1. Introduction
1. Le 27 janvier 2011, deux semaines après la «révolution
du jasmin» qui a mis fin au régime de Ben Ali en Tunisie et a, sans
doute, ouvert un nouveau chapitre dans l’Histoire, connu désormais
sous l’appellation «printemps arabe», l’Assemblée parlementaire
a tenu un débat d’urgence sur la situation en Tunisie.
2. Dans la
Résolution
1791 (2011) adoptée à cette occasion, elle a rendu hommage
au courage et à la détermination du peuple tunisien qui a clairement
montré sa volonté de mettre fin au régime autoritaire et de faire
de la Tunisie un pays libre, ouvert et démocratique.
3. L’Assemblée a salué les premières mesures des autorités provisoires
en vue de libéraliser la vie politique du pays, et les a appelées
à engager des réformes politiques profondes afin de répondre aux
attentes des Tunisiens.
4. Elle s’est engagée à suivre attentivement l’évolution politique
en Tunisie, à renforcer son dialogue avec les nouvelles institutions
qui suivront les élections à venir, et à trouver des moyens appropriés
pour l’assister dans sa progression vers la démocratie.
5. Le présent rapport a donc pour but de dresser un bilan d’étape
sur les évolutions politiques en Tunisie dans les mois qui ont suivi
la révolution du jasmin et d’envisager les moyens pour faire profiter
la démocratie qui émerge en Tunisie de l’expérience du Conseil de
l’Europe en matière de transition démocratique.
6. Je tiens à souligner qu’il ne s’agit pas de donner aux Tunisiens
des «leçons de démocratie» ni d’imposer des solutions made in Council of Europe. Il est
tout à fait compréhensible que les Tunisiens, trop longtemps privés
de leur souveraineté politique, soient déterminés à construire une
démocratie tunisienne, certes fondée sur les valeurs universelles,
mais faite sur mesure pour répondre aux besoins et aux conditions
spécifiques du pays.
7. En même temps, au cours de la transition démocratique, la
Tunisie aura certainement à affronter des défis et à résoudre des
problèmes que d’autres pays en transition vers la démocratie ont
connus. L’expérience du Conseil de l’Europe en la matière, qui a
contribué à la mise en place de la démocratie dans les pays de l’Europe,
peut leur être d’une grande utilité pratique.
8. Si la révolution peut être faite en un jour, il faudra beaucoup
plus de temps pour qu’elle apporte les résultats attendus. La transition
démocratique est un processus qui peut s’étaler sur plusieurs années. L’Assemblée
devrait donc continuer à suivre les développements politiques en
Tunisie et à renforcer le dialogue avec les principales forces politiques
et la société civile de cette démocratie émergente.
9. Dans le cadre de la préparation du présent rapport, la commission
des questions politiques a organisé une audition avec des représentants
de la société civile tunisienne et le président de la Commission
de Venise. Cette audition, qui a eu lieu le 9 mars 2011 à Paris,
a été d’une grande utilité et a permis à la commission des questions
politiques d’entendre les points de vue des acteurs directement
impliqués dans la mise au point de l’agenda des réformes en Tunisie,
et a donné l’occasion aux membres de la commission de mieux comprendre la
nature des processus politiques qui sont en cours dans le pays.
L’audition a aussi permis d’établir un degré de confiance mutuelle,
ce qui a contribué à créer une atmosphère constructive et a facilité
les contacts ultérieurs tant au niveau de l’Assemblée qu’au niveau
de la Commission de Venise.
10. Du 20 au 22 avril 2011, j’ai participé, en tant que présidente
de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe, à une
visite du Comité des présidents de l’Assemblée en Tunisie. En ma
qualité de rapporteur, j’ai eu une série de contacts supplémentaires
la veille. Toutefois, le programme de ma visite était concentré sur
la ville de Tunis et ne m’a pas permis d’observer la situation à
l’intérieur du pays. Selon certaines informations, cette situation
diffère considérablement, tant sur le plan socio-économique que
sur le plan politique, de celle dans la capitale. Je considère donc
nécessaire que le rapporteur de l’Assemblée puisse prendre connaissance
de la situation en province. Des contacts devraient également être
établis avec les représentants des instances judiciaires et du monde
économique, ainsi qu’avec les représentants des médias.
11. Enfin, je tiens à mentionner ma participation, les 5 et 6
mai 2011, à une conférence intitulée «Plateforme de Sofia – Expérience
de l’Europe centrale et de l’Est et changement en Afrique du Nord
et au Proche-Orient». Cette réunion, organisée conjointement par
le ministère bulgare des Affaires étrangères et la fondation de recherche
European Council on Foreign Relations, a réuni un nombre important
de personnalités politiques, de chercheurs et de représentants de
la société civile, aussi bien d’Europe que des pays de la région
d’Afrique du Nord et du Proche-Orient. Le Secrétaire Général du
Conseil de l’Europe y a présenté la vision de notre Organisation
sur les transformations en cours dans cette partie du monde. La
conférence a été une importante occasion de réfléchir ensemble sur
ce que l’Europe peut offrir à nos partenaires dans les pays en transition pour
contribuer au succès des réformes engagées.
2. Principaux développements politiques
12. Pendant plusieurs semaines après la révolution du
14 janvier 2011, la situation politique en Tunisie est restée très
instable. Le premier gouvernement provisoire, formé par l’ancien
Premier ministre Ghannouchi, le 17 janvier, avec la participation
des représentants des partis politiques de l’opposition «légale»
(les quelques formations politiques qui existaient sous l’ancien
régime) et des personnalités indépendantes, a réussi à faire passer
un certain nombre de décisions allant dans le sens de la démocratisation.
