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Rapport d’observation d’élection | Doc. 13922 | 20 novembre 2015

Observation des élections législatives anticipées en Turquie (1er novembre 2015)

Auteur(s) : Commission ad hoc du Bureau

Rapporteur : M. Andreas GROSS, Suisse, SOC

1. Introduction

1. Lors de sa réunion du 31 août 2015, le Bureau de l’Assemblée parlementaire a décidé d’observer les élections législatives anticipées en Turquie le 1er novembre 2015 (sous réserve de la réception d’une invitation) et constitué à cet effet une commission ad hoc de 30 membres (SOC: 11; PPE/DC: 10; ADLE: 4; CE: 3; GUE: 2) et des corapporteures sur le dialogue postsuivi avec la Turquie de la commission de suivi, Mme Ingebjørg Godskesen (Norvège, CE) et Mme Nataša Vučković (Serbie, SOC). Le Bureau a également autorisé une mission préélectorale. Le 1er septembre 2015, M. Reha Denemeç, en sa qualité de président de la délégation turque, a invité l’Assemblée parlementaire à observer les élections législatives anticipées. Lors de sa réunion du 28 septembre 2015, le Bureau de l’Assemblée a approuvé la composition de la commission ad hoc et nommé M. Andreas Gross (Suisse, SOC) à sa présidence (voir l’annexe 1).
2. En vertu de l’article 15 de l’accord de coopération signé entre l’Assemblée parlementaire et la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) le 4 octobre 2004, un expert de la Commission de Venise a été invité à se joindre à la commission ad hoc à titre de conseiller. M. Srđan Darmanović a pris part aux travaux de la commission ad hoc pour le compte de Commission de Venise.
3. La délégation préélectorale s’est rendue à Ankara les 5 et 6 octobre 2015 pour évaluer l’état des préparatifs et le climat politique durant la période qui a précédé les élections législatives anticipées du 1er novembre 2015. La délégation multipartite était composée de sept membres (voir l’annexe 1). Elle a rencontré des dirigeants et des représentants des principaux partis politiques se présentant aux élections, le chef de la mission d’observation électorale du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH), le président de la délégation turque auprès de l’Assemblée parlementaire, le président de la Commission électorale suprême (CES), des représentants du ministère de l’Intérieur, le président et des membres du Conseil supérieur de la radio et de la télévision (CRST), des représentants de la société civile et des médias, ainsi que des membres du corps diplomatique à Ankara. A l’issue de sa visite, la délégation préélectorale a publié une déclaration (annexe 2).
4. Pour la mission principale d’observation électorale, la commission ad hoc est intervenue dans le cadre d’une mission internationale d’observation des élections (MIOE), qui comprenait également la délégation de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE et la mission restreinte d’observation électorale (MROE) de l’OSCE/BIDDH. M. Jose Ignacio Sánchez Amor (Espagne) était le coordonnateur spécial de la mission d’observation à court terme de l’OSCE. Mme Margareta Cederfelt (Suède) dirigeait la délégation de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE. L’ambassadeur Geert-Hinrich Ahrens conduisait la mission restreinte d’observation électorale de l’OSCE/BIDDH.
5. La commission ad hoc s’est réunie à Ankara les 30 et 31 octobre 2015 et a participé aux réunions parlementaires d’information conjointes AP-APCE de l’OSCE. Elle a notamment rencontré des représentants des principaux partis politiques se présentant aux élections, des membres du Conseil supérieur de la radio et de la télévision et des représentants de la société civile et des médias. Le programme des réunions de la commission ad hoc figure à l’annexe 3.
6. Le jour du scrutin, la commission ad hoc s’est répartie en 16 équipes, qui ont observé les élections à Ankara et dans les environs, ainsi que dans les régions et les communes d’Istanbul et d’Izmir. En raison de contraintes de sécurité, il n’a pas été possible de déployer des équipes dans l’est et le sud-est du pays. Les conclusions du présent rapport se fondent sur les observations de la mission préélectorale de l’APCE et de la commission ad hoc, et sur les conclusions préliminaires publiées par la MROE de l’OSCE/BIDDH.
7. La commission ad hoc a conclu que les élections législatives anticipées qui se sont déroulées en Turquie le 1er novembre ont donné aux électeurs la possibilité de choisir entre une multiplicité de programmes électoraux. Dans le même temps, la situation tendue sur le plan de la sécurité, en particulier dans le sud-est du pays, conjuguée à de nombreux incidents violents, notamment des agressions qui ont visé des membres, des locaux et des équipes de campagne des partis (surtout ceux du Parti démocratique des peuples ou HDP), a empêché les candidats de faire librement campagne. En dépit de la diversité du paysage médiatique, la liberté des médias continue de faire l’objet de restrictions juridiques excessives. Les enquêtes qui ont visé des journalistes et des organes de presse accusés de soutenir le terrorisme ou d’avoir tenu des propos diffamatoires contre le président, le blocage de sites web, la saisie de force de certains médias de premier rang et le fait que des fournisseurs de services numériques aient supprimé de leur offre plusieurs chaînes de télévision ont restreint l’accès des électeurs à une pluralité de vues et d’informations. Les élections ont été bien organisées par l’administration électorale qui en avaient la charge et se sont globalement déroulées dans le calme, mais la campagne électorale a été entachée par l’iniquité et, dans une mesure inquiétante, par la peur. La déclaration publiée par la MIOE après les élections est reproduite à l’annexe 4.

