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Rapport | Doc. 15132 | 02 septembre 2020

Le dialogue postsuivi avec le Monténégro

Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)

Corapporteur : M. Anne MULDER, Pays-Bas, ADLE

Corapporteur : M. Emanuelis ZINGERIS, Lituanie, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Résolution 1115 (1997). 2021 - Première partie de session

Résumé

La commission de suivi reconnaît les progrès substantiels réalisés depuis l'adoption du dernier rapport sur le dialogue postsuivi en 2015. Le Monténégro a introduit une législation conforme aux normes du Conseil de l'Europe et a répondu à plusieurs préoccupations formulées par l'Assemblée parlementaire et d'autres mécanismes de suivi du Conseil de l'Europe. Dans les domaines où le Monténégro est en général perçu comme un partenaire coopératif ou un bon exemple pour la région, tels que les droits des minorités, les droits des personnes LGBTI ou la situation des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur du pays, la situation a continué de s'améliorer.

Cependant, des progrès limités ont été réalisés dans les quatre domaines prioritaires identifiés par l'Assemblée dans sa Résolution 2030 (2015). Même lorsqu’on a pu noter des améliorations, par exemple concernant l’indépendance de la justice ou la situation des médias, ces améliorations ont vu leur poids contrebalancé par des tendances négatives opposées. Dans les quatre domaines clés, le Monténégro semble avoir atteint un plafond de verre. Dans chacun d'entre eux, beaucoup d'efforts ont été déployés pour établir un cadre juridique qui, bien que perfectible, devrait pouvoir fonctionner pleinement mais qui, en réalité, s'est avéré non fonctionnel. Nous pensons que le temps est venu pour le Monténégro de démontrer qu'il existe une réelle volonté politique de briser ce plafond de verre, même si les autorités monténégrines ne sont pas les seules à pouvoir le faire. Il appartient d’autant plus à l'opposition de jouer son rôle au sein du parlement, et de s'abstenir d'une attitude de boycott, qui n'est pas la façon européenne de participer à cette compétition.

Par conséquent, la commission de suivi recommande la poursuite du dialogue postsuivi avec le Monténégro dans les quatre domaines prioritaires, ainsi que sur la loi sur la liberté de religion, une question que l'Assemblée avait souhaité suivre dès 2015. La commission a proposé d'évaluer les progrès dans ces domaines après les élections générales qui se tiendront en 2020.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 22 juin
2020.

(open)
1. Le Monténégro a adhéré au Conseil de l’Europe en 2007. Il a été soumis à la procédure de suivi générale jusqu’en 2015. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution 2030 (2015) sur le respect des obligations et engagements du Monténégro, dans laquelle elle a décidé de clore la procédure de suivi et d’engager un dialogue postsuivi dans quatre domaines prioritaires, à savoir l’indépendance du pouvoir judiciaire, la confiance dans le processus électoral, la lutte contre la corruption et la situation des médias. L’Assemblée s’est également donnée pour mandat de suivre l’évolution de la situation dans le domaine des droits des minorités et de la lutte contre la discrimination, ainsi que celle des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur du pays.
2. L’Assemblée salue la volonté et l’engagement politiques permanents dont les autorités monténégrines ont fait preuve pour respecter pleinement leurs obligations, comme le confirme leur coopération constante avec les mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe, les experts juridiques et la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise). L’Assemblée se félicite aussi de leur niveau d’implication dans le dialogue postsuivi.
3. L’Assemblée réaffirme que le Monténégro continue de jouer un rôle positif dans la stabilisation de la région et qu’il reste un partenaire fiable et constructif, impliqué dans plusieurs initiatives régionales et multilatérales.
4. Au vu des développements intervenus depuis 2015, l’Assemblée a évalué les progrès réalisés dans les quatre domaines prioritaires, ainsi que les sujets toujours pendants et nécessitant une attention particulière, identifiés en 2015.
5. Concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire, l’Assemblée:
5.1. se félicite de la mise en œuvre, par les autorités monténégrines, des amendements constitutionnels relatifs au pouvoir judiciaire adoptés en juillet 2013 et de l’établissement d’un cadre juridique complet régissant les tribunaux, les parquets, le Conseil de la magistrature et les juges, le Conseil des procureurs et la Cour constitutionnelle ; elle reconnaît l’ampleur des changements ainsi apportés au pouvoir judiciaire et leur mise en œuvre dans le respect de la plupart des recommandations de la Commission de Venise;
5.2. félicite les autorités monténégrines pour l’amélioration réelle de la formation des professions judiciaires, grâce notamment au Centre de formation des juges et des procureurs, qui devrait avoir des effets durables sur le professionnalisme des nouveaux magistrats et, par là même sur l’efficacité du système judiciaire;
5.3. regrette profondément la reconduction dans leurs fonctions, par le Conseil de la magistrature en 2019 et 2020, de plusieurs présidents de tribunaux de première instance et de la présidente de la Cour suprême, qui ont déjà effectué deux mandats ou plus. La disposition instaurant la limite de deux mandats, inscrite dans la Constitution depuis 2013 ainsi que dans la loi, et visant à empêcher la concentration excessive des pouvoirs au sein du pouvoir judiciaire, a été violée dans son esprit, sinon dans sa lettre;
5.4. constate qu’après les messages négatifs envoyés en 2018 concernant la transparence des procédures de recrutement et de nomination des juges, le Conseil de la magistrature semble avoir amélioré sa procédure de sélection en 2020;
5.5. regrette profondément, au même titre que la Commission européenne et le Groupe d’États contre la corruption (GRECO), qu’aucun progrès n’ait été réalisé dans la révision du cadre disciplinaire applicable aux juges et aux procureurs.
6. Concernant la confiance dans le processus électoral, l’Assemblée:
6.1. est préoccupée par l’absence de progrès dans la mise en œuvre des cinq conditions fixées par la Résolution 2030 (2015), hormis en ce qui concerne la constitution des listes électorales;
6.2. rappelle avec insistance que le parlement est l’arène où la concurrence politique devrait s’exercer, que le boycott de ses travaux n’est pas conforme à la manière européenne de participer à cette compétition et que la réforme du cadre juridique relatif aux campagnes électorales ne peut se faire de manière inclusive, dès lors que les principaux partis de l’opposition n’y participent pas;
6.3. rappelle que tous les groupes politiques au parlement ont en partage la responsabilité de créer une atmosphère et une culture de démocratie parlementaire.
7. Concernant la lutte contre la corruption, l’Assemblée:
7.1. prend acte de la mise en œuvre de la loi sur la prévention de la corruption et de la loi sur la prévention des conflits d’intérêts ainsi que des politiques de prévention établies par l’Agence de prévention de la corruption;
7.2. déplore que la loi relative au financement des entités politiques et des campagnes électorales ait eu des effets limités sur la prévention et la répression des dons illicites, comme l’ont déclaré les commissions ad hoc du Bureau de l’Assemblée pour l’observation des élections législatives de 2016 et de l’élection présidentielle de 2018;
7.3. salue l’adoption de la loi sur le Bureau spécial du ministère public, qui est chargé de lutter contre la corruption et le crime organisé, l’augmentation constante de ses moyens, ainsi que de ceux de l’Unité spécialisée de la police, et les résultats récemment obtenus en matière de lutte contre les organisations criminelles monténégrines grâce à une participation accrue à la coopération policière internationale;
7.4. prend note de l’établissement, comme l’a indiqué la Commission européenne, d’un «bilan initial» des enquêtes, des poursuites et des condamnations définitives dans les affaires de corruption;
7.5. félicite les autorités monténégrines d’avoir mis en œuvre de manière satisfaisante 12 des 14 recommandations formulées par le GRECO dans le cadre du Troisième cycle d’évaluation portant sur la transparence du financement des partis politiques et 8 des 11 énoncées dans le cadre du Quatrième Cycle d’Évaluation axé sur la prévention de la corruption des parlementaires, juges et procureurs, conclu en décembre 2019;
7.6. est toutefois préoccupée par l’évaluation de la Commission européenne selon laquelle le système de justice pénale semble généralement faire preuve de clémence, avec des peines, des amendes et des recouvrements des avoirs disproportionnellement faibles par rapport à la gravité du crime.
8. Concernant la situation des médias, l’Assemblée:
8.1. se félicite des efforts manifestes fournis par les juges et les procureurs pour s’attaquer au problème des agressions de journalistes; elle salue en outre ceux déployés par les forces de police pour arrêter les auteurs et les personnes suspectées de tels actes, ainsi que le soutien manifesté publiquement par le gouvernement à la commission de suivi des actions des autorités compétentes dans l’instruction des affaires de menaces et de violences envers des journalistes, d’assassinats de journalistes et de dégradation de biens appartenant à des médias et se réjouit de l’implication récente et pertinente du parlement qui a débattu des rapports de cette commission;
8.2. demeure toutefois très préoccupée par les menaces et la violence à l’encontre des journalistes, récemment mises en évidence dans plusieurs affaires;
8.3. salue vivement les efforts actuellement entrepris par les autorités monténégrines pour réviser le cadre juridique relatif aux médias, en étroite coopération avec le Conseil de l’Europe;
8.4. regrette les révocations en 2017 et 2018 de membres des conseils d’administration du service public de radiodiffusion (RTCG) et de l’Agence des médias électroniques décidées par le parlement à la suite des enquêtes menées par l’Agence de prévention de la corruption car elles pourraient être vues comme une ingérence politique;
8.5. est particulièrement préoccupée par la tendance des organismes publics à restreindre l’accès aux documents publics, ce qui va à l’encontre du besoin pressant de transparence au Monténégro et d’accès des médias à l’information; si l’Assemblée convient pleinement de la nécessité d’encadrer la liberté d’expression, elle souligne que cette réglementation doit être conforme aux normes européennes et que le concept d’«abus du droit à l’information» n’est pas approprié.
9. Concernant les droits des minorités et la lutte contre la discrimination, l’Assemblée:
9.1. se félicite de la mise en place des mécanismes de prévention de la torture et de protection contre la discrimination au titre respectivement du Protocole facultatif se rapportant à la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de l’Organisation. Elle prend également acte de la clarification en 2017 des compétences du Protecteur des droits de l’homme et des libertés (Ombudsman) en matière de protection contre les discriminations;
9.2. salue l’adoption en 2017 de la loi sur les droits et libertés des minorités qui répond à quatre des cinq recommandations formulées par la Commission de Venise;
9.3. se félicite de l’avis très positif sur le Monténégro émis en mars 2019 par le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l’Europe et appelle les autorités monténégrines à prendre de toute urgence les mesures en faveur des Roms et des Égyptiens mentionnées dans l’avis;
9.4. félicite le Monténégro pour le bon exemple donné à toute la région en ce qui concerne le niveau de protection accordé aux personnes LGBTI, même si le parlement n’est pas parvenu en juillet 2019 à adopter la loi autorisant l’union de deux personnes de même sexe.
10. Concernant la situation des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur du pays, l’Assemblée prend note de l’avis positif émis par le Comité consultatif quant aux progrès accomplis par le Monténégro pour résoudre la question des personnes déplacées, pour la plupart des Roms et Égyptiens arrivés dans le pays à la fin des années 1990, et pour mener quasiment à bonne fin la régularisation de leur statut juridique.
11. S’agissant de la loi relative à la liberté de religion ou de conviction et au statut juridique des communautés religieuses (loi sur la liberté de religion) adoptée en décembre 2019, l’Assemblée:
11.1. souligne que la réglementation des communautés religieuses est une question relevant de la souveraineté nationale, qui doit être exercée sans aucune ingérence étrangère;
11.2. déplore que la partie de la loi relative aux « droits de propriété » ait créé un climat caractérisé par un profond clivage, alors que la plupart des dispositions constituent un réel progrès par rapport au cadre juridique antérieur, comme l’a indiqué la Commission de Venise dans son avis sur le projet de loi;
11.3. a pleinement conscience des craintes bien compréhensibles des membres de l’Église orthodoxe serbe, compte tenu de l’ampleur des transferts de propriété éventuels de l’Église à l’État monténégrin au motif qu’il s’agit de biens du «patrimoine culturel», soit possiblement la plupart des édifices religieux bâtis avant 1918;
11.4. se félicite de la poursuite ininterrompue du dialogue entre les autorités monténégrines et le Métropolite du Monténégro et du littoral et les enjoint de parvenir à une solution respectueuse de la démocratie et de l’État de droit, ce qui suppose le respect du processus législatif et le recours aux juridictions compétentes pour défendre les droits conférés par la loi.
12. Dans ce contexte, l’Assemblée décide de poursuivre le dialogue postsuivi avec le Monténégro dans les domaines suivants :
13. Concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire, l’Assemblée suivra de près:
13.1. la mise en œuvre de la recommandation v. formulée dans le cadre du Quatrième Cycle d’Évaluation du GRECO, et notamment du respect de l’esprit des changements constitutionnels et législatifs concernant la limitation à deux mandats pour les présidents de tribunaux ; l’application de ce critère pourrait être assurée grâce à une modification du cadre juridique ou à un changement des pratiques initié par le système judiciaire lui-même;
13.2. que le respect de la transparence des procédures de recrutement et de nomination des magistrats continue à être appliqué;
13.3. l’amélioration de la mise en œuvre du code de déontologie et de la responsabilité disciplinaire des magistrats.
14. Concernant la confiance dans le processus électoral, l’Assemblée suivra les progrès réalisés:
14.1. dans la tenue des élections générales, conformément aux recommandations de la Commission de Venise et du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE (BIDDH de l’OSCE), malgré l’absence de révision du cadre juridique en amont du scrutin;
14.2. dans la relance, juste après les élections, d’un processus global et inclusif de réforme du cadre électoral, conformément aux recommandations de la Commission de Venise et du BIDDH de l’OSCE, et à celles du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, s’agissant en particulier de la tenue des élections locales le même jour et au moins à six mois de distance des élections législatives.
15. Concernant la lutte contre la corruption, l’Assemblée suivra les progrès réalisés:
15.1. pour remédier aux lacunes du système de justice pénale, qui le font paraître généralement clément;
15.2. pour tenir compte des risques, mis en évidence tant par la Commission de Venise que par la Commission européenne, d’un contrôle de fait par le pouvoir exécutif des enquêtes réalisées par l’Unité spécialisée de la police sous la supervision du Bureau spécial du ministère public, étant donné le lien hiérarchique entre les membres de l’Unité susmentionnée, dont son chef, et la Direction de la police;
15.3. pour consolider les premiers résultats obtenus dans la lutte contre la corruption et le crime organisé.
16. Concernant la situation des médias, l’Assemblée suivra de près les progrès réalisés:
16.1. pour mettre définitivement fin au climat d’impunité qui entoure les agressions de journalistes, en continuant de s’attaquer directement au problème, mais aussi en imposant la transparence dans les affaires où les autorités compétentes n’ont pas mené d’enquête effective en temps utile;
16.2. pour s’abstenir de limiter l’accès à l’information;
16.3. pour réviser les mécanismes qui traitent actuellement des ingérences politiques dans les médias, y compris la composition des conseils d’administration du RTCG et de l’Agence des médias électroniques.
17. Concernant la loi sur la liberté de religion, l’Assemblée veillera attentivement à ce que:
17.1. la mise en œuvre de la loi sur la liberté de religion respecte les normes européennes, et notamment l’article 1 du Protocole 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales (STE no 5), ainsi que les recommandations de la Commission de Venise, s’agissant en particulier des éléments de preuve à fournir pour attester des droits de propriété;
17.2. le transfert de propriété n’ait pas de répercussion sur l’usage qui en est fait par la communauté religieuse.
18. L’Assemblée décide d’évaluer les progrès accomplis dans les domaines susmentionnés après la tenue des élections générales de 2020.

B. Exposé des motifs, par M. Mulder et M. Zingeris, corapporteurs

(open)

1. Introduction

1.1. Rappel du contexte procédural

1. Le Monténégro est devenu membre du Conseil de l’Europe en 2007. Il a été soumis à la procédure de suivi générale jusqu’en 2015. En juin 2012, dans la Résolution 1890 (2012), l’Assemblée parlementaire a identifié cinq «domaines prioritaires» sur lesquels le Monténégro a été encouragé à faire des progrès, à savoir l’indépendance du pouvoir judiciaire, la situation des médias, la lutte contre la corruption et la criminalité organisée, les droits des minorités et la lutte contre les discriminations, ainsi que la situation des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur du pays.
2. Au vu des progrès réalisés dans ces domaines, l’Assemblée a décidé dans sa Résolution 2030 (2015) sur le respect des obligations et engagements du Monténégro de clore la procédure de suivi et d’engager un dialogue postsuivi. Elle a indiqué que ce dialogue pourrait s’achever fin 2017 si le Monténégro remplissait quatre conditions, dont trois déjà mentionnées en 2012: l’indépendance du pouvoir judiciaire, la confiance dans le processus électoral, la situation des médias et la lutte contre la corruption. La résolution a souligné l’importance de «la confiance dans le processus électoral», considérée comme «plus nécessaire encore, pour garantir la stabilité politique et la tenue d’élections libres […] après les controverses liées aux élections législatives de 2012 et à l’élection présidentielle de 2013» 
			(2) 
			Résolution 2030 (2015), para. 5.. En outre, s’agissant des droits des minorités et de la lutte contre la discrimination, ainsi que de la situation des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur du pays, l’Assemblée a indiqué dans sa Résolution 2030 (2015) qu’elle «suivra[it] attentivement la manière dont les autorités du Monténégro appliqueront la législation adoptée» 
			(3) 
			Résolution 2030 (2015), para. 12.. Enfin, l’Assemblée a conclu qu’«en cas de non-respect des engagements susmentionnés de la part des autorités monténégrines d’ici à la fin 2017, l’Assemblée attend de sa commission de suivi qu’elle examine l’opportunité de rouvrir la procédure de suivi générale pour le Monténégro» 
			(4) 
			Résolution 2030 (2015), para. 14..
3. Depuis 2015, deux missions d’information ont été effectuées à Podgorica: en 2017 et en 2019. La première a été suivie de la présentation à la commission d’une note d’information écrite 
			(5) 
			<a href='http://www.assembly.coe.int/LifeRay/MON/Pdf/DocsAndDecs/2017/AS-MON-2017-31-FR.pdf'>AS/Mon(2017)31.</a>.
4. Le présent rapport a été préparé sous les mandats de rapporteur de M. Anne Mulder et M. Emanuelis Zingeris 
			(6) 
			M. Ionut Stroe (Roumanie,
PPE/DC) a été corapporteur pour le dialogue postsuivi avec le Monténégro
du 23 avril 2015 au 13 novembre 2019, M. Anne Mulder (Pays-Bas,
ADLE) a été nommé le 10 octobre 2018, et M. Emanuelis Zingeris (Lituanie,
PPE/DC), le 11 décembre 2019, en remplacement de M. Stroe.. Il a été rédigé avant l’éruption de la pandémie de covid-19. Si des faits nouveaux concernant les obligations et engagements du Monténégro devaient se produire, ils feraient l’objet d’un addendum.
5. L’Assemblée a observé les élections législatives de 2016 et l’élection présidentielle de 2018. Les rapports respectifs des commissions ad hoc du Bureau ont été présentés devant l’Assemblée et débattus par celle-ci.

1.2. Notre perspective en tant que corapporteurs

6. En notre qualité de corapporteurs, nous sommes parfaitement conscients du fait que les autorités monténégrines pouvaient légitimement attendre qu’une décision soit prise quant à l’avenir de la procédure de postsuivi à la fin de l’année 2017. Toutefois, cela n’a pas été possible. La tenue des élections législatives de 2016 et les changements de corapporteurs (en 2015, puis en 2017) ont en effet retardé l’organisation d’une visite, ainsi que l’élaboration d’un rapport. Aussi regrettable que cela ait pu être, nous estimons qu’il n’aurait pas été des plus opportuns de soumettre un rapport à l’Assemblée en 2017, compte tenu de la situation politique résultant des élections de 2016 qui a été marquée par le boycott du parlement par l’opposition. Entre septembre 2017 et septembre 2019, une grande partie de l’opposition est revenue au parlement. Celui-ci a cherché à trouver un accord entre la majorité et l’opposition quant à l’établissement du cadre juridique jugé nécessaire avant la tenue des élections législatives de 2020. Le temps était donc venu pour que nous soumettions un avant-projet de rapport à la commission de suivi dans les mois suivant la visite à Podgorica, afin de disposer d’un rapport prêt à être débattu par l’Assemblée en avril 2020, avant que la partie de session ne soit annulée.
7. Concernant l’avenir du dialogue postsuivi avec le Monténégro, la lecture combinée du paragraphe 13 de la Résolution 2030 (2015) et du paragraphe 13 du mandat de la commission de l’Assemblée pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l’Europe indique trois possibilités : mettre fin au dialogue postsuivi, soumettre de nouveau le Monténégro à une procédure générale de suivi ou fixer des délais concrets pour l’exécution des engagements restants 
			(7) 
			Sachant
que la fixation de délais concrets pour honorer les engagements
restants signifierait que le prochain rapport sur le Monténégro
devrait alors proposer soit de mettre fin au dialogue postsuivi,
soit de soumettre de nouveau le pays à une procédure générale de
suivi, sans laisser la possibilité d’une troisième option..
8. La proposition que nous avons choisi de faire dans les conclusions du rapport s’est exclusivement fondée sur les progrès réalisés par le Monténégro dans les quatre domaines prioritaires identifiés par la Résolution 2030 (2015), et sur le suivi de ceux liés à la lutte contre la discrimination et la situation des réfugiés. Aucune autre préoccupation de la plus haute importance n’a été portée à notre attention. Enfin et surtout, nous partageons pleinement l’avis de l’Assemblée selon lequel «le Monténégro a continué de jouer un rôle positif dans la stabilisation de la région et [qu’]il reste un partenaire fiable et constructif, impliqué dans plusieurs initiatives régionales et multilatérales» et que «les autorités monténégrines ont établi une excellente coopération avec le Conseil de l’Europe». Ces citations de 2015 sont encore valables aujourd’hui. Il suffit d’examiner le nombre important d’avis demandés par les autorités monténégrines à la Commission de Venise ou aux experts du Conseil de l’Europe concernant les projets de législation. L’attitude positive du Monténégro se reflète par ailleurs dans la manière dont il prend ces avis en considération, ou la manière dont il exécute les arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme. Il convient également de noter que la qualité des remarques formulées par la délégation monténégrine au sujet de l’avant-projet de rapport témoigne également de cette attitude très constructive.
9. Cela étant, nos constatations dans les quatre domaines prioritaires sont plutôt mitigées. Dans la plupart d’entre eux, on observe des tendances contradictoires. Nous sommes convaincus que, lorsque la volonté politique est incontestable, les résultats sont évidents. Lorsque la volonté politique semble manquer, peu de progrès sont réalisés, et des reculs peuvent parfois être constatés. De plus, il est apparu que dans certains domaines, il ne s’agit pas tant de réformer le cadre juridique que de modifier la pratique, c’est-à-dire mettre en œuvre une autre manière de procéder.

