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Rapport | Doc. 13017 | 13 septembre 2012

Un retour à la justice sociale grâce à une taxe sur les transactions financières

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteure : Mme Hermine NAGHDALYAN, Arménie, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12759, Renvoi 3822 du 25 novembre 2011. 2012 - Quatrième partie de session

Résumé

Compte tenu de la persistance de la crise financière et économique en Europe, de nombreux pays déploient des efforts considérables pour trouver le bon équilibre entre discipline fiscale, réformes structurelles, marchés libres et engagements sociaux nationaux. Parallèlement, le marché financier mondial et ses institutions semblent être largement déconnectés des besoins de l’économie réelle et de la société dans son ensemble. En outre, la crise a révélé des dysfonctionnements nombreux et préoccupants des marchés financiers, comme la propension à une prise de risques excessive et à la spéculation, ainsi que des distorsions des conditions de concurrence équitable en raison de la sous‑imposition d’un grand nombre de produits et de services financiers. La justice sociale devient la nouvelle victime de la crise car un nombre toujours croissant de gouvernements adoptent des mesures d’austérité, affaiblissant les droits sociaux.

Le rapport insiste sur la nécessité pour les dirigeants de tirer les leçons de la crise actuelle et d’empêcher que de telles crises se reproduisent à l’avenir. La responsabilité du secteur financier vis‑à‑vis de la société et de l’économie doit être renforcée grâce à des mesures fiscales et de régulation appropriées. L’instauration d’une taxe sur les transactions financières est non seulement faisable mais aussi utile: elle contribuerait à lutter contre l’évasion fiscale dans le secteur financier et à améliorer les finances publiques et favoriserait un retour à la justice sociale grâce à une approche innovante envers la finance et la solidarité.

Le rapport salue les propositions de la Commission européenne et du Parlement européen concernant la mise en place d’une taxe sur les transactions financières à l’échelle la plus large possible. Relevant que cette mesure recueille un large soutien de l’opinion publique, il souligne l’importance politique, les objectifs de développement à long terme et les motivations sociales présidant au lancement d’une taxe européenne sur les transactions financières. Le rapport formule ensuite une série de recommandations à l’attention du Conseil et de la Commission de l’Union européenne, des Etats membres et observateurs du Conseil de l'Europe ainsi que des Etats partenaires pour la démocratie auprès de l’Assemblée.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 7 septembre 2012.

