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Avis de commission | Doc. 12637 | 15 juin 2011

Davantage de femmes dans les instances de décision économiques et sociales

Commission des questions économiques et du développement

Rapporteure : Mme Hermine NAGHDALYAN, Arménie, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12144, Renvoi 3650 du 12 mars 2010. Commission saisie du rapport: Commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes. Voir Doc. 12540. Avis approuvé par la commission le 20 mai 2011. 2011 - Troisième partie de session

A. Conclusions de la commission

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La commission des questions économiques et du développement accueille favorablement le rapport préparé par Mme Gisèle Gautier au nom de la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes. Elle partage les constatations et soutient les propositions contenues dans le rapport, y compris le projet de résolution et le projet de recommandation.

La commission souligne qu’une représentation équilibrée des femmes et des hommes à tous les niveaux de gouvernance est essentielle au progrès de la société et que leur égalité, concernant l’accès aux postes de direction et de décision dans les sphères économique et sociale, devrait être la règle plutôt que l’exception. Les chiffres montrent que les femmes restent de fait significativement sous-représentées aux niveaux hiérarchiques les plus élevés de direction et d’administration de beaucoup d’Etats membres du Conseil de l’Europe et que les progrès sont bien trop lents.

La commission propose par conséquent, dans le projet de résolution, d’insister davantage sur la nécessité d’adopter des législations qui exigent des institutions publiques et privées qu’elles instaurent une représentation minimale de 40 % de femmes aux postes de direction et de décision, dans un délai clairement déterminé, et qu’elles mettent en place les mécanismes nécessaires pour contrôler l’application de ces dispositions.

B. Propositions d’amendements au projet de résolution

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Amendement A (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, paragraphe 1, remplacer les mots «la proportion de femmes ne cesse d’augmenter sur le marché du travail» par les mots «la proportion de femmes sur le marché du travail soit forte et en augmentation».

Amendement B (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, après le paragraphe 7.10, insérer l'alinéa suivant:

«à adopter des législations qui exigent des institutions publiques et privées qu’elles instaurent une représentation minimale de 40 % de femmes aux postes de direction et de décision, dans un délai clairement déterminé, et à mettre en place les mécanismes nécessaires pour contrôler l’application de ces dispositions;»

C. Exposé des motifs, par Mme Naghdalyan, rapporteure pour avis

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1. Introduction: l’égalité entre les femmes et les hommes – du droit à la réalité

1. Les Etats membres du Conseil de l’Europe ont tous accepté le principe d’interdiction des discriminations, y compris dans la vie publique et au travail, en vertu de leurs engagements au titre du Protocole n° 12 à la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 20 et de l’article E de la Charte sociale européenne révisée. On pourrait donc s’attendre à une représentation équilibrée des femmes et des hommes aux divers niveaux des structures de la société. Or, comme le souligne le rapport de Mme Gautier, les femmes restent largement sous-représentées dans les sphères économique et sociale sur tout le continent. Il subsiste entre l’égalité de droit et l’égalité de fait hommes-femmes un fossé béant qui requiert une attention soutenue – et des mesures déterminées – de la part des décideurs européens, afin d’améliorer la situation.

