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Rapport | Doc. 15898 | 23 janvier 2024

Contestation, pour des raisons substantielles, des pouvoirs non encore ratifiés de la délégation parlementaire de l'Azerbaïdjan

Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)

Rapporteur : M. Mogens JENSEN, Danemark, SOC

Origine - Renvoi en commission: décision de l’Assemblée. Renvoi 4785 du 22 janvier 2024. 2024 - Première partie de session

Résumé

La commission de suivi déplore que plus de 20 ans après son adhésion au Conseil de l’Europe, l’Azerbaïdjan n’a pas rempli les engagements majeurs découlant de son adhésion à l’Organisation. De très sérieuses inquiétudes subsistent quant à sa capacité à organiser des élections libres et équitables, à la séparation des pouvoirs, à la faiblesse du pouvoir législatif par rapport au pouvoir exécutif, à l'indépendance de la justice et au respect des droits humains, comme l'illustrent de nombreux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme et des avis de la Commission de Venise. Elle est également préoccupée par les cas signalés de «prisonniers politiques» et par l’augmentation du nombre de violations de la liberté d’expression, illustrées notamment par les arrestations récentes de journalistes indépendants du média Abzas.

Concernant la situation au Haut-Karabakh, la commission rappelle la Résolution 2508 (2023) qui condamne le blocus du corridor de Lachine et la Résolution 2517 (2023) qui condamne l’opération militaire menée par l’armée azerbaïdjanaise en septembre 2023, qui a conduit à la fuite de l’ensemble de la population arménienne du Haut-Karabakh vers l’Arménie

La commission déplore également les cas de «manque de coopération dans la procédure de suivi de l’Assemblée» au sens de l’article 8.2.b du Règlement de l’Assemblée, en particulier l’absence d’invitation à observer la prochaine élection présidentielle, et les cas de manque de coopération avec les rapporteurs de l’Assemblée.

En conséquence, la commission propose de ne pas ratifier les pouvoirs de la délégation azerbaïdjanaise.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 23 janvier 2024.

