1. Introduction
1. L’Assemblée parlementaire, dans sa
Résolution 1213 (2000) sur le respect des obligations et engagements de «l’ex-République
yougoslave de Macédoine», a décidé d’engager le dialogue postsuivi
avec la Macédoine
.
M. Serhiy Holovaty (Ukraine, ADLE), à l’époque président de la commission
de suivi, s’est rendu à Skopje du 2 au 5 novembre 2008
, à la suite de la présentation du dernier
mémorandum sur le dialogue postsuivi avec «l’ex-République yougoslave
de Macédoine» préparé par son prédécesseur, M. Eduard Lintner, en
janvier 2008
. J’ai été
nommé rapporteur le 24 juin 2010, conformément aux nouvelles règles
relatives à la préparation des rapports de dialogue postsuivi depuis
l’adoption de la
Résolution
1710 (2010).
2. J’ai effectué trois visites d’information, du 26 au 28 septembre
2011, du 7 au 10 mai 2012 et du 31 octobre au 2 novembre 2012, avec
pour objet le suivi de la mise en œuvre de la Résolution précédemment adoptée,
la collecte d’informations actualisées et l’identification de domaines
clés à prendre en compte dans le cadre du dialogue postsuivi régulier.
En septembre 2011, j’ai décidé de me concentrer sur les événements les
plus récents, à savoir l’issue des élections législatives du 5 juin
2011, la situation des médias et la mise en œuvre de l’Accord-cadre
d’Ohrid (ACO). Au cours de ma seconde visite, en mai 2012, j’ai
rencontré divers interlocuteurs, et notamment le Procureur général.
Ces discussions étaient axées sur l’impact des derniers événements
interethniques de 2012, la liberté des médias, la lutte contre la
corruption, la situation des réfugiés et des demandeurs d’asile,
le processus de lustration et la décentralisation. Aussi ai-je rencontré
les représentants d’autorités locales et d’organisations non gouvernementales
(ONG) à Ohrid, Struga, Vevcani et Tetovo. Malheureusement je n’ai
pu m’entretenir ni avec le Premier ministre, ni avec le Président
de la République au cours de mes visites. J’ose espérer que cela
ne traduise pas un manque d’intérêt ou d’engagement des plus hautes
autorités pour la coopération avec l’Assemblée parlementaire en
vue d’honorer les obligations et engagements pris par la Macédoine
envers le Conseil de l’Europe auquel elle a adhéré en 1995.
3. Le présent rapport reflète les résultats de mes visites, qui
n’avaient pas été publiés par la commission de suivi jusqu’ici.
Il s’appuie sur les rapports élaborés par l’Assemblée parlementaire,
l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE),
la Commission européenne (CE), le Programme des Nations Unies pour
le développement (PNUD), le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR)
et les organes de suivi du Conseil de l’Europe ainsi que sur les
analyses fournies par les médias et les groupes de réflexion, notamment l’International
Crisis Group (ICG), qui a publié, le 11 août 2011, un rapport détaillé
. Il prend également en considération
le rapport publié par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil
de l’Europe, M. Nils Muižnieks, le 9 avril 2013
,
à la suite de sa visite en Macédoine effectuée en novembre 2012,
qui aborde plusieurs des questions traitées dans le présent document.
4. Je souhaite profiter de cette occasion pour remercier la délégation
de la Macédoine auprès de l’Assemblée parlementaire et son secrétariat
pour l’excellente organisation de mes visites, pour leur attitude constructive,
pour avoir facilité nos contacts avec les autorités ainsi que pour
leurs commentaires utiles et détaillés sur mon avant-projet de rapport
. Je tiens en outre à remercier
l’Ambassadeur Orav, Chef de la délégation de l’Union européenne
à Skopje, M. Robin Lidell, Chef de la section politique et information
de la délégation de l’Union européenne, l’Ambassadeur Ralf Breth,
Chef de la Mission de l’OSCE ainsi que MM. Domenico Albonetti et
James De Witt, de la Mission de l’OSCE, Mme Deirdre Boyd, Chef de
la mission du PNUD, M. Christopher Yvon, Ambassadeur du Royaume-Uni
et les membres de la communauté internationale pour les précieuses
informations fournies.
2. Le processus
d’intégration euro-atlantique
2.1. Perspective d’intégration
dans l’Union européenne
5. La Macédoine cherche à devenir membre de l’Union
européenne et a obtenu le statut de pays candidat en décembre 2005.
Le Conseil des ministres de l’Union européenne a adopté le partenariat
pour l’adhésion en février 2010. Dans ses rapports de suivi de 2009,
2010, 2011 et à nouveau en 2012, la Commission européenne a proposé
d’entamer les négociations en vue de l’adhésion du pays.
6. Dans ce contexte, la Commission européenne a décidé de lancer
un «Dialogue d’adhésion de haut niveau» (DAHN) en mars 2012, qui
devrait permettre un échange de vues substantiel et des consultations techniques
régulières dans cinq domaines politiques clés – liberté d’expression,
Etat de droit, réforme de l’administration publique, réforme électorale
et critères économiques. Il portera vraisemblablement sur les chapitres
23 (système judiciaire et droits fondamentaux) et 24 (justice, liberté
et sécurité) des futures négociations d’adhésion à l’Union européenne
et doit être salué car il ne peut qu’encourager la Macédoine à accélérer
le respect de ses engagements et obligations non encore satisfaits
et l’inciter à ne pas laisser retomber l’élan qui lui permettra
de réaliser de nouveaux progrès dans ces domaines essentiels et
de produire des résultats. Des réunions ont eu lieu au niveau politique
les 15 mars, 7 mai, 17 septembre 2012 et 9 avril 2013. Selon la
Commission européenne, des progrès satisfaisants ont été réalisés
sur un plan général. Ils ont été évalués dans le dernier rapport
de suivi en date de la Commission
.
7. Alors que persiste le différend avec la Grèce sur le nom du
pays (voir ci-dessous), des tensions sont apparues récemment avec
la Bulgarie. Dans une lettre adressée à Nikola Poposki, son homologue macédonien,
à la fin du mois de novembre 2012, Nikolaï Mladenov, ministre bulgare
des Affaires étrangères a présenté trois mesures qu’il proposait
de prendre: 1) signer un accord sur des relations de bon voisinage
et de coopération; 2) améliorer les infrastructures pour renforcer
la collaboration en créant des groupes de travail afin de resserrer
les relations dans des domaines clés; et 3) créer un conseil à haut
niveau sous la forme de réunions intergouvernementales annuelles.
Bien que Skopje ait accepté ces propositions, la Bulgarie s’est ralliée
à la Grèce et s’est opposée à l’ouverture de négociations d’adhésion
à l’Union européenne
. La visite en
Macédoine du Premier ministre bulgare Borisov le 16 février 2013
a cependant été perçue comme une «occasion importante» de renforcer
le dialogue politique entre les deux pays et met en lumière l’utilité
d’une coopération concrète dans les domaines des infrastructures,
des institutions, de la communication, du commerce et des investissements
.
8. S’agissant de la proposition de la Bulgarie de conclure un
accord sur des relations de bon voisinage et de coopération, la
symétrie, le respect mutuel et des spécificités nationales, culturelles,
linguistiques et autres ont été soulignés en tant qu’éléments essentiels
pour établir de bonnes relations de voisinage.
9. Lors de sa réunion du 11 décembre 2012, la formation «Affaires
générales» du Conseil européen de l’Union européenne a proposé que
«en vue d’une possible décision du Conseil européen d’ouvrir des négociations
d’adhésion avec l’ancienne République yougoslave de Macédoine, le
Conseil examinera, sur la base d’un rapport que la Commission présentera
au printemps 2013, la mise en œuvre des réformes dans le contexte
du dialogue de haut niveau sur l’adhésion ainsi que les mesures
prises afin de promouvoir des relations de bon voisinage et de trouver,
sous l’égide des Nations Unies, une solution négociée et mutuellement
acceptable à la question de la dénomination du pays».
10. Le 16 avril 2013, la Commission européenne a publié son rapport
de printemps sur la «Mise en œuvre des réformes dans le cadre du
dialogue de haut niveau sur l’adhésion et promotion des relations
de bon voisinage», qui fournit des informations complémentaires
dans la perspective de la réunion du Conseil européen prévue en
juin 2013, en vue de décider ou non d’ouvrir des négociations d’adhésion.
J’ai relevé à cet effet l’accent placé sur la pleine mise en œuvre
de «l’accord du 1er mars» (voir ci-dessous)
.
11. L’ouverture de négociations d’adhésion, perspective saluée
par toutes les communautés de Macédoine, sera très certainement
une incitation de plus de mener les réformes. Dans l’intervalle,
je ne peux qu’encourager les autorités macédoniennes et l’ensemble
des parties prenantes à ce processus à poursuivre leurs efforts
pour parvenir à un accord sur la dénomination du pays, car ce serait
une performance politique et cela accélérerait le processus d’intégration
de la Macédoine dans l’Union européenne et l’Organisation du traité
de l’Atlantique Nord (OTAN). Je dois également ajouter que les questions
qu’il convient d’aborder dans le cadre des négociations des chapitres
23 et 24 ont trait aux normes auxquelles le Conseil de l’Europe
attache une importance toute particulière dans la mesure où elles
portent sur le système judiciaire, les droits et libertés fondamentaux
et la justice. Le Conseil de l’Europe est disposé à soutenir les
autorités macédoniennes dans leurs efforts pour se conformer aux
normes européennes dans les domaines de la démocratie, des droits
de l’homme et de l’Etat de droit et aborder tout l’éventail de sujets
qui présentent de l’intérêt tant pour la Commission européenne que
pour le Conseil de l’Europe.
2.2. La question du
nom
12. Le dialogue entamé sous les auspices des Nations
Unies par l’envoyé spécial des Nations Unies, Matthew Nimetz, n’a
pas encore porté ses fruits. En outre, le processus pourrait être
ralenti par l’actuelle crise économique et politique en Grèce. Le
17 novembre 2008, la Macédoine a saisi la Cour internationale de
justice (CIJ) contre la Grèce pour «violation flagrante des obligations
qu’impose l’article 11» de l’accord intérimaire signé par les deux
parties
.
Le 5 décembre 2011, la CIJ a estimé que la Grèce n’avait pas respecté
l’accord intérimaire conclu par les Nations Unies en 1995, du fait
de son blocage de la tentative de la Macédoine de rejoindre l’OTAN
en 2008
.
13. Malgré la décision de la CIJ, aucun progrès n’a pu être enregistré
dans le processus d’intégration euro-atlantique. La Macédoine n’a
pas été invitée à rejoindre l’OTAN lors du dernier sommet de cette
Organisation à Chicago en mai 2012 et le processus d’intégration
dans l’Union européenne demeure bloqué. Les autorités soulignent
que les Résolutions 817 (1993) et 845 (1993) du Conseil de sécurité
des Nations Unies, ainsi que l’accord intérimaire datant de 1995,
établissent le cadre de ce processus
.
14. Les discussions sur la question du nom ont repris récemment
après une rencontre en septembre 2012 entre M. Nikola Poposki, ministre
macédonien des Affaires étrangères, et M. Dimitris Avramapoulos,
ministre grec des Affaires étrangères, à New York où ils se sont
retrouvés pour signer un protocole d’accord. L’envoyé des Nations
Unies a déposé une nouvelle proposition en novembre (dont le contenu
n’a cependant pas été rendu public). En janvier 2013, deux cycles
de discussions se sont tenus entre les deux parties et une nouvelle réunion
devait suivre en avril 2013.
3. Résultats des élections
législatives anticipées du 5 juin 2011 et évolution de la situation
à la suite de ces élections
3.1. Résultats et évaluation
des élections législatives du 5 juin 2011
15. Des élections législatives anticipées ont été convoquées
à la suite du boycott du parlement par l’opposition début 2011.
L’Union social-démocrate de Macédoine (SDSM) avait subordonné son
retour au parlement à l’adoption d’amendements constitutionnels
afin de changer la composition du Conseil de la magistrature, de
débloquer les comptes bancaires de la chaîne TV A1 et des autres
médias sanctionnés (voir ci-dessous), à l’introduction d’une nouvelle
loi sur la répartition équitable des financements publics destinés
à la publicité dans les médias, à l’aboutissement d’un consensus
entre gouvernement et opposition sur les amendements au Code électoral
et à la formation d’un groupe de travail parlementaire pour mettre
à jour les listes électorales. Le Premier ministre, M. Nikola Gruevski,
a accepté toutes les conditions sauf le déblocage des comptes bancaires
de la chaîne A1, question relevant, a-t-il déclaré, du domaine judiciaire
.
Les négociations entre les partis du gouvernement de coalition VMRO‑DPNME
et de l’opposition, conduite par la SDSM, sur le retour éventuel
de celui-ci au parlement ont tourné court. Le parlement a voté sa
dissolution le 15 avril 2011 et fixé des élections anticipées au
5 juin 2011.
16. Une commission ad hoc de l’Assemblée parlementaire a observé
les élections législatives anticipées et conclu que «les élections
législatives anticipées ont été pluralistes, transparentes et bien
administrées dans l’ensemble du pays, même si certains points, comme
la séparation insuffisamment nette entre Etat et partis, requièrent
une plus grande vigilance»
. La commission ad hoc a également
noté que «le jour du scrutin, les électeurs ont pu exprimer librement
leur suffrage dans un climat pacifique, malgré les allégations d’irrégularités soulevées
de façon irresponsable par certains partis politiques. Le processus
de vote et de dépouillement a fait l’objet d’une évaluation très
largement positive, sans différence sensible entre les territoires
à population macédonienne et ceux où dominent les Albanais de souche».
17. La commission ad hoc a fait les constatations suivantes:
- Elle a regretté que les amendements
au Code électoral aient été adoptés par le parlement avec une faible
majorité le 5 avril 2011, à deux mois seulement du jour du scrutin,
et ce, sans avoir obtenu l’avis de la Commission européenne pour
la démocratie par le droit (Commission de Venise), et que les partis de
l’opposition aient boycotté le vote .
- Elle a fait remarquer que l’exactitude des listes électorales
était un problème récurrent qui était constaté depuis 1994.
- Elle a rappelé avec insistance que des cas d’intimidations
et de pression continuaient à être constatés, d’une élection à l’autre
et que, plus grave encore, les agents publics qui soutenaient l’opposition,
surtout au niveau local, étaient menacés de perdre leur emploi.
Cela est extrêmement préoccupant dans un pays où, selon différentes
estimations, le chômage affecte plus de 30 % de la population active.
- Elle a constaté des cas de vote en famille dans 15 %
des bureaux visités.
18. La commission ad hoc a formulé les recommandations suivantes
– dont j’ai suivi la mise en œuvre au cours de la préparation de
mon rapport:
«51. La commission
ad hoc considère que «l’ex-République yougoslave de Macédoine» devrait renforcer
sa coopération avec la Commission de suivi de l’Assemblée dans le
cadre du dialogue post-suivi pour répondre aux préoccupations suivantes,
liées aux élections:
– Renforcer les mécanismes juridiques de protection du
statut des agents publics, surtout au niveau local, afin de lutter
efficacement contre les cas, assez répandus, de pressions et de
menaces de pertes d’emploi à l’égard des agents publics tout au
long du processus électoral;
– Assurer la mise en œuvre effective des dispositions
juridiques relatives au financement des campagnes électorales des
partis politiques et des médias en tenant compte des recommandations
du GRECO [Groupe des Etats contre la corruption], publiées en mars
2010, sur “l’ex-République yougoslave de Macédoine”;
– Promouvoir la culture du dialogue entre les différentes
forces politiques, indépendamment de l’appartenance ethnique, pour
la recherche de compromis afin d’éviter les cas fréquents de boycott
du parlement.
52. La commission ad hoc demande aux autorités de “l’ex-République
yougoslave de Macédoine” de solliciter l’avis de la Commission de
Venise sur le Code électoral tel que révisé le 5 avril 2011 et une assistance
de la Commission de Venise afin de renforcer ses capacités juridiques
et techniques internes.
