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Rapport | Doc. 15966 | 15 avril 2024

La mort d'Alexeï Navalny et la nécessité de contrer le régime totalitaire de Vladimir Poutine et sa guerre contre la démocratie

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Emanuelis ZINGERIS, Lituanie, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15936, Renvoi 4797 du 7 mars 2024. 2024 - Deuxième partie de session

Résumé

Alexeï Navalny, figure importante de l'opposition démocratique russe, prisonnier politique et militant anticorruption, est mort dans une colonie pénitentiaire isolée en Sibérie le 16 février 2024. Il avait été arrêté en Fédération de Russie en janvier 2021, à son retour d'Allemagne, où il était soigné à la suite d'une tentative d'assassinat à l’aide d’un agent neurotoxique interdit, perpétrée par un escadron de la mort du FSB (le Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie).

Bien que la Cour européenne des droits de l'homme ait ordonné à la Fédération de Russie de libérer M. Navalny, il est resté incarcéré dans des conditions inhumaines et dégradantes, soumis à la privation de sommeil, au manque d'accès à des soins médicaux appropriés et à l'isolement cellulaire prolongé qui est systématiquement exercé en Fédération de Russie.

La commission des questions juridiques et des droits de l'homme estime qu'il faut contrer le régime expansionniste et totalitaire de Vladimir Poutine. La mort de M. Navalny survient alors que les envahisseurs russes progressent en Ukraine et que les forces ukrainiennes sont confrontées à une pénurie catastrophique de munitions et à une diminution du soutien de l'Occident. Les sanctions imposées à la suite de l'invasion russe ne se sont pas révélées suffisamment efficaces. La commission fait donc un certain nombre de propositions pour punir les responsables de la mort prématurée de M. Navalny et arrêter la propagation du totalitarisme de Vladimir Poutine.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 15 avril
2024.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire rend hommage au courage et au sacrifice d’Alexeï Navalny, figure importante de l’opposition politique russe, militant de la société civile et de la lutte contre la corruption et prisonnier politique persécuté puis finalement tué par l’État russe pour s’être opposé au régime de Vladimir Poutine. L’Assemblée adresse ses sincères condoléances à la famille de M. Navalny, ainsi qu’à ses collaborateurs et partisans.
2. Le 16 février 2024, M. Navalny est décédé dans une lointaine colonie pénitentiaire de haute sécurité en Sibérie, FKU IK-3, où il purgeait une peine d’emprisonnement manifestement arbitraire. Officiellement, M. Navalny est décédé du «syndrome de mort subite». La famille de M. Navalny n’a pas pu accéder rapidement et temps utile à son corps ni faire procéder à une autopsie indépendante. Selon certaines allégations, M. Navalny avait été maltraité par le personnel pénitentiaire la veille de sa mort. Trois jours après le décès de M. Navalny, le directeur adjoint de l’administration pénitentiaire russe, Valery Boyarinev, a été promu au rang de colonel général. Quelques jours plus tard, Roman Vidyukov, l’enquêteur en chef dans les procédures engagées contre M. Navalny et sa Fondation anticorruption, a été promu chef adjoint du Comité national d’enquête de la Fédération de Russie. Le 18 mars 2022, Vladimir Poutine a affirmé qu’il avait accepté de libérer le chef de l’opposition dans le cadre d’un échange de prisonniers quelques jours avant sa mort – une affirmation que la famille de M. Navalny rejette fermement.
3. Pendant les trois années de sa détention illégale, ordonnée au mépris flagrant des obligations de la Fédération de Russie au titre des articles 3, 5, 6, 7, 18, 34 et 46 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, M. Navalny a subi des actes de torture systémique et d’autres formes de mauvais traitements, notamment la privation de sommeil, le placement répété en cellule d’isolement dans des conditions inhumaines et dégradantes et l’absence d’accès à des soins médicaux appropriés.
4. L’Assemblée considère que l’État russe porte l’entière responsabilité du meurtre d’Alexeï Navalny, qui a été soumis à la torture et à des traitements inhumains et dégradants en violation des arrêts et des mesures provisoires de la Cour européenne des droits de l’homme, et qui avait déjà survécu à une tentative d’assassinat à l’arme chimique, perpétrée en 2020 par un escadron d’assassins du FSB (Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie).
5. M. Navalny est le dernier détracteur de Vladimir Poutine en date à mourir entre les mains de l’appareil d’oppression russe, ou du moins avec son approbation tacite. Ces vingt dernières années, plusieurs personnes opposées au pouvoir qu’exerce d’une main de fer Vladimir Poutine sur la Fédération de Russie ont été assassinées, généralement avec l’implication des services secrets russes ou d’individus agissant sur leurs ordres. La liste des victimes du régime comprend, entre autres, les journalistes Anna Politkovskaïa, Natalia Estemirova, Stanislav Markelov et Anastasia Baburova; Sergueï Magnitski – un avocat assassiné pour avoir dénoncé la corruption à grande échelle dans les plus hautes sphères du Gouvernement russe; Alexander Litvinenko – un ancien officier du FSB qui avait fait défection au Royaume-Uni; et Boris Nemtsov – un vice-premier ministre qui avait contesté le régime de Vladimir Poutine et dont les circonstances de la mort restent mystérieuses, comme noté par l'Assemblée dans sa Résolution 2297 (2019). Des centaines d’autres défenseurs et défenseuses des droits humains et figures de l’opposition innocents sont toujours incarcérés sur la base d’accusations forgées de toutes pièces et peuvent être considérés comme des prisonniers politiques au sens de la Résolution 1900 (2012), à commencer par Vladimir Kara-Mourza, Ilya Yashin et Oleg Orlov. Une journaliste indépendante qui a couvert le procès de M. Navalny et enregistré sa dernière apparition au tribunal le 15 février 2024, Antonina Favorskaya, a été détenue arbitrairement pour «extrémisme» et risque une longue peine d'emprisonnement. D’après l’organisation de défense des droits humains OVD-Info, il y aurait actuellement plus de 1 000 prisonniers politiques en Fédération de Russie.
6. L’Assemblée déplore que les prisonniers politiques en Fédération de Russie et les prisonniers de guerre ukrainiens soient systématiquement soumis à des actes de torture comme ceux qu’a subis M. Navalny, comme cela a été souligné dans sa Résolution 2528 (2024). Selon la Mission de surveillance des droits de l’homme des Nations Unies en Ukraine, la majorité des Ukrainiens emprisonnés en Fédération de Russie ont été soumis à la torture, au viol, à des menaces de violence sexuelle, à la privation de nourriture et de sommeil et à d’autres formes de mauvais traitements.
7. L’Assemblée rappelle que l’obligation de prendre des mesures législatives, administratives, judiciaires ou autres mesures efficaces pour prévenir les actes de torture, qui est consacrée à l’article 2(1) de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, est inconditionnelle et qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse d’un état de guerre ou d’une menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture.
8. Certaines des personnes directement responsables des persécutions et actes de torture infligés à Alexeï Navalny, et qui y ont participé, sont bien connues. Une liste détaillée est consultable sur ce lien: «liste Navalny». Elle comprend des membres du personnel pénitentiaire, des policiers, des procureurs et des juges impliqués chacun à leur niveau dans le détournement flagrant du système judiciaire russe dans le but de punir M. Navalny pour son militantisme politique et de créer un effet dissuasif au sein de la société russe.
9. Les personnes figurant sur cette liste devraient être incluses dans sur les listes de sanctions individuelles, qui sont ou pourraient être établies en vertu des lois en vigueur et futures sur les sanctions de type Magnitski.
10. Sous l’autorité de Vladimir Poutine, la Fédération de Russie est devenue une dictature de fait. Non seulement elle a étouffé l’opposition démocratique à l’intérieur de ses frontières, mais elle n’a pas respecté les choix démocratiques des États voisins ni leur indépendance politique. En envahissant la Géorgie en 2008, en annexant illégalement la République autonome de Crimée et la ville de Sébastopol et en occupant brutalement des parties des oblasts de Donetsk et de Lougansk en 2014, en s’ingérant dans des processus électoraux étrangers et, enfin, en lançant sa guerre d’agression à grande échelle contre l’Ukraine en février 2022 et en menaçant de guerre nucléaire ceux qui aideraient l’Ukraine à se défendre, le régime de Vladimir Poutine s’est radicalement engagé dans une guerre contre la démocratie. Il cherche ainsi à rétablir l'ancienne sphère d'influence soviétique et à se venger des États qui ont rejeté son totalitarisme en faveur de la démocratie et des droits humains.
11. Le 17 mars 2024, Vladimir Poutine a été déclaré vainqueur de la prétendue élection présidentielle qui, dès le départ, n’était ni libre ni équitable, puisqu’aucun véritable opposant à M. Poutine n’a été autorisé à se présenter. En outre, pour cette élection, des bureaux de vote ont été ouverts dans le territoire ukrainien souverain temporairement occupé par la Fédération de Russie et dans les unités administratives territoriales moldaves de la rive gauche du Dniestr, en violation flagrante de la Charte des Nations Unies et des principes de souveraineté, d’indépendance politique et d’intégrité territoriale de tous les États.
12. Conformément à sa Résolution 2519 (2023), l’Assemblée ne reconnaît pas la légitimité de Vladimir Poutine en qualité de Président de la Fédération de Russie et appelle une nouvelle fois les États membres et observateurs du Conseil de l’Europe et l’Union européenne à cesser tout contact avec lui, à l’exception des interactions à caractère humanitaire et visant à établir la paix. L’Assemblée rappelle que l'abolition de la limitation des mandats présidentiels au profit de Vladimir Poutine porte atteinte non seulement à la Constitution russe, mais également à des principes bien établis du droit international.
13. L’Assemblée considère que la Fédération de Russie s’est progressivement transformée en un État qui interdit désormais toute opposition politique. En s’appuyant sur une propagande de type fasciste, le pays a instauré un culte de la personnalité autour de la figure de Vladimir Poutine. Par le détournement du système de justice pénale, le régime a supprimé tout pluralisme politique et médiatique; la société civile ne peut plus exister autrement que dans la clandestinité; et le régime est en train d’imposer un conformisme de masse, y compris par l’endoctrinement des enfants. Il présente à son peuple la vision dangereuse d’une Russie qui fait la part belle à la conquête impérialiste et va jusqu’à menacer d’anéantissement nucléaire ceux qu’il considère comme ses ennemis. Cette évolution, associée à un appareil de sécurité omniprésent, à une surveillance de masse de la société et à la répression brutale des manifestations pacifiques, a transformé la Fédération de Russie en ce que l’Assemblée considère comme un État totalitaire, dont le mode de fonctionnement ressemble à celui d’une organisation criminelle.