Mais ce gouvernement s’est vite retrouvé sous la pression des manifestants
qui réclamaient la démission des ministres ayant servi sous le régime
de Ben Ali.
13. En même temps, les forces politiques proches de l’ancien régime,
du parti RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique) de Ben
Ali et des services de sécurité, ont essayé de semer le désordre
dans le pays pour détourner le processus de transition vers un nouvel
autoritarisme dissimulé sous une libéralisation politique «contrôlée».
14. Face à ces tentatives, les éléments favorables au changement
démocratique, en particulier les syndicats et les membres actifs
de la société civile, ont continué à faire pression sur le gouvernement provisoire
par des manifestations. Ils ont aussi entrepris de se constituer
en un Conseil national de défense de la révolution, qui a exigé
la convocation d’une assemblée constituante et la dissolution de
toutes les institutions héritées de l’ère Ben Ali, à savoir le parlement,
le RCD et la police politique.
15. Début février, les deux chambres du parlement ont voté une
loi permettant au Président par intérim, Fouad Mebazaa, de gouverner
par décrets-lois. Le parlement a ensuite été suspendu, puis dissout.
Par ailleurs, un décret-loi du Président par intérim proclamant
l’amnistie des prisonniers politiques a été publié le 19 février.
16. Parmi les principales décisions du gouvernement de Ghannouchi,
il convient de noter l’interdiction de l’ancien parti dirigeant
RCD, ainsi que la mise en place d’une commission de réforme des
textes et des institutions, censée préparer la transformation démocratique
du pays.
17. Il faut également mentionner la dissolution du ministère de
la Communication (qu’il serait plus correct de nommer «ministère
de propagande et de censure»), et une certaine libéralisation des
médias. Cependant, une réforme dans le domaine de la presse reste
encore à faire. Ainsi, nous avons été informés des difficultés que des
organisations non gouvernementales (ONG) rencontrent si elles souhaitent
obtenir des fréquences radio.
18. Le 27 février, le deuxième gouvernement présidé par l’ancien
Premier ministre Ghannouchi a été amené à démissionner sous la pression
des protestations. Le nouveau gouvernement transitoire, dirigé par
M. Beji Caïd Essebsi, ne comporte plus aucun membre qui ait été
proche du régime de Ben Ali, et se positionne comme un cabinet de
technocrates dont l’objectif est de garantir le calme et la stabilité
pendant la période transitoire.
19. Le 3 mars, le Président par intérim a fixé la date de l’élection
d’une assemblée constituante au 24 juillet 2011
,
au suffrage universel direct et suivant un nouveau code électoral.
Un organe spécifique, intitulé «Haute instance pour la réalisation
des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la
transition démocratique», a été mis en place pour préparer les élections
de l’assemblée constituante. Sa présidence a été confiée à M. Yadh
Ben Achour, ancien doyen de la faculté des sciences juridiques,
politiques et sociales de Tunis, démissionnaire du Conseil constitutionnel
en 1992 et opposant au régime de Ben Ali.
20. La Haute instance, composée de 161 membres, dont de nombreux
représentants du monde politique et de la société civile, ainsi
que de juristes professionnels, a préparé et présenté au gouvernement,
à la mi-avril, les projets de loi sur l’organisation des élections
et sur la commission électorale.
21. Par ailleurs, deux autres commissions d’enquête indépendantes
ont été mises en place pour faire la lumière sur la corruption,
les malversations de l’ancien régime et les abus commis par les
forces de sécurité lors des événements de décembre 2010-janvier
2011.
22. Le 7 mars 2011, le ministre de l’Intérieur a annoncé la dissolution
de la sûreté de l’Etat et de la police politique.
23. Un équilibre politique et institutionnel relatif, bien que
fragile, semblerait désormais en place en Tunisie, ce qui permet
aux autorités provisoires d’être relativement optimistes quant à
la possibilité de préparer les élections. Toutefois, les autorités
laissent entendre que cette date pourrait être reportée si les conditions
pour un scrutin répondant aux normes démocratiques ne sont pas réunies.
24. La fragilité de cet équilibre a pourtant été mise en évidence
par les événements du 5 mai dernier, provoqués par les déclarations
de l’ancien ministre tunisien de l’Intérieur Farhat Rajhi, qui a
annoncé la préparation d’un «coup d’Etat militaire» en cas de victoire
électorale des islamistes. Le gouvernement a condamné ces propos
en les qualifiant d’«atteinte à l’ordre public». Les manifestations
qui ont suivi cet incident ont tourné en émeute, les jeunes Tunisiens
exigeant la démission du gouvernement transitoire et «une nouvelle
révolution». La police a dû utiliser le gaz lacrymogène, puis les
armes pour mettre fin aux débordements. Plusieurs magasins et maisons
ont été pillés. Le 7 mai, les autorités ont instauré un couvre-feu à
Tunis. Quelque 600 personnes ont été interpellées. Le couvre-feu
a été levé le 18 mai 2011.
3. Défis de la transition politique
25. Dans l’espace des quatre mois qui ont suivi la révolution,
la société tunisienne a connu une transformation remarquable. Les
Tunisiens sont fiers des avancées démocratiques et des libertés
politiques qu’ils ont obtenues.
26. Cependant, la victoire de la révolution ne signifie pas, loin
de là, l’avènement de la démocratie. Les défis à relever sont de
taille si l’on prend en considération l’absence d’institutions,
de structures et de traditions démocratiques dans un pays dirigé
pendant des décennies par un régime autoritaire.