53. La commission ad hoc considère qu’il serait nécessaire
de mettre en œuvre des programmes d’assistance électorale ciblés
sur les problèmes identifiés dans le présent rapport.»
19. Les résultats des élections ont abouti à une composition
plus équilibrée du parlement, avec une opposition plus forte et
une majorité réduite de la coalition au pouvoir. La répartition
des sièges est la suivante: coalition Organisation révolutionnaire
intérieure de Macédoine – Parti démocratique pour l’unité macédonienne (VMRO-DPMNE)
– 56 sièges (dont 3 sièges pour la diaspora); coalition Union social-démocrate
de Macédoine SDSM – 42 sièges; Union démocratique pour l’intégration
(DUI) – 15 sièges; Parti démocratique des Albanais (DPA) – 8 sièges.
20. Le 28 juillet 2011, le parlement a élu le nouveau gouvernement,
à nouveau placé sous la conduite du Premier ministre Nikola Gruevski,
par 70 voix pour et 47 contre. La DUI a réussi à obtenir cinq ministères
(dont ceux de la Défense et de la Justice) et deux postes de Vice-Premier
ministre (notamment celui en charge des affaires européennes). La
plate-forme de la VRMO-DPMNE et la coalition DUI ont annoncé qu’elles
se concentreront sur cinq priorités: le développement économique,
l’intégration euro-atlantique, la corruption et la criminalité organisée,
la poursuite de la mise en œuvre de l’Accord-cadre d’Ohrid et les
investissements dans l’éducation.
3.2. Evénements postélectoraux
et développements
21. Le lendemain des élections a été marqué par la mort
de M. Martin Neskovski, décédé peu après minuit le 6 juin 2011 (à
0h40) après avoir été frappé brutalement sur la place centrale de
Skopje durant les célébrations pour fêter la victoire de la veille
du parti VMRO-DPMNE de M. Gruevski. Selon les comptes rendus des
médias, la police a nié durant deux jours son implication, puis
a rendu publiques des informations sur l’affaire, alimentant ainsi
les soupçons de camouflage et déclenchant des manifestations
. Un fonctionnaire de police, dont l’implication
dans le décès du jeune homme a été confirmée, a été arrêté et suspendu.
Il s’agit de M. Spasov, 33 ans, membre à l’époque des unités spéciales
«Tigres» et chargé d’assurer la sécurité de la place pendant les
célébrations du parti victorieux, le jour du scrutin de 8 heures
du matin à minuit. Plus tard, plusieurs milliers de jeunes se sont
rendus dans les rues de Skopje après que la nouvelle qu’une personne avait
été frappée à mort s’est propagée sur les réseaux sociaux Twitter
et Facebook.
22. Les manifestants ont demandé une enquête complète sur l’affaire;
ils ont essayé d’obtenir des réponses de la ministre de l’Intérieur,
Mme Gordana Jankulovska, et se sont plaints en outre que les médias progouvernementaux
avaient ignoré l’affaire ainsi que les mouvements de protestation
qui ont suivi
. Les protestataires ont régulièrement
manifesté depuis lors, notamment lors de ma visite à Skopje en septembre 2011,
afin que soit faite une enquête complète mais ils demandent également
la révision de la loi sur la police afin de garantir un contrôle
civil plus rigoureux du travail de la police ainsi que des règles
plus strictes pour le recrutement de nouveaux agents de police
. Mme Jankulovska
a reconnu que l’interaction entre la police et les personnes avait
besoin d’être améliorée et m’a informé de l’organisation de formations
à cet égard. Le procès de M. Spasov s’est ouvert le 2 novembre 2011.
M. Spasov a été reconnu coupable et condamné à quatorze ans de prison
par le tribunal pénal de Skopje. Les membres du mouvement «Halte
aux brutalités policières» et la famille de M. Neskovski ont cependant
accusé le gouvernement d’avoir favorisé une enquête entachée d’irrégularités,
d’avoir préservé l’impunité de la police et d’avoir fait preuve
d’intimidation
.
23. L’arrestation de M. Ljube Boskoski, chef du parti politique
d’opposition «Unis pour la Macédoine» (UM), le 6 juin 2011 (le lendemain
des élections législatives), en présence des médias qui ont pu filmer
l’arrestation, et la saisie de 100 000 euros en espèces ainsi que
d’une arme dans sa voiture ont suscité des questions. Le ministère
de l’Intérieur se renseignait sur M. Boskoski depuis plusieurs mois,
notamment pendant la période de campagne électorale. D’après l’UM,
l’arrestation a été motivée par la volonté du gouvernement de manifester
son pouvoir et de prendre une revanche politique, M. Boskoski s’étant
montré extrêmement critique envers le gouvernement. La condamnation
de M. Boskoski à sept ans de prison pour financement illégal de
la campagne électorale et abus de position a été confirmée en mai
2012 par la Cour d’appel, ce qui a pourtant fait naître des préoccupations
relatives à une justice sélective
. Dans l’intervalle,
M. Boskoski a été poursuivi parce qu’il avait assisté à l’assassinat
de Marjan Tuchevski et de Kiril Janev en 2001 dans un restaurant
de Skopje
.
4. Fonctionnement
des institutions démocratiques
4.1. Remarque préliminaire
24. La politisation de la vie publique a souvent été
mentionnée au cours de mes visites, y compris par des responsables,
bien que ces avis ne soient pas étayés par des données officielles.
L’appartenance à un parti semble conditionner l’obtention d’un emploi
(même dans le secteur privé) ou d’autres avantages. Cette situation
gêne le bon fonctionnement du pays et ne laisse pas d’autre choix
à ceux qui n’adhèrent pas à un parti que de quitter le pays. En
particulier, les jeunes ayant un niveau d’éducation supérieur renforcent
la fuite des cerveaux des Balkans vers l’étranger. C’est là, selon
moi, une tendance fort préoccupante dans un pays où 30 % de la population
vit dans la misère et où l’Etat emploie 25 % des salariés
.
25. A cet égard, je tiens à saluer l’action menée par diverses
institutions pour instaurer des systèmes de recrutement au mérite
et des mécanismes d’évaluation de la satisfaction des usagers des
services publics. J’ai été impressionné en particulier par les efforts
que le ministre de la Société de l’information et de l’Administration
déploie pour favoriser un tel système (ce qui, il l’a reconnu, va
à l’encontre du principe d’égalité de représentation, voir ci-dessous),
mais aussi la gouvernance électronique, l’évaluation du fonctionnement de
l’administration etc. Cependant, il faudra beaucoup de pédagogie
et un changement des mentalités pour faire en sorte que ces initiatives
ne soient pas ruinées par un système fondé sur l’appartenance aux
partis politiques.
4.2. Code électoral
26. Ainsi que cela m’a été annoncé au cours de mes visites
d’information, le parlement a adopté un nouveau Code électoral le
9 novembre 2012. Cependant, l’opposition a dénoncé le fait que cette
nouvelle version ne reprenne pas toutes les recommandations formulées
par le BIDDH/OSCE et la Commission de Venise et elle a annoncé qu’elle
présenterait une proposition de loi pour faire en sorte que les
recommandations restantes soient incorporées dans le nouveau Code
électoral. J’avais encouragé les autorités macédoniennes à solliciter à
nouveau l’avis de la Commission de Venise à propos du Code électoral
révisé et à veiller à ce que des questions telles que l’exactitude
des rôles électoraux, l’allocation de fonds aux médias pendant les
campagnes électorales ou la représentation des minorités au parlement
soient traitées dans le respect des normes du Conseil de l’Europe.
27. Je rappelle ici que, dans son avis conjoint d’octobre 2011
sur le Code électoral révisé, tel qu’amendé les 5 et 13 avril 2011
par le Parlement macédonien, la Commission de Venise, tout en rappelant
que «la modification du cadre juridique à une date aussi proche
d’une élection n’est pas conforme aux bons usages en matière électorale»,
a reconnu que le Code électoral amendé avait été amélioré et fournissait
une base solide pour la tenue d’élections démocratiques essentiellement
conformes aux normes internationales. Toutefois, les questions relatives
aux plafonds pour le financement des campagnes électorales, à la publication
des résultats des élections, aux procédures de plainte et d’appel
et aux systèmes et dispositifs de vote depuis l’étranger mériteraient
d’être examinées de plus près
. La Commission de Venise
a également souligné que, pour garantir l’intégrité du processus
électoral et améliorer la confiance du public, il était essentiel que
le Code électoral soit appliqué consciencieusement et en faisant
preuve d’une grande maturité politique
.
28. L’exactitude du rôle électoral et l’inscription des citoyens
vivant à l’étranger ont aussi donné lieu à des préoccupations. Certains
interlocuteurs ont avancé le chiffre de 1,8 million d’électeurs
inscrits, alors qu’il n’y a que deux millions d’habitants en Macédoine.
J’ai été informé de la création en 2009 par le ministre de l’Intérieur d’un
groupe de travail chargé de préparer et de mettre à jour la méthodologie
d’établissement du rôle électoral. Il a achevé sa mission en décembre
2012 après avoir inspecté les décès enregistrés pour la période
1950-2011, mis à jour le Registre des numéros d’identification uniques
et vérifié les personnes qui n’avaient pas soumis de demande de
délivrance d’un nouveau document d’identité biométrique
. En dépit des efforts déployés pour mettre
à jour le registre
,
les observateurs internationaux ont une nouvelle fois soulevé le problème
de l’exactitude des listes électorales pour les élections locales
de mars/avril 2013. L’OSCE/BIDDH a réitéré «les préoccupations de
longue date de nombreux interlocuteurs de la Mission d’observation
des élections quant à la fiabilité des listes électorales», qui
n’ont fait que «croître le jour du premier tour de scrutin après
qu’un certain nombre d’électeurs n’aient pas été trouvés sur les
listes alors qu’ils étaient en possession de documents d’identité
biométriques»
.
29. En novembre 2012, le Code électoral a été amendé afin, selon
les autorités, de mettre en œuvre «les recommandations prioritaires
formulées dans le Rapport final de la mission d’observation de l’OSCE/BIDDH, ainsi
que les activités jugées urgentes dans la Feuille de route des objectifs
prioritaires pour 2012 adoptée lors du dialogue de haut niveau sur
l’adhésion
. Ces modifications visaient
à renforcer les mécanismes de protection afin de garantir une séparation
adéquate de l’Etat et des structures du parti; de veiller à l’utilisation de
mécanismes juridiques afin de prévenir tout financement illégal
de la campagne électorale; d’accroître la transparence des comptes
et activités des instances directement ou indirectement liées aux
partis politiques; ou lorsqu’ils sont déjà sous leur contrôle, de
garantir un rôle proactif et effectif des organes compétents en matière
de surveillance, d’investigation et de mise en œuvre de la réglementation
relative au financement politique; de garantir la transparence dans
la publication des résultats des élections; et de permettre de nouvelles
réglementations des procédures de plainte
.
L’opposition a cependant contesté le Code électoral révisé en novembre
2012, déplorant que toutes les recommandations de l’OSCE/Commission
de Venise n’aient pas été prises en compte dans le Code électoral
et mettant en question la légitimité et l’équité des élections locales
prévues pour le printemps 2013. Sur une proposition de ma part,
la commission de suivi a décidé, à sa réunion du 13 novembre 2012,
de demander un avis sur le Code électoral révisé, qui devrait être adopté
par la Commission de Venise lors de sa session de juin 2013. Dans
le même temps, j’ai noté que la loi sur le financement des partis
politiques devra être révisée pour tenir compte des recommandations
du GRECO (voir ci-dessous) et qu’il faudrait compléter le rôle électoral
bien que le recensement prévu en 2011 n’ait pas été réalisé et qu’il
ne soit pas envisagé ces prochains mois.
4.3. Fonctionnement
du parlement
30. Lors de mes visites d’information en 2011 et 2012,
M. Trajko Veljanoski, Président du Parlement, a souligné le climat
de bonne entente qui régnait au parlement après les élections et
s’est déclaré satisfait de son bon fonctionnement. Il a par ailleurs
souligné que le boycott de l’opposition parlementaire au printemps 2011
n’avait pas empêché le parlement d’élaborer et d’adopter la législation.
31. La loi sur le parlement, adoptée en août 2009, et le règlement
intérieur du parlement, approuvé en septembre 2010, garantissent
dans une large mesure les droits de l’opposition, qui peut désormais
présenter des questions à l’ordre du jour du parlement. Deux auditions
de contrôle et quatorze auditions publiques avec des membres du
gouvernement avaient été organisées en 2011
et huit débats et une discussion
publics, ainsi qu’un débat de contrôle, en 2012
. Par exemple, une audition a eu lieu
en septembre 2011, à la demande de l’opposition, sur la question
de la liberté des médias.
32. Des progrès ont également été observés en ce qui concerne
l’utilisation de la langue albanaise au parlement: les projets de
loi et l’ensemble du matériel utilisé dans le cadre de la procédure
parlementaire sont traduits en albanais. L’albanais peut être utilisé
dans les procédures orales au sein des commissions et lors des auditions
parlementaires, la chaîne de télévision parlementaire fait l’objet
d’une interprétation en albanais et, depuis juillet 2011, tous les
élus ou les représentants nommés par le parlement peuvent utiliser
cette langue pour s’adresser au parlement et à ses organes
. Les représentants du Parti démocratique
des Albanais ont toutefois déploré que les vice-présidents du parlement
ne puissent s’exprimer en albanais lorsqu’ils président les sessions
plénières.
33. Le parlement a pris des mesures pour renforcer sa capacité
institutionnelle, notamment par la création de l’Institut parlementaire
prévu dans la loi sur le parlement de 2009. Toutefois, en novembre
2012, l’Institut parlementaire ne fonctionnait pas encore et la
procédure de recrutement n’était toujours pas achevée. En mars 2013,
le processus de sélection et l’élection de fonctionnaires aux postes
de direction de l’Institut parlementaire entraient dans leur phase
finale et devaient se poursuivre au lendemain immédiat des élections
locales
. Le budget de fonctionnement du parlement
a augmenté de 40 % en 2011, ce qui a abouti à la création de 30 postes
permanents au parlement et a permis de procéder à la rénovation
du bâtiment
.
34. Des membres de l’opposition que j’ai rencontrés ont déploré
la suprématie du gouvernement sur le parlement, l’insuffisance des
débats parlementaires, l’adoption de nombreuses lois dans le cadre
de la procédure d’urgence ou abrégée, réduisant ainsi la législature
à un rôle de «machine à voter», ainsi que le rejet des amendements
proposés par l’opposition. Le parlement a adopté, par exemple, 142
lois entre le 6 et le 26 avril 2011, laissant, si je comprends bien,
peu ou pas de temps pour la discussion. Toutefois, en 2009-2010, la
Cour constitutionnelle a annulé des dispositions concernant pratiquement
25 % des affaires où des lois étaient contestées, souvent à cause
d’erreurs de rédaction
. Ce chiffre est descendu à 15 % en
2011
, ce qui est un signe positif.
Au cours de ma seconde visite en mai 2012, l’opposition a déploré
le rôle limité joué par le débat parlementaire et a décidé d’interrompre
sa participation aux réunions de coordination des groupes politiques
.
35. Je note que le code de déontologie des parlementaires reste
à adopter. J’ai appris qu’un groupe de travail avait été créé à
cette fin
. Etant donné le contexte très politisé
de la Macédoine, un tel code serait fort utile et pourrait donner
lieu à un échange de bonnes pratiques parlementaires. L’Assemblée
parlementaire pourrait également, sur demande des autorités macédoniennes,
fournir son expertise en la matière.
36. Lors de mes trois visites, j’ai noté que le parlement fonctionnait
de façon satisfaisante en dépit des nombreuses tensions qui opposent
les partis, y compris au sein de la coalition au pouvoir lors du
débat sur la loi relative aux défenseurs (voir ci-dessous). Cependant,
le parlement s’est finalement révélé être une enceinte où les débats
et les négociations pouvaient être menés. Je tiens à saluer le Président
du Parlement pour cet état de choses.
