1. Introduction
1. Les crimes de haine sont encore
aujourd’hui source de crainte dans les communautés juives, et il semble
que le consensus d’après-guerre visant à éradiquer l’antisémitisme
en Europe faiblisse dangereusement. D’après Dieter Graumann, Président
du Conseil central des juifs d’Allemagne, «on n’a pas vu pire période
depuis les Nazis», sachant que la flambée de haine contre les juifs
n’est pas un phénomène qui s’observe uniquement en Allemagne. M.
Boriss Cilevičs décrit bien cette situation dans son rapport approfondi,
qui recueille toute une variété d’exemples de manifestations d’antisémitisme
provenant de plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe.
2. Ces attaques fréquentes amènent également à s’inquiéter de
l’évolution de la perception en Europe de la haine et de l’intolérance
à l’encontre des juifs, y compris chez des personnalités politiques
et leaders d’opinion. Je suis d’avis que nous avons le devoir, en
notre qualité d’élus, de nous demander si notre société ne serait
pas en train de glisser subtilement vers une situation où les remarques
ou comportements hostiles aux juifs sont plus acceptables de nos
jours qu’ils ne l’étaient après la seconde guerre mondiale.
3. Comme l’a justement souligné Mme Marietta de Pourbaix-Lundin
dans son rapport bien documenté sur le thème Faire barrage aux manifestations
de néonazisme et d’extrémisme de droite, qui a conduit à l’adoption de
la Résolution 2011 (2014) et de la Recommandation 2052 (2014), «il
faut une solidarité sans équivoque avec les victimes de l’antisémitisme,
qui ne doit pas s’accompagner d’une quelconque marque de compréhension
à l’égard des auteurs de tels faits. J’ajouterais que ceci est d’autant
plus pertinent en période d’escalade de tension au Moyen-Orient,
comme c’est le cas présent». Elle a également ajouté qu’il fallait «œuvrer
à la prise de conscience et à la reconnaissance de l’antisémitisme,
à tous les niveaux et sous toutes ses formes, en tant que problème
social et politique en Europe»
.
4. Dans mon pays, la Roumanie, je m’intéresse et participe activement
à la lutte contre l’antisémitisme, le racisme et toute autre forme
d’intolérance. La Roumanie a pris des mesures énergiques ces dernières
années pour combattre l’antisémitisme et la négation de l’Holocauste.
De plus, l’application de la législation en vigueur relative aux
crimes antisémites relève d’une action conjointe des forces de l’ordre,
placées sous la direction des ministères de l’Intérieur et de la
Justice, et du Conseil national de lutte contre la discrimination,
placé sous la houlette du parlement roumain.
5. Du 13 au 15 mars 2016, j’ai assisté, aux côtés de M. Cilevičs,
rapporteur de la commission sur l’égalité et la non-discrimination,
à la Troisième Conférence interparlementaire sur la lutte contre
l’antisémitisme, organisée à Berlin par le gouvernement et le parlement
allemands en coopération avec la Coalition interparlementaire de
lutte contre l’antisémitisme (ICCA). Le rapport principal ayant
été adopté par la commission sur l’égalité et la non-discrimination
le 11 mars 2016, c’est-à-dire avant la Conférence de Berlin, je
tiens à inclure certains messages de celle-ci dans mon avis, en
complément du rapport principal et du projet de résolution.
6. Le 16 mars 2016, j’ai assisté à la 69e réunion
plénière de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
(ECRI), dont les débats de qualité ont aussi éclairé le présent
avis.
7. J’ai suggéré d’inviter un représentant de la Ligue internationale
contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) à la réunion que la
commission tiendra durant la partie de session d’avril 2016, à Strasbourg,
pour donner aux membres de la commission des informations à jour
sur la situation en Europe. A cette occasion, la commission fera
le bilan de la campagne de jeunesse «Mouvement contre le discours
de haine», prolongée jusque fin 2017 dans le cadre du plan d’action
du Conseil de l’Europe sur la lutte contre l’extrémisme violent et
la radicalisation conduisant au terrorisme.
