1. Introduction
1. Le 22 mars 2016, 32 innocents
ont été tués et près de 340 personnes blessées lors des violents attentats
terroristes de l’aéroport de Zaventem et la station de métro Maelbeek
à Bruxelles, revendiqués par le groupe terroriste «Etat islamique»
(Daech). Le Premier ministre belge, Charles Michel, a qualifié les
attaques de «moment noir» pour le pays et appelé ses concitoyens
à faire face à cette épreuve en étant unis. Le Gouvernement belge
a décrété trois jours de deuil national.
2. Daech dispose d’une structure consacrée aux opérations extérieures,
principalement en Syrie et en Irak, qui s’emploie ces dernières
années à planifier et commettre des attentats meurtriers dans le
monde entier. Les attaques perpétrées à Bruxelles font suite à une
vague d’attentats effroyable qui frappe l’Europe depuis janvier 2015.
En janvier 2015, des hommes armés ont tué 17 personnes dans les
locaux du magazine Charlie Hebdo et
dans un supermarché juif à Paris; le 14 janvier, une cellule terroriste
active a été éliminée à Verviers (Belgique); en février de la même
année, deux personnes sont abattues dans une synagogue et un café
de Copenhague; en août, un attentat visant le Thalys, un train à
grande vitesse reliant Amsterdam à Paris, a été déjoué; et en novembre,
130 personnes ont trouvé la mort et bien plus encore ont été blessées
dans la série d’attaques concertées commises à Paris.
3. Dans le monde entier, des centaines de personnes sont victimes,
quasi quotidiennement, des djihadistes. Les attentats-suicide ont
ces derniers mois tué des civils en Afghanistan, au Bangladesh,
en Egypte, en Irak, en Côte d’Ivoire, au Koweït, au Liban, au Nigéria,
au Pakistan, en Fédération de Russie, en Arabie saoudite, en Syrie,
en Somalie, en Tunisie et en Turquie. En Afrique, des femmes et
des enfants sont kidnappés et réduits en esclavage.
4. Le présent rapport s’attachera plus particulièrement aux attaques
les plus récentes commises à Bruxelles, en raison des violences
abominables infligées à des innocents au cœur de l’Europe, mais
aussi car, d’après le Centre international d’étude de la radicalisation
et de la violence politique (King’s College, Londres), la Belgique
compte le nombre de combattants étrangers et de terroristes en puissance
le plus élevé d’Europe, par habitant.
5. Au cours des dernières années, l’Assemblée a été amenée à
traiter à de nombreuses reprises de questions liées au terrorisme.
Lors de la partie de session de janvier 2016, l’Assemblée a examiné
les thèmes Combattre le terrorisme international tout en protégeant
les normes et les valeurs du Conseil de l'Europe
(Résolution 2090) et Les combattants étrangers en Syrie et en Irak
(Résolution 2091). Les propositions formulées dans ces résolutions demeurent
tout à fait pertinentes aujourd’hui.
2. Les faits
6. La Belgique est, depuis des
années, aux prises avec des groupes islamistes et quelque 500 de
ses citoyens sont partis combattre pour Daech en Syrie et en Irak.
Plusieurs villes ont abrité des cellules islamistes, les plus actives
étant situées à Bruxelles, en particulier à Molenbeek, l’une des
19 communes de la région de Bruxelles-Capitale où plusieurs des
kamikazes et tireurs qui avaient visé Paris en novembre 2015 avaient vécu.
Le principal suspect, Salah Abdeslam, est rentré en Belgique le
lendemain même des attaques perpétrées à Paris.
7. Plusieurs gouvernements européens, notamment français, ont
déployé en Belgique des policiers et des agents des services de
renseignement en appui de l’enquête qui s’est soldée par l’arrestation
de Salah Abdeslam, à Molenbeek, le 18 mars 2016, quatre jours à
peine avant les attentats terroristes à la bombe de Bruxelles du
22 mars 2016.
8. Salah Abdeslam est parvenu à rester caché pendant plus de
quatre mois avec l’aide d’un solide réseau d’amis criminels.