37. La situation s’est pourtant dégradée ces derniers mois: lors
des débats de décembre 2012 sur le budget 2013, le gouvernement
a demandé l’accord du parlement pour solliciter deux nouveaux prêts
auprès de la Banque mondiale (40 millions d’euros) et de la Deutsche
Bank (250 millions). L’opposition a résisté, affirmant que le gouvernement
avait déjà creusé considérablement la dette publique et qu’il souhaitait
uniquement encourager les dépenses et renforcer son assise avant
les élections locales de mars 2013 au lieu de réduire les coûts.
L’opposition a bloqué le travail de la commission parlementaire
sur le financement et le budget en déposant plus de 1 200 amendements.
Pour contourner ceux-ci, le gouvernement a présenté et adopté un nouveau
projet de loi en séance plénière le 24 décembre 2012. L’opposition
a qualifié d’illégale cette manœuvre. Selon les médias, les membres
de la SDSM ont d’abord tenté de bloquer la porte de la principale salle
de réunion pour empêcher les membres de la coalition au pouvoir
d’entrer. Le service de sécurité a été appelé pour intervenir tandis
que les députés des partis au pouvoir sont entrés dans la salle
par une porte dérobée. Le Président aurait été évacué. Des journalistes
qui avaient refusé d’obtempérer à la demande des agents de sécurité
de quitter les lieux jusqu’au rétablissement des conditions de travail
normales ont été sortis du parlement, ce qui a suscité une réaction
indignée des médias et des associations de journalistes
. Le budget pour 2013 a été adopté
en quelques minutes par le parlement en l’absence de l’opposition.
Le Premier ministre a dénoncé une tentative de «coup d’Etat».
38. Des milliers de manifestants se sont rassemblés devant le
parlement, ce qui a conduit à des échauffourées entre partisans
de l’opposition et de la majorité, qui ont fait dix-huit blessés,
dont 11 policiers et, selon les médias
, trois députés de l’opposition.
Par la suite, l’opposition a lancé une série de manifestations, a
invité à la désobéissance civile et a annoncé qu’elle boycotterait
le parlement et les élections locales de mars 2013.
39. L’opposition a déclaré le 9 janvier 2013 qu’elle prendrait
part aux élections locales, sous réserve que trois conditions soient
satisfaites:
a) le changement de trois postes ministériels (en l’occurrence
le ministre de l’Intérieur, le ministre de la Justice et le ministre
des Finances);
b) l’organisation d’élections générales en mars 2013, avec
une surveillance internationale accrue qui devrait aussi porter
sur la révision des listes électorales;
c) la nomination d’un nouveau directeur du service de radio
et télédiffusion national, MRTV, pour assurer une couverture médiatique
impartiale durant les élections.
40. J’ai critiqué ces faits récents et je tiens à exprimer
ma préoccupation au sujet de l’expulsion par la force de parlementaires
et de journalistes du parlement, ainsi que le boycott lancé par
l’opposition qui s’en est suivi. J’exhorte tous les partis politiques
à poursuivre le dialogue et à contribuer de manière constructive
à l’action parlementaire. Ni le boycott du travail parlementaire
ni l’adoption de textes de loi en l’absence de l’opposition ne sont
une façon appropriée de mener les affaires parlementaires et de
répondre aux attentes de la population. J’ai également fait part
de mes préoccupations devant l’atmosphère qui était en train de
s’instaurer à la veille de la campagne électorale, qui devrait permettre
aux citoyens d’élire leurs représentants locaux dans moins de trois
mois.
41. Le 1er mars 2013, une délégation
conjointe de l’Union européenne présente à Skopje (composée du Commissaire
M. Štefan Füle, du rapporteur du Parlement européen M. Richard Howitt
et de l’ancien Président du Parlement européen, M. Jerzy Buzek)
est parvenue, par la médiation, à un accord avec les deux principaux partis
de Macédoine. Cet accord
comprend un certain nombre de propositions
visant à résoudre la crise politique, ainsi que l’engagement de
chacun des partis:
1) d’appuyer les priorités stratégiques de l’Etat au moyen
de la conclusion d’un Mémorandum d’accord (ou d’une résolution parlementaire)
entre les partis confirmant le soutien du calendrier pour l’intégration
euro-atlantique et le refus de toute action susceptible d’entraver
l’atteinte de cet objectif;
2) de reprendre le cours de la vie politique normale et de
veiller à ce que l’ensemble des partis réintègrent le parlement
et participent aux élections locales prévues;
3) d’appuyer l’adoption immédiate de mesures pour mettre en
œuvre les réformes clés, en vue notamment d’améliorer le fonctionnement
du parlement, et de réunir une commission d’enquête ad hoc chargée
de mener des investigations sur les événements du 24 décembre 2012;
4) d’engager la réforme électorale après les élections locales;
5) de renforcer la liberté d’expression, grâce par exemple
à une reprise du dialogue avec les journalistes, mené par l’Association
des journalistes, ainsi que par l’intermédiaire d’autres mesures
de confiance;
6) de convenir d’un calendrier électoral s’agissant de l’enregistrement
des listes de candidats au scrutin local;
7) de se réunir au lendemain immédiat des élections locales
afin de discuter de la situation politique dans le pays, y compris
des conclusions de la commission d’enquête;
8) de poursuivre, en toute bonne foi, les discussions relatives
à l’ensemble des options, et sans préjudice de la fixation du calendrier
des prochaines élections législatives, sur la base de la mise en
œuvre des recommandations de l’OSCE/BIDDH, afin de permettre la
prise en compte des résultats dans le prochain rapport de suivi
de la Commission européenne.
42. J’ai pris note des explications fournies tant par
la majorité au pouvoir que par l’opposition concernant les «événements
du 24 décembre 2012» dans les commentaires qu’ils m’ont transmis
en avril 2013. Je m’abstiendrai à ce stade de prendre position.
Cependant, je soulignerai la gravité de ces événements qui doivent
faire l’objet d’une enquête approfondie et dont il faut tirer des
enseignements. Je prie instamment Ies autorités d’accélérer le démarrage
des travaux de la commission d’enquête, de garantir l’indépendance
de son travail et la discussion au sein du parlement des résultats
de l’enquête. J’appelle également l’ensemble des partis politiques
à engager un dialogue constructif afin de permettre le bon fonctionnement
du parlement et la conduite des réformes tant attendues par les
citoyens. J’attends par ailleurs la mise en œuvre pleine et entière de
«l’Accord du 1er mars» par l’ensemble
des partis.
5. L’application de
l’Accord-cadre d’Ohrid, 10 ans après
5.1. L’Accord-cadre
d’Ohrid
43. L’Accord-cadre d’Ohrid (ACO), signé le 13 août 2001,
a mis fin aux combats entre l’Armée de libération nationale albanaise
(ALN) et les forces de sécurité du gouvernement; il a permis de
conduire d’importantes réformes pour renforcer les droits des Albanais
de souche qui représentent quelque 25 % des deux millions d’habitants,
tout en préservant l’unité de l’Etat. Ces réformes ont notamment
consisté à modifier des passages essentiels de la Constitution,
y compris son préambule, de manière à faire prévaloir le concept
d’égalité des citoyens sur le statut préférentiel conféré précédemment
aux Macédoniens de souche. A noter également, les dispositions visant
à réglementer et à élargir l’utilisation de la langue albanaise,
tout particulièrement dans les communautés comprenant au moins 20 %
d’Albanais, l’instauration d’une représentation proportionnelle
dans la fonction publique et les institutions d’Etat, ainsi que
la mise en place de mécanismes de protection des minorités au parlement
et dans les instances décentralisées
.
L’ACO a imposé la majorité qualifiée («principe de Badinter»), c’est-à-dire
une double majorité exigeant à la fois un vote majoritaire et une
majorité de voix de députés revendiquant leur appartenance à des
communautés ne faisant pas partie de la population majoritaire du
pays, lorsque le parlement adopte des lois concernant directement
les droits des communautés nationales, conformément aux dispositions
de la loi de 2007 relative à la commission des relations intercommunautaires
.
44. L’application de l’ACO est supervisée par le Secrétariat pour
l’application de l’Accord-cadre d’Ohrid (SAACO) piloté par la DUI.
J’ai rencontré à deux reprises le Vice‑Premier ministre Musa Xhaferi
pour m’entretenir avec lui des progrès en la matière et avoir son
avis sur la possibilité d’évaluer globalement la mise en œuvre de
l’Accord et de la comparer avec des modèles de référence («benchmarking»);
il a indiqué en novembre 2012 que le SAACO avait établi un rapport
sur la situation au regard de la mise en œuvre de l’ensemble des
politiques découlant de l’ACO. Bien qu’il n’ait pas été rendu public
à l’époque, ce document a été accepté par tous les partis au pouvoir;
il constitue un premier bilan des progrès accomplis et devrait présenter
d’intéressantes analyses et recommandations pour l’application ultérieure
de l’accord. Le premier volet du bilan de l’OFA a fait l’objet d’une
publication le 11 avril 2013
.
45. Il faut reconnaître que l’ACO a été un facteur de paix au
cours des dix dernières années. Cela dit, le respect et la protection
des minorités et de leurs droits, notamment culturels, pourraient
être renforcés. Des progrès ont été constatés en matière de représentation
équitable: selon les chiffres cités par les ministres de la Justice
et de l’Intérieur lors de ma visite, 13 % des effectifs de la justice
et 22 % de ceux de la police appartiennent à des communautés non
majoritaires dans le pays. Le gouvernement a également pris des mesures
pour favoriser l’intégration interethnique dans le système d’éducation.
L’intégration des communautés ethniques reste néanmoins limitée
et pour renforcer la confiance, il sera nécessaire de développer
le dialogue, notamment dans les domaines culturel et linguistique.
5.2. Les mécanismes
d’application de l’ACO
46. La commission parlementaire
des relations intercommunautaires, créée en 2002 par
un amendement constitutionnel et régie par la loi de 2007 relative
à la commission des relations intercommunautaires comprend 19 membres
désignés par le parlement. Elle
a pour mission d’examiner les questions se rapportant aux relations
intercommunautaires, d’effectuer des évaluations et de proposer
des solutions que le parlement est tenu de prendre en considération
et sur lesquelles il doit se prononcer
. Il semble toutefois
que depuis 2008 elle se réunisse rarement en raison de problèmes
de quorum
. J’espère que le nouveau parlement,
au pluralisme plus affirmé, trouvera un moyen de relancer les travaux
de la commission et lui permettra de jouer pleinement son rôle,
en veillant aussi à améliorer la coordination avec les commissions
interethniques en place au niveau municipal.
47. L’Agence pour la réalisation des
droits des communautés a été mise en place en juillet
2008 conformément à la loi relative à la promotion et à la protection
des droits des communautés qui représentent moins de 20 % de la
population totale du pays. L’Agence, qui a débuté ses travaux le
25 novembre 2009, est chargée de suivre la mise en œuvre de ladite
loi et de renforcer la protection des minorités en question. Pour sa
directrice, Mme Babic-Petrovski, l’Agence est un organe consultatif
indépendant doté d’un rôle éducatif qui ne dispose malheureusement
que d’un budget limité; elle manque de ressources financières et
humaines
et ses
compétences ne sont pas suffisamment définies. Ses activités englobent
le suivi de la situation des petites communautés dans le domaine
de l’emploi, de l’éducation, de l’information et de la protection
du patrimoine culturel, la mise en place de bases de données (sur
la représentation équitable, l’emploi des membres de communautés
minoritaires dans la fonction publique, les ONG œuvrant dans le
domaine de la protection des communautés, la fréquentation scolaire
des enfants appartenant à des minorités, etc.) et la promotion de programmes
culturels dans le service public de radio et de télévision (dont
la deuxième chaîne est consacrée aux communautés). Concernant la
préparation du recensement, Mme Babic-Petrovski a souligné le manque d’information,
la nécessité de restaurer la confiance entre les autorités et les
communautés locales et celle de mieux organiser le recensement de
manière à recueillir des données susceptibles d’être utilisées dans
les 10 années à venir
.
48. Le
médiateur suit la
situation concernant la protection des personnes contre la discrimination
et le respect du principe de représentation équitable
.
Ses rapports qui traitent aussi de la question de la représentation
équitable dans les établissements publics
sont soumis au parlement.
Pour M. Ixhet Memeti, ces rapports ont contribué en particulier
à une meilleure intégration des personnes appartenant à des communautés
minoritaires. Si la mise en œuvre du principe de représentation
adéquate et équitable a connu des améliorations, de nombreux établissements,
notamment des entreprises publiques, n’ont pas atteint le niveau
obligatoire de représentation adéquate et équitable ou n’appliquent
pas le principe de manière suffisante, surtout au niveau managérial.
La représentation des petites minorités demeure problématique
. Le médiateur a conclu que «veiller à
établir un réel équilibre entre le nombre d’employés et la représentation des
membres de toutes les communautés peut concourir à l’instauration
d’un climat de loyauté et de tolérance multiethniques et dans le
même temps constituer un mode de prévention grâce à l’élimination
de la discrimination fondée sur l’appartenance ethnique»
.
49. Au niveau local, l’article 55 de la loi relative à l’autonomie
locale prévoit la mise en place de commissions des relations intercommunautaires
(CRIC) dans les municipalités dont au moins 20 % de la population appartient
à une communauté ethnique donnée. Les CRIC comprennent un nombre
égal de représentants de chaque communauté de la municipalité. Elles
examinent les questions liées aux relations entre les communautés
représentées dans la municipalité. Elles formulent des avis et proposent
des moyens de résoudre les problèmes qui se posent entre les communautés.
Le conseil municipal est tenu d’examiner les avis et les propositions
des commissions et de prendre les décisions correspondantes
. M. Trajanovski, président de l’Association
des unités d’autonomie locale (ZELS), a souligné que 35 municipalités
se sont dotées de CRIC, alors que 20 d’entre elles seulement étaient
tenues de le faire en application de la loi. Cela étant, il ressort
d’une enquête effectuée par le PNUD que la composition, le fonctionnement
et la pratique des CRIC varient d’une commune à l’autre. Le PNUD
a relevé en outre qu’il était difficile de savoir précisément qui au
niveau national et local était chargé d’appliquer la loi et quelles
étaient les conséquences d’une violation de celle-ci; il a conclu
que, «à ce jour, il ressort des études pertinentes que le “principe
de Badinter” n’était pas appliqué dans la plupart des cas où il
aurait dû l’être, pour des raisons diverses allant de l’interprétation
de ce qui constitue un problème “culturel” ou “linguistique” au
refus d’appliquer la réglementation»
.
5.3. Le processus de
décentralisation
50. J’ai examiné également l’état d’avancement du processus
de décentralisation, vu que la décentralisation était l’une des
exigences premières de la communauté albanaise en 2001. L’ACO prévoit
le transfert des compétences de l’Etat aux municipalités dans différents
domaines, comme les services publics, l’aménagement rural et l’urbanisme,
la protection de l’environnement, le développement économique local,
la culture, les finances locales, l’éducation, la protection sociale
et les soins de santé. A signaler, l’adoption de lois de première
importance, notamment sur l’autonomie locale (2002) et l’organisation
territoriale (2004). Le redécoupage de 123 communes a permis de
les regrouper, de leur attribuer plus de compétences et de réaliser une
représentation ethnique plus équilibrée.
51. Selon le cadre législatif actuel, le pays compte 84 municipalités
et la ville de Skopje est une entité distincte (avec 10 municipalités).