2. Développements politiques depuis la dernière visite des corapporteurs au Monténégro en 2017

10. Depuis la dernière visite des rapporteurs en octobre 2017, la vie politique monténégrine a été dominée par les événements suivants: l’élection présidentielle qui a eu lieu en avril 2018 et a vu la victoire du Président Đjukanović; le boycott partiel du parlement par l’opposition qui a bloqué la réforme électorale; une affaire judiciaire de corruption appelée «l’affaire de l’enveloppe» qui s’est transformée en scandale politique; le dépôt d’un projet de loi sur la liberté de religion; et l’évaluation annuelle critique de la mise en œuvre des réformes au Monténégro, publiée en mai 2019 par la Commission européenne, et ses conséquences.

2.1. Élection présidentielle

11. Le 15 avril 2018, M. Milo Đjukanović a remporté l’élection présidentielle avec 53,90 % des voix. M. Đjukanović a occupé le poste de Premier ministre pendant 17 ans et celui de Président du Monténégro pendant près de cinq ans, de janvier 1998 à novembre 2002 (ce qui fait de lui l’un des plus anciens dirigeants en exercice d’Europe depuis la chute du communisme). Son principal opposant, M. Malden Bojanić a comptabilisé 33,40 % des voix.
12. La commission ad hoc du Bureau de l’Assemblée qui a été invitée à observer l’élection a conclu «au respect des libertés fondamentales […] et que les électeurs ont fait leur choix parmi un large éventail de candidats, même si le candidat et chef du parti au pouvoir [M. Đjukanović] a bénéficié d’avantages institutionnels consolidés pendant les 27 années d’exercice du pouvoir de son parti» 
			(8) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=24779&lang=FR'>Doc.
14564</a>, para. 57..
13. Elle a toutefois fait remarquer plusieurs failles au sein du cadre électoral auxquelles il faut remédier. Elle a constaté que la campagne électorale a été pacifique et que les libertés fondamentales, notamment les libertés de réunion, de circulation et d’association, avaient été respectées. Il convient de noter que le débat sur l’OTAN, à laquelle le Monténégro a adhéré le 5 juin 2017, et, plus largement, sur l’alignement international du pays, qui avait polarisé la scène politique au milieu de l’année 2017, s’est poursuivi pendant l’élection et n’a pas dérapé en actes de violence. La commission ad hoc a néanmoins mentionné que «des allégations crédibles d’achat de voix, de recrutement d’agents publics en période électorale et de pressions exercées sur les électeurs, des caractéristiques malheureusement récurrentes des élections au Monténégro, ont ébranlé la confiance des électeurs dans le processus électoral» 
			(9) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=24779&lang=FR'>Doc.
14564</a>, para. 59 et para. 13..
14. Avec un taux de participation de 63,92 % et une victoire au premier tour, la légitimité de M. Đjukanović n’a pas été contestée par l’opposition, qui prépare désormais les élections générales qui doivent avoir lieu en 2020.

2.2. La fragmentation et la polarisation de la scène politique

15. Depuis 2016, le Parti démocratique socialiste du Monténégro (PDS) a formé une coalition avec des partis des minorités ethniques (le Parti bosniaque, Forca, organisation politique albanaise, et l’Initiative civique croate), le Parti libéral (PL) et les sociaux-démocrates (SD). Ils occupent 42 sièges sur 81. Le Front démocratique (FD) est le premier parti d’opposition avec 17 sièges, suivi par Monténégro Démocratique (DCG) avec 8 sièges, For the Benefit of All (DSI) avec 7 sièges, le Parti social-démocrate du Monténégro (SDP) avec 4 sièges, l’Alliance démocratique (Demos) avec 2 sièges et l’Action unie pour la réforme (URA) avec 1 siège.
16. Les élections générales d’octobre 2016 se sont soldées par une victoire écrasante du PDS et ont été suivies par le refus de l’ensemble du bloc de l’opposition de prendre part aux travaux du parlement. Cette impasse semblait avoir été surmontée en mai 2018, date à laquelle la plupart des partis d’opposition ont recommencé à participer aux travaux du parlement. Mais le boycott n’a pas été sans coût sur le plan législatif.
17. Après octobre 2016, l’opposition a dénoncé ce qu’elle a qualifié de fraude électorale, déclaré que les élections n’avaient pas été libres et équitables et exigé une enquête immédiate et complète sur les abus allégués en même temps que sur ce qui a été appelé la tentative de «coup d’état» qui a eu lieu le jour de l’élection 
			(10) 
			Le 16 octobre 2016,
près de 20 personnes ont été arrêtées et accusées par le Bureau
spécial du ministère public de tentatives d’attaques terroristes
contre des institutions publiques et contre la police, et d’assassinat
du Premier ministre. Plusieurs membres du groupe concerné ont été
remis en liberté sans être inculpés tandis que d’autres ont plaidé coupable
et ont été condamnés en contrepartie à des peines d’emprisonnement
plus courtes. Au cours des interrogatoires, certaines personnes
qui avaient été arrêtées ont affirmé que des dirigeants de la plus
grande alliance de l’opposition, le FD, étaient impliqués dans la
planification des attaques. De leur côté, les dirigeants du FD ont
soutenu que le parti au pouvoir avait fomenté le complot dans le
but de remporter les élections d’octobre. En décembre 2016, le Monténégro
a lancé un mandat d’arrêt international contre deux ressortissants
russes et trois ressortissants serbes qui auraient coordonné l’opération
terroriste.. Le gouvernement a exhorté l’opposition à revenir au parlement. L’Union européenne ainsi que le Conseil de l’Europe ont toujours souligné qu’il était important que l’opposition fasse entendre sa voix au parlement ainsi qu’à l’occasion du processus législatif, non seulement parce que le parlement est l’arène où les politiques sont débattues, mais aussi parce que l’absence d’opposition a entravé la poursuite des réformes. Plusieurs textes législatifs ont été adoptés hâtivement et, d’après la société civile, n’ont pas fait l’objet d’un débat public ce qui constitue une violation grave des principes de transparence et d’inclusion. Les ONG ont évoqué notamment les modifications apportées en 2017 à la loi sur le libre accès à l’information, qui ont limité le droit d’accès aux registres publics. Les autorités monténégrines ont laissé entendre que le projet de loi avait fait l’objet d’un débat public de 40 jours. Le boycott a également eu une influence sur les désignations de plusieurs hauts responsables, tels que des membres du Conseil de la magistrature ou le procureur général, pour lesquels une majorité qualifiée est requise. Les autorités ont alors mis en place des mécanismes antiblocage qui ont permis aux institutions de fonctionner. L’une des conséquences les plus graves du boycott a été le blocage de la réforme électorale, pour laquelle les voix de l’opposition étaient et sont encore nécessaires pour l’adoption d’une loi modificative.
18. Entre décembre 2017 et mai 2018, presque tous les partis de l’opposition sont revenus au Pparlement, et seules deux formations, le Monténégro Démocratique (DCG – huit sièges au parlement) et l’Action unie pour la réforme (URA – un siège) ont poursuivi le boycott. Le 30 octobre 2018, le parlement a pu officiellement établir une commission sous le nom de «commission intérimaire pour la poursuite de la réforme de la législation électorale et autre» («commission électorale») avec un mandat d’un an. Toutes les forces politiques y étaient représentées, à l’exception du DCG et de l’URA.
19. Cette évolution positive s’est immédiatement inversée, après le retrait du parlement du principal parti d’opposition, le FD, en décembre 2018, à la suite de l’arrestation de deux de ses principaux dirigeants et membres du parlement, M. Nebošja Medojević et M. Milan Knežević. L’arrestation par les forces de police et la détention de M. Medojević ont eu lieu sans que son immunité ne soit levée en amont 
			(11) 
			M. Medojević et M. Knežević
ont lancé des accusations de corruption contre le Procureur spécial
et un juge. La Haute Cour de Podgorica a délivré des mandats d’arrêt
le 1er décembre 2018 à la demande du
Bureau spécial du ministère public, sur la base de leur refus d’apporter
un témoignage sur leurs allégations, comme le prévoit la loi sur
la procédure pénale (LPP). Après le rejet des recours présentés
par les parlementaires le 3 décembre, la Cour constitutionnelle
a suspendu la détention de M. Medojević le 12 décembre 2018 et a
procédé à un contrôle de la constitutionnalité de la LPP, en se
référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme. Le Protecteur des droits de l’homme et des libertés (Ombudsman)
du Monténégro a aussi rappelé l’immunité des parlementaires. Le 27 septembre 2019,
la Cour constitutionnelle a abrogé l’article de la LPP qui avait
été utilisé pour détenir M. Medojević. En avril 2018, M. Knežević,
qui était alors membre de la commission de la culture, de la science,
de l’éducation et des médias de l’Assemblée, avait attiré l’attention
de la Présidente Maury-Pasquier sur son cas par une lettre officielle.
En décembre 2018, M. Andrija Mandić et M. Knežević, tous deux dirigeants
de deux partis politiques unis dans le FD, ont écrit à la Présidente
Maury-Pasquier, soulignant que des responsables politiques et des
membres du personnel de leurs groupes parlementaires avaient été
agressés et poursuivis institutionnellement. En raison de procédures
judiciaires, ils ont déclaré avoir été privés de leurs passeports.
Nous avons rencontré M. Knežević au parlement pendant notre visite.
Il a confirmé qu’il ne pouvait plus prendre part aux activités de
l’Assemblée..
20. Le retour du FD au parlement était assez incertain après le jugement du 9 mai 2019 sur le «coup d’état» de 2016. La Haute Cour monténégrine de Podgorica a reconnu les 14 accusés coupables de complot contre l’État. Les dirigeants politiques du FD, M. Mandic Andrija et M. Milan Knežević, ont été condamnés à cinq ans d’emprisonnement 
			(12) 
			Onze autres personnes,
de nationalités monténégrine, serbe et russe, ont été condamnées.
Les plus lourdes peines ont été de 15 et 12 ans pour les deux citoyens
russes qui étaient des agents du renseignement russes  de la GRU,
selon les autorités monténégrines, et ont été jugés par contumace.. Le FD a cependant repris sa participation aux activités parlementaires. Après une consultation approfondie avec le Chef de la délégation de l’Union Européenne au Monténégro, l’ambassadeur Aivo Orav, le deuxième groupe de l’opposition au parlement, Monténégro démocratique (DCG), a accepté de rejoindre la commission électorale. Sa participation à d’autres activités parlementaires est demeurée incertaine, car le DCG a déclaré qu’il poursuivait son boycott.
21. Au cours de nos rencontres avec les groupes parlementaires, nous avons rappelé à l’ensemble d’entre eux que le parlement était l’arène où la concurrence politique devrait s’exercer et que boycotter son travail n’était pas la manière européenne de participer à cette compétition.
22. Jusqu’à présent, compte tenu de la fragmentation du paysage politique - qui s’explique en partie par une tendance générale des partis politiques à se scinder - et des divisions au sein de l’opposition, le système électoral monténégrin n’a pas connu d’alternance politique au niveau national. La situation est différente au niveau local, où la concurrence pour les mairies est très vive et a abouti à des changements de majorités. La majorité a par exemple changé dans les municipalités de Budva, Kotor, Herceg Novi et Tuzi respectivement en 2016, 2017 et 2019.
23. Outre ces développements, «l’affaire de l’enveloppe» a eu des incidences significatives sur le paysage politique.

2.3. L’affaire de l’enveloppe

24. En janvier 2019, M. Duško Knežević, propriétaire du groupe Atlas Banka, qui a fait l’objet d’une enquête pour blanchiment d’argent, a commencé à révéler des détails sur d’éventuelles activités douteuses impliquant de hauts fonctionnaires du parti au pouvoir, dont le Président Đjukanović 
			(13) 
			M. Knežević a évoqué
un prêt accordé par une banque grecque à une entreprise appartenant
à M. Đjukanović; la construction d’une nouvelle villa pour la famille
Đjukanović au pied de la colline de Gorica à Podgorica et une carte
de crédit mise à la disposition de M. Đjukanović à l’Atlas Banka.
Le Président Đjukanović a démenti ces allégations et intenté une
action en diffamation.. La révélation la plus marquante, appuyée par une vidéo de 2016, montrait M. Duško Knežević remettant à M. Slavoljub Stijepović, alors maire de Podgorica, une enveloppe qui contenait 97 000 dollars pour financer la campagne électorale du PDS, d’après ce qu’a déclaré plus tard M. Knežević. Ce don ne figurait pas dans les registres financiers du parti.
25. Ces révélations ont déclenché des protestations (dont certaines de grande ampleur) le 17 février 2019 dans plusieurs villes du Monténégro, parmi lesquelles Podgorica, Budva et Herceg-Novi. Les manifestations ont duré jusqu’en juin 2019. Les manifestants ont utilisé le slogan «97 000 Résiste» en référence à l’argent qui aurait été donné au PDS. Les manifestations étaient dirigées par des militants de la société civile sans affiliation politique, qui demandaient un suivi et une enquête approfondis dans «l’affaire de l’enveloppe», ainsi que la démission du Président Đjukanović et d’autres responsables (Premier ministre, procureur général et procureur spécial).
26. Les organisateurs des manifestations ont engagé un dialogue avec les dirigeants de l’opposition qui a abouti à l’«Accord pour l’avenir». Cette plateforme politique a été signée par les 39 parlementaires de l’opposition en avril 2019. Parmi les priorités mentionnées figuraient une demande de gouvernement d’unité civique et le boycott de toutes les élections jusqu’à ce que les demandes détaillées dans l’Accord soient satisfaites. Cette plateforme politique n’a jusqu’à présent pas conduit à un accord de coopération avec l’objectif de remporter les prochaines élections législatives. Le mouvement a présenté le programme aux représentants diplomatiques. Mais il semble que les divisions entre les militants de la société civile et les groupes de l’opposition, ainsi qu’entre les partis de l’opposition, surtout après le changement d’alliances entre les partis de l’opposition dans la ville de Kotor, aient ralenti le processus.
27. Cette affaire peut avoir contribué à la perte de la ville de Tuzi par le PDS, théâtre d’une nouvelle coalition formée par les partis albanais au terme d’un scrutin local tenu en mars 2019.
28. Aucune commission d’enquête n’a été créée au sein du parlement afin d’enquêter sur «l’affaire de l’enveloppe». Le Bureau spécial du ministère public enquête actuellement sur l’ancien maire de Podgorica. L’Agence de prévention de la corruption (APC) a demandé au DPS de restituer 47 500 euros au budget de l’État et de payer 20 000 euros pour violation de la loi sur le financement des entités politiques pendant la campagne de 2016. Le Président Đjukanović a poursuivi M. Knežević en justice pour fausses déclarations à son égard et a demandé 500 000 euros pour diffamation. La procédure judiciaire est toujours en cours.