(open)
1. La persistance de la crise financière et économique mondiale a eu des conséquences désastreuses pour les finances publiques et les systèmes de sécurité sociale dans de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe. Elle a également révélé de graves dysfonctionnements des marchés financiers, notamment une propension à une prise de risques excessive et à la spéculation, une incapacité à assurer la stabilité financière à long terme et un financement suffisant de l’économie réelle, ainsi que des distorsions des conditions de concurrence équitable en raison de la sous-imposition de nombreux services et instruments financiers.
2. Les responsables politiques doivent veiller à ce que des enseignements soient tirés de la crise actuelle et s’employer à renforcer des lignes de défense afin d’empêcher que de telles crises ne se reproduisent à l’avenir. L’Assemblée parlementaire estime que tous les acteurs du monde financier devraient agir de manière plus responsable envers la société et l’économie dans lesquelles ils opèrent, dans l’intérêt général et au service du développement durable. Elle accueille donc favorablement les propositions de la Commission européenne et du Parlement européen concernant la mise en place d’une taxe sur les transactions financières à l’échelle la plus large possible.
3. L’Assemblée note que dans nombre de pays – en Europe et dans le monde –, des taxes sur les transactions financières sont déjà en vigueur ou sur le point d’être introduites. Plusieurs taxes de ce type, applicables à certains services et produits financiers, génèrent des recettes fiscales considérables. Cela prouve qu’il est réaliste et pertinent d’aller plus loin en établissant une taxe plus générale. Si les expériences nationales permettent de tester et d’améliorer différentes formes de taxation des transactions financières, une approche plus harmonisée, plus coordonnée et plus globale est souhaitable si l’on veut obtenir un résultat optimal.
4. L’Assemblée attire l’attention des Etats membres du Conseil de l’Europe sur la portée politique, les objectifs de développement à long terme et les motivations sociales du lancement d’une taxe européenne sur les transactions financières. Elle soutient les initiatives visant à faire de cette taxe un outil de renforcement de la gouvernance économique, favorisant le développement d’une société plus cohésive où chaque contribuable verserait sa juste part d’impôts pour alimenter le budget de l’Etat.
5. En outre, l’Assemblée est convaincue que les dernières propositions concernant la mise en place d’une taxe européenne sur les transactions financières pourraient fortement contribuer à remédier au manque à gagner fiscal et à lutter contre l’évasion fiscale dans le secteur financier, à briser le cercle vicieux d’une spéculation financière croissante qui se renforce d’elle-même, à améliorer les finances publiques et à rétablir la justice sociale grâce à une approche innovante envers la finance et la solidarité. Elle note que, d’après les sondages d’opinion, une nette majorité d’Européens sont favorables à l’idée d’une taxe européenne sur les transactions financières.
6. L’Assemblée se félicite en particulier de l’accord conclu en juin 2012 entre dix pays qui sont convenus de travailler ensemble dans le cadre du mécanisme de «coopération renforcée» de l’Union européenne en vue de l’établissement d’une taxe sur les transactions financières. Elle demande instamment aux autres Etats membres de l’Union de se joindre à ce mécanisme dans les meilleurs délais.
7. L’Assemblée est particulièrement préoccupée par l’expansion des produits financiers dérivés, des transactions hors bourse et des opérations à haute fréquence qui leur sont liées sur les marchés financiers modernes. Dans la mesure où ces dispositifs financiers échappent largement à la réglementation et à la taxation, l’Assemblée insiste sur la nécessité de la taxe européenne sur les transactions financières proposée – accompagnée d’autres mesures complémentaires de régulation et de contrôle – pour couvrir ces instruments.
8. Compte tenu des considérations ci-dessus, l’Assemblée invite le Conseil et la Commission de l’Union européenne:
8.1. à tout mettre en œuvre pour que la taxe sur les transactions financières couvre de façon exhaustive toute la palette des services, des produits et des acteurs financiers, en particulier les instruments dérivés et les transactions hors bourse;
8.2. à s’employer à élargir la couverture géographique de la taxe sur les transactions financières et à empêcher la délocalisation des transactions vers des pays qui n’appliquent pas une telle taxe;
8.3. à établir des partenariats avec des Etats non membres et les organisations internationales pertinentes, notamment l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le Fonds monétaire international (FMI), en vue de trouver un terrain d’entente concernant la mise en place d’une taxe mondiale sur les transactions financières;
8.4. à promouvoir le recours à la taxe sur les transactions financières comme un outil venant en complément d’autres mesures de régulation concernant les marchés financiers;
