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Rapport | Doc. 13918 | 10 novembre 2015

L’accès à la justice et internet: potentiel et défis

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Jordi XUCLÀ, Espagne, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc 13318, Renvoi 4007 du 22 novembre 2013. 2015 - Commission permanente de novembre

Résumé

La commission des questions juridiques et des droits de l’homme souligne qu’il importe de lever les obstacles qui entravent actuellement l’accès des citoyens à la justice. Elle reconnaît que l’utilisation innovante de formes modernes des technologies de l’information et des communications (TIC) au sein des tribunaux, d’une part, et les procédures de règlement en ligne des litiges (RLL), d’autre part, peuvent jouer un rôle en ce sens.

La commission admet que l’utilisation des outils des TIC peut simplifier et accélérer la procédure judiciaire, tout en contribuant à renforcer la cohérence et la prévisibilité de l’issue des procédures. Elle reconnaît également que le règlement en ligne des litiges permet de faciliter l’accès des citoyens à la justice, en contribuant à régler les litiges de façon plus rapide, plus économique et moins conflictuelle que le contentieux judiciaire, tout en offrant éventuellement plus de souplesse dans le choix des procédures employées et des solutions prescrites. Par conséquent, les Etats membres sont encouragés à promouvoir et à poursuivre l’élaboration des mécanismes de RLL.

La commission constate néanmoins que les procédures de RLL et l’utilisation des TIC dans les tribunaux peuvent se heurter à un certain nombre de difficultés, notamment les questions techniques, l’inégalité de l’accès des particuliers aux ressources en ligne, les questions de respect de la vie privée et les problèmes posés par l’exécution des décisions. Elle souligne par conséquent la nécessité de préserver les droits consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme, et notamment le droit à un procès équitable (article 6) et le droit à un recours effectif (article 13).

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 2 novembre
2015.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire réaffirme que l’accès à la justice est une pierre angulaire de tout Etat démocratique fondé sur l’Etat de droit et une condition préalable indispensable à la jouissance effective de leurs droits de l’homme par les citoyens. Elle observe cependant que l’accès au système judiciaire est souvent très coûteux en temps et en argent et peut être entravé par les moyens limités dont disposent les tribunaux.
2. Un certain nombre d’Etats prennent des initiatives pour réformer le processus judiciaire, en vue d’accélérer les procédures et de les rendre plus abordables, notamment grâce à l’utilisation de formes modernes des technologies de l’information et des communications (TIC).
3. L’Assemblée se félicite de l’utilisation accrue des outils des TIC, comme les dossiers électroniques des affaires, les portails intranet, la visioconférence, les systèmes de gestion des affaires, les modules d’établissement automatisé des intitulés des affaires et les bases de données qui facilitent le partage des informations, qui sont non seulement à même de simplifier et d’accélérer la procédure, mais également de renforcer la cohérence et la prévisibilité de l’issue des procédures.
4. L’Assemblée observe par ailleurs que les TIC ont ouvert la voie à un règlement extrajudiciaire des litiges (REL) sur internet, au moyen de procédures dites de règlement en ligne des litiges (RLL). L’utilisation d’internet pour le règlement des litiges semble appelée à croître, compte tenu de l’augmentation notable du commerce électronique et de la gouvernance électronique, qui simplifient l’interaction entre les particuliers, les entreprises et les administrations.
5. L’Assemblée encourage les Etats membres à promouvoir et à poursuivre l’élaboration des mécanismes de RLL, en reconnaissant que les procédures de RLL peuvent permettre de régler les litiges de façon plus rapide, plus économique et moins conflictuelle que le contentieux judiciaire. Les mécanismes de RLL peuvent offrir plus de souplesse dans le choix des procédures employées et des solutions prescrites.
6. Tout en considérant que les procédures de RLL et les TIC peuvent contribuer à faciliter l’accès au système judiciaire, l’Assemblée reconnaît les diverses difficultés auxquelles se heurtent les procédures de RLL et l’utilisation des TIC dans le règlement des litiges, notamment les difficultés techniques, l’inégalité de l’accès des particuliers aux ressources en ligne, les questions de respect de la vie privée et les problèmes posés par l’exécution des décisions. Elle souligne par conséquent la nécessité de préserver les droits consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), et notamment le droit à un procès équitable (article 6) et le droit à un recours effectif (article 13).
7. A la lumière de ce qui précède, l’Assemblée appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe:
7.1. à mettre des procédures volontaires de RLL à la disposition des citoyens dans les situations appropriées; sensibiliser l’opinion publique à l’existence de ces procédures et créer des incitations pour amener les citoyens à y prendre part, notamment en promouvant l’exécution extrajudiciaire des décisions de RLL et en faisant mieux connaître le RLL aux professionnels du droit;
7.2. à veiller à ce que les procédures actuelles et futures de RLL comportent des garanties conformes aux articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui peuvent consister notamment en un accès au conseil juridique;
7.3. à veiller à ce que les parties qui engagent une procédure de RLL conservent un droit d’accès à une procédure d’appel devant les tribunaux qui satisfasse à l’exigence d’un procès équitable énoncée à l’article 6 de la Convention;
7.4. à entreprendre d’élaborer des normes minimales communes auxquelles les prestataires de RLL devront se conformer, notamment pour garantir que leurs procédures ne favorisent pas injustement les acteurs fréquents au détriment des acteurs occasionnels, et s’appliquer à établir un système commun d’accréditation des prestataires de RLL qui satisfont à ces normes;
7.5. à continuer à suivre les évolutions technologiques afin de promouvoir l’utilisation des TIC au sein des tribunaux, en vue d’améliorer l’efficacité de la justice, tout en garantissant une procédure transparente et équitable, la sécurité des données, le respect de la vie privée, ainsi que la formation adéquate et continue du personnel des tribunaux et des avocats à l’utilisation légale et efficace des TIC dans la procédure judiciaire.

B. Exposé des motifs, par M. Xuclà, rapporteur

(open)

1. Procédure

1. Lors de sa réunion du 12 décembre 2013, la commission des questions juridiques et des droits de l’homme m’a nommé rapporteur sur «L’accès à la justice grâce à des instruments en ligne». Conformément à la proposition de résolution 
			(2) 
			Doc. 13318 de l'Assemblée, proposition de résolution déposée par
Mme Alina Ştefania Gorghiu et d'autres membres de l'Assemblée. à l’origine de ce rapport, mon mandat consiste à examiner les avantages que les instruments en ligne peuvent présenter pour atténuer les difficultés rencontrées par les citoyens européens dans l’exercice de leur droit d’accès à la justice. Ce faisant, j’aborderai deux grandes questions: le règlement des litiges en ligne (RLL) et l’utilisation des technologies de l’information et des communications (TIC) dans la justice.
2. Pour plus de clarté, et sur ma proposition, la commission a décidé, lors de sa réunion à Strasbourg le 29 septembre 2014, de modifier le titre du rapport comme suit: «L’accès à la justice et internet: potentiel et défis». Je préfère l’emploi de cet intitulé, car le terme «instruments en ligne» ne reflète pas convenablement les grands défis en matière de droits de l’homme de l’accès à la justice à l’ère d’internet.
3. Le 30 octobre 2014, la commission a procédé à une audition pour recueillir un certain nombre de témoignages utiles à l’élaboration du présent rapport; y ont participé M. Arno Lodder, professeur de Gouvernance et régulation d’internet à la Vrije Universiteit d’Amsterdam, et M. Graham Ross, fondateur et président de TheMediationRoom.com et membre du Groupe consultatif sur les modes de règlement des litiges en ligne nommé par le Conseil de la justice civile de l'Angleterre et du Pays de Galles. Le 23 juin 2015, la commission des questions juridiques a procédé à une autre audition, à laquelle a participé Mme Iveta Havlova, directrice des Alliances stratégiques chez le prestataire de règlement des litiges en ligne Youstice. J’aimerais remercier ces trois experts de leurs observations et commentaires, qui m’ont apporté des éclaircissements et de nombreuses informations.

2. «L’accès à la justice» à l’ère d’internet: innovations et défis

4. L’accès à la justice est la pierre angulaire de tout Etat démocratique fondé sur l’Etat de droit. Pourtant, la jouissance effective de ce droit par les citoyens européens continue à rencontrer divers obstacles, comme en témoigne par exemple le nombre stupéfiant d’affaires dans lesquelles la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») conclut à la violation de la Convention européenne des droits de l’homme («la Convention», STE n° 5) en raison de la durée excessive de la procédure judiciaire nationale 
			(3) 
			L’examen
de la base de données <a href='http://hudoc.echr.coe.int/fre'>HUDOC </a>sur la jurisprudence de la Cour révèle qu'entre janvier
et juillet 2015 la Cour a conclu dans 69 affaires à une violation
de l'article 6.1 de la Convention en raison de la durée excessive
de la procédure judiciaire nationale. Les violations systémiques
de l'obligation de «délai raisonnable» ont également fait l'objet d'un
certain nombre d'arrêts pilote; voir plus loin la note de bas de
page 12 et le texte qui l'accompagne.. Les études et la recherche universitaire semblent confirmer le fait que l’accès au système judiciaire a souvent un coût considérable, non seulement au vu du temps consacré à cette démarche, mais également sur le plan financier 
			(4) 
			Ce
coût varie d'un pays à l'autre. Le <a href='https://e-justice.europa.eu/content_costs_of_proceedings-37-fr.do?init=true'>site
Web</a> de la Commission européenne donne des informations précises
sur les frais de procédure judiciaire dans les Etats membres de
l'Union européenne. Pour une vue d'ensemble, voir l’<a href='https://e-justice.europa.eu/content_costs_of_proceedings-37-fr.do'>Etude
sur la transparence des coûts des procédures judiciaires civiles
dans l’Union européenne</a> de la Commission (décembre 2007), ainsi que son <a href='https://e-justice.europa.eu/fileDownload.do?id=2caa06e6-76fe-48fe-a55b-65233fd0e95f'>annexe.</a>.
5. Plusieurs Etats, du moins en partie pour remédier à cette limitation de l’accès à la justice, prennent des initiatives pour réformer le processus judiciaire, en vue d’accélérer les procédures et de les rendre plus abordables. L’utilisation de formes modernes des TIC, notamment, est en augmentation.
6. Parallèlement, on observe – à la fois dans la pratique de plusieurs Etats européens et dans le débat universitaire – que les tribunaux ne sont plus considérés comme le seul espace de justice. Le recours à la procédure de règlement parajudiciaire et extrajudiciaire des litiges (REL) 
			(5) 
			Les
formes les plus courantes de REL sont la médiation – le règlement
d'un litige par la négociation, grâce à l'impulsion d'un tiers neutre
– et l'arbitrage – une procédure au moyen de laquelle un tiers neutre
rend une décision contraignante après avoir entendu les arguments
des deux parties. Pour une définition plus complète, voir le dictionnaire juridique
Black (2e éd., en anglais), respectivement
sur <a href='http://thelawdictionary.org/mediation/'>the law dictionary.org/mediation/ </a>et <a href='http://thelawdictionary.org/arbitration/'>the law dictionary.org/arbitration/</a>., c’est-à-dire aux mécanismes de règlement des litiges hors tribunaux, est de plus en plus fréquent; quelques Etats (principalement des Etats membres de l’Union européenne) exigent même que les parties cherchent d’abord à régler certains types de litiges par la médiation avant de saisir les tribunaux.
7. L’évolution induite par l’ère d’internet a influencé cette diversification des systèmes de règlement des litiges. L’utilisation croissante d’internet a eu des répercussions sur la manière dont les particuliers achètent des produits, reçoivent des informations et communiquent. Les organismes du secteur privé et du secteur public sont de plus en plus présents sur internet et alimentent l’augmentation du commerce électronique, de la gouvernance électronique et de la justice électronique. Ces initiatives ont simplifié et amélioré l’interaction entre les particuliers et les entreprises, les administrations et les tribunaux; elles ont généré de plus nombreuses possibilités d’accéder à l’information. Compte tenu de cette situation, il n’est guère surprenant que les prestataires de services de REL aient eux aussi commencé à utiliser internet, donnant ainsi naissance aux procédures de règlement en ligne des litiges (RLL).
8. Compte tenu de ces éléments, j’examinerai dans ce rapport comment l’utilisation innovante des technologies au sein des tribunaux, d’une part, et le RLL, d’autre part, peuvent permettre aux particuliers de surmonter les obstacles à leur accès à la justice.