1.1. Situation et problèmes actuels

2. Sachant que l’éducation est la garantie d’un accès égal des femmes et des hommes à tous les métiers 
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Quelque 50 % à 60 % des diplômés universitaires dans les pays développés
sont des femmes.,l’écart entre les taux d’emploi des hommes et des femmes en Europe s’est réduit (les taux d’emploi moyens pour l’Union européenne étant de 58,6 % pour les femmes et 70,7 % pour les hommes). Pour autant, il subsiste des différences significatives entre pays du Nord et du Sud, l’écart étant le moins marqué en Islande et le plus significatif en Turquie. Le «Global Gender Gap Report 2010» du Forum économique mondial classe 11 pays européens (Islande, Norvège, Finlande, Suède, Irlande, Danemark, Suisse, Espagne, Allemagne, Belgique et Royaume-Uni) dans le groupe des 15 pays les plus performants au monde concernant la réduction des inégalités entre les sexes dans quatre domaines: participation et opportunités sur le plan économique (y compris les niveaux de salaire); réussite scolaire; participation politique; santé et espérance de vie.
3. Reflet des dynamiques positives enclenchées et d’un contrôle public accru ces dernières années, les tendances générales montrent que l’égalité entre les femmes et les hommes a progressé au stade du recrutement, mais moins en ce qui concerne les promotions (en particulier aux postes les plus élevés et de direction) et la rémunération pour travail équivalent (l’écart étant en moyenne de 18 %). Curieusement, d’après des études de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) et de l'Organisation internationale du travail (OIT), la plupart des pays d’Europe centrale et orientale ont connu une dégradation de la participation des femmes au marché du travail durant les années de transition (1989-2008), et notamment du fait de la restructuration des services publics et de l’évolution des comportements sociaux.
4. Dans une société de consommation comme la nôtre, une décision d’achat sur cinq est prise par les femmes; pour autant, la position des femmes au travail en termes de pouvoir décisionnel ainsi que le nombre restreint de dirigeantes ne reflètent pas les véritables capacités, le mérite et le potentiel des femmes. Dans l’Union européenne, moins de 3 % des hauts dirigeants et seulement un dixième des membres des conseils d’administration des entreprises sont des femmes. L’instauration de systèmes de quotas a amélioré la représentation de ces dernières en politique (partis, parlements, gouvernements) et, dans plusieurs pays, comme la Norvège, au sein des conseils d’administration des entreprises. Cependant, il est souvent souligné que les femmes elles-mêmes devraient faire preuve de plus d’initiative et prouver qu’elles sont prêtes à prendre davantage de responsabilités au travail, brisant ainsi le «plafond de verre», y compris dans leur propre esprit.
5. Quelques entreprises de premier plan (dont Deutsche Telecom, Siemens, etc.) en Europe ont progressé dans ce sens en prenant des initiatives novatrices pour accroître la proportion de femmes aux postes clés. L’engagement volontaire des entreprises sur la base de codes de bonne conduite s’est avéré très efficace dans plusieurs pays, comme la Finlande, mais, globalement, l’autorégulation ne semble fonctionner que si elle est associée à des critères clairement définis et un suivi rigoureux. Etant donné le rythme actuel des progrès dans le sens d’une égalité effective au travail, il faudrait un demi-siècle pour parvenir à une situation équilibrée entre les femmes et les hommes dans les entités économiques en Europe. Viviane Reding, Commissaire européen à la justice et Vice-Présidente de la Commission européenne en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes, prône des changements plus ambitieux visant à parvenir, d’ici 2015, à au moins 30 % de femmes au sein des conseils d’administration (pour arriver à 40 % d’ici 2020) et est prête à se battre pour des quotas contraignants si les changements sont trop lents dans les prochaines années.

1.2. Mesures proposées pour accélérer les progrès de fait en matière d’égalité dans les «hautes sphères» du pouvoir

6. Le rapport de Mme Gautier reconnaît à juste titre que la mise en œuvre de plans d’action et de programmes-cadres en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes – par le biais des associations professionnelles, des syndicats et des organisations internationales (Union européenne, Conseil de l’Europe, etc.) – contribue à l’instauration d’une participation plus équilibrée des femmes, bien que les «plafonds de verre» et les stéréotypes basés sur le genre qui font obstacle à la promotion des femmes soient encore très présents au travail, notamment dans les hautes sphères de la direction dominées par les hommes. Le rééquilibrage de la répartition des tâches et des responsabilités au travail et dans la vie familiale reste un problème majeur et un défi pour une bonne gouvernance.
7. Le seuil critique d’une représentation équilibrée dans les instances de décision de la sphère publique/politique est de 40 %, selon le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Ce chiffre correspond à l’objectif ciblé par l’Union européenne de 40 % de femmes dans les conseils d’administration, qui présente l’avantage d’être associé à un délai clairement défini. En plus des objectifs volontaires, contraignants ou encore progressifs, la rapporteuse estime nécessaire d’établir une feuille de route pour la mise en œuvre de l'égalité entre les femmes et les hommes, prévoyant un calendrier réaliste, des mécanismes de suivi, des incitations suffisamment persuasives et/ou des sanctions– en plus de mesures pour permettre de mieux concilier vie professionnelle et vie privée, ainsi que des actions publiques de sensibilisation inscrites dans la durée (visant à influer sur les perceptions liées au genre, faire tomber les stéréotypes/barrières mentales et améliorer la culture du travail en général).