8.5. à envisager de prendre des dispositions afin qu’une part substantielle des recettes générées par la taxe sur les transactions financières soit consacrée à remédier aux dommages causés par la crise financière et économique, notamment en finançant à titre prioritaire des mesures en faveur du développement durable, de la création d’emplois, des besoins sociaux et des actions de solidarité internationale, spécialement l’aide au développement;
8.6. à mettre en place des mécanismes de suivi de l’application et d’évaluation de l’efficacité de la taxe;
8.7. à mieux informer l’opinion publique des modalités de la taxe proposée sur les transactions financières, des objectifs stratégiques poursuivis et des progrès accomplis en vue de son établissement.
9. L’Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l’Europe à prendre un engagement de principe concernant l’introduction d’une taxe sur les transactions financières et appelle les pays qui ne sont pas membres de l’Union européenne et les Etats observateurs du Conseil de l’Europe, ainsi que ceux ayant le statut de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée, à examiner des modalités d’adoption d’une telle taxe sur la base des propositions de la Commission européenne et du Parlement européen.
10. Enfin, en vue d’optimiser les efforts déployés en Europe en faveur de la mise en place d’une taxation sur tout l’éventail des transactions financières, l’Assemblée demande aux parlements nationaux de soutenir les activités correspondantes de l’Union européenne, de coopérer avec les organisations internationales compétentes et d’agir au niveau national dans cette optique.

B. Exposé des motifs, par Mme Naghdalyan, rapporteure

(open)

1. Introduction: le défi d’assurer une participation adéquate du secteur financier au développement social et économique

1. Avec la crise financière et économique, de nombreux pays européens ont été confrontés à une augmentation rapide de la dette publique et à une forte pression des marchés financiers, exigeant une plus grande discipline fiscale. Des mesures d’austérité drastiques – dont les répercussions sont souvent désastreuses au plan économique et social – ont dû être prises sur l’ensemble du continent. La quasi-totalité des pays de la zone euro dépassent aujourd’hui les seuils fixés dans le Pacte de stabilité et de croissance pour ce qui est de la dette publique et du déficit public annuel (lesquels ne devraient pas dépasser respectivement 60 % et 3 % du produit intérieur brut (PIB)), dans un contexte où un renforcement des investissements sociaux et des mesures de relance économique sont plus que jamais nécessaires. D’autres pays, de part et d’autre du continent, mènent aussi des réformes structurelles difficiles et s’efforcent de trouver un juste équilibre entre l’ouverture des marchés et leurs engagements sociaux nationaux.
2. Parallèlement à cela, de nombreux établissements financiers 
			(2) 
			Banques, caisses de
crédit mutuel, compagnies d’assurances et fonds communs de placement,
qui collectent des fonds auprès du public et les placent dans des
actifs ou des produits financiers. renfloués grâce à de l’argent public 
			(3) 
			Les
Etats membres de l’Union européenne ont à eux seuls engagé près
de 4 600 milliards d’euros pour aider le secteur financier durant
la crise. S’ajoute à cela la faible imposition dont a bénéficié
ce secteur ces dernières années. récoltent à nouveau des bénéfices et versent des dividendes considérables à leurs actionnaires et des primes à leurs cadres dirigeants. Par ailleurs, comme le font remarquer les auteurs de la proposition de résolution intitulée «Un retour à la justice sociale grâce à une taxe sur les transactions financières» (Doc. 12759), les échanges mondiaux de devises s’élèvent actuellement à 70 fois la valeur du commerce des biens et services. Le marché financier global et ses institutions semblent donc être largement déconnectés de l’économie réelle et de la société dans son ensemble.
3. Est-il possible de renforcer ce lien? Les acteurs du monde financier pourraient-ils agir de manière plus responsable envers la société et l’économie dans laquelle ils opèrent? De plus en plus de personnes partagent la conviction que les systèmes d’imposition – par exemple la mise en place d’une taxe sur les transactions financières – pourraient en partie résoudre ce problème. Pour de nombreux économistes, une telle taxe – outre le fait qu’elle est tout à fait réalisable (au plan technique et structurel) – contribuerait également à lutter contre l’évasion fiscale dans le secteur financier et donc à améliorer les finances publiques, tout en favorisant un retour à la justice sociale grâce à une approche innovante de la finance et de la solidarité.
4. Sur la base des discussions menées au sein de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, de contributions écrites fournies par des experts 
			(4) 
			Dont la professeure
Dorothea Schäfer, directrice de recherche à l’Institut allemand
de recherche économique (DIW Berlin), et Manfred Bergmann, directeur
de la fiscalité indirecte et de l’administration fiscale à la Direction
générale fiscalité et union douanière de la Commission européenne., d’études et d’autres sources d’information, la rapporteure examine les avantages potentiels que les Etats membres du Conseil de l’Europe pourraient tirer de l’introduction d’une taxe sur les transactions financières et formule des propositions afin d’étayer les décisions stratégiques concernant les modalités d’une telle taxe.