14. La prise de mesures urgentes et coordonnées est le seul moyen de contrer le régime totalitaire de Vladimir Poutine et sa guerre contre la démocratie. L’Ukraine doit immédiatement recevoir les armes et les munitions dont elle a besoin pour se défendre efficacement et réussir à repousser l’envahisseur russe.
15. L’Assemblée considère en outre qu’il convient de renforcer les sanctions contre la Fédération de Russie afin que son économie ne soit plus en mesure de financer sa guerre d’agression illégale. L’Assemblée salue la proposition de Mme Yulia Navalnaya d’appliquer aux complices du régime criminel de Vladimir Poutine les outils mis au point pour lutter contre la criminalité organisée, à savoir mener des enquêtes sur leurs montages financiers et rechercher leurs associés, avocats et partenaires financiers dans les États membres du Conseil de l’Europe et au-delà, afin d’empêcher le régime de se cacher derrière des personnalités juridiques et un réseau de sociétés-écrans.
16. L’Assemblée déplore le fait que, malgré l’imposition d’un régime de sanctions sans précédent, certains partenaires commerciaux de la Fédération de Russie continuent de lui donner accès aux technologies et aux capitaux occidentaux, ce qui lui permet de fabriquer des missiles de croisière et des drones qui sont utilisés sans discernement pour attaquer des villes, des zones résidentielles, des hôpitaux et des infrastructures essentielles en Ukraine. Par exemple, l’Assemblée est préoccupée par la forte augmentation des importations de microprocesseurs par le Kazakhstan, qui s’accompagne d’une augmentation similaire des exportations de microprocesseurs du Kazakhstan vers la Fédération de Russie. Elle s’alarme également des grandes quantités de pétrole brut exportées de la Fédération de Russie vers l’Inde puis vendues à l’Occident.
17. L'Assemblée condamne en outre les États qui continuent de soutenir la campagne de désinformation russe, notamment en justifiant sa guerre d'agression manifestement illégale contre l'Ukraine, diffusée dans divers forums internationaux, y compris l'Assemblée générale et le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, sapant ainsi la démocratie dans le monde entier.
18. Parallèlement, l’Assemblée est heureuse d’apprendre que des banques en Arménie, au Kazakhstan et à Hong Kong ont commencé à refuser des paiements d’entreprises russes pour des produits électroniques livrés à la Fédération de Russie. Elle invite l’ensemble des États et des institutions financières à surveiller de près toutes les transactions réalisées avec des entités russes afin de garantir l’efficacité du mécanisme de sanction.
19. L’Assemblée se félicite de l’approbation, le 12 mars 2024, d’une nouvelle directive de l’Union européenne visant à renforcer l’application des sanctions de l’Union européenne dans les États membres en érigeant en infractions pénales la violation et le contournement des sanctions. Elle salue également l’inscription récente des noms de dizaines de personnes impliquées dans la persécution d’Alexeï Navalny sur la liste des auteurs de violations des droits humains sanctionnés dans le cadre du régime de sanctions de l’Union européenne en matière de droits humains – liste qu’il a d’ailleurs été proposé de rebaptiser du nom d’Alexeï Navalny.
20. L’Assemblée estime que de nouvelles restrictions sont nécessaires pour empêcher l’économie russe de soutenir la guerre contre l’Ukraine. En particulier, l’Assemblée observe que les sanctions relatives au plafonnement du prix du pétrole brut russe n’ont eu qu’un effet limité. L’insuffisance des mécanismes de contrôle et de dissuasion a permis à la Fédération de Russie d’atténuer les effets des sanctions, notamment en utilisant une «flotte fantôme» de pétroliers et parce que le plafonnement du prix du pétrole brut russe reste établi à un niveau trop élevé.
21. En conséquence, l’Assemblée:
21.1. demande instamment à la Fédération de Russie:
21.1.1. d’autoriser une enquête internationale indépendante et transparente sur la mort d’Alexeï Navalny, y compris par le biais d’une commission d’enquête internationale qui pourrait être établie par des organes des Nations Unies ou d’autres organisations internationales;
21.1.2. de cesser de persécuter les membres de la famille, les collaborateurs et les partisans d’Alexeï Navalny en Fédération de Russie et à l’étranger;
21.2. appelle l’Union européenne et tous les États dotés de lois sur les sanctions ciblées de type Magnitski à inscrire sur leurs listes de sanctions les personnes directement responsables des persécutions, des mauvais traitements et de la mort d’Alexeï Navalny, et qui y ont participé, et invite tous les États qui n’ont pas encore adopté de telles lois à le faire sans plus tarder;
21.3. appelle tous les États à veiller à ce que la Fédération de Russie soit tenue responsable des actes systémiques de torture et d’autres formes de mauvais traitements qu’ont subi M. Navalny et des milliers d’autres prisonniers en Fédération de Russie, y compris des prisonniers de guerre ukrainiens, en recourant au mécanisme de règlement des différends prévu à l’article 30 (1), de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;
21.4. encourage les États membres et observateurs du Conseil de l'Europe à poursuivre les échanges de prisonniers afin d'obtenir la libération des prisonniers politiques en Fédération de Russie et au Bélarus, en donnant la priorité à Vladimir Kara-Mourza et à d'autres personnes qui ont de graves problèmes de santé (en soulignant en particulier le rôle que pourraient jouer l'Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis d'Amérique);
21.5. réitère son appel à mettre en place un mécanisme international pour indemniser les victimes de l'agression russe contre l'Ukraine, sur lequel les avoirs russes gelés devraient être rapidement transférés, et à créer un tribunal international spécial chargé d'enquêter et de poursuivre les dirigeants politiques et militaires de la Fédération de Russie pour le crime d'agression contre l'Ukraine.
21.6. appelle l’Union européenne et le G7 à durcir le régime de sanctions à l’encontre de la Fédération de Russie, un État soutenant le terrorisme, notamment:
21.6.1. en renforçant considérablement le régime de sanctions par l’abaissement du plafond des prix du pétrole, étant donné que les recettes provenant des exportations de pétrole constituent toujours une source importante de revenus pour le budget de l’État russe;
21.6.2. en infligeant des sanctions secondaires aux États, personnes physiques et morales qui, en connaissance de cause, permettent à la Fédération de Russie de se soustraire au plein effet des sanctions infligées à son économie, y compris en exportant des technologies, des munitions, des biens à double usage à des fins militaires et d’autres ressources utilisées par la Fédération de Russie pour soutenir sa guerre illégale d’agression contre l’Ukraine;
21.6.3. en créant un registre des États, personnes physiques et morales qui aident et encouragent la Fédération de Russie à se soustraire aux sanctions, notamment en lui permettant d'obtenir des biens à double usage à des fins militaires;
21.6.4. en appliquant à tous les pétroliers qui traversent leurs eaux les exigences obligatoires en vigueur en matière d’assurance contre les déversements d’hydrocarbures, afin de promouvoir le respect des sanctions relatives au plafonnement des prix et de protéger l’environnement contre les marées noires causées par des pétroliers vieillissants et mal assurés;
21.6.5. en supprimant tous les services fournis à l’industrie pétrolière et gazière russe afin de limiter sa production future de gaz naturel liquéfié et d’alourdir les coûts d’extraction du pétrole en Fédération de Russie;
21.6.6. en imposant des sanctions à la Bourse de Moscou ainsi qu’à Rosatom – un monopole d’État dans le domaine de l’énergie nucléaire qui a pris le contrôle de la plus grande centrale nucléaire d’Europe dans la région de Zaporijjia, en Ukraine, et qui s’en sert pour faire du chantage à l’Europe en agitant la menace d’une catastrophe nucléaire;
21.6.7. en soulignant que selon le droit humanitaire international, les raffineries de pétrole russes doivent être considérées comme des cibles légitimes d’attaques militaires;
21.7. invite les États-Unis d’Amérique – État observateur du Conseil de l’Europe – à veiller à ce que le projet de loi du Sénat sur l’aide étrangère, qui prévoit un soutien militaire à l’Ukraine, soit mis au vote sans plus tarder ou sinon à autoriser, dans les plus brefs délais, la fourniture de l’aide militaire et autre dont l’Ukraine a besoin;
21.8. encourage les États membres et observateurs du Conseil de l’Europe à partager entre eux tous les renseignements relatifs à l’ingérence de la Fédération de Russie dans les processus électoraux, y compris ses campagnes de désinformation, afin de repérer et de prévenir davantage ce type de pratique;
21.9. invite les États membres et observateurs du Conseil de l'Europe et l'Union européenne à renforcer les effets de la Résolution 2519 (2023) en reconnaissant formellement l'illégitimité de Vladimir Poutine en tant que Président de la Fédération de Russie;
21.10. invite les États membres du Conseil de l'Europe qui ne sont pas membres de l'Union européenne à s'aligner sur les sanctions imposées à la Fédération de Russie et à ses alliés dans le cadre du régime de sanctions de l'Union européenne en matière de droits humains;
21.11. appelle tous les États à appliquer au régime de Vladimir Poutine la législation existante en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux qui vise à combattre la criminalité organisée et le financement du terrorisme; à identifier toute personne privée ou morale susceptible d’être qualifiée de complice et à lui infliger de lourdes sanctions, y compris la confiscation de ses avoirs; et plus spécifiquement à adopter (si ce n’est déjà fait) et à appliquer une législation qui permet la confiscation des avoirs illicites sans condamnation préalable et le renversement de la charge de la preuve, comme le recommande l’Assemblée dans sa Résolution 2218 (2018);
21.12. appelle les États membres et observateurs du Conseil de l’Europe et l’Union européenne à renforcer le mécanisme de sanction contre le régime d’Alexandre Loukachenka au Bélarus, qui a permis à la Fédération de Russie d’utiliser son territoire pour lancer l’offensive contre Kiev en 2022 et qui continue de soutenir la guerre d’agression contre l’Ukraine;
22. L'Assemblée exprime sa solidarité et sa détermination à poursuivre le dialogue avec les forces démocratiques russes et bélarusses qui partagent les valeurs du Conseil de l’Europe et reconnaissent l’ordre international fondé sur des normes, notamment le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. A cet égard, l'Assemblée rappelle sa décision – énoncée dans sa Résolution 2530 (2023) «Un avenir démocratique pour le Bélarus» – de créer un·e Rapporteur·e général·e pour un Bélarus démocratique et d'autoriser une délégation représentative des forces démocratiques du Bélarus à prendre une part active à certains de ses travaux.
23. De même, l'Assemblée se félicite de l'initiative, prise par le Président de l'Assemblée et approuvée par le Bureau de l’Assemblée en octobre 2023, de mettre en place une plateforme de contact pour le dialogue avec les forces démocratiques russes et appelle à la création d'un·e Rapporteur·e général·e sur les forces démocratiques russes.

