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Rapport | Doc. 14267 | 15 février 2017

Garantir l’accès des détenus à un avocat

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteure : Mme Marietta KARAMANLI, France, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc 13781, Renvoi 4137 du 22 juin 2015. 2017 - Commission permanente de mars

Résumé

Le rapport souligne l’importance de l’accès des détenus à un avocat en tant que garantie des droits de la défense et du droit à un procès équitable. Or, le rapport constate qu’il n’est pas rare que l’accès des détenus à un avocat soit entravé dans les États membres du Conseil de l’Europe.

Le rapport se penche plus en détail sur trois questions d’actualité dans le contexte desquelles l’accès des détenus à un avocat est remis en question, voire impossible. Il s’agit d’une part de la lutte anti-terroriste, qui amène les États à prendre des mesures à caractère exceptionnel et dérogatoire, d’autre part des immenses difficultés d’accès à un avocat des migrants en situation irrégulière ou des demandeurs d’asile dans les centres d’accueil et d’identification («hotspots») ou en rétention administrative. Enfin, le rapport se penche sur la situation inquiétante en Turquie suite à la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016.

Les États membres sont appelés à garantir l’accès effectif des détenus à un avocat dès le début de la détention – peu importe la nature du délit ou du crime, et peu importe son importance mineure ou majeure. La commission insiste notamment sur le fait que la présence de l’avocat dès le tout début de la privation de liberté – quelle que soit sa nature – et tout au long de la procédure, est le meilleur rempart contre la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 13 décembre
2016.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire souligne l’importance du droit à l’assistance d’un défenseur en matière pénale, tel que consacré par l’article 6.3.c de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»). Elle rappelle que ce droit implique la possibilité pour l’accusé de se défendre lui-même, d’avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ou d’être assisté gratuitement par un avocat d’office, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur et lorsque les intérêts de la justice l’exigent.
2. L’Assemblée constate que la réalisation du droit à l’assistance d’un défenseur est intrinsèque à celle du droit à un procès équitable garanti par l’article 6.1 de la Convention et des principes de l’État de droit. Elle souligne que le respect de ce droit est fondamental pour les personnes privées de liberté, peu importe la nature de leur privation de liberté.
3. Dans sa Résolution 2077 (2015) sur l’abus de la détention provisoire dans les États Parties à la Convention européenne des droits de l’homme, l’Assemblée a déjà appelé les États membres à garantir une meilleure égalité des armes entre le ministère public et la défense, en autorisant les avocats à jouir d’un accès illimité aux détenus et au dossier de l’enquête et en consacrant des fonds suffisants à l’aide juridictionnelle.
4. L’Assemblée note que les limitations à ce droit peuvent porter atteinte à d’autres droits et libertés garantis par la Convention tels que le droit à la vie, le droit de ne pas subir de tortures, de peines ou traitements inhumains ou dégradants ou le droit à un recours contre la décision initiale de privation de liberté. Elle souligne que garantir le droit d’accès à un avocat pour les détenus peut être un moyen essentiel de prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 3 de la Convention.
5. L’Assemblée souligne qu’il est d’une importance primordiale que l’accès des détenus à un avocat soit effectif dès le début de la détention – peu importe la nature du délit ou du crime, et peu importe son importance, mineure ou majeure – pour garantir que les droits de la défense soient des droits concrets et effectifs, et non pas théoriques ou illusoires. En effet, c’est souvent au tout début de la détention que le risque d’abus en vue d’obtenir des aveux en l’absence d’un avocat et/ou sous la contrainte est le plus élevé.
6. L’Assemblée appelle par conséquent les États membres:
6.1. à garantir l’accès effectif des détenus à l’avocat de leur choix dès le tout début de la garde à vue ou de toute autre mesure de privation de liberté – y compris la rétention administrative des migrants et des demandeurs d’asile – et non pas uniquement au début des interrogatoires, et à garantir cet accès tout au long de la procédure;
6.2. à garantir la confidentialité des communications entre l’avocat et son client en toutes circonstances et à s’assurer, dans ce contexte, que tous les lieux de détention disposent des infrastructures nécessaires pour permettre aux détenus de s’entretenir en privé avec leurs avocats;
6.3. à garantir la présence de l’avocat pendant les auditions de détenus, y compris dans le contexte de la rétention des étrangers;
6.4. à créer, le cas échéant, un système d’aide juridictionnelle gratuite, garantie essentielle de l’effectivité réelle du droit d’accès à un avocat, et à consacrer des fonds appropriés à cette fin;
6.5. à mettre en place, si ce n’est pas encore le cas, un système national de nomination indépendant des avocats commis d’office, comme outil de prévention des abus et pour éviter les contacts directs en amont entre enquêteur et avocat potentiel;
6.6. à supprimer, le cas échéant, les dispositions procédurales qui prévoient que les avocats aient besoin de l’autorisation du procureur pour rencontrer leurs clients;
6.7. à assurer que toute dérogation à la présence d’un avocat soit soumise à des conditions très strictes; une telle dérogation doit être limitée dans le temps et soumise à l’autorisation ou au contrôle d’un juge garant de la liberté individuelle, y compris dans le contexte de la lutte contre le terrorisme et de la mise en place de mesures d’exception;
6.8. à mettre en place des recours effectifs en cas d’absence ou d’entrave à l’accès des détenus à un avocat.
7. L’Assemblée souligne qu’en aucun cas un témoignage auto-incriminant recueilli en l’absence d’un avocat, ou en cas d’entraves à l’accès à ce dernier, ne devrait être accepté comme élément de preuve valide devant les tribunaux, ni servir de base pour condamner un accusé.
8. Par ailleurs, l’Assemblée appelle les États membres à enquêter rapidement, avec efficacité et en toute indépendance, sur toutes les allégations de menaces, d’intimidation, ou de violence, y compris de meurtres, à l’encontre d’avocats.
9. Au vu de restrictions au droit d’accès à un avocat mises en place par certains États membres dans le contexte de la lutte contre le terrorisme et de l’état d’urgence, l’Assemblée rappelle aux États membres que l’état d’urgence est une procédure d’exception qui ne saurait perdurer dans le temps et qu’il devrait être levé le plus tôt possible pour revenir à la législation ordinaire. Elle invite par ailleurs les parlements nationaux à mettre en place un contrôle parlementaire de l’état d’urgence, le cas échéant. Elle les invite aussi à améliorer le contrôle juridictionnel a priori des mesures de restriction aux libertés individuelles. Elle souhaite enfin que les décisions de mise en œuvre et de renouvellement d’un tel régime puissent être évaluées et contrôlées avec le triple souci de leur adaptation, de leur nécessité et de leur proportionnalité aux finalités qu’ils indiquent poursuivre.
10. L’Assemblée appelle les États membres à continuer de coopérer avec le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) et à autoriser la publication des rapports de visite du CPT le plus tôt possible.

B. Exposé des motifs, par Mme Marietta Karamanli, rapporteure

(open)

1. Introduction

1.1. Procédure

1. La proposition de résolution intitulée «Garantir l’accès des détenus à un avocat» a été renvoyée à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme pour rapport le 22 juin 2015. Lors de sa réunion à Strasbourg le 29 septembre 2015, la commission m’a désignée comme rapporteure. Le 21 juin 2016, la commission a procédé à l’audition de trois experts: M. Mark Kelly, membre du Comité européen pour la prévention de la torture et des traitements inhumains ou dégradants (CPT) au titre de l’Irlande; Mme Heather McGill, Amnesty International; et Mme Marie-Laure Basilien-Gainche, membre du Réseau Trans Europe Experts, Professeure de droit public à l’université Jean Moulin, Lyon 3. Par ailleurs, en vue d’obtenir de plus amples informations sur certaines législations anti-terroristes et sur l’état d’urgence, j’ai adressé un courrier aux Présidents des délégations belge, française et turque auprès de l’Assemblée le 25 octobre 2016. Je tiens à les remercier de m’avoir répondu.