2.4. La loi sur la liberté de religion

29. En mai 2019, les autorités monténégrines ont demandé à la Commission de Venise un avis sur le projet de loi relatif à la liberté de religion ou de conviction et au statut juridique des communautés religieuses. Les autorités avaient déjà fait une demande similaire en 2015, mais avaient abandonné la procédure législative après que la Commission de Venise a rendu un avis très critique sur le projet transmis. La Commission de Venise a publié son avis sur le nouveau projet de loi le 24 juin 2019 
			(14) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2019)010-f'>CDL-AD(2019)010</a>.. Elle a salué plusieurs améliorations par rapport au cadre juridique de 1977, mais est restée prudente sur les dispositions controversées relatives aux biens appartenant aux communautés religieuses.
30. En vertu de ces dispositions, l’Église orthodoxe serbe, qui représente 70 % de la population orthodoxe d’après les médias locaux 
			(15) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2019)010-f'>CDL-AD(2019)010</a>, par. 10., doit fournir des éléments pour prouver la propriété de tous les édifices et terrains qui ont été construits ou obtenus grâce aux recettes publiques de l’État ou qui ont appartenu à l’État jusqu’au 1er décembre 1918 (date correspondant à la création du royaume de Yougoslavie et à la fin du royaume de Monténégro). Ces dispositions ne s’appliqueraient qu’aux biens du patrimoine culturel, d’après les autorités monténégrines, qui ont assuré à la Commission de Venise que le transfert de propriété n’aurait en principe pas de répercussion sur l’usage qui en est fait par la communauté religieuse concernée.
31. Selon l’Église orthodoxe serbe, ces dispositions pourraient viser à renforcer l’Église orthodoxe monténégrine par un transfert de propriété. L’Église orthodoxe monténégrine est enregistrée en tant qu’ONG depuis 2001 et n’est pas canoniquement reconnue par les autres églises orthodoxes orientales. Il est en effet fort possible que les dispositions aient été introduites pour développer une église nationale et autocéphale, qui serait séparée de l’Église orthodoxe serbe, le Gouvernement monténégrin jugeant cette dernière proche des autorités serbes 
			(16) 
			Le
27 septembre, le patriarche de l’Église orthodoxe serbe Irinej s’est
dit convaincu que le Président Đukanović reviendrait sur sa décision
de reconnaître «un faux État du Kosovo et reviendrait aux vraies
valeurs» lors de sa visite pour assister à une cérémonie religieuse
au monastère de Podlastva sur la côte monténégrine, d’après le quotidien <a href='https://www.dan.co.me/?nivo=3&rubrika=Vijest+dana&clanak=714490&datum=2019-09-28'>Dan</a>.. Il y aurait donc une similarité entre ce schéma et ce qui s’est passé récemment en Ukraine. Une interview donnée par le Président Đjukanović à l’agence de presse l’AFP le 10 février 2020 est venue étayer les dires de l’Église orthodoxe serbe. Le Président Đjukanović a en effet déclaré que les Monténégrins sont «mus par le besoin incontestable de parfaire les infrastructures spirituelles, sociales et celles de l’État afin de renforcer la conscience des citoyens de leur propre identité», ajoutant qu’il faudrait «une Église orthodoxe autonome au Monténégro qui unirait tous les fidèles orthodoxes, ceux d’appartenance nationale serbe comme ceux d’appartenance nationale monténégrine» 
			(17) 
			B92,
14 février 2020, <a href='https://www.b92.net/eng/news/region.php?yyyy=2020&mm=02&dd=14&nav_id=107954'>Djukanovic:
Montenegro must have its own church to resist interference from
Serbia</a>. 
			(17) 
			Ouest-France avec
l’AFP, 14 février 2020, <a href='https://www.ouest-france.fr/europe/montenegro/le-president-du-montenegro-veut-que-son-pays-ait-sa-propre-eglise-orthodoxe-6736980'>Le
Président du Monténégro veut que son pays ait sa propre Église orthodoxe</a>.
32. En septembre 2019, les autorités monténégrines ont lancé des consultations avec toutes les communautés religieuses sur le projet de loi. Le 27 décembre 2019, le parlement a adopté la loi sur la liberté de religion grâce aux voix de la majorité et du Parti social-démocrate, qui appartient à l’opposition. Le vote s’est déroulé dans un climat de violence au sein du parlement, entraînant l’intervention des forces de police et l’arrestation de plusieurs députés du Front démocratique, qui ont tous été rapidement libérés. Signée le 28 décembre 2019, la loi est entrée en vigueur le 8 janvier 2020.
33. L’adoption de la loi a suscité de vives tensions au Monténégro et dans la région.
34. Le Métropolite du Monténégro et du littoral et chef de l’Église orthodoxe serbe du Monténégro, M. Radović Amfilohije, était fortement opposé à la loi. À la suite de son adoption, le clergé orthodoxe a organisé dans plusieurs villes des manifestations qui avaient encore lieu deux fois par semaine au moment de l’élaboration du présent rapport. Ces manifestations ont apparemment été d’une ampleur considérable dans un pays qui compte moins de 630 000 habitants. À titre d’exemple, celle organisée par l’Église orthodoxe serbe, avant l’adoption de ce texte législatif, le 21 décembre 2019 dans la ville de Nikšić, a réuni selon la police quelque 6 000 personnes; un média indépendant a également fait savoir que des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées à Podgorica et dans d’autres villes le 12 janvier 2020 
			(18) 
			Balkan Insight, Samir Kajosevic,
13 janvier 2020, <a href='https://balkaninsight.com/2020/01/13/serbian-church-supporters-stage-mass-protests-in-montenegro/'>«Serbian
Church supporters stage mass protests in Montenegro</a>».. Le Front démocratique a appelé ses partisans à prendre part à ces mouvements de protestation. Par ailleurs, des affrontements sporadiques avec les forces de l’ordre ont été signalés juste après l’adoption de la loi. Depuis le Noël orthodoxe (célébré le 7 janvier au Monténégro), les manifestations semblent se dérouler de manière pacifique, malgré un durcissement du ton qui a été observé.
35. Appelant au retrait de la loi, le Métropolite Amfilohije a dissuadé les citoyens de voter pour des responsables politiques qui la soutiennent 
			(19) 
			Balkan Insight, Samir Kajosevic,
24 février 2020, <a href='https://balkaninsight.com/2020/02/24/montenegro-bishop-and-president-trade-blows-in-religion-row/'>«Montenegro
Bishop and President Trade Blows in Religion Row»</a>.. Le Président Đjukanović a mis en garde les membres de son parti, le DPS, d’une possible exclusion s’ils venaient à participer à ces manifestations, tandis que le chef de l’armée du Monténégro, le général Dragutin Dakić, a déclaré que les militaires risquaient d’être expulsés des forces armées dans pareils cas 
			(20) 
			Balkan Insight, Samir Kajosevic,
20 février 2020, <a href='https://balkaninsight.com/2020/02/20/montenegro-soldiers-who-join-church-protests-face-expulsion/'>«Montenegro
Soldiers Who Join Church Protests Face Expulsion»</a>.. L’Église orthodoxe serbe et le Front démocratique ont vivement critiqué un documentaire consacré au Métropolite Amfilohije diffusé par le service public de radiodiffusion, le RTCG, lui reprochant de l’avoir présenté comme «l’envoyé d’une Église étrangère» et «un partisan fanatique du projet de Grande Serbie» et accusant le RTCG d’être motivé par des considérations politiques 
			(21) 
			Balkan
Insight, Samir Kajosevic, 19 février 2020, <a href='https://balkaninsight.com/2020/02/19/montenegro-opposition-wants-broadcasters-management-sacked-over-amfilohije-film/'>«Montenegro
Opposition Wants Broadcaster’s Management Sacked Over Amfilohije
Film»</a>..
36. Vu le niveau de tension au Monténégro, les autorités ont jugé bon de recourir à l’article 398 du Code pénal, qui sanctionne toute personne qui transmet «de fausses informations ou allégations» et, ce faisant, déclenche «la panique ou un trouble grave à l’ordre public». Trois journalistes ont été arrêtés sur la base de cet article et détenus pendant plusieurs heures. L’un d’entre eux, la rédactrice en chef du site d’information local, FOS, avait publié un article qui prétendait que le Gouvernement monténégrin envisageait de demander de l’aide en matière de sécurité au Kosovo 
			(22) 
			* Toute
référence au Kosovo, que ce soit le territoire, les institutions
ou la population, doit se comprendre en pleine conformité avec la
Résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies et sans
préjuger du statut du Kosovo. afin de réprimer les manifestations le jour de Noël. Le Gouvernement monténégrin a nié les allégations et FOS s’est rétracté, a publié des excuses et licencié sa rédactrice en chef pour «faute professionnelle grave», selon les médias 
			(23) 
			Cette
arrestation a fait l’objet d’une alerte sur la Plateforme du Conseil
de l’Europe pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité
des journalistes : <a href='https://www.coe.int/fr/web/media-freedom/detail-alert?p_p_id=sojdashboard_WAR_coesojportlet&p_p_lifecycle=0&p_p_col_id=column-3&p_p_col_count=7&_sojdashboard_WAR_coesojportlet_alertPK=57352594'>La
journaliste Anđela Đikanović accusée d’avoir «causé la panique et
le désordre»</a>..
37. La loi a suscité des tensions dans la région entre le Monténégro et les dirigeants serbes de Serbie et de Republika Srpska, l’une des deux entités de Bosnie-Herzégovine. Les dirigeants serbes ont essentiellement axé leurs critiques de la loi sur deux arguments: premièrement, celle-ci ne viserait que les Serbes, qui selon eux représentent 28 % de la population monténégrine, et serait ainsi discriminatoire 
			(24) 
			Le
Président serbe Vučić a déclaré «qu’au Monténégro, mais aussi en
Serbie et en Republika Srpska, le peuple serbe ressent une profonde
injustice, car tout ce qui est autorisé aux autres ne l’est pas
aux Serbes», selon B92, 13 janvier 2020, <a href='https://www.b92.net/eng/news/politics.php?nav_id=107775'>«Vučić:
The time of Serbia’s acting irresponsibly is over</a>».. Cette discrimination ne ferait que s’ajouter aux nombreuses autres infligées aux Serbes au Monténégro mais aussi dans d’autres pays voisins 
			(25) 
			Le membre serbe de
la présidence collégiale de Bosnie-Herzégovine, M. Dodik, a déclaré
que les droits des Serbes étaient également menacés en Slovénie,
«où ils ne peuvent pas obtenir le statut de minorité nationale»,
en Macédoine du Nord, en Croatie, dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine,
et maintenant au Monténégro, dans Bosnia
Daily, 6 janvier 2020, Dodik
Slams Montenegro’s Religious Freedoms law.. Deuxièmement, en s’en prenant à l’Église orthodoxe serbe, les autorités monténégrines s’attaqueraient à l’une des «valeurs fondamentales de l’identité du peuple serbe», les autres valeurs étant l’alphabet et la langue 
			(26) 
			Le
Président Dodik a déclaré «Notre peuple au Monténégro doit comprendre
que (...) nous défendrons les valeurs essentielles de l’identité
du peuple serbe, à savoir l’Église, l’alphabet et la langue», d’après
le Bosnia Daily, précité..
38. Les autorités monténégrines ont souligné que la loi était conforme à l’avis formulé par la Commission de Venise, qu’elle avait été adoptée par le parlement de manière démocratique, au terme d’une vaste consultation, et que son retrait constituerait une violation du processus démocratique. Elles ont fait remarquer que les manifestations n’étaient pas dirigées contre la loi, mais contre l’État monténégrin et ses institutions 
			(27) 
			Balkan Insight, Samir Kajosevic,
27 janvier 2020, «<a href='https://balkaninsight.com/2020/01/27/church-protests-in-montenegro-key-facts/'>Church
protests in Montenegro – Key Facts</a>».. Par ailleurs, elles ont dénoncé l’influence exercée par la Serbie au Monténégro par l’intermédiaire de l’Église orthodoxe serbe 
			(28) 
			«[L’Église
orthodoxe serbe] figure parmi les instruments importants utilisés
par les idéologues du nationalisme de la «Grande Serbie» contre
le Monténégro, contre son indépendance, son identité nationale,
culturelle et religieuse», a déclaré le Président Đukanović dans
l’interview susmentionnée accordée à l’AFP le 10 février 2020. et la campagne de désinformation qui serait orchestrée par «le voisinage» 
			(29) 
			Balkan
Insight, Samir Kajosevic, 24 février 2020, <a href='https://balkaninsight.com/2020/02/24/montenegro-bishop-and-president-trade-blows-in-religion-row/'>«Montenegro
Bishop and President Trade Blows in Religion Row»</a>.. Une pétition en ligne, intitulée «Recours contre les menaces que fait peser Belgrade sur la paix au Monténégro et dans la région», et signée par quelque 120 responsables publics, universitaires et éminentes personnalités du monde de la culture dans les Balkans, souligne que le Monténégro est la cible d’une tentative de déstabilisation par la violence et que la paix est menacée, non seulement au Monténégro, mais aussi dans toute la région 
			(30) 
			Les
anciens présidents de Croatie et de Slovénie, MM. Stejpan Mesić
et Milan Kučan, figurent parmi les signataires de la <a href='https://www.peticije.online/apel_za_osudu_ugroavanja_mira_u_crnoj_gori_i_regionu_od_strane_beograda__appeal_against_belgrades_threats_to_peace_in_montenegro_and_the_region'>pétition</a>..
39. Dans une déclaration publiée le 19 décembre 2019, le porte-parole de l’Union européenne a précisé que la réglementation des communautés religieuses relève de la compétence nationale, mais qu’elle doit se faire de manière inclusive et dans le respect des normes internationales et européennes pertinentes, en particulier de toutes les recommandations de la Commission de Venise. Alors qu’il était à Podgorica le 7 février 2020, le commissaire européen chargé du voisinage et de l’élargissement, M. Olivér Várhelyi, a également appelé toutes les parties au Monténégro à engager un dialogue sur la loi relative à la liberté de religion et à trouver une solution qui soit acceptable pour tous.
40. Au moment de la rédaction du présent rapport, le Premier ministre Marković, qui avait déclaré que la loi pourrait toujours faire l’objet de modifications en suivant une procédure parlementaire régulière et être contestée devant la Cour constitutionnelle, a rencontré le 14 février 2020 le Métropolite Amfilohije qui a semble-t-il proposé plusieurs amendements à la loi 
			(31) 
			D’après le site russe <a href='https://orthochristian.com/128570.html'>https://orthochristian.com/128570.html</a> et le site d’information Café
del Montenegro, 14 février 2020, <a href='https://www.cdm.me/english/metropolitanate-wants-the-law-to-be-amended/'>«Metropolitanate
wants the law to be amended</a>»..
41. Conformément au paragraphe 10.2 de sa Résolution 2030 (2015) l’Assemblée «s’attend à ce que la loi sur les communautés religieuses soi[t] adopté[e]». Elle a en outre indiqué qu’elle suivrait attentivement la manière dont les autorités appliqueront cette législation. Nous avons par conséquent discuté de manière approfondie de cette question au cours de notre mission d’information, trois mois avant l’adoption de la loi et les développements susmentionnés.
42. Si, lors de notre mission, les autorités monténégrines ne nous ont pas donné d’explication claire sur le concept de «patrimoine culturel» qu’elles ont utilisé pour justifier la «reprise» possible de propriétés à l’Église orthodoxe serbe, elles nous ont fourni par la suite les informations suivantes: selon le ministère des Droits de l’homme et des Minorités, la plupart des biens sacrés d’avant 1918 font partie du patrimoine culturel du Monténégro. La portée du concept est par conséquent assez large. Le ministère a également déclaré que le fait que ces monuments culturels appartiennent à l’État permet d’en assurer une meilleure protection, car certains d’entre eux auraient été «sérieusement endommagés lorsqu’ils étaient la propriété de communautés religieuses».
43. Un point de vue intéressant nous a été exposé lors de notre mission: étant donné que la Commission de Venise a considéré la majorité des dispositions du projet de loi d’alors comme très positives, si les dispositions relatives aux propriétés des communautés religieuses continuent d’être considérées comme controversées, une solution consisterait à diviser le projet de lois en deux textes distincts, afin de ne pas retarder l’application des dispositions portant sur le statut des communautés religieuses.
44. En tant que corapporteurs, il nous faut rappeler que la réglementation des communautés religieuses relève de la souveraineté nationale, dont l’exercice doit se faire sans aucune ingérence étrangère. Cependant, nous comprenons les craintes que suscitent les dispositions relatives aux droits de propriété ainsi que le sentiment des membres de l’Église orthodoxe serbe d’être particulièrement visés. Nous regrettons profondément que cette loi, qui semble, pour l’essentiel, constituer un réel progrès par rapport à la législation précédente, ait accentué la polarisation au sein de la société monténégrine. La division de ce texte en deux parties, l’adoption de la plupart de ses dispositions et la poursuite des discussions sur celles relatives à la question des droits de propriété auraient peut-être été un moyen de limiter les tensions créées.
45. Le 5 janvier 2020, le ministre serbe des Affaires étrangères, M. Ivica Dačić, a montré du doigt les citoyens serbes d’origine monténégrine. Il a insisté sur leur devoir moral de ne pas se taire à propos de la loi sur la liberté de religion, et, pour ceux qui soutenaient les autorités du Monténégro, il s’est interrogé sur la pertinence de les priver de leur citoyenneté serbe 
			(32) 
			N1, 5/01/2020, <a href='http://rs.n1info.com/English/NEWS/a558033/Foreign-Minister-questions-Serbian-citizenship-of-those-supporting-Montenegro.html'>«Foreign
Minister questions Serbian citizenship of those supporting Montenegro»</a>. 
			(32) 
			Vidéo en serbe sur RTS (11:40 – 12:10
pour les propos en question), 05/01/2020, Dačić za RTS: <a href='https://www.rts.rs/page/stories/sr/story/9/politika/3798733/dacic-za-rts-u-srbiji-je-vladala-velikocrnogorska-agresija.html'>«U
Srbiji je vladala velikocrnogorska agresija</a>». 
			(32) 
			Entretien en serbe sur RTS, 05/01/2020, <a href='https://www.rtv.rs/sr_lat/politika/dacic-oni-koji-podrzavaju-crnogorski-rezim-pitanje-da-li-treba-da-imaju-srpsko-drzavljanstvo_1081677.html'>«Dačić:
Oni koji podržavaju crnogorski režim pitanje da li treba da imaju srpsko
državljanstvo</a>».. Il a précisé par la suite sa position en expliquant qu’il ne se référait pas «aux citoyens ordinaires ou à ceux qui sont en Serbie depuis des générations», mais à ceux qui possèdent des «empires commerciaux» et «travaillent pour des agents Monténégrins» 
			(33) 
			Danas, 8/01/2020, <a href='https://www.danas.rs/politika/dacic-povodom-svoje-izjave-o-crnogorcima-kritikuju-me-oni-koji-su-u-svemu-protiv-srbije/'>«Dačić
povodom svoje izjave o Crnogorcima: Kritikuju me oni koji su u svemu
protiv Srbije</a>» (en serbe).. Nous condamnons fermement le langage utilisé pour pointer du doigt les citoyens serbes d’origine monténégrine. Non seulement, il pourrait être perçu comme discriminatoire, mais, en outre, il ne va pas sans rappeler une rhétorique nationaliste datant des années 1990, avec des références à un prétendu «ennemi de l’intérieur». À cet égard, nous déplorons aussi vivement les propos tenus par le ministre serbe de la Santé, M. Zlatibor Lončar, qui, alors qu’il était invité à s’exprimer sur les développements liés à la loi sur la liberté de religion au Monténégro, a déclaré refuser au sein de son administration tout Monténégrin ne parlant pas le serbe. En effet, comme l’a déjà souligné la Commissaire serbe à l’égalité, Mme Brankica Janković 
			(34) 
			Telegraf, 7/02/2020, <a href='https://www.telegraf.rs/english/3151734-minister-loncar-says-he-tries-not-to-have-any-montenegrins-as-directors-in-healthcare'>«Minister
Loncar says he tries not to have any Montenegrins as directors in
healthcare»</a>. 
			(34) 
			N1,
7/02/2020, <a href='http://rs.n1info.com/English/NEWS/a567374/Serbian-Equality-Commissioner-condemns-Health-Minister-s-statement-about-Montenegrins.html'>«Serbian
Commissioner condemns Health Minister’s statement about Montenegrins</a>»., ces propos sont discriminatoires et offensants; de plus, ils rappellent dangereusement le passé, lorsque la question de la langue était employée à mauvais escient de manière à semer la division.
46. Nous avons constaté avec satisfaction que, malgré les tensions, le dialogue entre le Premier ministre Marković et le Métropolite Amfilohije n’a jamais cessé. Nous les invitons instamment à trouver une solution respectueuse de la démocratie et de l’État de droit, ce qui suppose le respect du processus législatif et le recours aux juridictions compétentes, y compris la Cour européenne des droits de l’homme, le cas échéant, pour défendre les droits conférés par la loi. Nous comptons également sur le fait que le sens de la responsabilité politique des dirigeants du Monténégro et de l’étranger les empêchera d’utiliser les discussions sur cette loi, afin soit de détourner l’attention de la population d’autres sujets, soit de créer un climat nationaliste en appelant à faire corps derrière le drapeau.
47. En tant que corapporteurs, nous suivrons attentivement la mise en œuvre de la loi sur la liberté de religion pour vérifier sa conformité avec les normes européennes, et notamment avec l’article 1 du Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales (STE no 9) (Protection de la propriété), ainsi que le respect des recommandations de la Commission de Venise, s’agissant en particulier des éléments de preuve à fournir pour attester des droits de propriété. Nous vérifierons également que le transfert de propriété n’aura pas de répercussion sur l’usage qui en est fait par la communauté religieuse, comme l’ont assuré les autorités monténégrines à la Commission de Venise. Le cas échéant, nous solliciterons l’avis de la Commission de Venise sur la mise en œuvre de cette loi.

2.5. L’évaluation annuelle de l’Union européenne

48. Le Monténégro a obtenu le statut de pays candidat officiel à l’adhésion à l’Union Européenne en décembre 2010 et les négociations d’adhésion ont été ouvertes en juin 2012. La Stratégie de la Commission européenne «Une perspective d’élargissement crédible ainsi qu’un engagement de l’Union européenne renforcé pour les Balkans occidentaux» adoptée en février  2018 
			(35) 
			Commission européenne, <a href='https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/communication-credible-enlargement-perspective-western-balkans_fr.pdf'>COM(2018)
65 final</a>., a fixé une perspective d’adhésion à l’Union Européenne en 2025, si une série de mesures était prise et plusieurs conditions satisfaites. En mars 2019, 32 chapitres de négociation ont été ouverts, quatre de plus par rapport au moment de la dernière visite des corapporteurs en 2017, dont trois ont été provisoirement clôturés, ce qui représente une situation inchangée sur ce point par rapport à 2017. Les chapitres 23 (pouvoir judiciaire et droits fondamentaux) et 24 (justice, liberté et sécurité), qui présentent un intérêt particulier pour le Conseil de l’Europe étant donné leur contenu, sont encore en négociation.
49. La Communication de la Commission européenne sur la politique d’élargissement de l’UE publiée en mai 2019 
			(36) 
			Commission européenne, <a href='https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2019/FR/COM-2019-260-F1-FR-MAIN-PART-1.PDF'>COM(2019)
260 final</a> et <a href='https://ec.europa.eu/neighbourhood-enlargement/sites/near/files/20190529-montenegro-report.pdf'>SWD(2019)
217 final (Montenegro report)</a>. et les Conclusions sur l’élargissement et le processus de stabilisation et d’association adoptées par le Conseil en juin 2019 
			(37) 
			Conseil
de l’Union européenne, <a href='https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2019/06/18/council-conclusions-on-enlargement-and-stabilisation-and-association-process/'>communiqué
de presse 479/19</a>, 18 juin 2019., qui ont aussi été approuvées par le Conseil européen, étaient moins positives et plus pressantes que celles des années précédentes. La Commission, ainsi que le Conseil, ont clairement indiqué que le temps était venu d’obtenir des résultats plus tangibles en matière d’État de droit et que le Monténégro devrait se montrer plus proactif dans ses efforts de réforme dans les domaines suivants : la liberté des médias, la lutte contre la corruption et la traite des êtres humains. La Commission a par ailleurs noté que le Monténégro devrait faire la preuve d’une volonté politique claire dans le cadre de la lutte contre la corruption et la criminalité organisée. Elle a en outre souligné que la réforme électorale demeurait essentielle à la restauration de la confiance électorale. En d’autres termes, les préoccupations de l’Union Européenne semblent correspondre aux quatre sujets prioritaires sélectionnés par l’Assemblée pour être examinés au cours du dialogue postsuivi, sauf en ce qui concerne la traite des êtres humains.
50. L’évaluation annuelle de l’Union Européenne a été accueillie de manière diverse: l’opposition et certains militants de la société civile ont dénoncé l’absence de progrès en matière de démocratie, d’État de droit et de droits de l’homme ; la majorité a considéré qu’il était normal que l’Union Européenne soit plus sévère avec le Monténégro, au fur et à mesure que le pays se rapprochait de l’adhésion à l’Union.
51. En novembre 2019, la Commission européenne a publié son document non officiel sur l’état d’avancement des négociations concernant les chapitres 23 et 24 pour le Monténégro, que le gouvernement a rendu public 
			(38) 
			Disponible
sur le site web du <a href='http://www.kei.gov.me/ResourceManager/FileDownload.aspx?rid=387993&rType=2&file=MNE%20non-paper%202019%20to%20COELA.pdf'>bureau
monténégrin pour l’intégration européenne</a>.. Ce document couvre le premier semestre de l’année 2019. Il ne montre pas de changements notables par rapport à la situation décrite dans la Communication de mai 2019. Il souligne toutefois l’importance pour le Monténégro de ne pas réduire à néant les progrès accomplis précédemment sur le plan de la réforme judiciaire, de consolider encore les résultats obtenus dans la lutte contre la corruption, d’assurer la réelle indépendance de l’APC et de donner suite aux récentes allégations de corruption et de financement illégal des partis politiques. Le document met également en avant les opérations fructueuses menées contre les organisations criminelles monténégrines grâce à une participation accrue à la coopération policière internationale, malgré les lacunes systémiques qui continuent d’entraver le système de justice pénale.
52. En février 2020, sous l’intitulé «Alliance pour l’Europe», le gouvernement a engagé un dialogue approfondi sur des questions susceptibles d’aider à surmonter les divisions et de contribuer à l’avancement du processus d’intégration du pays dans l’Union Européenne et du processus de réforme en général, notamment dans le domaine électoral. Les partis politiques de l’opposition, des ONG de premier plan, des représentants de la presse et des universitaires ont été invités à rencontrer le Premier ministre, et les consultations ont commencé à la mi-février 2020.