B. Exposé des motifs par M. Emanuelis Zingeris, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le présent rapport fait suite à une proposition de résolution déposée le 4 mars 2024 par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, étant entendu qu’elle serait débattue lors de la partie de session d’avril 2024 de l’Assemblée parlementaire selon la procédure d’urgence. Le même jour, la commission m’a désigné rapporteur sous réserve que le Bureau lui renvoie cette proposition pour rapport. Le Bureau l’a renvoyée à la commission pour rapport le 7 mars 2024 et ce renvoi a été ratifiée par l’Assemblée.
2. La proposition de résolution rappelle que M. Navalny est mort le 16 février 2024, trois ans jour pour jour après que la Cour européenne des droits de l’homme a indiqué une mesure provisoire et ordonné aux autorités russes de le libérer en raison du risque que sa détention représentait pour sa vie. Elle précise que sa détention arbitraire fondée sur des accusations forgées de toutes pièces et la tentative d’assassinat perpétrée en 2020 à l’aide d’un agent neurotoxique, orchestrée par un escadron de la mort du FSB (le Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie), ne laissent planer aucun doute sur le fait que le régime de Vladimir Poutine porte l’entière responsabilité de sa mort. La proposition de résolution indique en outre que «[l]a mort de M. Navalny survient à un moment où l’envahisseur russe poursuit sa guerre d’agression contre l’Ukraine, où la société civile russe est pour l’essentiel contrainte d’œuvrer dans la clandestinité et où le nombre de détenus politiques en Fédération de Russie ne cesse d’augmenter. Parmi ces détenus politiques figurent non seulement Vladimir Kara-Mourza 
			(2) 
			Voir
Doc. ... «La détention arbitraire de Vladimir Kara-Mourza et la
persécution systématique des manifestants anti-guerre en Fédération
de Russie et au Bélarus» (rapporteure: Mme Thórhildur
Sunna Ævarsdóttir (Islande, SOC))., un responsable politique éminent de l’opposition russe associé à l’homme politique assassiné Boris Nemtsov, et Ilya Yashin, une autre personnalité de l’opposition, mais également des citoyens ordinaires assez courageux pour s’opposer à la guerre.» Depuis la date à laquelle la proposition a été déposée, la Fédération de Russie a incarcéré Oleg Orlov, défenseur de renom des droits humains et président du Centre Memorial pour les droits humains, une organisation co-lauréate du prix Nobel de la paix. La condamnation de M. Orlov pour «avoir discrédité à plusieurs reprises les forces armées russes» ne peut être qualifiée que de parodie de justice, comme l’a observé très justement M. Orlov lui-même, qui lisait ostensiblement Le Procès de Franz Kafka pendant les débats. De toute évidence, les sanctions infligées à la Fédération de Russie par la communauté internationale restent insuffisantes pour contrer ses dirigeants totalitaires. La proposition de résolution conclut en invitant l’Assemblée à «envisager de nouveaux moyens d’arrêter la machine de guerre russe et de veiller à ce que l’État russe, ses dirigeants et ceux qui soutiennent l’appareil d’oppression de Vladimir Poutine soient pleinement tenus de rendre compte de leur mépris éhonté des droits de l’homme et de l’ordre juridique international. L’Assemblée devrait trouver les moyens d’établir un dialogue avec les représentants légitimes du peuple russe qui s’opposent au régime de Poutine. L’Assemblée doit à la mémoire d’Alexeï Navalny de suivre les informations relatives à sa mort révélées au fil du temps et de tirer les conclusions qui s’imposent, y compris la nécessité éventuelle de sanctions supplémentaires et plus lourdes pour dissuader et affaiblir l’appareil répressif criminel du régime et pour entraver la poursuite de la guerre d’agression contre l’Ukraine.»
3. Ainsi, le présent rapport portera non seulement sur la mort de M. Navalny et la nécessité d’infliger des sanctions ciblées («sanctions Magnitski») à l’encontre des personnes responsables de sa persécution, de ses mauvais traitements et de sa disparition, mais il replacera aussi ce crime dans un contexte plus large et présentera une série de mesures à prendre pour contrer le régime totalitaire de Vladimir Poutine et la guerre qu’il mène contre la démocratie.