1.2. Questions en jeu

2. La proposition de résolution susmentionnée met l’accent sur l’accès à un avocat dans les conditions fixées par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention») à tous les stades de la procédure, à savoir pendant la procédure judiciaire et pendant l’incarcération (aux fins des procédures judiciaires en cours, notamment des affaires pendantes, des recours et des plaintes relatives aux conditions de détention). Les auteurs de cette proposition de résolution s’inquiètent que certains États membres aient tendance à restreindre l’accès à un avocat des personnes privées de liberté à différents stades de la procédure.
3. Rappelons que le droit d’accès à un avocat de son choix ou d’être assisté gratuitement par un avocat commis d’office lorsque l’on n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur est consacré par l’article 6.3.c de la Convention. Il remplit deux fonctions essentielles: d’une part, garantir l’égalité des armes (entendue comme l’équilibre des conditions de procédures et des moyens permettant à la personne soupçonnée, poursuivie ou emprisonnée, de faire valoir ses droits) et un procès équitable; d’autre part, assurer une présence indépendante qui peut permettre de prévenir les mauvais traitements et ainsi de protéger le droit à la liberté et à la sécurité.
4. Pour les besoins de ce rapport, le terme «détenu» sera compris au sens large d’une «personne privée de liberté par une autorité publique 
			(2) 
			Cette
définition est conforme à la Convention européenne pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
(STE no 126), article 2.». Aux fins de la préparation de ce rapport, j’ai présenté à la commission les différents instruments juridiques internationaux garantissant ce droit, ainsi que les nombreuses composantes de ce droit tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour»). Dans un souci de concision, je ne reviendrai pas ici sur ces éléments qui sont accessibles sur le site internet de la commission dans une note d’information (AS/Jur (2016) 34).
5. Je détaillerai ici les différents stades de la procédure pénale ainsi que les restrictions observées au droit d’accès des détenus à un avocat. Je me pencherai également sur les situations particulières et d’actualité pour tous les États membres du Conseil de l’Europe que sont: 1) l’accès à un avocat pour les migrants en situation irrégulière et les demandeurs d’asile lorsqu’ils sont placés en rétention administrative; et 2) cet accès pour les détenus dans le cadre de la lutte anti-terroriste et de l’état d’exception. Il s’agit là de dispositifs d’exception qui, par leur nature, tendent à échapper à la légalité ordinaire régissant les poursuites. Enfin, je ne saurais faire l’impasse sur la situation en Turquie depuis la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016.
6. En dépit des nombreuses différences de régulation du droit d’accès à un avocat entre les États membres, les obligations internationales restent les mêmes pour tous les États membres du Conseil de l’Europe: accès à un avocat dès l’interrogatoire et les premières heures de privation de liberté; choix de son avocat; droit d’accès aux dossiers; droit à l’aide juridictionnelle; droit à un interprète; confidentialité des communications; effectivité de l’assistance de l’avocat; et renonciation à ce droit selon des principes et des modalités claires. Le droit international et européen encadre de manière détaillée et précise le droit d’accès à l’avocat dans le cadre des procédures pénales; l’encadrement de ce droit dans les cas de rétention administrative, notamment pour les migrants en situation irrégulière et les demandeurs d’asile, n’est pas développé ou est moins détaillé 
			(3) 
			Pour plus de détails,
voir la note d’information AS/Jur (2016) 34.. Dans le cadre des procédures pénales, on a observé en Europe, ces dernières années, une érosion du droit d’accès à un avocat dans le cadre des lois de lutte contre le terrorisme.
7. L’accès à un avocat peut également être restreint de manière plus insidieuse par des intimidations contre les avocats pour les décourager de défendre certains détenus, notamment les défenseurs des droits de l’homme. Ainsi en Azerbaïdjan, ces techniques d’intimidation ont eu pour conséquence de limiter le nombre d’avocats prêts à risquer leur sécurité pour défendre certains détenus 
			(4) 
			Human Rights House
Foundation, Azerbaijan: NGO coalition report on the implementation
of the Convention against Torture and Other Cruel, Inhuman or Degrading
Treatment or Punishment – Reply to the list of issues (CAT/c/AZE/Q/4), 11 juillet
2012, paragraphes 54-56.. Ce problème significatif a été exposé en détail par notre collègue Mme Mailis Reps (Estonie, ADLE) dans son rapport «Renforcer la protection et le rôle des défenseurs des droits de l’homme dans les États membres du Conseil de l’Europe 
			(5) 
			Doc 13943. Voir notamment paragraphe 10 et note de bas de page
15.» ainsi que dans de précédents documents de l’Assemblée sur ce sujet 
			(6) 
			Voir
notamment la Résolution
1660 (2009) et la Résolution
1891 (2012) sur la situation des défenseurs dans les États membres
du Conseil de l’Europe.. Ces intimidations peuvent prendre entre autres la forme de harcèlement judiciaire, de diverses menaces mettant en cause la personne de l’avocat, ses droits ou encore son indépendance, de peines d’emprisonnement ou de radiation du barreau. On peut citer à titre d’exemple le cas de Rasul Jafarov, un militant des droits de l’homme azéri, et de son avocat M. Khalid Bagirov 
			(7) 
			Rasul
Jafarov c. Azerbaïdjan, Requête no 69981/14,
arrêt du 17 mars 2016.. En l’espèce, M. Bagirov a fait l’objet d’une procédure disciplinaire et a été suspendu du barreau. Les autorités l’ont également empêché de rencontrer son client en prison. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a soumis à la Cour européenne des droits de l’homme des observations écrites en qualité de tierce partie. Il indique que la «radiation [de M. Bagirov] est un exemple type d’une pratique plus générale qui empêche les avocats de poursuivre leur travail de défense des droits de l’homme ou les sanctionne pour ce travail, faisant fi des obligations internationales de l’Azerbaïdjan» 
			(8) 
			«<a href='http://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/azerbaijan-repression-of-lawyers-who-defend-human-rights-must-stop'>Azerbaïdjan:
la répression des avocats qui défendent les droits de l’homme doit
cesser</a>», Commissaire aux droits de l’homme, 28 novembre 2016.. Par ailleurs, Elchin Sadigov, avocat azéri de défenseurs de droits de l’homme tels que Leyla Yunus et Anar Mammadli, rapporte avoir été la cible de menaces répétées par la police. Le 2 novembre 2016, de telles menaces auraient été directement formulées à son encontre par un enquêteur relevant du ministère de l’Intérieur afin qu’il ne soulève pas les allégations de torture et de mauvais traitements dont fait état son client, le journaliste Fikret Farmazoglu 
			(9) 
			Amnesty International, <a href='http://www.amnestyusa.org/get-involved/take-action-now/take-action-end-harassment-of-human-rights-lawyer-and-family-azerbaijan-ua-25216'>Take
Action! – End Harassment Of Human Rights Lawyer And Family (Azerbaijan:
UA 252/16)</a>, 9 novembre 2016.. Notre ancien collègue Michael McNamara (Irlande, SOC) a également constaté combien il est dangereux pour les avocats de travailler dans le Caucase du Nord, en Russie. Il résume ainsi dans son rapport: «La situation des avocats dans le Caucase du Nord est révélatrice de l’ensemble du système judiciaire dans la région: si les avocats, dont la profession est précisément de défendre autrui, ne sont pas en mesure de se protéger eux-mêmes contre de telles atteintes aux droits de l’homme, que peuvent espérer leurs clients?» Le projet de résolution y afférant note en effet que: «Les avocats qui défendent les victimes de violations des droits de l’homme sont eux-mêmes devenus la cible d’agressions, d’actes d’intimidation et de chefs d’accusation fabriqués de toutes pièces en représailles à leur action» 
			(10) 
			Doc. 14083. . La Recommandation 2085 (2016) de l’Assemblée «Renforcer la protection et le rôle des défenseurs des droits de l’homme dans les États membres du Conseil de l’Europe» inclut un point particulier sur les avocats qui représentent leurs clients devant la Cour européenne des droits de l’homme et demande au Comité des Ministres de «procéder régulièrement à des échanges d’information avec le Greffe de la Cour sur les représailles ou intimidations dont sont victimes ces avocats».
8. Comme cela a été mis en exergue dans le rapport de notre collègue Marieluise Beck (Allemagne, ADLE) sur les «Recours juridiques contre les violations des droits de l’homme commises dans les territoires ukrainiens se trouvant hors du contrôle des autorités ukrainiennes» (Doc. 14139), l’accès à la justice sur ces territoires est profondément préoccupant. La situation dans les territoires se trouvant hors du contrôle des autorités ukrainiennes soulève donc naturellement également des inquiétudes en matière d’accès des détenus à un avocat. La Mission spéciale d’observation de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe en Ukraine (SMM/OSCE) constate que, en général, les personnes détenues dans les «républiques populaires» autoproclamées de Donetsk et Lougansk («RPD» et «RPL») n’ont qu’un accès limité, voire même aucun accès à un système judiciaire efficace. La SMM/OSCE rapporte par ailleurs que l’accès à l’aide juridictionnelle est de fait limité aux territoires sous le contrôle des autorités ukrainiennes, les avocats ne se sentant pas suffisamment en sécurité pour se rendre dans la «RPD» 
			(11) 
			Rapport
de la Mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine, «<a href='http://www.osce.org/ukraine-smm/212311?download=true'>Access
to Justice and the Conflict in Ukraine</a>», décembre 2015 (en anglais)..

2. Un droit garanti à différents stades de la procédure pénale

9. Le droit d’accès à un avocat doit être garanti à tous les stades de la procédure pénale, dès le début de la garde à vue. Cette exigence est rappelée dans le principe 1 des «Principes de base relatifs au rôle du barreau de l’ONU» et l’article 6.3.c de la Convention. Je constate une tendance à restreindre l’accès des détenus à un avocat à différents stades de la procédure pénale et notamment dans les premières heures de la privation de liberté.

