1. Introduction: l’égalité entre les femmes et les
hommes – du droit à la réalité
1. Les Etats membres du Conseil de l’Europe ont tous
accepté le principe d’interdiction des discriminations, y compris
dans la vie publique et au travail, en vertu de leurs engagements
au titre du Protocole n° 12 à la Convention européenne des droits
de l’homme et de l’article 20 et de l’article E de la Charte sociale européenne
révisée. On pourrait donc s’attendre à une représentation équilibrée
des femmes et des hommes aux divers niveaux des structures de la
société. Or, comme le souligne le rapport de Mme Gautier, les femmes restent
largement sous-représentées dans les sphères économique et sociale
sur tout le continent. Il subsiste entre l’égalité de droit et l’égalité
de fait hommes-femmes un fossé béant qui requiert une attention
soutenue – et des mesures déterminées – de la part des décideurs
européens, afin d’améliorer la situation.
1.1. Situation et problèmes actuels
2. Sachant que l’éducation est la garantie d’un accès
égal des femmes et des hommes à tous les métiers
,
l’écart
entre les taux d’emploi des hommes et des femmes en Europe s’est
réduit (les taux d’emploi moyens pour l’Union européenne étant de
58,6 % pour les femmes et 70,7 % pour les hommes). Pour autant,
il subsiste des différences significatives entre pays du Nord et
du Sud, l’écart étant le moins marqué en Islande et le plus significatif
en Turquie. Le «Global Gender Gap Report 2010» du Forum économique
mondial classe 11 pays européens (Islande, Norvège, Finlande, Suède,
Irlande, Danemark, Suisse, Espagne, Allemagne, Belgique et Royaume-Uni)
dans le groupe des 15 pays les plus performants au monde concernant
la réduction des inégalités entre les sexes dans quatre domaines:
participation et opportunités sur le plan économique (y compris
les niveaux de salaire); réussite scolaire; participation politique;
santé et espérance de vie.
3. Reflet des dynamiques positives enclenchées et d’un contrôle
public accru ces dernières années, les tendances générales montrent
que l’égalité entre les femmes et les hommes a progressé au stade
du recrutement, mais moins en ce qui concerne les promotions (en
particulier aux postes les plus élevés et de direction) et la rémunération
pour travail équivalent (l’écart étant en moyenne de 18 %). Curieusement,
d’après des études de la Banque européenne pour la reconstruction
et le développement (BERD) et de l'Organisation internationale du
travail (OIT), la plupart des pays d’Europe centrale et orientale
ont connu une dégradation de la participation des femmes au marché
du travail durant les années de transition (1989-2008), et notamment du
fait de la restructuration des services publics et de l’évolution
des comportements sociaux.
4. Dans une société de consommation comme la nôtre, une décision
d’achat sur cinq est prise par les femmes; pour autant, la position
des femmes au travail en termes de pouvoir décisionnel ainsi que
le nombre restreint de dirigeantes ne reflètent pas les véritables
capacités, le mérite et le potentiel des femmes. Dans l’Union européenne,
moins de 3 % des hauts dirigeants et seulement un dixième des membres
des conseils d’administration des entreprises sont des femmes. L’instauration
de systèmes de quotas a amélioré la représentation de ces dernières
en politique (partis, parlements, gouvernements) et, dans plusieurs
pays, comme la Norvège, au sein des conseils d’administration des
entreprises. Cependant, il est souvent souligné que les femmes elles-mêmes
devraient faire preuve de plus d’initiative et prouver qu’elles
sont prêtes à prendre davantage de responsabilités au travail, brisant
ainsi le «plafond de verre», y compris dans leur propre esprit.
5. Quelques entreprises de premier plan (dont Deutsche Telecom,
Siemens, etc.) en Europe ont progressé dans ce sens en prenant des
initiatives novatrices pour accroître la proportion de femmes aux
postes clés. L’engagement volontaire des entreprises sur la base
de codes de bonne conduite s’est avéré très efficace dans plusieurs
pays, comme la Finlande, mais, globalement, l’autorégulation ne
semble fonctionner que si elle est associée à des critères clairement
définis et un suivi rigoureux. Etant donné le rythme actuel des
progrès dans le sens d’une égalité effective au travail, il faudrait
un demi-siècle pour parvenir à une situation équilibrée entre les
femmes et les hommes dans les entités économiques en Europe. Viviane
Reding, Commissaire européen à la justice et Vice-Présidente de
la Commission européenne en charge de l’égalité entre les femmes
et les hommes, prône des changements plus ambitieux visant à parvenir,
d’ici 2015, à au moins 30 % de femmes au sein des conseils d’administration
(pour arriver à 40 % d’ici 2020) et est prête à se battre pour des
quotas contraignants si les changements sont trop lents dans les
prochaines années.
