1. Procédure
1. La proposition de résolution
sur «Le sort des détenus gravement
malades dans les prisons turques», déposée par M. Nazmi Gür et d’autres
membres de l’Assemblée, a été renvoyée pour rapport à la commission des
questions juridiques et des droits de l’homme le 3 octobre 2014.
2. Lors de sa réunion du 30 octobre 2014, la commission m’a nommé
rapporteur sur ce sujet. Elle a ensuite procédé à un échange de
vues avec le président sortant du Comité européen pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
(CPT), M. Lətif Hüseynov, au cours de sa réunion à Paris le 18 mars
2015. A cette occasion, la commission a pu obtenir un certain nombre
d’informations d’ordre général sur le traitement et la possibilité
de libération des détenus gravement malades dans les Etats membres du
Conseil de l’Europe.
3. J’ai été autorisé à effectuer des visites d’étude au Monténégro,
en Roumanie et en Turquie lors de la réunion de la commission à
Strasbourg le 21 avril 2015. A cette occasion, la commission a décidé,
sur la base de la vue d’ensemble de la situation donnée par M. Hüseynov
et sur ma proposition, de modifier l’intitulé du rapport comme suit:
«Le sort des détenus gravement malades en Europe». La commission
a jugé opportun d’étendre le champ d’application du rapport de manière
à examiner la situation de l’ensemble des Etats membres du Conseil
de l’Europe. La commission a également décidé d’étendre le champ
d’application du rapport à la situation non seulement des détenus
qui purgent une peine à laquelle ils ont été condamnés après avoir
été jugés coupables d’une infraction par un tribunal, mais également
des autres «personnes détenues», comme celles qui sont placées en
détention provisoire, les immigrés placés en rétention ou tout autre
personne dont le placement en détention ne découle pas d’une condamnation
au pénal. Enfin et surtout, la commission m’a également autorisé
à envoyer un questionnaire par l’intermédiaire du Centre européen
de recherche et de documentation parlementaires (CERDP), pour demander
aux délégations nationales des informations sur leur droit et leur
pratique internes en matière de traitement ou de libération des
détenus gravement malades.
4. Le 20 mai 2015, à l’occasion de sa réunion à Erevan (Arménie),
la commission a examiné une note d’information.
2. Les questions en jeu
5. Les rapports émanant d’un certain
nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe ont signalé la négligence
et l’absence de traitement dont font l’objet les détenus gravement
malades, qu’ils souffrent d’une maladie physique ou mentale, voire
des deux à la fois. Bon nombre de prisons et d’autres lieux de privation
de liberté ne sont pas équipés pour prendre soin des détenus qui
souffrent de certaines pathologies ou leur prodiguer des soins de
fin de vie, ce qui risque d’entraîner une dégradation de leur état
de santé et peut, parfois, leur être fatal. Par ailleurs, certains
rapports indiquent que des mesures de contention (à l’aide de menottes
ou d’instruments similaires) sont appliquées à tort (parfois systématiquement)
aux détenus âgés, infirmes et mourants, y compris à des personnes
qui ont été transférés dans un hôpital pour y recevoir un traitement
.
Qui plus est, les détenus n’ont bien souvent pas la possibilité
de contester efficacement le traitement inadapté qui leur est réservé,
par exemple parce qu’ils n’ont pas droit à une aide juridictionnelle
à cette fin.
6. J’examinerai ces questions et un certain nombre de problèmes
connexes plus attentivement. Mais il existe une question plus essentielle
encore, sur laquelle repose mon mandat de rapporteur : est-il opportun
de maintenir en détention une personne gravement malade ou mourante?
Selon certaines allégations, les autorités nationales compétentes
refusent trop souvent d’accorder une libération pour des motifs
de compassion en tenant compte d’un âge avancé ou d’une maladie,
malgré la logique qui voudrait qu’un malade âgé en phase terminale,
physiquement affaibli, soit peu susceptible de représenter encore
une menace sur le plan de la sécurité s’il était libéré.
7. Je traiterai dans mon rapport de trois des quatre catégories
de détenus, y compris les détenus condamnés et les prévenus, que
le
CPT juge inaptes à la détention (continue)
, à savoir:
- les détenus qui souffrent d’une grave maladie qui exige
leur traitement hors de leur lieu de détention;
- les détenus malades en phase terminale (c’est-à-dire ceux
qui présentent un pronostic fatal à court terme);
- les détenus d’un âge avancé.
8. Je considère que la quatrième catégorie mentionnée par le
CPT, celle des détenus (sévèrement) handicapés, sort du cadre de
mon rapport. Il ne fait cependant aucun doute que la situation des
détenus handicapés mérite une enquête plus approfondie. Lors de
mes visites d’études, j’ai eu connaissance d’un certain nombre de
cas inquiétants de détenus qui étaient incapables de prendre soin
d’eux-mêmes en raison de leur handicap (essentiellement physique).
Un arrêt récemment rendu par la Cour européenne des droits de l’homme
(«la Cour») contre la France
corrobore mes inquiétudes
au sujet de la violation des droits des détenus handicapés. Au vu
de ces éléments, j’encourage l’Assemblée parlementaire (et peut-être
sa commission sur l'égalité et la non-discrimination) à consacrer
un rapport distinct à cette question.
9. Les questions associées aux détenus gravement malades méritent
une attention particulière, puisque la peine d’emprisonnement –
et donc la privation de la liberté physique d’une personne – est
conçue comme une peine proportionnée et appropriée infligée aux
personnes reconnues coupables d’une infraction pénale par un tribunal;
toute privation supplémentaire des droits de l’intéressé, notamment
de son droit aux soins médicaux, outrepasse le mandat de condamnation
à une peine donné à l’Etat. La situation peut être plus dérangeante
encore pour les personnes placées en détention provisoire qui n’ont
pas été reconnues coupables d’une infraction pénale et auxquelles
on refuse pourtant une attention médicale.
10. Mon rapport porte plus spécialement sur la pratique de trois
pays: la Roumanie, le Monténégro et la Turquie, que j’ai retenus
sur la base des rapports du CPT et d’autres sources disponibles,
parce que le traitement des détenus gravement malades pouvait y
rencontrer d’importants problèmes. Afin d’obtenir des informations
supplémentaires des Etats membres dans lesquels je n’ai pu me rendre,
je leur ai adressé un questionnaire par l’intermédiaire du CERDP
pour demander à chacun d’eux des informations sur leur législation
relative à la libération pour raisons de compassion des détenus
malades ou âgés. Ce questionnaire figure en Annexe 1 du présent
rapport. Sur les 47 Etats membres contactés, 29 ont répondu
et
un autre Etat a indiqué qu’il refusait de donner des informations
.
Je tiens à dire ma reconnaissance aux services de recherche parlementaire
pour leur coopération, qui m’a permis de brosser un tableau de la
situation des détenus gravement malades dans l’ensemble de l’Europe.
3. Normes
internationales pertinentes et travaux connexes du Conseil de l’Europe
– bref aperçu
3.1. Soins
médicaux prodigués aux détenus gravement malades
12. Le CPT a consacré une partie de son
3e rapport
général aux services de santé dans les prisons
.
En outre, les
Normes
du CPT (document CPT/Inf/E(2002)1 Rev. 2006) énoncent comme
principe fondamental que tous les détenus ont droit à un niveau
de soins médicaux équivalent à celui dont bénéficie tout autre membre
de la collectivité au sens large. Enfin, comme je l’ai indiqué plus
haut, après avoir précisé qu’il incombait aux Etats membres de dispenser
des soins médicaux aux personnes détenues sur leur territoire, le CPT
a par ailleurs clairement indiqué que certaines catégories de détenus
étaient inaptes à une détention (continue). Il a ainsi fait valoir
que:
«Des exemples typiques sont
ceux de détenus qui présentent un pronostic fatal à court terme,
ceux qui souffrent d'une affection grave dont le traitement ne peut
être conduit correctement dans les conditions de la détention ainsi
que ceux qui sont sévèrement handicapés ou d'un grand âge. La détention
continue de telles personnes en milieu pénitentiaire peut créer
une situation humainement intolérable. Dans des cas de ce genre,
il appartient au médecin pénitentiaire d'établir un rapport à l'intention
de l'autorité compétente, afin que les dispositions qui s'imposent
soient prises .»
13. La
Recommandation
N° R (98) 7 du Comité des Ministres présente une série de recommandations
sur les «aspects éthiques et organisationnels des soins de santé
en milieu pénitentiaire», notamment l’accès à un médecin à tout
moment et sans retard excessif et l’indépendance professionnelle
des médecins qui assurent le traitement des détenus.
14. De même, le manuel du Conseil de l’Europe sur les soins et
l’éthique médicale dans les prisons («
Prison health
care and medical ethics») souligne l’importance de l’indépendance professionnelle
du personnel de santé des établissements pénitentiaires, en faisant
remarquer qu’«il est essentiel que les décisions cliniques des médecins
des établissements pénitentiaires soient uniquement régies par des
critères médicaux et que la qualité et l’efficacité de leur action
soient évaluées par une autorité médicale qualifiée».
15. Il convient également de mentionner la
Recommandation 1418 (1999) sur la protection des droits de l'homme et de la dignité
des malades incurables et des mourants, qui rappelle, en citant
la
Résolution 613 (1976), que «les malades mourants tiennent avant tout à mourir
dans la paix et la dignité, si possible avec le réconfort et le
soutien de leur famille et de leurs amis».
16. La Cour européenne des droits de l’homme a également précisé
que les questions relatives aux droits sanitaires des personnes
placées en détention pouvaient relever de l’article 3 de la Convention
européenne des droits de l’homme (
STE
n° 5, «la Convention»), qui consacre l’interdiction de la
torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Les
situations graves, dans lesquelles un détenu décède par suite de soins
médicaux insuffisants peuvent également relever du droit à la vie
protégé par l’article 2. La Cour s’est prononcée à plusieurs reprises
sur les soins médicaux (ou la privation alléguée de soins médicaux)
dispensés aux détenus qui souffrent d’une pathologie. Les affaires
suivantes peuvent être mentionnées à titre d’exemple.
17. Depuis l’arrêt de Grande Chambre rendu dans l’affaire
Kudła
c. Pologne , la Cour a constamment réaffirmé
que le fait, pour un Etat, de ne pas dispenser les «soins médicaux
requis» à une personne détenue pouvait être constitutif d’une violation
de l’article 3 de la Convention. Elle a notamment fait remarquer
en l’espèce (au paragraphe 94) que:
«l'Etat
[doit] s'assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions
qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que
les modalités d'exécution de la mesure ne soumettent pas l'intéressé à
une détresse ou à une épreuve d'une intensité qui excède le niveau
inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard
aux exigences pratiques de l'emprisonnement, la santé et le bien-être
du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l'administration
des soins médicaux requis.»
18. Dans son appréciation de l’article 3, la Cour tient compte,
comme elle l’a précisé dans l’arrêt
Mouisel
c. France ,
d’éléments tels que l’état de santé médical du détenu, l’adéquation
de l’assistance médicale et des soins médicaux dispensés en détention
et le caractère recommandable du maintien de la mesure de détention au
vu de l’état de santé du requérant. Ce critère a été étoffé dans
l’affaire
Gelfmann c.
France ,
où la Cour a tenu compte, entre autres facteurs pertinents, de la
dynamique de l’état de santé du requérant, de la possibilité de
libération conditionnelle d’un détenu gravement malade dont la santé
se dégrade et de l’attitude du requérant.
19. La Cour a également conclu à la violation de l’article 3 dans
divers arrêts prononcés contre plusieurs Etats Parties, affaires
dans lesquelles les détenus s’étaient vus refuser l’accès à des
soins médicaux vitaux ou avaient reçu un traitement totalement inadapté.