(open)
1. L'Assemblée parlementaire rappelle qu'en adhérant au Conseil de l’Europe le 25 janvier 2001, la République d’Azerbaïdjan a accepté d’honorer plusieurs engagements spécifiques énumérés dans l’Avis 222 (2000) de l’Assemblée, ainsi que les obligations incombant à tous les États membres en vertu de l’article 3 du Statut du Conseil de l’Europe (STE no 5): le respect des principes de la démocratie pluraliste et de l’État de droit ainsi que le respect des droits humains et des libertés fondamentales de toutes les personnes placées sous sa juridiction.
2. L’Assemblée déplore que plus de 20 ans après son adhésion au Conseil de l’Europe, l’Azerbaïdjan n’ait pas rempli les engagements majeurs en découlant. De très sérieuses inquiétudes subsistent quant à sa capacité à organiser des élections libres et équitables, à la séparation des pouvoirs, à la faiblesse du pouvoir législatif par rapport au pouvoir exécutif, à l'indépendance de la justice et au respect des droits humains, comme l'illustrent de nombreux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme et des avis de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise).
3. Dans ce contexte, l’Assemblée rappelle ses Résolution 2184 (2017) «Le fonctionnement des institutions démocratiques en Azerbaïdjan», Résolution 2185 (2017) sur la «Présidence azerbaïdjanaise du Conseil de l’Europe: quelles sont les suites à donner en matière de respect des droits de l’homme?», Résolution 2279 (2019) «Lessiveuses: faire face aux nouveaux défis de la lutte internationale contre la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment de capitaux», Résolution 2322 (2020) «Cas signalés de prisonniers politiques en Azerbaïdjan», Résolution 2362 (2021) «Restrictions des activités des ONG dans les États membres du Conseil de l’Europe», Résolution 2418 (2022) «Violations alléguées des droits des personnes LGBTI dans le Caucase du Sud», Résolution 2494 (2023) «Mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme», Résolution 2509 (2023) «La répression transnationale, une menace croissante pour l’État de droit et les droits humains» et Résolution 2513 (2023) sur «Le logiciel espion Pegasus et les autres types de logiciels similaires, et la surveillance secrète opérée par l’État». Elle note également avec préoccupation que, selon la Plateforme du Conseil de l’Europe pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes, au moins 18 journalistes et acteurs des médias sont actuellement en détention.
4. Concernant la situation au Haut-Karabakh, l'Assemblée a constaté l'absence d'un accès libre et sûr par le corridor de Lachine dans sa Résolution 2508 (2023) «Assurer un accès libre et sûr par le corridor de Lachine» et a été frappée par le fait que les dirigeants azerbaïdjanais n'ont pas reconnu les très graves conséquences humanitaires et en matière de droits humains découlant de cette situation, qui a duré près de dix mois. En outre, dans sa Résolution 2517 (2023) et sa Recommandation 2260 (2023) «Situation humanitaire dans le Haut-Karabakh», l’Assemblée a condamné l’opération militaire menée par l’armée azerbaïdjanaise en septembre 2023, qui a conduit à la fuite de l’ensemble de la population arménienne du Haut-Karabakh vers l’Arménie et à des allégations de «nettoyage ethnique». L’Assemblée rappelle que, dans sa Résolution 2517 (2023), elle n’a pas exclu la possibilité de contester les pouvoirs de la délégation azerbaïdjanaise lors de sa première partie de session de 2024.
5. L'Assemblée note également que la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi) a adopté, le 5 décembre 2023, un rapport sur le respect des obligations et engagements de l'Azerbaïdjan et que ce rapport sera examiné par l'Assemblée après l'élection présidentielle anticipée en Azerbaïdjan, prévue pour le 7 février 2024, qui a été décidée le 7 décembre 2023, juste après l'adoption dudit rapport.
6. Rappelant sa Résolution 2322 (2020) «Cas signalés de prisonniers politiques en Azerbaïdjan», l'Assemblée est également préoccupée par le fait que les rapporteurs de la commission de suivi n'ont pas été autorisés à rencontrer des personnes qui seraient détenues pour des motifs politiques. De plus, l’Assemblée regrette vivement qu’elle n’ait pas été invitée à observer l’élection présidentielle à venir malgré l’obligation incombant à l’Azerbaïdjan d’adresser une invitation à cette fin, étant donné que le pays est sous la procédure de suivi. L’Assemblée considère ces refus comme des exemples de «manque de coopération dans le processus de suivi de l'Assemblée» visé à l'article 8.2.b du Règlement de l'Assemblée. Elle condamne en outre le manque de coopération de la délégation azerbaïdjanaise avec la rapporteure de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme sur les «Menaces d’atteinte à la vie et la sécurité des journalistes et des défenseurs des droits humains en Azerbaïdjan», à qui l’on a refusé à trois reprises de se rendre dans le pays. Elle déplore également profondément que le rapporteur de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées sur «Assurer un accès libre et sûr par le corridor de Lachine» n'ait pas été invité en Azerbaïdjan lors de sa visite d'information dans la région et n'ait donc pas pu se rendre dans le couloir de Latchine.
7. En conséquence, l’Assemblée décide de ne pas ratifier les pouvoirs de la délégation azerbaïdjanaise.

B. Exposé des motifs par M. Mogens Jensen, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le 22 janvier 2024, avec le soutien de plus de 30 membres de l’Assemblée parlementaire présents dans l’hémicycle, appartenant à cinq délégations nationales au moins, M. Frank Schwabe (Allemagne, SOC) a contesté les pouvoirs non encore ratifiés de la délégation azerbaïdjanaise pour des raisons substantielles sur le fondement de l’article 8 du Règlement de l’Assemblée parlementaire.
2. Les raisons substantielles invoquées pour contester les pouvoirs font référence à la détérioration de la situation en ce qui concerne la démocratie pluraliste, le respect de l’État de droit, les droits humains et les libertés fondamentales, ainsi qu’au rôle des autorités azerbaïdjanaises dans les événements de septembre 2023 qui ont conduit à la fuite de l’ensemble de la population ethnique arménienne du Haut-Karabakh vers l’Arménie. Toutes ces questions soulèvent de sérieux doutes quant au respect par l’Azerbaïdjan de ses engagements et obligations vis-à-vis du Conseil de l’Europe.
3. Conformément à l’article 8.3 du Règlement, la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi) a été saisie pour rapport et la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles pour avis.
4. Lors de sa réunion du 22 janvier 2024, la commission de suivi m’a nommé rapporteur.