On notera l’entrée en vigueur en juillet 2011 de deux lois importantes,
l’une sur les bâtiments illégaux, l’autre sur la construction. Ces
deux textes permettent aux municipalités de gérer le foncier local,
mais le gouvernement central conserve néanmoins d’importantes responsabilités,
dont la gestion des terres agricoles, des forêts et des ressources
hydriques qui constituent des sources essentielles de revenus. La
loi relative au développement régional équitable (2007) qui oblige
le gouvernement à consacrer 1 % du produit intérieur brut au développement
régional constitue la base du développement régional et permet aux
municipalités de se regrouper pour solliciter des fonds à affecter
à leur développement. Elle n’a toutefois pas été mise en œuvre
.
En septembre 2011, le président de l’Association des unités d’autonomie locale
a souligné la nécessité d’obtenir davantage de ressources de l’Etat
central, notamment une part accrue de la TVA (qui pourrait passer
de 3,5 % à 6 %) et du produit de l’impôt sur le revenu (30 % au
lieu de 3 %), etc. Il s’est félicité de l’adoption de la loi sur
la gestion des biens fonciers de l’Etat entrée en vigueur en juillet 2011; il
a souligné que toutes les municipalités sauf six sont entrées dans
la deuxième phase du processus de décentralisation. Au cours de
l’entretien que j’ai eu avec le maire d’Ohrid, membre du parti d’opposition
SDSM, nous avons soulevé la question de l’allocation sélective de
fonds aux pouvoirs locaux et des limites de l’autonomie locale.
52. En octobre 2012, sur les 85 municipalités que compte le pays,
84 étaient entrées dans la seconde phase du processus de décentralisation
fiscale; la part de la TVA leur étant transférée était passée à
4 %.
53. Le 18 octobre 2012, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux
du Conseil de l’Europe a adopté sa recommandation
sur la démocratie locale en «ex-République
yougoslave de Macédoine». Je relève en particulier que le Congrès
a exprimé sa préoccupation eu égard, entre autres, au risque d’une
influence persistante de l’Etat, à l’ambiguïté de la loi concernant
les compétences, au fait que les communes continuent de dépendre
fortement des dotations de l’Etat, qu’elles n’ont qu’une faible
latitude en matière de taxes locales et que la part de la fiscalité
propre dans les recettes budgétaires reste comparativement faible,
ainsi qu’à la participation limitée des femmes à la vie politique
locale
54. J’encourage très vivement les autorités macédoniennes à mettre
pleinement en œuvre les recommandations du Congrès et à faire appel
à l’expertise du Conseil de l’Europe pour renforcer la démocratie locale
et finaliser le processus de décentralisation qui restera l’un des
principaux piliers de la stabilité et de la démocratisation du pays.
55. Dans le contexte de la crise politique, l’importance politique
des élections locales a largement dépassé le cadre des municipalités.
Ainsi que le Congrès et l’OSCE l’ont mentionné, le dirigeant de
la coalition VMRO-DPMNE a qualifié ces élections de référendum sur
l’avenir du pays, alors que le président de la SDSM a déclaré que
les résultats du scrutin détermineront la tenue éventuelle d’élections
législatives anticipées. Par ailleurs, les élections ont été considérées
par beaucoup comme un test crucial dans le contexte de l’ambition commune
de l’ensemble des principaux partis politiques de promouvoir l’intégration
euro-atlantique du pays.
56. Les élections locales du 24 mars et du 7 avril 2013 ont été
considérées comme «gérées avec efficacité» par les observateurs
internationaux, y compris le Congrès et l’OSCE. Les observateurs
ont relevé cependant que «la partialité dont ont fait preuve les
médias et l’absence de transparence dans les activités de l’Etat
et des partis n’ont pas toujours favorisé l’équité. Les tensions
interethniques ont éclipsé la campagne. Le jour du scrutin a été
calme, en dépit de l’observation de certaines irrégularités procédurales»
.
Les observateurs ont également noté des lacunes dans le Code électoral,
des problèmes dans le fonctionnement et le règlement de la Commission
électorale centrale, ainsi que des problèmes d’exactitude des listes
électorales
.
57. Les partis au pouvoir ont remporté près de 90% des municipalités
(58 municipalités pour la coalition menée par le VRMO-DPMNE, et
14 municipalités pour le DUI) alors que la coalition dirigée par
la SDSM a remporté quatre municipalités et le DPA deux. Une municipalité
a été remportée par le Parti progressiste serbe en Macédoine et
les deux dernières par des candidats indépendants
.
58. Deux décisions de la Cour administrative, annulant les résultats
des élections dans la municipalité chaudement disputée de Centar
à Skopje (qui abrite le projet Skopje 2014) et de Struga (où un
candidat commun albanais a battu le candidat commun macédonien)
suite aux plaintes déposées par la coalition VRMO-DPMNE, ont suscité
des controverses. Ces décisions ont amené le chef de la Cour administrative
de Macédoine, Isamedin Limani, à démissionner. De nouvelles élections,
organisées le 21 avril 2013, ont permis la victoire du candidat
de l’opposition Andrej Zernoski, qui a décidé de réexaminer le projet
Skopje 2014
.
5.4. Quelques réflexions
sur l’application de l’Accord-cadre d’Ohrid
59. Permettez-moi d’abord de souligner une fois encore
que l’ACO de 2001 a contribué à ramener la paix et la stabilité
dans le pays. Il a permis l’adoption de réformes constitutionnelles
et législatives majeures visant à atténuer les tensions interethniques
et à promouvoir la compréhension mutuelle et la tolérance. Les mesures adoptées
depuis 2001 ont abordé la décentralisation, la lutte contre la discrimination,
la représentation équitable, l’usage des langues parlées par au
moins 20% de la population, etc. La ratification en 1997 de la Convention-cadre
pour la protection des minorités nationales (STE n° 157) a également
contribué à la protection des minorités nationales, comme le Comité
consultatif de la Convention et le Comité des Ministres du Conseil
de l’Europe l’ont souligné
.
Plus d’une décennie après la signature de l’ACO, il serait utile
de partager quelques réflexions après mes visites en Macédoine au
cours desquelles j’ai eu l’occasion de rencontrer un certain nombre
de parties prenantes.
60. Le parti d’opposition albanais DPA considère que l’ACO n’offre
pas actuellement de perspective politique et économique aux citoyens.
Il l’a négocié et signé il y a 12 ans, mais estime cependant qu’il
n’a pas permis d’améliorer la situation des Albanais et qu’il a
même entravé la promotion de leurs droits. M. Aliu, coordinateur
du DPA au parlement, a déploré l’usage limité de la langue albanaise
et le maigre budget alloué aux Albanais qui, contribuent, selon
lui, à plus de 30 % du budget et ne reçoivent en retour que 2 %
ou 3 % au titre de la culture, de l’éducation, de la santé ou des
dépenses d’infrastructure. La discrimination économique dont sont
victimes les Albanais est également dénoncée par le nouveau Parti
pour le renouveau démocratique national (dont deux membres siègent
au parlement) qui a calculé que 4 % seulement des fonds publics
sont affectés à des projets en faveur des Albanais.
61. Il semble aussi que certains Albanais préconisent d’étudier
des solutions plus radicales et proposent de négocier un Accord
d’Ohrid II
.
62. Comme indiqué au paragraphe 25 ci-dessus, le principe de la
représentation équitable entre parfois en conflit avec un système
de recrutement au mérite. Des représentants d’ONG ont signalé que
des membres de communautés minoritaires recrutés dans des administrations
publiques restent parfois chez eux, faute de disposer de postes
de travail, d’où un sentiment de frustration tant chez les intéressés
qui ne peuvent pas aller travailler que chez les contribuables.
Ils mentionnent en outre que le recrutement est souvent politisé.
La Commission européenne a reconnu dans son rapport de suivi de
2011 que «le nombre total de fonctionnaires appartenant à des communautés
ethniques non majoritaires a atteint 30 %» mais que «la tendance
à recruter des employés issus de ces communautés en vertu de considérations
quantitatives sans prise en compte des besoins réels des établissements
s’est poursuivie. (…) Un grand nombre de fonctionnaires récemment recrutés
sont ainsi rémunérés sans se voir assigner de tâches ou responsabilités.
Par ailleurs, la représentation des communautés non majoritaires
aux postes de haut niveau demeure très faible»
. Cette tendance s’est confirmée
en 2012; il a été constaté que «la tendance à recruter des employés
en vertu de considérations quantitatives sans tenir suffisamment
compte des besoins réels des établissements se poursuit. La plupart
des nouvelles recrues n’ont pas encore pris leurs fonctions dans
les institutions qui leur ont été indiquées, mais perçoivent toutefois
d’ores et déjà un salaire du SAACO. La procédure de recrutement concernant
les membres de communautés non majoritaires n’est pas alignée sur
les procédures générales de recrutement et reste exposée aux pressions
politiques»
.
63. Cette situation engendre beaucoup de frustration, tant pour
la communauté macédonienne que pour les Albanais de souche. En ce
qui concerne l’emploi, la réforme de l’administration publique engagée
par le ministre de l’Information et de l’Administration publique
vise à instaurer un système de recrutement au mérite pour les fonctionnaires.
Dans les échanges de vues que j’ai eus avec le Vice-Premier ministre
Xhaferi, j’ai cru comprendre que cette nouvelle approche risquait
d’entrer en conflit avec la nécessité de garantir une discrimination
positive découlant de l’ACO; le ministre a fait montre d’un grand
intérêt pour les exemples de bonnes pratiques développées dans d’autres
pays européens confrontés aux mêmes problèmes.
64. Pour d’autres ONG, l’ACO doit être considéré dorénavant comme
faisant partie intégrante de la Constitution. Il faudra par conséquent
centrer l’attention sur l’application des dispositions de l’ACO,
sous le contrôle du parlement et des institutions publiques.
65. Dans ce contexte, je mentionnerai l’annulation du recensement
qui devait se dérouler du
1er au 15 octobre 2011, sous le contrôle
de l’Agence européenne de la statistique, EUROSTAT. Le gouvernement
a décidé d’interrompre l’exercice, les membres de la Commission
nationale du recensement n’ayant pu s’accorder sur la question de
savoir si les citoyens qui avaient vécu dans d’autres pays depuis
plus d’un an devaient être pris en compte. M. Aliu m’avait expliqué
deux semaines auparavant que le DPA déplorait l’absence de préparation
de l’exercice de manière à ce qu’il pût être validé et accepté par
la communauté albanaise. Par conséquent, le DPA a proposé d’apporter
des modifications au projet de loi sur l’enregistrement et suggéré
de le reporter de manière à pouvoir tenir une discussion politique
au parlement.
66. Lors de ma deuxième visite en Macédoine, je me suis attaché
plus particulièrement à l’impact des récents incidents interethniques,
d’ampleur diverse, qui se sont produits en maints lieux depuis janvier
2012. Malheureusement, certains d’entre eux ont été graves: à Gostivar,
un policier qui n’était pas en service a tué par balles deux jeunes
Albanais de souche, ce qui a déclenché une série de manifestations
et de troubles dans tout le pays. Alors qu’il disait avoir agi en
état de légitime défense, il a néanmoins été condamné à la prison
à perpétuité en première instance
. Près
de Skopje, cinq pêcheurs locaux dont quatre jeunes garçons ont été assassinés
en avril 2012, la veille de la Pâque orthodoxe, une affaire pénale
connue sous l’appellation «affaire des monstres». Le 30 octobre
2012, après six mois d’enquête, le procureur chargé de la criminalité
organisée a inculpé les six individus soupçonnés d’avoir participé
aux meurtres. La déposition d’un témoin protégé semble toutefois
avoir été la principale preuve dans cette affaire, puisque l’arme
du crime n’a pas été trouvée et que deux suspects se sont volatilisés,
cachés, semble-t-il, au Kosovo*
. Le procès
a débuté en novembre 2012. La cour a accédé le 20 décembre 2012
à la requête de l’avocat de la défense de disposer de plus de temps
pour examiner les accusations portées contre les prévenus. L’audition
des trois premiers inculpés, Agim Ismailovic, Fejzi Aziri and Rami
Sejdi, a débuté le 9 janvier 2013. Les trois ont plaidé non coupables.
67. Plusieurs interlocuteurs ont souligné que les événements intervenus
dans diverses municipalités n’avaient pas de lien entre eux et devaient
être considérés comme des incidents distincts; les autorités ont estimé
que le meurtre des cinq pêcheurs n’était pas motivé par des considérations
ethniques, mais lié à l’islamisme radical (la Macédoine est l’un
des partenaires de la coalition menée par l’OTAN en Afghanistan)
.
68. Cela étant, si l’on considère la situation dans son ensemble,
on pourrait voir dans cette série d’incidents une évolution inquiétante.
Il semble que les tensions interethniques se nourrissent de la frustration
que suscitent – tant chez les Macédoniens que chez les Albanais
de souche – l’application guère satisfaisante de l’ACO et le taux
de pauvreté élevé que connaît le pays; en outre, elles sont peut-être
exacerbées par le projet urbain «Skopje 2014» qui met fortement
en avant les éléments nationaux macédoniens.
69. Le Vice-Premier ministre chargé de la mise en œuvre de l’ACO
s’est montré plutôt critique à l’égard de la réponse institutionnelle
apportée à ces incidents (sachant que les citoyens n’ont confiance
ni dans la police ni dans la justice) et de l’évaluation de la gravité
de la situation. Il a noté que les manifestants avançaient désormais
des motivations religieuses, ce qui est un phénomène relativement
nouveau en Macédoine.
70. Je me félicite du fait que des milliers de personnes aient
été autorisées à se rassembler à Skopje le 17 mars 2012 pour une
«marche pour la paix» afin de protester contre la violence interethnique.
Je demeure cependant perplexe devant les nombreuses manifestations
organisées par la suite par de jeunes Albanais et Macédoniens via
les réseaux sociaux pour mener des actions de protestation parallèles
qui ont fini par conduire çà et là à des frictions ethniques et
religieuses. Il faut, me semble-t-il, des messages forts de la part des
dirigeants politiques et religieux pour mettre un terme à l’escalade
potentielle de la violence; il faut aussi de nouvelles initiatives
politiques pour répondre aux besoins les plus urgents de la population,
notamment des jeunes, et encourager la cohésion sociale.
71. La cohabitation interethnique demeure fragile. Je mentionnerai
à titre d’exemple la récente soumission d’un projet de loi visant
à octroyer des prestations sociales à ceux qui ont combattu dans
les rangs de l’armée macédonienne en 2001 (et à leurs familles);
ce projet a été présenté après que le ministre de la Défense (du parti
DUI) eut rendu hommage aux combattants albanais en 2001. Le projet
de «loi sur les défenseurs du pays» a suscité maints débats, ébranlé
la coalition au pouvoir, et provoqué en définitive un tollé au parlement. Le
DUI a d’abord envisagé de soutenir une motion de censure présentée
par l’opposition (qui a finalement été rejetée) pour provoquer des
élections anticipées; il a décidé ensuite de présenter 15 000 amendements
au texte, le VRMO-DPMNE n’envisageant pas de retirer son projet.
72. En dépit de cette situation tendue, je demande aux responsables
politiques de Macédoine de s’abstenir de discours nationalistes
chaque fois que se produisent des incidents interethniques – ou
des incidents qui ne procèdent peut-être pas de motivations ethniques,
mais impliquent des membres des deux communautés. Les déclarations
de cette nature pourraient avoir des effets dévastateurs sur la
coexistence des deux communautés. Les institutions macédoniennes
compétentes doivent maintenant procéder à des enquêtes, efficaces,
dénuées de discrimination, pour veiller à ce que ces incidents fassent
l’objet d’une enquête approfondie, que leurs auteurs soient poursuivis
et que justice soit faite. J’attends également des responsables politiques
qu’ils adoptent une position plus volontariste et mesurent pleinement
les effets positifs qu’a produits à ce jour l’Accord-cadre d’Ohrid
sur le maintien de la paix. La compréhension et la confiance mutuelles,
à ce jour, n’ont pas été atteintes.