2. La détention illégale, les mauvais traitements et la mort d’Alexeï Navalny

4. En 2020, Alexeï Navalny, figure importante de l’opposition russe, militant de la société civile et de la lutte contre la corruption, avocat et prisonnier politique, a survécu à une tentative d’assassinat perpétrée par un escadron de la mort du FSB au moyen d’un agent neurotoxique chimique interdit 
			(3) 
			Voir «Empoisonnement
d’Alexeï Navalny» et «L’arrestation et la détention d’Alexeï Navalny
en janvier 2021» (rapporteur: M. Jacques Maire, France, ADLE), Doc. 15434 et Résolution 2423
(2022); Doc. 15270 et Résolution 2375 (2021).. Le 17 janvier 2021, après son rétablissement, il a pris la décision courageuse de retourner en Fédération de Russie où il a été placé en détention dès son arrivée sur la base d’une condamnation avec sursis que la Cour européenne des droits de l’homme avait déjà jugée contraire à l’article 7 (pas de peine sans loi) de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5).
5. Les détails de l’arrestation puis de la détention de M. Navalny sont exposés dans un rapport rédigé par notre ancien collègue, M. Jacques Maire 
			(4) 
			Ibid.. Je ne répéterai pas ici le contenu de ce rapport, mais je privilégierai les événements qui ont suivi.
6. Le 9 juin 2021, les bureaux du réseau régional de M. Navalny ainsi que sa Fondation anticorruption (FBK) ont été qualifiés d’organisations extrémistes et dissous par le tribunal de Moscou 
			(5) 
			<a href='https://www.bbc.com/news/world-europe-57422346'>www.bbc.com/news/world-europe-57422346#</a>.. Les avoirs de ces entités ont été confisqués et liquidés. En janvier 2022, M. Navalny et 11 de ses collaborateurs ont été officiellement désignés comme étant «extrémistes et terroristes» (au même titre que les militants d’Al-Qaida et de Daech) 
			(6) 
			<a href='https://www.rferl.org/a/russia-navalny-terrorists-extremists/31670205.html'>www.rferl.org/a/russia-navalny-terrorists-extremists/31670205.html</a>.. Cette mesure a fait suite à la qualification antérieure identique de Leonid Volkov et Ivan Zhdanov, deux collaborateurs clés de M. Navalny.
7. Le 22 mars 2022, M. Navalny a été reconnu coupable d’outrage au tribunal et de détournement de fonds et condamné à une peine de neuf ans dans une prison de haute sécurité. Son procès, qui s’est tenu dans une salle d’audience improvisée à l’intérieur de la colonie pénitentiaire où il était détenu, a été qualifié à juste titre de «mascarade» par Amnesty International 
			(7) 
			<a href='https://www.bbc.com/news/world-europe-60832310'>www.bbc.com/news/world-europe-60832310</a>.. En juin 2022, M. Navalny a été transféré dans la colonie pénitentiaire de haute sécurité IK-6 à Melekhovo, dans l’oblast de Vladimir (à 235 km à l’est de Moscou) 
			(8) 
			<a href='https://www.reuters.com/world/europe/jailed-kremlin-critic-navalny-transferred-unknown-location-2022-06-14/'>www.reuters.com/world/europe/jailed-kremlin-critic-navalny-transferred-unknown-location-2022-06-14/</a>..
8. Le 4 août 2023, à l’issue d’un autre simulacre de procès tenu à huis clos, M. Navalny a été reconnu coupable d’incitation publique à des activités extrémistes et de financement de celles-ci, ainsi que de «réhabilitation de l’idéologie nazie», et a été condamné à une peine supplémentaire de 19 ans dans une colonie pénitentiaire à «régime spécial».
9. En décembre 2023, M. Navalny a été exfiltré de la colonie pénitentiaire IK-6 à Melekhovo et a disparu pendant plusieurs semaines, ce qui a laissé craindre une disparition forcée. Après avoir passé 19 jours au secret pendant son transfèrement, M. Navalny est arrivé dans la soirée du 23 décembre 2023 à la colonie pénitentiaire FKU IK-3, située dans une région isolée de la Sibérie. L’établissement (également appelé «Polar Wolf») a été construit en 1961 sur le site de l’ancien goulag 501, un camp de travail de l’ère stalinienne qui avait accueilli des millions de prisonniers à l’époque soviétique. Il est situé dans la localité de Kharp, au-delà du cercle polaire arctique, dans le centre-nord de la Sibérie. Selon les défenseurs des droits humains, la prison accueille des tueurs en série, des violeurs, des pédophiles, des récidivistes et d’autres criminels dangereux condamnés à de longues peines. Pour autant, M. Navalny n’est pas le premier prisonnier politique à y avoir été envoyé. Platon Lebedev, un ancien partenaire commercial de l’ex-propriétaire de Ioukos et ancien prisonnier politique Mikhail Khodorkovsky, a passé deux ans à «Polar Wolf» en 2005 et 2006. Cette colonie pénitentiaire est connue pour ses conditions de détention très dures.
10. En s’appuyant notamment sur le témoignage d’un ancien détenu de la colonie IK-3, les défenseurs et défenseuses des droits des détenus ont dénoncé les pratiques assimilables à de la torture couramment employées par le personnel de la colonie. Par exemple, en hiver, les prisonniers étaient sommairement rassemblés dans la cour en tenue légère; on leur ordonnait de rester immobiles, en formation, et il leur était interdit de se frictionner les mains. Ils étaient contraints de rester sans bouger pendant 30 ou 40 minutes par des températures de moins 45 degrés Celsius, voire plus froides. Si une personne bougeait, tout le groupe était aspergé d’eau 
			(9) 
			<a href='https://www.rferl.org/a/russia-navalny-arctic-polar-wolf-prison/32749723.html'>www.rferl.org/a/russia-navalny-arctic-polar-wolf-prison/32749723.html</a>..
11. Au cours de son emprisonnement illégal, M. Navalny – en plus d’être privé de sommeil et de soins médicaux appropriés – a souvent été puni pour de prétendues infractions mineures et placé en cellule disciplinaire (shtrafnoy izolyator ou «SHIZO»). Quelques jours avant sa mort, M. Navalny a de nouveau été sanctionné par un placement en SHIZO pendant 15 jours. Selon Mme Kira Yarmysh (amie et partisane de M. Navalny), c’était la 27e fois que cette situation se produisait depuis son incarcération trois ans plus tôt. Si l’on compte cette dernière période, M. Navalny aurait passé au total 308 jours en SHIZO. Officiellement, cette mesure – qui est une forme d’«emprisonnement dans la prison» – est censée n’être utilisée qu’à titre exceptionnel et après que toutes les précautions ont été prises. Pourtant, M. Navalny a été placé en SHIZO de manière régulière et arbitraire.
12. Les conditions de vie en SHIZO peuvent être comparées à celles des prisonniers politiques de l’ère soviétique dans le vaste réseau des goulags. Dans un message publié sur X (anciennement Twitter) en août 2022, M. Navalny décrivait comme suit la cellule disciplinaire dans laquelle il avait été incarcéré dans la colonie pénitentiaire IK-6: «C’est une boîte en béton de 2,5 mètres sur 3. La plupart du temps, c’est insupportable parce qu’il fait froid et humide. Il y a de l’eau sur le sol. J’ai droit à la version plage – il fait très chaud et il n’y a presque pas d’air. La fenêtre est minuscule et les murs sont trop épais pour que l’air puisse circuler – même les toiles d’araignée ne bougent pas. Il n’y a pas de ventilation. La nuit, on s’allonge et on se sent comme un poisson sur le rivage. La couchette en fer est fixée au mur, comme dans un train, mais le levier qui l’abaisse est à l’extérieur. À 5 heures du matin, ils viennent enlever le matelas et l’oreiller (qu’ils appellent «équipement souple») et remonter la couchette. À 21 heures, ils ramènent le matelas et la couchette est à nouveau abaissée. Il y a une table et un banc en fer, un évier, un trou dans le sol et deux caméras fixées au plafond. Pas de visites, pas de lettres, pas de colis. C’est le seul endroit de la prison où il est même interdit de fumer. On ne me donne du papier et un stylo que pendant 1 heure et 15 minutes chaque jour. La «promenade» ne dure qu’une heure dans une cellule similaire, mais avec un coin de ciel au-dessus de la tête. Les fouilles sont incessantes. Je dois toujours garder les mains derrière le dos» 
			(10) 
			<a href='https://twitter.com/navalny/status/1559170813189832706'>https://twitter.com/navalny/status/1559170813189832706</a>..
13. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) considère que la durée maximale du placement à l’isolement ne devrait pas excéder 14 jours pour une infraction donnée et devrait de préférence être plus courte. En outre, il devrait être interdit d’infliger des sanctions disciplinaires successives qui entraînent une période d’isolement ininterrompue supérieure à la durée maximale 
			(11) 
			21e Rapport
général du Comité européen pour la prévention de la torture et des
peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) (CPT/Inf (2011)
28), paragraphe 56.. De même, dans un arrêt concernant les sanctions disciplinaires dans les prisons russes, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que le placement répété en cellule d’isolement constituait un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 de la Convention 
			(12) 
			Voir Razvyazkin c. Russie, no 13579/09,
3 juillet 2012, paragraphe 108..
14. Le 16 février 2024, à 14 h 19, heure de Moscou (12 h 19, heure d’Europe centrale (CET)), le service pénitentiaire fédéral du district autonome de Yamalo-Nenets a publié un communiqué de presse indiquant que M. Navalny «s’était senti mal après une promenade et avait presque immédiatement perdu connaissance» avant de décéder. Selon l’avis de décès officiel envoyé à la mère de M. Navalny, ce dernier serait décédé ce même jour à 14 h 17 heure locale (10 h 17 CET). La cause officielle du décès communiquée à la mère de M. Navalny et à son avocat est le «syndrome de mort subite». Une source anonyme a déclaré au journal Russia Today, contrôlé par l’État, que le décès de M. Navalny avait été causé par un caillot de sang.
15. Novaya Gazeta Europe, un média russe indépendant, indique être entré en contact avec un détenu qui lui a confié qu’une «mystérieuse agitation» avait éclaté dans le «Polar Wolf» la veille de la mort de M. Navalny. Par la suite, les mesures de sécurité ont été renforcées et les cellules ont été fouillées de fond en comble. Selon la source du média, l’ambulance ne serait arrivée qu’après l’annonce publique de la mort de M. Navalny 
			(13) 
			<a href='https://novayagazeta.eu/articles/2024/02/18/a-mysterious-commotion-en'>https://novayagazeta.eu/articles/2024/02/18/a-mysterious-commotion-en</a>.. Gulagu.net (un groupe de défense des droits humains) a signalé que plusieurs caméras de la colonie pénitentiaire IK-6 ne fonctionnaient pas le jour de la mort de M. Navalny. Selon sa source, le 14 février 2024, des agents du FSB se sont rendus dans la colonie où ils ont déconnecté et démantelé les dispositifs d’écoute et les caméras cachées «qui auraient pu enregistrer ce qui est arrivé à Alexeï Navalny les 15 et 16 février». Gulagu.net affirme également que dans la soirée du 16 février, l’expert chargé de l’autopsie a reçu l’instruction verbale de déclarer que les ecchymoses sur le corps d’Alexeï Navalny étaient survenues post mortem 
			(14) 
			<a href='https://meduza.io/en/news/2024/02/17/several-prison-cameras-not-working-on-day-of-navalny-s-death-says-human-rights-group-gulagu-net'>https://meduza.io/en/news/2024/02/17/several-prison-cameras-not-working-on-day-of-navalny-s-death-says-human-rights-group-gulagu-net</a>..
16. Nous ne disposons d’aucune information sur l’ouverture d’une enquête en bonne et due forme sur les circonstances de la mort de M. Navalny.