2. Respect des engagements et obligations découlant de l'adhésion au Conseil de l'Europe

5. Lors de sa réunion à Rome le 5 décembre 2023, la commission de suivi a adopté un rapport sur le respect des engagements et obligations de l’Azerbaïdjan, préparé par les corapporteurs Mme Lise Christoffersen (Norvège, SOC) et M. Ian Liddell-Grainger (Royaume-Uni, CE/AD). Le rapport a déjà été déposé et sera publié sur le site internet de l’Assemblée après la prochaine élection présidentielle anticipée prévue le 7 février 2024 (annoncée peu après l’adoption du rapport de la commission de suivi). Par conséquent, le présent rapport ne remplacera pas le rapport de la commission de suivi et ne portera que sur les principales préoccupations concernant les obligations statutaires de l'Azerbaïdjan, les évolutions les plus récentes dans le pays et les cas de manque de coopération avec l'Assemblée.
6. En adhérant au Conseil de l’Europe le 25 janvier 2001, la République d’Azerbaïdjan a accepté d’honorer plusieurs engagements spécifiques énumérés dans l’Avis 222 (2000) de l’Assemblée et a accepté les obligations incombant à tous les États membres en vertu de l’article 3 du Statut du Conseil de l’Europe (STE no 1): le respect des principes de la démocratie pluraliste et de l’État de droit ainsi que le respect des droits humains et des libertés fondamentales de toutes les personnes placées sous sa juridiction. Dans sa Résolution 2184 (2017) «Le fonctionnement des institutions démocratiques en Azerbaïdjan» et sa Résolution 2185 (2017) «Présidence azerbaïdjanaise du Conseil de l’Europe: quelles sont les suites à donner en matière de respect des droits de l’homme?», toutes deux adoptées le 11 octobre 2017, l'Assemblée évoque plusieurs préoccupations sérieuses concernant la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice et la situation des droits humains dans le pays. La plupart de ces préoccupations n’ont toujours pas été prises en compte.
7. Concernant la démocratie pluraliste, l'Azerbaïdjan est doté d’un système de gouvernement présidentiel dans lequel le président, élu pour sept ans, exerce des pouvoirs constitutionnels étendus vis-à-vis des autres branches du pouvoir, y compris le parlement (Milli Majlis), et peut même dissoudre ce dernier. Par conséquent, la question de l'équilibre des pouvoirs demeure très problématique et les recommandations de la Commission européenne pour la démocratie par le droit («Commission de Venise») figurant dans son avis CDL-AD(2016)029 du 18 octobre 2016 sur le projet de révision de la Constitution n’ont pas été suivies. L'élection présidentielle anticipée de 2018 et les élections législatives anticipées de 2020 ont été boycottées par certains partis d’opposition, principalement en raison des restrictions touchant aux libertés politiques (voir ci-après). En outre, la loi sur les partis politiques du 16 décembre 2022, critiquée par la Commission de Venise et le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH) de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) dans leur avis conjoint du 10 mars 2023 (CDL-AD(2023)007), pourrait avoir un effet dissuasif sur le pluralisme dans le pays et l’exercice des libertés politiques. En particulier, après son entrée en vigueur, certains partis politiques ont rencontré des difficultés pour se ré-enregistrer. S’agissant de l’élection présidentielle à venir, les candidats devaient réunir une liste de 40 000 signatures de citoyens éligibles. Sept candidats, dont le président sortant Ilham Aliyev, en fonction depuis 20 ans, ont été enregistrés par la Commission électorale centrale. Certains partis d’opposition (dont le Front populaire et Musavat) ont annoncé qu’ils boycotteraient l’élection. Le 10 janvier 2024, le président Aliyev a expliqué en public qu’il avait convoqué cette élection anticipée car la «restauration de la souveraineté» (en référence à la prise de contrôle du Haut-Karabakh) «marquait une nouvelle ère pour le pays» parce que ce serait la première fois que des élections se tiendraient «dans l’ensemble du territoire de l’Azerbaïdjan» et que la 20e année de sa présidence prenait fin.