9. D’après les enquêteurs, la cellule belge de Daech préparait
de nouvelles attaques qu’elle envisageait de commettre à Pâques
2016, initialement en France. Après l’arrestation de Salah Abdeslam,
elle a décidé de changer de cible et choisi Bruxelles.
10. Depuis le jour des attentats, la police a procédé à plusieurs
perquisitions dans Bruxelles. Le 8 avril 2016, Mohamed Abrini, principal
suspect encore en vie des attaques terroristes de novembre 2015
à Paris, est également arrêté. Abrini serait probablement «l’homme
au chapeau» aperçu sur les vidéos avant les explosions dans le hall
de départ de l’aéroport de Bruxelles. Il aurait participé aux attentats
de Paris et de Bruxelles dans le cadre d’un réseau djihadiste qui
a franchi de nombreuses frontières à diverses reprises.
3. Failles de sécurité et appels
en faveur d’un meilleur partage d’informations et de renseignements
11. L’élan de profonde sympathie
et les témoignages de condoléances adressés aux familles des victimes et
au gouvernement belge ainsi qu’aux gouvernements de tous les autres
pays dont des ressortissants ont été tués dans ces attaques, sont
venus du monde entier. Dans le même temps, beaucoup de responsables politiques,
ainsi que des citoyens, ont insisté sur la nécessité d’intensifier
les efforts régionaux et internationaux de lutte contre le terrorisme
et l’extrémisme violent, et de mieux partager les informations et
les renseignements.
12. Plusieurs analystes belges et internationaux ont également
souligné les dysfonctionnements de la Région de Bruxelles-Capitale,
avec ses 19 communes et ses 6 forces de police. Beaucoup ont fait
remarquer le manque criant de coordination, de coopération et de
contrôle politiques qui a mené à la création de nombreuses «zones
de non-droit» interdites aux forces de l’ordre. Des failles dans
le dispositif de sécurité des aéroports belges avaient même été
décelées par les inspecteurs européenne en 2015. Les accusations
selon lesquelles la ministre des transports belge, Mme Jacqueline
Galant, avait ignoré ces rapports, a conduit à sa démission le 15
avril 2016.
13. Le phénomène actuel de radicalisation et l’échec de l’intégration
affectent plusieurs Etats membres du Conseil d l’Europe.
14. Le 6 avril 2016, le Premier ministre belge Charles Michel
a reconnu un échec en matière de sécurité lors des attentats mais
a réfuté l’idée selon laquelle la Belgique serait un «Etat défaillant»
ou devrait revenir sur la décentralisation politique qui, selon
certaines critiques, aurait permis aux extrémistes d’échapper aux recherches
en raison du manque de coordination entre les forces de police.
Il a ajouté que la Belgique avait condamné plus d’une centaine de
personnes pour terrorisme en 2015 et déjoué des attaques d’envergure.
Il a par ailleurs souligné que des radicaux islamistes avaient réussi
à commettre des attentats en France, aux Etats-Unis, en Grande Bretagne,
en Espagne et ailleurs, et que la Belgique avait fait figure de
pionnière en appelant à une meilleure coordination internationale
des services de renseignement, et notamment à la création d’une
agence centrale du renseignement à l’échelle européenne, une sorte
de «CIA européenne». Pour l’heure, les gouvernements partageant
cette idée sont rares, la plupart soutenant un renforcement de la coopération.
15. Le 14 avril 2016, le Parlement européen a adopté à une très
large majorité une directive de l’Union européenne réglementant
l'utilisation dans l'Union européenne des données des dossiers passagers
(PNR) pour la prévention et la détection d'infractions terroristes
et de formes graves de criminalité, ainsi que pour les enquêtes
et les poursuites en la matière. Notre Assemblée a appelé à plusieurs
reprises nos collègues du Parlement européen à accélérer la procédure.
La proposition doit désormais être formellement approuvée par le
Conseil européen et les Etats membres de l’Union européenne disposeront
de deux ans pour la transposer en droit national
.