3. Les suites du décès d’Alexeï Navalny

17. Malgré la législation rigoureuse adoptée au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie, visant à dissuader la société russe d’organiser des manifestations, et la brutalité bien connue de la police, des milliers de personnes ont déposé des fleurs sur les monuments dédiés aux victimes de la répression soviétique, dans une réaction spontanée à la mort de M. Navalny. Selon les données recueillies par OVD-Info (un groupe russe de défense des droits humains), 649 personnes ont été arrêtées par la police au cours des différentes veillées organisées dans toute la Fédération de Russie pour rendre hommage à M. Navalny 
			(15) 
			<a href='https://en.ovdinfo.org/navalny-vigil-counter'>https://en.ovdinfo.org/navalny-vigil-counter</a>.. D’après les médias polonais, à Saint-Pétersbourg, les consuls généraux d’Allemagne, de Norvège et de Pologne ont été menacés d’arrestation pour avoir participé à un «événement non autorisé», lorsqu’ils ont décidé de déposer des fleurs devant la pierre de Solovetsky, un monument dédié aux détenus du goulag, aux victimes de la terreur communiste et aux combattants de la liberté 
			(16) 
			<a href='https://polskieradio24.pl/artykul/3343256,rosja-ambasador-rp-na-pogrzebie-nawalnego-pojawily-sie-grozby-ze-strony-policji'>https://polskieradio24.pl/artykul/3343256,rosja-ambasador-rp-na-pogrzebie-nawalnego-pojawily-sie-grozby-ze-strony-policji</a>.. De nombreuses vidéos ont été diffusées, où l’on voit des personnes avec des fleurs à la main à proximité de monuments dédiés aux victimes du régime soviétique, brutalement appréhendées et emmenées par la police anti-émeute.

3.1. Rétention du corps de M. Navalny et obstruction à l’organisation de ses funérailles

18. Le lendemain de la mort de M. Navalny, sa mère (Lyudmila Navalnaya), accompagnée d’un avocat, s’est rendue au «Polar Wolf» où on lui a indiqué que le corps de son fils avait déjà été transporté à la morgue de Salekhard. À son arrivée, elle a constaté que la morgue était fermée et a été informée par téléphone que le corps de M. Navalny ne s’y trouvait pas. Le bureau d’examen médico-légal de Salekhard a également affirmé n’avoir reçu aucun corps des colonies pénitentiaires de la région 
			(17) 
			<a href='https://meduza.io/en/news/2024/02/17/navalny-s-press-secretary-says-his-body-not-in-morgue-where-prison-claimed-to-send-it'>https://meduza.io/en/news/2024/02/17/navalny-s-press-secretary-says-his-body-not-in-morgue-where-prison-claimed-to-send-it</a>.. Selon Mme Yarmysh, les avocats de M. Navalny ont été informés par le Comité national d’enquête de la Fédération de Russie que l’enquête sur sa mort était close et qu’«aucune activité criminelle n’avait été décelée». Une heure plus tard, le même Comité national d’enquête a déclaré que la cause du décès de M. Navalny n’avait «pas été déterminée» et que son corps ne serait pas remis à sa famille tant que l’enquête n’était pas terminée 
			(18) 
			<a href='https://meduza.io/en/news/2024/02/17/over-24-hours-after-navalny-s-death-nobody-can-find-his-body-here-s-what-we-know'>https://meduza.io/en/news/2024/02/17/over-24-hours-after-navalny-s-death-nobody-can-find-his-body-here-s-what-we-know</a>.. Puis, le 19 février 2024, le Comité d’enquête de la Fédération de Russie a annoncé que le corps serait soumis à une «expertise chimique» qui pourrait prendre 14 jours. Pour Yulia Navalnaya (l’épouse d’Alexeï Navalny), le retard dans la remise du corps de son époux s’explique par la nécessité pour les autorités de s’assurer de la disparition de toute trace des substances chimiques interdites utilisées pour l’empoisonner 
			(19) 
			<a href='https://www.bbc.com/news/world-europe-68344582'>www.bbc.com/news/world-europe-68344582</a>..
19. Le 22 février 2024, Lyudmila Navalnaya a publié un enregistrement dans lequel elle déclarait que les autorités l’avaient autorisée à voir le corps de son fils (dans une morgue à Salekhard), où elle avait également signé un certificat de décès qui évoquait une «cause naturelle». Mme Navalnaya a également affirmé que les fonctionnaires l’avaient menacée d’enterrer M. Navalny dans la colonie pénitentiaire ou de laisser son corps se décomposer si elle n’acceptait pas d’organiser des funérailles secrètes, bien que la loi oblige les autorités à remettre le corps à la famille 
			(20) 
			<a href='https://novayagazeta.eu/articles/2024/02/22/navalnys-mother-says-russian-authorities-want-to-bury-him-in-secret-en-news'>https://novayagazeta.eu/articles/2024/02/22/navalnys-mother-says-russian-authorities-want-to-bury-him-in-secret-en-news</a>..
20. Le corps de M. Navalny a finalement été remis à sa famille le 24 février 2024. Dans les jours qui ont suivi, ses proches ont essayé d’organiser ses funérailles, mais ils se sont heurtés à de nombreux refus de la part d’entreprises de pompes funèbres moscovites, vraisemblablement à la suite d’une campagne d’intimidation orchestrée par le Kremlin 
			(21) 
			<a href='https://www.politico.eu/article/navalnys-funeral-agencies-banned-hosting-opposition-leaders-body/'>www.politico.eu/article/navalnys-funeral-agencies-banned-hosting-opposition-leaders-body/</a>.. Le 27 février 2024, un avocat qui avait soutenu Mme Navalnaya dans ses tentatives pour récupérer le corps de son fils, M. Vasily Dubkov, a été brièvement détenu à Moscou, puis relâché.
21. Alexeï Navalny a finalement été inhumé le 1er mars 2024 au cimetière Borisovskoye de Moscou, après une cérémonie en l’église de l’Icône de la Mère de Dieu dans le quartier de Maryino. Les funérailles se sont déroulées en présence des parents de M. Navalny, de plusieurs diplomates occidentaux, des candidats de l’opposition à l’élection présidentielle Boris Nadezhdin et Yekaterina Duntsova (finalement écartés des élections) et – malgré une forte présence policière et les menaces de représailles – de milliers de Russes, dont beaucoup ont scandé des slogans anti-Poutine et antiguerre.