2.1. Définir «l’accès à la justice» en se référant au cadre juridique prévu par le Conseil de l’Europe

9. Une des principales difficultés, lorsqu’on examine cette question, est l’incertitude qui prévaut au sujet de la définition de la notion de «justice». Aux fins du présent rapport, et conformément à l’Avis n° 7 «justice et société» du Conseil consultatif de juges européens (CCEJ), la «justice» s’entend de manière générale comme un processus ayant pour but de trancher des litiges entre les parties et qui représente un élément essentiel des sociétés démocratiques.
10. Ma conception de «l’accès à la justice», qui «est davantage une formule descriptive qu’un concept juridique» 
			(6) 
			«L’égalité et la non-discrimination
dans l’accès à la justice», Doc.
13740, rapport de la commission sur l'égalité et la non-discrimination
(rapporteur: M. Viorel Riceard Badea, Roumanie, PPE/DC), paragraphe
1. – est imprégnée de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur les articles 6.1 (droit à un procès équitable) et 13 (droit à un recours effectif) de la Convention européenne des droits de l’homme. Ces dispositions protègent le droit d’accès à une instance indépendante et impartiale qui assure la protection judiciaire des droits fondamentaux, le droit à un procès équitable et à un recours effectif, ainsi qu’aux aboutissements justes et équitables offrant une réparation des atteintes subies. Rappelons, à ce sujet, la Résolution 2054 (2015) de l’Assemblée parlementaire sur l’égalité et la non-discrimination dans l’accès à la justice, qui souligne que:
«Ces deux droits relèvent du concept plus large d’accès à la justice, qui renvoie aux différents éléments conduisant à la réparation appropriée de la violation d’un droit, tels que l’information sur les droits et sur les procédures, l’aide judiciaire, la représentation juridique, la qualité pour agir ou l’accès général aux tribunaux.»
11. Le premier commentaire formulé par la Cour au sujet de l’accès à la justice remonte à l’affaire Golder c. Royaume-Uni 
			(7) 
			Requête
no 4451/70, arrêt du 21 février 1975,
paragraphe 36., dans laquelle la Cour a établi que l’article 6.1 ne confère pas seulement aux justiciables le droit à un procès équitable dans les procédures déjà pendantes à leur encontre, mais qu’il leur reconnaît également un droit d’accès aux tribunaux pour engager une action en justice.
12. Depuis cette date, la Cour a souligné à plusieurs reprises l’effet préjudiciable que les obstacles pratiques peuvent avoir sur l’accès des justiciables à la justice. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’exercice des droits consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme ne doit pas être «théorique ou illusoire», mais «concret et effectif» 
			(8) 
			<a href='http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-57420'>Airey
c. Irland</a>e, Requête no 6289/73,
arrêt du 9 octobre 1979, paragraphe 24. . Cette conception de l’article 6 a conduit la Cour à considérer certains obstacles pratiques, qui empêchent les requérants de profiter du système judiciaire, comme autant de violations de la Convention: c’est par exemple le cas de l’incapacité à pouvoir s’offrir les services d’un avocat. L’accent mis sur l’exercice effectif des droits a également donné lieu à un certain nombre d’affaires portant sur l’aide judiciaire dispensée dans les procédures civiles, en vue de favoriser l’égalité des armes dans le règlement des litiges 
			(9) 
			Pour
un exemple bien connu, voir <a href='http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-68224'>Steel
et Morris c. Royaume-Uni</a>, Requête no 68416/01, arrêt
du 15 mai 2005..
13. La Cour a également reconnu l’incidence des procédures judiciaires trop longues sur l’accès à la justice. L’article 6.1 de la Convention fait sienne la notion de justice rapide, en précisant que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement «dans un délai raisonnable». Le caractère raisonnable de ce délai est apprécié au vu des circonstances propres à chaque affaire 
			(10) 
			<a href='http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-57483'>Erkner
et Hofauer c. Autriche</a>, Requête no 9616/81, arrêt
du 23 avril 1987, paragraphe 66.. La lutte contre la lenteur excessive des procédures judiciaires est devenue une priorité pour la Cour, qui a qualifié ce problème de systémique dans un certain nombre d’arrêts pilotes prononcés récemment à l’encontre de plusieurs Hautes Parties contractantes 
			(11) 
			<a href='http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-100307'>Rumpf
c. Allemagne</a>, Requête no 46344/06, arrêt
du 2 décembre 2010; <a href='http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-102431'>Athanasiou
et autres c. Grèce</a>, Requête no 50973/08, arrêt
du 21 mars 2011; <a href='http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-114100'>Glykantzi
c. Grèce</a>, Requête no 40150/09, arrêt
du 30 janvier 2013. .
14. Dans le même état d’esprit, la Recommandation CM/Rec(2010)3 du Comité des Ministres «sur des recours effectifs face à la durée excessive des procédures» souligne que «les délais excessifs dans l’administration de la justice constituent un danger sérieux, en particulier pour le respect de l’Etat de droit et l’accès à la justice».
15. De même, la Magna Carta des juges du CCJE, qui codifie les principaux avis adoptés par le CCJE et définit l’accès à la justice comme l’un de ses principes fondamentaux, souligne l’importance d’un «règlement rapide, efficace et à un coût raisonnable des litiges». Il est intéressant de noter que la Magna Carta des juges ne se focalise pas exclusivement sur les procédures judiciaires. Cette conception correspond à ma propre approche, ainsi qu’à celle de mon collègue M. Badea, dont le rapport susmentionné donne une définition sans ambiguïté de la notion de «l’accès à la justice», qui englobe les mécanismes de REL (paragraphe 10), comme la médiation, la conciliation ou l’arbitrage.
16. Bien qu’ils ne donnent pas de définition précise de «l’accès à la justice», la jurisprudence de la Cour et les textes précités des autres organes du Conseil de l’Europe offrent un certain nombre d’éléments d’orientation. Ils constituent selon moi un socle suffisant pour permettre d’évaluer dans ce même esprit les procédures de RLL et l’utilisation des TIC dans les procédures judiciaires.

2.2. Le règlement en ligne des litiges – règlement extrajudiciaire des litiges

17. Le règlement en ligne des litiges est une forme de règlement extrajudiciaire des litiges qui recourt aux TIC et à internet pour simplifier et accélérer le règlement d’un contentieux. Il est aujourd’hui très couramment, mais pas exclusivement, utilisé pour régler les litiges nés de transactions commerciales en ligne, par exemple sur des plates-formes de commerce électronique comme eBay, mais également les litiges qui concernent les noms de domaine ou d’autres questions de propriété intellectuelle. Tout comme les procédures de règlement extrajudiciaire des litiges (REL) qui ne font pas appel à internet, les systèmes de RLL peuvent être structurés de diverses manières, selon la nature des litiges concernés. Les systèmes de RLL peuvent comporter une personne qui joue le rôle d’intermédiaire ou se limiter aux deux parties qui engagent une procédure entièrement automatisée. On distingue habituellement trois catégories de RLL, dont je donnerai plus loin des exemples: la négociation automatisée et assistée, la médiation en ligne et l’arbitrage en ligne 
			(12) 
			Orna Rabinovich-Einy, <a href='http://www.vjolt.net/vol7/issue2/v7i2_a04-Rabinovitch-Einy.pdf'>Going
Public: Diminishing Privacy in Dispute Resolution in the Internet
Age</a>, Virginia Journal of Law
and Technology 7 (4), 2002, p. 27, et Julia Hörnle, Cross-Border Internet Dispute Resolution (Cambridge : Cambridge
University Press, 2009), p. 75. Certains universitaires et praticiens
considèrent le règlement en ligne par courrier électronique des
plaintes déposées par les consommateurs comme une quatrième catégorie
distincte. J'ai choisi de privilégier les trois exemples qui ne
font l'objet d'aucune contestation pour deux raisons principales.
Premièrement, mon rapport ne porte pas principalement sur les droits
des consommateurs; deuxièmement, plusieurs exemples de médiation
en ligne (et certaines formes d'arbitrage en ligne) que je compte
examiner dans mon rapport comportent quelques types de processus
structuré de règlement par courrier électronique, préalable à la
phase de médiation ou d'arbitrage. .
18. L’augmentation des procédures de RLL soulève un certain nombre de points de droit et de questions relatives aux droits de l’homme auxquels je tâcherai de répondre dans cette partie:
  • quels sont les avantages des procédures de RLL par rapport aux litiges classiques? Des études empiriques ont-elles permis de déterminer si cette procédure présentait concrètement des avantages éventuels?
  • quels sont les risques et les défis du RLL?
  • quels sont les types de litiges et domaines du droit les plus adaptés aux procédures de RLL?
  • existe-t-il, à l’inverse, des litiges qu’il convient de ne jamais régler par RLL?
  • la pertinence du recours au RLL dépendra-t-elle de son caractère volontaire ou obligatoire, tant pour l’engagement de la procédure que pour la conformité de son issue?
  • l’utilisation obligatoire des procédures de RLL pour le règlement de certains types de litiges avant un recours aux tribunaux est-elle compatible avec les droits consacrés par la Convention? Le refus de cet accès (initial) aux tribunaux est-il en particulier légitime et proportionné au sens de l’article 6.1 de la Convention?
  • quelles garanties procédurales la procédure de RLL doit-elle comporter pour être conforme à l’article 6 de la Convention, surtout sur le plan de l’égalité des armes entre les parties?
  • le niveau de garantie varie-t-il selon que la procédure de RLL aboutit à une décision contraignante ou non contraignante?

2.2.1. La négociation en ligne (ou négociation électronique)

19. La négociation en ligne sert souvent au règlement en ligne des demandes pécuniaires. L’une des premières expériences du recours au RLL a débuté en 1996 avec la création de Cybersettle, un site web destiné à faciliter la négociation des dommages-intérêts dans une procédure civile opposant deux parties. Cybersettle a été créé principalement pour les affaires dans lesquelles la responsabilité avait déjà été établie, les parties n’ayant plus qu’à convenir du montant des dommages-intérêts – car le contentieux relatif à cette question n’est souvent pas rentable. Les parties qui ont recours à Cybersettle proposent chacune, à trois reprises et à l’aveugle, un montant. Si, au cours de l’un des trois tours successifs, les deux montants proposés par chaque partie sont suffisamment proches (en fonction d’un pourcentage convenu au préalable), le chiffre médian entre ces deux montants sera réputé accepté. Si les parties s’approchent de cette solution, un modérateur les contacte toutes deux pour leur proposer un tour supplémentaire d’offres.
20. Bien que le modèle de proposition à l’aveugle du montant des dommages intérêts utilisé par Cybersettle et d’autres prestataires soit également qualifié de «négociation automatisée», d’autres plates-formes (dont eBay et PayPal) proposent une «négociation assistée», en proposant, sur la base d’affaires similaires antérieures, un certain nombre de solutions possibles aux parties à un litige 
			(13) 
			Voir notamment Pablo
Cortés, A new regulatory framework for extra-judicial consumer redress:
where we are and how to move forward, University of Leicester School
of Law Research Paper no 13-02 (2013),
p. 19.	.