Les affaires suivantes, dont la liste n’est de loin pas exhaustive, illustrent
ces situations:
- Testa
c. Croatie ,
en raison des soins médicaux inadaptés à l’hépatite C du détenu;
- Dirdizov
c. Russie ,
en raison de l’absence de «traitement médical complet, efficace
et transparent» dispensé en détention au requérant pour son arthrite
et sa maladie de Bechterew progressive, alors que les médecins avaient
averti que l’absence de soins médicaux adéquats mettait en danger
la vie du requérant et le rendrait handicapé;
- Romokhov
c. Russie ,
en raison du retard et des défauts du traitement médical dispensé
au requérant pendant sa détention, qui l’ont amené à perdre la vue;
- Khoudobine
c. Russie et Salakhov
et Islyamova c. Ukraine ,
en raison de l’absence de traitement médical adéquat dispensé par
les centres de détention respectifs à des détenus séropositifs;
- Grori
c. Albanie ,
en raison du refus du centre de détention de dispenser un traitement
adéquat à un détenu souffrant de sclérose en plaques;
- McGlinchey
et autres c. Royaume-Uni ,
en raison de l’absence de soins médicaux adéquats dispensés par
le centre de détention à une détenue qui présentait de graves symptômes
de sevrage, alors même que son état avait empiré.
20. La Cour a également conclu à la violation de l’article 2 (droit
à la vie) dans de graves affaires où un détenu est décédé en raison
du caractère inadapté ou inefficace de son traitement. Citons, notamment:
- Tararieva
c. Russie ,
en raison des soins médicaux inadaptés dispensés au détenu et de
son transfert prématuré d’un hôpital civil vers l’hôpital pénitentiaire
de l’établissement où il était placé en détention, qui ont contribué
à son décès;
- Salakhov
et Islyamova c. Ukraine ,
en raison des soins inadaptés et de leur retard injustifié, qui
ont causé la mort d’un détenu séropositif.
21. Compte tenu de l’urgence des questions relatives aux besoins
médicaux des détenus, la Cour a également ordonné à plusieurs reprises
des mesures provisoires au titre de l'article 39 du
Règlement
de la Cour. Dans l’affaire
Tymoshenko
c. Ukraine ,
la Cour a ordonné une mesure provisoire au titre de l’article 39 et
a demandé au gouvernement de veiller à ce que la requérante, l’ancien
Premier ministre ukrainien emprisonné, Ioulia Timochenko, reçoive
des soins médicaux adaptés à ses divers malaises. Dans l’affaire
Paladi
c. Moldova , elle a ordonné au gouvernement défendeur
de ne pas transférer le requérant, qui souffrait de troubles neurologiques,
de l’hôpital spécialisé où il était traité à l’hôpital pénitentiaire.
3.2. Détenus
bénéficiant d’un traitement hors de leur lieu de détention
22. La
Recommandation
Rec(2006)2 du Comité des Ministres sur les Règles pénitentiaires
européennes indique que lorsque l’état d’un détenu exige des soins
spécialisés qui ne sont pas disponibles à l’hôpital pénitentiaire,
il devrait être transféré dans un hôpital civil pour y recevoir
ces soins. De même, l’
Ensemble
de règles minima pour le traitement des détenus, des Nations Unies, précise que les détenus malades
qui exigent un traitement particulier devraient être transférés
dans un établissement extérieur et que les directeurs de prison
devraient prendre immédiatement des mesures pour tenir compte des
recommandations du personnel médical.
23. Les
Normes
du CPT indiquent que, «en cas de recours à un hôpital civil,
la question des mesures de sécurité se pose. A cet égard, le CPT
souhaite insister sur le fait que les détenus envoyés dans un hôpital
pour y recevoir un traitement ne doivent pas être attachés à leurs
lits ou à d'autres éléments du mobilier afin d'assurer la sécurité.
D'autres moyens de satisfaire aux exigences de sécurité peuvent
et doivent être mis en œuvre».
24. La jurisprudence de la Cour en est le reflet. Pour ne citer
que deux exemples, la Cour a conclu à la violation de l’article
3 de la Convention en raison du retard (répété) de l’admission d’un
détenu dans un hôpital spécialisé dans les affaires
Poghossian
c. Géorgie et
Andrey
Gorbunov c. Russie .
3.3. Application
de la contention aux détenus dans un environnement médical
25. Accessoirement, la Cour européenne
des droits de l’homme exige que l’utilisation des menottes dans un
environnement médical se justifie objectivement, afin qu’elle soit
conforme à l’éthique médicale et à la dignité de la personne. Elle
a conclu à une violation de l’article 3 dans un certain nombre d’affaires,
dont celles que j’énonce ci-dessous, dans lesquelles les autorités
nationales n’étaient pas parvenues à un juste équilibre entre les
préoccupations légitimes en matière de sécurité et les droits des
détenus:
- Mouisel
c. France (citée plus haut), en raison de la contention physique
appliquée aux poignets et aux chevilles du détenu pendant sa chimiothérapie;
et
- Tararieva
c. Russie ,
en raison de l’enchaînement du détenu à son lit d’hôpital, alors
même qu’il souffrait d’une grave pathologie gastrique dont il est
finalement décédé.
26. La Cour a également examiné l’utilisation de menottes pour
les détenus accompagnés vers ou depuis un hôpital et a conclu, par
exemple dans l’affaire précitée
Mouisel où le requérant était enchaîné pendant son transfert,
qu’au vu de l’état de santé et de la faiblesse physique du requérant,
l’usage des menottes était disproportionné par rapport aux besoins
de sécurité.
3.4. Libération
de détenus malades pour des motifs de compassion
27. La libération de détenus malades
pour des motifs de compassion englobe deux situations. La première concerne
les détenus qui demandent leur libération provisoire pour recevoir
des soins médicaux dans un établissement extérieur, lorsque ces
soins ne sont pas ou ne peuvent pas être dispensés par le centre
de détention; la seconde concerne les détenus qui souffrent d’une
maladie incurable et demandent à être libérés de façon permanente
pour pouvoir mourir chez eux.
28. Le Comité des Ministres, dans sa
Recommandation
n° R (82) 16 sur le congé pénitentiaire, recommande avant tout aux
Etats membres «d’accorder le congé pénitentiaire dans la plus large
mesure possible pour des raisons médicales (…) et d’autres raisons
sociales» et d’accorder ce congé «dès que possible et aussi fréquemment
que possible». Le Comité des Ministres indique par ailleurs qu’en
cas de refus les services pénitentiaires devraient donner dans la
plus large mesure possible les raisons de ce refus et prévoir un mécanisme
de réexamen de celui-ci.
29. Dans sa
Recommandation
Rec(2003)22 concernant la libération conditionnelle, le Comité des
Ministres appelle l’ensemble des Etats membres à mettre en œuvre
une législation interne qui autorise une forme de libération conditionnelle,
lorsque cette législation n’existe pas encore. Il pose également
pour principe que tout détenu qui satisfait aux critères minimaux
d’une libération devrait être libéré et qu’il appartient aux autorités compétentes
de démontrer pour quelles raisons un détenu ne devrait
pas être libéré
.
30. La
Recommandation
Rec(2003)22 comporte diverses recommandations relatives aux garanties procédurales.
Elle indique plus précisément que «les décisions relatives à l'octroi,
au report ou à la révocation de la libération conditionnelle, ainsi
qu'à l'imposition ou la modification des conditions et des mesures
qui lui sont associées, devraient être prises par des autorités
établies par disposition légale». Elle ajoute que les personnes
condamnées qui font une demande de libération conditionnelle ont
le droit d’être entendues et de présenter des éléments de preuve,
le droit d’accéder à leur dossier et le droit de se voir notifier
par écrit une décision motivée.
32. Les juridictions internationales ad hoc, comme le Tribunal
pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) et le tribunal
de Nuremberg, ont également adopté la pratique de la libération
pour des motifs de compassion. A l’occasion du procès de Nuremberg,
trois condamnés pour crimes de guerre ont bénéficié d’une libération
anticipée en raison de leur mauvais état de santé
. Pour ce qui est du TPIY, Biljana
Plavšić, condamnée pour génocide et autres crimes commis lorsqu’elle
était en fonction à la présidence collective de Bosnie-Herzégovine,
a bénéficié d’une libération anticipée en raison de son grand âge
et de la dégradation de sa santé
.
3.5. Prise
en charge des détenus âgés et possibilité de libération anticipée
33. L’enquête que j’ai menée pour
le présent rapport s’est étendue au-delà du sort des détenus gravement malades,
de manière à prendre également en compte les perspectives de libération
des personnes âgées en détention. Un
rapport de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS)
recense quelques-unes
des principales difficultés liées à l’incarcération des détenus
d’un âge avancé et observe que des détenus peuvent être considérés
comme gériatriques dès l’âge de 50 à 55 ans. Le rapport recommande
par ailleurs aux autorités pénitentiaires d’évaluer et d’adapter
les centres de détention aux besoins très particuliers des détenus
âgés, de revoir les listes de médications pour veiller à ce que
celles-ci soient adaptées aux détenus âgés et de développer les
ressources qui permettent d’offrir aux détenus âgés des programmes
de soins palliatifs ou des services d’établissement de soins palliatifs,
le cas échéant.
34. La
Recommandation
N° R (82) 16 du Comité des Ministres va plus loin, en encourageant
les Etats membres à accorder des congés pénitentiaires pour différents
motifs, et en précisant expressément qu’il peut s’agir de «raisons
médicales, éducatives, professionnelles, familiales
et d’autres raisons sociales» (le
libellé original ne comporte pas d’italique). J’estime que la condition
de détenus d’âge avancé peut et devrait être considérée comme l’une
de ces raisons sociales.
35. Il importe de constater que la Cour n’exclut pas la possibilité
que la détention prolongée d’une personne âgée puisse s’apparenter
à un traitement inhumain ou dégradant, constitutif d’une violation
de l’article 3 de la Convention. C’est ce qu’elle a indiqué dans
l’arrêt
Papon c. France ,
bien qu’elle ait estimé que le niveau minimum de gravité nécessaire
à l’engagement de l’article 3 n’était pas atteint en l’espèce
. La Cour a également mentionné
l’âge avancé d’un détenu à propos d’un grief tiré de l’article 3
dans l’affaire
Farbtuhs
c. Lettonie ,
dans laquelle elle a conclu à la violation en raison du grave handicap
du détenu et du fait qu’il était déjà âgé de 84 ans au moment de
sa condamnation, puisque les infractions dont il avait été reconnu
coupable avaient été commises près de 60 ans plus tôt.
36. Plus généralement, j’aimerais rappeler que, comme nous l’avons
indiqué plus haut, le
3e rapport
général du CPT précise que les détenus malades en phase terminale,
les détenus d’un âge avancé et les détenus malades qui doivent être
traités en dehors de leur lieu de détention sont inaptes à la détention
continue.
3.6. Traitement
des autres catégories de détenus
37. L’Assemblée a récemment adopté
la
Résolution 2077 (2015) et la
Recommandation
2081 (2015) sur l'abus de la détention provisoire dans les Etats
Parties à la Convention européenne des droits de l'homme, sur la
base d’un rapport (
Doc.
13863) établi par M. Pedro Agramunt (Espagne, PPE/DC). Ces
deux textes invitent instamment les Etats membres à éviter autant
que possible de recourir à la détention provisoire, en faisant remarquer
les multiples conséquences négatives de la détention provisoire
sur le détenu et la société tout entière. Il me paraît utile de
rappeler que l’interdiction de tout traitement inhumain ou dégradant
(article 3) vaut pour l’ensemble des détenus; les prévenus, qui
sont présumés innocents, ont de ce fait aussi le droit de bénéficier
d’un traitement médical adéquat, y compris dans un établissement
extérieur, si nécessaire.
38. De même, les migrants placés en rétention dans les Etats Parties
sont protégés par l’article 3. Les
Normes
du CPT indiquent que, «de la même manière que d'autres catégories
de personnes privées de liberté, les étrangers retenus devraient,
dès le début de leur privation de liberté, (…) avoir accès à un
avocat et à un médecin». Malgré ces normes, plusieurs cas de traitement
impropre de personnes immigrées placées en rétention ont été portés
à mon attention par la Fédération internationale de l'Action des
chrétiens pour l'abolition de la torture (FIACAT), notamment le
placement en centre de rétention à Luxembourg de migrants en situation
irrégulière qui avaient besoin d’un traitement psychologique spécialisé.
En Suède, un demandeur d’asile syrien serait mort d’un cancer après
cinq semaines de placement dans un centre de rétention pour migrants,
où elle se trouvait isolée et n’avait pas accès à des médicaments
autres que des antidouleur
.