3.2. Promotion des fonctionnaires responsables de la persécution et des mauvais traitements infligés à M. Navalny

22. Le 19 février 2024, trois jours seulement après la mort d’Alexeï Navalny, le directeur adjoint du Service pénitentiaire fédéral russe (FSIN), Valery Boyarinev, a été promu au grade de colonel général 
			(22) 
			<a href='https://www.rferl.org/a/putin-promotes-deputy-chief-russia-prisons-navalny-death/32827360.html'>www.rferl.org/a/putin-promotes-deputy-chief-russia-prisons-navalny-death/32827360.html</a>.. Selon M. Zhdanov, M. Boyarinev a personnellement supervisé les mauvais traitements systématiques infligés à M. Navalny en détention et sa promotion est venue récompenser le zèle avec lequel il s’est acquitté de cette tâche. Quelques jours plus tard, un enquêteur responsable de la persécution de M. Navalny et de la FBK, M. Roman Vidyukov, a été promu au poste de chef adjoint du Comité national d’enquête de la Fédération de Russie 
			(23) 
			<a href='https://novayagazeta.eu/articles/2024/02/27/chief-investigator-in-multiple-cases-against-navalny-receives-promotion-en-news'>https://novayagazeta.eu/articles/2024/02/27/chief-investigator-in-multiple-cases-against-navalny-receives-promotion-en-news</a>.. Le 22 mars 2024, les noms de M. Vidyukov et de M. Boyarinev ont été ajoutés sur la liste des personnes sanctionnées par l’Union européenne pour leur implication dans la persécution de M. Navalny 
			(24) 
			Règlement
d’exécution (UE) 2024/952 du Conseil du 22 mars 2024 mettant en
œuvre le règlement (UE) 2020/1998 concernant des mesures restrictives
en réaction aux graves violations des droits de l’homme et aux graves
atteintes à ces droits. Disponible à l’adresse suivante: <a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/TXT/HTML/?uri=OJ:L_202400952'>https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/TXT/HTML/?uri=OJ:L_202400952</a>..

3.3. Négociations en vue de l’intégration de M. Navalny dans un échange de prisonniers

23. Peu après la mort d’Alexeï Navalny, Maria Pevchikh (sa collaboratrice) a indiqué que M. Navalny était sur le point d’être échangé (en compagnie de deux citoyens américains dont l’identité n’a pas été révélée) contre Vadim Krasikov, un assassin russe condamné à perpétuité pour meurtre en Allemagne. Dans un entretien accordé au Financial Times, Dmitry Peskov (le porte-parole du Kremlin) a réfuté cette information. Le 17 mars 2024, Vladimir Poutine lui-même a confirmé qu’il avait accepté d’échanger M. Navalny, à condition qu’il ne revienne jamais en Fédération de Russie 
			(25) 
			<a href='https://www.bbc.com/news/world-europe-68595334'>www.bbc.com/news/world-europe-68595334</a>..

4. La transition de la Russie de Vladimir Poutine vers un État totalitaire

24. Benito Mussolini, le dictateur fasciste de l’Italie, a un jour résumé l’essence du totalitarisme par la formule suivante: «tout dans l’État, rien hors de l’État, rien contre l’État», qui souligne le contrôle total de l’État sur tous les aspects de la société. Après plus de 20 ans d’emprise de Vladimir Poutine sur la Fédération de Russie, la transition de ce pays vers un État totalitaire semble achevée.
25. Vladimir Poutine jouit d’un pouvoir et d’une influence illimités en Fédération de Russie et la machine de propagande étatique promeut le culte de sa personnalité en le présentant comme un dirigeant fort et hyper-masculin, un modèle à suivre pour tous les hommes russes. Le rôle de la Douma d’État et du Conseil de la Fédération (tous deux étroitement contrôlés par le parti Russie Unie, présidé par le fidèle serviteur de Vladimir Poutine, l’ancien président et Premier ministre Dmitri Medvedev) se limite à donner une apparence de légitimité démocratique en approuvant toutes les décisions prises par Vladimir Poutine. Toute forme de dissidence est considérée comme un acte hostile et l’existence d’une opposition politique significative n’est pas tolérée. Le pouvoir judiciaire est tout sauf indépendant, puisque sa priorité absolue est d’exécuter la volonté de ses maîtres politiques. La liberté des médias est inexistante 
			(26) 
			En 2023, la Fédération
de Russie occupait la 164e place sur
180 pays dans le classement mondial de la liberté de la presse de
Reporters sans frontières. Disponible à l’adresse suivante: <a href='https://rsf.org/fr/classement'>https://rsf.org/fr/classement</a>. et l’expression d’opinions dissidentes peut entraîner une peine d’emprisonnement de 25 ans (comme ce fut le cas pour Vladimir Kara-Mourza, emprisonné pour avoir critiqué la guerre d’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine). L’appareil de sécurité omniprésent veille à ce que la population se conforme aux politiques de l’État et la police est autorisée à opérer en dehors des contraintes imposées par la loi. Le recours à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements est généralisé, comme nous le verrons plus loin.
26. La Russie de Vladimir Poutine poursuit un objectif de conquête impérialiste et impose à sa société la vision erronée d’une «menace occidentale», par le biais d’une propagande systématique qui va jusqu’à l’endoctrinement des enfants. Chaque semaine, les écoles de Fédération de Russie commencent leurs cours par une cérémonie de lever du drapeau suivie d’une leçon intitulée «Conversations sur les choses importantes». Ce programme affirme que l’État est la source d’information qui fait le plus autorité dans tous les domaines et les enseignants ou chefs d’établissement qui refusent d’obéir ou de punir les pensées indépendantes (non conformes à la politique de l’État) sont démis de leurs fonctions sans préavis ou qualifiés d’«agents étrangers» 
			(27) 
			<a href='https://www.wilsoncenter.org/blog-post/russian-schools-time-war-lesson-indoctrination'>www.wilsoncenter.org/blog-post/russian-schools-time-war-lesson-indoctrination</a>..
27. À l’instar de l’Allemagne nazie, la Fédération de Russie a recruté dans ses rangs des milliers de dangereux criminels pour combattre dans le cadre de son invasion illégale de l’Ukraine. Tout comme la brigade Dirlewanger de la Waffen-SS (composée de repris de justice et placée sous le commandement d’un pédophile condamné, responsable entre autres du massacre de 100 000 civils lors du soulèvement de Varsovie en 1944), le Groupe russe Wagner a été impliqué dans un grand nombre d’atrocités et de probables actes de terreur en Ukraine, qui font l’objet d’un rapport à venir 
			(28) 
			Doc. 15720, «Le “Groupe Wagner” russe doit être déclaré organisation
terroriste». Cette proposition de résolution sera examinée dans
le cadre du rapport à venir intitulé «Questions juridiques et violations
des droits de l’homme liées à l’agression de la Fédération de Russie
contre l’Ukraine» (rapporteur: M. Davor Ivo Stier, Croatie, PPE/DC)..
28. Lors de la prétendue «élection présidentielle russe» des 15-17 mars 2024, des bureaux de vote ont été ouverts dans le territoire ukrainien illégalement occupé ainsi que dans les unités administratives-territoriales moldaves de la rive gauche du Dniestr, en violation flagrante de la Charte des Nations Unies et du principe de l’égalité souveraine des États. Sans grande surprise, le «résultat» officiel a accordé 87,28 % des suffrages à Vladimir Poutine 
			(29) 
			<a href='https://www.themoscowtimes.com/2024/03/21/russian-election-officials-declare-putin-winner-of-presidential-race-a84554'>www.themoscowtimes.com/2024/03/21/russian-election-officials-declare-putin-winner-of-presidential-race-a84554</a>.. En Tchétchénie (une région dirigée par un autre allié radical de M. Poutine, Ramzan Kadyrov), Vladimir Poutine a remporté 98,99 % des voix, avec un taux de participation de 97 % 
			(30) 
			<a href='https://www.lemonde.fr/international/article/2024/03/18/vladimir-poutine-renforce-et-tout-puissant-recoit-un-nouveau-mandat-de-chef-de-guerre_6222575_3210.html'>www.lemonde.fr/international/article/2024/03/18/vladimir-poutine-renforce-et-tout-puissant-recoit-un-nouveau-mandat-de-chef-de-guerre_6222575_3210.html</a>.. Tous les opposants sérieux, y compris M. Nadezhdin, ont été exclus du scrutin.
29. Malgré la répression qui frappe l’opposition politique, des milliers de Russes ont suivi l’appel d’Alexeï Navalny et ont protesté pacifiquement, de façon symbolique, contre le régime de Vladimir Poutine en se rendant dans les bureaux de vote à midi précise. De nombreuses images montrant de longues files d’attente devant les bureaux de vote témoignent de cette adhésion à la mémoire de M. Navalny et d’un rejet explicite du régime par une partie au moins de la population.