6. L’Etat de droit
6.1. Réforme de la justice:
derniers développements
73. Un certain nombre de réformes ont été menées pour
accroître l’efficacité de la justice. Des progrès ont été accomplis
pour ce qui est la diminution du nombre d’affaires en suspens
. Le nombre total d’affaires en suspens
devant les juridictions nationales de tous niveaux est passé de
plus de 675 000 en 2010 à moins de 300 000 fin 2011. Entre le 1er juillet
2012 et le 1er mars 2013, quelque 324 831
affaires de recouvrement et d’affaires ne relevant pas du contentieux
ont été sorties du système juridictionnel par suite d’un transfert
de compétences vers les huissiers de justice et les notaires
. En février 2012, le Conseil judiciaire
a adopté des lignes directrices sur le nombre minimum de dossiers
que les juges des tribunaux principaux, des cours d’appel, de la
Cour administrative, de la Haute cour administrative et de la Cour
suprême sont tenus de traiter mensuellement.
74. Les juridictions de tous les niveaux ont continué à publier
les arrêts sur leurs sites web (près de 135 000 au cours de l’année
2012), dont il convient de souligner l’importance pour promouvoir
la transparence et l’accès à la justice. Il faut que la Macédoine
s’emploie à instaurer un système de recrutement au mérite dans le
système judiciaire. En 2012, les dispositions en vigueur exigeaient
que 50 % des personnels nommés soient diplômés de l’Institut de
formation des juges et procureurs (AJP). Cela étant, en 2011, le
Conseil judiciaire a préféré nommer comme juges de première instance
des candidats non diplômés, contrairement à l’engagement qu’il avait
pris de les recruter dorénavant sur la base du mérite. Depuis 2013,
tous les juges élus au sein des tribunaux principaux sont diplômés
de l’Institut de formation des juges et procureurs, et à compter de
juillet 2013, l’élection des juges aux tribunaux de juridiction
supérieure sera soumise à des qualifications spécifiques et l’avancement
se fera uniquement au mérite
.
Les motifs de licenciement des juges doivent également être clairs,
précis et prévisibles
.
75. En dépit de quelques avancées, la Macédoine devra réformer
plus avant son système judiciaire pour le rendre plus efficace;
le pays compte actuellement 678 juges, un effectif supérieur de
plus de 50 % à la moyenne européenne par rapport à la taille de
la population. De 80 % à 85 % du budget de la justice (c’est-à-dire
29 millions d’euros en 2012 ou 0,4 % du PIB) est affecté aux rémunérations
des juges et agents administratifs. Le budget du ministère public
est de l’ordre de 5,3 millions d’euros dont la plus grande partie (83 %)
est dépensée en salaires, ce qui laisse peu de ressources pour les
autres postes de dépenses
.
76. La Macédoine a adopté en 2010 un train de mesures législatives
visant à mettre en œuvre un certain nombre de dispositions dont
de nouveaux critères pour l’élection des juges; un système de gestion
des carrières des juges; une redéfinition des dispositions concernant
la responsabilité disciplinaire et l’appréciation des compétences
professionnelles des juges. Cela se traduira par l’application de
critères objectifs et mesurables; le renforcement de la transparence
dans le fonctionnement des tribunaux; et de nouveaux systèmes d’évaluation
des juges sur la base de critères qualitatifs et quantitatifs objectifs
.
77. Cependant, des progrès importants sont nécessaires pour renforcer
l’indépendance des juges: de nombreux interlocuteurs ont dénoncé
une justice sélective ou soupçonnée de l’être qui ciblerait exagérément l’opposition
(voir mes précédentes observations sur les toutes dernières affaires
concernant les médias et les poursuites à l’encontre de responsables
politiques, etc.). S’il peut s’avérer difficile d’étayer ces allégations,
le fait est que les représentants de la société civile manifestent
incontestablement une grande méfiance à l’égard du système judiciaire.
L’Etat devra par conséquent s’employer davantage à mettre en place
un système fondé sur le mérite concernant le recrutement, la promotion
et le licenciement des juges et des procureurs et veiller à ce que
les institutions en place garantissent l’indépendance et l’impartialité
de la justice dans la pratique.
6.2. Lutter contre la
corruption
78. En mai 2012, j’ai abordé le problème de la corruption
avec les autorités et les organes compétents en matière de lutte
contre la corruption. Il s’observe une évolution positive, puisque
le pays a gagné 40 places dans l’indice de perception de la corruption
de Transparency International au cours des cinq dernières années
; la tendance s’est confirmée en
2012
. Des
modifications conformes aux recommandations du GRECO ont été apportées
au cadre juridique de la politique anti-corruption; l’adoption d’un
nouveau Code de procédure pénale devrait améliorer les procédures
d’enquête pour les affaires complexes de criminalité organisée et
de corruption; une équipe d’investigation devrait travailler directement
pour le procureur général.
79. Dans son rapport de suivi de 2011, la Commission européenne
a estimé toutefois que la corruption reste un problème grave. Elle
a souligné que l’indépendance et l’impartialité de la Commission
nationale de prévention de la corruption demeurent fragiles; il
est nécessaire de renforcer la protection juridique et institutionnelle
des donneurs d’alerte.
80. Se référant au rapport 2010 de l’Office national des statistiques,
Transparency Macedonia a indiqué que sur un total de 1,5 milliard
d’euros de projets de marchés publics inspectés cette année, près
de 500 millions d’euros ont été qualifiés de «potentiellement frauduleux»
par l’Office, mais il n’a pas été lancé d’enquête ni engagé de poursuites
. Il ressort d’une
étude de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC)
que le montant moyen des pots-de-vin versés en Macédoine est de
470 €
.
81. Les mesures mises en place pour lutter contre la «petite»
corruption et sensibiliser le grand public sont à saluer
.
Le système de poursuites a fait en outre l’objet d’importantes réformes;
pour pouvoir être performants, le ministère public, la Cour des
comptes et la Commission nationale de prévention de la corruption
devront non seulement être dotés des ressources humaines et financières
dont elles ont besoin, mais également faire montre de fermeté pour
combattre la corruption.
82. Dans ce contexte, il faudra porter une attention particulière
au financement des partis politiques: la loi de 2004 sur le financement
des partis politiques (telle qu’amendée en juillet 2009) établit
certes un cadre juridique, mais Transparency International a instamment
demandé aux autorités de renforcer la pratique juridique actuelle
et d’appliquer les peines prévues, de mettre en place des sanctions
plus lourdes en cas de non-respect des dispositions pertinentes
concernant les donateurs, de mettre en œuvre la recommandation du
GRECO visant à charger une seule et unique institution de la supervision
des finances des partis politiques au lieu du système en place trop
fragmenté et inefficace
.
83. Au cours de sa réunion plénière de mars 2012, le GRECO a adopté
un rapport de conformité sur la Macédoine au titre du troisième
cycle d’évaluation, centré sur la criminalisation et la transparence
du financement des partis politiques. J’ai salué la décision des
autorités macédoniennes d’autoriser la publication de ce rapport
en juin 2012
.
- Le GRECO a conclu que cinq des
sept recommandations faites dans le domaine de la criminalisation avaient
été suivies de manière satisfaisante et qu’une avait été traitée
de manière satisfaisante après la révision
du Code pénal. Il a invité «les autorités de «l’ex-République yougoslave
de Macédoine» à supprimer la possibilité accordée aux tribunaux
de restituer au corrupteur le pot-de-vin saisi» .
- Concernant la transparence du financement des partis politiques,
six recommandations ont été adressées aux autorités macédoniennes.
Le GRECO a reconnu que les modifications apportées au Code électoral
en avril 2011 se sont traduites par quelques avancées. Cela étant,
il a soulevé un certain nombre de problèmes concernant le rapport
financier, la participation des ONG dans la pratique, y compris
les groupes de réflexion et les instituts de recherche mis en place
par les partis politiques (qui ne sont plus dorénavant autorisés,
de droit, à faire campagne pour les partis politiques), la nécessité
de sensibiliser davantage les partis politiques aux obligations
qui leur incombent en vertu des règles de financement politique
en vigueur.
- En outre, le GRECO craint que les dernières modifications
apportées à la loi sur le financement des partis politiques qui
limitent les obligations de déclaration des partis politiques «loin
de conduire à une amélioration de la transparence du financement
ordinaire des partis politiques, ne produisent l’effet contraire»
(paragraphe 55) et que l’Office national des statistiques ne dispose
pas de moyens suffisants et nécessaires pour jouer un rôle de premier
plan s’agissant d’exercer un contrôle effectif, d’enquêter et de
faire appliquer la réglementation relative au financement des partis
politiques (paragraphe 56).
- Le GRECO a conclu que la Macédoine «a accompli des efforts
tangibles pour mettre en œuvre les recommandations relatives au
Thème I – Incriminations. Très peu de mesures ont été prises afin
de dissiper les craintes concernant le Thème II – Transparence du
financement des partis politiques; il reste beaucoup à accomplir
dans ce domaine. Le faible niveau actuel de conformité avec les recommandations
n’est pas «globalement insuffisant» (…) et le GRECO invite le chef
de la délégation de «l’ex-République yougoslave de Macédoine» à
présenter des informations complémentaires sur la mise en œuvre
de la recommandation vii (Thème I – Incriminations) et les recommandations
i et iii à vi (Thème II – Transparence du financement des partis
politiques) d’ici le 30 septembre 2013.»
84. La loi sur le financement des partis politiques a à nouveau
été amendée en octobre 2011 (loi n°148), en novembre 2012 (loi n°
142) et en février 2013 (loi n°23), s’agissant de la réglementation
des allocations de fonds publics aux partis politiques, du contenu
et des modalités de publication du registre des dons et des rapports
financiers, de la soumission des rapports de dons aux services fiscaux
et à la Cour des comptes, de la mesure de suspension du versement
de fonds publics aux partis politiques s’ils ne satisfont pas à
leur obligation de soumettre et de publier dans les délais impartis
leurs rapports annuels, des financements publics alloués à la création
de centres d’analyse ou de recherche mis en place par les partis,
du financement de la formation des partis politiques à l’établissement
des rapports financiers, etc. Un règlement des partis politiques,
traitant de la forme, de la structure et de la manière d’établir
les rapports annuels a été adopté par le ministère des Finances
le 31 janvier 2013
.
85. Le Code pénal a également été amendé en novembre 2012 (loi
n°142), introduisant de nouvelles mesures afin d’établir une distinction
plus stricte entre les postes exécutifs et ceux occupés au sein
des partis durant les élections, de renforcer les obligations financières
durant la période électorale, de fixer de nouvelles échéances pour
la soumission du rapport final de campagne (30 jours après la clôture
de la campagne électorale); la signature d’un mémorandum de coopération
entre la Commission électorale nationale, la Cour des comptes et
la Commission nationale de prévention de la corruption en vue de
l’échange d’informations sur d’éventuelles irrégularités; des mesures
régissant la perte partielle ou totale de compensation si les partis politiques
dépassent les limites de dépenses ou ne respectent pas leur obligation
de soumettre le rapport financier de leur campagne, etc
.
86. Je me félicite des changements apportés au Code pénal, à la
loi sur le financement des partis politiques et à la loi sur la
prévention des conflits d’intérêt, mais le report de l’entrée en
vigueur de la nouvelle loi sur la procédure pénale (adoptée en 2010)
à novembre 2012, puis à décembre 2013
en raison du manque de ressources
budgétaires et humaines et d’équipement m’inquiète. Ceci retardera
plus encore la mise en œuvre des programmes publics pour la prévention
et la répression de la corruption et pour la prévention et la réduction des
conflits d’intérêts et du Plan d’action 2011-2015, adoptés par la
Commission nationale pour la prévention de la corruption, notamment
la mise en place prévue par ladite nouvelle loi de centres d’investigation
et d’une police judiciaire.
87. J’attends des autorités macédoniennes qu’elles mettent pleinement
en œuvre les recommandations du GRECO et relancent ainsi la lutte
contre la corruption qui sape le fonctionnement des institutions démocratiques.
Dans un contexte de forte politisation de la vie publique, il faudra
accorder une attention particulière à la lutte contre la corruption
dans les marchés publics qui continue d’être un grave problème
, en
dépit des efforts entrepris par les autorités pour combattre ce
phénomène
.
7. Droits de l’homme
et libertés fondamentales
7.1. Liberté d’expression
et médias
88. Lors de mes visites, j’ai rencontré plusieurs journalistes
de différents médias, qui ont évoqué le grand nombre de médias en
Macédoine, les conditions de travail difficiles des journalistes,
la proximité des propriétaires de médias avec le monde politique,
le financement des médias et la part des campagnes publicitaires
du gouvernement dans les médias, la diffamation, l’autocensure,
etc.
89. La liberté et le pluralisme des médias sont un motif de préoccupation.
Comme l’a fait remarquer la Commission européenne, les médias continuent
de subir l’ingérence des intérêts politiques et commerciaux. L’intimidation
des journalistes et l’application sélective de la législation contre
les sociétés de presse sont de plus en plus préoccupantes. Le bilan
concernant l’application de la loi contre les concentrations de
médias illégales est faible et entravé en partie par le manque de
transparence concernant la propriété des médias
.
90. L’Etat a un rôle financier: il est donc à même d’exercer une
influence sur les médias, la publicité étant un puissant facteur
d’incitation. Selon l’analyse effectuée par le Conseil de la radio
et de la télédiffusion, le gouvernement a dépensé 17 millions d’euros
en 2008 en publicité et 12 millions d’euros en 2009 pour 658 heures
d’antenne. Les observateurs locaux affirment que le gouvernement
et le parti au pouvoir ont attribué les contrats à des médias proches
du gouvernement. La chaîne de télévision A1 TV, par exemple, avait systématiquement
des parts d’audience élevées, mais Macedonian Telecom, dont le gouvernement
est actionnaire minoritaire, a cessé d’y faire de la publicité début
2009
.
91. Nous avons été informés, en outre, que le propriétaire de
la chaîne A1 TV, M. Velija Ramkovski, auparavant favorable aux coalitions
au pouvoir, s’était retrouvé en difficulté lorsque ses relations
avec M. Gruevski se sont détériorées en 2009. En novembre 2010,
période délicate sur le plan politique, la police a fait une perquisition
dans les locaux de la chaîne A1 TV dans le cadre d’une enquête sur
la fraude fiscale présumée de 11 petites sociétés commerciales ayant
leur siège social à cette adresse.
92. Dans son rapport d’observation des élections du 5 juin 2011,
la délégation de l’Assemblée a rappelé la chronologie des événements
:
- «Le
25 novembre 2010, des représentants de l’administration fiscale,
accompagnés par la police, ont organisé une perquisition au siège
de la société mère de la chaîne de télévision TV A1 et des trois
quotidiens «Vreme», «Spic», «Koha et Re» pour enquêter sur des cas
allégués d’évasion fiscale. Suite à des investigations, les comptes
bancaires de ces sociétés ont été gelés par une décision judiciaire.
- L’opposition a déclaré que
ces investigations étaient politiquement motivées parce que ces mêmes
médias, dans un passé récent, n’auraient pas été poursuivis pour
évasion fiscale parce qu’ils vantaient les mérites du gouvernement.
- En décembre 2010, le principal
parti de l’opposition, l’Union sociale-démocratique de Macédoine (SDSM),
a organisé une grande manifestation à Skopje en demandant la fin
des poursuites contre ces médias et la libération des personnes
arrêtées dans le cadre des enquêtes, y compris Velijia Ramkovski,
un riche homme d’affaires propriétaire de la chaîne de télévision
TV A1.
- Pour l’opposition il s’agissait
de liberté d’expression, pour les autorités c’était une affaire criminelle.
- Le 28 janvier 2011, la SDSM
a décidé de quitter le parlement, en boycottant ses travaux et en demandant
des élections anticipées. Les autres partis de l’opposition ont
suivi la SDSM, y compris le Parti démocratique des Albanais (DPA),
qui boycottait le parlement depuis 2009.