4. Législation,
pratique et problèmes récurrents des Etats membres du Conseil de
l’Europe
4.1. Obstacles
à l’accès des détenus gravement malades à des soins médicaux (extérieurs)
39. J’ai constaté, à propos des
soins médicaux dispensés aux détenus gravement malades, que divers Etats
membres étaient confrontés à des problèmes d’indépendance du personnel
médical, de disponibilité de moyens de transport des détenus vers
des hôpitaux extérieurs et de contention appliquée aux détenus qui bénéficient
de soins médicaux extérieurs, ce qui serait contraire aux normes
européennes précitées.
4.1.1. Absence
d’indépendance du personnel médical
40. Les normes européennes imposent
que le personnel médical des centres de détention soit professionnellement
indépendant pour pouvoir établir un diagnostic médical et administrer
des soins en se préoccupant avant tout de la santé des détenus.
J’ai cependant constaté, dans bien des cas, que les professionnels
de santé des centres de détention restaient trop dépendants de l’administration
pénitentiaire. D’après les réponses données à mon questionnaire,
en Autriche, l’évaluation des détenus malades en phase terminale
est pratiquée par deux médecins indépendants, ainsi que sous la
forme d’un examen «de contrôle» effectué par le chef du service
médical; cela me paraît une pratique satisfaisante. En revanche,
en Bosnie-Herzégovine, seuls les services médicaux de chaque établissement
pénal décident de la nécessité d’administrer des soins médicaux
à l’extérieur de l’établissement.
41. Les professionnels de santé indépendants jouissent d’une plus
grande confiance auprès des patients et d’une plus grande liberté
de diagnostic sur la seule base de l’état de santé du détenu, ce
qui n’est pas le cas lorsqu’ils doivent tenir compte des ressources
et des préférences du centre de détention. Les Etats membres devraient
s’employer à renforcer l’indépendance des professionnels de santé
qui travaillent dans les centres de détention. Certains rapports
constatent que l’un des moyens de renforcer l’indépendance du personnel soignant
des centres de détention consiste à transférer la compétence de
la santé pénitentiaire de l’administration pénitentiaire au ministère
de la Santé, une option choisie par certains pays (dont la France,
le Luxembourg, la Norvège, le Royaume-Uni et la Turquie)
. Bien qu’il ne s’agisse pas du
seul moyen de parvenir à l’indépendance professionnelle, j’encourage
les Etats membres à envisager en plus grand nombre de procéder à
ce transfert de compétences.
4.1.2. L’accès
tardif aux soins médicaux
42. Je partage par ailleurs les
préoccupations dont a fait part le Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe dans un certain nombre de rapports établis
à la suite de sa visite dans divers Etats membres – notamment, sans
que cette liste soit exhaustive, en
Azerbaïdjan (2010),
Belgique (2008) et
France (2008) – qui mettent en avant le problème posé par l’annulation
ou le retard des rendez-vous médicaux extérieurs en raison, soit
d’un manque de possibilités de transport depuis le centre de détention
vers l’établissement hospitalier, soit d’une politique trop restrictive
d’autorisation de ces traitements appliquée par l’administration
pénitentiaire
.
J’ai également soulevé cette question au cours de mes missions d’information et
je ne peux que souligner qu’il importe de transférer sans tarder
les détenus malades auprès de médecins ou d’établissements médicaux
extérieurs. La procédure de demande et d’organisation de ces transferts
devrait être souple et éviter les excès de bureaucratie, tout en
garantissant une approche non discriminatoire et en prévenant les
décisions arbitraires de retard ou de refus de transfert.
4.1.3. Application
de la contention aux détenus dans un environnement médical
43. J’ai constaté dans divers Etats
membres un autre problème persistant: l’application constante et
inutile ou disproportionnée de la contention aux détenus, même lorsqu’il
est totalement impossible au vu des circonstances qu’ils s’évadent
ou blessent autrui. Il arrive même que dans les Etats membres qui
procèdent à une évaluation des risques pour déterminer le niveau
adéquat de contention, le personnel pénitentiaire se contente parfois
d’effectuer une seule évaluation des risques avant le transfert
initial du détenu, au lieu de réévaluer constamment la situation
à mesure que l’état du détenu évolue.
45. Il importe cependant de noter que le Royaume-Uni n’est pas
le seul pays auquel peut être reproché un recours excessif à la
contention à l’égard de ces détenus, comme le démontrent les arrêts
mentionnés plus haut (au paragraphe 25), rendus par la Cour européenne
des droits de l’homme à l’encontre de la France et de la Russie.
Dans le même esprit, en France, le Contrôleur général des lieux
de privation de liberté a critiqué le fait que les détenus soient
souvent menottés, non seulement pendant leur transfert à l’hôpital,
mais également pendant les consultations médicales et parfois même
pendant des interventions chirurgicales
.
La FIACAT a indiqué qu’au Luxembourg les détenus étaient régulièrement
menottés à leur lit, même lorsqu’ils étaient placés en chambre d’hôpital
sécurisée prévue à cet effet
. Je soupçonne et je crains
que les Etats membres soient plus nombreux encore à pratiquer une
application excessive de la contention à leurs détenus lorsque ceux-ci
bénéficient d’une assistance médicale.
4.1.4. Refus
délibéré de soins médicaux
46. Le fait que l’administration
ou les autres autorités compétentes empêchent délibérément l’administration des
soins médicaux nécessaires représente l’un des problèmes les plus
criants. Tout récemment, en septembre 2015, Vladimir Kondrulin a
succombé à un cancer de la prostate dans un hôpital antituberculeux placé
sous l’autorité du Service pénal fédéral de la région de Chelyabinsk
en Russie. Il réunissait les conditions légales d’une libération
pour des motifs de compassion, mais sa demande avait été rejetée
et M. Kondrulin n’a pas été transféré dans un hôpital spécialisé
.
De même, un récent
rapport du CPT (document CPT/Inf(2015)27) établi à la suite
de la visite d’une délégation dans la partie caribéenne du Royaume
des Pays-Bas, a fait remarquer que, «[e]n 2013, une détenue de 36
ans est décédée d’une cardiomyopathie après avoir attendu plusieurs
heures la visite d’un médecin» (paragraphe 171).
47. Ces situations sont d’autant plus inquiétantes lorsqu’une
assistance médicale est refusée à des prisonniers politiques présumés.
Au nombre des exemples spécifiques en la matière figurent la détention
en Azerbaïdjan de Leyla et Arif Yunus, dont l’état de santé est
préoccupant et auxquels un traitement a été systématiquement refusé
,
ainsi que le cas de Ioulia Timochenko
,
qui s’est vue refuser l’accès à des soins médicaux vitaux jusqu’à
ce que la Cour européenne des droits de l’homme intervienne au titre
de l’article 39.
48. Le cas de ce type le plus connu, pour ne pas dire le plus
notoire, est sans doute celui de Sergueï Magnitski, dont la mort
en détention provisoire à la suite du refus des autorités de lui
administrer un traitement indispensable à sa pancréatite a suscité
un tollé international et conduit à l’adoption de la
Résolution 1966 (2014) et de la
Recommandation
2031 (2014), «Refuser l'impunité pour les meurtriers de Sergueï
Magnitski», sur la base d’un rapport (
Doc. 13356 et
addendum) que j’avais établi pour le compte de l’Assemblée. Malgré un
diagnostic très clair de son état de santé, qui exigeait une intervention
chirurgicale, M. Magnitski a été transféré dans une prison qui ne
disposait pas des installations nécessaires. Cette affaire est actuellement pendante
devant la Cour européenne des droits de l’homme
.
49. Enfin, l’affaire
Aleksanyan
c. Russie concerne
le traitement réservé à l’ancien vice-président de la société pétrolière
Ioukos et avocat de MM. Mikhaïl Khodorkovski et Platon Lebedev,
Vasily Aleksanyan. Malgré une sérieuse détérioration de son état
de santé, M. Aleksanyan, qui souffrait du sida et avait développé une
tuberculose et un cancer du foie accompagné de métastases dans les
ganglions lymphatiques, n’a pas été transféré vers une clinique
spécialisée pour y recevoir un traitement antirétroviral et y effectuer
une chimiothérapie. Au contraire, sa détention provisoire a même
été prolongée, au mépris évident de deux mesures provisoires indiquées
par la Cour de Strasbourg, qui ordonnait aux autorités «d’assurer immédiatement,
par des moyens appropriés, le traitement hospitalier du requérant
dans un hôpital spécialisé dans le traitement du sida et des maladies
associées» (paragraphe 76 de l’arrêt). M. Aleksanyan a uniquement été
libéré sous caution (pour un montant équivalent à 2 millions d’euros)
après que la Cour avait conclu à la violation de l’article 3 en
raison de l’absence de l’assistance médicale requise pendant sa
détention provisoire et estimé qu’il devait être mis fin à sa détention
provisoire; il est décédé environ deux ans et demi plus tard.
50. Inutile de dire que ces affaires (politiques) ne représentent
que le sommet de l’iceberg. Plus généralement, je dois admettre
que j’ai été frappé de constater que les recommandations et les
conseils très clairs qui émanent des nombreux documents précités
adoptés par le Comité des Ministres, l’Assemblée parlementaire et
le CPT, qui cherchent à établir un minimum de normes pour le traitement
des détenus, semblent être bien souvent ignorés. Plus grave encore,
lorsqu’un détenu parvient à demander réparation devant une juridiction
nationale ou devant la Cour européenne des droits de l’homme, il
a souvent subi un préjudice qui ne peut être supprimé. L’Assemblée
doit par conséquent appeler l’ensemble des Etats membres à prodiguer
les traitements médicaux nécessaires à tous les détenus.
4.1.5. Surmonter
les obstacles recensés aux soins médicaux
51. A la lumière de ce qui précède,
il me paraît de la plus haute importance de rappeler la
Recommandation Rec(2000)22 du Comité des Ministres concernant l’amélioration de
la mise en œuvre des règles européennes sur les sanctions et mesures
appliquées dans la communauté, ainsi que la
Résolution 1938 (2013) et la
Recommandation
2018 (2013) de l’Assemblée sur la promotion d’alternatives à l’emprisonnement
par l’utilisation
des sanctions appliquées dans la communauté et d’autres mesures
alternatives au lieu d’un recours à la détention, chaque fois que
cela s’avère possible. Le fait de placer moins de personnes en détention n’allège
pas seulement la charge de travail excessive du personnel pénitentiaire,
mais atténue également le risque d’une violation des droits des
détenus malades. En outre, l’adoption d’une approche plus clémente
à l’égard de la libération pour des motifs de compassion contribuera
également à diminuer la surpopulation carcérale, ce qui favorisera
par voie de conséquence des conditions de détention propices à la
bonne santé des détenus. Avant d’examiner le type de traitement
médical dont a besoin un détenu, les pouvoirs publics devraient
par conséquent se demander pour commencer s’il convient réellement
de placer l’intéressé en détention.
52. La jurisprudence de la Cour indique clairement que les détenus
gravement malades doivent recevoir des soins médicaux adéquats et
ne pas subir une contention supérieure à ce qui s’avère nécessaire.
Le droit interne devrait permettre l’accès à l’assistance médicale
d’un hôpital extérieur chaque fois qu’un professionnel de santé
indépendant décide que cet accès est conforme à l’intérêt supérieur
de la santé du détenu. Il convient également que le droit interne
garantisse, en étant appliqué en ce sens, que la norme devrait être
l’absence complète de contention, sauf si elle est exigée par une
évaluation au cas par cas des risques. Le droit interne devrait
rendre obligatoire la réévaluation constante de l’état de santé
d’un détenu, afin de déterminer si, et à quel moment, la contention
n’est plus indispensable.
53. Enfin, les pouvoirs publics ne doivent en aucun cas refuser
délibérément un traitement médical à un détenu. Ces violations volontaires
et patentes de l’article 3 sont totalement inacceptables.
4.2. Prise
en charge et conditions générales de détention des détenus âgés
54. La population carcérale européenne
vieillit. A titre d’exemple, j’aimerais faire remarquer que dans
mon propre pays, en Suisse, le nombre de détenus âgés de plus de
59 ans a augmenté de 11 % entre 1990 et 2012; le nombre de détenus
de plus de 70 ans a augmenté de 425 % au cours des 20 dernières
années
. Cette tendance
au vieillissement s’accompagne d’un certain nombre de difficultés;
elle conduit notamment à se demander comment traiter les détenus
qui souffrent de certaines pathologies liées à l’âge. Je citerai
une nouvelle fois l’exemple de la Suisse, où le détenu le plus âgé
du pays, qui avait 90 ans à l’époque, s’était vu refuser sa demande
d’interruption de peine alors qu’il était atteint d’un cancer en
phase terminale et d’une démence prononcée
.