2. Troisième Conférence
interparlementaire sur la lutte contre l’antisémitisme (13-16 mars
2016)
8. Plus d’une centaine de parlementaires
originaires d’une quarantaine de pays se sont rassemblés à Berlin
pour traiter de sujets tels que le discours de haine sur internet,
les relations communautaires, l’antisémitisme dans le sport et l’action
menée face à l’antisémitisme au plan juridique et au niveau parlementaire
et gouvernemental.
9. La Troisième Conférence s’appuie sur le succès des deux précédentes,
qui ont eu lieu respectivement à Londres en 2009 et à Ottawa en
2010. Une équipe internationale spécialisée dans le discours de
haine sur internet et composée notamment de représentants de grands
opérateurs d’internet, a été créée à la suite de la Conférence de
2010. Cette équipe a publié un rapport et produit une déclaration
de principes ambitieux soutenue par les acteurs concernés du secteur,
pouvant servir de cadre à ces derniers pour lutter contre la diffusion
de propos haineux en ligne.
10. Au nombre des intervenants à la Conférence figuraient la Chancelière
allemande Angela Merkel et le ministre des Affaires étrangères Frank-Walter
Steinmeier, ainsi que Norbert Lammert, Président du Bundestag, Irina
Bokova, directrice générale de l’UNESCO, Frans Timmermans, commissaire
européen, Michael Gove, ministre de la Justice du Royaume-Uni, Michael
Keenan, ministre de la Justice de l’Australie, et Harlem Désir,
secrétaire d’Etat aux Affaires européennes de la France.
11. La chancelière Angela Merkel, en particulier, a souligné que
le «Plus jamais !» que l’on entend si fréquemment doit être suivi
d’actions. Elle a observé que, bien trop souvent, la haine contre
les juifs et la haine contre l’Etat d’Israël se rejoignaient pour
former une alliance redoutable. La chancelière s’est penchée également
sur le discours de haine en ligne et sur l’antisémitisme dans le
sport et chez les migrants.
12. A cet égard, je tiens à clarifier que, si je conviens que
la «haine» de l’Etat d’Israël peut être considérée comme étant synonyme
d’antisémitisme
, le simple fait
de critiquer Israël et ses politiques, à mon sens, ne peut pas l’être.
13. M. Norbert Lammert, Président du Bundestag allemand, a évoqué
en particulier l’intégration des réfugiés dans la société allemande,
soulignant que toute personne qui intègre l’Allemagne doit aussi
intégrer ses «lois fondamentales» – ce qui signifie que l’intégration
ne vaut pas pour les antisémites. Cette attitude devrait éclairer,
selon moi, toute politique de migration et d’intégration que ce
soit au niveau de l’Union européenne ou au niveau national. Nous
devons préciser clairement que toute forme de préjugé, d’intolérance et
de racisme et tout sentiment antisémite ou antimusulman nuisent
à l’intégration d’immigrés en Europe. La dimension des migrations
ne devrait pas être négligée dans le débat sur l’antisémitisme;
je propose par conséquent d’apporter l’amendement D au projet de
résolution pour traduire cette préoccupation.
14. Mme Irina Bokova, directrice générale de l’UNESCO, a attiré
l’attention sur l’importance des travaux de son organisation dans
la promotion de l’éducation à la citoyenneté mondiale, comme outils
de prévention de l’extrémisme violent, et sur l’action qu’elle mène
en faveur de la maîtrise des médias et de l’information et pour aider
les jeunes à lutter contre la radicalisation par internet. Mme Bokova
a mis l’accent également sur les travaux de l’UNESCO visant à améliorer
l’enseignement sur l’Holocauste.