8. En ce qui concerne le respect de l’État de droit, diverses allégations crédibles ont dénoncé la corruption à grande échelle – notamment à haut niveau – et le système de «lessiveuse azerbaïdjanaise» (également dénoncé par l'Assemblée dans sa Résolution 2279 (2019) «Lessiveuses: faire face aux nouveaux défis de la lutte internationale contre la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment de capitaux»). Bien que l’Azerbaïdjan ait fait des progrès dans la mise en œuvre des recommandations du Groupe d’États contre la corruption (GRECO), en particulier en réformant en juin 2023 la composition du Conseil judiciaire de la magistrature, l’indépendance de la justice reste un grave sujet de préoccupation, comme l’illustrent de nombreuses allégations relatives à l’existence de «prisonniers politiques». Depuis la Résolution 2322 (2020) «Cas signalés de prisonniers politiques en Azerbaïdjan» de janvier 2021 et malgré les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme constatant un schéma d’arrestations arbitraires et de détention des détracteurs du gouvernement, aucun progrès tangible n’a été accompli sur cette question 
			(2) 
			<a href='https://assembly.coe.int/LifeRay/JUR/Pdf/DocsAndDecs/2021/AS-JUR-2021-12-EN.pdf'>AS/Jur(2021)12</a>, «Cas signalés de prisonniers politiques en Azerbaïdjan:
suivi de la Résolution
2322 (2020)», 17 juin 2021, paragraphe 12.. Selon la liste la plus récente établie par l’«Union pour la liberté des prisonniers politiques en Azerbaïdjan» (un groupe de militants et d’anciens «prisonniers d’opinion»), au 1er décembre 2023, il y avait 254 «prisonniers politiques» en Azerbaïdjan 
			(3) 
			<a href='https://www.ipd-az.org/political-prisoners-for-1-december-2023/'>Prisonniers
politiques au 1er décembre 2023 – Institut pour la paix et la démocratie
(ipd-az.org).</a>.
9. De manière générale, la situation des droits humains ne s’est malheureusement pas améliorée depuis l’adoption de la Résolution 2184 (2017) et de la Résolution 2185 (2017). Il existe encore de très graves préoccupations concernant les restrictions aux droits à la liberté d’expression, à la liberté des médias et à la liberté de réunion et d’association, qui ont des répercussions négatives sur la situation de la société civile dans son ensemble, et notamment sur les défenseurs des droits humains, les militants civils et politiques ainsi que les journalistes et les blogueurs.
10. Le droit à la liberté d’expression et à la liberté des médias est sans cesse bafoué en raison du harcèlement et de l’intimidation des journalistes 
			(4) 
			Il
y a actuellement 18 journalistes en détention (au 22 janvier 2024),
selon la <a href='https://fom.coe.int/fr/pays/detail/11709482'>Plateforme
du Conseil de l’Europe pour la sécurité des journalistes.</a> Voir également le rapport de la commission de la culture,
de la science, de l’éducation et des médias: «Garantir la liberté
des médias et la sécurité des journalistes: une obligation des États
membres», rapporteur M. Mogens Jensen (Danemark, SOC), Doc. 15891 du 5 janvier 2024. et autres personnes critiquant ouvertement le gouvernement, de la surveillance à l’aide du logiciel Pegasus (voir la Résolution 2513 (2023) 
			(5) 
			Résolution intitulée «Le logiciel
espion Pegasus et les autres types de logiciels similaires et la
surveillance secrète opérée par l’État», adoptée le 11 octobre 2023,
voir Doc. 15825, rapport de la commission des questions juridiques et
des droits de l’homme, rapporteur: M. Pieter Omtzigt (Pays-Bas,
PPE/DC). L’Assemblée a souligné qu’il existait des «preuves solides»
que l’Azerbaïdjan a utilisé le logiciel espion Pegasus à l’encontre
de journalistes et de militants de la société civile, y compris
lors du conflit avec l’Arménie. de l’Assemblée), du cadre juridique restrictif dans lequel travaillent les journalistes, et notamment des sanctions pénales pour diffamation, et de l’entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 2021 relative aux médias, qui impose aux journalistes et aux médias une obligation de s’inscrire auprès de l’Agence de développement des médias et qui a été critiquée par la Commission de Venise dans son avis daté du 20 juin 2022 (CDL-AD(2022)009).