Lorsqu’il est question de démence à un stade avancé, je considère
le maintien en détention comme un choix totalement injustifié, car
l’intéressé ne comprendrait très probablement plus le but poursuivi
par la peine qui lui est infligée.
55. Plus généralement, de nombreux Etats membres du Conseil de
l’Europe sont dépourvus de centres de détention équipés pour pouvoir
faire face aux besoins très particuliers d’une population carcérale
vieillissante. Dans certains pays, les établissements pénitentiaires
occupent des bâtiments anciens, sans ascenseur, dont les couloirs
et les cages d’escalier sont étroits
. Il s’avère que les
Etats où la population carcérale est faible, et où la population
carcérale gériatrique est plus faible encore, sont peu incités à
procéder à des changements significatifs
.
Mais ces détenus doivent bénéficier des mêmes droits et des soins
médicaux appropriés que leur garantissaient les normes du CPT et
l’article 3 de la Convention. Les détenus âgés souffrent inutilement de
conditions de détention qui ne sont pas convenablement adaptées
à leurs besoins. Il importe par conséquent que les Etats membres
modernisent leurs centres de détention pour pouvoir accueillir cette population
(par exemple en élargissant les couloirs, en permettant l’accès
des chaises roulantes et en rendant les pharmacies et les infirmeries
accessibles).
56. Sur une note positive, certains Etats membres ont commencé
à réfléchir aux moyens d’améliorer la qualité de vie des détenus
âgés
. Au Portugal, les
peines de privation de liberté, lorsqu’elles sont appliquées à des
personnes de plus de 65 ans, «doivent respecter leurs besoins particuliers,
leur état de santé et leur autonomie, en garantissant l’aide dont
elles ont besoin pour leurs activités quotidiennes et en leur offrant
un logement, des conditions de détention, une sécurité, des activités
et des programmes spécialement adaptés à leur situation». D’autres
Etats prévoient des dispositions similaires. En Autriche, les détenus
d’âge avancé sont «accueillis, soit en régime semi-ouvert, soit
dans un service médical spécial du système carcéral», en fonction
de leurs besoins en soins infirmiers. La République de Moldova autorise
les hommes condamnés qui ont atteint l’âge de 65 ans et les femmes
condamnées de 60 ans et plus à demander leur placement dans des foyers
d’accueil pour personnes handicapées ou personnes âgées; mais elle
n’a donné aucune précision sur les normes en vigueur dans ces foyers.
57. Les programmes de soins de fin de vie et de soins palliatifs
sont fréquemment utilisés pour les détenus de certains Etats membres.
L’existence et l’application adéquate de ces programmes sont cruciales
pour la protection de la dignité élémentaire des détenus vieillissants.
Au Royaume-Uni, le médiateur des Etablissements pénitentiaires et
Services de probation d’Angleterre et du pays de Galles a publié
un
rapport qui examine l’inadéquation et les défaillances des programmes
de soins de fin de vie appliqués aux détenus décédés ces dernières
années. Ce rapport présente des cas concrets positifs et négatifs
d’application de soins palliatifs à des détenus mourants et souligne
combien il importe qu’un programme de soins palliatifs soit efficace,
à défaut d’une libération (préférable) des détenus âgés pour des
motifs de compassion. Les programmes de soins de fin de vie et de
soins palliatifs permettent aux intéressés de bénéficier de soins
de fin de vie de grande qualité. Il convient d’encourager l’établissement
d’une étroite coopération avec les centres spécialisés dans les
soins palliatifs et les établissements de soins palliatifs.
4.3. Normes
et procédures de libération pour des motifs de compassion
58. Plusieurs Etats membres prévoient
certaines formes de libération des détenus pour des motifs de compassion.
Mais le droit interne varie d’un pays à l’autre: la décision est
parfois prise par le ministre de la Justice ou le ministre équivalent
au sein du gouvernement lorsqu’un diagnostic de maladie grave ou
en phase terminale a été établi pour le détenu et que celui-ci présente
une demande de libération (comme c’est le cas en Irlande et au Royaume-Uni,
par exemple). Dans d’autres Etats membres, comme en France, la décision
est prise par une commission classique de libération conditionnelle
ou une juridiction ordinaire. Le cas de la Turquie, que j’examinerai
plus attentivement par la suite, est préoccupant, car il présente
un risque de partialité politique et de manque d’indépendance vis-à-vis
de l’exécutif. La décision de suspension d’une peine pour des motifs
de maladie ou de handicap y est prise par les services du procureur.
59. Les procédures et les critères d’acceptation d’une demande
de libération provisoire ou permanente pour des motifs de compassion
peuvent varier. L’immense majorité des Etats autorisent les demandes
déposées par le détenu et par l’autorité pénitentiaire. La République
slovaque, en revanche, ne semble autoriser que le dépôt d’une demande
par le directeur de l’établissement de détention, ce qui soulève
la question de l’indépendance de la libération pour des motifs de
compassion et de l’accès de l’intéressé à celle-ci.
60. La plupart des systèmes s’appliquent de la même manière aux
prévenus et aux détenus purgeant une peine. La République tchèque
et la Finlande, par exemple, ont indiqué dans les réponses qu’elles
ont données au questionnaire qu’il existait une possibilité de reporter
l’emprisonnement sur la base d’une expertise médicale. En République
slovaque, en revanche, la libération pour des motifs de compassion
est impossible pour un prévenu. Cette situation est préoccupante
au vu du
rapport précité de M. Agramunt sur l’abus de la détention provisoire
dans les Etats membres. La libération pour des motifs de compassion
ne devrait pas être refusée aux personnes en attente de jugement.
4.3.1. Libération
provisoire ou permanente d’un établissement pénitentiaire (ou d’une
maison d’arrêt)
61. Les motifs de libération pour
raisons de compassion varient d’un Etat à l’autre. Certains prévoient
une liste exhaustive de maladies, tandis que d’autres procèdent
à une appréciation plus large. Le ministère de la Santé, du Travail
et des Affaires sociales de Géorgie, par exemple, a adopté une liste
de maladies graves et incurables qui motivent une libération. La
Grèce énumère elle aussi les maladies graves requises pour une libération.
Israël, dont le parlement a le statut d’observateur auprès de l’Assemblée
parlementaire, exige que le séjour en prison mette en danger de
manière substantielle la vie du détenu, que son état médical impose
la prise de mesures de respiration artificielle, qu’il soit plongé
dans un coma permanent ou une démence avancée qui impose une surveillance
24 heures sur 24, qu’il soit atteint d’un cancer ou qu’il doive
faire l’objet d’une transplantation d’un organe vital.
62. Je juge préférable d’adopter des approches plus personnalisées.
La Pologne autorise une libération provisoire pour les besoins d’un
traitement si la maladie menace l’existence du détenu ou si son
maintien en détention conduit à une détérioration de sa santé; cette
évaluation est faite au cas par cas. La Finlande, en revanche, apprécie
le caractère particulièrement difficile de l’administration du traitement
en prison, en accordant davantage d’importance à la capacité de
l’établissement à faire face à la situation du détenu qu’à la situation
personnelle du détenu.
63. La Cour constitutionnelle espagnole a limité la libération
probatoire pour des motifs de compassion «aux maladies graves et
incurables, dont l’évolution souffrirait d’un maintien en détention,
qui entraînerait une dégradation de l’état de santé du patient et
écourterait ainsi sa vie, même s’il n’existe pas de risque imminent de
décès». Bien que le Code allemand de procédure pénale limite la
libération pour motifs de compassion aux situations dans lesquelles
l’emprisonnement représenterait une menace pour l’existence du détenu,
la Haute Cour régionale de Hambourg a conclu en 2006 que le respect
de la dignité humaine exigeait la libération d’un détenu malade
incurable qui ne représentait qu’un danger très limité pour la société,
même si l’emprisonnement ne présentait pas en soi un risque pour
la vie du détenu et que son traitement était possible au sein de
l’hôpital de l’établissement pénitentiaire.
64. Aux Pays-Bas, les demandes d’amnistie sont appréciées selon
qu’il est devenu évident ou non que le placement ou le maintien
en détention ne permet raisonnablement plus d’atteindre le but poursuivi.
De même, la France autorise la libération du détenu lorsque sa maladie
incurable est incompatible avec son maintien en détention. Ce système
est probablement le plus progressif de tous les Etats membres, puisqu’il
reconnaît le caractère inutile de l’incarcération d’une personne
gravement malade, indépendamment du fait que cette incarcération
soit ou non préjudiciable à sa santé. Je souscris totalement à ce
point de vue.
65. Il y a lieu de se féliciter de cette reconnaissance de la
dignité du détenu, même lorsque son maintien en détention n’entraîne
pas son décès imminent. Le fait d’apprécier les effets du maintien
d’une incarcération sur la personne du détenu au lieu de s’en tenir
à une «liste exhaustive» de maladies suffisamment graves est plus conforme
à ses droits fondamentaux.
66. Compte tenu de ces éléments, je constate avec inquiétude qu’en
Croatie la libération pour des motifs de compassion se limite à
une libération provisoire de 12 mois, à l’issue de laquelle le détenu
doit continuer à purger sa peine, ce qui est totalement contraire
aux droits de la personne. En outre, au Monténégro, la libération
pour des motifs de compassion est uniquement accordée aux détenus
de plus de 50 ans qui souffrent de maladie grave. Je trouve préoccupant
que cette libération pour des motifs de compassion soit impossible pour
les détenus plus jeunes.
67. L’évaluation de la menace que représente le détenu pour la
sécurité publique est liée à ces questions. La Lituanie tient compte
de la «gravité de l’infraction pénale commise, de la personnalité
du condamné, de la nature de sa maladie [et] de [sa] conduite».
En Israël, lorsqu’une libération conditionnelle est examinée pour raisons
de santé, on tient compte de «la situation familiale du détenu et
de la situation de la victime et de sa famille». Le Portugal autorise
un large éventail de motifs de libération pour des raisons de compassion,
«sauf lorsque la prévention ou la paix sociale et l’ordre public
l’exigent fortement».
68. Je ne conteste pas le fait que les questions de sécurité publique
doivent toujours être prises en compte, mais les Etats membres devraient
systématiquement garantir le respect de la dignité humaine du détenu, notamment
lorsqu’il s’agit d’un malade en phase terminale ou dont le décès
est prévu à court terme. Le risque d’abus est indéniable, surtout
pour les prisonniers politiques, dès lors que la libération pour
des motifs de compassion peut être refusée pour des motifs – souvent
vagues – d’ordre public. J’ajoute qu’il existe des mesures de substitution
au maintien en détention moins restrictives, qui permettent de prévenir
la récidive, comme l’obligation de pointage (téléphonique), voire
de surveillance électronique.
69. Un nombre limité d’Etats prévoient un système de grâce
.
Malheureusement, ces Etats membres n’ont fourni aucune information
sur le nombre de grâces accordées pour ces motifs. Il serait utile
que les Etats conservent des statistiques en la matière et les rendent
publiques. Bien que la législation chypriote autorise uniquement
la libération pour des motifs de compassion par grâce présidentielle,
le pays admet en pratique qu’une demande de suspension ou de commutation
de la peine puisse être légalement déposée auprès du Procureur général
et que l’issue de cette demande soit susceptible de recours. Je
suis davantage préoccupé par le fait qu’en Hongrie la grâce présidentielle
représente le seul moyen d’obtenir une libération anticipée; il n’existe
aucun mécanisme légal codifié de libération pour des motifs de compassion.
Comme la grâce n’est pas motivée, il est impossible d’apprécier
s’il existe des cas de libération pour des motifs de compassion.
Je suis d’avis que la libération pour des motifs de compassion des
détenus gravement malades ne doit pas être laissée à l’appréciation
discrétionnaire du pouvoir politique.
70. Plusieurs pays ont communiqué les chiffres aussi bien des
demandes de libération anticipée que des demandes acceptées ou rejetées:
- en 2012, 296 demandes de suspension
de peine ont été déposées en France. 253 d’entre elles ont été acceptés,
contre 33 rejetées .
Aucun chiffre n’a été communiqué à propos du nombre de détenus libérés
de façon permanente pour des motifs de compassion;
- en 2013, 14 demandes de libération pour des motifs de
compassion ont été déposées en Lituanie, dont quatre ont été accordées.