2.2.2. La médiation en ligne (ou médiation électronique)

21. Cette forme de négociation est souvent associée à une phase de médiation. Un exemple est fréquemment cité dans le domaine de la médiation en ligne: celui d’eBay, qui a mis en place, avec la jeune entreprise innovante sur internet SquareTrade, un système de règlement en ligne des litiges qui permet aux acheteurs et aux vendeurs de régler divers contentieux dans un cadre structuré 
			(14) 
			Voir
les informations à ce sujet sur le site web d’eBay, disponibles
sur <a href='http://pages.ebay.com/services/buyandsell/disputeres.html'>ebay.com/services/buyandsell/disputeres</a>. Voir également Steve Abernethy, <a href='http://www.mediate.com/Integrating/docs/Abernethy.pdf'>Building
Large-Scale Online Dispute Resolution & Trustmark Systems</a>, Actes du Forum de la Commission économique des Nations
Unies pour l’Europe (CEE-ONU) consacré au «Règlement en ligne des
litiges (RLL)» (Genève, Suisse, 30 juin-1er juillet
2003), p. 11-14. . Les parties doivent répondre à des questions posées sur un formulaire de plainte personnalisé et joindre un certain nombre d’éléments à l’appui de leur demande. SquareTrade transmet ce formulaire à la partie adverse et encourage cette dernière à répondre. En l’absence de solution de compromis entre les parties, l’une d’entre elles peut engager une procédure de médiation. Le mécanisme de règlement des litiges mis en place par Wikipédia fonctionne de manière comparable et offre un autre excellent exemple de médiation en ligne 
			(15) 
			Orna Rabinovich-Einy
et Ethan Katsh, <a href='http://www.international-odr.com/documenten/ijodr_2014_01_01.pdf'>Digital
Justice, Reshaping Boundaries in an Online Dispute Resolution Environment</a>, 1(1) International Journal
of Online Dispute Resolution (2014) 5, p. 24..

2.2.3. L’arbitrage en ligne

22. Le RLL, conçu au départ comme un mécanisme de règlement de litiges survenus exclusivement sur l’espace (commercial) en ligne, s’oriente également de plus en plus vers le règlement de litiges extérieurs à internet 
			(16) 
			Ibid.,
p. 22. Les auteurs soulignent par ailleurs à ce propos que «les
limites qui encadrent les activités, les relations, les notions
et les valeurs en ligne et hors ligne s’estompent, car un nombre
croissant de litiges sont réglés au moyen d'outils numériques»,
p. 6. . Un certain nombre de pays ont commencé à mobiliser le potentiel d’internet pour accélérer et simplifier le règlement des litiges entre les particuliers – une tendance dont il convient, selon moi, de se féliciter. La Colombie Britannique, au Canada, en offre un parfait exemple (le Canada jouit du statut d’observateur auprès du Conseil de l’Europe). La Colombie Britannique est en train de mettre en place un Tribunal de règlement des litiges civils (Civil Resolution Tribunal), qui devrait être opérationnel à la fin de l’année 
			(17) 
			Ministère de la Justice,
Colombie britannique, <a href='http://www.ag.gov.bc.ca/legislation/shareddocs/crta/CRT-Business-Model.pdf'>Dispute
Resolution Model for the Proposed Civil Resolution Tribunal. Voir
également </a>Civil Resolution Tribunal, <a href='https://www.civilresolutionbc.ca/9-things-to-know-about-the-civil-resolution-tribunal-act-crta-changes/'>9
Things to Know About the Civil Resolution Tribunal Act</a> (CRTA) Changes, ainsi que la loi relative au Tribunal
de règlement des litiges civils (<a href='http://www.ag.gov.bc.ca/legislation/civil-resolution-tribunal-act/'>Civil
Resolution Tribunal Act</a>).. Ce tribunal représente la première juridiction en ligne d’Amérique du Nord compétente pour les petits litiges et vise à recourir à internet à toutes les étapes de la procédure de règlement des litiges. La procédure utilisée devant cette juridiction va au-delà des exemples précités, dans la mesure où, en l’absence d’un règlement à l’issue de la phase initiale («auto-assistance») ou d’une phase de médiation, les parties peuvent choisir de passer à l’étape de l’arbitrage. A ce stade, un arbitre s’entretient avec les parties en ligne, par téléphone ou par visioconférence, recueille les éléments de preuve en ligne et rend une décision contraignante.

2.2.4. L’évolution récente des RLL en Europe

23. L’Union européenne, qui a choisi un modèle plus restreint de RLL, a adopté en 2013 la Directive 2013/11/UE relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation («la directive REL») et le Règlement 524/2013 relatif au règlement en ligne des litiges de consommation («le règlement RLL»).
24. Consciente des entraves au commerce électronique transfrontière, et donc au marché intérieur, qui découlent de l’absence de mécanismes de règlement des litiges peu coûteux et rapides, la directive REL impose aux Etats membres de veiller à l’existence de mécanismes efficaces de règlement extrajudiciaire des litiges de consommation relatifs à la fourniture de biens et à la prestation de services. Chaque pays est tenu d’établir une autorité compétente chargée du suivi du fonctionnement des prestataires agréés de REL.
25. Conformément aux dispositions du règlement RLL, l’Union européenne crée en ce moment une plate-forme de RLL, qui vise à améliorer l’accessibilité en ligne des dispositifs de REL 
			(18) 
			Pour un
résumé des principales dispositions de ces textes, voir Pablo Cortés,
A new regulatory framework for extra-judicial consumer redress:
where we are and how to move forward, note 14 plus haut, p. 4-11.. Cette plate-forme sera opérationnelle en janvier 2016. Elle tiendra lieu de point de contact unique pour les commerçants, consommateurs et prestataires de REL établis dans l’Union européenne et sera uniquement applicable aux transactions en ligne effectuées entre ces parties, qu’elles soient nationales ou transfrontières.
26. Cette plate-forme de RLL permettra aux consommateurs et aux commerçants de déposer un formulaire électronique de plainte dans l’une des langues officielles de l’Union européenne, d’y joindre les documents pertinents et de choisir un prestataire de REL compétent pour traiter ce litige. La plate-forme transmettra ensuite le formulaire à l’autre partie. Sous réserve que cette dernière accepte de régler ce litige par REL avec l’aide du prestataire choisi, la plate-forme transmettra les informations à ce prestataire. Les prestataires de REL peuvent, sans y être tenus, appliquer la procédure de règlement des litiges au moyen de la plate-forme de RLL. Il importe de souligner que tout prestataire de REL désireux de figurer sur la plate-forme de RLL doit obtenir l’agrément de son autorité nationale compétente, ce qui suppose au préalable que le prestataire se conforme aux normes du droit européen relatives à: i) son indépendance et son impartialité; ii) sa transparence; iii) son efficacité; iv) son objectivité; v) sa liberté; et vi) sa légalité 
			(19) 
			Voir également Pablo
Cortés et Arno R. Lodder, <a href='http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2414098'>Dispute
Resolution Goes Online: Reflections on the Evolution of European
Law for Out-of-Court Redress</a>, 21(1) Maastricht Journal
of European and Comparative Law 14 (2014), p. 25-26..
27. Ces deux textes de loi représentent à mes yeux, comme à ceux de nombreux universitaires et praticiens du droit, une importante avancée vers la garantie de normes minimales de qualité applicable aux prestataires de REL. Ils contribueront également à sensibiliser les citoyens à l’existence de mécanismes de REL/RLL et à rendre ces procédures plus accessibles. J’encourage par conséquent les Etats membres qui sont également membres de l’Union européenne à œuvrer en faveur de la transposition rapide et réussie du règlement RLL.
28. La constitution, par la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI), d’un Groupe de travail III sur le règlement des litiges en ligne représentent une autre évolution notable dans ce domaine. Ce groupe de travail est chargé d’établir un cadre juridique modèle pour l’utilisation du RLL dans les litiges innombrables portant sur de faibles montants, qui opposent les entreprises ou les entreprises et les consommateurs. Les dispositions procédurales relatives au RLL des transactions commerciales électroniques transfrontières, rédigées par le groupe à l’état de projet, peuvent être incorporées dans les contrats passés entre les parties, mais seront uniquement applicables dans la mesure où elles sont compatibles avec le droit interne en vigueur. Les dispositions proposées suivent une procédure à deux voies: celle-ci débute par une négociation en ligne entre les parties, suivie par une phase destinée à faciliter le règlement du litige; elle se poursuit alors, soit par la voie I (arbitrage en ligne à caractère contraignant), soit par la voie II (décision non contraignante) 
			(20) 
			Pour les projets les
plus récents, voir respectivement le document <a href='http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/LTD/V14/082/52/PDF/V1408252.pdf?OpenElement'>A/CN.9/WG.III/WP.133/Add.1</a> des Nations Unies sur le règlement en ligne des litiges
de transactions commerciales électroniques transfrontières: projet
de dispositions procédurales (voie I) et le document <a href='http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/LTD/V14/051/36/PDF/V1405136.pdf?OpenElement'>A/CN.9/WG.III/WP.130</a> des Nations Unies sur le règlement en ligne des litiges
de transactions commerciales électroniques transfrontières: projet
de dispositions procédurales (voie II). . L’existence de ces deux possibilités témoigne de l’absence de consensus au sein du Groupe de travail (ainsi qu’au sein des juridictions nationales) sur l’issue contraignante ou non de la procédure de RLL; elle reflète également le fait que tous les pays n’autorisent pas que les accords d’arbitrage qui précèdent la phase de contentieux soient contraignants pour les consommateurs 
			(21) 
			Vikki
Rogers, <a href='http://www.mediate.com/articles/GrossJbl20120730.cfm'>Are
We Meeting the Needs of Merchants and Consumers Looking to Buy and
Sell Cross-Border? Thoughts on UNCITRAL’s Working Group III on Online
Dispute Resolution</a>, juillet 2012..