27. Actuellement, les autorités transitoires n’ont aucune représentativité,
et ne s’appuient sur aucune légitimité autre que celle issue de
la révolution. Leur premier objectif est donc d’organiser des élections démocratiques,
ouvertes, équitables et transparentes qui consacreraient les choix
démocratiques des Tunisiens et donneraient la légitimité au pouvoir
issu de ces élections. Le gouvernement de M. Beji Caïd Essebsi a
déclaré qu’il resterait en dehors de l’organisation des élections,
et qu’aucun de ses membres ne se présenterait comme candidat à la
future assemblée.
28. La Haute instance présidée par M. Ben Achour a effectué un
travail remarquable de préparation du cadre juridique des futures
élections de l’assemblée constituante. Elle a élaboré, adopté par
vote le 11 avril 2011 et transmis au gouvernement deux projets de
décrets-lois, l’un relatif à l’élection de l’assemblée nationale constituante
et l’autre, à l’élection de l’instance supérieure indépendante pour
les élections.
29. Le projet de décret-loi électoral a pour ambition de garantir
des élections pluralistes, transparentes, crédibles et démocratiques.
Le mode de scrutin proposé est le scrutin à un tour à la proportionnelle,
aux listes fermées, par circonscriptions, avec la répartition au
plus fort reste pour les sièges non pourvus.
30. Le projet garantit le droit de chaque Tunisien, y compris
ceux résidant à l’étranger, de participer aux élections avec leur
carte nationale d’identité. L’établissement des listes des électeurs
devrait s’effectuer sous le contrôle de l’instance supérieure indépendante
pour les élections; le ministère de l’Intérieur, qui était en charge
de l’administration des élections sous l’ancien régime, est écarté
des opérations électorales.
31. Pour ce qui est de la campagne électorale, le projet comprend
des principes fondamentaux garantissant l’impartialité de l’administration,
la non-exploitation des lieux de culte et la transparence de la
campagne électorale au niveau du financement.
32. Deux dispositions du projet de décret-loi sont particulièrement
sensibles et ont provoqué de nombreuses discussions en Tunisie:
la parité homme-femme dans les listes électorales et la non-éligibilité
des anciens cadres de l’ex-parti dirigeant RCD.
33. En ce qui concerne la parité, le projet prévoit que les listes
électorales doivent comporter un nombre égal de candidats et de
candidates, placés sur les positions alternées («liste-zèbre»).
Une liste ne répondant pas à cette exigence serait annulée.
34. Cette disposition a suscité beaucoup de polémiques. Certains
craignent, en effet, qu’elle ne pénalise les nouveaux partis qui
ne sont pas encore bien structurés et n’ont pas assez de candidates,
et ne favorise les partis bien implantés à travers le pays qui chercheraient
à augmenter leurs résultats en faisant élire des femmes sans expérience.
35. La question de l’interdiction, pour les anciens cadres du
RCD, de se présenter en tant que candidats a provoqué encore davantage
de débats, aussi bien sur le principe même de priver une catégorie
de personnes de leurs droits d’être élus, sans autre forme de procédure
juridique, que sur l’étendue d’une telle mesure.
36. Toutefois, l’argument politique, selon lequel les responsables
de l’ancien régime qui portent la responsabilité de ses méfaits
ne sauraient être admis à la rédaction de la future Constitution,
semble l’avoir emporté. En même temps, cette interdiction devrait
être nominative, ne concerner que l’élection de l’assemblée constituante
(et non pas les élections suivantes), et pourrait être contestée
devant les tribunaux.
37. Selon les estimations de nos interlocuteurs tunisiens, cette
interdiction devrait toucher quelque 2 000 à 2 500 personnes ayant
occupé des postes de responsabilité dans les organes centraux du
parti RCD (bureau politique et comité central), ainsi que dans les
organisations territoriales au niveau des gouvernorats.
38. Le mode de scrutin proposé dans le projet de décret-loi fait
aussi l’objet de critiques: selon certains, il pénaliserait les
petits partis et ne pourrait donc pas assurer la plus large représentativité
possible à l’assemblée constituante – chambre d’où doit émaner un
consensus général.
39. Le deuxième projet de décret-loi concerne l’instance supérieure
indépendante pour les élections qui est élue par la Haute instance
et est composée de 15 membres: trois magistrats, trois avocats,
un expert-comptable, un journaliste, deux représentants d’organisations
non gouvernementales (tous présélectionnés par les associations),
ainsi que trois universitaires, un informaticien et un représentant
des Tunisiens de l’étranger. Le 9 mai, 13 membres ont été désignés,
les magistrats n’ayant pas présenté de candidats. Sur les 161 membres
de la Haute instance, 126 ont participé au vote.
40. La mission de l’Instance supérieure indépendante pour les
élections consiste à préparer, gérer et contrôler l’opération électorale
dans son ensemble et à proclamer les résultats préliminaires des
élections, avant l’examen des demandes de recours par une autre
instance, «l’instance supérieure des contentieux électoraux», qui
sera instituée à cet effet par un décret-loi.
41. Les élections étaient initialement fixées au 24 juillet 2011.
Les autorités tunisiennes insistaient sur l’importance de respecter
cette date, tout d’abord pour des raisons de crédibilité du processus
démocratique, mais aussi pour éviter qu’elles ne soient reportées
à la période d’après le mois du ramadan.
42. Cependant, en ce qui concerne l’organisation matérielle des
élections, tout reste à faire: établir les listes d’électeurs, définir
les circonscriptions, former le personnel des commissions électorales
locales, etc. Il est envisagé de renoncer à des cartes électorales
mais d’avoir recours aux cartes d’identité pour pouvoir voter. Or,
à ce stade, nombre d’électeurs ne sont pas en possession de ce document.