2.1. Pendant la garde à vue

10. L'accès à un avocat pour les personnes détenues par la police comprend le droit de prendre contact avec l’avocat sans retard indu et de s’entretenir avec lui, tout comme, en principe, le droit pour la personne concernée de bénéficier de la présence de l'avocat durant les interrogatoires. Le CPT défend clairement cet accès à l’avocat en tant que garantie fondamentale contre les mauvais traitements pendant la période de garde à vue pour les personnes privées de liberté par la police 
			(12) 
			<a href='http://www.cpt.coe.int/fr/documents/fra-standards.pdf'>CPT/Inf/E(2002)1</a>, paragraphe 18. .
11. La Cour pose fermement l’exigence d’accès à un avocat lors des phases d’interrogatoires, notamment policières, durant la garde à vue et conçoit restrictivement les exceptions à ce principe; le manque d’accès à un avocat pendant la garde à vue est régulièrement sanctionné par la Cour. Elle a rendu en 2008 un arrêt marquant quant au droit d’être assisté par un avocat lors des interrogatoires de personnes placées en garde à vue et ce dès le premier interrogatoire (Salduz c.Turquie) 
			(13) 
			Salduz
c. Turquie, Requête no 36391/02,
arrêt du 27 novembre 2008 (Grande Chambre), paragraphe 55. Voir
aussi <a href='http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-100969'>Brusco c.
France</a>, Requête no 1466/07, arrêt
du 14 octobre 2010, paragraphe 54. . Inculpé, puis condamné pour avoir participé à une manifestation non autorisée de soutien au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), le requérant avait fait en garde à vue, en l’absence d’un avocat, une déposition dans laquelle il se reconnaissait coupable. Dans son arrêt Dayanan c. Turquie, la Cour a par la suite précisé que l’accès à l’avocat devait se faire dès le début de la garde à vue, et non pas seulement au moment des interrogatoires: «En effet, l'équité de la procédure requiert que l'accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d'interventions qui sont propres au conseil. À cet égard, la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l'accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l'accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l'avocat doit librement exercer 
			(14) 
			Danayan
c. Turquie, Requête no 7377/03,
arrêt du 13 octobre 2009, paragraphe 32.
12. La jurisprudence Salduz a eu un impact positif sur la législation de plusieurs pays membres du Conseil de l’Europe et a renforcé le droit d’accès à un avocat: la Belgique, la France, l’Irlande, Monaco, les Pays-Bas, le Royaume-Uni (Ecosse) ainsi que le pays directement concerné par le jugement: la Turquie. Selon le nouveau Code de Procédure Pénale turque, entré en vigueur le 1 juillet 2015, un suspect ou un accusé a le droit de consulter un avocat en privé avant d’être interrogé et a le droit d’avoir son avocat présent pendant l’interrogatoire. De manière similaire en Belgique, le parlement a adopté une loi le 13 août 2011 (appelée loi «Salduz») qui prévoit certains droits – comme le droit de consulter un avocat et d’être assisté par un avocat pour toute personne interrogée et qui est privée de sa liberté. Cette loi belge a été suivie de mesures pour rendre les droits effectifs, y compris l’adaptation du système étatique d’aide juridictionnelle. La Cour suprême néerlandaise a, quant à elle, adapté sa jurisprudence en fonction de la jurisprudence Salduz de la Cour européenne des droits de l’homme; et a décidé, dans un arrêt du 30 juin 2009 
			(15) 
			No 2411.08
J, NbSr 2009, 249., qu’un suspect avait le droit de consulter un avocat avant d’être interrogé, et que les mineurs arrêtés avaient le droit d’avoir un avocat présent pendant les interrogatoires 
			(16) 
			Pour plus de détails
sur ces trois cas, voir: AS/Jur/Inf (2016) 04, <a href='https://pace.coe.int/documents/19838/2008330/AS-JUR-INF-2016-04-FR.pdf/19564e15-71bd-4a59-8746-79dfbe6e565e'>Impact
de la Convention européenne des droits de l’homme dans les États
parties: exemples choisis</a>, 8 janvier 2016.. La loi pénale écossaise a également été modifiée pour se mettre en conformité avec l’arrêt Salduz et exige à présent de la police qu’elle donne l’opportunité aux personnes arrêtées de consulter un avocat avant l’interrogatoire, comme c’était déjà le cas dans le reste du Royaume-Uni 
			(17) 
			Voir <a href='https://www.supremecourt.uk/decided-cases/docs/UKSC_2010_0022_Judgment.pdf'>Cadder
v. Her Majesty’s Advocate</a> [2010] UKSC 43.; à Monaco, la loi du 25 juin 2013 a imposé la présence de l’avocat dès le début de la garde à vue. La jurisprudence Salduz a également été prise en compte dans la directive de l’Union européenne relative au droit d’accès à un avocat 
			(18) 
			<a href='http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32013L0048&from=EN&lang3=choose&lang2=choose&lang1=FR'>Directive
2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013</a> relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre
des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt
européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté
et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec
des tiers et avec les autorités consulaires.
13. Lors de l’audition devant la commission, Heather McGill, d’Amnesty International, a souligné les difficultés pratiques auxquelles les avocats sont confrontés pour avoir accès à leurs clients en garde à vue en Russie. Elle a notamment indiqué que cet accès est conditionné par une confirmation écrite de leur nomination en tant qu’avocats de la défense sur la base de laquelle le procureur peut alors leur donner l’autorisation de rencontrer leurs clients. Même lorsque cette autorisation est accordée, les avocats doivent souvent faire la queue des heures durant en raison de l’absence de salles de réunion adéquates dans les centres de détention provisoire. Mme McGill a cité l’exemple de Pyotr Pavlensky qui n’a pas pu rencontrer ses avocats de décembre 2015 jusqu’au 26 février 2016, malgré le fait que ses avocats aient à de nombreuses reprises fait la queue devant le centre de détention provisoire de Butyrka dans lequel il était détenu. Le cas de Stanislav Klykh, condamné à 20 ans de prison pour avoir prétendument organisé un groupe de volontaires armés pour combattre en Tchétchénie en 1994-1995, est également parlant. Durant ses dix mois de détention d’août 2014 à juin 2015, il n’a pas eu accès à un avocat. L’avocat engagé par sa famille n’est jamais parvenu à savoir auprès des autorités où son client était détenu et l’avocate qui lui a été commise d’office n’a assisté à aucun des interrogatoires (bien que sa signature figure sur les rapports d’interrogatoire, alors même qu’elle était officiellement en congé maternité à ces dates). M. Klykh soutient avoir été torturé et forcé de «confesser» durant ces interrogatoires 
			(19) 
			Amnesty
International, <a href='https://www.amnesty.org/fr/documents/eur46/4398/2016/en/'>Russian
Federation: Victim of unfair trial, health at risk: Stanislav Klykh</a>, 6 juillet 2016.. Le jour de sa condamnation, le juge a exprimé l’opinion que ses avocats devraient être rayés du barreau pour violation du code d’éthique du barreau (pour avoir prétendument été absente à l’occasion d’une audition de son client pour l’une d’entre elles, et pour avoir élevé la voix envers le procureur et le juge pour l’autre).
14. Selon l’experte d’Amnesty International, ces pratiques ne sont pas spécifiques à la Russie, mais sont répandues dans d’autres pays dans la région. Amnesty International rapporte qu’en Azerbaïdjan les avocats n’ont souvent accès à leurs clients que 48 heures ou plus après leur arrestation, durée durant laquelle ces derniers sont interrogés, menacés et amenés à signer des «confessions» sous la contrainte 
			(20) 
			Amnesty
International, <a href='https://www.amnesty.org/en/documents/eur55/4268/2016/en/'>«Revolving
doors»: The ongoing persecution of government critics in Azerbaijan</a>, 16 juin 2016.. Le cas de Khalid Khanlarov en est une illustration. Cet étudiant a été interpellé suite à la création d’une page Facebook satirique à l’égard du gouvernement qu’il avait mise en place avec un ami. Khalid Khanlarov a refusé de révéler l’identité des administrateurs de cette page. Il a alors été placé en détention provisoire pour refus de coopérer avec la police. Son avocat n’a pas pu lui rendre visite en prison pendant plus d’une semaine. Selon Khalid Khanlarov, il a été menacé et frappé durant cette période, ainsi contraint de donner les noms des administrateurs de la page Facebook en question 
			(21) 
			Ibid.,
p. 4.. Elvin Abdullayev, arrêté et questionné par la police au sujet de ses engagements politiques et de ses activités sur Facebook, n’a pas eu accès à son avocat pendant 48 heures durant lesquelles il dit avoir fait l’objet de mauvais traitements par la police et avoir été forcé à renier ses convictions politiques et à s’engager à arrêter de publier des éléments de critiques sur Facebook. Rovshan et Rufat Zahidov (respectivement cousin et neveu de Ganimat Zahid éditeur en chef de Azadliq, un important journal d’opposition), arrêtés pour possession et trafic de stupéfiants, allèguent également avoir signé des confessions sous la contrainte au commissariat de police, en l’absence de leur avocat qui n’a pas pu les voir pendant les cinq premiers jours de leur détention 
			(22) 
			Ibid., p. 8..

2.2. Pendant la détention provisoire et la procédure judiciaire

15. Je n’entrerai pas dans les détails sur ce sujet important qui est couvert en grande partie dans un rapport de M. Pedro Agramunt (Espagne, PPE/DC) sur «L’abus de la détention provisoire dans les États parties à la Convention européenne des droits de l’homme» (Doc. 13863). Dans la Résolution 2077 (2015), adoptée en octobre 2015, qui accompagne ce rapport, l’Assemblée encourage les États Parties à mettre en œuvre des mesures qui visent à diminuer le recours à la détention provisoire «en garantissant une meilleure égalité des armes entre le ministère public et la défense, y compris en autorisant les avocats de la défense à jouir d’un accès illimité aux détenus, en leur permettant de consulter le dossier de l’enquête avant la décision qui ordonne ou prolonge la détention provisoire et en consacrant des fonds suffisants à l’aide juridictionnelle, y compris pour les procédures relatives à la détention provisoire».
16. La Recommandation Rec(2006)13 du Comité des Ministres établit un ensemble de normes minimales relatives aux garanties qui doivent être apportées pendant leur détention provisoire aux personnes arrêtées et inclut des normes précises quant à l’assistance d’un avocat pendant la détention provisoire 
			(23) 
			<a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=1041269'>Recommandation
du Comité des Ministres aux États membres concernant la détention
provisoire, les conditions dans lesquelles elle est exécutée et
la mise en place des garanties contre les abus</a>, adoptée par le Comité des Ministres le 27 septembre
2006. , comme par exemple «l’accès, en temps utile, aux documents en rapport avec la décision à prendre» (paragraphe 26), l’aide juridique gratuite (paragraphe 25.3), et la possibilité adéquate de consulter ledit avocat pour préparer sa défense (paragraphe 25.2).

