vivant à proximité.
65. Si les collectivités publiques ont engagé des efforts pour mesurer et améliorer le bien-être de leurs citoyens, comme en Bulgarie où le ministère du développement régional et des travaux publics a lancé en 2007 avec le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), un grand projet de rénovation d’immeubles multifamiliaux, il est également des villes où les citoyens eux-mêmes se sont organisés en vue de promouvoir leur bien-être économique et en privilégiant bien souvent des valeurs telles que la solidarité, la coopération ou la redistribution. Ces initiatives citoyennes prennent la forme de microcrédits professionnels, de services sociaux d’intérêt général ou d’entreprises solidaires ou d’insertion. D’ailleurs, un rapport du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe va dans ce sens en préconisant la création de nouveaux indicateurs de qualification/quantification pour valoriser des temps d’implication citoyenne à plus-value sociale et de la production locale dite non rentable 
			(16) 
			Consommation
responsable et finance solidaire, Pauline Dee, Royaume-Uni (D,GILD),
commission de la cohésion sociale, 15 avril 2008..

7. Conclusion: richesses et bien-être à l’aune de la crise économique

66. Aujourd’hui, la crise économique oblige nos sociétés à repenser leurs rapports à la richesse et à considérer la croissance économique en tenant compte du bien-être des sociétés. Il n’est plus possible de concevoir le XXIe siècle avec un logiciel hérité du XXe.
67. Si le PIB reste encore un indicateur fondamental de mesure de nos économies, il demeure insuffisant à mesurer le bien-être, car il conserve une caractéristique purement comptable. Il convient aujourd’hui de prendre en compte d’autres indicateurs qui traduisent la variété des diverses composantes du bien-être des sociétés, telles que la santé, l’environnement, l’éducation et les valeurs démocratiques. Cependant le PIB ne doit pas forcément être abandonné mais au contraire amélioré, perfectionné et enrichi.
68. Les différents travaux et études menées à ce jour par les grandes organisations européennes et internationales, en particulier le Conseil de l’Europe et l’OCDE, doivent être poursuivis et soutenus afin que l’économie parvienne à mieux rendre compte, en termes économiques, des besoins réels de nos sociétés comme celui d’avoir conscience de la limitation des ressources ou celui d’accorder une place centrale à l’Etat dans nos économies et dans sa gestion des services publics. Elles ont également la lourde tâche d’inventer les solutions économiques de demain, si lourdes de conséquences pour les générations futures.
69. Un débat s’est engagé ces dernières années sur ce que l’on appelle la décroissance. Cette théorie économique définie par l’économiste roumain Nicholas Georgescu-Roegen (1908-1994) tente de montrer que la croissance économique n’est pas durable et que cette dernière et son indicateur, le PIB, ne prennent pas en compte d’autres indicateurs comme le coût environnemental de l’exploitation des ressources. Les divers tenants de cette idée pensent qu’il est possible d’inventer un modèle économique qui ne passe pas par la recherche permanente de la croissance et que cette dernière n’est pas synonyme de progrès. La commission des questions économiques et du développement a entendu Nicolas Ridoux, auteur de La Décroissance pour tous (2006) qui a insisté sur le fait que les richesses que nous possédons sont suffisamment importantes et qu’au lieu de continuer à les accroître au détriment de l’environnement, par exemple, il convient de mieux les répartir.
70. La crise économique a d’ailleurs remis cette idée au goût du jour, celle de privilégier l’humain plutôt que les biens matériels. Et avec elle, de nombreux défis économiques et sociaux: doit-on allonger la durée du travail dans nos sociétés pour satisfaire des besoins industriels lors d’une prochaine reprise économique, ou doit-on au contraire réduire cette même durée du travail pour privilégier le bien-être de nos populations qui ne consommeraient plus à outrance? Nos économies, qui devront être plus respectueuses de l’environnement, moins carbonées, doivent-elles placer l’homme au centre de leurs préoccupations et non plus la rentabilité financière à travers des capitaux boursiers qui provoquent licenciements, plans de restructuration et délocalisations?
71. Favoriser le bien-être des sociétés tout en maintenant un niveau suffisamment élevé de richesses apparaît bel et bien comme le principal défi des économies de nos Etats pour les années à venir. Il faut également que ces derniers prennent conscience de l’adaptabilité permanente de ces mêmes indicateurs, car le monde change tellement vite sous l’effet du développement des moyens de communications, de la crise économique ou du réchauffement climatique.
72. Tous les efforts de production et d’identification de ces nouveaux indicateurs doivent absolument, pour être efficaces et profiter au plus grand nombre, faire l’objet d’une vaste concertation internationale, qui d’ailleurs pourrait être incluse dans les grandes discussions en cours, comme au G20, sur la moralisation du capitalisme mondial et l’établissement de nouvelles règles dans la finance internationale.
73. Nous devons mettre l’accent sur l’homme et non plus sur le seul marché, car nous avons compris que la croissance économique n’est rien sans le bien-être de nos concitoyens. Et celui-ci passe par une amélioration de leurs conditions économiques et sociales. Ces nouveaux indicateurs permettront de mieux les identifier et, comme le rappelle Joseph Stiglitz, «l’élaboration de méthodes de mesure plus justes et plus précises des résultats économiques, environnementaux et sociaux, est cruciale pour construire un monde meilleur» 
			(17) 
			L’Observateur
de l’OCDE no 272, avril 2009..
74. Il importe également que cet intense débat autour des indicateurs de richesse et de la manière de mesurer le bien-être des populations ne reste pas affaire d’experts. Il ne faut pas, à mon sens, donner trop d’indicateurs qui risquent de brouiller le message initial et surtout de ne pas intéresser l’opinion publique. Cela impliquera un choix qui devra être le plus judicieux possible. De plus, il s’agit surtout d’être le plus précis possible, de cerner au mieux les critères constitutifs du bien-être, car personne ne se reconnaît dans une moyenne, surtout si les inégalités devaient persister, voire augmenter.
75. Les responsables politiques doivent donc dès à présent s’emparer de cette question et s’en inspirer pour établir les nouvelles politiques publiques économiques, sociales, environnementales et médicales. Même si la réalité des choses ne s’avérait pas flatteuse, nous avons un devoir d’honnêteté, car mettre en place de nouveaux indicateurs qui diraient que les populations sont parfaitement heureuses et que le bien-être est à son zénith, alors que les inégalités sociales persistent et que les insécurités augmentent, porterait un coup très rude à la crédibilité des élites et des responsables politiques déjà mise à mal par les forts taux d’abstention électorale en Europe. C’est pour cela que la société civile doit être un partenaire incontournable afin d’identifier au mieux les attentes des différents peuples d’Europe et surtout d’y répondre de manière efficace.