3. Indépendance du pouvoir judiciaire

3.1. Conditions fixées par la Résolution 2030 (2015) et faits nouveaux intervenus dans ce domaine

53. La Résolution 2030 (2015) de l’Assemblée énumère trois conditions en ce qui concerne l’indépendance du pouvoir judiciaire: pleinement mettre en œuvre les amendements constitutionnels relatifs au système judiciaire, assurer la formation professionnelle continue des personnels du ministère public, de la police et du système judiciaire, et renforcer le statut et les moyens du procureur général suprême.
«13.1.1 pleinement mettre en œuvre les amendements constitutionnels relatifs au système judiciaire adoptés en juillet 2013 et adopter les lois sur les tribunaux, les droits et les obligations des juges, le Conseil de la magistrature, la Cour constitutionnelle et le ministère public, en prenant pleinement en considération les recommandations pertinentes de la Commission de Venise en la matière adoptées en décembre 2014 
			(39) 
			Cette citation et les
suivantes sont directement tirées de la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=21499&lang=FR'>Résolution
2030 (2015).</a>;
54. Le processus législatif qui a suivi les amendements à la Constitution adoptés en 2013 s’est poursuivi. Les différentes lois qui régissent les tribunaux, le ministère public, son organisation interne ou la formation des magistrats ont été adoptées en 2014 et 2015. Certaines d’entre elles ont été modifiées depuis, comme la loi sur le Conseil de la magistrature et les juges, modifiée en 2018. La loi sur les tribunaux a, entre autres, créé les tribunaux correctionnels. La loi sur le Conseil de la magistrature et les juges a établi un nouveau système pour l’élection des juges, leur promotion, l’évaluation de leur travail, leur mobilité et leur responsabilité disciplinaire. La loi sur le ministère public a apporté des changements similaires pour les procureurs. La loi sur le Bureau spécial du ministère public a donné au procureur un mandat précis concernant des infractions pénales spécifiques: criminalité organisée, corruption à haut niveau, blanchiment d’argent, terrorisme et crimes de guerre. La loi sur la Cour constitutionnelle du Monténégro et la loi sur le Centre de formation des juges et des procureurs sont aussi entrées en vigueur en 2015.
55. Pour chacune de ces lois, à l’exception de celle sur le Centre de formation des juges et des procureurs, les autorités monténégrines ont sollicité l’avis de la Commission de Venise et globalement mis en œuvre les recommandations qu’elle a formulées. Depuis le dernier rapport des corapporteurs, un cadre juridique a été établi et il est opérationnel.
56. Malgré des tendances positives, en matière de formation ou d’efficacité, le système judiciaire monténégrin est encore considéré comme vulnérable à l’influence politique. Selon la Commission européenne, les progrès semblent assez lents sur les plans de la transparence, de la responsabilité et du respect de la déontologie.
57. Il convient de noter que la plupart des recommandations formulées par les corapporteurs dans leur rapport de 2015 et dans leur note d’information de 2017 ont été confirmées par le diagnostic présenté par la Commission européenne dans son rapport de 2019, ce qui laisse penser que la situation n’a guère évolué dans l’intervalle. Dans son évaluation, la Commission européenne est assez sévère, puisqu’elle estime que le système judiciaire monténégrin n’est que «modérément préparé à l’adhésion».
58. L’une des principales réformes du système judiciaire engagées en 2014-2015 consistait à refondre ce qui allait devenir le Conseil de la magistrature et le Conseil des procureurs, deux organes qui concentrent l’essentiel des pouvoirs en matière d’organisation des tribunaux et des parquets. Nous leur avons donc accordé une attention particulière.
59. Concernant le Conseil de la magistrature, le Groupe d’États contre la corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe a constaté que le Monténégro n’avait pas mis en œuvre sa recommandation v.consistant à exclure la participation ex officio du ministre de la Justice au Conseil et à établir des critères de sélection objectifs et mesurables pour les membres non judiciaires du Conseil 
			(40) 
			Le Conseil de la magistrature
se compose de 10 membres : le président de la Cour suprême, 4 juges
élus par leurs pairs (les «membres judiciaires»), 4 «éminents juristes»
élus par le parlement (les «membres non judiciaires») et le ministre
de la Justice. de manière à assurer leurs qualités professionnelles et l’impartialité 
			(41) 
			GRECO,
Quatrième Cycle d’Évaluation, Prévention de la corruption des parlementaires,
des juges et des procureurs, Deuxième Rapport de Conformité sur
le Monténégro, <a href='https://rm.coe.int/quatrieme-cycle-d-evaluation-prevention-de-la-corruption-des-parlement/16809a5bde'>GrecoRC4(2019)27</a>.. Lors de nos entretiens francs et ouverts avec le président du Conseil de la magistrature et avec un représentant du ministère de la Justice, ceux-ci nous ont expliqué que le GRECO avait formulé cette recommandation après que la Commission de Venise eut émis son avis sur la composition du Conseil de la magistrature sans critiquer la participation du ministre de la Justice. En outre, ils ont attiré notre attention sur le fait que la Commission de Venise et le GRECO avaient des points de vue opposés sur la présidence du Conseil de la magistrature: la Commission de Venise étant en faveur d’un président qui n’exerce pas de fonctions judiciaires, le GRECO préconisant le contraire 
			(42) 
			Voir Commission de
Venise, <a href='https://www.venice.coe.int/WebForms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2012)024-f'>CDL-AD(2012)024</a>, par. 22, et GRECO, ibid,
recommandation v.(i)..
60. Au sujet de la participation du ministre de la Justice au Conseil de la magistrature, nous reconnaissons, en tant que corapporteurs, que les normes du GRECO semblent plus strictes que celles de la Commission de Venise. Nous sommes aussi pleinement conscients de la difficulté de modifier la composition du Conseil de la magistrature, qui est déterminée par la Constitution, si l’opposition parlementaire refuse de participer au processus d’amendement de la Constitution, ce qui a été le cas dans le passé. Enfin, nous savons que, selon la Constitution, le ministre de la Justice ne peut pas être élu président du Conseil de la magistrature, ce qui représente une forme de garde-fou, puisque la voix du président du Conseil de la magistrature est prépondérante en cas d’égalité des voix. Toutefois, lorsque le système judiciaire est perçu comme vulnérable à l’influence politique, comme l’a indiqué la Commission européenne, il peut être sage de ne pas inclure le ministre de la Justice dans la composition du Conseil de la magistrature. Cela dit, nous ne pensons pas que cet aspect soit le plus important en matière d’indépendance du pouvoir judiciaire.
61. Au sujet de la présidence du Conseil de la magistrature, nous estimons que la recommandation du GRECO ne doit pas être envisagée séparément des autres recommandations concernant le Conseil de la magistrature. En effet, lorsque le GRECO a appelé les autorités monténégrines à «prendre des mesures supplémentaires pour renforcer l’indépendance du Conseil de la magistrature - réelle et perçue - contre l’influence politique indue», il a recommandé trois types de mesures. Deux d’entre elles méritent d’être mentionnées: établir des critères de sélection objectifs et mesurables pour les membres non judiciaires ; et mettre en place des dispositions opérationnelles pour éviter une concentration excessive des pouvoirs dans les mêmes mains par rapport aux différentes fonctions à remplir par les membres du Conseil de la magistrature 
			(43) 
			GRECO, ibid, recommandation v.. D’après nous, si ces deux types de mesures avaient été mises en œuvre, la question de la présidence du Conseil de la magistrature aurait peut-être été moins importante pour le GRECO. Or, tel n’a pas été le cas, même si le président du Conseil de la magistrature a reconnu que les conditions d’élection à un poste de membre non judiciaire devaient être clarifiées et renforcées. Cette question pourrait être traitée au moyen d’une simple loi et nous serions favorables à une telle initiative.
62. Dans un rapport détaillé sur la nomination et la promotion des juges et des procureurs au Monténégro (2016-2019) 
			(44) 
			HRA, 10/09/2019, <a href='http://www.hraction.org/2019/09/10/appointment-and-promotion-of-judges-and-prosecution-in-montenegro/?lang=en'>Appointment
and Promotion of Judges and Prosecutors in Montenegro 2016-2019.</a>, l’ONG Human Rights Action (HRA) a préconisé d’appliquer à tous les candidats au Conseil de la magistrature et au Conseil des procureurs les mêmes critères qu’aux candidats au conseil d’administration de l’APC, du RTCG ou de l’AME. L’ONG ne voyait pas pourquoi la prévention des risques de conflit d’intérêts serait moins importante pour un juge ou un procureur. Lorsque nous avons soulevé cette question, nos interlocuteurs nous ont répondu que la loi qui régit les conflits d’intérêts était la même pour toute personne considérée comme agent public, mais que les règlements relatifs aux organismes susmentionnés étaient peut-être plus stricts.
63. Concernant le Conseil des procureurs, la Commission de Venise, dans son avis final de 2015 concernant le projet de loi révisé sur le ministère public du Monténégro, a estimé qu’un certain nombre de questions soulevées par la Commission n’avaient pas été traitées. Parmi ces questions figuraient : les procédures d’élection au Conseil des procureurs; la nécessité d’assurer une représentation équitable et proportionnelle des parquets de premier degré au sein du Conseil; le fait que la décision de révoquer un membre ne devrait être prise que par les autres membres du Conseil, sans que des organes extérieurs ne participent à la procédure; et la nécessité de clarifier certains critères de nomination des procureurs 
			(45) 
			Pour une liste complète
des questions non traitées, voir <a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2015)003-f'>CDL-AD(2015)003</a>, para. 71..
64. Concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire, des magistrats du tribunal de première instance de Podgorica et le président du Conseil de la magistrature nous ont indiqué que le système d’information judiciaire, PRIS, était très efficace. Ce système a été conçu spécialement pour répartir les affaires de manière aléatoire, afin d’éviter une répartition motivée par des considérations autres que la bonne administration de la justice. Le système avait été critiqué par les juges avant d’être pleinement opérationnel, selon le rapport de 2015 des corapporteurs. Dans son rapport annuel de 2019, la Commission européenne regrette que, faute de critères précis, la pratique consistant à répartir une nouvelle fois de grandes quantités d’affaires entre les tribunaux pour réduire l’arriéré compromette le principe de l’attribution aléatoire des affaires.
65. Pour ce qui est du Conseil de la magistrature comme du Conseil des procureurs, mais aussi en matière de nomination des juges et de promotion des magistrats, la question de la transparence préoccupe depuis longtemps les corapporteurs. La Commission européenne a confirmé qu’il était nécessaire d’améliorer concrètement la transparence des activités des deux conseils, notamment en publiant des décisions pleinement motivées lorsqu’elles sont relatives aux promotions, aux nominations et aux procédures disciplinaires. Dans son rapport susmentionné, l’ONG HRA regrettait vivement que la politique de nomination des juges appliquée par le Conseil de la magistrature ne tienne pas compte des programmes visant à pourvoir les postes judiciaires. L’ONG a aussi critiqué une décision, prise en juin 2018, de nommer 10 juges dans les tribunaux de première instance. Cette décision a été contestée devant une juridiction administrative à cause d’allégations graves concernant les agissements des membres du Conseil de la magistrature en lien avec les examens et les entretiens. En octobre 2019, le tribunal administratif a rejeté le recours intenté par le requérant. À la suite de ce rejet, l’ONG HRA a fait part de ses doutes quant à l’impartialité de la procédure. Après avoir été examinée par un tribunal administratif en première instance, l’affaire sera jugée par la Cour suprême en deuxième instance. Cela signifie que les deux juridictions auront pris part à la décision litigieuse concernant la nomination des juges dans les tribunaux de première instance. HRA a de ce fait invoqué la possibilité d’intenter un recours devant la Cour constitutionnelle au lieu de la Cour suprême. En tant que corapporteurs, nous sommes disposés à examiner cette proposition, en fonction de la décision que rendra la Cour suprême. Trois ONG (HRA, MANS et Institute Alternative) ont également porté plainte contre les membres du Conseil de la magistrature, auxquels elles reprochaient de graves irrégularités dans le processus de sélection des 10 candidats et qu’elles accusaient des infractions pénales suivantes: abus de fonctions, malversations, trafic d’influence, contrefaçon de documents et atteinte au principe d’égalité. Ces accusations ont été rejetées par le procureur spécial le 15 octobre 2019.
66. Lors de notre entrevue, le président du Conseil de la magistrature a démenti toutes les allégations faites par ces ONG. Ce Conseil semblait toutefois avoir tiré certains enseignements de cette expérience, l’ONG HRA l’ayant félicité ultérieurement pour sa conduite des entretiens avec les candidats à la présidence d’un autre tribunal de première instance, le 7 février 2020. D’après l’ONG, les entretiens avaient parfaitement respecté les règles établies. Malheureusement, l’issue de la procédure de sélection a confirmé nos inquiétudes, présentées ci-après.
67. Dans son rapport, l’ONG HRA soulignait aussi que les décisions du Conseil des procureurs sur les nominations des procureurs n’étaient pas assez motivées.
68. Les faits intervenus en 2019 et 2020 ont montré combien la question des nominations de certains juges est sensible au Monténégro. En mai 2019, le Conseil de la magistrature a reconduit Mme Vesna Medenica dans ses fonctions de présidente de la Cour suprême pour un nouveau mandat 
			(46) 
			Mme Medenica
a été élue pour la première fois à la présidence de la Cour suprême
du Monténégro le 19 décembre 2007. Son premier mandat a duré six ans
et demi, jusqu’à ce qu’elle soit réélue le 26 juillet 2014 pour
un deuxième mandat, de cinq ans.. Le Conseil de la magistrature a aussi validé les candidatures de cinq présidents sortants de tribunaux de première instance qui se présentaient une nouvelle fois à la présidence bien qu’ils eussent déjà exercé cette fonction pendant au moins deux mandats. Selon la version modifiée de l’article 124 de la Constitution monténégrine, entré en vigueur le 31 juillet 2013, une même personne ne peut pas être élue plus de deux fois à la présidence de la Cour suprême. Selon la version modifiée de la loi sur le Conseil de la magistrature et les juges, entrée en vigueur le 1er janvier 2016, personne ne peut être élu plus de deux fois à la présidence d’une même juridiction. Le 31 mai 2019, 11 ONG se sont adressées au Conseil de la magistrature pour contester la nomination et la décision sur les candidatures, au motif qu’elles étaient contraires à la Constitution. Le Conseil de la magistrature a répondu que le principe de non-rétroactivité de la loi, inscrit dans la Constitution, l’avait conduit à prendre ces décisions.
69. En tant que corapporteurs, nous regrettons la manière dont ces reconductions ont eu lieu car elles montrent que, malgré de réels progrès sur le plan de la réforme judiciaire et la mise en place de garanties, des pratiques contraires à l’esprit de la réforme se perpétuent. Le président du Conseil de la magistrature nous a expliqué la procédure qui avait été suivie concernant Mme Medenica. Un organe de la Cour suprême composé de 18 de ses membres a présenté sa candidature, et uniquement celle-ci, au Conseil de la magistrature, qui a décidé de la reconduire dans ses fonctions, même si le président du Conseil de la magistrature aurait préféré que le Conseil de la magistrature pût choisir entre plusieurs candidats. La limite de deux mandats, introduite dans la Constitution en 2013, ne pouvait pas s’appliquer à Mme Medenica, puisque les amendements à la Constitution ne comportaient aucune disposition précisant comment cette limite s’appliquerait aux présidents de juridiction déjà en exercice. Face à une situation analogue, la Serbie et la Croatie ont décidé, selon le Président du Conseil, de mettre en œuvre des dispositions transitoires, ce que le Monténégro n’a pas fait. En conséquence, la limite de deux mandats ne pouvait s’appliquer ni à Mme Medenica ni aux cinq présidents de tribunaux de première instance, quel que fût le nombre de mandats de président qu’ils avaient déjà exercés avant la réforme constitutionnelle de 2013.
70. Nous ne contestons pas la position juridique du Conseil de la magistrature ni son interprétation du principe de non-rétroactivité. Cependant, nous notons que, dans le cas de Mme Medenica, le Conseil de la magistrature aurait pu suspendre sa décision de la nommer et aurait pu demander aux 18 juges de la Cour suprême de présenter plusieurs candidatures, ce qu’il n’a pas fait. Mais plus fondamentalement, nous observons que la réforme constitutionnelle de 2013 visait précisément à éviter que des présidents de juridiction (y compris le président de la Cour suprême) continuent d’occuper leurs fonctions après deux mandats. Or, c’est exactement ce qui s’est passé. Le Conseil de la magistrature aurait envoyé un signal beaucoup plus positif s’il avait été en mesure de procéder aux nominations dans l’esprit des amendements constitutionnels de 2013.
71. Comme nous l’avons fait avec le président du Conseil de la magistrature, la Commission européenne et le GRECO ont tous deux exprimé leur vif mécontentement et leurs profondes préoccupations concernant ces reconductions 
			(47) 
			Commission
européenne, novembre 2019, document non officiel sur l’état d’avancement
des négociations concernant les chapitres 23 et 24 pour le Monténégro,
p. 2: «la reconduction dans ses fonctions de la présidente de la Cour
suprême pour un troisième mandat malgré la limite de deux mandats
inscrite dans la Constitution; et la reconduction des présidents
de tribunaux qui ont déjà accompli les deux mandats maximum prévus
par la loi de 2015 sur le Conseil de la magistrature, suscitent
des inquiétudes quant à l’interprétation de la Constitution et de
la législation applicable par le Conseil de la magistrature». GRECO,
Deuxième Rapport de Conformité, ibid,
p. 5, para. 26: «En outre, le GRECO se déclare profondément préoccupé
par la décision du Conseil de la justice de nommer cinq présidents
de tribunaux pour au moins un troisième mandat. En effet, la recommandation
du GRECO avait notamment pour but de limiter la concentration excessive
des pouvoirs au sein du pouvoir judiciaire. Dans cet esprit, le
Monténégro a modifié son cadre normatif pour limiter la durée des
mandats des juges dans un même poste à haut niveau. Cependant, le
Conseil de la magistrature a reconduit cinq présidents de tribunaux,
dont la présidente de la Cour suprême, qui occupaient déjà les mêmes
fonctions depuis plus de dix ans. Certaines ONG ont fait part de
leurs préoccupations. Le GRECO souligne que ces nominations ne sont
pas conformes à l’objectif poursuivi par sa recommandation» ;. Le 7 février, le Conseil de la magistrature a reconduit dans ses fonctions le président du tribunal de première instance de Žabljak pour un cinquième mandat, faisant ainsi fi de tous les avertissements précédents.
72. En tant que corapporteurs, nous constatons là une faille systémique dans le pouvoir judiciaire pour ce qui est de renforcer sa propre indépendance et de respecter l’État de droit 
			(48) 
			Le 15 juin 2020, au
cours de la session du Conseil de l’État de droit, le Vice Premier
Ministre a <a href='http://www.gov.me/en/News/227332/DPM-Pazin-I-share-stance-of-EC-that-in-democratic-society-concentration-of-power-in-courts-through-multiple-mandates-of-court-pr.html'>appelé</a> tous les présidents de cour qui ont exercé plus de deux
mandats à s’interroger sur leur volonté de continuer à exercer leur
mandat actuel.. Dans ce contexte, le mouvement de protestation initié en février 2020 par six ONG contre la nomination d’un «juge président» de la Cour constitutionnelle qui avait déjà exercé les fonctions de président de cette juridiction ne peut que susciter de profondes inquiétudes.
73. En 2019, la Commission européenne a fait le même constat que celui que les corapporteurs avaient déjà fait en 2015 et 2017 au sujet de l’obligation, pour les magistrats, de rendre compte de leur action : elle a observé que «la mise en œuvre du code de déontologie et de la responsabilité disciplinaire des juges et des procureurs ne se manifestait encore que de manière très limitée». L’ONG HRA a notamment recommandé de modifier la loi et les règlements concernant l’évaluation du travail des juges et des présidents de juridiction pour faire en sorte que toutes les infractions au code de déontologie qui ont été constatées soient dûment prises en compte, en fonction de leur gravité, lors de l’examen des demandes de promotion. En tant que corapporteurs, nous approuvons d’autant plus cette proposition que le GRECO, dans son Deuxième Rapport de Conformité du Quatrième Cycle d’Évaluation, a déploré l’absence de progrès en ce qui concerne la révision du cadre disciplinaire applicable aux juges.
«13.1.2. assurer la formation professionnelle continue des personnels du ministère public, de la police et du système judiciaire, et améliorer leur coordination, de manière à garantir une justice efficace et professionnelle»
74. Concernant la formation des professions judiciaires, nous avons l’impression que de réels progrès ont été réalisés. La loi sur le Centre de formation des juges et des procureurs (CFPJ) avait pour but de transformer l’ancien Centre de formation des juges en une entité juridique autonome et autosuffisante, dont les activités seraient étendues pour englober la formation des procureurs, de leurs adjoints et des conseillers travaillant dans les parquets. Bien qu’il soit indépendant, le CFJP est une unité organisationnelle de la Cour suprême. En 2019, son budget a légèrement diminué : il s’est établi à 619 000 euros, contre 624 240 euros en 2018. Sur les 20 postes prévus, seuls 14 sont pourvus.
75. Il est ressorti de notre discussion avec des magistrats et avec la directrice du CFJP que des dispositions étaient apparemment prises pour répondre aux réserves formulées par la Commission européenne dans son rapport d’évaluation annuel de 2019 au sujet de la nécessité, pour le CFJP, de se montrer plus proactif en matière de formation, de promotion de la formation et de renforcement de la coopération avec le Conseil de la magistrature et avec le Conseil des procureurs. Le CFJP a établi un très vaste réseau de coopération internationale qui va au-delà des nombreux programmes de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe. Il nous a été indiqué que l’accent avait été mis sur la jurisprudence relative à plusieurs articles de la Convention européenne des droits de l’homme, notamment : l’article 3 (interdiction de la torture), l’article 5 (droit à la liberté), l’article 6 (droit à un procès équitable), l’article 10 (liberté d’expression) et l’article 13 (droit à un recours effectif). Ces informations sont confirmées par le rapport annuel du CFJP pour 2018. Il nous a aussi été indiqué que les personnels en formation s’intéressaient de plus en plus aux questions d’éthique et aux questions concernant l’évaluation du travail des juges et des procureurs et leur nomination. Cet intérêt peut laisser penser que les jeunes magistrats sont plus désireux de connaître leurs droits et les limites imposées par la déontologie, ce qui augure bien de l’avenir. Le rapport annuel du CFJP pour 2018 fait état d’une très forte participation des juges et des procureurs aux formations.
76. Lors de notre entretien avec la directrice du CFJP, nous lui avons demandé si la formation sur le droit humanitaire serait renforcée. Dans l’édition 2019 de son rapport annuel, la Commission européenne notait que, concernant les crimes commis à l’occasion des conflits qu’a connus l’ancienne Yougoslavie, les décisions judiciaires rendues dans le passé comportaient des erreurs juridiques et révélaient des insuffisances en matière d’application du droit international humanitaire. La directrice nous a répondu que le CFJP était informé de ce constat et étudiait la question.
77. Selon certains juges que nous avons rencontrés, grâce aux efforts déployés pour améliorer la formation des magistrats, le niveau de professionnalisme des nouveaux juges et procureurs est bien plus élevé aujourd’hui qu’il y a 10 ans. En outre, il convient de noter que, s’agissant de l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, aucune affaire monténégrine ne fait l’objet d’une procédure de surveillance soutenue.
78. Concernant l’efficacité du système judiciaire, en 2018, le nombre d’affaires en souffrance a diminué de 4,5 %, pour s’établir à 38 970, tandis que le nombre d’affaires pendantes depuis plus de trois ans a baissé de 4 %, pour s’établir à 3 081. C’est une tendance continue qui mérite d’être saluée. L’intervalle moyen entre le dépôt d’une demande et la décision de justice a aussi enregistré une baisse encourageante : 178 jours pour une procédure civile en première instance en 2018, contre 295 jours en 2017.
79. Nous avons discuté de la fonction d’huissier de justice, qui a été introduite récemment au Monténégro, étant donné que l’Union européenne a souligné que l’exécution des décisions judiciaires reste problématique. Les autorités monténégrines sont bien conscientes des insuffisances du système actuel mais ont rappelé qu’elles avaient dû l’élaborer en partant pratiquement de zéro. Elles travaillent maintenant sur la question de la responsabilité de cette profession, en coopération avec l’Union européenne. Dans son document non officiel de novembre 2019, la Commission européenne s’est félicitée des inspections conjointes des études d’huissiers de justice, qui se sont révélées satisfaisantes.
«13.1.3. renforcer le statut et les moyens du procureur général suprême nouvellement élu, qui doit être tenu responsable de la présentation au tribunal d’affaires motivées par des actes d’accusation solides et argumentés»
80. Nous n’avons malheureusement pas pu rencontrer le procureur général suprême. Aucune information ne nous a conduits à penser que son statut et ses moyens n’auraient pas été renforcés, comme cela est préconisé au paragraphe 13.1.3. de la Résolution 2030 (2015). Notre attention a cependant été attirée sur le fait que «l’affaire de l’enveloppe» avait des répercussions sur le parquet général suprême (PGS) : le 8 octobre 2019, le Conseil des procureurs a décidé de maintenir provisoirement M. Ivica Stanković à son poste après l’expiration de son mandat, en tant que procureur général suprême par intérim, jusqu’à l’élection de son successeur. Un membre du Conseil des procureurs a également annoncé qu’une enquête serait menée sur les allégations faites par M. Duško Knežević, qui a affirmé avoir versé des pots-de-vin au PGS pour que celui-ci cesse d’enquêter sur des clients étrangers de la banque Atlas, dont M. Knežević était propriétaire 
			(49) 
			Balkan Insight, Samir Kajosevic, <a href='https://balkaninsight.com/2019/10/08/montenegro-prosecutor-to-remain-despite-bribery-probe/'>«Montenegro
Prosecutor to remain despite bribery probe</a>», 8 octobre 2019..
81. Concernant une autre question, liée à la transmission de documents par le PGS à la commission de suivi des actions des autorités compétentes dans l’instruction des affaires de menaces et de violences envers des journalistes, d’assassinats de journalistes et de dégradation de biens appartenant à des médias, nous avons appris que le PGS avait attendu neuf mois avant de répondre aux demandes répétées de cette commission dans l’affaire de la journaliste Mme Olivera Lakić, ce qui constitue un précédent regrettable.