2.2.5. Les travaux du Conseil de l’Europe sur le règlement extrajudiciaire des litiges (en ligne)

29. A ce jour, le Conseil de l’Europe a principalement consacré ses travaux relatifs au règlement extrajudiciaire des litiges aux procédures hors ligne. Or, comme plusieurs caractéristiques du RLL, y compris ses avantages et inconvénients possibles, sont les mêmes que pour les procédures de REL, les travaux entrepris sur le REL se révéleront sans doute instructifs pour déterminer si le RLL peut présenter un intérêt pour faciliter l’accès des particuliers à la justice.
30. Il est intéressant de noter que la Magna Carta des juges du CCJE appelle les juges à faciliter le recours au REL et à employer des modes de gestion des affaires adéquats. La Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) a, elle aussi, analysé tout récemment le lien entre REL et accès à la justice dans un rapport consacré à «L’accès à la justice en Europe». Par ailleurs, le Comité des Ministres a abordé les questions relatives aux formes extrajudiciaires de règlement des litiges dans un certain nombre de recommandations. La Recommandation n° R (81) 7 sur «les moyens de faciliter l’accès à la justice» appelle, dans son annexe, à la prise de mesures visant à encourager le recours à la conciliation et à la médiation. La Recommandation n° R (98) 1 sur la «médiation familiale» précise que, compte tenu des problèmes particuliers posés par les différends familiaux, la médiation familiale peut promouvoir des solutions consensuelles et atténuer le coût social et économique du divorce et de la séparation. Dans sa Recommandation Rec(2001)9 sur «les modes alternatifs de règlement des litiges entre les autorités administratives et les personnes privées», le Comité des Ministres se félicite du recours aux modes alternatifs de règlement des litiges administratifs, considérant qu’ils peuvent favoriser le rapprochement de l’administration et des citoyens et permettre un règlement plus rapide et moins coûteux des litiges. Parallèlement, il souligne que «les modes alternatifs doivent se conformer aux principes d'égalité, d'impartialité et respecter les droits des parties». Dans ce même esprit, la Recommandation Rec(2002)10 sur «la médiation en matière civile» souligne l’importance d’un système judiciaire juste, efficace et facilement accessible, en faisant remarquer que les parties qui recourent à la médiation devraient rester libres de saisir les tribunaux, car «l'accès au tribunal (…) constitue la garantie ultime de protection des droits des parties».
31. L’arrêt le plus pertinent rendu par une juridiction européenne en matière de RLL n’émane pas de la Cour européenne des droits de l’homme, mais de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Mais cette dernière a mentionné la jurisprudence de la Cour de Strasbourg en concluant en 2010, dans l’affaire Rosalba Alassini 
			(22) 
			CJUE, <a href='http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=9ea7d2dc30d6827d15c56ab44468ad99e53915637fbb.e34KaxiLc3qMb40Rch0SaxuOahb0?text=&docid=79647&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=177437'>Rosalba
Alassini et Filomena Califano c. Wind SpA, Lucia Anna Giorgia Iacono
c. Telecom Italia SpA, Multiservice Srl c. Telecom Italia SpA</a>, affaires jointes, C-317/08 to C-320/08, arrêt du 8
mars 2010., que le recours obligatoire à la médiation avant de saisir les tribunaux dans certains litiges entre fournisseurs et utilisateurs finals pouvait être autorisé et ne portait pas atteinte au principe de la protection juridictionnelle effective consacré par les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme et par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2000/C 364/01). Il peut être important de souligner à ce propos que le délai de clôture de la procédure de règlement extrajudiciaire était uniquement de 30 jours, après quoi les parties étaient libres de saisir les tribunaux. En conclusion, la CJUE a admis que le but poursuivi par l’obligation de recourir au préalable au RLL était «un règlement plus rapide et moins onéreux des litiges en matière de communications électroniques, ainsi qu’un désencombrement des tribunaux» (paragraphe 64). Parallèlement, la CJUE a fait remarquer que l’exercice de droits particuliers «pourrait être rendu pratiquement impossible ou excessivement difficile pour certains justiciables, et notamment ceux ne disposant pas d’un accès à Internet, s’il ne pouvait être accédé à la procédure de conciliation que par la voie électronique» 
			(23) 
			Ibid.,
paragraphe 58.. La CJUE a conclu que la protection juridictionnelle effective était assurée, pour autant que la voie électronique ne constitue pas l’unique moyen d’accès à la procédure de conciliation 
			(24) 
			Ibid., paragraphe 60.. Je ne peux que féliciter la CJUE de son raisonnement très nuancé.
32. La Cour européenne des droits de l’homme s’est à ce jour rarement prononcée sur le REL ou le RLL. Le juge Malinverni a commenté de manière positive le REL dans son opinion concordante formulée dans l’affaire Stempfer c. Autriche 
			(25) 
			Requête
no 18294/03, arrêt du 26 octobre 2007., qui portait sur le fait de savoir s’il fallait favoriser les recours préventifs ou les recours en indemnisation dans les affaires portant sur la durée excessive de la procédure. Il a estimé qu’il fallait privilégier les mesures préventives, y compris la possibilité de règlement extrajudiciaire des litiges dans les affaires de droit privé, aux recours en indemnisation. Mais la Cour n’a pas encore eu l’occasion de préciser sa position sur l’adéquation des procédures de REL ou RLL à la garantie d’un procès équitable consacrée par l’article 6 de la Convention. Néanmoins, certaines orientations peuvent être déduites de sa jurisprudence, surtout si l’on établit une distinction entre participation volontaire et participation obligatoire au REL/RLL.
33. Lorsque les particuliers décident volontairement de recourir au REL (en ligne ou hors ligne), les conclusions présentées par la Cour dans un certain nombre d’affaires de renonciation se révèlent instructives. La Cour a en effet déclaré que le fait de renoncer au droit de saisir un tribunal ne porte pas en principe atteinte à la Convention, au vu des avantages qu’il présente 
			(26) 
			<a href='http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-57469'>Deweer
c. Belgique</a>, Requête no 6903/75, arrêt
du 27 février 1980, paragraphe 49. pour les justiciables et l’administration. Compte tenu de l’importance du droit à un procès équitable, le consentement à un renoncement doit être donné librement et ne pas être «entaché de contrainte» 
			(27) 
			Ibid.,
paragraphe 54.. Précision essentielle, la Cour a souligné qu’une procédure de REL devait comporter certaines garanties procédurales pour être conforme à l’article 6 de la Convention. Par ailleurs, il n’est pas possible de renoncer à l’intégralité des droits consacrés par l’article 6, comme le droit à un juge impartial 
			(28) 
			<a href='http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-4942'>Suovaniemi
et autres c. Finlande (déc.)</a>, Requête no 31737/96, décision
du 23 février 1999..
34. Lorsque l’Etat exige des justiciables qu’ils recourent en premier lieu à un REL/RLL avant de saisir les tribunaux, la question essentielle est de savoir si cette restriction imposée à l’accès à un tribunal est légitime et proportionnée au regard de l’article 6.1 de la Convention. A cet égard, la jurisprudence de la Cour sur la compatibilité des décisions administratives avec les garanties fondamentales consacrées par l’article 6.1 de la Convention peut servir d’indicateur de ce qu’autorise la Convention. Reconnaissant que «[d]es impératifs de souplesse et d’efficacité (…) peuvent justifier l’intervention préalable d’organes administratifs ou corporatifs, et a fortiori d’organes juridictionnels ne satisfaisant pas sous tous leurs aspects à ces mêmes prescriptions [fixées par l’article 6.1 de la Convention]» 
			(29) 
			<a href='http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-57522'>Le
Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique</a>, Requête no 6878/75 et 7238/75,
arrêt du 23 juin 1981, paragraphe 51(a). , la Cour a constamment considéré qu’elle ne constaterait aucune violation de cette disposition si la procédure engagée devant des organes qui ne satisfont pas aux exigences de l’article 6.1 de la Convention européennes des droits de l’homme font l’objet du «contrôle ultérieur d’un organe judiciaire de pleine juridiction» 
			(30) 
			Voir <a href='http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-57847'>Zumtobel
c. Autriche</a>, Requête no 12235/86, arrêt
du 21 septembre 1993, paragraphes 29-32; <a href='http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-57954'>Bryan
c. Royaume-Uni</a>, Requête no 19178/91, arrêt
du 22 novembre 1995, paragraphe 40; et <a href='http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-57896'>Ortenberg
c. Autriche</a>, Requête no 12884/87, arrêt
du 25 novembre 1994, paragraphe 31..

2.2.6. Les avantages possibles du RLL

35. Il s’agit donc de savoir si les procédures de RLL sont réellement plus souples et plus efficaces que les procédures engagées devant les tribunaux ou, plus généralement, quels sont les avantages possibles du RLL.
36. Avant tout, le RLL a la capacité d’atténuer les entraves économiques à l’accès à la justice. L’engagement d’un contentieux classique peut être coûteux, en particulier à cause des frais d’avocat, des dépens et des frais de déplacement (surtout pour les litiges transfrontières). Le coût d’un litige dissuade souvent les justiciables de chercher à le régler ou à faire respecter leurs droits, ce qui laisse bon nombre d’entre eux sans accès à un recours effectif qui leur permette d’obtenir réparation. C’est particulièrement le cas dans les litiges qui portent sur un faible montant, comme ceux qui naissent des nombreuses transactions commerciales électroniques, pour lesquelles les procédures de RLL peuvent représenter un important dispositif de protection des consommateurs.
37. L’accès à la justice dépend non seulement de la situation socio-économique de l’intéressé, mais également de la géographie; or, l’accès géographique à la justice risque de devenir de plus en plus difficile en raison de la tendance à la réduction du nombre de tribunaux 
			(31) 
			Voir
CEPEJ, <a href='http://www.coe.int/t/dghl/cooperation/cepej/evaluation/2014/Rapport_2014_fr.pdf'>Rapport
sur les «Systèmes judiciaires européens – Edition 2014 (2012): efficacité
et qualité de la justice»</a>, p. 476-477; et SPIEGEL Online (Allemagne):
«<a href='http://www.spiegel.de/panorama/justiz/mecklenburg-vorpommern-volksentscheid-zu-gerichtsreform-a-1050877.html'>Gerichtsschließungen in
Mecklenburg-Vorpommern: Willst du Recht, musst du reisen</a>» (4 septembre 2015).. La technologie offre la capacité d’améliorer l’accès à des mécanismes de règlement des litiges, surtout aux justiciables qui résident dans les zones rurales. L’administration australienne a tout particulièrement tenu à exploiter la capacité des RLL à faciliter l’accès à la justice des personnes qui résident dans des zones reculées du pays 
			(32) 
			Gouvernement australien, <a href='http://www.lccsc.gov.au/agdbasev7wr/sclj/harnessing_the_power_of_technology_analysis_paper.pdf'>Harnessing
the benefits of technology to improve access to justice</a>, 2012.. Je suis d’avis que les Etats européens devraient eux aussi réfléchir de manière plus approfondie à ces possibilités.
38. Selon la nature du litige, le recours aux instruments de RLL peut également diminuer les frais entraînés par le conseil et la représentation d’un avocat, même s’il n’est pas question d’en déduire que les parties à une procédure de RLL peuvent se passer de ces services juridiques. Il serait erroné de croire que la valeur relativement modeste des litiges traités à l’heure actuelle par RLL va forcément de pair avec la simplicité juridique du dossier 
			(33) 
			Hazel Glenn, <a href='http://digitalcommons.law.yale.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1392&context=yjlh'>What
is Civil Justice For? Reform, ADR and Access to Justice</a>, 24 Yale Journal of Law and
Humanities 397 (2012), p. 401.. Au vu de l’importance que le Conseil de l’Europe attache à l’aide juridictionnelle 
			(34) 
			Tout comme la Cour,
la CEPEJ a souligné le lien entre aide judiciaire et égalité d'accès
à la justice. Dans son <a href='http://www.coe.int/t/dghl/cooperation/cepej/evaluation/2012/Rapport_fr.pdf'>rapport</a> de 2012 sur les «Systèmes judiciaires européens», la
CEPEJ donne une définition large de l'aide juridictionnelle, qui englobe
non seulement les éléments traditionnels de cette aide, comme la
représentation au cours d'un procès, mais également les informations,
le conseil juridique et l'aide aux solutions alternatives à la procédure
juridictionnelle (comme le REL). Le Comité des Ministres a par ailleurs
adopté un certain nombre de textes portant sur la question de l’aide judiciaire
en matière civile, comme la <a href='http://www.coe.int/t/dghl/standardsetting/equality/03themes/access_to_justice/CM_Rec_93_1_fr.pdf'>Recommandation
n° R (93) 1</a> relative à «l’accès effectif au droit et la justice
des personnes en situation de grande pauvreté» et la <a href='https://wcd.coe.int/com.instranet.InstraServlet?command=com.instranet.CmdBlobGet&InstranetImage=596389&SecMode=1&DocId=662270&Usage=2'>Résolution
(78) 8</a> sur «l’assistance judiciaire et la consultation juridique».
Alors que cette dernière souligne le lien entre assistance judiciaire
et accès à la justice des personnes économiquement défavorisées,
la première étend la définition de l’aide judiciaire aux «modes
parajudiciaires de solution des conflits», comme la médiation, et
préconise d’apporter un soutien accru à ces modes de règlement des
litiges., il me semble essentiel que les administrations s’emploient activement à promouvoir et à défendre des normes minimales applicables à la justice sur le plan de l’égalité des armes, y compris le cas échéant en fournissant une aide juridictionnelle ou la représentation d’un avocat 
			(35) 
			L’importance
de ces normes minimales et donc d'une plus grande institutionnalisation
des processus de REL a été soulignée par les universitaires; voir
notamment Lorna McGregor, Alternative Dispute Resolution and Human
Rights: Developing a Rights-Based Approach through the ECHR, 26(3) European Journal of International Law (2015)
(prochain). .
39. La durée de la procédure judiciaire, qui est allongée par les restrictions de ressources imposées à l’appareil judiciaire, représente un autre obstacle à l’accès à la justice. Le RLL peut être un excellent moyen d’accroître les mécanismes disponibles de règlement rapide des litiges, tout en allégeant la charge de travail des tribunaux. Il permet aux parties de régler les litiges rapidement et de manière souple. Comme ce processus peut être mené de manière asynchrone, les parties peuvent participer à la négociation à leur convenance. Cet avantage est particulièrement net pour les litiges transfrontières, surtout lorsqu’ils concernent des parties situées dans des fuseaux horaires différents.
40. Il convient de souligner, à propos des avantages que peut présenter le RLL, que le règlement en ligne des litiges va bien au-delà d’un simple règlement classique des litiges dans le cyberespace. Les principes et valeurs sur lesquels se fonde la procédure de RLL sont en vérité différents de ceux qui prévalent dans le contentieux tranché par les tribunaux 
			(36) 
			Orna
Rabinovich-Einy et Ethan Katsh, <a href='http://www.international-odr.com/documenten/ijodr_2014_01_01.pdf'>Digital
Justice, Reshaping Boundaries in an Online Dispute Resolution Environment</a>, note 16 ci-dessus, p. 6. : le modèle du RLL/REL vise à réaliser l’harmonie sociale par des solutions consensuelles. Les mécanismes classiques de règlement juridictionnel des litiges ont tendance à accroître la confrontation entre les parties et à s’achever sur une décision de justice imposée par le juge aux parties, qui fait autorité; en revanche, les procédures de RLL/REL peuvent mettre l’accent sur le compromis et sur une issue mutuellement acceptable pour les parties ou des situations avantageuses pour les deux parties. Cette solution peut être particulièrement bienvenue pour des parties qui souhaitent préserver leurs rapports commerciaux ou autres et leur réputation commerciale sur le marché concerné à l’avenir 
			(37) 
			Commission
des Communautés européennes, <a href='http://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=CELEX:52002DC0196&from=EN'>Green
paper on alternative dispute resolution in civil and commercial law</a>, COM(2002)196 final, 19 avril 2002, paragraphe 10. Voir
également Erhard Blankenburg, Access to justice and alternatives
to courts, 14 Civil Justice Quarterly 176
(1995), cité par Dory Reiling, Doing Justice with Information Technology,
15(2) Information and Communications
Technology Law 189 (2006), p. 192.. Comme je l’ai indiqué plus haut à propos de la Recommandation n° R (98) 1 sur la «médiation familiale», les litiges qui surviennent dans le cadre du droit de la famille ont tendance à demander des solutions consensuelles. Cette plus grande variété de solutions possibles (y compris, en particulier, des solutions dépourvues de caractère pécuniaire) peuvent également renforcer la satisfaction des parties à l’égard de la procédure de règlement des litiges 
			(38) 
			Voir Donna Shestowsky,
Procedural Preferences in Alternative Dispute Resolution: A Closer,
Modern Look at an Old Idea, 10 Psychology,
Public Policy, and Law (2004) 211, p. 212..
41. Au vu de cette situation, il n’est guère surprenant que les autres avantages des procédures de RLL correspondent pour l’essentiel à ceux que présentent les procédures classiques de REL hors ligne par rapport au contentieux conventionnel devant les tribunaux. A l’instar des procédures de REL, le RLL peut offrir aux parties davantage de souplesse que les mécanismes juridictionnels classiques 
			(39) 
			Orna Rabinovich-Einy, <a href='http://www.vjolt.net/vol7/issue2/v7i2_a04-Rabinovitch-Einy.pdf'>Going
Public: Diminishing Privacy in Dispute Resolution in the Internet
Age</a>, voir plus haut note 13, paragraphe 50 (avec des références
supplémentaires)., tant sur le plan des procédures employées que sur celui des solutions prescrites 
			(40) 
			Lisa Bernstein, Understanding
the Limits of Court-Connected ADR: A Critique of Federal Court-Annexed
Arbitration Programs, 141 University
of Pennsylvania Law Review (1993) 2169, p. 2239, cité
par Lorna McGregor, Alternative Dispute Resolution and Human Rights:
Developing a Rights-Based Approach through the ECHR, voir plus haut
note 36. . Les structures du RLL sont bien souvent prévues pour des catégories limitées de litiges (comme le règlement en ligne de demandes à caractère pécuniaire). Elles peuvent être modifiées pour s’adapter aux caractéristiques particulières du litige et permettent une plus grande diversité de procédures, d’issues et d’exigences en matière d’éléments de preuve. En outre, le système pourrait être davantage adapté aux besoins des parties, dans la mesure où, alors que les parties à un litige ont souvent le sentiment de n’avoir aucun contrôle sur la procédure juridictionnelle, le caractère informel de la médiation en ligne peut faciliter leur autonomie, ainsi que la prise en main et l’appropriation par les parties du processus de règlement du litige 
			(41) 
			Orna
Rabinovich-Einy, <a href='http://www.vjolt.net/vol7/issue2/v7i2_a04-Rabinovitch-Einy.pdf'>Going
Public: Diminishing Privacy in Dispute Resolution in the Internet
Age</a>, voir plus haut note 13, paragraphe 50. Voir également
Dominique Allen, Against Settlement? Owen Fiss, ADR and Australian Discrimination
Law, 10(4) International Journal of Discrimination
and the Law (2009), p. 195. .