En 2014, 17 demandes ont été déposées, dont neuf acceptées;
- la République slovaque établit des statistiques détaillées,
une bonne pratique que j’invite les autres pays à suivre. En 2014,
63 demandes de fin d’exécution d’une peine d’emprisonnement ou de
remise de peine ont été déposées. Six d’entre elles concernaient
un pronostic fatal à court terme et ont toutes été acceptées. 34
demandes portaient sur une maladie grave qui exigeait un traitement
à l’extérieur du lieu de détention; 32 % d’entre elles ont été approuvées.
19 autres détenus ont été libérés pour cause de maladie en phase
terminale. Quatre détenus sont décédés pendant l’examen de leur
demande. La durée moyenne de la prise de décision est de six jours;
- l’Estonie a elle aussi fourni des statistiques sur une
période de cinq ans. Cinq détenus gravement malades, sur une population
carcérale d’environ 3 200 personnes, ont été libérés chaque année.
Ce nombre a augmenté, puisqu’il est passé de seulement deux libérations
en 2010 à quatre libérations pour le seul premier semestre de 2015.
Chaque année, à l’exception de 2011, toutes les demandes ont été acceptées.
Bon nombre des détenus libérés avaient encore une part importante
de leur peine à purger; l’éventail de leur âge allait de 26 à 70
ans. Au cours de cette même période, deux détenus ont reçu un traitement
à l’extérieur de leur lieu de détention.
71. Il n’existe aucune donnée statistique sur le nombre de détenus
morts en prison après le rejet de leur demande de libération. Il
est cependant clair que les Etats se heurtent parfois à des difficultés
pour procéder à la libération de personnes jugées inaptes à être
maintenues en détention, par exemple lorsque des détenus entament
une grève de la faim au point de développer des complications, dont
le syndrome de Wernicke-Korsakoff
. Pourtant, les autorités décisionnelles ne
tiennent pas toujours compte de l’avis du médecin lorsque celui-ci
établit qu’une personne est inapte à être maintenue en détention
et il arrive que des détenus gravement malades restent parfois en
détention pendant des mois après l’établissement de leur inaptitude médicale
à un maintien en détention
.
72. A ce propos, la Géorgie a indiqué que la durée de la prise
de décision était de 14 jours, délai que l’Etat a jugé trop long
et qu’il a décidé à présent de revoir. Chypre a qualifié la durée
moyenne de sa prise de décision de «la plus rapide possible» et
a affirmé qu’aucun détenu susceptible de bénéficier d’une libération
pour des motifs de compassion n’était décédé pendant l’examen de
sa demande. En République slovaque, de nombreuses décisions ont
pris à peine un ou deux jours, tandis qu’il a fallu 15 jours dans
deux autres cas.
73. Par ailleurs, de nombreux processus de libération exigent
une forme d’expertise médicale établie par un ou plusieurs médecins,
bien que les médecins ou les hôpitaux qui établissent cette expertise
ne soient pas systématiquement indépendants. Ainsi, en Turquie,
l’Institut de médecine légale (
Adli Tıp Kurumu Başkanlığı) formule des recommandations médicales sur les détenus
qui souffrent de maladies qui leur permettent de demander une libération
pour des motifs de compassion. Or, l’Institut de médecine légale,
qui est un organisme souffrant de lenteurs bureaucratiques, est
en plus étroitement lié au ministère de la Justice et n’est donc
pas une autorité médicale indépendante, comme le recommandent les
normes internationales et le Conseil de l’Europe.
74. Certains Etats membres ne prévoient pas de possibilité de
contrôle juridictionnel d’une décision de refus d’une libération,
ce qui est une autre source de préoccupation. La Roumanie et la
Croatie autorisent toutes deux le dépôt d’un recours dans un délai
de trois jours à compter de la décision initiale
et
l’Albanie prévoit la possibilité de déposer un recours dans un délai
de cinq jours; mais aucun contrôle juridictionnel n’est prévu en Espagne,
par exemple. En Lituanie, les recours s’effectuent selon la procédure
des juridictions ordinaires; mais la Cour européenne des droits
de l’homme a également constaté plus de 20 violations de l’article
6 dans ce pays en raison de la durée excessive de la procédure.
Il importe donc que les Etats veillent à ce que les demandes de
libération pour des motifs de compassion et les recours y afférents
soient entendus aussi rapidement que possible.
75. Je crains que l’absence de tout recours puisse pousser l’autorité
compétente à prendre une décision erronée par excès de prudence,
en rejetant la demande, sachant que la décision de libération d’un
détenu sera définitive et contraignante. La possibilité de soumettre
à un contrôle juridictionnel la décision de ne pas libérer un détenu
malade ou âgé est donc capitale et devrait être prévue par tous
les Etats membres.
4.3.2. Libération
des détenus âgés
76. Pour ce qui est des détenus
âgés, aucun Etat membre du Conseil de l’Europe ne prévoit à l’heure actuelle
de limite d’âge supérieure de détention. Aucun Etat membre ne possède
non plus de législation particulière qui permette la libération
anticipée d’un détenu au seul motif de son âge avancé, même si l’âge
fait partie des critères pris en compte dans les demandes de libération
pour des motifs de compassion
, comme le confirment
les réponses au questionnaire:
- la
Roumanie autorise la libération conditionnelle des condamnés de
plus de 60 ans qui purgent leur peine en régime ouvert ou semi-ouvert,
lorsque le juge est convaincu de la possibilité de réinsertion de l’intéressé;
- l’Espagne autorise la probation des détenus de plus de
70 ans;
- la Géorgie, qui autorise la libération des hommes de plus
de 70 ans et des femmes de plus de 65 ans qui ont purgé la moitié
de leur peine, a libéré 43 détenus en raison de leur âge avancé
entre le 28 décembre 2012 et le 6 juillet 2015 ;
- un homme de 74 ans a été libéré à Chypre en raison de
son âge avancé;
- les détenus de plus de 70 ans peuvent être libérés en
Grèce, sous réserve qu’ils aient purgé les deux cinquièmes de leur
peine et sous certaines conditions. En outre, chaque jour passé
en prison par un détenu de plus de 65 ans est comptabilisé comme
deux jours de sa peine, une approche raisonnable qui mérite d’être
imitée.
77. Le nombre de détenus âgés continue néanmoins à augmenter,
en partie parce que les condamnations sont prononcées pour des infractions
commises des dizaines d’années auparavant. Ainsi, la récente condamnation
d’un ancien gardien SS âgé de 94 ans à quatre ans d’emprisonnement
semble avoir encouragé les procureurs à continuer à engager des
poursuites sans tenir compte de l’âge que peuvent avoir les prévenus
. Bien que cet
homme de 94 ans puisse ne pas purger sa peine selon la décision
que prendront prochainement les médecins et le procureur, le juge
qui l’a condamné a reconnu qu’il ne survivrait probablement pas
à la durée de sa peine
.
4.3.3. Evaluation
et recommandations
78. Seuls 12 Etats ont communiqué
une forme de données statistiques sur le traitement réservé aux détenus
gravement malades
,
l’unique pays à avoir pu fournir l’ensemble des informations demandées
étant la République slovaque. La première mesure capitale à prendre
consisterait donc à exiger des Etats membres qu’ils conservent ces
statistiques de manière réglementée et uniforme. Pour pouvoir évaluer
la politique appliquée dans ce domaine, le nombre de demandes acceptées
et rejetées, le nombre de décès survenus au cours de la demande,
ainsi que la comparaison de ces chiffres sur plusieurs années et
entre les Etats membres sont indispensables.
79. Cette recommandation se double de la nécessité d’une plus
grande clarté terminologique à l’occasion de l’examen des cas de
détenus gravement malades. Il apparaît clairement au vu de la grande
diversité des réponses que l’Europe manque à l’heure actuelle d’une
évaluation et d’un traitement uniformes de ses détenus gravement
malades. De nombreuses informations ont été fournies sur des systèmes
élargis de libération conditionnelle; elles sont parfois pertinentes,
mais ne prennent souvent pas en compte la position très particulière
des détenus gravement malades. Ces derniers se heurtent à des difficultés
spécifiques en matière de droits de l’homme, qui exigent un traitement
distinct des considérations classiques de la libération conditionnelle.
Les politiques des Etats membres doivent préciser clairement si
elles autorisent une libération permanente ou uniquement un traitement
permanent dans un établissement de santé à l’intérieur ou à l’extérieur
du système carcéral. Les Etats utilisent bien souvent de manière
interchangeable les formules «interruption», «suspension», «libération
provisoire» et «extinction de la peine». En tout état de cause,
il est toutefois capital que ce traitement et cette libération ne
fassent pas l’objet de limitations arbitraires.
80. Les droits de l’homme doivent s’appliquer de manière égale
à l’ensemble des personnes détenues dans le cadre de la détention
provisoire, de la rétention des migrants et demandeurs d’asile et
des autres formes de détention hors du système carcéral classique.
Les Etats membres doivent non seulement veiller à ce que leur système
de permission pour des motifs de compassion prenne en compte l’ensemble
des détenus qui relèvent de leur compétence, mais également assurer
une collecte satisfaisante des données sur ces détenus pour pouvoir
procéder à une évaluation convenable de leur traitement.
81. Quoique le manque de statistiques permet difficilement d’établir
des conclusions générales, je constate que de nombreuses législations
et pratiques relatives à la libération provisoire ou permanente
sont trop restrictives et le délai d’attente pour la réponse à une
demande de libération est bien trop long.
82. Les processus de libération pour des motifs de compassion
qui exigent la présentation de témoignages ou de rapports établis
par des médecins doivent veiller à ce que ces médecins soient indépendants
du système carcéral. Ils ne sauraient en aucun cas être agents de
l’administration ou employés d’un établissement public. Seuls des
médecins indépendants ou employés par des structures privées devraient
être autorisés à formuler des recommandations sur l’état de santé
d’un détenu dans la perspective de son éventuelle libération pour
des motifs de compassion.
83. Chaque fois que l’état de santé d’un détenu est jugé incompatible
avec son maintien en détention, il devrait immédiatement obtenir
une libération provisoire et être autorisé à recevoir un traitement
médical dans un établissement extérieur. La libération pour des
motifs de compassion devrait toujours être possible pour les détenus
malades en phase terminale. L’âge avancé d’un détenu devrait continuer
à faire partie des critères pris en compte pour décider de l’issue
d’une demande de libération pour des motifs de compassion.
84. Enfin, il est également indispensable de préciser la procédure
de recours dans les Etats membres. Les recours déposés par des détenus
malades en phase terminale doivent être examinés en priorité et
recevoir toute l’attention qu’ils méritent. Il est inadmissible
que des détenus décèdent en attendant le résultat de leurs demandes.
Les demandes de libération pour des motifs de compassion devraient
toujours être traitées par un tribunal et les décisions d’octroi
ou de refus de cette libération ne devraient en aucun cas être prises
par un seul agent public. Toutes les décisions devraient être soumises
à un contrôle juridictionnel.
5. Résumés
des visites d’information
85. Je me suis rendu, avec l’autorisation
de la commission, dans trois pays – le Monténégro, la Roumanie et
la Turquie – afin d’y examiner plus en détail la situation des détenus
gravement malades et âgés. Comme je l’ai indiqué plus haut, le choix
des pays a été déterminé en partie au préalable par le sujet de
la
proposition de
résolution à l’origine de mon mandat de rapporteur (dans le cas
de la Turquie) et en partie sur la base des informations contenues
dans les rapports du CPT qui font allusion à la prévalence de certains
problèmes ou lacunes liés aux questions en jeu (dans le cas du Monténégro
et de la Roumanie). J’aimerais rappeler cependant que ces problèmes
ne se rencontrent pas exclusivement dans ces pays, comme le montrent
les réponses au questionnaire. J’aimerais également profiter de
cette occasion pour remercier chacune des trois délégations nationales
et leurs secrétariats respectifs de leur excellente coopération
dans la planification et la réalisation de mes missions d’information,
ainsi que de leur hospitalité.
5.1. Roumanie
86. Le 25 mai 2015, j'ai effectué
une visite d’information en Roumanie, où j'ai rencontré le directeur
de l'Administration pénitentiaire nationale et des représentants
du ministère de la Justice, du Bureau du médiateur et d’organisations
non gouvernementales (ONG). Je me suis également entretenu avec
des membres de la Commission d’enquête sur les abus, la corruption
et les pétitions ainsi que de la Commission des droits de l'homme,
des cultes et des minorités nationales de la Chambre des députés
du Parlement roumain.