2.3. Pendant l’incarcération

17. Pendant l’incarcération, c’est-à-dire après la condamnation à une peine de prison, l’accès à un avocat doit être garanti aux fins des procédures judiciaires en cours, notamment des affaires pendantes, des recours et des plaintes relatives aux conditions de détention. Dans une recommandation de 2012, le Comité des Ministres a rappelé que le «personnel pénitentiaire doit veiller à ce que les détenus puissent exercer leur droit à un accès régulier et adéquat à leurs avocats et leur famille tout au long de leur incarcération 
			(24) 
			<a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=1932693&Site=CM'>Annexe
à la Recommandation du Comité des Ministres aux États membres sur
le Code européen de déontologie pour le personnel pénitentiaire</a>, CM/Rec(2012)5, paragraphe 28.».
18. En Turquie, à la prison de l’île d’Imralı, les avocats n’ont, sous divers motifs et prétextes, pas été autorisés à rencontrer leurs clients, notamment Abdullah Öcalan, le dirigeant du PKK, depuis le 27 juin 2011. Je me suis entretenue le 21 juin 2016 à Strasbourg avec des avocats d’Abdullah Öcalan au sujet des difficultés auxquelles ils sont confrontés pour avoir accès à leur client. Selon les informations qu’ils m’ont transmises, contrairement à la loi en vigueur jusqu’à récemment, qui prévoyait que les rencontres entre un client et son avocat pouvaient avoir lieu sans limitation en terme de périodicité, ni de durée 
			(25) 
			Article
59 de la loi no 5275 sur l’application
des peines et des mesures de sécurité, récemment amendé par le décret-loi
no 676, voir plus loin section 5., les rencontres entre M. Öcalan et ses avocats doivent toujours être autorisées à l’avance, font l’objet de restrictions strictes en termes de quantité et de durée (une heure par semaine), et sont enregistrées. Par ailleurs, l’accès ne leur est pas refusé globalement mais s’avère à chaque fois impossible sous divers prétextes (tels que des raisons «de météo» qui empêcheraient le bateau d’assurer les liaisons avec le continent) 
			(26) 
			Voir
à ce sujet l’opinion partiellement dissidente du juge Pinto de Abuquerque
à l’arrêt Öcalan c. Turquie,
18 mars 2014 (Requêtes nos 24069/03,
197/04, 6201/06 et 10464/07) qui indique que «en ce qui concerne
les difficultés d’accès à l’île, le Gouvernement a deux choix: s’il
veut garder le requérant sur une île, il doit fournir les moyens
de transport nécessaires, par exemple en prévoyant plus de bateaux
lorsque ceux existants ne sont pas disponibles ou un hélicoptère lorsque
la mer est mauvaise; s’il ne peut pas ou ne veut pas fournir ces
moyens supplémentaires, il doit alors transférer le requérant sur
le continent. Ce qu’il ne peut pas faire, c’est le garder sur une
île sans fournir les moyens d’y accéder.», paragraphe 22.. Dans son arrêt Öcalan c. Turquie de 2014, la Cour européenne des droits de l’homme constate en effet des restrictions plus importantes que pour les détenus d’autres prisons à la communication entre Abdullah Öcalan et ses avocats. Elle ajoute cependant concernant ce point que «alors que les personnes privées de leur liberté pour activités terroristes ne sauraient être soustraites au champ des dispositions de la Convention et qu’on ne peut porter atteinte à la substance de leurs droits et libertés ainsi reconnus, les autorités nationales peuvent leur imposer des “restrictions légitimes” dans la mesure où ces restrictions sont strictement nécessaires pour protéger la société contre la violence» 
			(27) 
			Öcalan
c. Turquie, op. cit.,
paragraphe 135.. Mme Josette Durrieu (France, SOC), ancienne rapporteure de la Commission de suivi pour le dialogue postsuivi avec la Turquie, a constaté que Abdullah Öcalan n’avait toujours pas accès à ses avocats malgré les procédures judiciaires le concernant toujours en cours au niveau national et devant la Cour européenne des droits de l’homme 
			(28) 
			AS/Mon (2014) 18 rev, <a href='http://assembly.coe.int/CommitteeDocs/2014/fmondoc18-2014.pdf'>Dialogue
postsuivi avec la Turquie – Note d’information de la rapporteure
sur sa visite d’information à Istanbul, Ankara et Eskişehir (26-29
mai 2014),</a> paragraphe 59.. Le CPT a vivement critiqué cette situation particulière dans plusieurs de ses rapports et a appelé les autorités turques à prendre les mesures nécessaires pour que tous les prisonniers de la prison d’Imralı puissent recevoir la visite d’un avocat si ils le souhaitent 
			(29) 
			CPT/Inf(2014)7, Report
to the Turkish Government on the visit to Turkey carried out by
the European Committee for the Prevention of Torture and Inhuman
or Degrading Treatment or Punishment (CPT) from 16 to 17 January
2013, 13 mars 2013, paragraphe19 (disponible uniquement en anglais).. Le CPT s’est rendu les 28 et 29 avril 2016 sur l’ile d’Imralı. À l’occasion de cette visite, la délégation du CPT a examiné le traitement et les conditions de détention des quatre détenus, en accordant une attention particulière à la mise en œuvre du droit de visite par leurs avocats 
			(30) 
			<a href='http://www.cpt.coe.int/documents/tur/2016-05-02-fra.htm'>Visite
du Comité anti-torture du Conseil de l'Europe à la prison de l’île
d'Imralı (Turquie)</a>, communiqué de presse, 2 mai 2016.. À ce jour, les autorités turques n’ont pas autorisé la publication du rapport du CPT et nous ne pouvons que le regretter.
19. Autre élément inquiétant, il semblerait que les mesures restrictives concernant le droit d’accès à un avocat appliquées pendant longtemps spécifiquement à Imralı aient désormais été exportées vers d’autres prisons. Les prisonniers Nasrullah Kuran et Çetin Arkaş ont été transferés d’Imrali à la prison Silivri no 9, dans la province d’Istanbul, dans laquelle les restrictions concernant les visites y ont également été appliquées avant même la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016 (rencontre uniquement une fois par semaine, après autorisation préalable de l’administration pénitentiaire) 
			(31) 
			Selon les informations
écrites qui m’ont été transmises par les avocats d’Abdullah Öcalan,
le 1er octobre 2016..

2.4. Le statut de témoin

20. La plupart des législations en vigueur dans les États membres du Conseil de l’Europe reposent sur le principe du témoignage volontaire. Cependant, à l’instar du statut de «material witness» aux États-Unis, certaines législations en vigueur permettent d’obliger un témoin à témoigner, et ce au sein même des locaux de la police. Ce système, en plus de risquer d’intimider les témoins potentiels, peut avoir pour conséquence la «détention» dans des locaux de police de personnes pour être entendues en tant que témoins. Ces personnes ne sont alors pas officiellement en garde-à-vue et leur «détention» peut pourtant se prolonger plusieurs heures, voire plusieurs jours. Les garanties procédurales pour les témoins sont alors particulièrement limitées. C’est d’autant plus inquiétant que certains témoins peuvent à l’issue de leur interrogatoire en tant que témoins glisser vers le statut de suspects sans avoir bénéficié des garanties procédurales adéquates pendant l’interrogatoire 
			(32) 
			<a href='https://www.osgf.ge/files/2015/2015/Human Rights Program/Reports_ENG_web.pdf'>Reform
of witness interrogation rules in Georgia</a>, Bad de Wilde et Richard Vogler, 2015. C’était encore récemment le cas en Géorgie et le Commissaire aux droits de l’homme s’était inquiété du report de l’entrée en vigueur de la réforme qui prévoyait d’abolir la procédure de témoignage obligatoire en dehors des tribunaux 
			(33) 
			<a href='https://wcd.coe.int/com.instranet.InstraServlet?command=com.instranet.CmdBlobGet&InstranetImage=2547700&SecMode=1&DocId=2139964&Usage=2'>CommDH(2014)9</a>, paragraphe 15. Voir également <a href='https://www.osgf.ge/files/2015/2015/Human Rights Program/Reports_ENG_web.pdf'>Reform
of witness interrogation rules in Georgia</a>, Bad de Wilde et Richard Vogler, 2015, p. 66.. Le 20 février 2016 la réforme du Code de procédure pénale adoptée par le Parlement géorgien en décembre 2015 est entrée en vigueur. Cette réforme bannit la pratique des interrogatoires forcés. En France, le code de procédure pénale prévoit que «si les nécessités de l'enquête le justifient» des témoins dans le cadre du statut de «l’audition libre» puissent être retenus sous contrainte «le temps strictement nécessaire à leur audition, sans que cette durée puisse excéder quatre heures» (article 62). Si au cours de l’audition des raisons plausibles de considérer la personne entendue en tant que suspect devaient apparaître, elle ne pourrait être alors être détenue que sous le régime de la garde à vue. Suite à une réforme, depuis le 1er janvier 2015, toute convocation en vue d’une audition libre doit mentionner le droit de la personne concernée à être assistée dès le début de la procédure par un avocat et de bénéficier de l’aide juridictionnelle (ce qui n’était pas le cas auparavant) 
			(34) 
			<a href='http://www.dalloz-actualite.fr/chronique/consequences-inattendues-de-reforme-de-l-audition-libre'>Les
conséquences inattendues de la réforme de l’audition libre</a>, Sophie Liotard et Sébastien Schapira, Dalloz actualités, 24 septembre
2014..
21. Je note également avec inquiétude la pratique qui consisterait à convoquer des avocats en qualité de témoins dans des affaires dans lesquelles ils défendent un accusé. Le statut de témoin les oblige à se dessaisir de l’affaire et ils ne sont plus en mesure de défendre leur(s) client(s). Cette pratique m’a notamment été rapportée concernant la Bosnie-Herzégovine. Une requête, dont la requérante m’a transmise une copie, est actuellement pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme 
			(35) 
			Vidović
c. Bosnie-Herzégovine, Requête no 40139/16.. La requérante y dénonce la violation de ses droits, en tant qu’avocate, à assurer la défense de ses clients. En effet, la requérante a été convoquée par le bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine en qualité de témoin dans la même affaire. Elle allègue que seules des questions d’ordre procédural lui ont été posées, mais aucune question relative au crime allégué de ses clients. Selon la requérante, elle a été convoquée en qualité de témoin dans le but de la disqualifier en tant qu’avocate dans cette affaire. La requérante allègue qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé mais d’une pratique courante du bureau du Procureur de Bosnie-Herzégovine afin de disqualifier les avocats de la défense dans certaines affaires.