2.2.7. Les limites et les inconvénients du RLL et les moyens qui permettent de les surmonter

42. Bien que les observations précédentes laissent penser que le fait d’intégrer l’utilisation d’internet dans les processus de règlement des litiges pourrait permettre d’améliorer l’accès à la justice, il n’existe toujours pas d’études empiriques qui confirment les implications positives du RLL en termes par exemple d’efficacité, de coût ou de satisfaction des parties 
			(42) 
			Tamara Relis, Perceptions in Litigation and Mediation: Lawyers,
Defendants, Plaintiffs and Gendered Parties (Cambridge:
Cambridge University Press, 2011), p. 4, mentionné par Lorna McGregor,
Alternative Dispute Resolution and Human Rights: Developing a Rights-Based
Approach through the ECHR, voir plus haut note 36.. Qui plus est, le recours excessif aux instruments en ligne peut présenter des inconvénients et des risques pour certains justiciables.
43. Les critiques formulées par les médiateurs classiques pointent du doigt la dimension impersonnelle de la médiation en ligne. La médiation est habituellement considérée comme un processus reposant par essence sur les rapports personnels entre des intéressés qui s’entendent pour parvenir à une solution satisfaisante et mutuellement acceptable 
			(43) 
			Joseph
W. Goodman, <a href='http://scholarship.law.duke.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1073&context=dltr'>The
Pros and Cons of Online Dispute Resolution: An Assessment of Cyber-Mediation Websites</a>, Duke Law and Technology
Review 2, 2003, p. 10-11.. La médiation par courrier électronique limite la capacité des médiateurs à établir des rapports personnels avec les parties. Mais, selon moi, l’intégration d’autres outils technologiques dans les procédures de RLL – notamment la visioconférence – peut, dans une certaine mesure, atténuer cet apparent inconvénient.
44. En outre, les utilisateurs d’internet peuvent rencontrer des difficultés techniques à utiliser les instruments en ligne autonomes, de sorte que les processus de RLL risquent d’être inaccessibles aux populations les plus vulnérables 
			(44) 
			Kathryn E. Thomson, <a href='http://www.slaw.ca/2014/04/15/are-online-dispute-resolution-processes-necessarily-access-to-justice-strategies/'>Are
Online Dispute Resolution Processes Necessarily Access to Justice
Strategies</a>?, avril 2014.. Si l’utilisation de ce processus peut s’avérer simple et suffisamment explicite, il me paraît essentiel de garder à l’esprit que le règlement des litiges comporte bien souvent des questions de droit qui ne sont pas à la portée des personnes dépourvues de formation juridique. C’est pourquoi les procédures de RLL ne devraient pas exclure de manière générale la possibilité de faire appel à un conseil juridique. Il importe que la possibilité de consulter un professionnel du droit existe, car cette garantie assure la protection du droit à un procès équitable consacré par l’article 6 aux justiciables qui choisissent d’engager une procédure de RLL.
45. A cet égard, il convient également de noter que, aujourd’hui encore, internet n’est pas accessible à tous. Il n’existe donc pas nécessairement d’égalité sur le plan des avantages que peut présenter le RLL en matière d’accès à la justice. C’est ce que montre l’Etude sur les communications électroniques auprès des ménages publiée en 2012 par la Commission européenne: alors que 64 % des ménages de l’Union européenne ont accès à internet et que celui-ci continue à croître d’année en année, le pourcentage national s’étend de 93 % (aux Pays-Bas) à 42 % (en Grèce). On peut s’attendre à ce que des disparités comparables, voire plus importantes encore, existent entre les Etats membres du Conseil de l’Europe. L’Assemblée a reconnu, dans sa Recommandation 1586 (2002) sur la fracture numérique et l’éducation, que la numérisation risquait de créer une fracture numérique et a souligné qu’il importait d’assurer l’égalité d’accès au matériel numérique.
46. L’étude de la Commission européenne révèle également qu’une fracture numérique a tendance à se dessiner selon des critères socio-démographiques. On constate en effet que les populations rurales et les personnes âgées, ainsi que les catégories plus défavorisées de la société, ont moins accès à internet. Certes, l’étendue réelle de la fracture numérique est peut-être moins marquée que les chiffres ne le laissent penser, car certaines personnes peuvent utiliser internet à titre accessoire ou de manière indirecte, c’est-à-dire bénéficier indirectement d’internet par l’entremise d’autres personnes 
			(45) 
			Legal Services Institute, <a href='http://www.thelegaleducationfoundation.org/wp-content/uploads/2013/06/LSI_Dec_2012_Access_to_Justice-1.pdf'>Improving
Access to Justice: Scope of the Regulatory Objective</a>, décembre 2012. ou avoir la possibilité d’utiliser les services en ligne à leur travail ou dans leur établissant scolaire 
			(46) 
			Commission
européenne, <a href='http://ec.europa.eu/public_opinion/archives/ebs/ebs_381_en.pdf'>E-communication
Household Survey</a>, juin 2012. . Mais l’existence de cette fracture conduit à penser que, pour le moment tout au moins, le RLL ne saurait se substituer à un système juridictionnel juste et efficace, dont il ne peut être que le complément. C’est pourquoi je propose qu’il soit possible de mettre en place un RLL parallèlement à d’autres instruments plus classiques de règlement des litiges, afin d’éviter que les parties qui n’ont pas accès à internet se trouvent injustement désavantagées 
			(47) 
			La coexistence des
instruments en ligne et des instruments classiques s'accorde avec
l'affaire précitée de la CJUE: <a href='http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=9ea7d2dc30d6827d15c56ab44468ad99e53915637fbb.e34KaxiLc3qMb40Rch0SaxuOahb0?text=&docid=79647&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=177437'>Rosalba
Alassini</a>. .
47. Le risque de l’inégalité d’accès aux procédures de RLL est lié à la question de l’égalité des armes 
			(48) 
			La doctrine née de
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme impose
aux Etats Parties de garantir que « chaque partie se voie offrir
une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions
qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par
rapport à son adversaire ». Voir, notamment, <a href='http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-58015'>De Haes et
Gijsels c. Belgique</a>, Requête no 19983/92, arrêt
du 24 février 1997, paragraphe 53. . Les systèmes de RLL peuvent favoriser les acteurs fréquents, c’est-à-dire les parties qui recourent fréquemment à un même prestataire de règlement des litiges 
			(49) 
			Carrie
Menkel-Meadow, Do the “Haves” Come Out Ahead in Alternative Judicial
Systems?: Repeat Players in ADR”, 15 Ohio
State Journal on Dispute Resolution 19 (1999); et Jean
R. Sternlight, <a href='http://scholars.law.unlv.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1270&context=facpub'>Creeping
Mandatory Arbitration: Is It Just?</a>, 57 Stanford law Review 1631
(2005), p. 1651.. De par les rapports qu’elles entretiennent avec les médiateurs, ces parties (en général des entreprises, de grandes institutions et des services administratifs) peuvent bénéficier d’un avantage par rapport aux utilisateurs occasionnels des services de médiation (en particulier les consommateurs); ces derniers «peuvent se sentir pressés d’accepter un règlement moins favorable que ne le justifient les éléments de l’affaire, en raison de leurs besoins financiers, de l’exploitation qui est faite de leur désir d’accès [à leurs enfants] et/ou de leur manque des moyens qui leur permettent de s’engager dans un litige lorsqu’ils ne disposent pas d’une aide judiciaire» 
			(50) 
			Lorna
McGregor, Alternative Dispute Resolution and Human Rights: Developing
a Rights-Based Approach through the ECHR, voir plus haut note 36.. Ce risque d’inégalité des moyens de négociation, qui place une partie dans une situation désavantageuse, peut être atténué si l’on structure convenablement le processus de médiation, de manière à en exclure autant que possible toute partialité. Il importe que les prestataires de services de RLL prennent les mesures qui s’imposent pour préserver l’impartialité du processus de règlement des litiges.
48. L’un des moyens de garantir l’indépendance et l’impartialité des prestataires pourrait être d’établir une liste de prestataires de RLL présélectionnés parmi lesquels le consommateur pourrait choisir, afin de s’assurer que ni le consommateur ni le détaillant n’a de lien direct avec cet organisme. Cette méthode devrait être combinée à un système uniforme de certification, c’est-à-dire à un label commun que seuls les prestataires agréés peuvent afficher sur leur site web respectif pour obtenir la confiance des particuliers dans ce processus. Les administrations peuvent et devraient jouer un rôle capital dans ce domaine, en agréant ces prestataires et en assurant un suivi constant de leurs activités et de leur conformité avec le droit.
49. Les détracteurs du RLL (ou plus généralement du REL) attirent par ailleurs l’attention sur le fait que le détournement des litiges de la sphère publique (c’est-à-dire des tribunaux) au profit d’un univers confidentiel ou privé (le RLL) peut entraver l’évolution du droit et compromettre le rôle joué par les tribunaux dans l’établissement de précédents de la jurisprudence 
			(51) 
			Voir, par exemple,
Owen M. Fiss, <a href='http://www.law.yale.edu/documents/pdf/againstsettlement.pdf'>Against
Settlement</a>, 93(6) Yale Law Journal (1984),
p. 1073. . S’il est vrai que certains litiges ne devraient pas être traités par REL/RLL pour ne pas compromettre la fonction sociale des décisions de justice 
			(52) 
			Voir également plus
loin le paragraphe 59., je crois en revanche que le processus de RLL peut réellement dépasser le simple règlement individualiste de litiges isolés. Comme je l’ai indiqué plus haut, les prestataires de RLL s’appuient sur l’expérience acquise à l’occasion d’accords de règlement antérieurs dans des affaires similaires pour recommander des solutions possibles, en utilisant la technologie pour recenser les modèles récurrents de litiges et classer les plaintes en diverses catégories. C’est ce qui a poussé les observateurs à conclure que «le RLL est particulièrement attrayant lorsque l’étude du dossier porte sur des événements systémiques ou lorsqu’un un même dossier comporte une multiplicité de plaintes» 
			(53) 
			Frank
Fowlie, Colin Rule et David Bilinsky, Online Dispute Resolution:
The Future of ADR, 22(1) Journal d'arbitrage et
de médiation canadien (2013), p. 53.. Vu sous cet angle, le RLL peut être considéré non seulement comme un moyen de règlement des litiges, mais également comme une occasion de les prévenir, notamment en modifiant le comportement des commerçants 
			(54) 
			Voir Christopher Hodges
et autres, Consumer ADR in Europe. Civil
Justice Systems (Oxford: C.H. Beck/Hart/Nomos, 2012),
p. 199-200; Pablo Cortés, A new regulatory framework for extra-judicial
consumer redress: where we are and how to move forward, voir plus
haut note 14, p. 17-18 (avec des références supplémentaires); et
Richard Susskind, The End of Lawyers?
Rethinking the Nature of Legal Services (Oxford: Oxford
University Press, 2008), p. 224..