11. S’agissant des évolutions récentes, les 20 et 21 novembre 2023, plusieurs journalistes et autres personnes liées à Abzas Media (l’un des rares médias indépendants du pays, connu pour avoir dénoncé des affaires de corruption) – son directeur Ulvi Hasanli et deux de ses collaborateurs, Sevinc Vaqifqizi et Mahammad Kekalov – ont été arrêtés et sont actuellement détenus après avoir été mis en examen pour avoir fait entrer de l’argent illégalement dans le pays. Ils encourent des peines pouvant aller jusqu’à huit ans de prison. MM. Hasanli et Kekalov affirment également avoir été maltraités par les policiers pendant leur arrestation, qui a eu lieu le 20 novembre. En avril 2023, M. Hasanli avait participé, en tant qu’expert, à l’audition organisée conjointement par la commission de suivi, la commission des questions juridiques et des droits de l’homme et la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias, et avait apporté son témoignage dans des affaires de harcèlement de journalistes dans son pays. En décembre 2023 et en janvier 2024, deux autres journalistes d’Abzas Media – Nargiz Absalamova et Elnara Gasimova – ainsi que Hafiz Babali, rédacteur financier pour l’agence de presse Turan, ont été arrêté et placé en détention en lien avec l’affaire Abzas Media. En outre, le 11 décembre 2023, Ibrahim Humbatov (également connu sous le nom de Gubadoglu), rédacteur en chef du site d’information en ligne Azerinfo.az, a été placé en détention provisoire pour une durée de quatre mois 
			(6) 
			<a href='https://fom.coe.int/fr/alerte/detail/107640263'>Plateforme
pour la sécurité des journalistes</a>..
12. Les restrictions persistantes au droit à la liberté d'association et de réunion et la situation générale des ONG sont d'autres sujets de préoccupation. Les ONG continuent de travailler dans un environnement très répressif en vertu du cadre législatif restrictif introduit en 2014 (une situation déjà condamnée par l’Assemblée dans sa Résolution 2362 (2021) «Restrictions des activités des ONG dans les États membres du Conseil de l’Europe» et sa Résolution 2226 (2018) «Nouvelles restrictions des activités des ONG dans les États membres du Conseil de l'Europe») et, comme mentionné ci-dessus, les militants de la société civile sont soumis à diverses formes d’intimidation et d’agressions. Le 14 décembre 2023, après l’annonce de l’élection présidentielle anticipée, le militant de l’opposition de premier plan Tofig Yagublu a été arrêté et placé en détention provisoire pour une durée de quatre mois. Les tribunaux ont également décidé d’étendre la détention provisoire de l’éminent universitaire et militant Gubad Ibadoghlu et du militant de la société civile Bakhtiyar Hajiyev 
			(7) 
			<a href='https://www.eeas.europa.eu/eeas/azerbaijan-statement-spokesperson-detention-journalists-and-political-activists_en'>Service
européen pour l’action extérieure (21 décembre 2023).</a>.
13. En outre, les allégations de torture et de mauvais traitements qui auraient été commis par la police et d’autres organes chargés de l’application des lois restent très préoccupantes et devraient faire l’objet d’enquêtes effectives de la part des autorités, comme le souligne un récent rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, qui doit être débattu par l’Assemblée cette semaine. Le rapporteur, M. Constantinos Efstathiou (Chypre, SOC), a été particulièrement effaré par les «affaires Terter» et par «l’horreur des méthodes de torture» appliquées à des personnes détenues pour leur extorquer des aveux; onze décès ont été confirmés à la suite de ces tortures 
			(8) 
			Rapport
intitulé «Allégations de torture systémique et de peines ou traitements
inhumains ou dégradants dans les lieux de détention en Europe», Doc. 15880 du 11 décembre 2023..
14. Parmi les autres sujets de préoccupation figurent des cas d’enlèvements transfrontaliers (voir Résolution 2509 (2023) 
			(9) 
			Résolution
intitulée «La répression transnationale, une menace croissante pour
l'État de droit et les droits humains», adoptée le 23 juin 2023,
voir Doc. 15787, rapport de la commission des questions juridiques et
des droits de l'homme, rapporteur: Sir Christopher Chope (Royaume-Uni,
CE/AD). L’Assemblée a condamné l’utilisation, par les autorités azerbaïdjanaises,
de certaines techniques de répression transnationale, telles que
les restitutions et les enlèvements transfrontaliers, principalement
à l’encontre de journalistes.) et de représailles contre des personnes LGBTI (voir Résolution 2418 (2022) 