3.2. Position des corapporteurs et conclusions à propos de l’indépendance du pouvoir judiciaire

82. De manière générale, nous estimons que le Monténégro a fait de réels progrès et qu’il est désormais mieux préparé à affronter l’avenir. Ses magistrats sont mieux formés et le cadre juridique mis en place en coopération avec la Commission de Venise après l’adoption des amendements constitutionnels de 2013 semble relativement conforme aux normes européennes. Cela dit, une marge de progression est encore possible 
			(50) 
			Au paragraphe 72 de
son <a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2014)038-f'>Avis</a> de 2014 sur les projets de lois sur les tribunaux et
sur les droits et les obligations des juges et le Conseil de la
magistrature du Monténégro, la Commission de Venise a formulé des
recommandations concernant quatre aspects: l’indépendance interne
des juges; l’ingérence du gouvernement dans l’organisation interne des
tribunaux; les règles, les motifs et la procédure de révocation
des membres du Conseil de la magistrature; et les règles sur l’incompatibilité,
l’immunité et les procédures disciplinaires contre les juges, afin que les recommandations de la Commission de Venise puissent être prises en compte. Les autorités monténégrines le reconnaissent d’ailleurs elles-mêmes. En particulier, les règles concernant les «membres non judiciaires» du Conseil de la magistrature pourraient être améliorées.
83. Dans le cadre de certains litiges, l’État de droit prévaut. Cela semble avoir été le cas en décembre 2018, par exemple, lorsque la Cour constitutionnelle a annulé des mandats d’arrêt émis contre deux membres du Parlement monténégrin, M. Medojević et M. Knežević, qui avaient été arrêtés sans que leur immunité parlementaire eût été levée; la Cour constitutionnelle ne s’est cependant pas prononcée sur la question de l’immunité parlementaire. Le principe de la prééminence du droit semble aussi avoir été respecté en 2018, lorsque des tribunaux de première instance et la Haute cour de Podgorica ont osé annuler des décisions très sensibles prises par le parlement, qui concernaient la révocation de membres du conseil d’administration du RTCG et de son ancien président; les décisions de ces juridictions ont toutefois été annulées par la Cour suprême en juin 2019. L’on pourrait également dire que la Cour d’appel de Podgorica a montré que le Monténégro est un État de droit lorsqu’elle a annulé, en octobre 2019, le jugement de première instance qui avait condamné M. Jovo Martinović, un journaliste d’investigation qui travaillait sur le trafic d’armes, à 18 mois d’emprisonnement pour trafic de drogue et participation à une association de malfaiteurs.
84. En revanche, des signaux négatifs concernant la transparence des procédures de recrutement et de nomination des juges ont récemment été envoyés dans une société où le système judiciaire est perçu comme vulnérable à l’influence politique et où la taille réduite des professions judiciaires peut être considérée comme favorisant l’esprit de corps.
85. Ainsi que la Commission européenne l’a souligné dans son rapport annuel de 2019, avec 51 juges et 17 procureurs pour 100 000 habitants, le Monténégro se situe bien au-dessus de la moyenne européenne (qui est de 21 juges et de 11 procureurs). Le pays ne manque donc pas de magistrats. Par conséquent, il faudrait se concentrer sur le changement de culture, qui suppose l’instauration de nouvelles procédures et une réelle volonté de soutenir le processus de réforme. Il s’agirait notamment :
  • de respecter l’esprit des changements constitutionnels concernant la limite des deux mandats pour les présidents de juridiction,
  • d’augmenter la transparence des procédures de recrutement et de nomination des magistrats,
  • d’améliorer la mise en œuvre du code de déontologie et de la responsabilité disciplinaire des magistrats.

4. La confiance dans le processus électoral

86. Compte tenu des tensions politiques actuelles au Monténégro et du déroulement des dernières élections générales, avec un prétendu coup d’état le jour du scrutin, il est primordial que les prochaines élections générales prévues en 2020 soient considérées comme libres et équitables et que leurs résultats soient incontestables pour la plupart, voire la totalité, des acteurs politiques. Par conséquent, la manière dont les élections vont se tenir est probablement aussi importante que le contenu de la réforme électorale elle-même.
87. Le Conseil de l’Europe, et notamment les corapporteurs de l’Assemblée, ainsi que l’Union européenne, n’ont cessé de plaider pour qu’une révision complète et inclusive du cadre juridique électoral intervienne suffisamment en amont des prochaines élections. Malheureusement, le boycott du parlement par certains partis de l’opposition a rendu difficile l’amélioration de la législation en la matière au niveau attendu.

4.1. Conditions fixées par la Résolution 2030 (2015) et faits nouveaux intervenus dans ce domaine

88. La Résolution 2030 (2015) énumère cinq conditions en matière de confiance dans le processus électoral. Elles concernent le financement des campagnes électorales et l’utilisation des ressources administratives durant ces campagnes, les listes électorales informatisées, le processus électoral au niveau local, la reconnaissance de la nationalité monténégrine et les recommandations du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE (BIDDH) et de la Commission de Venise.
«13.2.1. mettre en œuvre la loi relative au financement des entités politiques et des campagnes électorales, y compris les réglementations sur l’utilisation des ressources administratives lors des campagnes électorales»
89. Comme l’a démontré «l’affaire de l’enveloppe», la loi relative au financement des entités politiques et des campagnes électorales, qui a été modifiée en profondeur en 2014 et pour la dernière fois en 2017, a eu un effet limité sur la prévention et la répression des dons illicites. Le rôle et les compétences de l’APC créée en 2016, qui est chargée de contrôler les fonds et les dépenses de l’ensemble des partis, ont été mis en cause par la commission ad hoc du Bureau de l’Assemblée pour l’observation des élections législatives en 2016, car cette instance «n’est pas parvenue à garantir suffisamment de transparence pour les activités préélectorales et les dépenses des partis» 
			(51) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-fr.asp?fileid=23205&lang=fr'>Doc.
14203</a>, par. 52.. Ces doutes ont été exprimés une nouvelle fois par la commission ad hoc du Bureau pour l’observation de l’élection présidentielle en 2018: «Le système de financement des partis politiques et des candidats à la présidentielle semble très généreux comparé aux salaires et aux pensions financés par le budget d’État du Monténégro. Comme ce fut le cas lors des élections précédentes, les candidats ont généralement omis de déclarer les dons en nature et l’APC n’a pas réagi de manière appropriée et efficace à ce manquement aux règles. De nombreux interlocuteurs de la commission ad hoc ont mis en doute l’impartialité de l’Agence et émis des critiques concernant son fonctionnement et sa transparence ainsi que sa réticence à coopérer avec les organisations de la société civile en ne publiant, ou en ne leur communiquant, aucune information» 
			(52) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=24779&lang=FR'>Doc.
14564</a>, para. 49-50..
90. L’absence d’efficacité du cadre juridique qui régit le financement semble d’autant plus préjudiciable que les candidats qui ne sont pas membres du parti au pouvoir ont apparemment disposé de ressources limitées pendant la campagne présidentielle de 2018 
			(53) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=24779&lang=FR'>Doc.
14564</a>, para. 49.. En outre, il ne permet pas de conjurer l’utilisation abusive des ressources administratives à laquelle le parti au pouvoir qui a gouverné pendant 20 ans a parfaitement pu se livrer. Dans son rapport consacré à l’élection présidentielle de 2018, la commission ad hoc a fait remarquer que «des allégations crédibles d’achat de voix, de recrutement d’agents publics en période électorale et de pressions exercées sur les électeurs, des caractéristiques malheureusement récurrentes des élections au Monténégro, ont ébranlé la confiance des électeurs dans le processus électoral» 
			(54) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=24779&lang=FR'>Doc.
14564</a>, para. 59.. En 2016, la Commission de Venise et le BIDDH de l’OSCE ont publié des Lignes directrices conjointes visant à prévenir et à répondre à l’utilisation abusive de ressources administratives pendant les processus électoraux, qui pourraient être utiles aux autorités monténégrines.
«13.2.2. mener à bien la constitution de listes électorales informatisées et veiller à leur bonne utilisation lors des scrutins à venir»
91. La constitution de listes électorales électroniques a été réalisée et leur mise à jour est assurée par le ministère de l’Intérieur. En 2015, les corapporteurs ont indiqué que 25 000 citoyens ne possédaient pas de pièce d’identité biométrique, alors même que celle-ci était indispensable pour pouvoir voter 
			(55) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=21348&lang=FR'>Doc.
13665</a>, para. 49.. Cette question semble avoir été réglée.
92. En 2016, la commission ad hoc du Bureau a été impressionnée par l’efficacité du nouveau système d’identification électronique des électeurs (Système de reconnaissance automatique des empreintes digitales – AFSIS), dont elle a recommandé l’adoption par les autres États membres. Toutefois, quelques petites améliorations proposées par les ONG, le Centre pour le suivi et la recherche (Cemi) et le Centre pour des élections démocratiques (CDT), pourraient lui être apportées.
93. Le registre électoral reste une source de préoccupation pour plusieurs ONG et partis d’opposition. En 2016, le ministre de l’Intérieur de l’époque, qui appartenait à l’opposition, a refusé de signer le registre électoral car il le jugeait inexact. En 2016 et 2018, les commissions ad hoc du Bureau et du BIDDH de l’OSCE ont mentionné les allégations formulées par les ONG et l’opposition, qui affirmaient que le registre électoral comportait des électeurs décédés et des électeurs qui vivaient à l’étranger. La commission ad hoc du Bureau a indiqué en 2018 que le corps électoral représentait plus de 80 % de la population, chiffre relativement élevé 
			(56) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=24779&lang=FR'>Doc.
14564</a>, para. 32.. Dans son rapport final sur l’observation de l’élection présidentielle de 2018, le BIDDH de l’OSCE faisait remarquer que, malgré les efforts déployés par le ministère de l’Intérieur pour renforcer la transparence du registre électoral en procédant à des vérifications croisées, en publiant les données en ligne et en adressant des messages aux citoyens pour les informer de la vérification des listes électorales et de l’emplacement des bureaux de vote, l’exactitude du registre électoral a été remise en cause par les ONG et l’opposition. Mais aucun élément de preuve n’a été remis au BIDDH et aucune plainte n’a été déposée.
94. Nous avons évoqué cette question avec les représentants de la société civile, qui ont confirmé que le registre électoral avait été véritablement amélioré et qu’il était mis à jour par le ministère de l’Intérieur de manière professionnelle. Ils ont toutefois souligné que ce registre était établi sur la base d’autres registres, notamment le registre de résidence qui était le plus préoccupant 
			(57) 
			Le ministère de l’Intérieur
a précisé que le registre de résidence était mis à jour à partir
des demandes soumises personnellement par les citoyens et que les
ressortissants monténégrins vivant à l’étranger n’avaient pas l’obligation
de se faire radier. De plus, les enregistrements de résidence, de
changement de résidence ou d’adresse de domiciliation relèvent de
la responsabilité des autorités locales.. En 2014, l’ONG «Centre pour la transition démocratique» a proposé de vérifier ce registre. Cette proposition a été rejetée par le parti d’opposition Front démocratique et par le PDS.
95. En notre qualité de corapporteurs, nous estimons que cette vérification ne pourrait que contribuer à restaurer la confiance dans le processus électoral et à compléter les indéniables progrès réalisés dans ce domaine.
«13.2.3. prendre des mesures pour associer pleinement les collectivités locales et les responsables politiques locaux à l’instauration de la confiance vis-à-vis du processus électoral au niveau local»
96. Au Monténégro, les élections locales n’ont pas toutes lieu au cours d’un même jour de scrutin, mais par roulement. En 2018, les élections locales ont été organisées dans 13 communes. Selon nous, deux mesures pourraient être prises pour que le Monténégro se conforme à ses obligations en la matière.
97. Premièrement, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe n’a jamais été invité à observer une élection locale au Monténégro. Il pourrait sans aucun doute être invité à le faire.
98. Deuxièmement, la réforme électorale devrait inclure les élections locales, en respectant les recommandations du Congrès. Dans une situation similaire qui se présentait en Arménie, le Congrès avait déclaré dans son rapport d’observation que l’éparpillement des scrutins locaux partiels était peu pratique, contribuait à réduire l’attention accordée à chaque scrutin, était source de confusion pour les électeurs et, de manière générale, nuisait à l’attention accordée par le public aux élections locales. Il proposait que les élections locales aient lieu le même jour et au moins à six mois de distance des élections législatives, afin de sensibiliser l’opinion publique aux questions qui présentent une importance sur le plan local 
			(58) 
			<a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=0900001680719a1f'>CPL31(2016)02</a>, para. 12 et 51 et <a href='https://rm.coe.int/rapport-d-information-sur-les-elections-au-conseil-des-anciens-d-ereva/1680750a5b'>CPL33(2017)04</a>, para. 8 et 58..
99. Nous sommes convaincus que les élections locales pourraient contribuer à rétablir la confiance dans le processus électoral, car, comme nous l’avons déjà indiqué, il existe une véritable compétition politique à ce niveau. En outre, les partis membres de l’opposition parlementaire dirigent plusieurs villes importantes et sont membres de coalitions locales. Il importe donc de ne pas oublier le niveau local.
«13.2.4. adopter une loi qui facilite la reconnaissance de la citoyenneté monténégrine conformément à la Résolution 1989 (2014) de l’Assemblée sur l’accès à la nationalité et la mise en œuvre effective de la Convention européenne sur la nationalité»
100. Cette exigence ne figurait pas dans le projet de résolution présenté devant l’Assemblée en 2015, mais a été ajoutée au moyen d’un amendement, qui a ensuite fait l’objet d’un sous-amendement dans l’hémicycle. La commission de suivi y était favorable. Au départ, l’amendement ne devait pas faire partie de la feuille de route du Monténégro, mais il y a été intégré par le biais du sous-amendement.
101. Le lien entre ce paragraphe et la confiance dans les élections n’est cependant pas totalement évident et plus indirect que les autres. Le Monténégro est l’un des rares États membres à avoir signé et ratifié la Convention européenne sur la nationalité (STE n°166) en 2010. Il l’a fait en formulant une réserve à propos de l’article 16 (Conservation de la nationalité précédente), qui stipule: «Un État Partie ne doit pas faire de la renonciation ou de la perte d’une autre nationalité une condition pour l’acquisition ou le maintien de sa nationalité lorsque cette renonciation ou cette perte n’est pas possible ou ne peut être raisonnablement exigée». Il est vrai que le paragraphe 7 de la Résolution 1989 (2014) précise que «(…) l’abandon de la nationalité d’origine ne devrait pas être une condition préalable indispensable à l’acquisition de la nationalité du pays d’accueil».
102. Nous avons évoqué cette question avec le président de la commission permanente des droits de l’homme du parlement et nous lui avons demandé, en soulignant le faible impact électoral de cette mesure, si le Monténégro envisageait de procéder au retrait de sa réserve sur l’article 16. Le président nous a répondu qu’il n’avait pas connaissance d’une initiative prise par le gouvernement en ce sens 
			(59) 
			Les autorités monténégrines
ont souligné que la loi sur la nationalité monténégrine autorise
la double nationalité dans les situations suivantes: 1) les personnes
mariées à un citoyen monténégrin depuis au moins trois ans et résidant
de manière continue et légale au Monténégro depuis au moins cinq
ans avant de demander la citoyenneté monténégrine, 2) un expatrié
monténégrin et un membre de sa famille jusqu’au troisième degré
de parenté en ligne directe peuvent acquérir la nationalité monténégrine
par naturalisation tout en conservant la nationalité d’un autre
État, à condition de résider légalement et de façon continue au
Monténégro depuis au moins deux ans..
«13.2.5. régler les problèmes en suspens soulignés dans les recommandations du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE et de la Commission de Venise, notamment la question de ramener de deux ans à six mois, comme pour les élections locales, l’exigence constitutionnelle de résidence pour qu’un ressortissant puisse obtenir le droit de vote»
103. Les recommandations suivantes sont les quatre recommandations prioritaires les plus fréquemment formulées par les rapports du BIDDH de l’OSCE 
			(60) 
			OSCE/BIDDH,
Monténégro, Élections législatives, 16 octobre 2016, <a href='https://www.osce.org/odihr/elections/montenegro/295511?download=true'>Rapport
final</a> de la mission d’observation des élections, et Élection
présidentielle, 15 avril 2018, <a href='https://www.osce.org/odihr/elections/montenegro/386127?download=true'>Rapport
final</a> de la mission d’observation des élections. et de la commission ad hoc du Bureau.

La condition de deux ans de résidence n’est pas conforme aux normes européennes

104. Selon le BIDDH, la Constitution monténégrine garantit aux citoyens le droit de vote s’ils ont résidé dans le pays deux ans avant le jour du scrutin. La législation électorale restreint encore le droit de vote aux seuls résidents pendant les deux ans qui ont immédiatement précédé le jour du scrutin et n’autorise pas le vote à l’étranger. L’inscription d’un candidat est soumise à cette même condition de résidence. Le BIDDH de l’OSCE, les commissions ad hoc du Bureau de l’Assemblée et la Commission de Venise ont constamment critiqué cette condition. Elle est en particulier contraire aux principes énoncés par le Code de bonne conduite en matière électorale de la Commission de Venise, qui indique que la condition de durée de résidence peut uniquement être imposée aux ressortissants nationaux pour les élections locales ou régionales 
			(61) 
			Voir l’Avis conjoint
de la Commission de Venise et du BIDDH de l’OSCE, <a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2011)011-f'>CDL-AD(2011)011</a>, paragraphes 24-26. Voir également le paragraphe I.1.1.c.iii
du Code de bonne conduite en matière électorale de la Commission
de Venise, qui précise qu’une condition de durée de résidence ne
peut être imposée, pour les ressortissants nationaux, que pour les élections
locales ou régionales..

Absence de date clairement définie de début de la campagne électorale

105. La législation ne précise pas quand débute officiellement la campagne électorale. Elle indique uniquement que le droit à un temps d’antenne gratuit sur le radiodiffuseur public commence à compter de l’enregistrement du candidat par la Commission électorale nationale (CEN). Cette imprécision est source de confusion pour la date d’applicabilité de la réglementation relative à la campagne et brouille le calendrier du contrôle du financement de la campagne, des restrictions imposées aux responsables publics en matière de campagne électorale ou de l’égal accès des candidats à l’acquisition d’espaces publicitaires dans les médias privés. En outre, d’après le BIDDH, l’absence de mécanisme de sanction permet de faire campagne plus tôt.

L’impartialité et l’obligation de rendre des comptes de la CEN devraient être renforcées

106. Il convient d’y procéder avant tout en autorisant l’accès des médias aux réunions de la CEN, ce qui n’est pas le cas. Il serait également utile d’imposer à la CEN de publier tous les documents pertinents en temps utile, y compris ses décisions, surtout lorsqu’elles comblent le vide de la réglementation électorale.

Favoriser l’indépendance du RTCG et de l’AME

107. Le radiodiffuseur public (RTCG), qui est financé par le budget national, gère trois chaînes de télévision et deux stations de radio. Malgré l’existence de garanties légales d’indépendance, le radiodiffuseur public n’échappe pas à l’influence politique, selon le BIDDH. Fin 2017, le parlement a pris la décision controversée de remplacer plusieurs membres du Conseil du RTCG et un membre du régulateur des médias, l’AME, en raison de conflits d’intérêts constatés par l’APC. Le 20 mars 2018, soit avant l’élection présidentielle du mois d’avril, le nouveau Conseil du RCTG a remplacé sa présidente. Le BIDDH considère que ces révocations anticipées remettent directement en cause l’autonomie et l’indépendance du RTCG et de l’AME. Il importe donc que la réforme électorale tienne compte des moyens de protéger les membres du conseil d’administration de ces instances de toute influence indue de la part des responsables politiques et que les révocations prématurées soient uniquement autorisées dans un nombre limité de situations.