50. Le fait que la partie défenderesse puisse refuser de prendre part à un RLL lorsqu’elle y est invitée par la partie demanderesse est également une source de préoccupation. Les experts auditionnés par notre commission étaient néanmoins d’accord pour considérer que l’engagement d’une procédure de RLL devait demeurer volontaire. On peut attendre des prestataires de RLL qu’ils conçoivent leur dispositif ou assurent leur service de manière à renforcer la confiance des utilisateurs dans son impartialité et son efficacité. Il semble logique de penser que si les parties ne sont pas satisfaites du traitement et du règlement de leur différend, ce qui ne dépend pas forcément du fait qu’elles obtiennent gain de cause ou non 
			(55) 
			Voir l'étude mentionnée
par Orna Rabinovich-Einy et Ethan Katsh, <a href='http://www.international-odr.com/documenten/ijodr_2014_01_01.pdf'>Digital
Justice, Reshaping Boundaries in an Online Dispute Resolution Environment</a>, note 16 ci-dessus, p. 16-17, qui montre que le facteur
décisif de l'appréciation du règlement des litiges par les parties
est leur perception de l'équité de la procédure. , elles cesseront d’y avoir recours. Je suis néanmoins convaincu, comme nous l’avons vu plus haut, que les administrations peuvent jouer un rôle essentiel dans la promotion de cette confiance, afin d’inciter les justiciables à recourir aux procédures de RLL.
51. En outre, même si une partie accepte d’y prendre part de manière volontaire, la partie qui n’obtient pas satisfaction risque de refuser de respecter l’issue de la médiation; cela amène à s’interroger sur la manière de faire respecter les décisions auxquelles aboutissent les procédures de RLL. Là encore, l’existence d’un système de certification pourrait être une solution: on pourrait par exemple envisager qu’une entreprise désireuse d’obtenir une certification officielle s’engage à exécuter un certain pourcentage de décisions rendues par un arbitre (par exemple 98 %, comme c’est le cas pour Youstice, la société de l’un de nos experts). En ce sens, j’aurais tendance à souscrire à la proposition faite par Mme Havlova lors de la deuxième audition de la commission, c’est-à-dire au caractère contraignant du RLL pour la partie la plus puissante (c’est-à-dire le détaillant ou le commerçant), mais pas pour la partie la plus faible (c’est-à-dire le consommateur ou le client), et à la possibilité donnée à cette dernière d’engager une nouvelle procédure devant les tribunaux si elle n’est pas satisfaite de l’issue du RLL. Il importe par conséquent, selon moi, soit qu’il existe un délai précis de RLL, de manière à ce que la partie concernée ne perde pas son droit d’accès au tribunal en raison de l’expiration du délai de prescription, soit que ce délai de prescription soit suspendu pendant la durée de la procédure de RLL.
52. Tout en étant favorable au droit de faire appel des décisions de RLL devant un juge, j’ai bien conscience du fait que, en raison de la nature même de ces décisions, il risque d’être peu pratique de mettre en place une procédure d’appel devant les juridictions ordinaires, notamment parce que les raisons qui ont poussé les parties à choisir le RLL au départ peuvent les empêcher de se prévaloir d’une procédure d’appel devant l’appareil judiciaire. Il me paraît donc indispensable d’élaborer des modes pratiques et efficaces d’exécution extrajudiciaire des décisions 
			(56) 
			Voir
Pablo Cortés, A new regulatory framework for extra-judicial consumer
redress: where we are and how to move forward, note 14 ci-dessus,
p. 23 (qui considère que «[l]’exécution extrajudiciaire est également
indispensable à un système de réparation du préjudice subi par un
consommateur qui soit rapide et économique »).. On pourrait envisager de confier à l’avenir cette fonction à des «cyber-tribunaux» supervisés ou mis en place par les pouvoirs publics, qui satisfassent à l’ensemble des exigences de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme 
			(57) 
			Voir également Thomas
Schultz, <a href='http://www.mediate.com/Integrating/docs/Schultz.pdf'>An
Essay on the Role of Government for ODR: Theoretical Considerations
about the Future of ODR</a>, Actes du
Forum de la Commission économique des Nations Unies pour l’Europe
(CEE-ONU) consacré au «Règlement en ligne des litiges (RLL)» (Genève,
Suisse, 30 juin-1er juillet 2003), p.
5 et 8..
53. Le fait de concevoir les procédures de RLL de façon à garantir le respect des droits fondamentaux de leurs utilisateurs peut se heurter à des difficultés supplémentaires. Par exemple, les prestataires de services de RLL doivent être extrêmement attentifs, sans doute plus encore que les tribunaux, à préserver le caractère privé et authentique des communications. Les utilisateurs de RLL enverront en effet par internet des documents, des formulaires et des informations relatives à leur identité à la partie adverse et probablement aux médiateurs ou arbitres; il existe donc un risque d’altération de dossiers comportant des informations confidentielles ou des informations personnelles sensibles. Le cryptage des informations pourrait être un moyen de garantir la sécurité des données. De même, il sera en principe capital de garantir le secret professionnel du tiers neutre chargé de l’arbitrage ou de la médiation en ligne 
			(58) 
			Bien souvent, c'est
précisément l'assurance de la confidentialité qui confère au RLL
et au REL leur popularité et aboutit à des taux de réussite élevés,
grâce à l'ouverture dont font preuve les parties.Commission
des Communautés européennes, <a href='http://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=CELEX:52002DC0196&from=EN'>Green
paper on alternative dispute resolution in civil and commercial
law</a>, voir plus haut note 38, paragraphe 79.. Afin de favoriser la participation des citoyens aux procédures de RLL, les éventuels participants doivent se sentir assurés que le risque d’une atteinte à leur vie privée est faible 
			(59) 
			Ethan Katsh, <a href='http://www.lex-electronica.org/docs/articles_65.pdf'>Online
Dispute Resolution: Some Implications for the Emergency of Law in
Cyberspace.</a> 10(3) Lex Electronica (2006),
p. 7. . Les prestataires de services de RLL devraient informer au préalable les utilisateurs des modes de conservation, d’utilisation et de destruction des informations dont ils disposent 
			(60) 
			Voir, à ce propos,
Esther van den Heuvel, <a href='http://www.oecd.org/internet/consumer/1878940.pdf'>Online
Dispute Resolution as a Solution to Cross-border E-disputes: An Introduction
to ODR</a>, août 2000: <a href='http://www.oecd.org/internet/consumer/1878940.pdf'>www.oecd.org/internet/consumer/1878940.pdf</a>. .
54. Enfin, compte tenu de la jurisprudence de la Cour que j’ai évoquée plus haut (paragraphes 32 à 34), il est clair qu’il ne saurait être question de sacrifier l’essence même des droits consacrés par la Convention, comme le droit à un tiers indépendant et impartial et le droit au règlement d’un litige dans un délai raisonnable 
			(61) 
			Susan Schiavetta, <a href='http://www2.warwick.ac.uk/fac/soc/law/elj/jilt/2004_1/schiavetta/'>The
Relationship Between e-ADR and Article 6 of the European Convention
of Human Rights Pursuant to the Case Law of the European Court of
Human Rights</a>, Journal of Information,
Law and Technology 1, 2004. Voir également la <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=220759&Site=CM&BackColorInternet=C3C3C3&BackColorIntranet=EDB021&BackColorLogged=F5D383'>Recommandation
Rec(2001)9</a> du Comité des Ministres, qui précise que «les modes
alternatifs doivent se conformer aux principes d'égalité, d'impartialité
et respecter les droits des parties».. Mais le niveau de garantie des procédures de règlement extrajudiciaire en ligne des litiges variera en fonction des spécificités de chaque système de RLL. Les différents niveaux de garantie procédurale du processus de REL/RLL doivent être fixés par l’Etat, qui doit également veiller à l’existence de garanties procédurales minimales.
55. En dehors de ces risques, il existe des obstacles pratiques à l’extension de l’utilisation des procédures de RLL, à commencer par le fait que leurs utilisateurs potentiels ne connaissent pas les avantages du RLL et n’ont pas confiance en ce système. Les universitaires et les experts auditionnés par notre commission ont souligné le rôle déterminant que les pouvoirs publics peuvent jouer, en diffusant les informations relatives au RLL et en encourageant leurs utilisateurs potentiels à avoir confiance en ce processus. Les pouvoirs publics peuvent, et je les encourage à le faire, agréer les mécanismes de RLL et surveiller constamment leur conformité aux normes européennes de respect de procédure équitable, de transparence, d’équité, d’impartialité et de cohérence. Ils peuvent établir des bureaux centraux, comme c’est le cas du système de l’Union européenne présenté plus haut, et prévoir des procédures d’appel en ligne 
			(62) 
			Thomas Schultz, <a href='http://www.mediate.com/Integrating/docs/Schultz.pdf'>An
Essay on the Role of Government for ODR: Theoretical Considerations
about the Future of ODR,</a> voir plus haut note 58, p. 3-5.. Le Conseil de l’Europe peut quant à lui contribuer à promouvoir le RLL en poursuivant son bilan des procédures de RLL utilisées par les Etats membres, afin de veiller à ce que les procédures et la pratique favorisent l’efficacité de la justice, tout en continuant à protéger les droits des usagers.
56. Les besoins en traduction représentent une autre entrave possible au développement du RLL. L’aide à la traduction doit être une composante incontournable des systèmes de RLL qui visent à régler les litiges transfrontières. Le portail de RLL de l’Union européenne met fortement l’accent sur la traduction, en proposant des formulaires de plainte dans toutes les langues officielles de l’Union européenne, en traduisant le formulaire de plainte dans la langue de la partie défenderesse et en traduisant les informations nécessaires au règlement du litige. Le système mis en place par l’Union européenne a cependant une limite: bien que le portail soit disponible dans toutes les langues de l’Union européenne, le processus de règlement du litige proprement dit se déroule dans la langue choisie par le prestataire de REL 
			(63) 
			Pablo Cortes et Arno
R. Lodder, <a href='http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2414098'>Dispute
Resolution Goes Online: Reflections on the Evolution of European
Law for Out-of-Court Redress</a>, voir plus haut note 20, p. 34-36.. Le fait de développer encore et de mettre davantage l’accent sur la médiation multilingue peut faciliter la création d’un processus de communication plus en douceur et plus confortable entre les médiateurs et les parties au litige 
			(64) 
			La
demande en médiateurs multilingues augmente et, à long terme, les
médiateurs devraient passer d'une simple connaissance de la langue
à une compréhension plus approfondie de la culture et des traditions
des parties. Orna Rabinovich-Einy, <a href='http://www.vjolt.net/vol7/issue2/v7i2_a04-Rabinovitch-Einy.pdf'>Going
Public: Diminishing Privacy in Dispute Resolution in the Internet
Age,</a> voir plus haut note 13, paragraphe 107.. J’invite les Etats membres à redoubler d’efforts en la matière.