- Les négociations entre les
partis de la coalition gouvernementale du VMRO-DPMNE et l’opposition
dirigée par la SDSM sur la possibilité pour celle-ci de revenir
au parlement ont échoué et, le 15 avril 2011, le parlement a voté
sa propre dissolution. Des élections anticipées ont été convoquées
pour le 5 juin 2011.»
93. Je souhaite rappeler les faits qui ont conduit à
la fermeture de quatre médias
en
2011. En juin 2011, les services fiscaux ont exigé de la chaîne
A1 TV le paiement de 9,5 millions d’euros d’arriérés d’impôts; le 12 juillet
2011, les autorités ont procédé au recouvrement de force de la dette
et, le 26 juillet 2011, après que les services fiscaux aient décliné
sa demande de paiement échelonné, un tribunal a déclaré la faillite
de la compagnie et nommé un propriétaire à titre transitoire.
94. Les quotidiens Vreme, Spic et Koha
e Re, détenus par la société locale Plus Production ayant
son siège à la même adresse que la chaîne de télévision TV A1 et
soumise aux enquêtes en cours, ont été enjoints de payer 1 million
d’euros d’arriérés d’impôts et ont cessé de paraître le 2 juillet
2011 en raison du manque de financement.
95. Le 26 juillet 2011, une procédure de faillite contre la chaîne
TV A1 a été engagée par le tribunal de première instance de Skopje
II, sur l’initiative des services fiscaux. Le 29 juillet 2011, l’Autorité
des communications électroniques a promulgué une décision révoquant
la licence de TV A1, sans attendre la décision du Conseil de la
radio et de la télédiffusion. Le 30 juillet 2011, la chaîne TV A1
a cessé d’émettre. Environ 230 salariés de la chaîne de télévision
devaient perdre leur emploi. L’association des journalistes et le
syndicat des journalistes et travailleurs des médias ont fait des
déclarations communes exprimant leur inquiétude concernant l’indépendance
des médias.
96. Le 24 août 2011, les préparatifs pour engager la procédure
de faillite contre TV A2 ont également commencé. Cependant, le 26
août 2011, M. Tomor Canoski, frère de l’homme d’affaires et député,
M. Fijat Canoski, a offert un financement à la chaîne TV A2 pour
qu’elle rembourse sa dette aux services fiscaux. Les fonds ont été
versés sous forme de prêt à court terme, qui devaient être remboursés
dans un délai d’un an.
97. En septembre 2011, j’ai demandé des éclaircissements sur la
fermeture des quatre médias mentionnés ci-dessus. Les dirigeants
et les représentants de la majorité parlementaire que nous avons
rencontrés ont souligné que la fermeture était motivée par une présomption
d’évasion fiscale et ne pouvait être considérée comme une violation
de la liberté des médias. Ceci m’a été répété durant ma seconde
visite.
98. Le 14 mars 2012, M. Ramkovski a été condamné à 13 ans d’emprisonnement
pour évasion fiscale, association de malfaiteurs, blanchiment de
capitaux et abus de fonction
. Il est incontestable que l’évasion fiscale
doit être ciblée et faire l’objet de poursuites, toutefois, le fait
que seuls les médias de l’opposition aient été touchés est un motif
de grave préoccupation et soulève la question de la sélectivité
de la justice et des poursuites. Dans une société démocratique,
les autorités de l’Etat devraient se soucier de l’impact de telles poursuites
sur la pluralité des médias.
99. Les représentants des quatre médias ont déploré le contrôle
financier, les pressions exercées sur la direction de la société
ainsi que les menaces de ne pas autoriser la publicité commerciale,
qui se traduisent par une réduction des recettes. M. Crvkovski,
responsable du parti SDMS, a également dénoncé, lors de notre entretien,
les pressions financières et politiques exercées sur les médias
adoptant des positions critiques envers le gouvernement.
100. La représentante de l’OSCE pour la liberté des médias, Mme
Dunja Mijatovic, a soulevé différentes questions liées à la détérioration
continue de la liberté des médias et a estimé que la fermeture des
médias critiquant le gouvernement n’aboutissait jamais à une stabilisation
politique et économique mais à une stagnation et une perte de confiance
dans les gouvernements et les dirigeants politiques
.
Elle s’est rendue à Skopje le 27 octobre 2011 et a demandé instamment
aux autorités de dépénaliser la diffamation (165 actions sont actuellement
intentées contre des journalistes), de créer une instance d’autorégulation
afin de contribuer à l’amélioration des normes professionnelles
et d’empêcher les journalistes d’engager des poursuites en diffamation
les uns contre les autres, d’améliorer la mise en œuvre des lois
relatives à la propriété des médias afin d’éviter les participations
croisées illégales et l’exercice d’influence politique dans les
médias, et, enfin, de prévoir des dispositions sur la transparence
de la publicité gouvernementale
.
101. L’entretien que j’ai eu avec le président du Conseil de la
radio et de la télédiffusion en exercice en mai 2012 a été très
instructif: M. Stefanoski a déploré le changement radical intervenu
dans le climat politique après les élections. Il a jugé regrettables
les amendements de la loi sur les activités de radio et télédiffusion adoptés
le 15 juillet 2011, qui prévoient la nomination politique de 9 membres
sur 15 du conseil. Il a souligné que le Conseil de la radio et de
la télédiffusion ne pouvait plus, par conséquent, être considéré
comme un organe indépendant et n’était plus conforme à la Recommandation
Rec(2000)23 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe
.
Il a déclaré qu’il était impossible de parler de liberté des médias
lorsque le gouvernement, le plus grand annonceur dans les médias,
essayait de les contrôler par le biais d’un patronage financier.
102. Lors de ma visite en novembre 2012, il m’a de nouveau été
signalé que la nouvelle composition du Conseil de la radio et de
la télédiffusion suscitait de graves réserves quant à l’impartialité
de l’instance.
103. J’ai été toutefois très heureux d’apprendre que le Conseil
de la radio et de la télédiffusion avait pris quelques initiatives
pour clarifier la question de la propriété des médias, éviter les
conflits d’intérêts et fixer la date butoir pour assurer la conformité
avec la loi au 15 septembre 2012. Le conflit d’intérêts découlant
de la propriété par des députés d’une chaîne de télévision nationale
et de deux stations de radio nationales a pu être gommé. Un député
a démissionné de ses fonctions politiques, un autre a décidé de
vendre ses stations de radio, tandis qu’un troisième a modifié ses
titres de propriété.
104. Le rapport de suivi de 2011 de la Commission européenne sur
la Macédoine a également fait état de la situation préoccupante
des médias. On y lit en effet que «l’ingérence politique et commerciale
persiste dans les médias». En outre, «l’intimidation des journalistes
et l’application sélective de la loi contre les sociétés de presse
suscitent de plus en plus d’inquiétude»
.
105. Les observations de la Commission font écho à des préoccupations
analogues exprimées en juillet 2011 par un certain nombre d’observateurs
critiques des médias, comme Amnesty International, l’Organisation
des médias du sud-est de l’Europe (SEEMO) à Vienne et l’antenne
française de Reporters sans frontières
.
106. Un dialogue a été engagé entre le gouvernement et les journalistes.
Un groupe de travail conjoint, composé de hauts fonctionnaires et
de professionnels des médias, a été formé le 10 octobre 2011 et
chargé de négocier sur les revendications des journalistes, qui
comprennent notamment la dépénalisation de la diffamation, le renforcement
du service public de radio et télédiffusion et la répartition plus
équitable du financement public de la publicité
.
Cependant, j’ai appris au cours de ma seconde visite la suspension
des négociations entre les associations de journalistes et le gouvernement.
Les spéculations quant à une augmentation drastique des amendes
pour diffamation dans le cadre de la nouvelle loi sur les médias
suscitent d’autres préoccupations. Les journalistes ont exprimé
leurs inquiétudes devant les pressions politiques qu’ils subissent,
leurs conditions de travail précaires et l’autocensure.
107. Le mémorandum d’accord qui a finalement été signé le 13 juin
2012 entre le gouvernement et l’Association des journalistes (ZNM)
définit cinq domaines à examiner, à savoir la dépénalisation de
la diffamation et des «insultes», le renforcement du service public
de radio et télédiffusion, la transparence de la publicité du gouvernement
et un meilleur respect par les journalistes et les rédacteurs des
normes professionnelles.
108. J’ai cependant été informé que, le même jour, le Conseil de
la radio et de la télédiffusion avait décidé de retirer la licence
de la chaîne de télévision A2 – le dernier vestige de l’empire médiatique
de Velija Ramkovski – au motif que la chaîne n’avait pas inclus
suffisamment d’émissions d’actualité et de programmes éducatifs
pour atteindre le seuil de 5 % de son temps d’antenne. Pour l’Union
des journalistes de Macédoine, cette explication relève de «l’absurde»
car d’autres radiodiffuseurs ne respectent pas au quotidien les
règles du Conseil
.
109. Plus récemment, le parti d’opposition SDSM a exprimé sa préoccupation
après le changement de propriétaire et de politique éditoriale de
la télévision TV ALFA, ainsi que la clôture d’un magazine hebdomadaire
et journal quotidien proches de l’opposition
FOKUS,
suite à la mort brutale de leur propriétaire, Nikola Mladenov, qui,
selon le SDSM, reste inexpliquée
.
110. La loi relative à la responsabilité civile en matière d’insultes
et de diffamation a été élaborée en coopération avec la Commission
européenne et les experts du Conseil de l’Europe pour renforcer
la législation et veiller à ce qu’elle soit conforme aux normes
du Conseil de l’Europe et à la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme. Elle a été adoptée le 12 novembre 2012 par
le parlement qu’il y a lieu de féliciter de cette initiative. Les
325 poursuites pénales en cours contre des journalistes pour diffamation
ont été stoppées après l’entrée en vigueur des amendements au Code
pénal (loi n° 142 de novembre 2012), à charge pour le plaignant,
dans un délai d’un mois après la clôture du dossier pénal, d’engager
une procédure civile pour insulte ou diffamation et demander indemnisation
. Le projet de loi réglemente également
les portails internet, les sites web et les blogs.
111. La loi en question prévoit une amende maximale de 27 000 €
(à savoir 2 000 € pour l’auteur, 10 000 € pour le rédacteur en chef,
et 15 000 € pour le propriétaire du média) en compensation du dommage
moral causé par l’insulte ou la diffamation
.
Si cette limitation constitue un progrès par rapport à la législation antérieure,
le montant de la sanction financière peut être dissuasif pour les
journalistes et les propriétaires de médias. Selon certains experts,
ces sanctions risquent d’amener les propriétaires et les rédacteurs
en chef à influer sur le travail des reporters et pourraient compromettre
ainsi la liberté d’investigation et d’information des journalistes.
Aux termes de l’article 8 du projet de loi, l’auteur d’un article
ne verra pas sa responsabilité engagée, s’il peut prouver qu’il
a reçu l’ordre de le rédiger du propriétaire du média ou que le
texte a été considérablement modifié par le rédacteur en chef.
112. Je me félicite des mesures prises par les autorités pour veiller
à ce que les juges et les journalistes soient tous dûment formés
, ainsi
que pour faire traduire et publier plus de 40 arrêts essentiels
de la Cour européenne des droits de l’homme relatifs à l’article
10 sur les sites web du ministère de la Justice et de l’Institut
de formation des juges et procureurs
, ce, pour garantir que tous les
juges soient à même d’appliquer la législation, y compris la loi
nouvellement adoptée relative à la responsabilité civile en matière d’insulte
et de diffamation, et garantir la liberté d’expression conformément
aux normes européennes.
113. L’impression globale que je retire de mes trois visites est
que le secteur des médias demeure fragile et ce, pour de multiples
raisons, à savoir: le très grand nombre de médias compte tenu de
la taille du pays, le fait qu’ils restent lourdement tributaires,
pour leur financement, de la publicité de l’Etat, laquelle représente
50 % du marché publicitaire qui s’offre à eux, d’où une suspicion
d’ingérence politique, des normes professionnelles à ce jour insuffisantes
pour garantir l’indépendance et l’impartialité du journalisme d’investigation.
De plus, les travaux du Conseil de la radio et la télédiffusion
dans sa nouvelle composition sont contestés, car l’indépendance
de cet organe n’est pas considérée comme garantie par les dispositions
de la loi. A mon sens, le service public de la radio-télédiffusion
doit être renforcé. Le passage au numérique en 2013 posera de nouveaux
problèmes et aura très probablement de profondes répercussions sur
le paysage médiatique.
7.2. La loi de lustration
114. La Macédoine est engagée dans un processus de lustration,
comme le recommandait l’Assemblée parlementaire
.
Une loi a été adoptée à cet effet en 2008. En mars 2011, la majorité
au pouvoir a reculé au-delà de 1991 le délai de prescription des
actes concernés par cette loi, remettant ainsi pour la deuxième
fois en cause la décision de la Cour constitutionnelle, et a élargi
l’éventail des professions soumises à vérification pour y inclure
les journalistes, les ONG
, le clergé et d’autres
professionnels. En mars 2012, cette disposition a été déclarée inconstitutionnelle
par la Cour constitutionnelle, car elle obligeait les membres de
nombreuses professions à déclarer sous serment ne pas avoir collaboré
avec la police secrète pendant et après l’ère communiste.
115. La Cour constitutionnelle a également raccourci la durée d’application
de la loi, fixée auparavant à 2019. Elle a estimé que la loi ne
pouvait couvrir que la période communiste allant de 1945 à 1991,
et non la période postérieure à l’indépendance du pays, lorsque
la Macédoine est devenue une société démocratique.
116. La coalition VMRO-DPMNE a soumis un nouveau projet de loi
de lustration en avril 2012. Son partenaire, l’Union démocratique
pour l’intégration (DUI) a conditionné son appui à ce projet à l’adoption
d’une loi sur la réhabilitation des victimes des régimes passés
.
Dans l’intervalle, la composition de la Cour constitutionnelle a
été modifiée, et trois nouveaux membres ont été nommés par le gouvernement.
117. En mai 2012, la commission de vérification des faits (commission
de lustration) avait déjà statué sur le cas de 30 personnes considérées
comme d’anciens informateurs. Quinze de ces personnes ont toutefois
fait appel devant la Cour administrative de Skopje, qui a par la
suite annulé les décisions de la commission les concernant.
118. A ma grande surprise, le parlement a adopté, en octobre 2012,
une nouvelle version de la loi de lustration
qui
ressemblait fortement à la précédente, au mépris des décisions antérieures
de la Cour constitutionnelle. Cette loi a ensuite été, une fois
de plus, contestée devant la Cour constitutionnelle. A la demande
du Président de la Cour constitutionnelle, la Commission de Venise
a adopté, les 14-15 décembre 2012, un mémoire
amicus
curiae sur la loi relative aux conditions limitant
l’exercice de fonctions publiques, à l’accès aux documents et à
la publication des noms de ceux qui ont coopéré avec les organes
de sécurité de l’Etat de «l’ex-République yougoslave de Macédoine».
119. La Commission de Venise a précisé qu’elle souhaitait simplement
donner à la Cour constitutionnelle macédonienne des éléments concernant
la compatibilité de cette loi avec la Convention européenne des
droits de l’homme, ainsi que des principes de droit constitutionnel
comparé facilitant l’examen de cette affaire. Pour ce qui est de
l’interprétation contraignante de la Constitution macédonienne et
des limites qu’elle fixe à la loi de lustration, le dernier mot
revient à la Cour constitutionnelle. La Commission de Venise a également
estimé nécessaire de rappeler que «l’interprétation de la Constitution
par la Cour constitutionnelle est contraignante pour toutes les
institutions nationales relevant des pouvoirs exécutif, judiciaire
et législatif, qui sont donc tenus de la respecter et d’y adhérer».