			(10) 
			Résolution
adoptée le 25 janvier 2022, voir aussi Doc. 15429, rapport de la commission sur l’égalité et la non-discrimination,
rapporteur: M. Christophe Lacroix (Belgique, SOC).). De plus, le 4 janvier 2024, les autorités des États-Unis d’Amérique ont inscrit l’Azerbaïdjan sur la Liste de surveillance de la liberté de religion, en tant que pays «commettant ou tolérant de graves violations de la liberté de religion» 
			(11) 
			Département d'État
des États-Unis (4 janvier 2024). Il convient de noter à cet égard
que le pays n’a toujours pas mis en œuvre l’arrêt rendu par la Cour
européenne des droits de l'homme dans l’affaire Mushtig Mammadov et autres c. Azerbaïdjan (requête
n° 14604/08, arrêt du 17 octobre 2019), dans lequel la Cour critiquait
l’absence de service civil en remplacement du service militaire
pour les objecteurs de conscience (principalement des Témoins de
Jéhovah)..
15. L’Azerbaïdjan est l’un des pays qui compte le plus grand nombre d’arrêts de la Cour non exécutés et qui reste confronté à de graves problèmes structurels ou complexes, dont certains perdurent depuis plus de 10 ans (voir la Résolution 2494 (2023) de l’Assemblée: «Mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme» 
			(12) 
			Résolution adoptée
le 26 avril 2023, voir aussi Doc. 15742, rapport de la commission des questions juridiques et
des droits de l'homme, rapporteur: M. Constantinos Efstathiou (Chypre,
SOC).). Plus de 320 arrêts de la Cour rendus contre l’Azerbaïdjan n’ont pas encore été exécutés ou ne l’ont été que partiellement.
16. En outre, les problèmes liés au Haut-Karabakh remettent en question l’engagement du pays en faveur d’un règlement pacifique du conflit, engagement qu’il avait pourtant accepté lors de son adhésion au Conseil de l'Europe (voir l’Avis 222 (2000) de l’Assemblée). À maintes occasions, l’Assemblée a examiné la situation humanitaire et la situation des droits humains dans le corridor de Latchine, dont l’accès était resté bloqué durant des mois, malgré les appels de différentes juridictions et institutions internationales, qui demandaient de permettre d’emprunter librement ce corridor (voir la Résolution 2508 (2023) 
			(13) 
			Résolution
intitulée «Assurer un accès libre et sûr par le corridor de Latchine»,
adoptée le 22 juin 2023. Voir aussi le rapport de la commission
des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées (Doc. 15796), rapporteur: M. Paul Gavan (Irlande, GUE). et la Résolution 2517 (2023) 
			(14) 
			Résolution
intitulée «Situation humanitaire dans le Haut-Karabakh», adoptée
le 12 octobre 2023. Voir aussi le rapport de la commission des migrations,
des réfugiés et des personnes déplacées (Doc. 15840), rapporteur: M. Domagoj Hajduković (Croatie, SOC).). Le blocus a pris fin à la suite de l’opération militaire lancée par l’armée azerbaïdjanaise le 19 septembre 2023; après cette opération, la totalité de la population arménienne du Haut-Karabakh (plus de 100 600 personnes) a fui en Arménie, ce qui a conduit à des allégations de «nettoyage ethnique» 
			(15) 
			Voir
le paragraphe 13 de la Résolution
2517 (2023).. À la suite de sa visite d’octobre 2023 dans la région, la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatović, qui n’a vu quasiment aucun signe de présence de civils dans la capitale de la région, Khankendi (Stepanakert en arménien), a conclu que les Arméniens qui avaient fui le Haut-Karabakh «s’étaient retrouvés abandonnés sans garantie solide de sécurité ou de protection par quelque partie que ce soit» et que quitter leur foyer était «la seule option raisonnable possible» 
			(16) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/armenia-and-azerbaijan-effective-human-rights-protection-of-all-persons-affected-by-the-conflict-over-the-karabakh-region-is-key-to-the-success-of-the-peace-process'>Déclaration</a> de la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de
l’Europe (12 janvier 2024).. À cause de tous ces événements, l’Assemblée n’a pas exclu la possibilité de demander l’ouverture d’une procédure complémentaire conjointe et de contester les pouvoirs de la délégation azerbaïdjanaise lors de la première partie de session de 2024 
			(17) 
			Voir
le paragraphe 23 de la Résolution
2517 (2023)..