2.2.8. Quelques remarques en guise de conclusion sur le RLL

57. Les procédures de règlement en ligne des litiges s’accompagnent de considérations complexes sur le plan du droit et des droits de l’homme. A cet égard, certains types de litiges se prêtent bien au RLL, tandis que pour d’autres le recours aux modes de règlement en ligne peut être inapproprié parce que, par exemple, ils risquent de créer, de perpétuer, voire d’accentuer une inégalité des armes.
58. Le traitement des litiges par les systèmes de RLL qui existent déjà permet de déterminer les types de litiges qui se prêtent habituellement bien au RLL; parmi ceux-ci pourraient figurer la litiges commerciaux entre acheteurs et vendeurs, les litiges portant sur des créances ou des dommages-intérêts lorsque la responsabilité de la partie concernée n’est pas contestée, la restitution d’un bien personnel, l’exécution spécifique d’un accord portant sur une prestation de service ou un bien personnel, les litiges entre propriétaires et locataires et certaines affaires de droit de la famille dans lesquelles les membres d’une famille sont séparés par d’importantes distances géographiques.
59. En revanche, le règlement en ligne des litiges peut s’avérer un dans un certain nombre de cas. Il convient ici d’établir une distinction entre, d’une part, les litiges adaptés à un REL en présence des parties, mais pas au RLL, et, d’autre part, les litiges généralement inadaptés au REL. Pour la première catégorie, si l’on prend le dernier exemple cité ci-dessus, on pourrait dire que la médiation hors ligne devrait être préférée à la procédure devant un tribunal dans les litiges qui portent sur la garde des enfants, car elle permet de préserver les relations existantes. L’engagement d’une procédure en ligne risquerait de dépersonnaliser à l’excès des questions très personnelles et de compromettre l’objectif même du règlement extrajudiciaire. Par ailleurs, la plupart des affaires pénales, notamment celles qui donnent lieu à une grande quantité de preuves matérielles, se prêtent mal un règlement en ligne du litige. Un exemple du deuxième cas concerne l’article 48.1 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE n° 210), qui interdit les processus obligatoires de règlement extrajudiciaire des litiges dans les affaires de violence domestique. J’approuve pleinement l’approche retenue par la convention et l’évaluation de cette dernière par M. Badea dans le rapport précité. Un règlement dépourvu de procédure contradictoire n’est pas adapté aux cas d’actes allégués de violence.
60. Plus généralement, je partage le point de vue des trois experts qui ont témoigné devant la commission: il importe que le RLL ne soit pas obligatoire 
			(65) 
			M.
Lodder soutenait que l'emploi obligatoire du RLL posait problème
et que les justiciables devaient avoir la possibilité de saisir
un tribunal; M. Ross ne jugeait pas nécessaire de rendre obligatoire
le recours au RLL et Mme Havlova affirmait que l'utilisation obligatoire
du RLL était aussi impossible qu'improbable. . Il devrait au contraire avoir un caractère volontaire et être utilisé dans les situations où il présente le plus d’avantages.
61. J’ajouterais qu’il devrait toujours être possible de soumettre l’issue d’un RLL à un contrôle juridictionnel. Le fait de compléter les mécanismes de RLL par des garanties procédurales qui permettent l’exercice d’un contrôle juridictionnel par une instance capable, d’une part, d’examiner aussi bien les éléments de fait et les points de droits qui ont présidé à la décision de RLL et, d’autre part, d’annuler cette dernière lorsqu’elle n’est pas conforme aux normes minimales qui garantissent le respect de la légalité permettrait non seulement de favoriser la confiance des citoyens dans le règlement extrajudiciaire, mais encore de préserver la garantie de procès équitable consacrée par la Convention 
			(66) 
			Sur la possibilité
de faire appel devant un tribunal, voir également Lorna McGregor, Alternative Dispute Resolution and Human Rights:
Developing a Rights-Based Approach through the ECHR,
note 36 plus haut. L'auteur souligne également que le tribunal peut
déclarer une demande recevable lorsqu'il fait suite à un accord
de règlement obtenu par une médiation électronique ou un arbitrage
électronique non contraignant; ibid..
62. On peut également conclure que le RLL, s’il peut aider de nombreuses personnes à régler leur litige, n’est certainement pas la panacée. Il est vrai que son coût, inférieur à celui du contentieux classique, est un avantage. Mais la promotion de modes alternatifs de règlement des litiges, que ce soit en ligne ou hors ligne, ne saurait être le seul moyen de remédier aux obstacles d’ordre économique qui entravent l’accès aux tribunaux. Le système judiciaire devrait être lui-même plus efficace (et économique). Cela m’amène au dernier point du rapport, à savoir l’intégration des technologies de l'information et des communications (TIC) en salle d’audience, qui pourrait contribuer à rendre les tribunaux classiques plus accessibles.

2.3. L’intégration des technologies de l'information et des communications en salle d’audience

2.3.1. L’utilisation des TIC dans la procédure judiciaire

63. L’intégration des TIC dans la procédure judiciaire n’est pas une nouveauté pour le Conseil de l’Europe. Dans sa Résolution 2054 (2015) sur l’égalité et la non-discrimination dans l’accès à la justice, l’Assemblée invite les Etats membres «à promouvoir et à améliorer les connaissances juridiques en recherchant et en mettant en œuvre des mécanismes d’information spécifiques et des stratégies de communication innovantes» (paragraphe 4.1). La CEPEJ, dans ses Lignes directrices révisées relatives à la création de cartes judiciaires visant à faciliter l’accès à la justice dans un système judiciaire de qualité de 2013, et le CCJE, dans son Avis n° 14, «Justice et technologies de l’information (TI)», préconisent le recours accru aux TIC dans les tribunaux. Alors que la première examine si les TIC peuvent atténuer les effets négatifs de la récente tendance au regroupement des tribunaux (par la fusion des juridictions locales) sur l’accès à la justice, évoquée plus haut, le second étudie le rôle joué par les TIC dans le renforcement des garanties consacrées par l’article 6 de la Convention et conclut que les TIC peuvent améliorer l’accès à la justice et diminuer la durée des procédures judiciaires.
64. Les TIC peuvent être intégrées au système judiciaire de deux manières distinctes. En premier lieu, les tribunaux peuvent utiliser les TIC pour leur communication externe, qui englobe, sans s’y limiter, le recours à la visioconférence pour la déposition des témoins à distance, les procédures sans utilisation de papier et l’enregistrement audio et/ou vidéo des auditions. La visioconférence permet à un témoin de déposer depuis un lieu distant ou secret, ou depuis une pièce adjacente à la salle d’audience, pour éviter qu’il ne se trouve face à l’accusé; cet outil est jugé utile à la protection des témoins 
			(67) 
			Karen Kramer, <a href='http://www.unafei.or.jp/english/pdf/PDF_GG4_Seminar/Fourth_GGSeminar_P3-19.pdf'>Witness
Protection as a Key Tool in Addressing Serious and Organized Crime</a>, document présenté lors du quatrième Séminaire régional
sur la bonne gouvernance des pays de l'Asie du Sud-Est, « Assurer
la protection des témoins et des donneurs d'alerte» (Manille, 6-9
décembre 2010), p. 7. . L’Assemblée s’est félicitée du recours accru à la liaison vidéo pour la déposition des témoins dans sa Résolution 1784 (2011) «La protection des témoins: pierre angulaire de la justice et de la réconciliation dans les Balkans». Les procédures sans utilisation de papier concernent le recours aux citations à comparaître électroniques, à l’engagement électronique d’une action en justice et aux signatures électroniques. Les procédures sans utilisation de papier sont de plus en plus fréquentes au sein des systèmes judiciaires nationaux en Europe. L’Union européenne a également encouragé l’engagement électronique d’une action en justice en établissant récemment la Procédure européenne de règlement des petits litiges, une procédure écrite prévue pour le règlement des litiges transfrontières d’un montant inférieur à 2 000 euros devant les juridictions nationales. La procédure permet à la partie demanderesse de transférer en ligne les informations et les éléments de preuve au tribunal dans les limites autorisées par l’Etat membre compétent pour connaître de la demande. Mais, pour le moment, seuls quelques pays cherchent à promouvoir l’engagement électronique d’une action en justice et le dépôt électronique des conclusions; la plupart des Etats membres continuent à exiger l’envoi des documents par courrier.
65. Le deuxième mode d'utilisation des TIC, à savoir pour la communication interne des tribunaux, comporte notamment l’incorporation des systèmes de gestion automatisée des affaires, des bases de données électroniques de jurisprudence et des systèmes d’aide au choix des peines. Les systèmes de gestion automatisée des affaires permettent au personnel des tribunaux de fixer la date des audiences, d’attribuer les affaires à un juge et d’exercer d’autres fonctions par voie électronique, en effectuant ces tâches plus rapidement qu’avec la gestion des affaires en format papier. Les bases de données électroniques de jurisprudence aident les juges et (le cas échéant) les juristes qui les assistent à effectuer des recherches dans la jurisprudence. Les systèmes d’aide au choix des peines offrent aux juges chargés de déterminer les peines le moyen de consulter facilement les informations relatives au choix des peines dans des affaires similaires, sans pour autant restreindre le pouvoir d’appréciation judiciaire des magistrats 
			(68) 
			Voir, par exemple,
Marco Velicogna, <a href='http://www.utrechtlawreview.org/index.php/ulr/article/view/URN:NBN:NL:UI:10-1-101060'>Justice
systems and ICT: What can be learned from Europe?</a>, 3(1) Utrecht Law Review (2007),
p. 137., en vue de renforcer la cohérence de la pratique des différents tribunaux et de favoriser ainsi l’égalité de traitement et la sécurité juridique.