Après avoir constaté qu’il n’était pas possible d’assurer la bonne
préparation des élections, l’Instance supérieure indépendante pour
les élections a adopté, lors de sa réunion de 22 mai 2011, la proposition
de reporter les élections de l’assemblée constituante au 16 octobre
2011, mais le gouvernement de transition a décidé, au Conseil des
ministres du 24 mai, de maintenir la date initialement annoncée
du 24 juillet 2011 pour tenir les engagements pris au mois de mars.
43. Le paysage politique tunisien est actuellement en pleine ébullition.
Après la libéralisation des procédures de création de partis, leur
nombre dépasse désormais 60 et de nouveaux sont institués toutes
les semaines. Certains ont existé sous le régime Ben Ali (opposition
dite «légale»
) et ont des structures plus ou moins fonctionnelles
et des orientations politiques plus ou moins définies.
44. La plupart des nouveaux partis sont peu connus du public.
Dans certains cas, on pourrait les qualifier de «partis à thème
unique», en fonction des sujets qu’ils se proposent de développer
et de défendre. Des partis de ce type auront sans doute beaucoup
de mal à s’implanter à travers le pays et devront chercher des alliances,
au risque de disparaître.
45. On note également des tentatives de certains éléments de l’ancien
régime de se constituer en partis politiques. Il existe un risque
que ces éléments, qu’on qualifie de «forces de l’ombre», ne cherchent
à instrumentaliser l’aggravation des conditions sociales et économiques
pour revenir au pouvoir.
46. Parmi les partis les mieux structurés, il convient de mentionner
le parti de tendance islamique Ennahda, légalisé au début de février
après de longues années d’interdiction et de persécutions. Même
si son émergence inquiète certains, qui y voient une menace pour
les principes de la société laïque, Ennahda cherche à rassurer en
s’ouvrant au dialogue avec d’autres forces politiques et en participant
au processus politique et institutionnel en cours. Le parti participe,
aux côtés d’une dizaine d’autres formations politiques, aux travaux
de la Haute instance. Ennahda occupera, sans aucun doute, une place
considérable dans le paysage politique tunisien en formation.
47. En l’absence d’acteurs politiques établis et facilement reconnaissables
de tous, un rôle non négligeable revient actuellement aux organisations
de la société civile et du monde associatif, ainsi qu’aux syndicats
et aux organisations professionnelles, qui bénéficient d’une notoriété
certaine et jouissent d’une bonne réputation. A titre d’exemple,
plus d’une quinzaine d’organisations de ce type siègent au sein
de la Haute instance présidée par M. Ben Achour.
48. Compte tenu de l’état actuel de la vie politique en Tunisie,
caractérisée par une diversité et une fluidité importantes, le risque
existe que les électeurs, confrontés à une multitude de partis ou
d’alliances aux objectifs politiques flous et représentés par des
candidats peu connus, aient du mal à s’y retrouver et à faire des
choix éclairés.
49. A cela s’ajoute l’absence, pour les acteurs politiques tunisiens,
de l’expérience pratique de campagnes électorales. Le succès de
l’opération électorale ne peut donc être considéré comme acquis,
malgré l’optimisme et la bonne volonté des autorités transitoires.
50. Si l’élection de l’assemblée constituante est la priorité
absolue des Tunisiens, les questions se posent sur ce qui se passera
au-delà de cette élection.
51. D’une part, le Président par intérim et le gouvernement transitoire
en place ont fait savoir qu’ils déposeront le pouvoir aux mains
de l’assemblée constituante qui incarnera le choix souverain du
peuple et sera dépositaire de la légitimité. Il est cependant clair
qu’il ne sera pas facile, pour un organe électif nouvellement constitué,
d’assumer toutes les responsabilités de l’Etat dès le lendemain
de l’élection. Il faudrait donc probablement assurer une continuité
du pouvoir exécutif sous l’autorité de l’assemblée élue.
52. D’autre part, si la tâche principale de la future assemblée
constituante va consister, par définition, à préparer et adopter
la nouvelle Constitution, ses prérogatives ne se limiteront sans
doute pas à la loi fondamentale, et comprendront des éléments de
travail législatif.
53. La transition démocratique en Tunisie mettra à l’ordre du
jour la nécessité des réformes dans de nombreux domaines, tels que
l’organisation de la justice et de la police, la fiscalité, etc.
Des questions relatives à la sauvegarde constitutionnelle ou législative
des acquis positifs tunisiens, dont la situation de la femme et la
laïcité, devraient aussi être tranchées.
54. La Tunisie, qui aura plus de temps pour mettre en place ces
différentes réformes, pourrait éviter bien des erreurs si elle s’inspirait,
sans nécessairement les copier, des expériences des jeunes (mais
aussi des moins jeunes) démocraties européennes. Le Conseil de l’Europe
est un cadre privilégié pour ce partage et la mise en commun des
expériences de transition démocratique.
4. Défis économiques et sociaux
55. La situation économique et sociale précaire, avec
un chômage massif parmi les jeunes diplômés, a été l’une des causes
principales du mouvement populaire qui a finalement abouti à la
chute du régime de Ben Ali. Au sein de la population, en particulier
chez les jeunes qui ont massivement participé aux manifestations
contre l’ancien régime, les attentes sont donc grandes de voir une
amélioration rapide et substantielle de leur situation.