3. La rétention administrative des migrants en situation irrégulière et des demandeurs d’asile et le droit d’accès à un avocat

22. Le problème d’accès à un avocat se pose de plus en plus dans le contexte de la rétention administrative des migrants en situation irrégulière et des demandeurs d’asile. La Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée sur cette question sous l’angle de l’article 5.4 de la Convention, notamment dans l’affaire Rahimi c. Grèce 
			(36) 
			Requête no 8687/08,
arrêt du 5 avril 2011., concernant la détention d’un mineur étranger non accompagné dans un centre pour adultes. En l’espèce, elle a conclu à une violation de cet article, notamment parce que le requérant ne pouvait en pratique contacter aucun avocat 
			(37) 
			Ibid.,
paragraphes 120-121..
23. En outre, sans ses «Vingt principes directeurs sur le retour forcé», le Comité des Ministres a énoncé les garanties procédurales auxquelles les personnes placées en rétention ont droit, y compris le droit d’être informées sur les recours dont elles disposent, ainsi que sur la possibilité immédiate de contacter un avocat 
			(38) 
			«<a href='http://www.coe.int/t/dg3/migration/archives/Source/MalagaRegConf/20_Guidelines_Forced_Return_fr.pdf'>Vingt
principes directeurs sur le retour forcé </a>», adoptés par le Comité des Ministres le 4 mai 2005,
Principe 6.2..
24. Selon les Normes du CPT, «De la même manière que d'autres catégories de personnes privées de liberté, les étrangers retenus devraient, dès le début de leur privation de liberté, être en droit d'informer de leur situation une personne de leur choix et avoir accès à un avocat (…). Le CPT a constaté que ces exigences étaient respectées dans certains pays, mais pas dans d'autres. (…) Le droit à l'accès à un avocat devrait s'appliquer au cours de toute la période de rétention et inclure à la fois, le droit de s'entretenir en privé avec l'avocat et celui de bénéficier de sa présence pendant des auditions avec les autorités compétentes» 
			(39) 
			Normes du CPT, CPT/Inf/C(2002)1[Rev.
2015], Section 56/86, 21 janvier 2015, IV. Rétention des étrangers
/ Personnes retenues en vertu de législations relatives à l'entrée
et au séjour des étrangers / C. Garanties pendant la rétention.. Le CPT précise que «[l]e droit d’accès à un avocat doit comprendre le droit de s’entretenir sans témoin avec l’avocat, ainsi que d’avoir accès à des conseils juridiques pour les questions liées au séjour, à la rétention et à l’expulsion. Cela implique que, lorsque les étrangers en situation irrégulière ne sont pas en mesure de choisir et rémunérer eux-mêmes un avocat, ils doivent bénéficier de l’accès à une aide juridictionnelle» 
			(40) 
			Normes
du CPT, CPT/Inf/C(2002)1[Rev. 2015], Section 61/86, 21 janvier 2015,
IV. Rétention des étrangers / Garanties pour les étrangers en situation
irrégulière privés de liberté / Droits fondamentaux dans les premiers
temps de la privation de liberté..
25. L’Assemblée s’est penchée sur cette question à plusieurs reprises. Notamment, dans sa Résolution 1707 (2010) sur la rétention administrative des migrants en situation irrégulière en Europe, elle constate que «les garanties offertes aux migrants retenus, qui ne sont pas des délinquants, sont souvent pires que celles réservées aux personnes placées en réclusion criminelle» ainsi que le fait que «l’accès des personnes retenues à un avocat est limité». L’Assemblée recommande «que les personnes retenues [aient] un accès concret garanti à des conseils, à une assistance et à une représentation juridiques d’une qualité suffisante, ainsi qu’à une aide juridique gratuite».
26. Par ailleurs, sur la base d’un rapport récent de notre commission, en juin 2016, elle a adopté la Résolution 2122 (2016) sur la détention administrative. Le rapport de Lord Balfe (Royaume-Uni, CE) couvre la situation de la rétention administrative pour les migrants en situation irrégulière et les demandeurs d’asile et souligne en particulier le manque de garanties procédurales et d’accès dans un bref délai à un avocat pour les personnes en rétention administrative 
			(41) 
			Doc 14079..
27. À l’occasion de l’audition devant la commission, Mme Basilien-Gainche a pointé du doigt une tendance des États à opérer une extension des cas de limitation ou privation de liberté par la voie administrative, réduisant ainsi les garanties procédurales des détenus, et notamment l’accès à un avocat. Selon elle, l’accès à un avocat s’y résume souvent à une simple liste de numéros de téléphone et l’accès à un téléphone peut se révéler difficile. Par ailleurs, lorsque l’accès à un avocat existe, il est quasiment impossible que l’entretien se fasse en toute confidentialité. De plus, les délais pour exercer un recours contre les mesures d’éloignement et les mesures de détention sont relativement restreints, ce qui, souvent, rend impossible l’accès à un avocat en pratique. Ainsi, selon un rapport récent d’Amnesty International, en Belgique, suite à une décision de la Haute Cour de justice, le ministre chargé de l’Immigration a suspendu en juillet 2015 la procédure d’asile accéléré – en vertu de laquelle de nombreux demandeurs d’asile étaient placés en rétention et disposaient d’un délai très court pour consulter un avocat ou rassembler des éléments à l’appui de leur demande 
			(42) 
			Amnesty
International, Rapport 2015/2016, p. 382..
28. Le CPT a aussi fait des recommandations concrètes dans ce domaine. Par exemple, dans son rapport publié le 23 février 2016, il a recommandé aux autorités suédoises de modifier la législation de manière à ce que toutes les personnes placées en rétention dans le cadre de la législation sur les étrangers («Aliens legislation») aient un accès effectif à un avocat dès le début de leur privation de liberté et à tous les stades de la procédure. Selon la législation en vigueur, les étrangers retenus n’ont accès à un avocat concernant la mise en œuvre d’une décision de non admission sur le territoire ou d’expulsion qu’après trois jours de rétention 
			(43) 
			CPT/Inf(2016)1, <a href='http://www.cpt.coe.int/documents/swe/2016-01-inf-eng.pdf'>Report
to the Swedish Government on the visit to Sweden carried out by
the European Committee for the Prevention of Torture and Inhuman
or Degrading Treatment or Punishment (CPT) from 18 to 28 May 2015 </a>(disponible uniquement en anglais), paragraphe 41. . Concernant «l’ex-République yougoslave de Macédoine», le CPT a constaté que l’immense majorité des étrangers retenus n’avait à aucun stade de la procédure eu accès à un avocat puisque la législation en vigueur ne prévoit l’accès à l’aide juridictionnelle gratuite que pour les demandeurs d’asile 
			(44) 
			«The
former Yugoslav Republic of Macedonia»: Visit 2014, CPT/Inf(2016)8,
Section 42/60, 25 mars 2015.. Dans son rapport de visite sur la Finlande, le CPT constate que les ressortissants étrangers détenus ont bien accès à un avocat une fois arrivés dans le centre de rétention, mais pas quand ils sont détenus par la police ou par les gardes-frontières alors même que les premiers interrogatoires sont menés à ce stade 
			(45) 
			Finland:
Visit 2014, CPT/Inf(2015)25, Section 16/34, 17 mars 2015, B. Foreign
nationals deprived of their liberty under aliens legislation / 5.
Safeguards..
29. Le CPT s’est rendu en Grèce à deux reprises en avril et en juillet 2016 afin d’examiner la situation des ressortissants étrangers privés de liberté dans les «centres d’accueil et d’identification» («hotspots») récemment créés et auxquels les avocats et les associations de défense des droits des migrants ont du mal à accéder. Le CPT a notamment accordé une attention particulière aux garanties juridiques qui sont offertes à ces étrangers 
			(46) 
			<a href='http://www.cpt.coe.int/documents/grc/2016-04-20-fra.htm'>www.cpt.coe.int/documents/grc/2016-04-20-fra.htm.</a>. Le CPT s’est également rendu en Turquie en juin 2015 dans le but de d’examiner le traitement et les conditions de détention des ressortissants étrangers retenus en vertu de la législation relative à l’immigration ainsi que les procédures qui leurs sont appliquées durant leur détention dans l’attente d’un renvoi 
			(47) 
			<a href='http://www.cpt.coe.int/documents/tur/2015-06-25-fra.htm'>www.cpt.coe.int/documents/tur/2015-06-25-fra.htm</a>; pour plus d’informations sur l’accès des réfugiés,
demandeurs d’asile et migrants en Turquie, voir <a href='http://www.asylumineurope.org/sites/default/files/resources/rrt_power_of_attorney_february_2016.pdf'>Barriers
to the right to effective legal remedy: The problem faced by refugees
in Turkey in granting power of attorney</a>, Opinion Paper by Refugee Rights Turkey, 02.2016 (uniquement
en anglais). Les rapports du CPT sur la Grèce et sur la Turquie ne sont pas encore publiés car les autorités n’en ont pas demandé la publication. Il sera intéressant de connaître les conclusions du CPT sur la question de l’accès à un avocat pour les étrangers en rétention administrative. De manière générale, le CPT sera sans doute amené à accorder une attention encore plus importante à cette question dans un grand nombre des États membres directement ou indirectement concernés par la crise des réfugiés en cours.