Commission chargée du rapport: commission des questions économiques et du développement

Renvoi en commission: Renvoi 3468 du 27 juin 2008

Projet de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 19 mars 2010

Membres de la commission: M. Paul Wille (Président), MM. Ruhi Açikgöz, Miguel Arias Cañete, Robert Arrigo, Viorel Riceard Badea, Mme Doris Barnett, Mme Maryvonne Blondin, MM. Fernand Boden, Márton Braun, Patrick Breen, Erol Aslan Cebeci, Lord David Chidgey, Per Dalgaard, Kirtcho Dimitrov, Tuur Elzinga, Relu Fenechiu, Erich Georg Fritz, Guiorgui Gabashvili, Giuseppe Galati (Troisième Vice-Président), Marco Gatti, Paolo Giaretta, Francis Grignon, Mme Arlette Grosskost, Mme Azra Hadžiahmetović, Mme Karin Hakl, MM. Stanislaw Huskowski, Igor Ivanovski, Čedomir Jovanović, Mme Nataša Jovanović, MM. Antti Kaikkonen, Oskars Kastēns, Serhiy Klyuev, Albrecht Konečný (Deuxième Vice-Président), Bronisław Korfanty, Ertuğrul Kumcuoğlu (Premier Vice-Président), Mme Athina Kyriakidou, MM. Bob Laxton, Harald Leibrecht, Mme AnnaLilliehöök, MM. Arthur Loepfe, Marian Lupu, Denis MacShane (remplaçant: Earl ofAlexander Dundee), Dirk van der Maelen, Yevhen Marmazov, Jean-Pierre Masseret, Silver Meikar, Miloš Melčák, José Mendes Bota, Andrey Molchanov, M. Juan Moscoso del PradoHernández, Mme Lilja Mósesdóttir, M. Alejandro Muñoz Alonso, Mme Olga Nachtmannová, Mme Hermine Naghdalyan, M. Gebhard Negele, Mme Mirosława Nykiel, Mme Vassiliki Papandreou, Mme Ganira Pashayeva, Mme Marija Pejčinović-Burić, MM. Petar Petrov, Viktor Pleskachevskiy (remplaçant: M. Vladimir Zhidkikh), M. Jakob Presečnik (remplaçant: M. Peter Verlič), M. Maximilian Reimann, M. Andrea Rigoni (remplaçant: M. Dario Franceschini), Mme Maria de Belém Roseira, MM. Giuseppe Saro, Mme Ingjerd Schou, MM. Predrag Sekulić, Samad Seyidov, Leonid Slutsky, Serhiy Sobolev, MM. Christophe Steiner, Vyacheslav Timchenko, M. Joan Torres Puig, Mme Arenca Trashani, M. Mihai Tudose, MM. Árpád Velez, Mme Birutė Vėsaitė, MM. Oldřich Vojíř, Konstantinos Vrettos, Harm Evert Waalkens, M. Robert Walter, M. Karl-Georg Wellmann, Mme Maryam Yazdanfar.

N.B. les noms des membres ayant participé à la réunion sont indiqués en gras

Secrétariat de la commission: M. Newman, Mme Ramanauskaite, M. de Buyer et M. Pfaadt