2. L’idée d’instaurer une taxe sur les transactions financières refait surface

2.1. Des propositions britanniques concernant le droit de timbre et la taxe Tobin aux innovations fiscales en réponse à la crise

5. Le concept de taxe sur les transactions financières est né en 1694 à la Bourse de Londres, où a été instauré le droit de timbre frappant l’achat d’actions (on l’appelle ainsi car on apposait un timbre officiel sur les documents pour confirmer la transaction). C’est le plus ancien impôt encore en vigueur au Royaume-Uni. Existant sous sa forme actuelle depuis 1986, ce droit de timbre – appliqué au taux de 0,5 % – est l’un des plus élevés en Europe dans la catégorie des impôts sur l’achat d’actions et génère environ 3 milliards de livres sterling par an (soit près de 4 milliards d’euros) de recettes pour le Trésor britannique.
6. Même parmi les détracteurs les plus acharnés de cette taxe, on admet que «ce droit de timbre est l’un des impôts les plus faciles à appliquer» 
			(5) 
			Opinion
de Robert Lee sur le portail LOWTAX (portail sur la fiscalité et
le commerce mondiaux) sous le titre «United Kingdom: Stamp Duty
in Share Transactions». Consulter le site: <a href='http://www.lowtax.net/lowtax/html/offon/uk/uk_gotaway.html'>www.lowtax.net/lowtax/html/offon/uk/uk_gotaway.html</a> pour lire l’article complet. et qu’il n’a jamais menacé la position mondiale occupée par la City de Londres en tant que point d’accès privilégié à un environnement fiscal avantageux. Toutefois, le droit de timbre ne s’applique pas aux produits financiers dérivés, qui contribuent le plus aux flux financiers spéculatifs, devenus de plus en plus prisés parmi les opérateurs de marché pendant la période qui a précédé la crise financière mondiale de 2008 (environ 20 % seulement des transactions effectuées à la Bourse de Londres sont assujetties au droit de timbre). De même, l’Irlande voisine perçoit 1 % de droit de timbre sur les transactions boursières sur la plupart des titres (sauf les instruments dérivés) inscrits dans le pays.
7. A la suite à la Grande Dépression des années 1930, l’éminent économiste John Maynard Keynes a préconisé un recours accru aux taxes sur les transactions financières pour mettre un frein aux spéculations financières excessives et à la volatilité croissante des marchés. Plus tard encore, en 1972, le keynésien James Tobin a proposé une taxe sur les opérations monétaires pour stabiliser le marché mondial des changes.
8. Dans les années 1990, l’économiste Paul Bernd Spahn a revisité les propositions de la taxe Tobin et présenté ses propres idées de taxation «à deux vitesses» des transactions financières pour établir une distinction entre les échanges de liquidités normaux et les échanges spéculatifs. Cela a conduit à l’adoption en 2004 par le Parlement belge de la taxe Spahn, qui s’appliquera en Belgique quand les autres membres de la zone euro auront adopté des mesures similaires. La Belgique applique également une taxe sur les opérations de bourse, qui consiste en une taxe à faible taux (0,07 %) pour certaines transactions ordinaires sur les marchés financiers (par exemple, distribution de parts de sociétés d’investissement et titres de la dette publique) et un taux plus élevé (0,5 % et 0,17 %) sur les transactions considérées comme étant de nature plus spéculative.
9. A cet égard, il convient d’évoquer également l’initiative UNITAID, un instrument de financement innovant lancé en 2006 pour contribuer à la solidarité mondiale sous forme de taxe symbolique sur les billets d’avion 
			(6) 
			En
France, elle s’élevait à 1 euro pour les vols intérieurs et européens
et 4 euros pour les vols internationaux.. Adopté au départ par cinq pays fondateurs (Brésil, Chili, France, Norvège et Royaume-Uni), UNITAID compte désormais 30 pays membres, qui se sont engagés à instaurer une taxe sur les billets d’avion, et 25 autres pays partenaires, qui sont prêts à contribuer au financement de l’achat de médicaments pour les pays moins développés. Le succès de ce mécanisme a fait naître l’idée qu’il pourrait être utilisé comme modèle dans d’autres secteurs économiques directement concernés par la mondialisation tels que la téléphonie mobile, internet, le tabac, le commerce et les transactions financières.
10. Nombre de pays en Europe et dans le monde ont expérimenté avec plus ou moins de succès des formes unilatérales de taxes sur les transactions financières 
			(7) 
			Par
exemple, de 1984 à 1991, la Suède avait mis en place une taxe sur
l’achat et la vente de titres de participation, à hauteur de 0,5
% en 1984, du double en 1986 et de 0,002 à 0,003 % en 1989. Cette
taxe a été abolie lorsque les défauts de conception du dispositif
sont devenus évidents.. D’après un document de travail du Fonds monétaire international (FMI) datant de mars 2011 
			(8) 
			Taxing financial transactions:
issues and evidence – WP/11/54, par Thornton Matheson., plusieurs taxes de ce type sont actuellement en vigueur, parmi lesquelles:
  • une taxe sur les titres de participation dans les pays suivants: Afrique du Sud, Autriche, Brésil, Chine, Chypre, Corée du Sud, Espagne, Etats-Unis d’Amérique, Grèce, Hong Kong, Inde, Indonésie, Italie, Pologne, Portugal, Royaume-Uni, Russie, Singapour, Suisse et Turquie;
  • une taxe sur les financements par l’emprunt au Brésil, en Italie, en Russie, en Suisse, à Taïwan et en Turquie;
  • une taxe sur les opérations de change au Brésil;
  • une taxe sur les revenus d’opérations sur valeurs mobilières en Afrique du Sud, en Corée du Sud, à Hong Kong, en Inde, au Royaume-Uni, en Suisse et à Taïwan;
  • des taxes sur les transactions bancaires principalement en Amérique latine et dans plusieurs pays asiatiques.
11. Même si certaines de ces taxes paraissent faibles à première vue, elles peuvent générer des revenus considérables. Les Etats-Unis, par exemple, ont mis en place une taxe à taux très faible (0,0034 %) sur les transactions boursières pour couvrir les coûts de fonctionnement de la Securities and Exchange Commission (SEC). En réalité, cette taxe permet au gouvernement fédéral de dégager des revenus confortables, plusieurs fois supérieurs au coût annuel de fonctionnement de la SEC.
12. Au Sommet du G20 
			(9) 
			Le
G20 rassemble les dirigeants de 20 grandes économies mondiales:
19 pays (Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine,
Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, Etats-Unis, France,
Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie et
Turquie) plus l’Union européenne, représentée par le président du
Conseil européen et par la Banque centrale européenne. de septembre 2009 (Pittsburgh, Etats-Unis), les dirigeants ont demandé au FMI d’étudier les «diverses mesures que les pays ont adoptées ou envisagent d'adopter quant aux moyens par lesquels le secteur financier pourrait contribuer de manière équitable et substantielle aux interventions des pouvoirs publics dans l’assainissement du système bancaire». Dans sa réponse d’avril 2010, le FMI a, d’une part, recommandé la mise en place d’une taxation des établissements financiers pour contribuer à la résolution des défaillances bancaires et, d’autre part, examiné les possibilités de tirer des revenus des activités du secteur financier en général, y compris par le recours à des taxes sur les transactions financières. Le FMI s’est finalement prononcé en faveur d’une «taxe sur les activités financières» portant sur la totalité des bénéfices et des rémunérations des établissements financiers, sans exclure le recours à des taxes sur les transactions financières à d’autres fins.
13. La Résolution 1833 (2011) de l’Assemblée sur les activités de l’Organisation de coopération et de développement économiques en 2010-2011 encourageait l’OCDE à «explorer les pistes d’introduction d’une taxe globale sur les transactions financières». L’OCDE s’était auparavant opposée à plusieurs reprises à l’idée d’une taxe générale sur les transactions financières, en soutenant qu’une telle taxe pourrait avoir des répercussions négatives sur le chiffre d’affaires et la liquidité des marchés financiers et aboutir à une délocalisation des échanges financiers vers des pays n’appliquant pas cette taxe, ainsi qu’à une hausse des coûts du capital. Cependant, ses propres experts – et de nombreux chercheurs indépendants – admettent que ces effets éventuels pourraient être largement atténués par une conception appropriée de la taxe proposée sur les transactions financières.
14. Par ailleurs, comme le FMI, les experts de l’OCDE ont eu tendance à favoriser le recours à une taxe sur l’activité financière. En poussant plus avant son analyse, l’OCDE a proposé à ses pays membres d’envisager la mise en place d’une taxe limitée à certaines transactions dérivées (à savoir, les opérations dites sur dérivés négociées de gré à gré), assortie d’autres mesures de régulation. L’OCDE a, en outre, régulièrement plaidé en faveur de l’amélioration des systèmes nationaux d’imposition et de la création de mécanismes de financement innovants au niveau mondial.