15. Je suis entièrement d’accord avec la déclaration de M. Frans
Timmermans, commissaire européen, selon laquelle «Nous voyons l'antisémitisme
séculaire de l'extrême droite ; nous voyons l'antisémitisme qui
se cache souvent derrière l'antisionisme de l'extrême gauche du
spectre politique et parfois, malheureusement, même parmi des mouvements
antiracisme ; et nous voyons l’antisémitisme fatal de l’extrémisme
religieux, en particulier celui des islamistes. Mais comme nous
l’avons vu avec les attaques terroristes qui ont frappé Paris en
novembre dernier, ça commence toujours avec les juifs mais ça ne
s’arrête jamais là». M. Timmermans a souligné en outre que le droit
pénal sanctionnant les manifestations graves de racisme et de xénophobie
n’est toujours pas appliqué partout en Europe. Enfin, il a attiré
l’attention sur le fait que seulement 13 Etats membres de l’Union
européenne sur 28 ont érigé en infraction pénale la négation de
l’Holocauste
.
16. Enfin, j’ai noté que la Coalition interparlementaire de lutte
contre l'antisémitisme, qui a accueilli la Conférence, avait été
cofondée par le député John Mann, Président du groupe parlementaire
britannique interpartis contre l’antisémitisme. Chaque parlement
devrait s’inspirer de cette pratique exemplaire et constituer son
propre groupe interpartis de lutte contre l’antisémitisme pour renforcer
l’action en la matière dans tout le spectre politique et permettre
aux décideurs de s’élever au-dessus de tout clivage idéologique.
3. Promouvoir le
dialogue entre responsables politiques et responsables religieux
17. Le 21 mars 2016, à l’occasion
de la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination
raciale, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
(ECRI) a publié des lignes directrices à l’intention des 47 Etats
membres du Conseil de l’Europe sur la façon de prévenir le discours
de haine, de soutenir les personnes qui en sont la cible et de faire
face à ses conséquences
. M. Christian Ahlund, président de
l’ECRI, a insisté en outre sur l’importance du contre-discours dans
la lutte contre les idées fausses et la désinformation, qui forment
la base du discours de haine. Les responsables politiques, religieux
et communautaires doivent non seulement éviter d’utiliser le discours
de haine mais aussi le dénoncer activement dans leurs déclarations
publiques.
18. Cela vaut particulièrement dans le cas des préjugés et de
la discrimination profondément ancrés. Il me semble que le rôle
des responsables politiques et religieux dans la promotion d’un
contre-discours fondé sur la tolérance, le respect et la compréhension
mutuelle, y compris par le dialogue interreligieux, devrait être encouragé
et souligné davantage dans le projet de résolution.
19. Les gouvernements et les parlements devraient prendre part
à des consultations avec des responsables religieux de confessions
et de croyances spirituelles et humanistes différentes afin de comprendre
les causes profondes de l’antisémitisme et de promouvoir un contre-discours
basé sur la tolérance, le respect et la compréhension mutuelle.
4. L’importance
de perpétuer la mémoire de l’Holocauste
20. L’Holocauste est considéré
comme un paradigme de l’ensemble des violations des droits de l’homme
et des crimes contre l’humanité. Toutes les victimes du régime nazi
sont prises en considération – juifs, Roms, résistants, personnes
politiques, homosexuels, témoins de Jéhovah, personnes handicapées.
21. Le Conseil de l’Europe est à l’origine de la Journée de la
mémoire de l’Holocauste et de prévention des crimes contre l’humanité.
Les ministres de l’Education des Etats membres ont pris cette décision
en octobre 2002. Si l’Allemagne, la France et quelques autres pays
ont opté pour la date du 27 janvier, jour de la libération d’Auschwitz,
d’autres pays ont retenu des dates différentes, selon l’expérience
historique propre à chacun. Par exemple, la Roumanie a choisi le
9 octobre, date de lancement d’une terrible campagne de persécution
à l’encontre des juifs roumains en 1941.