2. L’égalité des chances, indissociable d’une bonne gouvernance

2.1. En termes de développement économique, politique et social

8. Les opposants à une action vigoureuse pour asseoir l’équilibre entre les femmes et les hommes à tous les niveaux de gouvernance dans la société ont tendance à craindre que toute mesure de type quotas n’affaiblisse l’efficacité des institutions et la compétitivité des entreprises en favorisant artificiellement les considérations liées au genre au détriment du mérite. Quelques-uns ont utilisé l’argument des crises économiques et financières pour justifier l’insuffisance des progrès en direction d’une authentique égalité au travail.
9. Toutefois, un nombre d’études croissant, y compris par des sociétés du secteur privé, démontre que la pleine participation des femmes est une bonne chose pour le bilan des entreprises (rentabilité, productivité, gestion des risques et choix d’investissements), la performance (diversité des compétences et création de nouveaux métiers) et l’image publique. Par exemple, les analystes de Goldman Sachs considèrent que combler l’écart entre les femmes et les hommes favoriserait une augmentation du PNB de la zone euro pouvant aller jusqu’à 13 %! Une autre étude du cabinet de consultants McKinsey a mis en évidence que, par rapport aux entreprises dont les conseils de direction étaient exclusivement masculins, celles dont les conseils de direction comptaient davantage de femmes réalisaient des performances supérieures en termes de rentabilité, de résultats d’audit, de surveillance et de contrôle des risques. En bref, l’égalité est une bonne chose pour les entreprises et il est temps de l’instaurer dans la société par des actes, et pas seulement des paroles aimables et des déclarations de bonnes intentions.
10. Au-delà d’une vision centrée exclusivement sur l’entreprise, l’égalité au travail est aussi une question de non-discrimination, d’inclusion et de justice sociale, qui sont essentielles à une bonne gouvernance. Et pourtant, la contribution des femmes au bien-être et au développement de la famille, de la société et de l’économie est systématiquement sous-estimée: une évaluation plus adaptée de cette contribution (comme le travail non rémunéré) en termes financiers aiderait à réajuster les politiques dans l’objectif de corriger les déséquilibres et de promouvoir la carrière des femmes. Avec plus de femmes aux postes décisionnels, les choix des entreprises, des institutions politiques et des entités sociales seraient plus en phase avec la réalité de la société – et ses véritables besoins.