5. Autres mesures destinées à contrer le régime totalitaire de Vladimir Poutine et sa guerre contre la démocratie

30. La mort d’Alexeï Navalny est survenue au moment où les troupes russes réalisaient des avancées significatives sur le front oriental en Ukraine après avoir conquis les ruines d’Avdiivka et plusieurs autres villes ukrainiennes. Les troupes ukrainiennes continuent d’opposer une résistance héroïque à l’envahisseur russe, mais restent largement dépassées sur le plan militaire et souffrent d’une forte pénurie de munitions qui ne cesse de s’aggraver. Le moment du décès de M. Navalny peut difficilement être attribué au hasard. Vladimir Poutine semble vouloir faire passer le message qu’il peut faire ce qu’il veut sans que personne ne puisse se mettre en travers de son chemin. La mort d’Alexeï Navalny a été suivie, le 12 mars 2024, de l’agression au marteau et au gaz lacrymogène de son collaborateur M. Volkov, devant son domicile à Vilnius 
			(31) 
			À cet égard, vous pouvez
lire ma <a href='https://pace.coe.int/fr/news/9400/pace-rapporteur-condemns-attack-against-leonid-volkov-and-calls-for-the-protection-of-russian-dissidents'>déclaration
du 13 mars 2024</a> qui condamne cette agression et appelle à la protection
des dissidents russes.. L’agence de renseignement lituanienne a déterminé qu’il s’agissait probablement d’une opération organisée et mise en œuvre par la Fédération de Russie. Dans ce contexte, les propositions énoncées dans mon rapport visent donc à demander des comptes aux responsables de l’assassinat d’Alexeï Navalny, mais aussi à aborder plus largement les circonstances qui entourent sa disparition.

5.1. Les sanctions Magnitski

31. Dans sa Résolution 2252 (2019), l’Assemblée a appelé tous les États membres à envisager d’adopter des instruments juridiques permettant à leur gouvernement d’imposer des sanctions ciblées aux personnes considérées comme personnellement responsables de graves violations des droits humains pour lesquelles elles jouissent de l’impunité pour des motifs politiques ou en raison de pratiques de corruption. Étant donné que de nombreuses personnes impliquées dans la persécution et les mauvais traitements infligés à Alexeï Navalny sont bien connues et jouissent d’une impunité comme complices du régime de Vladimir Poutine, il ne fait aucun doute qu’elles devraient être la cible de telles mesures. L’Union européenne a récemment sanctionné 32 personnes directement impliquées, dont certaines figurent également sur la liste jointe au présent rapport 
			(32) 
			Règlement
d’exécution (UE) <a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/TXT/HTML/?uri=OJ:L_202400952'>2024/952</a> du Conseil, op. cit<a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/TXT/HTML/?uri=OJ:L_202400952'></a>..

5.2. Demander des comptes à la Fédération de Russie pour ses violations graves et systématiques de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

32. Le recours systématique de la Fédération de Russie à la torture et les conditions inhumaines de détention dans le pays sont bien connus. Les prisonniers politiques et les ennemis du régime sont toutefois punis de façon particulièrement sévère. En 2015, un cinéaste ukrainien, Oleg Sentsov, a été condamné par un tribunal russe à 20 ans de prison à l’issue d’un simulacre de procès pour «terrorisme» (il avait exprimé son opposition à l’occupation de la Crimée par la Fédération de Russie). Pendant sa détention, les autorités pénitentiaires russes l’ont maltraité physiquement, allant quasiment jusqu’à l’asphyxier, et l’ont menacé de le torturer, de le violer et de le tuer pour lui extorquer des aveux 
			(33) 
			<a href='https://www.atlanticcouncil.org/blogs/ukrainealert/why-we-must-speak-out-about-oleg-sentsov-now/'>www.atlanticcouncil.org/blogs/ukrainealert/why-we-must-speak-out-about-oleg-sentsov-now/</a>.. En octobre 2021, Gulagu.net a publié plus de 40 gigaoctets de vidéos secrètes qui montrent des passages à tabac, des viols et des actes de torture commis sur des détenus dans des prisons et des centres de détention provisoire en Fédération de Russie 
			(34) 
			<a href='https://www.rferl.org/a/russia-prison-torture-videos-testimony/31515035.html'>www.rferl.org/a/russia-prison-torture-videos-testimony/31515035.html</a>.. Un rapport rédigé par notre collègue, M. Constantinos Efstathiou (Chypre, SOC), dresse un bilan glaçant de l’usage systémique de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants dans les lieux de détention en Fédération de Russie 
			(35) 
			Voir Doc. 15880 et Résolution 2528
(2024) «Allégations
de torture systémique et de peines ou traitements inhumains ou dégradants
dans les lieux de détention en Europe».. Le mois dernier, la Mission de surveillance des droits de l’homme des Nations Unies en Ukraine a publié un rapport révélant une recrudescence des allégations crédibles de torture et d’exécution de prisonniers de guerre ukrainiens aux mains de leurs ravisseurs russes. Selon la cheffe de cette mission, presque tous les prisonniers de guerre ukrainiens interrogés ont raconté comment ils avaient été torturés pendant leur captivité par des militaires ou des fonctionnaires russes, qui leur infligeaient de manière répétée des coups, des chocs électriques, des menaces d’exécution, des positions douloureuses prolongées et des simulacres d’exécution. Plus de la moitié d’entre eux été soumis à des violences sexuelles 
			(36) 
			Haut-Commissariat des
Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH). «<a href='https://ukraine.un.org/en/264355-report-human-rights-situation-ukraine-1-december-2023-29-february-2024'>Report
on the Human Rights Situation in Ukraine: 1 December 2023 to 29
February 2024</a>»..
33. Les exemples ci-dessus montrent clairement que la Fédération de Russie applique systématiquement la torture et d’autres formes de mauvais traitements dans son système pénitentiaire, en violation flagrante des obligations qui lui incombent en vertu de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (la «Convention contre la torture»). Dans le même temps, elle n’autorise pas les experts internationaux à enquêter sur les allégations des victimes 
			(37) 
			Ibid.. La Convention contre la torture prévoit une série d’obligations lorsqu’il existe des motifs raisonnables de penser qu’un acte de torture a été commis – notamment les obligations d’enquêter, de poursuivre (ou d’extrader) et de prévenir de tels actes à l’avenir. Il ne fait aucun doute que la Fédération de Russie manque délibérément et constamment à ces obligations.
34. La Fédération de Russie est membre des Nations Unies et liée par le Statut de la Cour internationale de Justice (CIJ), y compris l’article 36 (1), qui prévoit que la compétence de la CIJ «s’étend […] à tous les cas spécialement prévus dans […] les traités et conventions en vigueur». Elle est également partie, depuis 1987, à la Convention contre la torture, dont l’article 30 (1) comprend une clause compromissoire pertinente 
			(38) 
			«Tout
différend entre deux ou plus des États parties concernant l’interprétation
ou l’application de la présente Convention qui ne peut pas être
réglé par voie de négociation est soumis à l’arbitrage à la demande
de l’un d’entre eux. Si, dans les six mois qui suivent la date de
la demande d’arbitrage, les parties ne parviennent pas à se mettre
d’accord sur l’organisation de l’arbitrage, l’une quelconque d’entre
elles peut soumettre le différend à la Cour internationale de Justice en
déposant une requête conformément au Statut de la Cour.». En conséquence, le projet de résolution propose de veiller à ce que l’État russe soit tenu responsable de ses violations flagrantes de la Convention contre la torture, y compris en introduisant une requête auprès de la CIJ, si nécessaire. Selon un principe bien établi dans la jurisprudence de la CIJ, tout État partie à la Convention contre la torture peut invoquer la responsabilité d’un autre État partie en vue d’obtenir que la Cour détermine si celui-ci a manqué à ses obligations erga omnes partes et de mettre fin à ce manquement 
			(39) 
			Application
de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants (Canada et Pays-Bas c. République
arabe syrienne), mesures conservatoires, ordonnance du 16 novembre
2023, paragraphe 50..