87. Le droit des personnes privées de liberté à une assistance
médicale, à un traitement et à des soins de santé est régi par l'article 71
de la loi no 254/2013 relative à l'exécution
des peines et des mesures de privation de liberté ordonnées par
les instances judiciaires durant la procédure pénale, dont l’objectif
était d’harmoniser la législation avec les normes des
Règles
pénitentiaires européennes et de l’
Ensemble
de règles minima pour le traitement des détenus des Nations Unies. Les détails sont précisés dans l'ordonnance
commune no 429/2012 du ministère de la
Santé et du ministère de la Justice relative à l'octroi d'une assistance
médicale aux personnes privées de liberté et placées sous la responsabilité
de l'Administration pénitentiaire nationale.
88. En dépit de ce cadre, les représentants de la société civile
comme les députés que j'ai rencontrés à Bucarest ont fait état de
disparités locales et régionales et de dysfonctionnements fréquents
dans la mise en œuvre du droit à des soins de santé. La pénurie
de personnel médical persiste dans les établissements pénitentiaires
et le manque de structures pour un traitement psychologique adapté
est particulièrement inquiétant : il n'existe apparemment que trois
unités psychiatriques en Roumanie et la coopération entre les prisons
et les hôpitaux civils doit être encore renforcée.
89. L'insuffisance des soins de santé mentaux semble constituer
un problème plus large, comme en attestent les types de plaintes
déposées auprès du médiateur. Dans son arrêt de 2008 concernant
l'affaire
Petrea
c. Roumanie ,
la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que l’absence de
traitement médical pour les problèmes psychiques dont était atteint
le requérant, combinée à des conditions de détention inadéquates,
emportait violation de l'article 3 de la Convention. Quant au CPT,
il continue de dénoncer les mauvaises conditions de détention matérielles,
et en particulier la surpopulation
.
D'après ce que j'ai pu constater pendant ma visite, il me semble
qu'il existe une volonté politique d'améliorer les conditions de détention,
notamment les soins de santé, mais cette question doit devenir prioritaire,
conformément aux recommandations du CPT.
90. Les organisations de la société civile soulignent que les
directeurs de prison sont réticents à autoriser le transfert de
détenus vers les hôpitaux civils, mieux équipés pour fournir un
traitement spécialisé. Ces déclarations semblent confirmées par
les statistiques, qui montrent que 97% de l’ensemble des admissions
de détenus à l'hôpital en 2014 (95% en 2013) ont concerné des hôpitaux
pénitentiaires. Il paraît peu plausible que les besoins de traitement
hors du système pénitentiaire n’aient pas été plus importants, d’autant
que l'un de mes interlocuteurs officiels a expliqué que les médecins
des prisons étaient surchargés et que «parfois il est impossible
de fournir les services médicaux dont les détenus ont réellement
besoin».
91. Les représentants d'ONG avec lesquels je me suis entretenu
à Bucarest ont également noté que les professionnels de la santé
rechignaient à travailler dans des hôpitaux pénitentiaires. Qui
plus est, lorsqu'un détenu demande à être examiné par un médecin
particulier qui n'exerce pas dans le système pénitentiaire, il doit
payer des frais. Les autorités roumaines devraient inciter le personnel
médical dûment formé à travailler dans des hôpitaux pénitentiaires,
notamment en améliorant les conditions de travail (par exemple la
durée du travail et les équipements) et les prestations liées à
l'emploi (comme un salaire suffisant et la garantie d’emploi à long
terme).
92. Un autre problème inquiétant concerne la qualité et la quantité
de nourriture fournie aux personnes privées de liberté en Roumanie.
J'ai été choqué d'apprendre que la dépense quotidienne moyenne en alimentation
par détenu et par jour est inférieure à un euro. Un budget quotidien
aussi faible est totalement insuffisant, comme l'ont admis des responsables
à Bucarest – surtout pour les personnes qui doivent suivre un régime
particulier en raison d’une maladie
. Les autorités doivent allouer sans
délai des ressources suffisantes afin de garantir une alimentation
saine. A moyen terme, comme je l'ai souligné à Bucarest, il semblerait
souhaitable que la Roumanie instaure un système dans lequel les
détenus puissent cultiver leurs propres aliments. Cela permettrait
non seulement aux services pénitentiaires de réaliser des économies considérables,
mais aurait également pour effet de promouvoir la resocialisation.
93. En 2009, la Cour européenne des droits de l'homme a conclu
à la violation de l'article 2 (droit à la vie) de la Convention
dans une affaire où les autorités roumaines auraient dû protéger
la vie de M. Traian Gagiu en lui administrant le traitement médical
dont il avait besoin. Alors que M. Gagiu souffrait de plusieurs
graves maladies, il avait été placé en cellule jusqu'à la veille
de sa mort, au lieu de recevoir le traitement prescrit par des chirurgiens
et des spécialistes
.
94. En 2014, 122 décès en prison ont été enregistrés (pour une
population moyenne de 31 847
détenus à cette période), dont 87 %
étaient dus à des causes médicales – essentiellement des maladies
cardio-vasculaires, des néoplasies (cancers), des maladies digestives
et des maladies respiratoires. Les responsables que j'ai rencontrés
à Bucarest ont convenu que personne ne devrait mourir en prison.
95. Cette situation souligne l'importance de permettre la libération
(temporaire ou définitive) de détenus. Outre la Constitution, qui
prévoit à l'article 100(1) la possibilité d'une grâce présidentielle
(basée sur un décret signé à la fois par le chef de l'Etat et par
le chef du gouvernement), le droit roumain (articles 590-594 du
Code de procédure pénale) autorise l'interruption d'une peine d'emprisonnement
lorsque le condamné ne peut être traité au sein du réseau de soins
de l'Administration pénitentiaire nationale. Dans ce cas, le tribunal
compétent ne doit pas considérer que le détenu représente une menace
pour la société. Dans le cadre de l’examen de la demande d'interruption,
le tribunal tient compte de la gravité de l'infraction commise.
96. Il est positif que l'Administration pénitentiaire nationale
ait pu fournir des statistiques sur les libérations motivées par
une interruption de peine, mais malheureusement aucune information
n'a été transmise au sujet des taux de satisfaction et de rejet
des demandes. Malgré tout, on peut tirer certaines conclusions.
Fait intéressant, les statistiques montrent que, si le nombre d'examens
médico-légaux pratiqués sur des détenus est passé de 256 en 2010
à 357 en 2014, celui des propositions émanant des commissions médico-légales
et visant
à autoriser une interruption de peine a diminué continuellement
et sensiblement sur la même période, passant de 59 à trois seulement.
Bien que ces statistiques portent exclusivement sur des maladies
en phase terminale (comme le cancer) et «des maladies très graves»
(comme l’insuffisance rénale chronique d'une personne en dialyse
ou des maladies qui nécessitent une opération à cœur ouvert) et
que d'autres catégories de personnes soient autorisées à déposer
une demande de suspension de leur peine, cette tendance est inquiétante
et ne peut s’expliquer (uniquement) par une amélioration des possibilités
de traitement au sein du système pénitentiaire roumain. Elle se
reflète d’ailleurs dans les statistiques concernant les demandes satisfaites.
Entre février 2009 et le 31 avril 2015, 727 libérations motivées
par une interruption de peine ont eu lieu, suivant une tendance
à la baisse; 51 personnes sont mortes pendant la période d'interruption
de leur peine et 21 ont été libérées ou graciées. De plus, la plupart
de ces libérations étaient dues à une grossesse ou à la prise en
charge d'un enfant. Au premier trimestre 2015, seules quatre personnes
ont obtenu une interruption de peine pour raisons médicales.
97. En conclusion, je dois reconnaître que les représentants du
gouvernement et les parlementaires que j'ai rencontrés à Bucarest
affichent de bonnes intentions de respecter pleinement la dignité
et les droits des détenus. Mais il faut redoubler d’efforts pour
combler les lacunes et offrir des soins opportuns et de qualité
dans les prisons du pays – notamment en luttant contre la surpopulation,
en augmentant les effectifs médicaux dans les prisons, en renforçant
encore la coopération entre les prisons et les hôpitaux publics
et en veillant à ce que les détenus atteints d'une maladie mentale
soit transférés dans des hôpitaux spécialisés. Parallèlement, il faudrait
manifester davantage de clémence dans les décisions relatives aux
interruptions de peine pour raisons médicales.
5.2. Monténégro
98. Le 26 mai 2015, j’ai entrepris
une visite d’information au Monténégro. J’ai effectué un certain
nombre de visites officielles à l’occasion desquelles j’ai rencontré
les personnes suivantes: le directeur de l’Institut de l’exécution
des peines, le directeur général de la Direction de l’exécution
des peines du ministère de la Justice et le médiateur. Je me suis
également entretenu avec les représentants de diverses ONG et avec
la délégation monténégrine auprès de l’Assemblée parlementaire.
99. La population carcérale globale d’environ 1 500 personnes
compte, d’après les chiffres communiqués par l’Institut de l’exécution
des peines, de 80 à 90 détenus condamnés considérés comme «gravement malades».
Environ 70 détenus sont recensés pour leurs troubles psychologiques.
Au moment de ma visite, deux prévenus recevaient un traitement à
l’hôpital, ce qui représentait une charge pour les autorités, car
elles devaient assurer l’application de mesures de sécurité adéquates.
Les tribunaux devraient systématiquement tenir dûment compte de
la santé d’une personne lorsqu’ils se prononcent sur son placement
ou non en détention. En cas de maladie, il convient de faire le
plus large usage possible des mesures de substitution à la détention
provisoire. J’encourage également le Monténégro à poursuivre ses
importantes initiatives de renforcement du service de probation
et d’augmentation du recours aux sanctions alternatives pour les infractions
mineures
.
100. J’ai également appris que, de juillet 2012 à mai 2015, quatre
détenus étaient décédés: l’un en prison et les trois autres dans
des établissements médicaux
. Le
fait que tous mes interlocuteurs à Podgorica aient été d’accord
sur le fait que personne ne devrait mourir en prison mérite d’être
remarqué. A ce propos, un représentant de l’ONG monténégrine Action
pour les droits de l’homme (
Akcije za ljudska prava) a fait observer que la société monténégrine dans son
ensemble éprouvait de la compassion pour les personnes détenues gravement
malades et était en général favorable à leur libération pour qu’elles
puissent mourir chez elles.
101. A Podgorica, j’ai appris que le service de santé du Monténégro
comptait à l’heure actuelle 23 professionnels de santé, dont trois
médecins généralistes et un dentiste. Les médecins spécialistes
sont sollicités pour effectuer des visites régulières dans les établissements
pénitentiaires, une à trois fois par semaine, et les thérapies sont
coordonnées avec les hôpitaux publics, à commencer par ceux de Podgorica
et de Bijelo Polje. Les ONG considèrent que les effectifs sont toujours
insuffisants, malgré les améliorations de ces dernières années.
Elles observent notamment que le personnel infirmier continue à
devoir travailler pendant de très longues plages horaires et un
nombre important d’heures supplémentaires, comme cela avait été
critiqué par le CPT
. Il
est souhaitable que le Monténégro incite les médecins et les autres
membres du personnel médical à travailler dans l’univers carcéral,
notamment grâce à une rémunération et une formation satisfaisantes.
J’ai reçu l’assurance du directeur général de la Direction de l’exécution
des peines du ministère de la Justice qu’il était prévu d’offrir
de meilleures perspectives de carrière au personnel médical des établissements
pénitentiaires du pays et de donner aux détenus la possibilité d’être
pris en charge non seulement par les hôpitaux publics, mais également
par les établissements médicaux privés; il s’agit de mesures importantes,
qui permettront de dispenser des soins médicaux satisfaisants et
rapides aux personnes placées en détention.
102. L’administration des soins psychologiques et psychiatriques
aux détenus atteints de troubles mentaux est particulièrement préoccupante.
Seul un psychiatre effectue des visites dans les centres de soins
médicaux pénitentiaires une fois par semaine environ – une situation
dénoncée par le CPT dans son
rapport consacré à sa visite de 2013. Il est urgent que des
consultations plus fréquentes de psychiatres soient assurées et
que les détenus qui souffrent de graves troubles mentaux soient
transférés dans un hôpital qui dispose des moyens adéquats.