- Concernant
le calendrier, la Commission de Venise a noté que «l’adoption
de mesures de lustration dans un pays donné, longtemps après qu’un
processus de transition démocratique y a été engagé, peut semer
le doute sur les véritables intentions du pays concerné. La revanche
ne doit pas prendre le pas sur la démocratie. Pour la Commission,
il s’ensuit que l’application de mesures de lustration plus de 20 ans
après la fin du régime totalitaire doit être justifiée par des raisons
convaincantes. La Commission rappelle toutefois que chaque Etat
démocratique est libre d’exiger un minimum de loyauté de la part
de ses fonctionnaires et qu’il peut prendre en considération leurs
agissements actuels ou passés pour les relever de leurs fonctions
ou refuser de les engager.»
- S’agissant de la période du
passé qu’il convient d’examiner, la Commission de Venise
a estimé que cette période devrait être limitée parce que l’objet
d’un exercice de lustration est d’empêcher les personnes qui ont
une attitude non démocratique d’occuper certaines fonctions: «Les
lois de lustration peuvent varier selon l’histoire des pays mais
elles doivent toujours être axées sur les principes de rationalité
et de proportionnalité. Il s’ensuit que le fait de relever une personne
de ses fonctions à raison d’un fait précis remontant à 21 ans (au
moins) et jusqu’à 78 ans n’est justifié, le cas échéant, que si
les crimes les plus graves ont été commis, notamment des violations
massives et répétées des droits de l’homme, également passibles
de lourdes peines privatives de liberté en application du droit
pénal» (paragraphe 24). La Commission de Venise a ajouté «qu’on
retrouve les motifs politiques, idéologiques ou d’appartenance à
un parti politique dans n’importe quelle démocratie et qu’ils ne
peuvent être utilisés pour fonder des mesures de lustration parce
que le fait de stigmatiser des opposants politiques ou de les traiter
de façon discriminatoire n’est pas un moyen acceptable de lutte
politique dans un Etat régi par le principe de la primauté du droit»,
avant de préciser qu’il appartient à la Cour constitutionnelle macédonienne
d’apprécier la légitimité de l’extension de l’application de la
Loi de lustration aux actes commis après le 17 novembre 1991.
- S’agissant du champ d’application
personnel de la loi, «la Commission de Venise note que,
dans la logique des principes évoqués ci-dessus, la Cour constitutionnelle
macédonienne a estimé dans une décision antérieure que l’Etat ne
pouvait pas appliquer de mesures de lustration à d’autres personnes que
celles qui sont employées par les organes de l’Etat ou occupent
des fonctions de direction, par exemple des membres d’universités,
de communautés religieuses, de médias, d’organisations civiques (ONG):
un tel élargissement du champ d’application personnel de la Loi
constituerait une “ingérence de l’Etat” dans les activités des personnes
concernées» (paragraphe 41). Par conséquent, «l’application de mesures
de lustration à des fonctions qui relèvent d’organisations privées
ou semi-privées outrepasse l’objectif de la lustration qui est d’empêcher
des personnes d’exercer des fonctions gouvernementales quand il
se révèle impossible de faire confiance aux intéressés pour exercer
celles-ci dans le respect des principes démocratiques. Le lien litigieux
avec le régime totalitaire doit être défini de manière très précise».
- La Commission de Venise a également exprimé des inquiétudes
sur l’organisation de la procédure de lustration, estimant «que
l’absence de participation de la personne concernée à la procédure
de vérification devant la Commission contrevient aux droits de la
défense notamment, au droit à l’égalité des armes et à la présomption
d’innocence» (paragraphe 65), que les dispositions relatives aux
aspects procéduraux du processus de vérification et à la possibilité
de faire appel ne sont pas très précises, notamment en ce qui concerne
l’exercice par la Commission de ses compétences en matière de vérification
(paragraphe 69); et que la décision de la Commission de vérification
est publiée sur son site web avant que le tribunal compétent ne
se soit prononcé (la décision de la Commission est susceptible d’appel
pendant huit jours) (paragraphe 73).
120. La commission de lustration est en difficulté, car les deux
membres désignés par le principal parti d’opposition (SDSM), Janakie
Vitanovski et Blagoja Geshoski, ont démissionné le 18 décembre 2012.
Ils déploraient que la commission soit dirigée par un «Président
illégitime»
et accusaient celle-ci
de qualifier de «collaborateurs» certaines personnes non seulement
en se fondant sur des éléments insuffisants, mais encore en ignorant
les éléments qui démontrent le contraire
.
La commission de lustration conserve toutefois le quorum nécessaire
à la poursuite de ses travaux.
121. Il appartient à présent à la Cour constitutionnelle macédonienne
de rendre sa décision sur la loi de lustration – et j’espère que
toutes les institutions du pays s’y conformeront. Ajoutons que la
contestation de décisions de la Cour constitutionnelle est un signe
préoccupant du point de vue du respect de l’Etat de droit. Je note
par ailleurs qu’une décision dérivée de cette loi controversée est
à présent contestée devant la Cour européenne des droits de l’homme
.
7.3. Torture et mauvais
traitements
122. En 2010, le Comité européen pour la prévention de
la torture et des traitements inhumains ou dégradants (CPT) s’est
rendu en Macédoine et a adressé plusieurs recommandations et demandes d’informations
aux autorités à propos des forces de l’ordre, des établissements
pénitentiaires et psychiatriques et des établissements spéciaux
Demir Kapija pour handicapés mentaux
. En janvier 2012, le gouvernement macédonien
a demandé la publication du rapport et présenté ses commentaires
sur les observations du CPT
, où il décrit les initiatives
prises pour améliorer le système. J’aimerais notamment mentionner
un projet de reconstruction des prisons et des établissements éducatifs
et correctionnels qui est cofinancé par la Banque de développement
du Conseil de l’Europe (46 millions d’euros) et par le gouvernement
macédonien (6 millions d’euros), la préparation d’une Stratégie
nationale de développement du système pénitentiaire soutenue par des
fonds IPA, ainsi que plusieurs projets financés par divers Etats.
123. Si des progrès sont constatés dans le système pénitentiaire
grâce à la formation continue des personnels des prisons et à la
reconstruction des établissements, plusieurs problèmes subsistent
parce que les prisons sont insuffisamment financées et dotées en
personnel, et souffrent d’une gestion déficiente, de mauvaises conditions
matérielles, de soins de santé insuffisants, d’un manque d’activités
pédagogiques et de rééducation, notamment pour les jeunes détenus,
et de l’absence d’un mécanisme indépendant d’inspection pour examiner
les violations et sanctionner les auteurs d’abus
.
124. J’invite instamment les autorités macédoniennes à poursuivre
leurs efforts et à se conformer aux autres recommandations du CPT.
A cet égard, je me félicite du lancement, en décembre 2012, d’un programme conjoint
Conseil de l’Europe/Union européenne sur le renforcement des capacités
des services répressifs pour garantir un traitement approprié aux
détenus et aux personnes condamnées. J’espère que ce projet ouvrira
la voie à d’autres programmes de coopération et redynamisera le
partenariat entre la Macédoine et le Conseil de l’Europe.
125. Une décision qui fait date a également été rendue par la Cour
européenne des droits de l’homme, qui a condamné les transferts
et les détentions secrètes pratiqués par la CIA. En l’affaire
El-Masri c. «L’ex-République yougoslave de
Macédoine», la Cour a conclu à la violation des articles
3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants),
5 (droit à la liberté et à la sûreté), 8 (droit au respect de la
vie privée et familiale) et 13 (droit à un recours effectif). Le
requérant, un citoyen allemand d’origine libanaise, s’est plaint
d’avoir été arrêté et torturé à Skopje parce qu’il était soupçonné
d’appartenir à une organisation terroriste, et d’avoir été livré
à la CIA qui l’a ensuite placé dans un centre de détention secret
en Afghanistan. La Cour a estimé que la Macédoine était responsable
des tortures et des mauvais traitements qu’il a subis à la fois
dans le pays et après sa remise aux autorités américaines dans le
cadre d’une «remise» extrajudiciaire. Comme le fait observer le Président
de l’Assemblée parlementaire, cette décision a confirmé les conclusions des
rapports de l’Assemblée sur cette question élaborés par l’ancien
membre de l’Assemblée Dick Marty (Suisse, ADLE)
.
7.4. Lutte contre la
traite des êtres humains
126. La Macédoine a ratifié la Convention du Conseil de
l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE n°
197)
le 27 mai 2009. La Macédoine reste
un pays d’origine, de destination et de transit pour la traite des
êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle et de travail forcé.
Le rapport du 1er cycle d’évaluation est
en cours d’élaboration au sein du Groupe d’experts sur la lutte
contre la traite des êtres humains (GRETA), et devrait prochainement
être examiné par son Comité des Parties.
127. En attendant la publication du premier rapport d’évaluation,
je constate que, d’après la Commission européenne
, de légers progrès ont été accomplis dans
la lutte contre la traite des êtres humains. Le Centre pour les
victimes de la traite des êtres humains a accueilli neuf victimes
en 2011 et deux autres victimes, des citoyens étrangers, ont été
placées au Centre d’accueil des étrangers de Skopje. En 2011, 35
personnes ont été poursuivies suite à des accusations de traite,
contre 25 en 2010, et 12 personnes ont été condamnées et placées
en détention en 2011 (elles étaient 11 en 2010)
. Le pays
doit encore mettre en place une approche globale, pluridisciplinaire
et orientée sur les victimes de la traite, et l’identification proactive
des victimes de la traite doit être améliorée.
7.5. L’institution du
Médiateur
128. Dans son dernier rapport de suivi, la Commission
européenne a noté que les recommandations du bureau du Médiateur
continuent d’être respectées par les instances de l’Etat dans la
majorité des cas (78 %). Les organismes les moins coopératifs en
la matière continuent d’être les commissions de deuxième instance du
gouvernement, suivies par le ministère des Finances, le ministère
de l’Intérieur et les collectivités territoriales
. Ce point a été confirmé par le Congrès
des pouvoirs locaux et régionaux, qui a regretté que les consultations
avec le bureau du Médiateur dans la procédure législative ne soient
pas encore régulières et qu’elles aient été très limitées depuis
les dernières élections, tandis que les collectivités locales continuent
de figurer parmi celles qui respectent le moins les instructions
et recommandations du Médiateur
.
La plupart des violations concernaient les droits des consommateurs,
les droits de propriété, les droits des travailleurs et les prisons.
7.6. Lutte contre les
discriminations
129. La loi de 2010 sur la prévention de la discrimination
et la protection contre celle-ci (loi contre la discrimination)
a été promulguée en 2012. Une commission de protection contre la
discrimination a été créée.
130. La loi ne mentionne toutefois pas l’orientation sexuelle,
qui constitue un motif de discrimination et de stigmatisation dans
le pays, et risque donc de ne pas permettre la protection des droits
des lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels (LGBT). La commission
de protection contre la discrimination a examiné des plaintes de
la communauté LGBT et a obtenu du ministère de l’Education une révision
des manuels scolaires et le retrait des parties de ceux-ci qui véhiculent
des clichés et des préjugés à l’encontre des LGBT
.
131. Quelques jours avant ma visite d’octobre 2012, un jeune militant
a été agressé à Skopje, deux individus ont violemment assailli dans
la rue le Président de l’ONG des droits de l’homme ‘LGBT United
Macedonia’, Alen Shakiri, et le nouveau centre pour LGBT a été attaqué
.
L’ONG a déploré des articles incendiaires relayés par les médias,
qui associent l’homosexualité à l’inceste, à la pédophilie et à
la polygamie, et a été tellement choquée par les propos de Spiro
Ristovski, le ministre des Affaires sociales
, qu’elle a décidé de porter plainte
pour harcèlement et discrimination. Le ministre a fait parvenir
un démenti aux médias.
7.7. Situation des réfugiés
et des personnes déplacées
132. D’après le HCR, la Macédoine accueille près de 1 600
réfugiés, pour la plupart d’origine rom, qui ont quitté leur domicile
suite au conflit de 1999 au Kosovo. L’action du HCR consiste prioritairement
à mettre en œuvre des solutions durables pour les réfugiés kosovars,
au travers de retours volontaires et de l’intégration locale, conformément
à la stratégie du gouvernement. 257 personnes ont opté pour le retour
volontaire au Kosovo et en Serbie en 2011 et le nombre de personnes
déplacées (PDI) a diminué de 611 en 2010 à 474 en 2011
et 296 en
février 2013
.
La pénurie de logements est une contrainte majeure et des projets
sont actuellement en cours d’élaboration pour améliorer les possibilités
dans ce domaine.
133. Les problèmes des personnes disparues et de l’hébergement
durable des 90 personnes qui sont encore logées dans 6 centres collectifs
ont été abordés par le Commissaire aux droits de l’homme lors de
sa dernière mission dans le pays
.
134. J’ai été informé que la plupart des demandeurs d’asile originaires
d’Afghanistan, du Pakistan, d’Afrique et du Proche et du Moyen-Orient
(environ 400 personnes en 2010, chiffre que l’on s’attend à voir
augmenter) quittaient le pays quelques semaines après leur arrivée.
La ministre de l’Intérieur s’est inquiétée de la hausse de ce nombre
(de 180 en 2010 à 740 en 2011) et de cette pression considérable
qui pourrait nuire au régime de protection des demandeurs d’asile
qui tentent généralement d’atteindre les pays d’Europe occidentale.
135. La Macédoine a adopté des amendements à la loi sur l’asile
et la protection temporaire en 2012 (afin de se conformer aux directives
de l’Union européenne
) et les autorités ont préparé une «Stratégie
pour l’intégration des réfugiés», ainsi qu’un Plan d’action national
pour mettre en œuvre la Stratégie durant la période 2008-2015, notamment
dans les domaines du logement, de l’éducation, de la santé, de l’emploi
et de la protection sociale. En février 2013, on dénombrait 16 réfugiés
reconnus et 587 personnes sous protection subsidiaire, dont la majorité
demandait la protection internationale suite au conflit de 1999
au Kosovo. Ces réfugiés appartenaient principalement aux communautés
ethniques rom, ashkali et égyptienne. Un programme annuel d’intégration
des réfugiés a été lancé depuis 2011 par le ministre du Travail
et de la Politique sociale afin d’encourager les réfugiés à prendre
une part active dans leur intégration locale. En octobre 2012, une
carte de santé a été attribuée à 342 réfugiés (couvrant 588 réfugiés),
leur permettant ainsi d’accéder au système national d’assurance
maladie
.
136. Je salue les amendements apportés à la loi sur l’aide juridictionnelle
gratuite et à celle sur l’assurance maladie, qui couvre désormais
les demandeurs d’asile, ainsi que l’adoption d’un programme d’intégration
pour 2012, qui prévoit le financement par l’Etat de l’aide au logement
des personnes auxquelles l’asile est accordé
. J’ai toutefois constaté que plusieurs
questions relatives à la procédure de demande d’asile restent ouvertes,
comme les décisions sur l’asile rendues en première instance et
la décision pour définir le statut de réfugié, malgré une amélioration
ainsi que la délivrance de documents d’identité aux demandeurs d’asile.
137. Le représentant du HCR que j’ai rencontré en mai 2012 a confirmé
que les pratiques nationales en matière d’asile mériteraient d’être
améliorées, tant au niveau de la procédure de détermination du statut
de réfugié que de l’accès aux droits économiques et sociaux, qu’il
conviendrait de mettre en conformité avec les normes internationales
et les exigences liées à l’adhésion à l’Union européenne. Ces mesures
devraient permettre de garantir que le processus s’inscrit dans
un cadre juridique clair, évitant ainsi toute surexposition à la
vulnérabilité et aux risques. La prévention de l’apatridie, y compris
l’adhésion à la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie,
reste l’une des principales activités du HCR dans ce pays, où près
de 1 200 personnes sont confrontées à ce risque
.