56. Hélas, les conséquences de la révolution sur l’économie du
pays ont jusqu’à présent été désastreuses. Les images télévisées
d’un soulèvement populaire massif confronté à une répression violente
ont fait le tour du monde et ont porté un coup grave à l’image de
la Tunisie en tant que destination sûre.
57. Le premier secteur à en souffrir a été le tourisme, l’un des
piliers de l’économie tunisienne qui occupe plus de 11 % de la population
active. Au moment culminant de la révolution, plusieurs pays européens
ont procédé à l’évacuation de leurs ressortissants qui se trouvaient
en Tunisie, et ont déconseillé les voyages vers le pays. Plusieurs
mois après les événements de janvier 2011, la confiance des vacanciers
européens n’est toujours pas revenue. Cela est illustré par les
chiffres des entrées des non-résidents qui, pour le premier trimestre
2010, s’élevaient à 1 098 200 contre 614 000 pour les trois premiers
mois de 2011, soit une baisse de 44 %.
58. De même, l’instabilité politique et l’incertitude institutionnelle
qui ont suivi la révolution ont poussé des investisseurs étrangers
à la prudence, ce qui a provoqué le ralentissement de plusieurs
projets d’investissement.
59. La liberté politique qui est devenue une réalité nouvelle
en Tunisie a permis, et même stimulé, une forte mobilisation des
mouvements sociaux et de l’activisme revendicatif. Les arrêts de
travail, les occupations de locaux industriels et les blocages des
entreprises et des routes se sont multipliés, provoquant d’importantes pertes
économiques.
60. La guerre civile et l’intervention militaire internationale
en Libye, pays voisin de la Tunisie, ont également des conséquences
néfastes sur l’économie et la situation sociale tunisiennes. Les
autorités doivent faire face à un afflux massif de dizaines, voire
de centaines de milliers de réfugiés libyens, ainsi qu’au retour
au pays des milliers de Tunisiens qui ont travaillé en Libye et
ont dû tout abandonner pour échapper aux hostilités. Le conflit en
Libye a également gravement affecté les régions du centre et du
sud de la Tunisie dont l’économie locale dépend fortement des échanges
avec ce pays voisin.
61. Selon les estimations de la Banque centrale tunisienne, au
premier trimestre 2011, la production industrielle a baissé de 13 %,
et les intentions d’investissements industriels de 36 %. Quant au
chômage, qui a été l’un des déclencheurs du mouvement social en
décembre 2010, il était estimé à 500 000 personnes en janvier, mais
pourrait dépasser 700 000 personnes en juillet.
62. L’aggravation de la situation économique et la forte progression
du taux de chômage font craindre une nouvelle explosion sociale
qui pourrait perturber l’équilibre politique fragile difficilement
atteint par les autorités, déformer les résultats des élections
à l’assemblée constituante et peser sur ses travaux. A moyen terme,
la mauvaise situation économique et sociale risque de provoquer
des sentiments de frustration et de désillusion, affaiblir le soutien
populaire aux réformes, renforcer les positions des partis populistes
ou radicaux, voire les partisans de l’ancien régime.
63. Certes, les autorités transitoires sont conscientes de ces
dangers et font des efforts pour atténuer la crise et rassurer la
population. Elles comprennent aussi que la stabilité politique et
sociale est indispensable pour le retour de la confiance des investisseurs
et la relance de l’économie. Ainsi, le gouvernement a mis en place
des programmes de relance économique et de création d’emplois dans
la fonction publique, d’aide aux jeunes chômeurs diplômés, ainsi
que de rééquilibrage régional. Il est prévu d’injecter des revenus
dans l’économie pour stimuler la consommation et pour privilégier
les investissements dans les infrastructures. Cependant, les moyens
dont disposent les autorités sont très limités.
64. La révolution tunisienne a donc besoin, de toute urgence,
d’une solidarité et d’un soutien réels de la part de la communauté
internationale. Les principaux acteurs internationaux (tels que
l’Union européenne, les Etats-Unis, et plus récemment la France)
ont annoncé leurs intentions d’apporter leur soutien à la Tunisie, mais,
selon nos interlocuteurs au sein du gouvernement transitoire, cette
aide prend du temps à se matérialiser.
65. En même temps, les autorités tunisiennes déclarent haut et
fort qu’elles ne souhaitent pas que la Tunisie devienne une économie
assistée. Leur priorité est de remettre en marche les secteurs de
l’économie tunisienne générateurs de revenus et créateurs d’emplois,
faire redémarrer le tourisme, redonner la confiance aux investisseurs
étrangers pour activer l’important potentiel d’investissement dont
dispose le pays, et traquer et faire revenir au pays l’argent détourné
par l’ancien régime.
5. Problème de la migration irrégulière et image
internationale de la Tunisie
66. On doit constater que la révolution du jasmin et
l’image d’une Tunisie nouvelle et résolument tournée vers l’avenir,
qui a suscité l’admiration de l’opinion publique internationale,
ont été très vite éclipsées par les événements en Egypte et dans
d’autres pays arabes, y compris, plus récemment, en Libye.
67. En même temps, l’image de la Tunisie est désormais associée,
dans les médias européens mais aussi dans la perception des responsables
politiques, à l’arrivée des migrants irréguliers tunisiens en Europe
via l’île italienne de Lampedusa.
68. Depuis janvier 2011, on estime qu’environ 25 000 jeunes Tunisiens
ont quitté leur pays dans l’espoir de rejoindre leurs proches et
amis installés en France et dans d’autres pays européens. Quels
que soient les motifs qui poussent ces jeunes Tunisiens à chercher
leur bonheur en Europe, alors même que leur propre pays a besoin
d’eux pour avancer, il s’agit d’une immigration illégale.