5.3. Autres sanctions à l’encontre des amis de Vladimir Poutine et de l’économie de guerre russe

35. Pour donner suite à la proposition de Yulia Navalnaya – à laquelle je souscris entièrement – de traiter les complices de Vladimir Poutine comme des mafieux, il nous faut définir des stratégies innovantes qui permettent d’enquêter sur les réseaux financiers et les associés du Kremlin. Cela implique de mener des enquêtes approfondies sur les transactions financières et les activités de blanchiment d’argent de la garde rapprochée de Vladimir Poutine, y compris ses amis, ses associés et ceux qui contribuent à dissimuler les fonds illicites des oligarques russes. En particulier, le projet de résolution propose d’adopter (si ce n’est déjà fait) et d’appliquer une législation qui permet la confiscation des avoirs illicites des complices du régime sans condamnation préalable et le renversement de la charge de la preuve, comme le recommande l’Assemblée dans sa Résolution 2218 (2018) 
			(40) 
			Doc. 14516 et Résolution 2218
(2018) «Lutter contre
le crime organisé en facilitant la confiscation des avoirs illicites» (rapporteur: M. Mart van de Ven, Pays-Bas, ADLE).. Néanmoins, des mesures supplémentaires s’imposent pour peser sur la macro-économie et les industries russes qui continuent de générer des profits, utilisés par l’État russe pour financer sa guerre contre l’Ukraine.
36. Depuis l’entrée en vigueur du mécanisme de plafonnement du prix du pétrole, la Fédération de Russie a trouvé divers moyens de vendre son pétrole brut à des prix supérieurs à ce plafond. Elle a notamment eu recours à une «flotte fantôme» composée de centaines de petits pétroliers, souvent vieillissants, exploités par des entreprises peu connues, qui n’ont aucune expérience dans le commerce du pétrole et ne sont pas couvertes par les assurances standard du secteur. Nombre de ces navires fantômes désactivent leurs systèmes d’identification automatique pour dissimuler leurs activités et se livrent à des pratiques risquées de transfert en mer, de bateau à bateau, de pétrole russe visé par les sanctions. Les activités de cette flotte fantôme ont rendu de plus en plus difficile le contrôle du commerce du pétrole russe et le plafonnement des prix a perdu une grande partie de son efficacité. Les statistiques officielles russes montrent que le prix moyen reçu était supérieur au plafond de 60 dollars par baril en 2023 
			(41) 
			<a href='https://www.euronews.com/business/2023/11/16/how-a-dark-fleet-of-ships-is-helping-russia-evade-oil-sanctions'>www.euronews.com/business/2023/11/16/how-a-dark-fleet-of-ships-is-helping-russia-evade-oil-sanctions.</a>. Pour contrer ces pratiques visant à contourner le plafond, le projet de résolution propose d’augmenter le nombre de pétroliers sanctionnés et d’appliquer les exigences existantes en matière d’assurance contre les déversements d’hydrocarbures à tous les pétroliers qui traversent les eaux des États membres. En outre, il est proposé de sanctionner davantage les services fournis à l’industrie pétrolière et gazière russe afin de limiter leur production future et de priver le budget russe d’une autre source de revenus.
37. Rosatom est l’une des plus grandes entreprises russes à n’avoir pas encore été sanctionnée. Ce géant du secteur de l’énergie nucléaire russe est également la première entité d’enrichissement de l’uranium au monde. Rosatom contrôle 36 % du marché et fournit du combustible à 78 réacteurs de puissance situés dans 15 pays (soit 17 % du marché mondial du combustible nucléaire) 
			(42) 
			<a href='https://www.opendemocracy.net/en/odr/russia-ukraine-eu-nuclear-energy-zaporizhzhia-rosatom-sanctions/'>www.opendemocracy.net/en/odr/russia-ukraine-eu-nuclear-energy-zaporizhzhia-rosatom-sanctions/.</a>. Rosatom exploite la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijjia depuis sa prise de contrôle par l’armée russe. Les États membres du Conseil de l’Europe qui exploitent des centrales nucléaires devraient, en priorité, chercher d’autres sources de combustible nucléaire et prendre des mesures restrictives à l’encontre de Rosatom. Pour la seule année 2023, Rosatom a généré deux milliards de dollars US de revenus provenant de sources américaines et européennes 
			(43) 
			<a href='https://www.fdd.org/analysis/2024/02/18/ending-dependence-on-russias-nuclear-sector/'>www.fdd.org/analysis/2024/02/18/ending-dependence-on-russias-nuclear-sector/.</a>.

6. Conclusions

38. En guise de conclusion, je voudrais souligner le lien entre la mort d’Alexeï Navalny, un combattant courageux qui s’est opposé au régime criminel de Vladimir Poutine «de l’intérieur», et la nécessité urgente de contrer l’expansion de ce régime au-delà des frontières de la Fédération de Russie. Ce dernier point exige avant tout d’apporter un soutien concret et politique inébranlable à l’héroïsme dont fait preuve l’Ukraine pour défendre son territoire face à l’envahisseur. Nous devons veiller, de toute urgence, à ce que l’Ukraine reçoive rapidement toutes les armes et munitions nécessaires à ce combat. Nous devons également continuer à renforcer le régime de sanctions contre la machine de guerre russe, en comblant toutes les brèches, en poursuivant tous ceux qui permettent la violation et le contournement des sanctions et en trouvant de nouveaux moyens créatifs de limiter l’afflux de revenus et de technologies vers la Fédération de Russie.
39. L’issue de ce combat est déterminante pour l’avenir de l’Europe. L’Europe restera-t-elle libre et prospère, protégée par ses valeurs démocratiques et son respect du droit international? Ou bien l’Europe – à l’instar du peuple de la Fédération de Russie aujourd’hui – tombera-t-elle demain sous la coupe du régime de Vladimir Poutine et sera-t-elle opprimée et exploitée au profit des «escrocs et des voleurs» contre lesquels Alexeï Navalny a perdu la vie?