16. En janvier 2016, le Centre européen de lutte contre le terrorisme
a été créé au sein d’Europol, afin d’améliorer les échanges de renseignements
entre les forces de l’ordre
.
17. Le programme INTERPOL spécialement consacré aux combattants
terroristes étrangers offre également aux pays l’opportunité de
mettre en commun les renseignements concernant la menace liée à
ces combattants
.
18. Les analystes ont aussi mis en lumière le besoin urgent de
mieux fusionner l’action des forces de l’ordre et de renseignement
nationaux avec celle de leurs services de renseignement étranger
et militaire, pour parvenir à une plus forte cohésion au plan interne
et, espérons-le, disposer d’informations plus fiables. Une situation
comme celle que connaît la Belgique, marquée par une coordination
médiocre, doit clairement être améliorée. Un meilleur partage des
renseignements ne présente qu’un intérêt limité en cas de production insuffisante
au plan national de renseignements exploitables
.
19. Au niveau du Conseil de l’Europe, deux initiatives majeures
ont été lancées pour intensifier la coopération dans la lutte contre
le terrorisme: l’élaboration d’un Protocole additionnel à la Convention
du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme pour répondre
au phénomène des combattants terroristes étrangers (STCE no 217),
et l’adoption du Plan d’action sur la lutte contre l’extrémisme
violent et la radicalisation conduisant au terrorisme, à mettre
en œuvre en 2015-2017. Je renvoie au rapport de M. Van der Maelen
pour de plus amples informations
sur ces deux initiatives qui, si elles sont mises en œuvre convenablement,
peuvent au moins contribuer à traiter certaines causes ayant conduit
aux attentats de Bruxelles.
4. Conclusions
20. Les attentats terroristes du
22 mars à Bruxelles ne sont pas les premiers et, malheureusement, certainement
pas les derniers, à frapper l’Europe. On ne saurait tolérer qu’après
chaque nouvelle attaque, les dirigeants des Etats s’empressent de
faire des déclarations solennelles mais se montrent trop souvent
peu disposés à tirer les enseignements et à prendre des mesures
résolues. Les déclarations sont nécessaires pour réaffirmer nos
valeurs mais elles ne sont pas suffisantes pour en assurer la protection
et garantir la sécurité.
21. Tous les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent de toute
urgence tirer les conclusions de la tragique vague d’attaques depuis
janvier 2015, qui est la conséquence de nombreuses failles dans
le fonctionnement des services de police et de sécurité, l’évaluation
de la menace terroriste, les politiques de prévention et d’intégration
et la coopération internationale en matière de lutte contre le terrorisme.
22. Ces problèmes concernent, à des degrés divers, beaucoup d’Etat
membres du Conseil de l’Europe. Nous devons de toute urgence prendre
conscience de l’ampleur de la menace et procéder à une évaluation réaliste
de nos éventuelles failles de sécurité. Nos Etats ont le devoir
de protéger la vie de leurs citoyens et les valeurs fondamentales
de la démocratie. Nos sociétés doivent être prêtes à payer un prix
nettement plus élevé pour la sécurité.
23. Il convient en priorité de prendre une série de mesures, tant
au plan national qu’international, pour remédier aux défaillances
en matière de sécurité, révélées par la tragique vague d’attaques
depuis janvier 2015. Ces mesures devraient garantir une bien meilleure
coopération et un partage d’informations accru entre les diverses
forces de l’ordre et de sécurité, une prévention effective de la
radicalisation et une lutte efficace contre ce fléau, en particulier
en favorisant une éducation inclusive, civique et laïque, une meilleure
intégration des communautés «fermées» dans la société afin d’éliminer
les «zones de non-droit» des villes européennes, et un examen approfondi
des bonnes pratiques mises en œuvre dans les pays ayant une solide
expérience de la lutte contre le terrorisme.
24. Face aux vastes réseaux terroristes internationaux, une réponse
paneuropéenne coordonnée est plus que jamais nécessaire. Le terrorisme
ne respectant aucune frontière, les actions de lutte contre ce fléau doivent
dépasser les limites de l’Europe et associer les pays tiers prêts
à coopérer, notamment dans les régions voisines.