2.2. Propositions récentes de la Commission européenne

15. Si les expériences nationales permettent de tester et d’améliorer différentes formes de taxation des transactions financières, une approche plus harmonisée, plus coordonnée et plus globale est souhaitable si l’on veut garantir des conditions de concurrence équitables pour tous. Durant l’été 2010, la Commission européenne 
			(10) 
			Voir
également la communication (COM(2010)549 final du 7 octobre 2010)
au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social
européen et au Comité des régions. a fait part de son intention d’étudier les différentes options possibles, le G20 n’ayant pu parvenir à un accord. Un an plus tard, elle a publié des propositions sur la base d’une analyse d’impact 
			(11) 
			Document SEC(2011)1103
du 28 septembre 2011.et présenté une proposition de directive du Conseil «établissant un système commun de taxation sur les transactions financières et modifiant la Directive 2008/7/CE» 
			(12) 
			Voir COM(2011)594 final
du 28 septembre 2011..
16. La Commission propose de prélever, à compter de 2014, une taxe visant toutes les transactions sur instruments financiers entre établissements financiers, dès lors qu’au moins une des parties à la transaction est située dans l’Union européenne 
			(13) 
			Communiqué de presse
de la Commission européenne IP/11/1085 du 28 septembre 2011.. L’échange d'actions et d’obligations serait taxé à un taux de 0,1 % et les contrats dérivés à un taux de 0,01 %, payable par les deux parties au contrat. Les transactions ainsi couvertes engloberaient les transferts d’instruments financiers entre les entités d’une même société. Ne seraient pas concernés, en revanche, les paiements effectués par des ménages privés ou des petites et moyennes entreprises (PME), les emprunts publics, les opérations des banques centrales et certaines transactions commerciales (comme les émissions primaires d’actions et d’obligations).
17. Cette taxe pourrait générer chaque année des recettes d’un montant de 57 milliards d’euros (provenant pour la plus grande part des contrats dérivés – près de 38 milliards d’euros) qui seraient partagées entre l’Union européenne et les Etats membres. Selon les estimations de la Commission elle-même, l’intensité des échanges pourrait diminuer de 15 % sur les marchés des actions et des obligations et de 75 % sur le marché des produits dérivés (en volume). En outre, des études comparées sur l’augmentation de la fiscalité montrent que l’effet sur le PIB d’un lancement de la taxe sur les transactions financières serait le même (environ – 0,3 %) que celui induit par une augmentation minime, du même ordre de grandeur, de l’impôt sur les sociétés.
18. En mars 2012, la présidence danoise de l’Union européenne a proposé diverses alternatives fiscales, comme l’adoption d’une approche graduelle pour commencer à taxer une palette limitée de produits financiers – instauration d’une taxe semblable à un droit de timbre – en excluant éventuellement provisoirement les dérivés, le lancement d’une «taxe bancaire» ou d’une «taxe sur les activités financières» (comme proposé par le FMI) et l’intervention par une régulation directe du secteur financier.
19. Les premières propositions de la Commission n’étaient pas motivées uniquement par les gains financiers potentiels. La Commission a également estimé que le secteur financier devrait contribuer à l’assainissement des finances publiques, compte tenu du rôle important qu’il a joué dans le déclenchement de la crise et de la sous-imposition considérable dont il bénéficie par rapport à d’autres secteurs 
			(14) 
			Par exemple, dans la
majorité des cas, les services financiers sont exonérés de la taxe
sur la valeur ajoutée (TVA), en raison de la difficulté d'identifier
une base d’imposition.. En outre, une approche coordonnée au niveau de l’Union européenne permettrait de consolider le «marché unique» et de financer des mesures favorisant la croissance. A l’échelle mondiale, comme l’a indiqué Algirdas Šemeta, commissaire européen chargé de la fiscalité, les recettes fiscales supplémentaires pourraient contribuer à relever des défis mondiaux tels que le développement et le changement climatique.
20. Des critiques ont immédiatement réagi à ces propositions. Si les autorités autrichiennes, belges, françaises, allemandes (après quelques hésitations), norvégiennes et espagnoles se sont montrées favorables à cette proposition, les autorités britanniques s’y sont vivement opposées, craignant des répercussions négatives sur les échanges de services financiers à la City de Londres, laquelle concentrerait près de 80% des transactions financières européennes auxquelles s’appliquerait la taxe proposée par la Commission. Certains experts font néanmoins remarquer que certaines transactions financières seraient taxées davantage, tandis que d’autres le seraient moins. En outre, à la différence des autorités officielles de certains pays, la plupart des Européens sont favorables à la proposition de taxe 
			(15) 
			Un sondage
Eurobaromètre de mai 2012 a montré que 66 % des personnes interrogées
étaient favorables aux différentes mesures envisagées pour la réforme
du fonctionnement des marchés financiers mondiaux, y compris la
mise en place d’une taxe sur les transactions financières. En janvier
2012, une enquête réalisée par ComRes a fait ressortir des résultats
analogues..
21. La zone euro est considérée comme un bon point de départ pour l’établissement d’une coalition d’Etats disposés à mettre en place ce mécanisme de taxation multilatéral. Elle serait ensuite bien placée pour plaider en faveur d’un élargissement de ce mécanisme à l’OCDE et aux pays du G20. Des personnalités d’envergure, comme le financier et philanthrope George Soros et le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, ainsi que de nombreux parlementaires en Europe ont soutenu publiquement la taxe proposée. Pourtant, alors que les incertitudes persistent quant à l’issue des négociations actuelles entre les membres de la zone euro, certains signes tendent à indiquer que les institutions financières se préparent à riposter en mettant en place de nouveaux instruments pour échapper à la taxe proposée.
22. Après la réunion des ministres des finances de l’Union européenne qui s’est tenue le 22 juin 2012, 10 pays ont annoncé leur intention de travailler ensemble dans le cadre du mécanisme de «coopération renforcée» et d’ouvrir la voie à l’introduction d’une taxe sur les transactions financières. Parmi ces pays figurent de grandes économies européennes comme l’Allemagne, l’Espagne, la France et l’Italie, ainsi que l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, la Finlande, la Grèce et le Portugal.