69. Ce phénomène est sans doute causé par le relâchement du contrôle
par les autorités tunisiennes et la forte progression des activités
de passeurs illégaux, mais également par la sensation d’une liberté soudainement
trouvée après la chute de l’ancien régime et l’absence de perspectives
immédiates dans le pays.
70. En Europe, où les questions liées à l’immigration sont au
cœur du débat politique dans plusieurs pays, l’arrivée des milliers
de Tunisiens a provoqué des tensions entre l’Italie et un certain
nombre de ses partenaires, en premier lieu la France, qui a même
provisoirement bloqué la circulation des trains à la frontière franco-italienne.
L’Union européenne est en train de réfléchir à la nécessité de revoir
les modalités de fonctionnement du système Schengen. Les immigrés
tunisiens sont systématiquement interpellés en France et reconduits
soit en Italie, soit en Tunisie.
71. En conséquence, le problème de l’immigration irrégulière en
provenance de la Tunisie a complètement occulté les transformations
démocratiques en cours dans le pays, et domine le discours politique
des Européens vis-à-vis des Tunisiens. Cela provoque un sentiment
de malaise chez les représentants des autorités transitoires tunisiennes
qui n’apprécient pas que le soutien européen aux réformes soit conditionné par
un contrôle efficace de l’émigration.
72. Sur ce plan, l’opinion publique européenne semble ignorer
que la Tunisie doit elle aussi faire face à un afflux beaucoup plus
important de réfugiés en provenance de la Libye. Depuis le début
de la crise libyenne, les autorités estiment à plus de 250 000 le
nombre de Libyens et de ressortissants d’autres pays qui ont fui
les combats et sont arrivés en Tunisie. A cela s’ajoutent quelque
40 000 Tunisiens qui vivaient et travaillaient en Libye et ont dû
retourner en Tunisie.
73. Ces dizaines de milliers de réfugiés qu’il faut héberger et
ravitailler, rapatrier s’il s’agit de ressortissants de pays tiers,
ou aider à la réinstallation s’il s’agit de Tunisiens qui reviennent,
exercent une pression extrêmement lourde sur l’économie et les structures
sociales fragilisées de la Tunisie.
74. Dans ce contexte, il faut aussi rappeler que les combats entre
les forces loyales à Kadhafi et les insurgés libyens ne s’arrêtent
parfois pas aux frontières de la Tunisie. Les incursions de forces
belligérantes des deux côtés sur le territoire tunisien se sont
produites à plusieurs reprises. L’armée tunisienne a été obligée
de riposter. Il y a eu également des incidents avec des munitions
tombées sur le sol tunisien.
75. De surcroît, des rivalités entre les pro- et les anti-Kadhafi
se sont manifestées au sein même de la population tunisienne, dans
les régions du Sud, ce qui préoccupe beaucoup les autorités.
76. La situation est donc très tendue dans le sud de la Tunisie,
du point de vue tant humanitaire que sécuritaire, et demande une
attention permanente des autorités, malgré les moyens limités dont
elles disposent.
77. Dans ces circonstances, les partenaires européens de la Tunisie
devraient faire preuve de plus de compréhension et de cohérence
vis-à-vis ce pays, et offrir plus de soutien et de solidarité réels
aux transformations dans lequel il s’est engagé, plutôt que d’exploiter
à des fins de politique interne la migration des Tunisiens vers
l’Europe.
78. Une approche globale, intégrée et à long terme doit prendre
le dessus sur des démarches dictées par la logique sécuritaire.
A défaut, l’image de l’Europe, déjà affectée par les années de «coopération
fructueuse» avec le régime de Ben Ali, risque d’être ternie pour
longtemps.
6. Coopération avec le Conseil de l’Europe
79. La Tunisie était engagée dans certaines formes de
coopération avec le Conseil de l’Europe bien avant les événements
de janvier 2011. Au niveau de l’Assemblée parlementaire, les délégations
tunisiennes ont régulièrement été invitées à Strasbourg dès 2008
à la suite de l’adoption de la
Résolution 1598 (2008) «Renforcer
la coopération avec les pays du Maghreb». Le Président de l’Assemblée
a été en visite à Tunis quelques jours seulement avant la révolution.
La Tunisie est devenue membre de la Commission de Venise en 2010.
80. Cependant, c’est après la révolution du jasmin, quand les
Tunisiens se sont exprimés en faveur de la démocratie et de la liberté
politique, que cette coopération a pris toute son importance.
81. L’Assemblée a été parmi les premières instances internationales
à saluer, par le biais de sa
Résolution 1791 –
adoptée le 27 janvier 2011 –, la victoire de la révolution et le
choix démocratique de la société tunisienne, et à offrir à la Tunisie
en pleine transition le soutien politique et l’assistance du Conseil
de l’Europe. Nous avons pu constater que les Tunisiens l’ont beaucoup
apprécié.
82. Le 21 février 2011, M. Ahmet Davutoglu, ministre des Affaires
étrangères de la Turquie et Président du Comité des Ministres, et
M. Thorbjørn Jagland, Secrétaire Général du Conseil de l’Europe,
se sont rendus à Tunis et ont offert l’assistance du Conseil de
l’Europe dans le cadre du processus de la préparation de la nouvelle
Constitution.