4.2. Comment procéder à la réforme électorale: la question de la commission parlementaire ad hoc

108. Le 30 octobre 2018 a été créée, au sein du parlement, la Commission provisoire pour la poursuite de la réforme de la législation électorale et autre. Le deuxième groupe politique le plus important de l’opposition parlementaire, le DCG, a uniquement commencé à prendre part à ses travaux en septembre 2019, pendant notre visite d’information, alors que les autres groupes de l’opposition y participaient déjà auparavant. En juillet 2019, le parlement a décidé d’étendre le mandat de cette commission, qu’il a rebaptisée «Commission pour la réforme générale de la législation électorale et autre» (ci-après «Commission de la réforme générale»). Ses sept groupes de travail ont couvert la quasi-totalité des questions prioritaires examinées dans le présent rapport, à l’exception de la lutte contre la corruption. Par exemple, le groupe de travail no 1 était en charge des élections locales, le groupe de travail no 2 portait sur le registre électoral, le groupe de travail no 4 traitait de la loi relative aux médias et de la loi relative au RTCG, tandis que le groupe de travail no 5 s’occupait de la législation relative au financement des entités politiques et des campagnes électorales. L’objectif était de permettre à la Commission de la réforme générale de proposer des projets de loi qui devaient être adoptés avant les élections générales de 2020. Son mandat a été prolongé jusqu’au 18 décembre 2019.
109. Afin de garantir davantage le caractère inclusif du processus, le PDS a accepté le 29 juillet 2019 que les amendements proposés par la Commission de la réforme générale soient adoptés à la majorité des quatre cinquièmes, au lieu de la majorité précédente des deux tiers. Cet engagement et l’intervention de l’ambassadeur européen ont facilité la participation du DCG, qui boycottait le parlement depuis le mois d’octobre 2016.
110. Malheureusement, le 10 décembre 2019, le DCG a quitté la Commission de la réforme générale et demandé au gouvernement de retirer le projet de loi d’alors sur la liberté de religion. Sans la participation du DCG, le quorum n’a pas été atteint et la Commission de la réforme générale n’a pas été en mesure d’accomplir sa mission avant la fin de son mandat fixée au 18 décembre. Le parlement a toutefois adopté des amendements, qui n’exigeaient pas une majorité des deux tiers, portant modification de quatre lois : la loi sur le financement des entités politiques et des campagnes électorales, la loi sur le Code pénal, la loi sur l’organisation territoriale et la loi sur les listes électorales. Le 9 janvier 2020, le PDS a appelé l’opposition à relancer le dialogue sur la réforme électorale, mais les groupes de l’opposition, à savoir le FD, le DCG et le SDP, ont rétorqué que les amendements avaient été adoptés après qu’ils avaient décidé de quitter la Commission de la réforme générale. Au moment de la rédaction du présent rapport, les amendements aux quatre lois n’avaient pas fait l’objet d’un examen formel, ni par le Conseil de l’Europe, ni par l’OSCE.
111. D’autre part, le PDS a répété qu’il ne saurait être question de constituer un gouvernement technique. Cette déclaration revêt une grande importance, puisqu’il s’agissait du moyen choisi pour organiser les précédentes élections générales en 2016. En avril 2016, les partis politiques représentés au parlement avaient signé un Accord de création des conditions propices à des élections libres et équitables, qui a été appliqué comme une loi et autorisait la formation d’un gouvernement de transition chargé de préparer les élections. L’accord appelait également à la démission du directeur et des rédacteurs en chef du radiodiffuseur public, ainsi qu’à l’entrée de membres de l’opposition au gouvernement, à des postes ministériels comme le ministère de l’Intérieur et le ministère des Finances. Cet effort louable d’atténuer la confrontation directe entre la majorité au pouvoir et l’opposition et de renforcer la confiance des citoyens dans les résultats des élections a été ruiné par les allégations de fraude électorale avancées par l’opposition, le refus de cette dernière de reconnaître le résultat des élections, ainsi que par la tentative de coup d’état intervenue le jour du scrutin.
112. Au cours de notre visite, les représentants de la majorité ont réitéré leur opposition à la constitution d’un gouvernement technique avant les élections générales, considérant qu’ils y avaient déjà consenti en 2016, ce qui n’avait pas empêché l’ensemble de l’opposition de refuser les résultats des élections et de boycotter le parlement. Les représentants de l’opposition nous ont tous assuré que la constitution d’un gouvernement technique était un préalable indispensable pour qu’ils prennent part aux prochaines élections générales.
113. Le Monténégro a déjà connu plusieurs tentatives de révision de son cadre électoral conformément aux recommandations du BIDDH de l’OSCE, en 2014 et 2017. À chaque fois, une commission parlementaire ad hoc avait été créée et la présence de l’opposition était exigée. Mais dans les deux cas, faute de la majorité requise en raison du boycott du parlement par l’opposition, les propositions établies n’ont été examinées ou adoptées qu’en partie seulement, voire pas du tout. Le cadre juridique risque également de ne pas être révisé pour les élections générales de 2020. Cette situation serait surtout préjudiciable à la confiance des citoyens dans le système électoral. En revanche, la majorité et l’opposition pourraient choisir de maintenir le cadre actuel, qui reste très perfectible ; la majorité affirmant que la réforme est bloquée par l’opposition, cette dernière se plaignant de l’impossibilité de la tenue d’élections libres et équitables.
114. C’est précisément ce qu’il convient d’éviter et la raison pour laquelle nous avons indiqué dans la déclaration que nous avons publiée à l’issue de notre mission que « pour le Conseil de l’Europe et la communauté internationale, ce processus [de réforme électorale] fournira également une indication du degré de maturité du dialogue politique au Monténégro. L’occasion est donnée à la coalition au pouvoir et à l’ensemble de l’opposition de démontrer qu’elles sont capables de négocier dans le cadre parlementaire, qui représente la tribune adéquate du dialogue politique, indépendamment des graves dissensions qui existent entre les parties prenantes ».

4.3. Position des corapporteurs et conclusions à propos de la confiance dans le processus électoral

115. En dehors des listes électorales, aucun progrès n’a été réalisé dans la mise en œuvre des conditions fixées par la Résolution 2030 (2015), depuis 2015. En l’absence d’une évaluation satisfaisante des modifications apportées aux quatre lois et vu qu’il est probable que la Commission de la réforme générale ne reprenne pas ses travaux en mars 2020, il nous apparaît clairement que la manière dont les prochaines élections générales vont se dérouler constituera un élément essentiel qui déterminera l’avenir du dialogue postsuivi avec le Monténégro.

5. La lutte contre la corruption

116. Dans sa Résolution 2030 (2015), l’Assemblée faisait remarquer que, malgré les nombreuses politiques appliquées pour éradiquer la corruption, cette dernière demeurait très largement répandue et qu’il convenait de lutter davantage contre celle-ci. Dans leur note d’information de 2017, les rapporteurs soulignaient le faible bilan des enquêtes, des poursuites et des condamnations définitives dans le domaine de la lutte contre la corruption. Dans son évaluation annuelle de 2019, la Commission européenne déclarait que, dans l’ensemble, la corruption régnait dans de nombreux domaines, qu’elle demeurait un sujet de préoccupation, qu’une volonté politique résolue était indispensable pour lutter efficacement contre ce fléau et que la justice pénale devait réprimer vigoureusement la corruption à haut niveau.

5.1. Conditions fixées par la Résolution 2030 (2015) et faits nouveaux intervenus dans ce domaine

117. La Résolution 2030 (2015) énumère quatre conditions relatives au cadre juridique de la prévention de la corruption, au procureur spécial pour la corruption (ou «procureur spécial»), à l’établissement d’une liste des affaires de haut niveau et aux recommandations du GRECO.
«13.3.1. mettre en œuvre la loi sur la prévention de la corruption et la loi sur la prévention des conflits d’intérêts; confier à la future agence pour la prévention de la corruption la mise en œuvre de politiques de prévention efficaces et lui accorder tous les moyens nécessaires pour contrôler efficacement le financement des partis politiques et des campagnes électorales» ;
118. Depuis 2016, l’Agence de prévention de la corruption (APC) est en charge du recensement et de la prévention des conflits d’intérêts dans l’exercice des fonctions publiques, de la protection des donneurs d’alerte, du contrôle du financement des entités politiques et des campagnes électorales et de la régulation du lobbying. Elle compte 45 agents.
119. En dehors des critiques formulées par plusieurs ONG au sujet de la manière dont l’APC a réagi lors de «l’affaire de l’enveloppe», cette instance n’a traité aucune affaire relative à l’abus de ressources publiques par les partis et lors des campagnes électorales au cours de trois années d’une intense période de scrutins (élections générales, élection présidentielle et plusieurs élections locales). L’APC semble pouvoir se targuer de peu de résultats dans l’ensemble de ses domaines d’activité, à l’exception de ceux relatifs aux incompatibilités de fonctions et aux conflits d’intérêts.
120. Mais c’est précisément dans sa gestion des conflits d’intérêts que l’APC a fait l’objet de vives critiques, pour avoir offert la possibilité au parlement de voter la destitution de membres et de la présidente du RTCG en 2017. En juin 2018, l’APC a été une nouvelle fois critiquée pour avoir proposé que le parlement soit saisi des allégations de conflit d’intérêts qui visaient l’un des membres de son conseil d’administration, Mme Vanja Ćalović Marković, issue de la société civile et directrice exécutive de l’ONG MANS.
121. Bien que 95 % des agents publics aient remis leurs déclarations de revenus et de patrimoine de 2017-2018 en temps utile, seuls 10 membres du gouvernement ont volontairement consenti à ce que l’APC accède à leur compte bancaire pour vérifier les informations fournies dans leurs déclarations de revenus et de patrimoine.
122. En 2018, l’APC a ouvert 30 procédures d’enrichissement sans cause, sans constater d’irrégularités dans 28 d’entre elles.
123. Un grave problème d’accès à l’information s’est posé en 2018 : les organismes publics, et notamment l’APC, classent de plus en plus les documents qui leur sont demandés comme confidentiels, afin de restreindre l’accès aux informations qu’ils contiennent. Cette attitude est particulièrement préjudiciable dans les domaines propices à la corruption et dans les secteurs où d’importantes parts du budget national ou du domaine public sont allouées. Cette tendance à restreindre l’accès aux documents publics se manifeste également à l’occasion des campagnes électorales: l’ONG MANS a critiqué le fait que l’Agence ait indiqué que les contrats, les factures et les relevés bancaires qui lui avaient été remis par les entités politiques à l’issue des élections relevaient du secret des affaires; elle a également prétendu que l’APC aurait même déclaré secrète sa propre décision, dans laquelle elle concluait que le PDS avait enfreint la loi à l’occasion de « l’affaire de l’enveloppe » 
			(62) 
			MANS,
1/04/2019, «Implementation of the Law on Financing of Political
Entities and Election Campaigns (2016-2018)», p. 52.. L’ONG a également reproché à l’Agence pour la protection des données à caractère personnel et le libre accès à l’information d’avoir rendu en avril 2018, lors de la campagne de l’élection présidentielle, une décision concluant que les partis politiques n’étaient pas tenus de donner suite aux demandes de libre accès à l’information, ce qui limitait la portée du contrôle public du financement de la campagne 
			(63) 
			MANS, «Report on abuses
during campaign for presidential elections», 2018, p. 12..
124. Nous avons abordé ces questions avec les représentants de l’APC. Ils ont attiré notre attention sur le fait que l’APC n’était pas une instance répressive, mais préventive. Cette nature est conforme au choix fait par le législateur en 2016, qui aurait fort bien pu être différent. Selon eux, les statistiques révèlent que les agents publics doivent encore prendre conscience de la législation relative au conflit d’intérêts. Pour ce qui est de «l’affaire de l’enveloppe», ils nous ont indiqué que l’APC avait déjà proposé des modifications à apporter à la loi relative au financement des organismes publics (42 recommandations), et qu’un certain nombre de ces recommandations ont été prises en compte dans le projet de loi relative au financement des entités politiques et des campagnes électorales, préparé par la Commission de la réforme générale de la législation électorale et autre. Les représentants de l’APC ont souligné que la sanction qu’elle a infligée au PDS – restituer 47 500 euros au budget national et s’acquitter d’une amende de 20 000 EUR – était la sanction maximale autorisée par la loi et que les documents n’avaient pas été rendus publics parce que cette affaire faisait partie d’une procédure pénale et était en conséquence couverte par le secret qui régit ce type de procédure.
125. Enfin, l’APC a clairement fait savoir que dans le cas du RTCG, la procédure a été engagée par le parlement, qu’elle a mené son enquête à l’égard de tous les membres du conseil d’administration du radiodiffuseur public, et a conclu à une violation du règlement relatif aux conflits d’intérêts pour sept des neuf membres. L’APC a également précisé que lorsqu’elle établit un tel manquement, c’est au parlement et non à elle qu’il appartient de décider d’appliquer des sanctions administratives et, si tel est le cas, de les fixer.
126. Dans son document non officiel de novembre 2019, la Commission européenne a souligné un fait nouveau intervenu en juillet 2019. Le parlement a nommé les cinq membres qui composent le nouveau Conseil de l’APC, dont deux issus de la société civile. L’interprétation des critères d’éligibilité pour les membres du Conseil aurait conduit à «exclure certains candidats compétents appartenant à des organisations de la société civile».
«13.3.2. adopter la loi relative au procureur spécial pour la corruption et le crime organisé, donner à cette instance les ressources humaines et financières nécessaires, et garantir la coordination avec les autres instances actives dans le domaine de la corruption, de manière à ce que les affaires de corruption soient dûment examinées dans les meilleurs délais»
127. Par rapport à 2015 et à la dernière visite effectuée par les rapporteurs en 2017, les moyens alloués au Bureau spécial du ministère public et à l’Unité spécialisée de la police ont été renforcés. Le Bureau spécial du ministère public compte désormais 12 procureurs, auxquels s’ajoutent deux autres procureurs provisoirement détachés. 34 postes sur les 37 prévus ont été pourvus. Pour ce qui est de l’Unité spécialisée de la police, 32 postes ont été pourvus, contre 20 en 2017; le procureur spécial avait indiqué en 2017 aux corapporteurs qu’il fallait un effectif de 50 fonctionnaires de police pour couvrir l’ensemble du territoire.
128. En 2017, le procureur spécial s’était plaint de l’étendue excessive de son mandat, en affirmant qu’il avait en charge l’engagement de poursuites à l’encontre des auteurs de la criminalité organisée, de la corruption à haut niveau, de blanchiment de capitaux, d’actes terroristes et de crimes de guerre. Comme il s’y attendait, ses compétences ont finalement été étendues aux infractions liées à la tentative de coup d’état de 2016, qui a fait l’objet d’une enquête pour acte terroriste. Il nous a indiqué qu’il était toujours favorable à une définition plus étroite de la «corruption à haut niveau», de manière à concentrer les moyens des services spécialisés du ministère public sur la lutte contre la corruption des hauts fonctionnaires.
129. S’agissant de la coordination avec d’autres instances dans le domaine de la corruption, la Commission européenne a insisté sur le fait qu’à l’instar des années précédentes, la police et les autres institutions de l’État continuaient à ne soumettre qu’un petit nombre d’affaires au ministère public, tandis que celui-ci n’avait été pratiquement saisi d’aucune affaire à l’issue d’enquêtes officielles ou de la part d’instances de contrôle. Le Bureau spécial du ministère public semble demeurer l’acteur clé de la lutte contre la corruption.
130. En 2015, dans son Avis final concernant le projet de loi révisé sur le Bureau spécial du ministère public, la Commission de Venise regrettait que ses conclusions précédentes au sujet du projet de loi n’aient pas été prises en compte dans les rapports entre le procureur spécial et la police (l’Unité spécialisée de la police) 
			(64) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2015)002-f'>CDL-AD(2015)002</a>, para. 48.. En particulier, le fait que l’engagement de procédures disciplinaires, en cas de non-exécution de l’ordre donné par le procureur spécial, continue de relever du chef de la police et non du procureur «fait douter de l’efficacité de ces procédures» 
			(65) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2015)002-f'>CDL-AD(2015)002</a>, para. 40.. Dans son Avis intérimaire, la Commission de Venise recommandait de détacher des fonctionnaires de l’Unité spécialisée de la police auprès du Bureau spécial du ministère public et qu’ils exercent dans ce cadre leurs activités en tant qu’unité de police judiciaire sous l’autorité exclusive du procureur spécial en chef 
			(66) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2014)041-f'>CDL-AD(2014)041,</a> para. 56.. Nous avons eu confirmation du fait qu’il n’existait aucun projet de détachement des agents de l’Unité spécialisée de la police, mais le procureur spécial en chef nous a assuré que les agents de cette unité exerçaient véritablement leurs activités sous son étroit contrôle. Dans son document non officiel de novembre 2019, la Commission européenne a laissé entendre qu’à la suite d’une restructuration importante de la Direction de la police, le procureur spécial a conservé le droit de nommer le chef de l’Unité spécialisée de la police, mais qu’il ne désigne pas son supérieur. Elle conclut que ce niveau hiérarchique nouveau entre le Bureau spécial du ministère public et l’Unité spécialisée de la police introduit un risque de contrôle de fait accru du pouvoir exécutif dans les enquêtes sur les affaires de criminalité organisée.
131. Bien que les ressources humaines du Bureau spécial du ministère public aient été renforcées, la Commission européenne précise dans son document que les faibles conditions salariales des experts qui assistent les procureurs n’ont pas été revues, ajoutant que les locaux abritant le Bureau sont toujours en piteux état.
«13.3.3. établir une liste des affaires de haut niveau, veiller à la pleine application de la loi et permettre aux tribunaux de prononcer des décisions définitives»
132. En 2019, la Commission européenne a indiqué qu’un bilan initial des enquêtes, des poursuites et des condamnations définitives dans les affaires de corruption avait été établi, mais que des mesures résolues devaient encore être prises pour en consolider les résultats. Les ONG se sont montrées plus critiques. Dans une étude consacrée aux affaires de corruption jugées de 2013 à 2018, MANS critique les statistiques officielles de la lutte contre la corruption, qu’elle juge peu fiables; elle signale que seules deux condamnations définitives pour corruption ont été prononcées à l’automne 2018, que de rares poursuites ont été engagées à l’encontre d’agents publics et que la proportion d’agents publics poursuivis est de loin la plus faible de toutes les poursuites engagées pour corruption 
			(67) 
			MANS, «Judiciary and the Fight Against Corruption
– Behind the Statistics», décembre 2018, respectivement
pp. 5, 8 et 42..
133. Le procureur spécial et le représentant du ministère de la Justice sont en désaccord avec l’évaluation faite par l’Union européenne. Le procureur spécial nous a présenté un rapport complet sur ses activités et a souligné qu’il devait traiter des affaires de criminalité internationale. Le représentant du ministère de la Justice a également regretté que l’affaire des «Frères Šarić» 
			(68) 
			Le volet monténégrin
de l’affaire des «Frères Šarić» a abouti à l’acquittement de Duško
Šarić et Jovica Lončar par la Cour suprême en avril 2018 de tous
les chefs d’accusation relatifs au blanchiment supposé de plusieurs
millions d’euros (20 millions d’euros) tirés du trafic de drogue.
Ils avaient été condamnés en première instance à une peine de 11
ans d’emprisonnement. Cet acquittement a ouvert la possibilité aux
accusés d’obtenir, à terme, réparation du préjudice subi. ait fait passer le «bilan initial» des services spécialisés du ministère public au second plan. Cette affaire est régulièrement citée par plusieurs ONG comme exemple de l’échec de la lutte contre la corruption. Selon les autorités monténégrines, depuis 2015 les affaires de corruption relèvent de la compétence de la Haute Cour de Podgorica. Fin 2017, la Cour avait rendu 40 arrêts dans des affaires de corruption de haut niveau, dont 31 étaient définitifs. En 2018, 20 affaires pénales de corruption de haut niveau ont été résolues, parmi lesquelles huit ont fait l’objet d’un jugement, dont quatre devenus définitifs. Sur ces quatre jugements, la juridiction compétente a prononcé trois acquittements et une condamnation a été obtenue par la procédure de plaider-coupable.
134. Les corapporteurs estiment que l’évaluation de la condition fixée par le paragraphe 13.3.3. de la Résolution 2030 (2015) est plus difficile que celle des autres conditions. Alors que les recommandations adressées par MONEYVAL ou le GRECO consistent principalement à adopter une législation ou une réglementation et à en contrôler la mise en œuvre, ce qui est assez facile à vérifier, l’évaluation de l’établissement d’une liste des affaires de haut niveau est plus difficile. Elle suppose de choisir et de définir des critères pertinents (nombre d’affaires, nombre de condamnations, types de condamnation, volume des avoirs gelés, par exemple), ainsi que de parvenir à vérifier la liste officielle présentée par les autorités nationales, qui concerne souvent des affaires complexes. Les corapporteurs ne sont pas suffisamment armés pour cela. Nous avons cependant constaté que les services spécialisés du ministère public ont commencé à exercer leurs activités il y a deux ans à peine. Nous sommes bien conscients de l’issue de certaines affaires, comme celles des «Frères Šarić», de «Limenka» 
			(69) 
			Dans cette affaire,
un terrain vendu au frère du Premier ministre de l’époque, M. Đjukanović,
avait permis à ce frère d’engager une action à l’encontre de l’État
à hauteur de 10,5 millions d’euros. Le Bureau spécial du ministère
public avait été saisi de l’affaire et n’avait constaté aucune malversation
commise par des fonctionnaires : page web du Conseil de l’Europe, <a href='https://www.coe.int/en/web/corruption/completed-projects/enpi/newsroom-enpi/-/asset_publisher/F0LygN4lv4rX/content/no-criminal-liability-in-the-case-limenka-?inheritRedirect=false'>Lutte
contre la criminalité économique et la corruption (anglais seulement)</a>. ou «Carine» 
			(70) 
			L’affaire «Carine»
portait sur la fraude, l’abus de fonction officielle et la vente
d’un terrain communal sans appel d’offres publiques par l’ancien
maire de Podgorica, M. Miomir Mugoša. Le Bureau spécial du ministère
public avait proposé de fusionner les deux affaires. La Haute Cour
s’y était opposée en novembre 2018. En cas de rejet par la cour d’appel
de l’appel interjeté par le ministère public, tous les éléments
de preuves relatifs à cette affaire seront perdus., mais nous avons constaté que plusieurs nouvelles affaires avaient été ouvertes depuis 2018, comme celle qui concerne la privatisation des hôtels Avala, à Budva, et Bianka, à Kolasin.
135. Dans son rapport non officiel de novembre 2019, la Commission européenne a souligné que la participation soutenue du Monténégro à la coopération policière internationale a permis de mener avec succès un certain nombre d’opérations. Elle a toutefois déclaré que «le système de justice pénale semble généralement faire preuve de clémence, avec des peines, des amendes et des recouvrements des avoirs disproportionnellement faibles par rapport à la gravité du crime».
136. Dans son rapport de 2019, la Commission européenne a tenu compte des critiques récurrentes formulées par les ONG au sujet du grand nombre d’affaires qui aboutissent à une transaction pénale selon la procédure du plaider-coupable et à des peines clémentes. En mai 2019, le procureur spécial a annoncé que les transactions pénales ne seraient désormais plus conclues. Dans l’affaire du groupe criminel de Budva, qui a été mentionnée par les rapporteurs en 2015 
			(71) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=21348&lang=FR'>Doc.
13665</a>, para. 33., MANS a rappelé que les services spécialisés du ministère public «consentaient le plus souvent à infliger une peine de six mois d’emprisonnement pour des infractions pénales passibles d’une peine de 2 à 10 ans d’emprisonnement et dont la commission avait rapporté un bénéfice de plusieurs millions de dollars» 
			(72) 
			MANS, 12/05/2019, «Response
regarding the announcement by the Chief Special Prosecutor that
plea agreements will no longer be concluded».. Les représentants de la société civile nous ont expliqué que le recours extrêmement fréquent à la transaction pénale par les services spécialisés du ministère public s’expliquait par le fait qu’elle permettait de procéder à une saisie rapide des produits du crime et qu’elle offrait parfois le meilleur moyen de surmonter les difficultés de l’application de la législation relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux, dont la preuve était difficile à apporter.
137. Les autorités monténégrines nous ont indiqué qu’elles étaient bien conscientes des lacunes de leur système de gel des avoirs et que celui-ci faisait l’objet d’une évaluation menée par un expert allemand, qui avait la possibilité de proposer des réformes.
«13.3.4. poursuivre la mise en œuvre des recommandations du Groupe d’États contre la corruption (GRECO) liées aux troisième et quatrième cycles d’évaluation, qui portent sur la pénalisation, le financement des partis politiques, les parlementaires et la justice»
138. S’agissant du Troisième Cycle d’Évaluation, qui porte sur les incriminations et la transparence du financement des partis politiques, le GRECO a conclu dans son Deuxième Rapport de Conformité publié le 19 janvier 2015 
			(73) 
			<a href='https://rm.coe.int/16806c97da'>Greco RC-III
(2014) 17F</a>. que 12 des 14 recommandations avaient été mises en œuvre de façon satisfaisante ou traitées de manière satisfaisante. Les deux recommandations restantes avaient été partiellement mises en œuvre. La première (recommandation iv.) préconisait la mise en place de dispositions et instructions claires sur l’utilisation des ressources publiques pour les activités des partis et les campagnes électorales. Le GRECO a souligné que les dispositions n’avaient pas été suffisamment assorties de dispositifs d’application précis, tant sur le plan des autorités compétentes que des sanctions prévues. La deuxième (recommandation vi.) prévoyait de conférer à un organe l’indépendance adéquate et les moyens nécessaires au contrôle du financement des partis politiques et des campagnes électorales. Le GRECO a estimé que, compte tenu de l’abus des ressources administratives constaté lors de l’élection présidentielle de 2013 et des élections municipales de 2014, il ne pouvait que se montrer prudent au sujet de l’efficacité des mécanismes de surveillance du financement des partis politiques. Bien que le cadre législatif ait été amélioré depuis cette évaluation, le constat est identique aux évaluations faites plus récemment par les corapporteurs, les commissions ad hoc du Bureau de l’Assemblée et l’Union européenne. L’APC a élaboré des lignes directrices concernant l’utilisation des ressources publiques dans le cadre des campagnes électorales et considère que les deux autres recommandations du GRECO ont été pleinement mises en œuvre.
139. Pour ce qui est du Quatrième Cycle d’Évaluation sur la prévention de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs, le GRECO a conclu dans son Deuxième Rapport de Conformité publié le 6 février 2020 
			(74) 
			<a href='https://rm.coe.int/quatrieme-cycle-d-evaluation-prevention-de-la-corruption-des-parlement/16809a5bde'>GrecoRC4(2019)27</a>. que 8 des 11 recommandations avaient été mises en œuvre de façon satisfaisante, qu’1 avait été partiellement mise en œuvre et que 2 n’avaient pas encore été mises en œuvre.
140. La recommandation i. (partiellement mise en œuvre) visait à garantir la mise en place, au sein du Parlement monténégrin, d’un dispositif pour promouvoir le Code de déontologie pour les parlementaires et sensibiliser ces derniers aux normes attendues d’eux, mais aussi faire respecter ces normes le cas échéant. Le GRECO a estimé de ne pas avoir été en mesure d’évaluer l’efficacité du mécanisme de contrôle du respect des normes déontologiques applicables aux parlementaires.
141. La recommandation v. (non mise en œuvre) qui portait sur le renforcement de l’indépendance du Conseil de la magistrature a déjà fait l’objet d’une description détaillée dans la partie 3.1 du présent rapport.
142. La recommandation vii. (non mise en œuvre) visait à développer davantage le cadre disciplinaire pour les juges et à accroître la transparence de la procédure disciplinaire. Le GRECO a été informé qu’un groupe de travail, composé de juges de la Cour suprême, a été chargé de préparer des amendements à la loi sur le Conseil de la magistrature et les juges, qui portent notamment sur la responsabilité disciplinaire des juges. S’agissant de la transparence, le GRECO a jugé qu’il convenait de compléter les informations rendues publiques concernant les décisions relatives au Code de déontologie des juges.
143. Bien que le Deuxième Rapport de Conformité mette fin à la procédure de conformité du Quatrième Cycle sur le Monténégro, le GRECO y a indiqué au paragraphe 43 qu’il «est alarmant de constater qu’aucune amélioration ne peut être observée pour ce qui est de la composition et de l’indépendance du Conseil de la magistrature et de la révision du cadre disciplinaire applicable aux juges».