1.2. Mesures proposées pour accélérer les progrès de
fait en matière d’égalité dans les «hautes sphères» du pouvoir
6. Le rapport de Mme Gautier reconnaît à juste titre
que la mise en œuvre de plans d’action et de programmes-cadres en
faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes – par le biais
des associations professionnelles, des syndicats et des organisations
internationales (Union européenne, Conseil de l’Europe, etc.) –
contribue à l’instauration d’une participation plus équilibrée des
femmes, bien que les «plafonds de verre» et les stéréotypes basés
sur le genre qui font obstacle à la promotion des femmes soient
encore très présents au travail, notamment dans les hautes sphères
de la direction dominées par les hommes. Le rééquilibrage de la
répartition des tâches et des responsabilités au travail et dans
la vie familiale reste un problème majeur et un défi pour une bonne
gouvernance.
7. Le seuil critique d’une représentation équilibrée dans les
instances de décision de la sphère publique/politique est de 40 %,
selon le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Ce chiffre
correspond à l’objectif ciblé par l’Union européenne de 40 % de
femmes dans les conseils d’administration, qui présente l’avantage d’être
associé à un délai clairement défini. En plus des objectifs volontaires,
contraignants ou encore progressifs, la rapporteuse estime nécessaire
d’établir une feuille de route pour la mise en œuvre de l'égalité entre
les femmes et les hommes, prévoyant un calendrier réaliste, des
mécanismes de suivi, des incitations suffisamment persuasives et/ou
des sanctions– en plus de
mesures pour permettre de mieux concilier vie professionnelle et
vie privée, ainsi que des actions publiques de sensibilisation inscrites
dans la durée (visant à influer sur les perceptions liées au genre,
faire tomber les stéréotypes/barrières mentales et améliorer la culture
du travail en général).
2. L’égalité des chances, indissociable d’une bonne
gouvernance
2.1. En termes de développement économique, politique
et social
8. Les opposants à une action vigoureuse pour asseoir
l’équilibre entre les femmes et les hommes à tous les niveaux de
gouvernance dans la société ont tendance à craindre que toute mesure
de type quotas n’affaiblisse l’efficacité des institutions et la
compétitivité des entreprises en favorisant artificiellement les considérations
liées au genre au détriment du mérite. Quelques-uns ont utilisé
l’argument des crises économiques et financières pour justifier
l’insuffisance des progrès en direction d’une authentique égalité
au travail.
9. Toutefois, un nombre d’études croissant, y compris par des
sociétés du secteur privé, démontre que la pleine participation
des femmes est une bonne chose pour le bilan des entreprises (rentabilité,
productivité, gestion des risques et choix d’investissements), la
performance (diversité des compétences et création de nouveaux métiers)
et l’image publique. Par exemple, les analystes de Goldman Sachs
considèrent que combler l’écart entre les femmes et les hommes favoriserait
une augmentation du PNB de la zone euro pouvant aller jusqu’à 13
%! Une autre étude du cabinet de consultants McKinsey a mis en évidence
que, par rapport aux entreprises dont les conseils de direction
étaient exclusivement masculins, celles dont les conseils de direction
comptaient davantage de femmes réalisaient des performances supérieures
en termes de rentabilité, de résultats d’audit, de surveillance
et de contrôle des risques. En bref, l’égalité est une bonne chose
pour les entreprises et il est temps de l’instaurer dans la société
par des actes, et pas seulement des paroles aimables et des déclarations
de bonnes intentions.
10. Au-delà d’une vision centrée exclusivement sur l’entreprise,
l’égalité au travail est aussi une question de non-discrimination,
d’inclusion et de justice sociale, qui sont essentielles à une bonne
gouvernance. Et pourtant, la contribution des femmes au bien-être
et au développement de la famille, de la société et de l’économie
est systématiquement sous-estimée: une évaluation plus adaptée de
cette contribution (comme le travail non rémunéré) en termes financiers
aiderait à réajuster les politiques dans l’objectif de corriger
les déséquilibres et de promouvoir la carrière des femmes. Avec
plus de femmes aux postes décisionnels, les choix des entreprises,
des institutions politiques et des entités sociales seraient plus
en phase avec la réalité de la société – et ses véritables besoins.