4. L’accès à un avocat dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et pendant l’état d’urgence

30. Les défis auxquels sont confrontés les États membres ne peuvent justifier les restrictions et dérogations apportées à ce droit d’accès à l’avocat que dans des conditions limitées et de manière temporaire. La Cour s’est récemment prononcée sur les restrictions temporaires à l’accès à un avocat au cours des interrogatoires de police des poseurs de bombes du 21 juillet 2005 à Londres. Elle a conclu, à l’égard des trois requérants, à la non violation du droit à un procès équitable et du droit à une assistance juridique, estimant qu’il y avait des raisons impérieuses – en l’occurrence empêcher d’autres attentats suicides – de restreindre temporairement leur droit à une assistance juridique. En revanche, elle a conclu à la violation des dispositions des articles 6.1 et 6.3.c de la Convention en ce qui concerne le quatrième requérant, initialement entendu en qualité de témoin et qui n’a pas été informé de son droit de garder le silence et n’a pas eu accès à l’aide juridique au moment où il a commencé à s’incriminer 
			(48) 
			Ibrahim
et autres c. Royaume-Uni, Requêtes nos 50541/08,
50571/08, 50573/08 et 40351/09, arrêt du 13 septembre 2016 (Grande
Chambre)..
31. Le Comité des Ministres précise dans une recommandation que l’état d’urgence au sens de l’article 15 de la Convention ne devrait pas avoir d’incidence sur le droit d’accès à un avocat:
«Un état d’urgence, au sens de l’article 15 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, ne devrait normalement pas avoir d’incidence sur le droit d'accès à un avocat et de consultation avec celui-ci dans le cadre de la procédure devant l’autorité judiciaire chargée de se prononcer sur le placement en détention provisoire 
			(49) 
			La <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=1041269'>Recommandation
Rec(2006)13</a> du Comité des Ministres aux États membres concernant
la détention provisoire, les conditions dans lesquelles elle est
exécutée et la mise en place des garanties contre les abus (adoptée
par le Comité des Ministres le 27 septembre 2006), paragraphe 25.4.
32. La Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) a estimé en matière de poursuites au sujet d’actes criminels terroristes que «l’accès à un avocat dès l’ouverture de la procédure non seulement renforcerait les droits de la défense, mais encore faciliterait sa collaboration avec la justice dans le respect de l’exercice de ses droits fondamentaux» 
			(50) 
			Rapport
de la Commission de Venise sur les mesures de lutte contre le terrorisme
et les droits de l’homme, Etude no 500/2008, <a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2010)022-f'>CDL-AS(2010)022</a>, 5 juillet 2010..
33. Dans sa Résolution 2122 (2016) sur la détention administrative, l’Assemblée s’inquiète que «certains États membres ont recouru abusivement à la détention administrative pour (…) obtenir des aveux en l’absence d’un avocat et/ou sous la contrainte» et encourage tous les États membres «à faire usage des instruments respectueux des droits de l’homme dont ils disposent pour protéger la sécurité nationale ou la sûreté publique, ainsi que pour prévenir les infractions pénales, notamment le terrorisme» 
			(51) 
			Ibrahim
et autres c. Royaume-Uni, op.
cit..
34. En France, l’état d’urgence a été déclaré le 14 novembre 2015, suite aux attentats meurtriers perpétrés la veille à Paris. En janvier 2016, le Conseil national des barreaux s’est fermement exprimé contre la prolongation de l’état d’urgence et a dénoncé ses conséquences pour les droits de la défense 
			(52) 
			<a href='http://cnb.avocat.fr/Le-CNB-refuse-la-prolongation-de-l-etat-d-urgence-et-denonce-ses-consequences-pour-les-libertes-et-les-droits-de-la_a2519.html'>Délibération
du Conseil national des barreaux – vers un État d’urgence permanent?</a>, adoptée par l'Assemblée générale des 22 et 23 janvier
2016; Voir aussi <a href='https://www.courdecassation.fr/publications_26/discours_publications_diverses_2039/discours_2202/premier_president_7084/gardienne_liberte_33544.html'>https://www.courdecassation.fr/publications_26/discours_publications_diverses_2039/discours_2202/premier_president_7084/gardienne_liberte_33544.html</a>.. Il s’est également inquiété d’un autre projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, son financement et l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. Il a demandé «que l’exercice des droits de la défense soit ouvert, dans le cadre de l’enquête préliminaire, dès la mise en œuvre d’une mesure d’audition, de perquisition ou de saisie à l’encontre de la personne soupçonnée». Le 26 juillet 2016, l’état d’urgence a été à nouveau prolongé. Mme Basilien-Gainche a, lors de l’audition devant la commission, dénoncé la nature de plus en plus administrative des procédures, lesquelles sont soumises au juge administratif qui exerce un contrôle seulement a posteriori et opère un examen restreint de la légalité des mesures 
			(53) 
			C’est-à-dire le contrôle
de l’erreur manifeste d’appréciation; Voir aussi en ce sens <a href='http://www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=511'>www.journal-du-droit-administratif.fr/?p=511</a>. . Le juge administratif, outre le fait qu’il intervient après, ne peut à lui seul tout faire et peut se révéler généralement plus attentif aux exigences de sécurité publique qu’aux impératifs de liberté individuelle. Mme Basilien-Gainche a également exprimé des inquiétudes eu égard à la décision du Conseil d’État du 11 décembre 2015 qui a affirmé que les dispositions de la loi française de 1955 sur l’état d’urgence n’imposaient pas qu’il y ait un rapport entre l’objet de la déclaration de l’état d’urgence et les motifs des décisions prises sur le fondement de cet état d’urgence 
			(54) 
			Conseil
d’État, Sect. 11, décembre 2015, nos 394989,
394990, 394991, 394992, 394993, 395002, 395009.. L’assignation à résidence, dans le contexte de l’état d’urgence, de militants écologistes qui avaient l’intention de manifester en marge de la COP21 a ainsi suscité la controverse 
			(55) 
			<a href='http://www.lemonde.fr/societe/article/2015/11/27/les-militants-de-la-cop21-cible-de-l-etat-d-urgence_4818885_3224.html'>Les
militants de la COP21, cibles de l’état d’urgence</a>, Le Monde, 27
novembre 2015; voir également le <a href='http://www.ldh-france.org/ministre-linterieur-perd-ses-nerfs-confond-assimile-mouvement-associatif-au-terrorisme/'>communiqué</a> de la Ligue des droits de l’homme du 26 novembre 2015.. Selon l’experte, «certaines procédures examinées se [sont] accompagnées de détention sans accès rapide à un avocat» 
			(56) 
			Contribution de Marie-Laure
Basilien Gainche à l’audition devant la commission des questions
juridiques et des droits de l’homme, Strasbourg, 21 juin 2016, texte
disponible auprès du Secrétariat.. De façon plus générale le contrôle en urgence du juge avant une décision de l’autorité administrative devrait pouvoir être renforcé. Le 15 novembre 2016, le Président français a annoncé son intention de demander à nouveau la prolongation de l’état d’urgence jusqu’aux prochaines élections présidentielles prévues en avril et mai 2017.
35. En réponse à mon courrier, le Président de la délégation française, M. René Rouquet (SOC), m’a indiqué que «la mise en place de l’état d’urgence n’a pas entraîné de dérogations aux règles relatives à l’accès des détenus à un avocat». Au contraire, alors que l’article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence confère aux autorités le pouvoir d’ordonner des perquisitions en tout lieu, il exclut expressément les lieux affectés «à l’activité professionnelle des avocats». Cependant, comme me l’indique la documentation transmise par la délégation française, la question de la présence de l’avocat (pas obligatoire) au cours des perquisitions fait l’objet de débats. Et je constate que l’article 11 de la loi no 55-385 prévoit la possibilité de refuser à une personne placée en rétention administrative au cours d’une perquisition de faire valoir son droit à faire prévenir par l’officier de police judiciaire toute personne de son choix, «en raison des nécessités liées à la retenue» sur décision du Procureur de la République.
36. Il est intéressant de noter que l’Assemblée nationale française et le Sénat ont mis en place un contrôle parlementaire de l’état d’urgence effectué par leurs Commissions des lois respectives. Le rapport de la Commission des lois de l’Assemblée nationale souligne en effet la nécessité d’un «contrôle parlementaire innovant»: «à procédure d’exception, contrôle exceptionnel»; «le contrôle parlementaire s’est très vite imposé comme un élément de la légitimité de cette période d’exception» 
			(57) 
			Rapport
no 3784 sur le contrôle parlementaire
de l’état d’urgence, Dominique Raimbourg et Jean-Frédéric Poisson, 25
mai 2016, p. 6.. Ce contrôle parlementaire vise notamment à obtenir des précisions auprès du gouvernement sur certaines mesures individuelles ou générales, telles que les perquisitions, les assignations à résidence, les interdictions de manifester, etc.
37. En Belgique, suite aux attentats de Paris de novembre 2015 et de Bruxelles de mars 2016, de nombreuses nouvelles lois et réglementations relatives à la lutte antiterroriste ont été adoptées. Dans un rapport Human Rights Watch (HRW) a exprimé ses inquiétudes quant à l’impact de ces mesures sur les droits fondamentaux 
			(58) 
			<a href='https://www.hrw.org/fr/report/2016/11/03/sources-dinquietude/les-reponses-antiterroristes-de-la-belgique-aux-attaques-de'>Source
d’inquiétude – Les réponses antiterroristes de la Belgique aux attaques
de Paris et de Bruxelles</a>, HRW, novembre 2016.. En ce qui concerne l’accès des détenus à un avocat, HRW souligne qu’un projet de loi en cours de considération par le Parlement fédéral vise à tripler (de 24 h à 72 h) la période maximale de détention en garde à vue de suspect dans des cas liés au terrorisme. Alors que la Loi belge «Salduz», en conformité avec la jurisprudence de la Cour, garantit au suspect l’accès à un avocat pendant la garde à vue, le projet de loi prévoit la possibilité de ne pas avoir ce contact au tout début de l’interrogatoire par la police. Selon HRW, cela signifierait qu’un suspect pourrait rester sans avocat pendant près de trois jours 
			(59) 
			Ibid., p. 36-37.. La réponse de la délégation belge à mon courrier indique que la loi relative à certains droits des personnes soumises à un interrogatoire, adoptée le 10 novembre 2016 par la Chambre des représentants 
			(60) 
			<a href='http://www.lachambre.be/FLWB/PDF/54/2030/54K2030009.pdf'>www.lachambre.be/FLWB/PDF/54/2030/54K2030009.pdf.</a>, transpose la Directive 2013/48/UE relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen 
			(61) 
			<a href='http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32013L0048&from=EN&lang3=choose&lang2=choose&lang1=FR'>Directive
2013/48/UE</a> du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013
relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures
pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen,
au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit
des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et
avec les autorités consulaires. et garantit le droit d’accès à un avocat lors de toutes les auditions, y compris pour les personnes en détention provisoire. Son article 6.9 reprend littéralement le texte de la directive et prévoit des exceptions au droit de concertation avec un avocat préalablement au premier interrogatoire ainsi qu’au droit d’être assisté de son avocat lors des auditions «à la lumière des circonstances particulières de l’espèce» au cas où un ou des motifs impérieux (définis dans la loi) le justifient 
			(62) 
			La loi du 20 juillet
1990 relative à la détention préventive prévoit la possibilité pour
les autorités judiciaires de déroger temporairement et dans des
circonstances exceptionnelles au droit d’accès à un avocat (article
2 bis, paragraphe 5)..