103. Il est intéressant de souligner que les représentants des
pouvoirs publics et de la société civile constatent tous que le
ratio médecin-patient (c’est-à-dire le nombre de médecins pour un
nombre X de patients) au Monténégro est plus élevé au sein du système
pénitentiaire national que dans l’ensemble de la société. Il arrive
que l’état de santé d’un détenu soit uniquement décelé lors de son
examen initial à son arrivée dans l’établissement. Les services
du médiateur ont reçu au total 73 plaintes de prévenus et détenus
l’an passé, dont 15 concernaient les soins sanitaires et médicaux,
principalement en raison des délais d’attente excessifs pour leur
transfert dans des hôpitaux. Selon ces services, le délai d’attente
pour voir un médecin, et plus encore pour obtenir un rendez-vous
pour une opération chirurgicale, une chimiothérapie ou d’autres
soins spécialisés, est trop long, aussi bien pour les détenus que
pour les citoyens ordinaires. Il importe donc que le Monténégro
s’applique à améliorer encore son système de santé en général.
104. En matière de libération pour des motifs de compassion, l’article
53 de la loi relative à l’exécution des peines (loi no 40/2011)
autorise la suspension de la peine d’emprisonnement d’un détenu
à des fins de traitement hors de son lieu de détention, sous réserve
que l’intéressé revienne dans son lieu de privation de liberté si
sa santé le permet. La décision d’acceptation ou de refus de cette
demande est prise par le ministère de la Justice et est susceptible
de recours devant un tribunal administratif.
105. En 2014, 20 peines d’emprisonnement au total ont été suspendues
à des fins de traitement en milieu hospitalier, voire au domicile
de l’intéressé
. Mes interlocuteurs officiels m’ont
expliqué que, parmi les facteurs pris en compte pour apprécier la
réunion des conditions qui permettent à un détenu d’obtenir une
suspension de peine, figurent la durée de la peine, la durée de
la peine déjà purgée, l’état de santé du détenu et son parcours
médical, le traitement nécessaire et les possibilités de traitement
en prison, ainsi que l’âge du détenu. L’application concrète des
dispositions pertinentes ne semble pas poser de problème au Monténégro.
106. Cependant, d’après les réponses données au questionnaire,
les frais de l’expertise médicale présentée à l’appui d’une demande
de suspension de peine sont à la charge du détenu. En outre, si
le détenu est traité dans un établissement médical qui n’est pas
couvert par la Caisse nationale d’assurance-maladie, il doit prendre
à sa charge non seulement le coût du traitement médical, mais également
le coût du transport et des mesures de sécurité. Je suis également
préoccupé par les allégations des représentants des ONG: selon eux, les
prisonniers âgés hospitalisés à la suite d’une attaque cardiaque
préfèrent retourner en prison quelques jours à peine après leur
admission à l’hôpital plutôt que demander une suspension de leur
peine pour se rétablir totalement. La raison en serait que le temps
passé à l’hôpital pendant la suspension de leur peine ne serait
pas comptabilisé comme une période passée en prison. Ces facteurs
pourraient inciter les détenus à faire le mauvais choix de ne pas
demander de traitement ni de suspension de leur peine.
107. Au vu de ces éléments, j’ai été d’autant plus heureux d’apprendre
qu’à la suite de ma visite d’information au Monténégro le Parlement
avait adopté, le 26 juin 2015, la loi relative à l’exécution des
peines d’emprisonnement, des amendes et des mesures de sécurité.
A l’initiative des membres de la délégation monténégrine auprès
de l’Assemblée, avec qui j’avais procédé à un échange de vues constructif,
le projet de loi initial a été modifié pour y insérer une disposition
(qui figure à l’article 36 de la nouvelle loi, portant sur l’interruption
de l’exécution des peines) qui autorise, «à titre exceptionnel (…)
et (…) sous réserve de l’obtention préalable d’un rapport médical
et d’un avis favorable du conseil médical compétent, l’interruption
de l’exécution d’une peine pendant une période indéterminée pour
les détenu[s] de plus de 50 ans qui souffrent d’une maladie mortelle
à un stade aigu ou d’une maladie chronique qui dégénère» (selon
une traduction non officielle en anglais).
5.3. Turquie
108. Finalement, je me suis rendu
en Turquie, où je me suis entretenu avec un certain nombre de personnes à
Ankara les 17 et 18 septembre 2015. C’est précisément la situation
des détenus malades en Turquie qui avait poussé M. Nazmi Gür et
d’autres membres de l’Assemblée à déposer leur proposition de résolution.
Je me permets d’ailleurs de faire remarquer d’emblée que la situation
qui s’est présentée à moi en Turquie est plus inquiétante que celle
des autres pays que j’ai visités.
109. Avant d’effectuer ma mission d’information, j’avais obtenu
un certain nombre d’informations auprès des ONG, notamment des exemplaires
des dossiers médicaux et judiciaires d’un certain nombre de détenus malades.
A Ankara, j’ai consulté, entre autres, des représentants des ministères
de la Justice et de la Santé, des services du médiateur, de l’Institution
nationale de défense des droits de l’homme, du ministère public
et des ONG. En outre, le président de l’Institut de médecine légale
m’a adressé une réponse écrite aux questions que je lui avais envoyées.
110. Ma visite m’a également conduit à la prison de type F de Sincan,
une prison de haute sécurité située à l’extérieur d’Ankara, où j’ai
eu la possibilité de m’entretenir avec la direction de l’établissement
et avec des détenus gravement malades. A mon grand regret, je n’ai
cependant pas été autorisé à m’entretenir en privé avec MM. Kaytan
et Alkiş, ni à voir leurs cellules; l’administration pénitentiaire
a préféré me montrer ce qu’elle a qualifié de «cellule standard».
Je ne suis donc pas en mesure de formuler un commentaire sur l’adéquation de
la cellule de MM. Kaytan et Alkiş.
111. Ces deux hommes souffrent de graves problèmes de santé, comme
en attestent clairement leurs dossiers médicaux et ce qu’ils m’ont
dit par eux-mêmes; ils sont emprisonnés depuis déjà, respectivement,
13 et 22 ans. Il suffit de préciser ici que, à la suite d’une opération
à cœur ouvert pratiquée en 2004, l’Institut de médecine légale a
estimé que M. Alkiş devait bénéficier d’une libération provisoire
pour se rétablir hors du milieu carcéral; cette recommandation n’a
pas été suivie par le ministère public et M. Alkiş est resté en
prison. Le cas de MM. Kaytan et Alkiş est particulièrement préoccupant,
car en leur qualité de détenus purgeant une peine de réclusion à
perpétuité aggravée, ils ne peuvent bénéficier d’une libération
(conditionnelle), malgré la dégradation de leur état de santé. Ils
attendent par conséquent tous deux la mort en prison. Cette situation
est clairement contraire à la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme, selon laquelle chaque peine doit systématiquement
s’accompagner d’une perspective de libération
. Mais leur cas représente seulement
le sommet de l’iceberg. Plusieurs interlocuteurs m’ont informé d’autres
cas inquiétants qu’il m’est impossible d’aborder ici en détail sans
sortir du cadre de ce chapitre de mon rapport.
112. En outre, la veille de ma visite à la prison de Sincan, j’ai
appris que M. Vedad Dağ, auquel avait été diagnostiqué une paraplégie
médullaire, aurait été placé en détention provisoire dans cet établissement, menotté
à son lit. J’ai demandé à le voir également, mais cela m’a été refusé
au motif que je n’avais pas demandé à lui parler préalablement à
ma visite et que M. Dağ recevait des soins palliatifs à l’hôpital pénitentiaire.
Ce dernier élément a été confirmé par mes interlocuteurs du ministère
de la Santé, qui ont indiqué que sa mère prenait soin de lui en
prison. Le procureur a affirmé que le ministère public avait recommandé
la libération de M. Dağ et qu’il s’attendait à ce que le tribunal
saisi de cette demande rende une décision favorable sous peu. Néanmoins,
je crois comprendre que le tribunal a choisi de ne pas suivre cette recommandation.
M. Dağ reste détenu à l’hôpital pénitentiaire de la prison de Sincan,
malgré un rapport de l’hôpital de Numune, qui précise que son état
exige une suspension de son séjour en détention de six mois
. Bien
qu’il ne m’ait pas été permis de vérifier par moi-même comment était
traité M. Dağ, je suis profondément inquiet à son sujet. J’invite
instamment les autorités turques à prendre toutes les mesures qui
s’imposent pour veiller à ce qu’il reçoive les soins adéquats et
pour assurer sa libération sans plus tarder.
113. Au moment de ma visite, la population carcérale globale en
Turquie était de 172 247 personnes. Divers chiffres m’ont été communiqués
à propos du nombre de détenus gravement malades; le service de recherche parlementaire
m’a indiqué le chiffre de 809 détenus et l’ONG Human Rights Association m’a parlé
de 721 personnes au mois de mai 2015.
114. Au sein du système pénitentiaire turc, les soins médicaux
sont normalement dispensés par des médecins généralistes et spécialistes
sur le lieu de détention. Ces médecins sont nommés par le ministère
de la Santé pour exercer dans une prison. Sur l’ensemble du territoire,
cinq prisons disposent d’un hôpital pénitentiaire. Pour les cas
d’urgence, une coopération est prévue entre le lieu de détention
et les hôpitaux universitaires.
115. Avant et pendant ma visite d’information, j’ai eu connaissance
d’allégations de violation du secret médical, notamment en raison
de la présence de gardiens pendant les examens médicaux
. Ce problème
a été largement attesté par le CPT dans un certain nombre de pays,
dont la Turquie
. Les vagues
affirmations des responsables de la Direction générale des prisons
et des centres de détention, qui m’ont indiqué que «le droit au
respect de la vie privée [des détenus était] respecté», que «les
mesures de sécurité [nécessaires étaient] prises» et que les médecins
pouvaient examiner leurs patients en privé s’ils le souhaitaient,
ne m’ont pas convaincu que des mesures étaient prises pour remédier
de manière satisfaisante à ces défaillances. Je ne peux que me faire
l’écho de la position adoptée sur la question par le CPT: «Tout
examen médical (…) doit se dérouler sans que les agents de la force
publique ne l’entendent et, sauf demande contraire du médecin concerné
dans un cas particulier, sans que ces agents ne le voient».
116. Il est également préoccupant que les prévenus et les détenus
soient trop souvent, pour ne pas dire habituellement, menottés pendant
les examens médicaux pratiqués à l’hôpital. C’est ce que m’ont confirmé mes
interlocuteurs de l’Institution nationale de défense des droits
de l’homme et les représentants des ONG. Mme Ayse Doğan, une ancienne
détenue que j’ai rencontrée à Ankara, m’a indiqué qu’elle avait
parfois refusé un traitement parce qu’elle aurait été menottée dans
le dos, ce qui ne lui aurait pas permis de se déshabiller afin d’être
convenablement examinée. Je suis très heureux que le directeur général
des Prisons et des Centres de détention convienne du fait que l’administration
d’un traitement à un détenu menotté est contraire à la dignité humaine.
Il importe à présent de tout faire pour joindre le geste à la parole.
117. Un autre problème a été porté à mon attention, celui du transfert
des détenus vers des établissements hospitaliers extérieurs. Cette
tâche incombe à la gendarmerie. Il m’a été rapporté que les cas
de mauvais traitements des détenus se poursuivent lors de leur transfert
dans des hôpitaux par les gendarmes
.
Les prisonniers politiques kurdes semblent particulièrement sujets
à ces violences
.
Mme Doğan m’a décrit de façon crédible comment elle avait dû attendre
dans un véhicule de gendarmerie pendant des heures, sans manger
ni boire. J’ai vu de mes propres yeux l’un de ces véhicules et je
peux imaginer combien il doit être épuisant pour une personne malade
de rester des heures dans un espace aussi confiné et aussi peu aéré. Lorsque
j’ai rencontré des responsables du ministère de la Santé, ils m’ont
appris que le ministère de la Justice prévoyait de mettre en place
une nouvelle unité qui remplacerait la gendarmerie pour assurer
la sécurité externe des prisons. Cette mesure semble être un pas
dans la bonne direction. Ma position sur cette question est claire:
le transfert dans un hôpital doit systématiquement avoir lieu dans
des conditions qui respectent la dignité des détenus et il importe
que la gendarmerie ne participe pas à ces transferts. Ce point de
vue repose également sur ce qui m’a été rapporté de façon crédible
au sujet du temps excessif mis pour conduire des détenus dans un
hôpital, en raison parfois d’un manque de véhicules, mais apparemment
aussi parce que les gendarmes voulaient délibérément entraver ce
transfert. Si les gendarmes n’amènent pas les détenus à l’hôpital
à temps, les patients manquent leur rendez-vous et doivent en prendre
un nouveau. Cette situation provoque des interruptions ou des retards
de traitement qui peuvent être préjudiciables et accroît sans justification
la souffrance des détenus qui ont besoin de soins médicaux.