2.2. Mise à contribution des institutions européennes et des entreprises du secteur privé

11. Le problème que pose l’égalité des sexes est de plus en plus reconnu en ce qui concerne les activités courantes des institutions européennes et internationales, des banques de développement, des associations professionnelles, des syndicats et des entreprises du secteur privé. Les acteurs du secteur institutionnel jouent un rôle majeur en expliquant que la participation accrue des femmes au marché du travail stimule la croissance économique, qui, à son tour, sert les intérêts de la société dans son ensemble. Ainsi, optimiser les perspectives de développement nécessite d’exploiter au mieux le potentiel des femmes à tous les échelons de gouvernance via un soutien adéquat.
12. A cette fin, la BERD a fait du très bon travail en Europe centrale et orientale par le biais de ses programmes «Women in business» («Femmes d'affaires»), projets pilotes axés sur la promotion de l’accès des femmes au financement, les services de conseils sur les politiques de ressources humaines, et le plus récent «Gender Action Plan» (Plan d’action pour l’égalité hommes-femmes), qui vise, entre autres, une plus forte représentation des femmes aux plus hautes fonctions de direction dans les entreprises partenaires ou clientes et dans ses propres structures. D’autres organisations ont fortement investi dans les améliorations des conditions de travail des femmes et d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée (par exemple, plus de garderies dans les entreprises, salles de repos, offre de services à la personne, horaires de travail flexibles), en proposant également des formations au leadership et des services de parrainage, en affinant la collecte de données ventilées par sexe pour obtenir une image plus précise du marché et de la société, et en promouvant l’inclusion de clauses pour une approche intégrée de l’égalité femmes-hommes dans les codes de gouvernance des entreprises.
13. Il conviendrait de prendre note également de la nouvelle législation au Royaume-Uni, qui renforce les règles en vigueur concernant l’égalité de traitement au travail et oblige les employeurs à révéler les niveaux de salaire de leurs employés. Cette disposition permet aux salariés de comparer leur rémunération, d’évaluer s’ils sont payés de façon équitable et de demander réparation s’ils s’estiment discriminés. Une telle pratique pourrait être exportée dans d’autres pays européens et aider à lutter contre l’écart des rémunérations entre les femmes et les hommes, qui, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), est le plus substantiel concernant les hauts revenus.
14. Le Conseil de l’Europe et son Assemblée parlementaire ont aussi un rôle significatif à jouer pour favoriser l’ascension des femmes aux fonctions de direction/d’encadrement, en particulier dans les secteurs où elles sont sous-représentées. Ils pourraient pour ce faire encourager les Etats membres à adopter des mesures positives fortes associées à des délais de mise en œuvre, ainsi que des mécanismes de contrôle et de sanction dans les cas où les progrès en termes d’égalité de fait aux postes de direction sont insuffisants ou trop lents; promouvoir des changements dans la culture d’entreprise en ce qui concerne les nominations et la promotion des femmes; investir dans des formations aux questions de genre et des programmes de leadership, des dispositifs d’incitation en faveur des femmes et des mesures pragmatiques permettant de mieux concilier vie professionnelle et vie privée; établir des lignes directrices pour la collecte de données ventilées par sexe dans les secteurs économiques et réaliser des études sur les questions de genre au niveau national, etc.

3. Conclusion: l’égalité doit être la règle, pas l’exception

15. La rapporteure pour avis soutient les constatations et les propositions contenues dans le rapport préparé par Mme Gautier. Les femmes et les hommes sont des moteurs complémentaires des progrès de la société: leur égalité en termes d’accès aux fonctions de décision dans les sphères économique et sociale doit être la règle et non l’exception, comme c’est le cas aujourd’hui avec la sous-représentation de fait des femmes aux niveaux hiérarchiques les plus élevés de direction et d’administration. Cette situation appelle des changements audacieux dans les mentalités, la culture d’entreprise et les priorités politiques, l’objectif étant d’assimiler une vérité toute simple: l’égale participation des femmes à la prise de décision est une condition essentielle si l’on veut donner une impulsion au développement économique, politique et social.
16. Si plusieurs pays européens se classent parmi les plus performants au monde s’agissant de combler l’écart entre les femmes et les hommes, le défi à relever reste considérable pour bien d’autres. La rapporteure estime notamment qu’une action effective et ambitieuse de la part des Etats membres du Conseil de l’Europe doit s’organiser autour de critères quantitatifs clairs associés à des calendriers réalistes de mise en œuvre, ainsi qu’un suivi et des sanctions appropriées. L’égalité entre les femmes et les hommes est une question de justice dans la société; le Conseil de l’Europe doit donc exhorter ses Etats membres à faire tout leur possible pour établir rapidement l’équilibre entre les femmes et les hommes, dans les secteurs tant public que privé.