5. La situation en Turquie suite à la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016

38. Comme je l’ai mentionné plus haut, on assiste actuellement à une très sérieuse et inquiétante diminution des principes et normes de l’État de droit en Turquie. Cette érosion, qui avait commencé avant la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016 et a déjà été dénoncée par notre Assemblée dans sa Résolution 2121 (2016) 
			(63) 
			Voir Résolution 2121 (2016) sur le fonctionnement des institutions démocratiques
en Turquie, dans laquelle l’Assemblée parlementaire constate que
«[l]es récents développements intervenus en Turquie concernant la
liberté d’expression et la liberté des médias, l’érosion de l’État
de droit et les violations des droits de l’homme liées aux opérations
de sécurité antiterroristes menées dans le sud-est de la Turquie
soulèvent, toutefois, de sérieuses questions quant au fonctionnement
de ses institutions démocratiques. Ces constats sont corroborés
par de récents rapports adoptés par plusieurs mécanismes de suivi
du Conseil de l’Europe, notamment la Commission européenne pour
la démocratie par le droit (Commission de Venise), le Groupe d’États
contre la corruption (GRECO) et le Bureau du Commissaire aux droits
de l’homme, qui font apparaître les mêmes préoccupations profondes
auxquelles la Turquie devrait répondre sans plus attendre» de plus
«L’Assemblée conclut que l’évolution récente de la situation concernant
la liberté des médias et la liberté d’expression, l’érosion de l’État
de droit et les violations des droits de l’homme liées aux opérations
de sécurité antiterroristes menées dans le sud-est de la Turquie
menacent le fonctionnement des institutions démocratiques de ce
pays et le respect de ses obligations vis-à-vis du Conseil de l’Europe»., a pris de nouvelles proportions depuis. L’état d’urgence, initialement proclamé le 20 juillet 2016 pour une durée de trois mois, a été reconduit pour trois mois à compter du 19 octobre 2016. Des arrestations massives qui s’apparentent à des purges de grande ampleur, plusieurs dizaines de milliers de personnes 
			(64) 
			<a href='http://ec.europa.eu/enlargement/pdf/key_documents/2016/20161109_report_turkey.pdf'>European
Commission Turkey 2016 Report</a>, COM(2016)715 final, 9 novembre 2016; voir également <a href='http://www.amnestyusa.org/news/press-releases/turkey-independent-monitors-must-be-allowed-to-access-detainees-amid-torture-allegations'>Turkey: Independent
monitors must be allowed to access detainees amid torture allegations</a>, 24 juillet 2016,
Amnesty International., ont eu lieu et il y a fort à penser qu’un certain nombre d’entre elles soient arbitraires. Des avocats ont indiqué avoir subi des pressions pour ne pas représenter des personnes soupçonnées d’appartenir au mouvement FETÖ/PDY (Fetullahçı Terör Örgütü/Paralel Devlet Yapılanması – Organisation terroriste guleniste/structure d’État parallèle) ou avoir peur d’y être associés s’ils le faisaient 
			(65) 
			<a href='https://www.hrw.org/news/2016/08/05/turkey-judges-prosecutors-unfairly-jailed'>Turkey:
Judges, Prosecutors Unfairly Jailed – Pretrial Detention, Unfair
Dismissals, Asset Freezes Follow Failed Coup, HRW, 5 août 2016.</a>. Des douzaines d’avocats auraient d’ailleurs été détenus pour soupçons de liens avec le mouvement FETÖ/PDY 
			(66) 
			Ibid.. Les chiffres sont édifiants et je renvoie ici à la lecture de la note d’information publiée par la commission de suivi de l’Assemblée 
			(67) 
			«Le coup d’État avorté
du 15 juillet 2016 en Turquie: quelques faits et chiffres», note
d’information de la commission de suivi dans le contexte du dialogue
post-suivi avec la Turquie, <a href='http://www.assembly.coe.int/Committee/MON/fmoninfdoc14rev-2016-Turquie.pdf'>AS/Mon/Inf
(2016) 14 rev 2</a>, 8 novembre 2016.. Un groupe d’experts des Nations Unies, y compris la Rapporteure spéciale sur l'indépendance des juges et des avocats, Mme Monica Pinto, a appelé la Turquie à respecter l’indépendance du judiciaire et les principes de l’État de droit, y compris en temps de crise. Les experts des Nations Unies ont notamment appelé les autorités à garantir l’accès des détenus à l’avocat de leur choix 
			(68) 
			<a href='http://www.ohchr.org/en/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=20285&LangID=E'>«UN
experts urge Turkey to respect the independence of the judiciary
and uphold the rule of law</a>», 19 juillet 2016.. Dans un memorandum publié en octobre 2016, le Commissaire aux droits de l’homme dénonce des restrictions drastiques au droit d’accès à un avocat ainsi que des limitations au principe de confidentialité de la relation client-avocat 
			(69) 
			Memorandum
on the human rights implications of the measures taken under the
state of emergency in Turkey, <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?p=&id=2442079&Site=COE&direct=true'>CommDH(2016)35,</a> 7 octobre 2016 (uniquement en anglais), voir également
A summary of Amnesty International’s concerns regarding the failed
coup attempt in Turkey and its aftermath, 6 septembre 2016. Certains avocats désignés pour représenter les détenus ont finalement refusé de le faire, par peur de représailles 
			(70) 
			Ibid. .Dans le contexte d’allégations plus que sérieuses de torture et de traitements inhumains ou dégradants à l’égard des détenus, l’absence d’accès à un avocat est d’autant plus préoccupante.
39. Depuis la déclaration de l’état d’urgence, plusieurs décrets-lois ont apporté des limitations au droit d’accès à un avocat des détenus. Le décret no 667 publié le 23 juillet 2016 a augmenté la durée de détention légale en l’absence d’inculpation de quatre à 30 jours. Selon la réponse qui m’a été donnée par la délégation turque, cette augmentation était nécessaire pour faire face à l’arrestation soudaine d’un très grand nombre de personnes. Cette durée peut s’appliquer dans les cas d’atteintes à la sûreté de l’État, à l’ordre constitutionnel, aux secrets d’État, à la défense nationale et aux crimes terroristes, ainsi qu’aux crimes commis en groupe. Elle souligne également que la durée de 30 jours maximum prévue n’aurait encore jamais été appliquée. Le décret remet également directement en cause le principe de la confidentialité des communications avec l’avocat puisqu’il autorise des officiels à être présents durant les entretiens entre les gardés à vue et leurs avocats, à les enregistrer et même à les interrompre. Par ailleurs, les détenus ne sont plus libres de choisir leurs avocats comme ils le souhaitent 
			(71) 
			<a href='http://www.amnestyusa.org/news/press-releases/turkey-independent-monitors-must-be-allowed-to-access-detainees-amid-torture-allegations'>Turkey:
Independent monitors must be allowed to access detainees amid torture
allegations</a>, Amnesty International, 24
juillet 2016.. Un autre décret, en date du 27 juillet 2016, permet au procureur de limiter l’accès des détenus à un avocat pendant les cinq premiers jours de détention 
			(72) 
			<a href='https://www.hrw.org/news/2016/08/03/government-response-turkeys-coup-affront-democracy'>The
Government Response to Turkey’s Coup Is an Affront to Democracy</a>, Benjamin Ward, Human Rights Watch, 3 août 2016.. Selon des témoignages concordants d’avocats, beaucoup des personnes arrêtées ont été détenues et tenues au secret pendant plusieurs jours, sans contact avec leurs proches et sans la possibilité de joindre un avocat 
			(73) 
			<a href='http://www.amnestyusa.org/news/press-releases/turkey-independent-monitors-must-be-allowed-to-access-detainees-amid-torture-allegations'>Turkey:
Independent monitors must be allowed to access detainees amid torture
allegations</a>, Amnesty International, 24
juillet 2016..
40. Par ailleurs, le décret du 27 juillet 2016 autorise les procureurs à ordonner, sans décision d’un juge, des fouilles des bureaux des avocats et des saisines de documents 
			(74) 
			<a href='http://en.rfi.fr/europe/20160728-turkey-clamps-down-lawyers-amid-post-coup-torture-claims'>Turkey
clamps down on lawyers amid post-coup torture claims</a>, RFI Europe, 28 juillet 2016..
41. La délégation turque m’a transmis des informations détaillées sur les modifications législatives apportées par décrets lois, notamment par le décret-loi no 676 du 29 octobre 2016, sur leurs implications sur le droit d’accès à un avocat ainsi que sur la procédure de déclaration de l’état d’urgence. L’état d’urgence est déclaré sur décision du gouvernement, laquelle est soumise à l’approbation de la Grande Assemblée nationale.
42. Le droit d’un suspect de communiquer avec son avocat peut effectivement être limité durant l’état d’urgence, mais le suspect ne peut pas être interrogé durant cette période. Le but de cette mesure serait d’éviter la transmission d’information à des fins terroristes entre les suspects/détenus et des organisations terroristes par l’intermédiaire des avocats. À mon sens, écarter l’avocat à ce stade supprime un élément de prévention efficace des cas de torture ou de traitements inhumains ou dégradants durant la période précédant les interrogatoires.
43. D’autre part, en raison du nombre très important et de l’ampleur des enquêtes en cours relatives au mouvement FETÖ/PDY, la représentation aux audiences a été limitée à trois avocats dans le but de garantir un procès équitable sans pour autant entraver les poursuites.
44. Un avocat faisant l’objet de poursuites en cours ou soupçonné de crimes terroristes ou listés aux articles 220 et 314 du Code Pénal turc (appartenance à des organisations criminelles et/ou armées) peut se voir interdire de représenter un détenu, soupçonné/accusé d’avoir commis ces mêmes crimes, ou un condamné pour ces derniers.
45. L’article 59 de la loi no 5275 sur les mesures préventives et l’exécution des peines a également été amendé en ce sens que, en cas de menace à l’encontre de la société et de l’administration pénitentiaire, en cas de risque de diriger une organisation terroriste ou criminelle, de lui donner des ordres ou des instructions, les mesures suivantes peuvent être mises en œuvre concernant l’accès à l’avocat des condamnés détenus dans des établissements pénitentiaires: les entretiens entre le détenu condamné et son avocat peuvent être enregistrés (son et/ou vidéo), un officiel peut assister à ces entretiens et les documents transmis peuvent être confisqués. Le nombre et la durée des entretiens peuvent également être limités. Ces mesures peuvent être prises sur décision du juge d’application des peines à la demande du procureur en chef de la République pour trois mois (période qui peut être prolongée). En cas d’infraction à l’encontre de ces règles pendant les entretiens entre un détenu et son avocat, les contacts de celui-ci avec ses avocats peuvent être interdits pendant six mois. Dans ce cas, un autre avocat sera commis d’office par le Barreau compétent. Selon les autorités, le but de ces mesures, qui sont susceptibles d’un recours, n’est pas de porter atteinte au principe de confidentialité des échanges entre avocat et client mais d’empêcher les communications entre les membres du FETÖ/PDY par l’intermédiaire de leurs avocats.
46. Je ne partage pas l’avis exprimé dans la réponse de la délégation turque selon laquelle toutes les mesures prises depuis la tentative de coup d’état du 15 juillet 2016 ont été «nécessaires, urgentes et proportionnées». Les arguments de nécessité et d’urgence, plus de quatre mois après la tentative de coup d’état, me semblent perdre de leur pertinence. Quant à la question de la proportionnalité de ces mesures, il y a fort à penser que la Cour européenne des droits de l’homme, auprès de laquelle des centaines de requêtes ont d’ores et déjà été déposées dans ce contexte, se prononcera à ce sujet 
			(75) 
			Une première requête
portant sur la régularité de la détention provisoire d’une magistrate,
à la suite du coup d’État du 15 juillet 2016, a été rejetée le 17
novembre 2016 par la Cour pour non-épuisement des voies de recours
internes, Mercan c. Turquie (Requête
no 56511/16)..
47. Par ailleurs, la réponse de la délégation turque précise qu’un certain nombre des amendements apportés à la législation par les décrets-lois pris dans le contexte de l’état d’urgence ont un caractère permanent et ne sont donc pas limités à l’état d’urgence. Sous couvert d’état d’exception, le législateur turc est en train de réviser les lois, notamment le Code de procédure pénale, et de réduire les garanties en matière de droits de l’homme et de procès équitable de manière permanente. C’est plus qu’inquiétant.
48. Nous devons veiller à ce que la législation revienne à un état conforme aux standards internationaux qui garantissent l’État de droit et les droits de l’homme – notamment ceux définis dans la «Liste des critères de l’État de droit» de la Commission de Venise – et condamner ces situations le plus fermement possible et appeler les autorités turques à rétablir les garanties procédurales d’un procès équitable en respectant les droits de l’homme et les principes d’un État de droit et en menant sans attendre des enquêtes effectives, impartiales et diligentes sur les allégations de torture, de traitements inhumains ou dégradants, voire de décès en détention. j’adhère pleinement à l’appel lancé récemment par la commission de suivi de l’Assemblée dans une déclaration demandant «la levée de l’état d’urgence dans les plus brefs délais» 
			(76) 
			Déclaration de la Commission
de suivi de l’Assemblée intitulée «<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=6402&lang=1&cat=3'>Turquie:
l’arrestation de députés du HDP met en péril le fonctionnement des
institutions démocratiques</a>», 9 novembre 2016..