83. La commission des questions politiques a organisé le 9 mars
2011 une audition avec la participation des représentants de la
société civile tunisienne, ainsi que du président de la Commission
de Venise, M. Gianni Buquicchio. Cette audition a été particulièrement
utile pour la prise de conscience, par des représentants des ONG
tunisiennes, des capacités et de l’expérience du Conseil de l’Europe
en matière d’accompagnement de la transition. Ils ont également
été rassurés sur le fait que la démarche du Conseil de l’Europe
vise à proposer et non à imposer des solutions ou des modèles, en
respectant la volonté des Tunisiens de rester les maîtres d’œuvre
de leur révolution.
84. Une délégation de la Commission de Venise s’est rendue à Tunis
du 16 au 18 mars 2011 pour discuter des modalités de coopération
possible. Il a été convenu de désigner des personnes de liaison
pour assurer un contact privilégié entre la Commission de Venise
et la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution,
de la réforme politique et de la transition démocratique. Il y a
eu également un accord entre la Haute instance et la Commission
de Venise pour organiser la formation de quelque 300 formateurs
du personnel électoral.
85. M. Radhouane Noucier, secrétaire d’Etat auprès du ministre
des Affaires étrangères de la Tunisie, a participé à la réunion
de la Commission de Venise le 25 mars 2011 et a reçu un accueil
particulièrement chaleureux. C’était pour lui l’occasion de constater
l’utilité de participer aux travaux de cette instance consultative.
Par ailleurs, la Tunisie a nommé le professeur Rafaâ Ben Achour,
qui est actuellement le ministre délégué auprès du Premier ministre,
en tant que membre suppléant à la Commission de Venise.
86. Nous avons également été informés, par une lettre du Secrétaire
Général du Conseil de l’Europe du 10 mai 2011, que des représentants
tunisiens ont déjà été invités à prendre part à certains programmes
dans les domaines de la formation à la démocratie, de l’éducation
et de la jeunesse. Par ailleurs, des contacts ont eu lieu avec la
Commission européenne afin de conclure une nouvelle «facilité» financière
qui permettrait d’élargir la coopération avec la Tunisie et les
autres pays de la rive Sud de la Méditerranée qui se sont engagés
dans la transition vers la démocratie.
87. Les 20 et 21 avril 2011, le Comité des présidents de l’Assemblée,
dont votre rapporteur, s’est à son tour rendu à Tunis. Nous avons
rencontré les personnalités clés des autorités transitoires (Président,
Premier ministre, ministre des Affaires étrangères), ainsi que le
président de la Haute instance, M. Yadh Ben Achour, et M. Taoufik
Bouderbala, qui préside la Commission d’enquête sur les abus commis
par les forces de sécurité lors des événements de décembre 2010-janvier
2011.
88. Lors de notre visite, le Président de l’Assemblée a invité
le Premier ministre, M. Beji Caïd Essebsi, à la session de juin
2011 de l’Assemblée. Nous avons été informés que M. Mouldi El Kefi,
ministre des Affaires étrangères, prendra part à la session de juin
de notre Assemblée, au cours de laquelle le présent rapport sera présenté.
89. Nous pouvons donc constater qu’un tissu de contacts entre
les instances du Conseil de l’Europe et les partenaires tunisiens
a été mis en place ces derniers mois. Il est maintenant nécessaire
que ces contacts soient transformés en coopération et assistance
pratiques, et que celles-ci soient concentrées sur l’essentiel, répondant
aux priorités des Tunisiens.
90. Lors de la visite du Comité des présidents, nous avons pu
entendre, aussi bien de la part de nos interlocuteurs tunisiens
que de la part des diplomates en poste à Tunis, qu’il y a eu, ces
derniers mois, une prolifération sans précédent de visites en Tunisie
de représentants de différents Etats et organisations internationales.
Même si chaque visite est motivée par les meilleures intentions
et une volonté sincère d’aider la Tunisie en transition, il n’y
a aucune coordination entre les différentes offres de coopération,
et souvent, comme le reconnaissent les Tunisiens, il n’y a aucun
suivi de ces offres.
91. Nous devons donc éviter à tout prix que le Conseil de l’Europe
ne fasse partie de ces «prometteurs sans suite». Pour cela, il faut
vraiment se concentrer sur ce que nous pouvons réellement proposer
et ce dont les Tunisiens ont besoin en ce moment.
92. Parmi ces priorités, j’insisterais sur le processus électoral,
le processus constitutionnel et le fonctionnement des institutions
politiques.
93. La priorité absolue pour les Tunisiens est les élections.
Il y va de la crédibilité et de la consécration des changements
démocratiques. Même si le cadre législatif pour les élections est
décidé, nous pouvons constater que la contribution de l’Assemblée
et, surtout, celle de la Commission de Venise ont déjà exercé une
influence positive. Il faudra continuer à offrir à nos partenaires
tunisiens le soft advice du
Conseil de l’Europe concernant la législation et la pratique électorales.
94. Il y a une forte demande, de la part des Tunisiens, d’assistance
dans l’organisation matérielle des élections. Le projet de la Commission
de Venise de former les formateurs pour l’administration des élections a
une grande importance. Il faudrait trouver des moyens pour élargir
ce type d’assistance, y compris à travers des ONG tunisiennes, qui
demandent avec insistance de les aider à former des observateurs
locaux d’élections.
95. L’Assemblée, avec son expérience d’observation des élections,
devrait déployer une mission d’envergure pour les élections du 24
juillet, précédée si possible d’une mission préélectorale. Les Tunisiens tiennent
beaucoup à ce que leurs premières élections démocratiques soient
observées par la communauté internationale. Selon nos informations,
une invitation officielle devrait parvenir sous peu.