5.2. Position des corapporteurs et conclusion à propos de la lutte contre la corruption

144. Il apparaît clairement à nos yeux que les critiques très sévères formulées par les ONG ou l’Union européenne à propos de l’APC ou de l’établissement d’une liste des affaires de corruption à haut niveau ne portent pas sur le manque de moyens ou sur l’inadaptation fonctionnelle du cadre juridique. Une fois encore, bien que la législation relative au blanchiment de capitaux ou au gel des avoirs et des biens puisse être améliorée, les conditions préalables d’une lutte efficace contre la corruption semblent être en place. Dans un pays où, comme l’indique la Commission européenne dans son évaluation de 2019, «la corruption règne dans de nombreux domaines et reste un sujet de préoccupation», s’attaquer à celle-ci exige une volonté politique résolue et constante. Selon nous, il importe que les autorités du Monténégro démontrent l’existence de cette volonté.

6. La situation des médias

145. La situation des médias est une préoccupation de longue date des différents corapporteurs sur le Monténégro. En 2015, sur leur recommandation, l’Assemblée a décidé que ce point resterait un élément essentiel du dialogue postsuivi compte tenu des fortes améliorations nécessaires dans ce domaine.
146. En 2017, les corapporteurs ont rappelé aux autorités monténégrines que «la situation en matière de liberté d’expression et des médias dans le pays n’[avait] guère progressé depuis la dernière visite des corapporteurs [en 2015]» 
			(75) 
			<a href='http://www.assembly.coe.int/LifeRay/MON/Pdf/DocsAndDecs/2017/AS-MON-2017-31-FR.pdf'>AS/Mon
(2017) 31</a>, para. 46.. Reprenant cette conclusion à son compte, le Parlement européen a déclaré en 2018 «[qu’il était] de plus en plus préoccupé par la situation en matière de liberté d’expression et de liberté des médias, concernant laquelle trois rapports successifs de la Commission n’ont constaté «aucun progrès» 
			(76) 
			<a href='https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-8-2018-0482_FR.html'>Résolution
du Parlement européen</a> du 29 novembre 2018 sur le rapport 2018 de la Commission
sur le Monténégro, P_TA_PROV(2018)0482, para. 23.. Et dans son rapport de 2019, la Commission européenne affirmait à nouveau qu’«aucune évolution n’a été observée au cours de la période de référence et que certaines recommandations antérieures restent encore à mettre en œuvre» 
			(77) 
			<a href='https://ec.europa.eu/neighbourhood-enlargement/sites/near/files/20190529-montenegro-report.pdf'>SWD(2019)217
final (Montenegro report)</a>, p. 26..
147. D’après les deux indices qu’utilisent habituellement les ONG pour évaluer la situation générale des médias dans un pays, le Monténégro est dans une situation intermédiaire. En 2017, Freedom House jugeait la situation des médias au Monténégro «partiellement libre», lui attribuant un score de 44/100, 0 désignant le plus haut degré de liberté, 100 le plus bas. En 2019, le Monténégro se classe 104e sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse de Reporters Sans Frontières (RSF).
148. Le paysage médiatique est très marqué par les clivages politiques. Les médias subissent des pressions politiques et économiques.

6.1. Conditions fixées par la Résolution 2030 (2015) et faits nouveaux intervenus dans ce domaine

«13.4.1. ne tolérer aucun recours abusif à la liberté des médias et à la liberté d’expression, adopter une législation pour sanctionner les atteintes à la dignité humaine dans les médias, et veiller à ce que les décisions judiciaires soient dûment exécutées»

149. Cette condition était directement liée à la campagne de diffamation menée par le journal Informer visant Mme Vanja Ćalović Marković, directrice exécutive de l’ONG MANS, après que cette organisation a assuré une mission d’observation de 13 élections locales le 25 mai 2014, signalé des centaines d’irrégularités et annoncé qu’elle déposerait plus de 130 plaintes au pénal pour des infractions concernant le droit de vote. En dépit d’une décision judiciaire interdisant toute nouvelle publication de contenus offensants, le quotidien Informer a poursuivi sa campagne de diffamation à l’égard de Mme Ćalović dans le but de porter atteinte à son intégrité personnelle et professionnelle 
			(78) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=21348&lang=FR'>Doc.
13665</a>, para. 19-20..
150. Aucun cas similaire ne nous a depuis été signalé et, ni la commission ad hoc du Bureau de l’Assemblée, ni le BIDDH n’ont fait état de problèmes de ce genre, que ce soit lors des élections générales de 2016 ou de l’élection présidentielle de 2018. Cette condition continuera toutefois de s’appliquer si ce genre de situation venait à se reproduire au moment des prochaines élections générales en 2020 ou des élections locales; nous souscrivons en effet pleinement à la déclaration faite par les corapporteurs en 2015 selon laquelle «[cela] s’est produit dans un contexte qui a […] fait la vie dure aux ONG assurant la surveillance de l’action des pouvoirs publics et publiant des rapports critiques».
151. Il nous semble par ailleurs évident que cette condition vient compléter l’une des recommandations prioritaires émise par le BIDDH dans son rapport sur l’élection présidentielle, selon laquelle, durant le processus électoral «les autorités devraient condamner fermement toutes les attaques contre des journalistes et promouvoir des mesures destinées à protéger les journalistes et à prévenir l’impunité (…)» 
			(79) 
			OSCE/BIDDH,
Monténégro, élection présidentielle, 15 avril 2018, <a href='https://www.osce.org/odihr/elections/montenegro/386127?download=true'>Rapport
final</a> de la mission d’observation électorale, p. 21, recommandation
prioritaire n° 8..
«13.4.2. veiller à ce que la commission de suivi des actions des autorités compétentes dans l’instruction des affaires de menaces et de violences envers des journalistes, d’assassinats de journalistes et de dégradation de biens appartenant à des médias dispose d’un libre accès aux informations, et à ce que tous les organes publics répondent dans les meilleurs délais aux demandes d’informations formulées par la commission en vue de résoudre les dix affaires en cours dont elle a la charge, et qui concernent des attaques, des menaces ou des assassinats de journalistes»

La commission

152. La violence et les menaces dont font l’objet les journalistes sont une préoccupation de longue date au Monténégro. Une autre inquiétude vient du fait que ces phénomènes surviennent dans un climat qui pourrait s’apparenter à de l’impunité. La commission de suivi des actions des autorités compétentes dans l’instruction des affaires de menaces et de violences envers des journalistes, d’assassinats de journalistes et de dégradation de biens appartenant à des médias a été créée en 2013; elle a pour but d’encourager vivement les autorités compétentes à dûment enquêter en exploitant les données qu’elle met à leur disposition et le rapport qu’elle publie annuellement.
153. Cette commission relève administrativement du ministère de l’Intérieur. Elle se compose actuellement de neuf membres représentant la société civile, le parquet, le syndicat des médias, la police, l’agence nationale de sécurité, le conseil d’autorégulation des médias, deux journaux généralement considérés comme très critiques vis-à-vis du gouvernement et un expert journaliste. Elle est présidée par M. Nikola Marković, rédacteur en chef adjoint du quotidien Dan. Elle a publié son dernier rapport en février 2019.
154. Nous saluons les travaux de cet organisme atypique qui s’emploie à faciliter les relations entre les différentes parties prenantes et qui est dédié à sa mission et produit des informations utiles. Nous nous félicitons en particulier du soutien que lui a manifesté publiquement le gouvernement au moment où le Procureur général a refusé de lui communiquer les documents relatifs à l’affaire Olivera Lakić 
			(80) 
			En mai 2018,
la journaliste d’investigation Olivera Lakić qui travaille pour
le journal monténégrin Vijesti a
été blessée par balle devant son domicile. Elle avait déjà été agressée
en 2012 après avoir publié des articles sur des transactions illégales
présumées dans lesquelles une manufacture de tabac serait impliquée.
En février 2019, la police monténégrine a procédé à l’arrestation
de neuf personnes mais l’enquête n’est toujours pas close. La tentative
d’assassinat de Mme Olivera Lakić a à l’époque suscité une vive
émotion et amené le Premier ministre Duško Marković à promettre
qu’une enquête «rapide et efficace» serait diligentée., ce qu’il a fini par faire neuf mois plus tard après y avoir été enjoint. Nous appelons le gouvernement à renouveler son soutien à la commission en demandant à ses services de faire des retours détaillés en réponse aux recommandations qu’elle émet, retours qui d’après elle restent plus que limités à ce jour. Nous saluons la décision prise par le gouvernement d’instaurer une rémunération mensuelle pour les travaux de la commission, qu’il verse depuis janvier 2018. Nous invitons par ailleurs instamment le gouvernement à mettre à disposition de la commission les ressources nécessaires à l’exécution de sa mission. Si la commission décide de recruter un expert international pour certaines de ses affaires, comme ce fut le cas en octobre 2018, elle doit selon nous avoir les moyens de le faire. Il semble que le Premier Ministre partage nos vues en la matière, puisque, selon la délégation monténégrine, il s’est dit d’accord avec M. Marković sur le fait que la commission devrait recevoir le soutien d’experts internationaux, lors de leur rencontre le 4 mars 2020.
155. L’un des moyens efficaces d’inciter l’administration publique à répondre aux demandes de la commission pourrait être d’organiser un débat public annuel au sein du parlement sur le rapport de la commission. Nous avons discuté de cette possibilité avec la commission et le président de la commission permanente des droits de l’homme du parlement, et ceux-ci semblent y être favorables. À la suite d’un échange de vues, la commission de suivi de l’Assemblée, lors de sa réunion tenue à Paris en décembre 2019 en présence de M. Marković, et grâce à l’intervention du chef de la délégation monténégrine, M. Predrag Sekulić, la commission de la sécurité et de la défense et la commission permanente des droits de l’homme et des libertés du Parlement du Monténégro ont décidé de tenir une audition conjointe avec M. Marković le 6 mars 2020. Nous saluons cette initiative et espérons qu’elle marquera la première étape d’une audition publique régulière sur les rapports de la commission monténégrine de suivi.

Agressions de journalistes

156. Sans même parler de la condition posée par le paragraphe 13.4.2. de la Résolution 2030 (2015), nous déplorons vivement que la sécurité des journalistes ne se soit pas améliorée ces dernières années. Nous avons bien conscience que les autorités monténégrines coopèrent activement avec la Plateforme du Conseil de l’Europe pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes et que leurs actions ont permis aux partenaires de cette plateforme d’annoncer «l’élucidation» de deux affaires (M. Vladimir Ostašević et M. Sead Sadiković). Nous avons également relevé l’avis exprimé dans «l’enquête sur le secteur des médias au Monténégro», financée par l’Union Européenne et menée par le Conseil de l’Europe, selon lequel «il est manifeste que le parquet monténégrin s’efforce clairement de s’attaquer au problème des agressions de journalistes 
			(81) 
			<a href='https://rm.coe.int/montenegro-media-sector-inquiry-with-the-council-of-europe-and-europea/16807b4dd0'>Montenegro
Media Sector Inquiry with Recommendations for Harmonisation with
the Council of Europe and European Union standards</a>, rapport élaboré par Mme Tanja Kerševan Smokvina (ed.)
M. Jean-François Furnémont, M. Marc Janssen, Mme Dunja Mijatović,
Mme Jelena Surčulija Milojević et Mme Snežana Trpevska, 29 décembre
2017, p. 85. si l’on considère les condamnations prononcées dans les affaires d’agressions de journalistes entre 2004 et 2017. Nous sommes également conscients des développements judiciaires positifs dans le cas du journaliste d’investigation M. Tufik Softić, pour lequel la Cour Constitutionnelle a considéré, en novembre 2017, que son droit à la vie avait été violé du fait de l’inefficacité de l’enquête menée depuis 2007 sur la tentative d’homicide qu’il avait alors subie 
			(82) 
			En 2007, M. Tufik Softić
a été attaqué par des hommes armés de battes de baseball. En 2013,
il a été la cible d’un engin explosif lancé à l’intérieur de son
domicile. Selon l’ONG Human Rights Action, ces attaques seraient
liées au travail journalistique de M. Softić mettant à jour les
activités criminelles d’un gang impliqué dans le trafic de drogue
au nord du Monténégro. Le 20 octobre 2017, le tribunal de première
instance de Podgorica a octroyé des dommages non pécuniers à ce
journaliste du fait du caractère insuffisant de l’enquête pour la
tentative de meurtre dont il a fait l’objet. Ce jugement constitue
un précédent important et une contribution majeure à la jurisprudence
relative aux attaques contre les journalistes. Le tribunal a indiqué
que les droits de M. Softic qui découlent de la Constitution monténégrine
et de la Convention européenne des droits de l’Homme avaient été
violés. Le 6 juillet 2018, la Haute Cour de Podgorica a augmenté
le montant des dommages octroyés par le tribunal de première instance
de Podgorica..
157. Si nous saluons les efforts déployés par les forces de police pour arrêter les auteurs d’agressions de journalistes et les personnes suspectées de tels actes 
			(83) 
			La
Direction de la police a fourni aux corapporteurs des données détaillées
sur les enquêtes relatives à des agressions de journalistes entre
2017 et 2019., nous déplorons en revanche que les commanditaires de ces attaques ne soient pas toujours identifiés, comme dans l’affaire emblématique de M. Duško Jovanović, rédacteur en chef du quotidien monténégrin d’opposition Dan, qui a été abattu en 2004 
			(84) 
			Un
criminel notoire de la région a été condamné à 30 ans de prison
en 2009. Aucun complice n’a été identifié à ce jour, ni les commanditaires
de cet assassinat. L’avocat de la famille Jovanović a dénoncé le
fait que la police n’ait pas enquêté sur les liens éventuels entre
ce criminel et les autorités monténégrines. Le 28 mai 2018, le syndicat
des médias monténégrins a publié une déclaration demandant que l’assassinat
de M. Jovanović fasse l’objet d’une enquête indépendante.. Nous déplorons en outre que des journalistes d’investigation fassent encore l’objet de manœuvres d’intimidation, à l’instar de M. Gojko Raičević, rédacteur en chef du portail d’information www.in4s.net, victime d’une agression physique puis de menaces de la police alors qu’il couvrait les manifestations de partis de l’opposition en 2015. Il a également été interrogé en 2019 par des policiers au sujet de la publication sur le portail IN4S de conversations de l’ancien ambassadeur monténégrin à Moscou 
			(85) 
			Le Rapporteur spécial
des Nations Unies sur la promotion et la protection du droit à la
liberté d’opinion et d’expression a adressé une lettre publique
aux autorités monténégrines dans laquelle il a fait observer qu’aucun
auteur présumé n’avait eu à répondre des actes commis, ce que les
autorités monténégrines ont confirmé en 2018 au Conseil de l’Europe
dans la note verbale n° 239/2018, du 16 août 2018, qui peut être
consultée sur la Plateforme du Conseil de l’Europe pour renforcer
la protection du journalisme et la sécurité des journalistes. En
juillet 2019, le président de la commission de suivi des affaires
de violences envers des journalistes a vivement encouragé la communauté
des médias à protéger les droits du journaliste professionnel Gojko
Raičević, après qu’il a été interrogé par des policiers, IBNA, Mladen
Dragojlovic, 17/07/2019, «Journalists call for the protection of
Mr Gojko Raičević»..
158. Si nous nous félicitons vivement de la décision prise en octobre 2019 par la Cour d’appel de Podgorica d’annuler le jugement de première instance condamnant le journaliste d’investigation M. Jovo Martinović, nous réprouvons en revanche fermement les quatre années qu’il a fallu à la justice monténégrine pour rendre cette décision après l’arrestation de M. Jovo Martinović en 2015 ainsi que les 15 mois qu’il a passés en détention provisoire 
			(86) 
			Il a été placé en détention
pour avoir prétendument facilité une rencontre entre des trafiquants
de drogue et des acheteurs et pour les avoir aidés à installer une
application de messagerie sur leur smartphone supposée indétectable
par la police. Il a toujours affirmé être en contact avec un trafiquant
de drogue pour les besoins d’une enquête sur un trafic d’armes entre
les Balkans et la France. M. Jovo Martinović n’a jamais travaillé
pour un journal monténégrin mais pour des médias étrangers comme
la BBC, CBS ou la chaîne française Canal Plus. Dans un rapport publié
le 26 novembre 2018 intitulé «Journalists: the Bête noire of organised crime»,
Reporters Sans Frontières a attiré l’attention sur son cas. Jovo Martinović
est le lauréat 2018 du prix Peter Mackler qui récompense le courage
et l’éthique journalistique. La Haute Cour qui a condamné M. Martinović
en première instance a fait savoir aux corapporteurs que M. Martinović
n’avait pas été acquitté, que la Cour d’appel avait ordonné qu’il
soit rejugé et que rien dans sa décision n’indique un éventuel établissement
erroné des faits quant au lien entre l’acheteur et le dealer ou
quant à l’existence de l’infraction pénale pour laquelle il a été
poursuivi en justice.. Dans les deux cas, nous pourrions considérer que les procédures judiciaires et la détention sont utilisées comme un moyen de pression sur les journalistes.
«13.4.3. promouvoir le fonctionnement efficace des organes d’autorégulation des médias et encourager activement un journalisme éthique et de meilleures normes professionnelles»
159. Comme le rappelle «l’enquête sur le secteur des médias au Monténégro», l’autorégulation est un outil essentiel pour préserver la liberté éditoriale, promouvoir la qualité et assurer la crédibilité des médias et la réputation des journalistes. Il s’agit en outre d’un dispositif indispensable pour réduire au minimum l’influence de l’État sur les médias.
160. En 2017, les rapporteurs ont salué l’adoption de la version révisée du code de déontologie des journalistes. Malheureusement, les mécanismes censés assurer sa mise en œuvre ne sont pas uniformisés et reflètent les clivages politiques qui caractérisent la scène médiatique. Le Monténégro possédait deux organes d’autorégulation: le Conseil d’autorégulation des médias et le Conseil d’autorégulation de la presse locale (qui ne concerne que la presse écrite locale). En outre, trois organes de presse écrite (Dan, Monitor et Vijesti) qui détiennent une importante part de marché, ne sont pas membres des organes susmentionnés mais ont en revanche récemment mis en place leur propre médiateur interne (un pour le quotidien Dan et un médiateur commun au quotidien Vijesti et à l’hebdomadaire Monitor).
161. Le Conseil d’autorégulation de la presse locale n’a en fait jamais exercé ses fonctions, n’ayant eu aucune réclamation à traiter; quant au Conseil d’autorégulation des médias, il a suspendu l’ensemble de ses activités en septembre 2018, en raison d’une situation financière difficile. Ces organismes ont expliqué que leurs sollicitations et demandes d’assistance adressées aux organisations internationales et au Gouvernement monténégrin étaient restées lettre morte.
162. La délégation de l’Union Européenne a tenté, en vain, de créer un organisme unique d’autorégulation pour la dernière fois en novembre 2018. Au vu de la polarisation du paysage médiatique, cet objectif semble hors de portée et une solution serait vraisemblablement d’augmenter le niveau de professionnalisme des journalistes. Cela suppose de renforcer leur formation et d’améliorer nettement leur situation économique. D’après un rapport publié en 2016 par Freedom House, le revenu mensuel moyen d’un journaliste est de 400 euros, soit en deçà du revenu national moyen qui s’élève à 480 euros.