3. Manque de coopération

17. Les rapporteurs de la commission de suivi ont effectué une visite en Azerbaïdjan du 3 au 7 juin 2023. Lors de cette visite, ils ont rencontré plusieurs hauts représentants des autorités, mais ils n’ont été autorisés à rendre visite en prison à aucune des personnes qui seraient détenues pour des motifs politiques. Le ministre de la Justice leur a promis d’organiser de telles visites la prochaine fois qu’ils se rendraient à Bakou. C’est pourquoi une autre visite a été organisée les 20 et 21 novembre 2023 (cette fois en l’absence de l’un des deux corapporteurs, M. Liddell-Grainger). Au cours de cette deuxième visite, malgré une concertation préalable entre la corapporteure, Mme Christoffersen, le Secrétariat de l'Assemblée et la délégation azerbaïdjanaise à l'Assemblée, seules trois réunions ont été organisées par les hôtes azerbaïdjanais: avec des fonctionnaires du ministère de la Justice, avec des fonctionnaires et des procureurs du Parquet général et avec la délégation azerbaïdjanaise à l'Assemblée. Malheureusement, les rencontres prévues avec des personnes qui seraient détenues pour des motifs politiques n’ont pas eu lieu, apparemment faute d’autorisation des autorités exécutives. Il est regrettable aussi que trois journalistes, Ulvi Hasanli, Sevinc Vaqifqizi et Mahammad Kekalov, ont été arrêtés pendant que Mme Christoffersen se trouvait à Bakou.
18. De plus, en juin 2023, M. Paul Gavan (Irlande, GUE), rapporteur de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées sur «Assurer un accès libre et sûr par le corridor de Latchine» n'a pas été invité en Azerbaïdjan pour une visite d'information pour la préparation de son rapport. La délégation azerbaïdjanaise n’a pas encore accepté d’inviter la rapporteure de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, Mme Hannah Bardell (Royaume-Uni, NI), qui prépare actuellement un rapport sur le thème «Menaces d’atteinte à la vie et à la sécurité des journalistes et des défenseurs des droits humains en Azerbaïdjan» et qui a été autorisée en mars 2023 par cette commission à effectuer une visite d’information dans le pays. Jusqu’à présent, trois dates proposées par la rapporteure (juillet 2023, décembre 2023 et février 2024) n’ont pas été acceptées par la délégation, pour diverses raisons d'organisation et de fond, bien que la saisine de la commission pour l'élaboration de ce rapport expire le 24 juin 2024. De plus, l’Assemblée n’a pas reçu d’invitation pour observer l’élection présidentielle prévue pour le 7 février 2024.