96. Le processus constitutionnel n’a pas encore formellement commencé,
mais la Haute instance mène déjà des travaux en ce sens, dont les
résultats devraient ensuite être transmis à l’assemblée constituante lorsqu’elle
sera élue. Là aussi, il s’agit d’offrir aux partenaires tunisiens,
aussi bien au sein de la Haute instance que dans l’assemblée constituante,
l’expérience et, s’ils le demandent, l’expertise constitutionnelle
de la Commission de Venise.
97. Lorsque l’assemblée constituante sera élue, l’Assemblée parlementaire,
pour sa part, devrait établir des contacts avec elle, car elle aura
sans doute, au moins partiellement, les prérogatives d’un parlement.
A cet effet, on devrait interpréter la
Résolution 1598 (2008) «Renforcer
la coopération avec les pays du Maghreb» de manière à pouvoir inviter
des représentants de l’assemblée constituante aux sessions de l’Assemblée.
Pour commencer, le président (la présidente) de la future assemblée
constituante pourrait être invité(e) à intervenir devant l’Assemblée
dans le cadre d’un débat spécifique.
98. La présence des élus tunisiens à Strasbourg pourrait être
utile pour la prise de contacts au niveau des commissions et des
groupes politiques de l’Assemblée, et pour leur familiarisation
avec les pratiques parlementaires et politiques européennes.
99. En même temps, les contacts au niveau des élus pourraient
aider à mieux cerner les besoins des Tunisiens en matière d’assistance
pour les réformes législatives dans différents domaines, et à élaborer
des programmes ciblés impliquant des experts du Conseil de l’Europe.
100. En ce qui concerne le statut de partenaire pour la démocratie,
même s’il est destiné à un parlement qui le demande et le mérite,
des contacts préliminaires pourraient être pris avec l’assemblée
constituante, pour fournir toutes les explications sur les conditions
d’octroi de ce statut et les modalités de son obtention.
101. Nous devrions également, au niveau de l’Assemblée et du Secrétariat
Général, développer les contacts et soutenir les activités des organisations
de la société civile tunisienne.
102. Le Centre Nord-Sud semble être la plateforme la mieux adaptée
pour permettre aux différentes composantes de la société tunisienne
de se familiariser avec les activités, les acquis et les potentialités
du Conseil de l’Europe. Dans l’avenir, la Tunisie pourrait être
invitée à adhérer à cet Accord partiel.
103. Il faudrait aussi envisager dans quelle mesure la Tunisie
pourrait bénéficier de l’expérience des écoles d’études politiques
du Conseil de l’Europe et être associée aux activités de l’Université
d’été de la démocratie. La société tunisienne est jeune et la jeunesse
du pays a pris une part active aux événements de l’hiver 2010-2011.
Elle est appelée à jouer un rôle essentiel dans la transition démocratique.
Il serait important que les futurs responsables tunisiens soient
sensibilisés au respect des principes et valeurs universels défendus
par le Conseil de l’Europe.
104. En revanche, l’adhésion de la Tunisie aux conventions et autres
instruments du Conseil de l’Europe ne me semble pas être une priorité
du moment. Les institutions démocratiquement formées et pleinement
mises en œuvre devraient d’abord être installées dans le pays.
7. Conclusions
105. Le processus de transition démocratique en Tunisie
est bien engagé. Les Tunisiens sont fiers des avancées en matière
de libertés politiques qu’ils ont obtenues au cours de la révolution
du jasmin, et sont attachés à la poursuite des réformes démocratiques.
106. Après quelques semaines d’incertitude, la situation politique
semblait assez calme et un équilibre institutionnel provisoire permet
d’avancer vers les premières élections démocratiques de l’assemblée constituante.
Cependant, ce calme est relatif et fragile, ce qui a été mis à l’évidence
par des émeutes du 5 au 10 mai à Tunis.
107. En l’espace de quelques semaines, les instances transitoires
ont réussi à préparer le cadre législatif pour les élections de
l’assemblée constituante, et à décider de la création d’une structure
qui sera chargée de l’ensemble du processus électoral. Si le projet
de décret-loi électoral ne fait pas l’unanimité des acteurs politiques
tunisiens, il constitue un important pas en avant par rapport au
vide juridique de l’après-révolution. En même temps, l’organisation
matérielle des élections est extrêmement compliquée et les autorités pourraient
avoir du mal à respecter la date annoncée du scrutin. La qualité
de la préparation des élections devrait, à mon avis, primer sur
le calendrier.
108. Cependant, la situation économique et sociale s’est dégradée
et le risque existe qu’elle pourrait être instrumentalisée à la
veille des élections, compte tenu de l’impatience de ceux qui se
sont battus pour la liberté. Le conflit dans la Libye voisine et
la question des migrants tunisiens en situation irrégulière vers
l’Europe compliquent davantage la situation dans le pays et ses
relations avec l’Europe.
109. Au-delà de l’élection de l’assemblée constituante, la Tunisie
devra élaborer et mettre en œuvre un vaste programme de réformes
dans de nombreux domaines de la vie politique, juridique et sociale.
L’expérience de la transition démocratique en Europe pourrait servir
de source d’inspiration et se révéler utile dans la définition des
priorités de ces réformes.
110. L’Assemblée parlementaire et d’autres instances du Conseil
de l’Europe devraient continuer à suivre l’évolution politique en
Tunisie et rester à la disposition des partenaires tunisiens pour
leur offrir l’expérience et l’expertise de la transition démocratique
européenne, sans prétendre imposer des solutions. La volonté des Tunisiens
de rester les maîtres d’œuvre dans la construction d’une démocratie
tunisienne doit absolument être respectée.
111. Une concertation et une coordination entre les organismes
internationaux sont indispensables pour assurer l’efficacité de
l’assistance.