7.8. La situation des
Roms
138. En ce qui concerne les droits des Roms, le Ministre,
M. Mustafa (ancien maire de Suto Orizari, la seule commune rom en
Europe), a indiqué que, selon les informations disponibles, le pays
compte 54 000 Roms, dont 40 000 vivent à Suto Orizari. Il a expliqué
les mesures adoptées par les autorités macédoniennes en soulignant
qu’il était nécessaire d’améliorer les conditions de vie des Roms
et l’accès de leurs enfants à l’éducation. Cependant, les Roms continuent
de faire face à des conditions de vie et à une discrimination très difficiles
à supporter. La Macédoine préside depuis juillet 2011 la Décennie
de l’intégration des Roms. Le ministre a reconnu qu’aucune mesure
particulière n’avait été prise en faveur des Roms déplacés (1 500
sont enregistrés en tant que réfugiés).
139. Au cours de mes missions en Macédoine, j’ai été informé des
initiatives visant à protéger les droits des Roms. Diverses mesures
ont été prises pour soutenir les Roms, dont l’adoption d’une stratégie
2012-2014 d’intégration sociale des Roms, et le lancement d’un programme
de médiateur des Roms pour la santé dans 16 communes. Des demandes
de légalisation des maisons illégales ont été déposées auprès des
communes, et de nouveaux centres d’information pour les Roms ont
été ouverts. Les autorités macédoniennes, en coopération avec le
HCR, ont engagé en octobre 2011 une initiative visant à identifier
et enregistrer les personnes non encore inscrites au registre des
naissances. Elle en est à ce jour à la phase finale. 459 enfants roms
ont été inclus dans un projet sur «l’intégration des enfants roms
dans le préscolaire», en coopération avec le Fonds pour l’éducation
des Roms et 18 collectivités locales
.
140. Cependant, il y a une discrimination apparente à l’encontre
des Roms dans les domaines de l’emploi, du logement, de la santé,
etc. D’après un rapport publié conjointement par l’Agence des droits
fondamentaux de l’Union européenne et par le PNUD, à peine 15 %
des jeunes adultes roms couverts par l’enquête avaient terminé l’enseignement
secondaire supérieur ou professionnel, contre plus de 70 % dans
la population majoritaire vivant à proximité; en moyenne, moins
de 30 % des Roms couverts par l’enquête occupaient un emploi rémunéré
.
141. A l’issue de sa mission en Macédoine, en novembre 2012, le Commissaire
aux droits de l’homme, M. Nils Muižnieks, a instamment prié les
autorités macédoniennes de promouvoir les droits de l’homme des Roms
et a fait observer qu’un nombre disproportionné d’enfants roms étaient
placés dans des écoles «spéciales» destinées aux enfants atteints
de déficiences intellectuelles et qui ne se justifient que pour
ceux qui souffrent de handicaps graves; les enfants roms devraient
être scolarisés dans les établissements normaux; il a aussi relevé
que l’apatridie et l’absence de documents d’identité affectent encore
de nombreux Roms, dont des enfants, et les empêche d’accéder aux
services essentiels
.
142. Concernant la question de la nationalité, j’ai été informé
en détail de la loi sur la nationalité amendée en 2004, des mesures
transitoires mises en place dans l’attente de solutions permanentes
aux problèmes des personnes qui, en fait et en droit
, se sont retrouvées sans nationalité
après la dissolution de l’ex-yougoslavie, des efforts déployés par
le ministère de l’Intérieur en coopération avec le HCR, le Conseil
de l’Europe, l’OSCE et des ONG durant la période de transition (2004–2006)
pour informer le public de la loi amendée sur la nationalité. Grâce
à cela, à la date de février 2013, 2 600 Roms ayant déposé une demande
ont pu obtenir la nationalité macédonienne
.
143. Je tiens à féliciter les autorités macédoniennes pour les
actions entreprises en faveur de l’enregistrement, l’intégration
et l’accès croissant des Roms aux droits sociaux. J’encourage par
ailleurs vivement la Macédoine à poursuivre ces efforts et à contribuer
par des politiques inclusives aux initiatives du Conseil de l’Europe
pour lutter contre la discrimination envers les Roms, y compris
envers les enfants roms
.
7.9. La question des
faux demandeurs d’asile
144. Au cours des derniers mois, j’ai été alerté par des
ONG sur la situation de faux demandeurs d’asile, pour la plupart
des Roms cherchant asile dans les pays de l’Union européenne. Certaines
allégations laissent entrevoir le recours à des pratiques et des
propositions qui ne seraient pas conformes aux instruments juridiques
internationaux et du Conseil de l’Europe – par exemple la confiscation
de leurs passeports afin de dissuader ces personnes d’abuser du
régime de libéralisation des visas. Bien que je n’aie pas pu recueillir
de preuves de tels agissements, la ministre de l’Intérieur, Mme
Jankuloska, m’a confirmé que le Code pénal avait été amendé et que
l’abus du régime de libéralisation des visas était désormais considéré
comme une infraction pénale. Elle a confirmé que des mesures ont
été prises pour enrayer cette tendance qui menace le régime de libéralisation
des visas, dont un contrôle des documents pour vérifier le motif
des voyages et l’intention de retourner dans le pays d’origine,
tandis que la Macédoine s’efforce d’améliorer les conditions de
vie des intéressés.
145. La prévention des faux demandeurs d’asile en Macédoine a été
abordée par les autorités macédoniennes et la Commission européenne
dans le cadre de la mise en œuvre du régime de libéralisation des
visas. Cependant, j’insiste sur le fait que cette question doit
également être traitée dans le respect des droits de l’homme. Je
me réfère ici à la déclaration de l’ancien Commissaire aux droits
de l’homme, Thomas Hammarberg, qui rappelait que «le droit de chaque
individu de quitter son pays est un droit fondamental établi», et
soulignait que «nombre de personnes qui ont quitté leur pays et
demandé l’asile dans l’Union européenne l’ont fait de leur propre
initiative et en raison d’une situation réelle d’insécurité physique
et/ou économique. Elles ont voulu fuir des injustices et/ou la pauvreté
et une misère abjecte», concluant que «demander l’asile est un droit
de l’homme et que les personnes habilitées à recevoir un statut
de protection doivent se le voir accorder, tandis que les autres
doivent accepter une décision négative».
146. Le Commissaire Muižnieks s’est également inquiété des allégations
de profilage ethnique pratiqué par les autorités, qui empêcherait
de nombreux Roms de quitter le pays dans le cadre du régime de voyage
sans visa mis en place il y a trois ans. «De telles mesures peuvent
s’avérer contraires à certaines normes internationales telles que
la liberté de quitter son pays et le droit de demander l’asile,
et engendrer un niveau supplémentaire de discriminations à l’encontre
de la minorité rom»
.
147. Les mesures prises comprennent les contrôles aux frontières,
le marquage des passeports des personnes dont la demande d’asile
a été rejetée, ainsi que des sanctions pénales à l’encontre des organisateurs
des voyages de «faux demandeurs d’asile», après la réforme du Code
pénal et l’adoption d’amendements à la loi n° 135 sur les documents
de voyage en octobre 2011
. Les médias ont évoqué 6 500 Macédoniens
retenus à la frontière serbe entre avril 2011 et octobre 2012
. Une fois de
plus, je prie instamment les autorités macédoniennes de veiller
au respect des normes internationales dans leurs mesures préventives
et répressives, qui ne doivent jamais priver les personnes de leur
droit de quitter le pays.
148. Le nombre de demandes d’asile que les citoyens du pays ont
déposées dans des pays de l’Union européenne a diminué, passant
de 7550 en 2010 à 5545 en 2011. Depuis l’entrée en vigueur de la
loi n° 135 susmentionnée et jusqu’au mois de février 2013, 1 370
personnes au total ont fait l’objet de retours forcés et d’une interdiction
de se rendre à l’étranger selon les chiffres officiels
.
149. Cependant, les politiques à long terme destinées à favoriser
l’intégration économique et sociale des groupes les plus vulnérables
de la population, qui sont les principaux candidats à l’émigration,
sont trop rares et pâtissent d’un manque de financements. Une formation
continue sur la détection des documents falsifiés a été organisée
à l’intention des personnels des missions diplomatiques et consulaires
.
8. Conclusions
150. Mon impression globale, à ce stade, est que le pays
s’est engagé à progresser sur la voie du respect de tous les engagements
et obligations en suspens et de l’adoption du cadre juridique nécessaire.
Cependant, le manque d’implication du Président et du Premier ministre
dans la préparation de ce rapport soulève des questions quant à
la force de cet engagement. J’ai également remarqué que le pays
restait profondément divisé tant au niveau politique qu’ethnique
et que l’application des lois était encore problématique.
151. Les clivages et la politisation de la société font peser une
lourde responsabilité sur le parti au pouvoir, le VMRO-DPMNE, qui
doit veiller à la mise en place d’un dialogue intégrateur entre
tous les segments de la société et des partis politiques. La série
d’actions entreprises à l’encontre des médias, des partis de l’opposition
et des ONG est un motif de forte préoccupation pour l’opposition
et les représentants de la société civile, qui perçoivent ces faits
comme des actions sélectives et un signe de radicalisation. De telles
mesures ne contribueront pas à l’amélioration de la cohésion sociale
d’un pays qui reste fortement divisé et qui a encore besoin de surmonter
les conséquences des événements de 2001 et de rechercher des moyens
pour encourager un sentiment de «vie commune» en tenant compte de
la sensibilité des différentes communautés
, notamment les plus petites.
A cet égard, il est essentiel de réaliser un recensement correctement
préparé et reposant sur une méthodologie incontestée, étant donné
que les résultats de ce recensement auront un effet direct sur toutes
les communautés.
152. La dépolitisation de la vie publique sera un défi difficile
à relever, qui doit être pris au sérieux par les autorités avec
le soutien de tous les partis politiques afin d’améliorer la transparence
et l’efficacité des institutions publiques et de dynamiser le développement
socio-économique du pays. Dans cette perspective, un soutien sans
réserves doit être accordé au développement et à la mise en œuvre
des recrutements fondés sur le mérite, qui peuvent offrir de véritables
perspectives à la jeunesse macédonienne alors qu’un tiers de la population
vit en-dessous du seuil de pauvreté.
153. Il ne faut pas sous-estimer les améliorations significatives
apportées par l’Accord-cadre d’Ohrid dans les relations interethniques.
L’Accord-cadre reste donc un élément essentiel pour la démocratie
et l’Etat de droit dans le pays, comme l’a fait remarquer la Commission
européenne
. Je pense que seule la mise
en œuvre de l’Accord-cadre de façon équitable, transparente et sans
exclure personne peut contribuer à garantir une coexistence pacifique
et la pleine participation à la vie publique des communautés non
majoritaires, y compris les plus petites, et à assurer leur accès
aux droits sociaux, notamment à l’emploi. Des efforts continus,
à travers le dialogue et des mesures de confiance, sont essentiels
pour atteindre cet objectif. Les récents incidents interethniques
témoignent de la fragilité persistante de la situation et de nouvelles
initiatives politiques seraient les bienvenues pour renforcer la
cohésion sociale.
154. Des statistiques fiables, une évaluation et une analyse comparative
de la mise en œuvre de l’Accord-cadre d’Ohrid sont essentiels pour
poursuivre les progrès. Je salue donc le Gouvernement macédonien
pour le bilan qu’il a établi afin de faire le point sur l’application
des politiques dérivées de l’Accord-cadre, qui devrait faire l’objet
d’un débat public et d’analyses et inspirer de nouvelles mesures.
155. Dans ce contexte de clivages, le problème de la liberté des
médias est déterminant. L’évolution actuelle est assez inquiétante
et les autorités devraient aborder sérieusement cette question en
associant les journalistes au renforcement de la transparence de
la propriété des médias, en garantissant la protection des journalistes,
en veillant à leur indépendance et en améliorant leurs conditions
de travail et leurs normes professionnelles. La dépénalisation de
la diffamation est un point positif pour renforcer la liberté des
médias.
156. J’espère que les résultats des élections de juin 2011, qui
ont abouti à une répartition plus équitable des sièges entre les
quatre principaux partis politiques (VMRO-DPMNE, SDSM, DUI et DPA)
continueront à donner une impulsion pour promouvoir une approche
constructive de l’élaboration des politiques, d’un travail législatif
en harmonie avec les normes internationales, et de la mise en œuvre
de la législation. Tous les partis politiques doivent partager leurs
responsabilités et le parlement doit jouer pleinement son rôle,
notamment celui de contrôle.
157. De ce point de vue, j’invite instamment les autorités macédoniennes
à agir avec fermeté contre les causes de la discrimination et de
la ségrégation et à renforcer les politiques d’intégration, parce
qu’elles favoriseront le développement du pays et renforceront la
cohésion sociale.
158. De nombreuses réformes sont encore en train d’être réalisées
et de nouvelles avancées devraient avoir lieu en ce qui concerne
l’administration publique et l’ordre judiciaire, la lutte contre
la corruption, la mise en œuvre de l’Etat de droit, la liberté d’expression,
la mise en œuvre de la Charte européenne de l’autonomie locale (STE
n° 122), la situation des personnes déplacées (PDI) et des demandeurs
d’asile, etc.
159. Le lancement du Dialogue d’adhésion de haut niveau avec la
Commission européenne en mars 2012 a permis de dynamiser la coopération
avec le Conseil de l’Europe et d’aider la Macédoine à accélérer la réalisation
de ses engagements et obligations restants, les questions d’intérêt
commun devant être traitées.
160. Dans ce domaine, je suggère vivement aux autorités macédoniennes
d’intensifier leur coopération avec le Conseil de l’Europe et de
pleinement tirer parti de leur appartenance à cette Organisation
pour améliorer l’Etat de droit, les droits de l’homme et la démocratie,
y compris la gouvernance parlementaire. Une telle coopération pourrait,
par la même occasion, préparer le terrain au respect des critères
énoncés aux chapitres 23 et 24 des négociations d’adhésion à l’Union
européenne (relatifs aux droits fondamentaux et à la justice). Je
suis persuadé qu’un partenariat renouvelé avec le Conseil de l’Europe,
en coordination avec l’Union européenne et l’OSCE, serait bénéfique
pour le processus global de réformes engagé par la Macédoine. J’encourage
donc vivement les autorités macédoniennes à tirer parti du savoir-faire
et des échanges de bonnes pratiques que le Conseil de l’Europe propose
dans un cadre multilatéral. Ceci m’amène à suggérer au Conseil de
l’Europe de soutenir les efforts des autorités macédoniennes pour
honorer le respect des obligations et engagements non encore satisfaits,
et d’envisager l’ouverture d’un Bureau du Conseil de l’Europe, conformément
à la Résolution CM/Res(2010)5 du Comité des Ministres sur le statut
des bureaux du Conseil de l’Europe, pour «promouvoir et soutenir
les politiques et activités des autorités nationales, ainsi que celles
des organes du Conseil de l’Europe, liées au statut de membre du
Conseil de l’Europe; apporter conseil et assurer le soutien et la
coordination d’ensemble sur place avec les autorités nationales
pour la planification, la négociation et la mise en œuvre en temps
voulu des activités de coopération ciblées du Conseil de l’Europe, y
compris les Programmes conjoints avec l’Union européenne et d’autres
donateurs; faciliter l’identification des besoins pour le renforcement
des capacités, en coopération avec les autorités nationales et coordonner
les activités dans le pays avec les autres organisations et institutions
internationales (Union européenne, OSCE, ONU) et d’autres partenaires
internationaux et locaux actifs dans le pays»
.
161. Dans l’attente, j’encourage les autorités macédoniennes à
travailler en étroite collaboration avec les mécanismes de suivi
du Conseil de l’Europe, et à tenir dûment compte des recommandations
formulées par le Commissaire aux droits de l’homme en 2013.
162. Je comprends certes la déception exprimée par les autorités
macédoniennes quand le Conseil européen n’est pas parvenu à un accord
sur l’ouverture des négociations d’adhésion, pourtant recommandée par
la Commission européenne, mais je suis persuadé que la poursuite
du processus de réformes ne peut que contribuer à la réalisation
de cet objectif. L’appui de la communauté internationale et des
pays voisins est essentiel pour faciliter le processus de démocratisation
de la Macédoine et pour ouvrir la voie à son intégration tant désirée
dans l’Union européenne et dans l’OTAN.