6. Conclusions

49. Ce rapport rappelle que l’accès aux avocats doit être garanti dans les conditions fixées par la Convention européenne des droits de l’homme dès le début de la garde à vue et à chaque stade de la procédure pénale. Il examine également dans la pratique la question de l’accès des détenus à un avocat dans trois contextes spécifiques d’actualité particulière: l’accès à un avocat dans les contextes migratoire; la lutte contre le terrorisme; et la situation inquiétante en Turquie depuis la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016. Ces trois questions d’actualité méritent toute notre attention.
50. Ce rapport met le doigt sur la situation des avocats dans les États membres du Conseil de l’Europe. Leur rôle de garants des droits de la défense et d’un procès équitable, mais aussi de prévention en matière de torture ou de traitement inhumain ou dégradant, ne saurait être sous-estimé. Or, l’accès à l’avocat peut se trouver entravé ou refusé directement (en retardant cet accès par exemple) ou indirectement (lorsque les avocats sont la cible d’intimidations, de menaces ou font l’objet de procédures visant à les disqualifier) 
			(77) 
			Je note avec intérêt
qu’une proposition de recommandation intitulée «Pour une convention
européenne sur la profession d’avocat» (Doc. 14181) a été déposée par M. Fabritius et plusieurs de nos
collègues. Je suis convaincue du bien-fondé de cette proposition
dont je suis moi-même signataire. .
51. Les difficultés d’accès à un avocat sont réelles et courantes dans le contexte de la rétention administrative des migrants en situation irrégulière et des demandeurs d’asile. Le CPT s’est penché sur cette question en particulier lors de récentes visites en Grèce et en Turquie et il est regrettable que ces rapports ne soient pas encore dans le domaine public.
52. La lutte contre le terrorisme oblige les gouvernements et les législateurs à prendre des mesures exceptionnelles, mais cela ne devrait pas se faire aux dépends du droit à un procès équitable. Les situations d’exception doivent donc faire l’objet d’une attention particulière de la part des parlements nationaux, qui devraient instaurer un contrôle parlementaire de l’état d’urgence. En effet, il faut s’assurer que ces dernières ne soient pas exemptes des garanties procédurales adéquates. Les autorités ne peuvent pas recourir à des détentions arbitraires et s’affranchir des droits de l’homme et des principes de l’État de droit, notamment en faisant un recours abusif à des procédures administratives ou en bloquant l’accès à un avocat de différentes manières. Comme l’avait si bien rappelé dans une déclaration Anne Brasseur, alors Présidente de notre Assemblée, «Les droits de l'homme ne sauraient être sacrifiés sur l’autel de la lutte contre le terrorisme, c’est là précisément ce que veulent les terroristes!».
53. En ce qui concerne la Turquie, les entraves à l’accès à un avocat des personnes arrêtées après la tentative de coup d’État sont rapportées en masse. Je constate en effet que, sous couvert d’état d’urgence, le législateur turc est en train de restreindre fortement et durablement les garanties d’un procès équitable. Les amendements apportés me semblent manquer de précision et ouvrir la possibilité d’interprétations très larges. Etant donné la situation actuelle, on est en droit de se demander s’il restera des avocats susceptibles de défendre les personnes arrêtées ou poursuivies suite à la tentative de coup d’État, autres que des avocats commis d’office. Ainsi, j’appelle à la levée de l’état d’urgence le plus rapidement possible.
54. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a détaillé les aspects du droit d’accès à un avocat et a à de nombreuses reprises rappelé son rôle fondamental dans un procès équitable. Or, ce rapport constate que cet accès n’est pas toujours une évidence, au contraire il est même souvent directement entravé soit dans la législation, soit dans la pratique. Le projet de résolution formule donc quelques propositions de recommandations concrètes en vue de renforcer et de garantir ce droit en toutes circonstances. Dans sa résolution, l’Assemblée devrait rappeler l’importance primordiale de l’accès effectif des détenus à un avocat dès le début de la détention provisoire – peu importe la nature du délit ou du crime, et peu importe son importance, mineure ou majeure – pour garantir que les droits de la défense soient des droits concrets et effectifs, et non pas théoriques ou illusoires.