22. Par ailleurs, le Conseil de l’Europe aide les enseignants
à préparer cette journée du Souvenir de l’Holocauste, en mettant
à leur disposition du matériel pédagogique pour sensibiliser les
élèves à cette période sombre de l’Histoire et leur faire étudier
les thématiques du génocide et des crimes contre l’humanité. L’objectif est
de favoriser la prévention, la compréhension, la tolérance et l’amitié
entre les nations, les races et les religions.
23. L’année 2016 est aussi celle de la présidence roumaine de
l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (AIMH),
organisme intergouvernemental dont le but est d’obtenir le soutien
des dirigeants politiques et sociaux à l’égard de la nécessité de
la recherche, de la mémoire et de l’enseignement de l’Holocauste,
tant au niveau national qu'international. En février 2010, l’ambassadeur
Tom Vraalsen, président de l’AIMH sous la présidence de la Norvège,
et Thorbjørn Jagland, Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, ont
signé un protocole d’accord entre l’AIMH et le Conseil de l’Europe.
La présidence roumaine accueillera deux réunions plénières de l’AIMH
cette année, l’une à Bucarest, en mai, l’autre à Iași, en novembre.
24. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient être encouragés
à soutenir et à promouvoir la Journée dédiée à la mémoire des victimes
de l’Holocauste, sachant que les parlementaires peuvent jouer un rôle
majeur en montrant l’exemple.
5. Explications
détaillées des amendements
Amendement A
Comme souligné dans la Résolution 1510 (2006) sur la liberté
d’expression et le respect des croyances religieuses: «L’Assemblée
est d’avis que la liberté d’expression, telle qu’elle est protégée
par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme,
ne doit pas être davantage restreinte pour répondre à la sensibilité
croissante de certains groupes religieux. Dans le même temps, l’Assemblée
rappelle fermement que les discours incitant à la haine à l’encontre
de quelque groupe religieux que ce soit ne sont pas compatibles avec
les droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention européenne
des droits de l’homme et la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme».
Amendement B
Après la publication du rapport de monitoring de l’ECRI sur
la Roumanie le 3 juin 2014, les autorités roumaines ont donné suite
à la recommandation de l’ECRI de mettre en place un système complet
de collecte des données permettant d’évaluer l’ampleur de la discrimination
directe et indirecte des différents groupes minoritaires présents
en Roumanie dans les divers domaines de la vie. La recommandation
s’applique à tous les Etats membres du Conseil de l’Europe ; en
outre, l’amendement entend clarifier la recommandation contenue
au paragraphe 7.2.3.
Amendement C
Cet amendement souligne l’importance du dialogue entre responsables
politiques et responsables religieux de confessions et de croyances
spirituelles et humanistes différentes. Les gouvernements et les
parlements devraient prendre part à des consultations avec des représentants
des communautés religieuses pour parvenir à une meilleure compréhension
de ces confessions et pour discuter ouvertement dans une optique
de prévention de l’antisémitisme et de toute forme d’intolérance,
et de lutte contre ce type de comportements.
Amendement D
Les campagnes de sensibilisation qui favorisent le respect
et les conditions d’un vivre ensemble harmonieux devraient être
prises en compte également dans le cadre des programmes d’intégration
destinés aux immigrés et aux réfugiés, qui doivent aussi intégrer
des normes et valeurs européennes. Il convient de clarifier que
toute forme de préjugé, d’intolérance et de racisme et tout sentiment
antimusulman, xénophobe ou antisémite nuisent à l’intégration des
immigrés en Europe.
Amendement E
Voir le chapitre 4 de l’exposé des motifs sur l’«Importance
de perpétuer la mémoire de l’Holocauste».
Amendement F
La création de groupes parlementaires interpartis de lutte
contre l’antisémitisme dans tous les Etats membres du Conseil de
l’Europe est une pratique exemplaire qui, en plus de renforcer l’action
menée contre l’antisémitisme dans tout le spectre politique, permettrait
aux décideurs de s’élever au-dessus de tout clivage idéologique.