2.2. Mise à contribution des institutions européennes
et des entreprises du secteur privé
11. Le problème que pose l’égalité des sexes est de plus
en plus reconnu en ce qui concerne les activités courantes des institutions
européennes et internationales, des banques de développement, des
associations professionnelles, des syndicats et des entreprises
du secteur privé. Les acteurs du secteur institutionnel jouent un
rôle majeur en expliquant que la participation accrue des femmes
au marché du travail stimule la croissance économique, qui, à son
tour, sert les intérêts de la société dans son ensemble. Ainsi,
optimiser les perspectives de développement nécessite d’exploiter
au mieux le potentiel des femmes à tous les échelons de gouvernance via
un soutien adéquat.
12. A cette fin, la BERD a fait du très bon travail en Europe
centrale et orientale par le biais de ses programmes «Women in business»
(«Femmes d'affaires»), projets pilotes axés sur la promotion de
l’accès des femmes au financement, les services de conseils sur
les politiques de ressources humaines, et le plus récent «Gender
Action Plan» (Plan d’action pour l’égalité hommes-femmes), qui vise,
entre autres, une plus forte représentation des femmes aux plus
hautes fonctions de direction dans les entreprises partenaires ou
clientes et dans ses propres structures. D’autres organisations
ont fortement investi dans les améliorations des conditions de travail
des femmes et d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle
et vie privée (par exemple, plus de garderies dans les entreprises,
salles de repos, offre de services à la personne, horaires de travail flexibles),
en proposant également des formations au leadership et des services
de parrainage, en affinant la collecte de données ventilées par
sexe pour obtenir une image plus précise du marché et de la société,
et en promouvant l’inclusion de clauses pour une approche intégrée
de l’égalité femmes-hommes dans les codes de gouvernance des entreprises.
13. Il conviendrait de prendre note également de la nouvelle législation
au Royaume-Uni, qui renforce les règles en vigueur concernant l’égalité
de traitement au travail et oblige les employeurs à révéler les
niveaux de salaire de leurs employés. Cette disposition permet aux
salariés de comparer leur rémunération, d’évaluer s’ils sont payés
de façon équitable et de demander réparation s’ils s’estiment discriminés.
Une telle pratique pourrait être exportée dans d’autres pays européens
et aider à lutter contre l’écart des rémunérations entre les femmes
et les hommes, qui, selon l’Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE), est le plus substantiel concernant les hauts
revenus.
14. Le Conseil de l’Europe et son Assemblée parlementaire ont
aussi un rôle significatif à jouer pour favoriser l’ascension des
femmes aux fonctions de direction/d’encadrement, en particulier
dans les secteurs où elles sont sous-représentées. Ils pourraient
pour ce faire encourager les Etats membres à adopter des mesures
positives fortes associées à des délais de mise en œuvre, ainsi
que des mécanismes de contrôle et de sanction dans les cas où les
progrès en termes d’égalité de fait aux postes de direction sont
insuffisants ou trop lents; promouvoir des changements dans la culture
d’entreprise en ce qui concerne les nominations et la promotion
des femmes; investir dans des formations aux questions de genre
et des programmes de leadership, des dispositifs d’incitation en
faveur des femmes et des mesures pragmatiques permettant de mieux
concilier vie professionnelle et vie privée; établir des lignes
directrices pour la collecte de données ventilées par sexe dans
les secteurs économiques et réaliser des études sur les questions
de genre au niveau national, etc.
3. Conclusion: l’égalité doit être la règle, pas
l’exception
15. La rapporteure pour avis soutient les constatations
et les propositions contenues dans le rapport préparé par Mme Gautier.
Les femmes et les hommes sont des moteurs complémentaires des progrès
de la société: leur égalité en termes d’accès aux fonctions de décision
dans les sphères économique et sociale doit être la règle et non
l’exception, comme c’est le cas aujourd’hui avec la sous-représentation
de fait des femmes aux niveaux hiérarchiques les plus élevés de
direction et d’administration. Cette situation appelle des changements audacieux
dans les mentalités, la culture d’entreprise et les priorités politiques,
l’objectif étant d’assimiler une vérité toute simple: l’égale participation
des femmes à la prise de décision est une condition essentielle
si l’on veut donner une impulsion au développement économique, politique
et social.
16. Si plusieurs pays européens se classent parmi les plus performants
au monde s’agissant de combler l’écart entre les femmes et les hommes,
le défi à relever reste considérable pour bien d’autres. La rapporteure estime
notamment qu’une action effective et ambitieuse de la part des Etats
membres du Conseil de l’Europe doit s’organiser autour de critères
quantitatifs clairs associés à des calendriers réalistes de mise
en œuvre, ainsi qu’un suivi et des sanctions appropriées. L’égalité
entre les femmes et les hommes est une question de justice dans
la société; le Conseil de
l’Europe doit donc exhorter ses Etats membres à faire tout leur
possible pour établir rapidement l’équilibre entre les femmes et
les hommes, dans les secteurs tant public que privé.