118. Le problème des délais excessifs se pose également pour les
libérations anticipées pour raisons de santé. L’article 16(2) de
la loi no 5275 relative à l’exécution
des peines et des mesures de sécurité prévoit que l’exécution d’une
peine d’emprisonnement peut être suspendue au profit des personnes
«incapables de continuer à vivre dans un établissement pénitentiaire
en raison d’une grave maladie ou d’un grave handicap».
119. Malheureusement, les statistiques que m’ont communiquées le
service de recherche parlementaire, l’Institut de médecine légale
et le ministère de la Justice ne sont pas les mêmes. D’après l’ensemble
le plus complet de données (qui m’a été communiqué par le ministère
de la Justice), entre l’entrée en vigueur de la dernière modification
apportée à l’article 16 de la loi no 5275
du 31 janvier 2013 et la date de ma visite, 5 814 demandes de suspension
de peine au total ont été déposées. 1 423 demandes sont actuellement
pendantes: 1 068 auteurs de ces demandes attendent d’être conduits
à l’hôpital pour y recevoir un rapport médical et 345 autres attendent
l’évaluation finale de l’Institut de médecine légale. 691 personnes
ont été libérées (pour d’autres motifs) avant qu’une décision soit
prise au sujet de leur demande. Sur les 3 700 décisions prises,
512 demandes (soit 14 %) ont été acceptées et 3 188 demandes (86 %)
ont été rejetées.
120. De façon plus positive, j’ai appris que l’administration pénitentiaire
et le ministère de la Justice pouvaient, de plein droit, engager
une procédure de suspension de peine pour raisons de santé. Je ne
peux que les encourager à faire un large usage de cette faculté.
Mais en vertu de l’article 16(3) de la loi no 5275,
la décision relative à une demande de suspension de peine est prise
par le ministère public. Selon moi, cette situation pose problème.
Bien qu’un recours puisse être déposé auprès du juge chargé de l’exécution
des peines, il peut y avoir un conflit d’intérêts lorsque le procureur,
qui décide des demandes de libération anticipée, fait partie de la
même hiérarchie que celle qui a demandé au cours du procès qu’une
peine d’emprisonnement soit infligée.
121. La décision du ministère public repose pour une bonne part
sur un rapport de l’Institut de médecine légale ou de la commission
de santé d’un hôpital pleinement équipé désignée par le ministère
de la Justice et approuvée par l’Institut de médecine légale. Là
encore, il existe un risque de partialité politique et un manque d’indépendance
vis-à-vis de l’exécutif.
122. Premièrement, je ne suis pas convaincu des explications que
m’ont données mes interlocuteurs au sujet de la nécessité de confier
le «monopole» de l’expertise médico-légale à l’Institut de médecine
légale d’Istanbul
.
Ce dernier joue à l’évidence un rôle capital dans la prise de décision:
un Comité d’expertise médico-légale évalue tous les dossiers médicaux
à la lumière des questions posées par le ministère public et rend
des conclusions expresses sur la recevabilité de la demande de suspension
de peine du détenu aux fins de l’article 16 de la loi no 5275.
Ce rôle crucial pose problème dans la mesure où l’Institut de médecine
légale est un organe officiel du ministère de la Justice. Bien que
mes interlocuteurs aient souligné que le rattachement de l’Institut
au ministère était purement administratif, le directeur de l’Institut
a indiqué que «le président, les vice-présidents, les responsables
et les membres du Comité d’expertise médico-légale sont nommés par
(…) décret (…) signé du ministre de la Justice, du Premier ministre
et du Président. La nomination des spécialistes de médecine légale
et des autres membres du personnel technique est faite par le ministère».
Ces éléments mettent sérieusement en doute l’indépendance de l’Institut
de médecine légale.
123. En outre, la procédure prévue par la législation entraîne
apparemment d’importants retards dans le traitement des demandes
de libération provisoire. Bien que l’Institut de médecine légale
déclare que les dossiers des détenus sont «traités immédiatement
et que le détenu est admis pour examen sans rendez-vous», il ressort
des dossiers que j’ai pu examiner qu’il pouvait s’écouler des mois
entre le dépôt d’une demande et la prise d’une décision. Lorsqu’un
détenu doit être examiné en personne à l’Institut de médecine légale,
il est en général conduit à la prison Metris de type R d’Istanbul.
Il arrive qu’il attende des semaines ou des mois pour être examiné,
parce que l’Institut a pu demander la communication de dossiers
médicaux supplémentaires. L’échange de courrier qui en résulte entre
l’Institut, le procureur général et l’hôpital local qui a établi
le rapport initial prolonge inutilement la procédure.
124. Les représentants des ONG ont également formulé des critiques
à l’égard de la législation, qu’ils jugent axée avant tout sur la
sécurité, alors qu’elle devrait privilégier des considérations de
compassion. La loi prévoit que les détenus peuvent uniquement être
libérés en raison de leur maladie ou de leur handicap s’ils ne représentent
pas un danger pour la sécurité. Il est important de préciser que
les dispositions pertinentes ont été modifiées en juin 2014. L’article
16 de la loi no 5275 était auparavant
libellé comme suit:
«l’exécution
des peines des détenus incapables de continuer à vivre dans un établissement
pénitentiaire en raison d’une grave maladie ou d’un grave handicap
et qui ne représentent pas une menace grave et substantielle pour
la sécurité publique est suspendue jusqu’à leur rétablissement.»
125. Dans sa version actuelle, la loi dispose que les peines de
ces détenus sont suspendues, sauf s’ils représentent «une menace grave et particulière [ou concrète]
pour la sécurité publique» (d’après une traduction non
officielle en anglais; l’italique ne figure pas dans la version
originale). Il est toutefois regrettable que, alors que cette formulation
semble à première vue une amélioration capable d’atténuer le risque d’arbitraire,
elle semble avoir peu d’impact concret sur les décisions prises
par les procureurs.
126. Ce qui m’a le plus frappé, c’est la faiblesse de l’argumentaire
de certaines décisions prises par les procureurs, qui sont parfois
contraires aux rapports favorables de l’Institut de médecine légale.
Certaines de ces décisions affirment que l’intéressé, s’il était
libéré, représenterait une menace pour la sécurité publique, sans
motiver le moins du monde cette affirmation. Dans d’autres cas,
elles font état du risque supposé que l’intéressé, alors qu’il ne
représente pas lui-même une menace, pourrait être utilisé comme
un «instrument de propagande» s’il était libéré. Je répondrais à
cela qu’avec de tels arguments, il est de fait impossible qu’un détenu
condamné en raison de son affiliation au PKK ait la moindre chance
d’être libéré pour raisons de santé. Il importe que la Turquie abandonne
ce critère discriminatoire et libère tous les détenus qui réunissent
les conditions nécessaires à une libération pour raisons médicales,
tout en imposant toutes les conditions nécessaires pour éviter une
récidive.
5.4. Conclusions
de mes missions d’information
127. L’ampleur des difficultés auxquelles
se heurtent les détenus pour jouir de manière effective de leurs droits
à la santé varie entre les trois pays que j’ai visités. En parallèle,
comme on pouvait s’y attendre, certaines des conclusions que j’ai
établies à l’issue de ces visites autorisent à tirer des enseignements
d’ordre plus général, ainsi qu’à formuler des recommandations adressées
à plusieurs, pour ne pas dire à tous les Etats membres du Conseil
de l’Europe.
128. Dans les trois pays que j’ai visités, des améliorations supplémentaires
doivent être apportées pour garantir le respect de l’
Ensemble
de règles minima pour le traitement des détenus des Nations Unies, qui exigent que «lorsque le traitement
hospitalier est organisé dans l'établissement, celui-ci doit être
pourvu d'un matériel, d'un outillage et des produits pharmaceutiques
permettant de donner les soins et le traitement convenables aux
détenus malades, et le personnel doit avoir une formation professionnelle
suffisante». J’aimerais également attirer l’attention sur le
manuel du Conseil de l’Europe à l’intention du personnel de
santé et des autres membres du personnel pénitentiaire qui ont en
charge le bien-être des détenus
;
celui-ci comporte des bonnes pratiques, met en avant d’importantes
normes déontologiques et propose des solutions aux dilemmes éthiques
relatifs à l’accès à un médecin, à l’égalité des soins, au consentement
des patients et à la confidentialité des données qui les concernent,
aux soins préventifs, ainsi qu’à l’indépendance et à la compétence
professionnelles. Par ailleurs, je pense que ces trois pays, et
sans doute la plupart des autres Etats membres du Conseil de l’Europe,
feraient bien de renforcer la coopération entre les services médicaux en
milieu carcéral et les hôpitaux extérieurs. Cela permettrait également
de mettre la pratique nationale plus en conformité avec le paragraphe
40(1) des
Règles
pénitentiaires européennes, qui précise que «[l]es services médicaux administrés
en prison doivent être organisés en relation étroite avec l’administration
générale du service de santé de la collectivité locale ou de l’Etat».
129. J’ai été heureux d’apprendre que les trois pays que j’ai visités
prévoient tous, comme d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe,
une suspension provisoire de la peine d’emprisonnement d’un détenu
pour que celui-ci puisse recevoir un traitement médical. Lorsque
le temps passé dans un hôpital extérieur n’est pas comptabilisé
comme un temps passé à purger une peine, les Etats devraient rechercher
des moyens de garantir que la législation ne dissuade pas les personnes
en détention de demander le traitement dont elles ont besoin. Il
est par ailleurs indispensable que le temps nécessaire pour avoir
accès à des examens médicaux, à un traitement et être transféré
dans un hôpital ne soit pas excessif.
6. Conclusion
130. Les atteintes aux droits de
l’homme dans les centres de détention, dont il a été fait état amplement,
ont attiré l’attention sur les problèmes et le manque de solution
auxquels est confrontée une catégorie particulièrement vulnérable
de la société: les détenus gravement malades et âgés. L’inaction
aura pour seul effet de perpétuer ces atteintes et certains détenus
risquent de continuer à se trouver à la merci d’un système carcéral
national qui ne tient pas compte de leurs besoins médicaux et ne
leur offre aucune possibilité réaliste de libération anticipée.
Le Conseil de l’Europe a le devoir de veiller à ce que tous ses
Etats membres respectent les protections les plus élémentaires des
droits de l’homme. Il doit saisir cette occasion d’attirer l’attention
sur le fait que, alors même que le CPT et le Comité des Ministres
ont adressé diverses recommandations à propos de l’accès des détenus
aux soins médicaux et des procédures de libération anticipée, ces
droits ne sont, dans bien des cas, toujours pas correctement respectés.
131. La population des détenus vieillit, comme le reste de la population.
Les Etats membres doivent prendre conscience du vieillissement de
leurs détenus et examiner et modifier les dispositions actuellement
en vigueur de manière à leur assurer la détention la plus confortable
possible. Il importe également qu’ils examinent leur législation
interne pour veiller à ce qu’elle comporte des solutions adéquates,
comme de larges possibilités de libération anticipée. Il est indispensable,
d’un point de vue juridique comme sur le plan humanitaire, que les détenus
malades et âgés bénéficient de meilleures conditions de détention.
132. Aucun être humain ne devrait mourir en détention, mais la
tendance européenne montre que davantage de personnes qu’autrefois
décèdent aujourd’hui derrière les barreaux
. Le Conseil de l’Europe doit
demander à ses Etats membres d’examiner leur législation et leur
politique, afin de procéder aux modifications qui permettront à
tout être humain de mourir dans la dignité, sans être enchaîné à
un lit, en détention. L’Assemblée doit demander à l’ensemble des
Etats membres du Conseil de l’Europe de remédier d’urgence et efficacement à
cette situation désastreuse.