3. Quels sont les objectifs à long terme et les utilisations possibles des revenus générés par une taxe sur les transactions financières?

23. La rapporteure souligne la nécessité d’examiner non seulement les aspects techniques et les obstacles à la mise en place d’une taxe européenne sur les transactions financières, mais également la signification politique, les perspectives à long terme et les motivations – fondées sur des valeurs – d’une telle initiative. Lorsque le projet paneuropéen a vu le jour dans l’Europe de l’après-guerre, il tenait d’abord de l’utopie, puis du miracle, et c’est maintenant une réalité en dépit de tous les obstacles rencontrés. De même, le marché unique et l’union monétaire ont pris forme et conduit à la naissance de l’euro. Le moment est venu de donner un nouveau souffle au projet européen grâce à une gouvernance économique plus étroite et à un effort commun d’harmonisation des priorités financières, passant notamment par une taxation plus coordonnée sur l’ensemble du continent et la mise en place d’une taxe européenne sur les transactions financières. Plus l’Europe se montrera divisée, plus il lui sera difficile d’exercer son influence et de faire entendre sa voix dans le monde.
24. Si certains ont tendance à déprécier l’initiative de l’Union européenne de mettre en place une taxe sur les transactions financières, la jugeant trop complexe, irréaliste et sans réelle valeur ajoutée, nombre de leaders d’opinion défendent le point de vue opposé, en faisant valoir plusieurs arguments. Ils affirment notamment qu’une telle taxe réduirait la volatilité des marchés financiers, assurerait une taxation plus juste et plus équitable, améliorerait la concurrence et la gouvernance macroéconomique et – fait important – contribuerait à empêcher l’évasion fiscale dans le domaine financier. Le puissant lobby du secteur financier s’emploie actuellement à démonter ces arguments, qu’il considère comme allant à l’encontre de la tendance à la libéralisation financière de ces vingt dernières années qui, en fin de compte, a mené à la crise financière.
25. Si une taxe de l’Union européenne sur les transactions financières venait à être mise en place, comme le propose actuellement la Commission européenne, elle serait versée dans le pays européen d’origine de l’opérateur financier (selon le principe dit «de résidence», largement inspiré du droit de timbre britannique): elle s’appliquerait donc à toutes les transactions concernées d’un établissement donné, qu’elles aient lieu dans l’Union européenne (ou la zone euro dans une version restreinte) ou ailleurs dans le monde. Ce mécanisme permettrait d’empêcher que les établissements financiers ne se soustraient au paiement de l'impôt par le transfert de leurs opérations offshore ou vers des paradis fiscaux.
26. Le Parlement européen plaide depuis des années en faveur de cet impôt. Sur la base d’un rapport établi par sa commission des affaires économiques et monétaires 
			(16) 
			Voir 2011/0261(CNS),
rapporteure: Anni Podimata (Grèce, S&D)., il a adopté, le 23 mai 2012, une résolution 
			(17) 
			Voir le document P7_TA(2012)0217
sur le site <a href='http://www.europarl.europa.eu/'>www.europarl.europa.eu</a>.commentant la proposition de la Commission européenne d’une directive du Conseil établissant un système commun de taxe sur les transactions financières. Cette résolution appelle également à changer le modèle commercial des services financiers en s’éloignant des transactions à haute fréquence afin de répondre aux besoins de l’économie réelle. Le texte adopté préconise aussi que la taxe sur les transactions financières (TTF) proposée s’applique aux transactions financières effectuées par des institutions établies en dehors de la zone de la TTF mais qui négocient des titres émis dans cette zone (selon le «principe d’émission»). Cette approche contribuerait à élargir la couverture géographique de la taxe et empêcherait la «fuite» ou l’externalisation des transactions vers des pays n’appliquant pas cette taxe.
27. En outre, la résolution prône l’adoption de l’approche du droit de timbre au Royaume-Uni pour lier le paiement de la TTF à l’acquisition de droits de propriété juridique, ce qui rendrait les fraudes relatives à la TTF nettement plus onéreuses que son paiement. Un tel dispositif, de même qu’une approche plus centralisée de la compensation des transactions à l’échelle de l’Union européenne, aiderait certainement à combattre l’évasion fiscale et donnerait aux pays situés hors de la zone euro et de l’Union européenne une autre bonne raison d’adopter une telle taxe.
28. D’après les propositions de l’Union européenne, les revenus générés par la taxe sur les transactions financières pourraient alimenter en partie son budget – en tant que nouvelle ressource propre pour le cadre financier 2012-2020 – en vue d’investissements dans les secteurs prioritaires comme la création d’emplois, la cohésion économique, sociale et territoriale, la formation professionnelle, la recherche et l’innovation, la modernisation de l’agriculture et la sécurité environnementale. L’autre partie des revenus serait redistribuée aux Etats membres sous la forme d’un soutien budgétaire. L’utilisation des ressources pourrait également prendre une dimension extérieure, en partenariat avec des Etats non membres de l’Union européenne. Selon les estimations, la taxe – associée à une TVA modernisée – permettrait aux Etats membres de l’Union européenne de réduire considérablement leurs contributions nationales au budget de l’Union européenne.
29. Les débats menés au sein de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable de l’Assemblée ont fait ressortir l’inquiétude de ses membres concernant les répercussions de la crise financière et économique mondiale et la nécessité d’en tirer des enseignements. Leurs préoccupations portent particulièrement sur les comportements abusifs des marchés financiers qui fragilisent la stabilité, considérée comme un bien public 
			(18) 
			Voir le document de
réflexion 1198 «Financial transaction tax contributes to more sustainability
in financial markets», professeure Dorothea Schäfer, Deutsches Institut
für Wirtschaftsforschung.. En conséquence, les Etats, instances de réglementation par excellence, ont de bonnes raisons de vouloir récupérer le terrain perdu du fait de la déréglementation financière, de combler le manque à gagner fiscal et de mettre un frein à la spéculation, garantissant ainsi un fonctionnement plus viable et plus stable des marchés financiers dans l’intérêt général. Les membres de la commission tendent donc à s’accorder à dire qu’une taxe sur les transactions financières – ainsi que d’autres mesures de régulation indispensables – devrait contribuer à remédier à la dégradation des finances publiques et des systèmes sociaux provoquée par la crise, de même qu’à renforcer des lignes de défense afin d’empêcher que de telles crises ne se reproduisent.