4. Conclusion

19. Il ressort clairement de ce qui précède qu'un certain nombre de problèmes graves concernant l'État de droit, la démocratie pluraliste et les droits humains n'ont toujours pas été réglés en Azerbaïdjan, comme le montrent de nombreux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, des avis de la Commission de Venise, des résolutions de l'Assemblée et divers rapports crédibles. Tout cela remet en question la volonté du pays de respecter les principes fondamentaux consacrés par l'article 3 et le préambule du Statut du Conseil de l'Europe, ainsi que d'honorer les obligations et engagements liés à son appartenance à l'Organisation. En particulier, les graves violations des libertés politiques, souvent associées à des violations de droits auxquels il ne peut être dérogé, tels que l'interdiction de la torture et des mauvais traitements, et/ou les allégations de manque d'indépendance de la justice jettent des doutes sur l'existence d'une «démocratie véritable» et sur le respect du principe de la prééminence du droit en Azerbaïdjan. L’Assemblée ne peut pas non plus passer sous silence le long blocus du corridor de Lachine, l’opération militaire menée les 19 et 20 septembre 2023 dans le Haut-Karabakh, et d’autres événements qui ont conduit à l’exode massif de la population d’origine arménienne et à sa fuite en Arménie, ainsi qu’à des allégations de «nettoyage ethnique».
20. En outre, le fait que les rapporteurs de la commission de suivi se sont vu refuser l'autorisation de se rendre auprès de personnes qui seraient détenues pour des motifs politiques, alors que cette question a été soulevée par l'Assemblée à maintes reprises, est un exemple manifeste du manque de coopération dans le processus de suivi de l'Assemblée, visé à l'article 8.2.b du Règlement de l'Assemblée.
21. Pour ces raisons, l’Assemblée ne devrait pas ratifier les pouvoirs de la délégation azerbaïdjanaise.

Annexe – Avis divergent de M. Samad Seyidov (Azerbaïdjan, CE/AD), membre de la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe, conformément à l’article 50.4 du Règlement de l’Assemblée

(open)

La délégation azerbaïdjanaise rejette fermement la remise en cause, pour des raisons substantielles, de ses pouvoirs non encore ratifiés. Nous pensons que cette initiative est une manifestation claire de préjugés profondément enracinés à l’encontre de l’Azerbaïdjan en tant que nation indépendante et souveraine.

Les raisons énumérées dans le présent rapport de contester nos pouvoirs ne sont pas étayées et sont dénuées de fondement. À notre connaissance, jamais auparavant dans l’histoire de l’APCE, la ratification des pouvoirs d’une délégation nationale a été refusée sur la base de tels prétextes infondés.

La République d’Azerbaïdjan a adhéré au Conseil de l’Europe en 2001 avec le ferme espoir que ses droits violés à la suite de l’agression et de l’occupation des territoires azerbaïdjanais par l’Arménie seraient rétablis et que la justice serait rendue. Pendant 19 ans, l’État agresseur de l’Arménie n’a jamais été condamné et tenu responsable de ses actions agressives. Maintenant que l’Azerbaïdjan a rétabli son intégrité territoriale et sa souveraineté, nous sommes confrontés à une campagne coordonnée et orchestrée pour dénigrer l’Azerbaïdjan. L’initiative visant à contester les pouvoirs de notre délégation n’est qu’une partie de cette campagne sournoise, et nous la dénonçons fermement.

Le refus de ratifier les pouvoirs de notre délégation portera gravement atteinte à l’autorité de l’APCE et du Conseil de l’Europe en général, et la responsabilité de ses graves conséquences incombe aux initiateurs de cette démarche à courte vue.