2.3.2. Tirer le meilleur parti des TIC dans la procédure judiciaire

66. Les exemples ci-dessus laissent penser que l’incorporation des TIC dans les systèmes judiciaires peuvent permettre aux justiciables de mieux connaître leurs droits et la procédure judiciaire. En dehors du fait qu’elles simplifient l’accès au système judiciaire et aux informations sur l’état d’avancement des procédures en cours, les TIC offrent également la possibilité d’améliorer la communication entre les tribunaux et les justiciables. Les systèmes de gestion automatisée des affaires, par exemple, permettraient d’accélérer la procédure judiciaire. Les technologies telles que les bases de données électroniques de jurisprudence et les systèmes d’aide au choix des peines peuvent, quant à eux, contribuer à rendre l’issue des procédures plus juste, plus égalitaire et plus prévisible.
67. Mais l’utilisation des TIC se heurte à certains obstacles. Les contraintes budgétaires de nombreux pays entravent l’intégration des TIC dans le système judiciaire. A court terme, la mise en place de ces technologies et la formation du personnel des tribunaux à leur utilisation exigent en effet d’importants investissements 
			(69) 
			Conseil consultatif
de juges européens, Conseil de l'Europe, <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CCJE(2011)2&Language=lanFrench&Ver=original&Site=COE&BackColorInternet=DBDCF2&BackColorIntranet=FDC864&BackColorLogged=FDC864'>Avis
n° 14</a>, 9 novembre 2011, CCJE(2011)2 Final, paragraphe 9.. Il est difficile d’avoir des chiffres précis sur, d’une part, le coût de l’utilisation de la technologie dans les salles d’audience et, d’autre part, les économies qu’elle permet; les pouvoirs publics devraient continuer à suivre l’évolution technologique, afin de déterminer les modes les plus économiques et les plus efficaces de numérisation des procès, tout en veillant à ce qu’aucune atteinte ne soit portée aux garanties de la procédure. Le risque de diminution à court terme de la productivité après la mise en place des TIC souligne l'importance de l'étalement dans le temps des nouvelles technologies. Il importe que les tribunaux soient conscients de la courbe d'apprentissage qui accompagne l'intégration des nouvelles technologies, notamment si la baisse d'efficacité à court terme peut limiter les futurs investissements dans les TIC. Le système de gestion informatique de pointe des affaires de la Cour européenne des droits de l’homme pourrait servir d’exemple pour l’administration de la justice dans les Etats membres.
68. Un autre facteur qui entrave une plus large utilisation des TIC dans les procédures judiciaires est le caractère préjudiciable qu’elles pourraient avoir pour les parties qui n’ont pas l’habitude de recourir aux technologies de l’information. Comme nous l’avons indiqué plus haut, de nombreuses personnes n’ont toujours pas accès à internet. Il peut donc s’avérer indispensable pendant quelque temps de conserver les moyens de communication classiques avec les tribunaux, tout en proposant, sans les imposer, des procédures sans utilisation de papier 
			(70) 
			Ibid., paragraphe 9..
69. Pour qu’elle soit un succès, l’utilisation des TIC exige la participation active et le soutien des juges. A mesure que les TIC seront plus intégrées dans le système judiciaire, les juges auront probablement un rôle important à jouer dans le recensement et la limitation des risques que les TIC pourraient présenter pour les droits procéduraux des parties 
			(71) 
			Ibid., paragraphe 7.. L’Avis n° 14 du CCJE souligne l’action positive que peuvent avoir les juges en limitant le préjudice que pourrait causer aux parties l’intégration des TIC et en satisfaisant aux besoins actuels du système judiciaire. Je considère que les concepteurs des technologies devraient s’appliquer à mieux comprendre le système judiciaire et à collaborer avec les juges et le personnel des tribunaux pour veiller à ce que l’architecture des TIC réponde aux besoins aussi bien des tribunaux que des justiciables.
70. La transparence et l’efficacité obtenue grâce à l’intégration des TIC s’accompagne également d’un certain nombre de risques pour la confidentialité et la sécurité des données. La violation des systèmes de sécurité pourrait entraîner la falsification de documents ou la divulgation d’informations confidentielles (ce qui ne représenterait que deux des problèmes liés à la recevabilité des preuves électroniques). Au vu de ces éléments, les tribunaux doivent réfléchir à des mécanismes permettant d’améliorer la sécurité des données et aux possibilités d’établir des procédures sans utilisation de papier à un niveau de sécurité équivalent à celui des procédures classiques en format papier, en tenant compte notamment de la Convention pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (STE n° 108). Il importe que les tribunaux envisagent un recours au cryptage des dossiers qui ne sont pas publics, comme nous l’avons indiqué plus haut au sujet du RLL.
71. La déposition des témoins par visioconférence illustre les risques et les possibilités associés aux TIC. L’utilisation croissante de la visioconférence peut atténuer les obstacles à la participation aux procès, en particulier pour les personnes dont le handicap restreint la mobilité, autrement dit leur accès physique à la salle d’audience, ou leur capacité à communiquer en personne 
			(72) 
			A ce propos, voir également
Frank Fowlie, Colin Rule et David Bilinsky, Online
Dispute Resolution: The Future of ADR, <a href=''>note
54 ci-dessus</a>, p. 54., les personnes qui résident dans des zones reculées et les témoins qui prennent part à certains procès sensibles. La visioconférence peut accroître les possibilités d’audition des témoins concernés dans les affaires transfrontières. Elle permet au juge, à l’avocat, au prévenu, au ministère public et aux autres personnes présentes en salle d’audience d’entendre et de voir le témoin au moyen d’une transmission en temps réel. Le lieu où se trouve le témoin peut être protégé par cryptage 
			(73) 
			Karen Kramer, <a href='http://www.unafei.or.jp/english/pdf/PDF_GG4_Seminar/Fourth_GGSeminar_P3-19.pdf'>Witness
Protection as a Key Tool in Addressing Serious and Organized Crime</a>, <a href=''>voir plus haut note 68</a>, p. 7. .
72. Les juridictions nationales ont déjà commencé à utiliser la visioconférence pour certaines catégories de témoins 
			(74) 
			Réseau européen des
Conseils de la Justice, <a href='http://www.encj.eu/images/stories/pdf/GA/Dublin/encj_report_judicial_reform_def.pdf'>Judicial
Reform in Europe: Report 2011-2012</a>, 2012, p. 13.. Bien qu’un certain nombre de pays autorisent la visioconférence des témoins qui doivent effectuer des déplacements d’une distance considérable à l’intérieur d’un pays, le recours à cette technologie se limite d’ordinaire aux témoins vulnérables (comme les enfants), aux témoins anonymes (sous protection) et aux témoins domiciliés à l’étranger. Le recours à la visioconférence est rare pour les témoins qui n’appartiennent pas à l’une de ces catégories limitées. A l’échelon international, la Cour pénale internationale et le Tribunal pénal international pour le Rwanda font de plus en plus appel à la visioconférence 
			(75) 
			Office des Nations
Unies contre la drogue et le crime, <a href='https://www.unodc.org/documents/treaties/organized_crime/COP5/CTOC_COP_2010_CRP_8/CTOC_COP_2010_CRP8.pdf'>Expert
Group Meeting on the Technical and Legal Obstacles to the Use of
Videoconferencing: Report of the Secretariat</a>, CTOC/COP/2010/CRP.8, 20 octobre 2010..
73. Je suis toutefois conscient que l’intérêt de la visioconférence présente une limite de taille: l’impossibilité d’organiser un interrogatoire face à face. Bien que la technologie vidéo offre une transmission de grande qualité et ne cesse de s’améliorer, elle peut entraîner la perte de certains aspects essentiels de l’interrogatoire face à face, comme le langage corporel. De plus, les transmissions peuvent être interceptées et l’identité du témoin ou le lieu dans lequel il se trouve peuvent être divulgués. Enfin, certains types de preuves que le témoin est parfois amené à identifier au cours de sa déposition peuvent être difficiles à authentifier par visioconférence 
			(76) 
			Ibid..
74. Compte tenu de ces éléments, il importe que les tribunaux qui recourent à la visioconférence continuent d’examiner comment atténuer ces défauts, par exemple en recherchant des avancées technologiques qui améliorent la qualité de la visioconférence et en cryptant les signaux vidéo pour les protéger contre toute interception. Les avocats, les juges et le personnel des tribunaux devraient également se familiariser avec les différences que présentent habituellement une déposition faite en personne par un témoin et une déposition par visioconférence, afin de savoir comment ces différences peuvent avoir certaines conséquences sur une déposition faite par visioconférence. Les personnes qui témoignent par visioconférence ont par exemple tendance à regarder l’écran pour voir leur interlocuteur au lieu de regarder la caméra, ce qui a pour effet de supprimer le contact visuel direct avec les personnes qui se trouvent en salle d’audience 
			(77) 
			Voir notamment Eric
T. Bellone, <a href='http://www.jiclt.com/index.php/jiclt/article/view/176/173'>Private
Attorney-Client Communications and the Effect of Videoconferencing
in the Courtroom</a>, 8(1) Journal of International Commercial Law and
Technology 24 (2013), p. 30-31.. Le fait de comprendre cet élément et les autres différences propres à cette situation peut aider les avocats, les juges et le personnel des tribunaux à modifier ce qu’ils attendent d’un témoignage déposé par visioconférence, par rapport à une déposition faite en personne par le témoin.
75. Cela vaut également pour les autres technologies de l’information et des communications employées dans les procès: si elles sont utilisées convenablement et si tous les acteurs concernés s’entendent pour surmonter les difficultés auxquelles se heurtent leur introduction et leur utilisation, les TIC peuvent rendre les procès plus prévisibles et plus économiques en temps et en argent.

3. Conclusions

76. J’aimerais conclure en indiquant que le RLL et les TIC, s’ils ne sont en aucun cas la panacée, peuvent permettre d’accroître l’accès au système judiciaire en offrant des solutions aux problèmes du manque d’efficacité de la justice, des coûts élevés des litiges et des obstacles géographiques. Le RLL et les TIC présentent cependant quelques inconvénients et il importe que les Etats membres continuent à investir dans l’élaboration de RLL et de TIC plus sûrs, plus efficaces et plus accessibles.
77. Il convient que l’Assemblée et ses membres prennent conscience et usent du rôle capital qui est le leur pour encourager l’élaboration des procédures de RLL et de TIC au sein du Conseil de l’Europe et de ses Etats membres. Le Conseil de l’Europe et ses Etats membres devraient poursuivre leur évaluation des bénéfices et des risques éventuels du RLL et des TIC sur le plan de l’accès à la justice, sans perdre de vue l’évolution des technologies et leur utilisation dans les procédures de RLL et les procès.