4. Mise en place d’une taxe sur les transactions financières pour plus de solidarité et de justice sociale, dans la Grande Europe et au-delà: vers une approche commune et novatrice

4.1. Avantages potentiels pour les pays européens et leurs partenaires mondiaux

30. Ce n’est pas un hasard si les propositions concernant la mise en place d’un cadre international pour les transactions financières ont gagné en popularité avec le début des crises financières et économiques mondiales 
			(19) 
			Ibid.. Comme nous l’avons vu dans les sections précédentes, la plupart des pays appliquent des taxes sur certaines opérations financières. Cependant, il apparaît clairement que les produits financiers les plus risqués et hautement spéculatifs – tels que les dérivés – échappent en principe à l’impôt et ont, par conséquent, largement alimenté la spéculation, au détriment d’opérations liées à l’investissement dans l’économie réelle. En outre, l’expansion rapide des opérations spéculatives depuis 2000 a contribué à la formation de bulles sur les marchés financiers, qui ont fini par exploser avec la crise, affectant considérablement la société dans son ensemble – y compris l’économie réelle, les services publics, ainsi que de vastes segments de population.
31. Ces excès financiers ont été rendus possibles par un environnement réglementaire et fiscal de plus en plus laxiste. Il est grand temps de corriger cette dérive: pour que le marché libre fonctionne correctement, tous les acteurs doivent suivre des règles du jeu équitables. Il n’existe aucune raison valable pour que le secteur financier soit sous-imposé comme il l’est actuellement par rapport à d’autres secteurs de l’économie. Aucune raison ne saurait justifier non plus le fait que le contribuable ordinaire soit pénalisé par des mesures d’austérité pénibles à cause des répercussions des excès du secteur financier et de la crise. C’est une question de justice sociale à laquelle les dirigeants européens et leurs homologues des pays partenaires sont moralement tenus de répondre en proposant des solutions tangibles.
32. L’une de ces solutions tangibles est une imposition plus appropriée et équitable du secteur financier: les décideurs politiques doivent réparer les dégâts provoqués par la crise financière et prévenir de futurs effondrements. L’ensemble des pays et de la population ont tout à gagner de la stabilité financière, qui peut et doit être assurée par le biais d’un contrôle plus rigoureux et d’une meilleure fiscalité. Accompagnée d’autres ajustements financiers et réformes fiscales, une taxe sur les transactions financières serait un tremplin vers le rétablissement d’un équilibre sain entre l’imposition sur les revenus du capital et celle sur les revenus du travail. En outre, ce processus permettrait d’inciter la société à renouveler le contrat social qui lie l’Etat, les citoyens, les entreprises et le marché, de sorte que toutes les parties agissent de façon plus responsable et œuvrent pour une prospérité plus largement partagée à long terme.
33. Tout comme elle mène depuis longtemps la bataille mondiale pour faire respecter les droits humains, l’Europe peut faire preuve d’un courage, d’une capacité d’initiative et d’une clairvoyance accrus en reconnaissant la proposition d’établissement d’une taxe sur les transactions financières, qui pourrait générer des fonds substantiels et permettre un financement plus innovant des mécanismes de solidarité au sein de la Grande Europe ainsi que des actions en faveur du développement des pays non européens les plus défavorisés. Les négociations, les formules et les décisions européennes concernant une taxe sur les transactions financières pourraient devenir un modèle à suivre pour d’autres pays du monde, qui seront dans tous les cas concernés plus ou moins directement par la position européenne.