6.2. Autres faits marquants

Ingérences politiques dans les activités du RTCG et de l’AME

163. Des événements extrêmement regrettables et répréhensibles se sont produits à la fin 2017 et à la mi-2018 et ont montré à quel point le RTCG et l’AME, chargée de la régulation du secteur de la presse en ligne, étaient vulnérables aux ingérences politiques. L’Accord de création des conditions propices à des élections libres et équitables conclu en avril 2016 entre les partis de la majorité et de l’opposition a modifié la structure de gestion du RTCG et introduit plus de souplesse dans la nomination des membres de son conseil d’administration qui ne suivent pas fidèlement la ligne du parti dominant. La composition du conseil d’administration a par conséquent été renouvelée et une nouvelle directrice générale a été nommée : Mme Andrijana Kadija qui, d’après «l’enquête sur les médias au Monténégro», a occupé plusieurs postes importants au sein desquels elle côtoyait des personnes aux opinions politiques différentes des siennes. En 2017, le parlement a engagé une procédure au titre de laquelle l’APC a été chargée d’enquêter sur les risques de conflits d’intérêts des membres des conseils d’administration du RTCG et de l’AME. En octobre 2017, l’Agence a conclu au non-respect des dispositions de la loi sur la prévention des conflits d’intérêts par trois membres du conseil d’administration du RTCG et un membre du conseil d’administration de l’AME et au non-respect des dispositions de la loi sur la prévention de la corruption par quatre autres membres. En décembre, le parlement a révoqué un autre membre, M. Goran Djurović, qui n’était pas concerné par une affaire de conflits d’intérêts. Remanié avec une nouvelle majorité, le conseil d’administration du RTCG a révoqué sa directrice générale en juin 2018 
			(87) 
			Le ministère de la
Culture a indiqué aux corapporteurs que les licenciements au sein
des conseils d’administration du RTCG et de l’AEM résultaient de
« décisions prises par l’Agence de prévention de la corruption [fondées
sur] l’existence d’éléments de non-respect des dispositions de la
loi sur la prévention de la corruption. L’Agence a proposé au parlement de
révoquer les membres [concernés] », ce qui a été fait par un vote
à la majorité au parlement..
164. M. Djurović a contesté sa révocation devant les tribunaux. En février 2019, la décision du parlement de révoquer M. Djurović a été jugée illégale et annulée en première instance. Mais cette décision a été annulée par la Haute Cour de Podgorica en juillet 2019 et le tribunal de première instance de Podgorica qui a réexaminé l’affaire s’est déclaré incompétent en la matière en novembre 2019, comme l’avait déjà fait le tribunal administratif en janvier 2018. M. Djurović a déposé une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme, invoquant une violation de ses droits à un procès équitable, à la liberté d’expression et à un recours effectif et de son droit de ne pas faire l’objet de discrimination. Sa requête semble avoir été rejetée au motif qu’il n’avait pas épuisé toutes les voies de recours internes.
165. En tant que corapporteurs, nous déplorons vivement que deux ans après sa révocation, aucune juridiction monténégrine ne semble être compétente pour juger l’affaire de M. Djurović.
166. Plus généralement, nous sommes sérieusement préoccupés par cette question de compétence juridictionnelle s’agissant des décisions prises par le parlement pour sanctionner, y compris révoquer, les membres d’organisations censées être indépendantes, qu’il s’agisse du conseil d’administration de l’APC, de l’AME, du RTCG ou même de la Banque centrale du Monténégro 
			(88) 
			Mme
Irena Radović, vice-gouverneure de la Banque centrale, a été démise
de ses fonctions par le parlement le 8 juillet 2018. Elle a contesté
cette révocation devant plusieurs cours, et, à l’instar de M. Djurović,
en a obtenu l’annulation, avant que les différentes juridictions
saisies se déclarent incompétentes fin 2019..

Les propositions d’amendements contestables à la loi relative aux informations classifiées et à la loi sur le libre accès à l’information

167. Nous avons déjà attiré l’attention, dans la partie 5, sur la tendance inquiétante des organismes publics à restreindre l’accès aux documents publics. Cette tendance se reflète également dans les projets d’amendements à deux lois qui, s’ils venaient à être adoptés dans leur version actuelle, nuiraient gravement à la transparence et à la possibilité pour les journalistes de dénoncer des faits de corruption.
168. En mars 2018, le ministère de la Défense a retiré ses avant-projets d’amendements à la loi relative aux informations classifiées, après que 25 ONG monténégrines s’y sont opposées et ont montré de quelle manière lesdites modifications portaient atteinte à la Constitution. Ces dernières auraient en effet permis aux organismes publics de ne pas communiquer certaines informations s’ils estimaient que leur divulgation nuisait à leur capacité «d’exercer leurs activités». Les détracteurs de ces amendements arguent que cette rédaction pourrait donner lieu à une interprétation trop large, permettant au gouvernement de classifier des informations qui sont d’intérêt public, notamment celles relatives aux dépenses de l’État.
169. En septembre 2019, le ministère de l’Administration publique a présenté ses projets d’amendements à la loi sur le libre accès à l’information. Ceux-ci ont suscité de vives critiques de cinq ONG (MANS, Institute Alternative, Human Rights Watch, Center for Monitoring and Research et Center for Civil Liberties) notamment parce qu’ils introduisaient la notion vague d’ «abus de droit» en matière d’accès à l’information et donnaient une définition restreinte de l’«information». La loi a par ailleurs été critiquée parce qu’elle permettait de déclarer comme «classifié» un nombre illimité de types d’information ou n’obligeait plus les partis politiques à divulguer des informations sur leur financement. Le 27 septembre 2019, 44 ONG ont adressé une lettre ouverte au Premier ministre lui demandant de retirer les amendements. En septembre 2019, l’ambassadeur de la délégation de l’Union Européenne au Monténégro, M. Aivo Orav, a clairement fait savoir que les experts de l’Union Européenne avaient insisté sur l’importance de ne pas introduire le concept d’ «abus» de droit à l’information dans la loi sur le libre accès à l’information.
170. Nous sommes pleinement conscients de la nécessité de modifier la loi sur le libre accès à l’information, comme l’ont déjà demandé certaines ONG, telles que MANS, en 2017. Nous invitons toutefois instamment les autorités monténégrines à ne pas réduire à néant les efforts accomplis jusqu’ici dans le domaine de la transparence et à procéder en la matière comme elles l’ont fait pour la révision de la législation sur le RTCG et les médias, autrement dit en coopération étroite avec les organisations internationales et dans le respect des normes européennes. Au moment de l’élaboration du présent rapport, les amendements apportés à la loi sur le libre accès à l’information avaient, selon les autorités monténégrines, pris en compte les contributions reçues lors de la phase précédente de consultation et été transmis à la Commission européenne pour examen.

Un cadre juridique révisé sur les médias à venir

171. Sur la base de «l’enquête sur le secteur des médias au Monténégro» réalisée en décembre 2017, qui se veut une étude approfondie et détaillée de la situation des médias et des enjeux en la matière aux fins d’une harmonisation avec les normes du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne, un ensemble de trois projets de loi est en cours d’élaboration, en coopération avec le Conseil de l’Europe, à savoir le projet de loi relative au RTCG, le projet de loi sur les médias et le projet de loi sur les services des médias audiovisuels. Ces trois projets ont fait l’objet d’un processus inclusif de consultation, qui a pris fin à la mi-2019.
172. Lors de notre mission, nous avons recueilli les critiques de plusieurs ONG au sujet du projet de loi relative au RTCG dont certaines dispositions constituaient selon elles un retour en arrière ou maintenaient la possibilité pour le gouvernement d’approuver le budget du radiodiffuseur public. Nous avons appris que les autorités monténégrines avaient modifié ce projet de loi lors de consultations avec le Conseil de l’Europe et que la version finale qu’elles avaient transmise était conforme aux normes du Conseil de l’Europe.
173. Le gouvernement a adopté le projet de loi sur les médias en décembre 2019, sans avoir soumis le projet final au Conseil de l’Europe. Le projet de loi sur les services des médias audiovisuels doit encore être examiné par ce dernier.

6.3. Position des corapporteurs et conclusions à propos de la situation des médias

174. Dans un pays où, selon les propos de la Commission européenne, «la corruption est endémique dans de nombreux secteurs et reste une source de préoccupation» et où l’appareil judiciaire est considéré comme vulnérable aux ingérences politiques, la liberté des médias est essentielle pour promouvoir la transparence. Dès lors les progrès limités observés dans les enquêtes sur les agressions de journalistes ou le soutien que le gouvernement manifeste à la commission chargée du suivi de l’instruction des affaires de violences envers des journalistes ne suffisent pas à compenser les tendances extrêmement négatives toujours à l’œuvre concernant la sécurité des journalistes, l’indépendance du RTCG et de l’AME ou les menaces qui pèsent sur l’accès à l’information. Ces trois aspects revêtent une importance capitale si les autorités monténégrines veulent pouvoir améliorer leur respect des obligations et des engagements souscrits lors de leur adhésion au Conseil de l’Europe.

7. Situation concernant d’autres questions liées aux droits de l’homme

175. Comme il est déjà indiqué dans la partie 1 du présent rapport, la Résolution 2030 (2015) évoquait certaines questions qui ne figurent pas au nombre des quatre domaines prioritaires, mais qui devaient faire l’objet d’un suivi, selon le paragraphe 12 de la Résolution. Il s’agit des droits des minorités et de la lutte contre la discrimination (paragraphe 10) et de la situation des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur du pays (paragraphe 11).
176. Sur ces questions, nous n’avons pas reçu d’informations qui pourraient nous amener à penser que la situation s’est détériorée, ou qui justifierait d’inscrire une ou plusieurs de ces préoccupations en tant que domaines prioritaires supplémentaires.
177. Le Protecteur des droits de l’homme et des libertés (Ombudsman), dont la fonction est de constituer le mécanisme de prévention de la torture et le mécanisme de protection contre la discrimination, en vertu des deux conventions des Nations Unies depuis 2014, a vu ses compétences clarifiées en 2017. Pour ce qui est du mécanisme anti-discrimination, l’Ombudsman couvre désormais les secteurs privé et public. Il nous a indiqué que ces mécanismes sont pleinement opérationnels.
178. La loi sur les droits et libertés des minorités, dont « l’adoption accélérée » était mentionnée par la Résolution 2030 (2015), a été adoptée le 27 avril 2017. L’avis de la Commission de Venise a été demandé et le projet de loi final a suivi quatre des cinq recommandations clés qui y étaient formulées, le secrétariat de la Commission de Venise relevant que les fonctions, la position institutionnelle et la supervision du Centre de préservation et de développement des cultures minoritaires n’avaient pas été clarifiées 
			(89) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2016)022-f'>CDL-AD(2016)022</a>.. Le 7 mars 2019, le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (Comité consultatif) du Conseil de l’Europe a émis son troisième avis sur le Monténégro. Cet avis est globalement très positif, bien qu’il appelle les autorités à déployer d’urgence «des efforts devant porter essentiellement sur l’objectif de veiller à ce que les communautés roms et égyptiennes dans leur ensemble, qu’il s’agisse de Roms et d’Égyptiens monténégrins ou de personnes déplacées, puissent accéder effectivement à un logement adéquat, aux soins de santé, à la protection sociale, à une éducation de grande qualité et à un emploi durable, et puissent participer effectivement à la vie économique et publique, et veiller à ce que les personnes dont le statut n’est pas clair voient ce dernier régularisé». Cet appel devrait être pris en considération par les autorités monténégrines dans leur Stratégie 2016-2020 pour l’inclusion sociale des Roms et des Égyptiens au Monténégro.
179. Comme cela a été présenté dans la partie 2 du présent rapport, la Loi sur les communautés religieuses mentionnée dans la Résolution 2030 (2015) est en cours de préparation et un projet a été transmis à la Commission de Venise qui a rendu son avis.
180. Concernant les droits des personnes LGBTI, les autorités monténégrines ont mis en application la Stratégie 2013-2018 pour améliorer la qualité de vie des personnes LGBTI au Monténégro et en ont adopté une nouvelle en mars 2019 pour la période 2019-2023. De 2014 à 2018, quatre Marches des Fiertés se sont déroulées avec succès, sans incident et avec un nombre réduit d’officiers de police pour la protection de ces manifestations publiques. Le 29 octobre 2018, dans une décision qui a fait jurisprudence, la Cour constitutionnelle a conclu qu’en maintenant l’interdiction de la marche pour la Gay Pride à Nikšić, la deuxième plus grande ville du Monténégro, la Cour suprême monténégrine avait violé le droit à la liberté de réunion pacifique, tel que garanti par la Constitution du Monténégro, la Convention européenne des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques 
			(90) 
			<a href='http://www.hraction.org/2018/10/30/29-10-2018-constitutional-court-of-montenegro-quashes-ban-of-gay-pride-in-niksic/?lang=en'>Human
Rights Action, 29/10/2018, Constitutional Court of Montenegro quashes
ban of gay pride in Nikšić.</a>. En tant que corapporteurs, nous partageons le diagnostic de la Commission européenne, qui a déclaré en 2018 que le Monténégro donnait un bon exemple à toute la région en ce qui concerne le niveau de protection accordé aux personnes LGBTI, même si le parlement n’est pas parvenu en juillet 2019 à adopter la loi autorisant l’union de deux personnes de même sexe. Tous les partis des minorités ethniques appartenant à la majorité ont en effet voté contre le projet de loi du gouvernement.
181. Concernant la situation des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur du pays, le Comité consultatif s’est réjoui, dans son troisième avis sur le Monténégro, que des progrès aient été faits pour résoudre la question des personnes déplacées, pour l’essentiel des réfugiés roms et égyptiens arrivés au Monténégro depuis le Kosovo à la fin des années 1990, ajoutant que la régularisation du statut juridique de ces personnes est pratiquement terminée, et que la situation de bon nombre d’entre eux s’est substantiellement améliorée pour ce qui concerne le logement. Les autorités monténégrines nous ont informé que, sur la période allant du 7 novembre 2009 au 1er juillet 2019, les personnes déplacées et celles déplacées dans leur propre pays ont déposé au total 15 214 demandes de résidence permanente et de résidence temporaire pouvant aller jusqu’à trois ans. Sur ce total, 12 334 personnes ont vu leur demande acceptée. Nous avons également été informés qu’entre la date d’entrée en vigueur de la loi sur la citoyenneté monténégrine, le 1er janvier 2008, et le 1er juillet 2019, au total, 1 067 personnes déplacées à l’intérieur du territoire de l’ex-République fédérale socialiste de Yougoslavie se sont vu accorder la nationalité monténégrine.

8. Conclusions

182. «Quand je regarde mon pays aujourd’hui et ce qu’il était il y a dix ans, je suis plutôt satisfait», a déclaré un haut responsable que nous avons rencontré au cours de notre mission d’information. En tant que corapporteurs, nous mesurons le chemin parcouru depuis que le Monténégro est devenu un État membre du Conseil de l’Europe. Nous reconnaissons également les progrès substantiels réalisés depuis le dernier rapport sur le dialogue postsuivi élaboré en 2015. Le Monténégro a mis en place des législations qui sont conformes aux normes du Conseil de l’Europe et ont permis de répondre à plusieurs préoccupations formulées par l’Assemblée et d’autres mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe.
183. Dans les domaines où le Monténégro est en général perçu comme un partenaire coopératif ou un bon exemple pour la région, autrement dit dans l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ou les domaines énumérés dans la partie 7 (droits des minorités, droits des personnes LGBTI …), la situation a continué de s’améliorer.
184. Cependant, comme le montre le projet de rapport, les progrès ont été limités dans les quatre domaines prioritaires identifiés par la Résolution 2030 (2015). Même lorsqu’on a pu noter des améliorations, par exemple pour l’indépendance de la justice ou la situation des médias, ces améliorations ont vu leur poids contrebalancé par des tendances négatives opposées.
185. Dans les quatre domaines clés, le Monténégro semble avoir atteint un plafond de verre. Dans chacun d’entre eux, beaucoup d’efforts ont été déployés pour établir un cadre juridique qui, bien que perfectible, devrait pouvoir fonctionner pleinement mais qui, en réalité, s’est avéré non fonctionnel. Nous pensons que le temps est venu pour le Monténégro de démontrer qu’il existe une réelle volonté politique de briser ce plafond de verre. Le mandat très large de la Commission de la réforme générale de la législation électorale et autre montre que les autorités monténégrines sont conscientes de tout ce qu’il reste encore à faire.
186. Cependant, les autorités monténégrines ne sont pas les seules à pouvoir briser ce plafond de verre. Il appartient d’autant plus à l’opposition de jouer son rôle au sein du parlement que le processus législatif monténégrin requiert souvent une majorité qualifiée. Il est par conséquent extrêmement regrettable que, sur la question de la réforme électorale qui est d’une importance majeure, certains groupes de l’opposition aient finalement décidé de recommencer à boycotter le parlement. Ce n’est ni le moyen de renforcer le parlement, ni le signe de maturité que nous attendions.
187. L’évaluation que nous avons faite, et qui est détaillée dans le présent rapport ainsi que dans les conclusions rédigées à propos de chacun des quatre domaines prioritaires, nous amène à recommander de ne pas clore le dialogue postsuivi. Cependant, nous ne recommanderions pas non plus la réouverture de la procédure générale de suivi, étant donné les tendances contradictoires que nous avons mentionnées et les élections générales à venir. En l’absence d’un cadre électoral révisé, la manière dont ces élections se dérouleront fera office de test pour le Monténégro.
188. Les politiques monténégrins ont clairement besoin de démontrer qu’ils ont la volonté politique de briser ce plafond de verre. C’est pourquoi nous attendons du parlement qu’il joue pleinement son rôle de contrôle et qu’il incite le gouvernement à progresser dans les quatre domaines prioritaires, de même que nous attendons de l’Exécutif, dont son chef est au pouvoir depuis maintenant trente ans, qu’il poursuive le processus de réforme
189. Nous proposons donc de poursuivre le dialogue postsuivi et de réévaluer la situation après les élections générales de 2020. À ce moment, nous prendrons une décision définitive quant à l’avenir du dialogue postsuivi avec le Monténégro.