4.2. Orientations stratégiques

34. Bien que le lancement d’une taxe européenne sur les transactions financières rallie un large soutien de l’opinion publique, il est aussi nécessaire que cette dernière soit mieux informée sur les modalités d’application de cette taxe ainsi que sur les objectifs stratégiques poursuivis. La population doit être rassurée sur le fait que la taxe proposée n’aura pas d’effets secondaires indésirables sur ses opérations bancaires courantes. Elle doit également disposer d’un droit de regard sur la façon dont les nouvelles recettes fiscales seront utilisées une fois la taxe instaurée.
35. Etant donné que le champ d’application de la taxe européenne sur les transactions financières proposée n’est pas encore arrêté, l’Assemblée devrait préconiser une portée aussi vaste que possible afin de prendre en compte la totalité des opérations financières les plus spéculatives et les plus préjudiciables, notamment celles reposant sur des instruments financiers dérivés. Les Etats non membres de l’Union européenne qui font partie du Conseil de l’Europe pourraient adopter des dispositions analogues en fonction du contexte national, de leurs politiques de développement et de leurs objectifs stratégiques, notamment dans le cadre d’une coopération bilatérale avec l’Union européenne et ses Etats membres.
36. Les Etats membres et non membres de l’Union européenne au sein de la Grande Europe devraient s’employer à collaborer étroitement afin que la taxe proposée soit introduite selon des modalités qui optimisent les avantages potentiels de la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales et qui empêchent un déplacement des transactions financières vers d’autres pays, notamment vers ceux ayant un cadre réglementaire laxiste. Les actions menées pour introduire une taxe européenne sur les transactions financières devraient être considérées comme un effort en faveur d’une plus grande intégration et d’une meilleure gouvernance économique propre à assurer une plus grande cohésion de la société, où chaque contribuable – particulier ou entreprise – verserait sa juste part d’impôts pour assurer le bon fonctionnement de l’Etat.

5. Conclusions et recommandations

37. Les différentes formes d’imposition qui existent à l’heure actuelle ou qui étaient en vigueur il y a quelques années dans plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe montrent clairement que l’application de telles taxes est techniquement réalisable et économiquement utile. Même les opposants les plus tenaces à la taxe européenne sur les transactions financières proposée ne devraient pas perdre de vue le fait qu’un nouveau dispositif permettrait de progresser utilement vers une meilleure harmonisation de la fiscalité relativement disparate des institutions financières en Europe.
38. En outre, les taux proposés pour un tel impôt pourraient en réalité faire diminuer le taux d’imposition global sur certaines opérations financières dans certains pays (par exemple le droit de timbre au Royaume-Uni) et présentent l’avantage de couvrir de façon plus exhaustive l’assiette fiscale – en prenant en compte les transactions les plus risquées et spéculatives (notamment les produits dérivés), qui ont pris une ampleur considérable au cours de la dernière décennie et qui ont préfiguré de manière significative la crise financière de 2008. Etant donné que l’application de la taxe exige un enregistrement approprié et un mécanisme centralisé de compensation, la transparence globale du système financier en serait améliorée d’autant, ce qui constitue un avantage induit bienvenu.
39. Les Etats, instances de réglementation par excellence – notamment des marchés financiers –, devraient pleinement exercer leurs prérogatives afin de rétablir leur capacité à réglementer et à soumettre plus efficacement les marchés financiers à l’impôt au nom de l’intérêt public. Cela permettrait de renforcer leur souveraineté et d’améliorer la stabilité financière ainsi que la capacité à garantir la justice sociale et fiscale. Les Etats devraient toutefois envisager plus sérieusement d’autres utilisations possibles des fonds qui pourraient être potentiellement collectés dans le cadre d’une taxe sur les transactions financières. Ils pourraient notamment songer à les utiliser pour atténuer ou compenser les effets des mesures d’austérité sur la population, pour financer des projets susceptibles de favoriser la croissance et pour soutenir un investissement social prioritaire dans la compétitivité européenne en passant par le capital humain que représentent notamment les jeunes, particulièrement touchés par la crise.
40. La rapporteure recommande par conséquent que l’Assemblée parlementaire se prononce en faveur d’une taxe européenne sur les transactions financières – comme le proposent actuellement la Commission européenne et le Parlement européen, en prévoyant des ajustements possibles en fonction des contextes nationaux afin de faciliter la mise en œuvre de cette initiative au sein de la Grande Europe. Deux rapports et résolutions sur «La crise de la démocratie et le rôle de l’Etat dans l’Europe d’aujourd’hui» et les «Mesures d’austérité – un danger pour la démocratie et les droits sociaux» 
			(20) 
			Respectivement, Doc. 12955 (rapporteur: M. Andreas Gross, Suisse, SOC) et Doc. 12948 (rapporteur: M. Andrej Hunko, Allemagne, SOC). Voir
également la Résolution
1888 (2012) et la Résolution
1884 (2012)., débattus par l’Assemblée lors de sa partie de session de juin 2012, formulent déjà des propositions en ce sens.