2. Contexte politique et cadre juridique

8. A l’issue des élections législatives du 7 juin 2015, le parlement (comptant 550 membres) était composé du Parti de la justice et du développement (AKP, 40,87 % des voix) avec 258 sièges, du Parti républicain du peuple (CHP, 24,95 %) avec 132 sièges, du Parti d’action nationaliste (MHP, 16,29 %) avec 80 sièges et du Parti démocratique des peuples (HDP, 13,2 %), lui aussi doté de 80 sièges. 95 % des électeurs étaient représentés au parlement. L’AKP a perdu la majorité parlementaire qu’il détenait depuis 2002, alors que pour la première fois dans l’histoire de la Turquie, le HDP, un parti avec une position prokurde, entrait au parlement en franchissant le seuil des 10 %. Ces élections ont été observées par l’Assemblée parlementaire dans le cadre d’une MIOE, qui comprenait également la délégation de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE et la MROE de l’OSCE/BIDDH 
			(1) 
			Voir Doc. 13822..
9. En l’absence de parti politique majoritaire, le Président de la République, M. Recep Tayyip Erdoğan, a décidé, le 25 août 2015, de charger le chef du principal groupe parlementaire, l’ancien Premier ministre Ahmet Davutoğlu, des négociations en vue de la formation d’une coalition. Les négociations n’ont pas abouti. M. Erdoğan n’a pas invité le chef du deuxième plus grand parti (le CHP) à former une coalition, comme cela se faisait auparavant dans le pays. Un gouvernement de transition (dit «gouvernement électoral») a ensuite été constitué, avec M. Davutoğlu au poste de Premier ministre. Le CHP et le MHP ont déclaré qu’ils ne participeraient pas au gouvernement de transition, qui a donc été constitué par l’AKP avec des personnalités indépendantes, un membre du MHP (qui a ensuite été expulsé du parti) et deux membres du HDP. Toutefois, les deux ministres représentant le HDP ont démissionné le 22 septembre 2015.
10. Le 25 août 2015, la Commission électorale suprême (CES) a annoncé que les élections législatives anticipées se tiendraient le 1er novembre 2015 (26es élections). La préparation de ces élections anticipées s’est déroulée dans un environnement totalement transformé sur le plan politique et sécuritaire par rapport à celui des élections du 7 juin, en raison de la suspension du processus de paix et de la reprise des affrontements entre les forces turques de sécurité et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) après deux ans et demi de trêve. De plus, les autorités avaient engagé la reprise du combat contre le groupe terroriste connu sous le sigle «EI» («Daesh» an arabe) 
			(2) 
			Selon les diverses
traductions, le même groupe a porté entre autres les noms «Etat
islamique en Irak et au Levant» (EIIL) et «Etat islamique en Irak
et en Syrie» (EIIS). Récemment, le groupe a lui-même pris officiellement
le nom d'«Etat islamique» (EI). Aux fins du présent document et
par souci d'uniformité, mais sans pour autant lui reconnaître en
quoi que soit le statut d'Etat, nous faisons ici référence au groupe
en employant le sigle «EI»., la mouvance Gülen (récemment renommée «Organisation terroriste de Fethullah Gülen» (FETÖ) par les autorités turques) et d’autres organisations répertoriées comme terroristes 
			(3) 
			Pour
en savoir plus sur le contexte général, consulter la note d’information
de Mme Josette Durrieu (France, SOC), rapporteure,
sur sa visite d’information à Istanbul, Şanlıurfa et Ankara (30 avril-4 mai 2015)
(document <a href='http://assembly.coe.int/CommitteeDocs/2015/amondoc18-2015.pdf'>AS/Mon
(2015) 18 rev</a>.).. Ces évolutions ont renforcé la polarisation du pays et les tensions qui en découlent.
11. Comme l’indiquent les rapports précédents de l’Assemblée parlementaire sur l’observation des élections en Turquie, le cadre juridique du pays, qui est resté inchangé depuis juin 2015, favorise normalement la tenue d’élections démocratiques, pour peu qu’il soit pleinement et efficacement mis en œuvre. Les élections sont principalement réglementées par la Constitution de 1982, la loi de 1961 sur les dispositions fondamentales en matière d’élections et de listes électorales (loi sur les dispositions fondamentales), la loi de 1983 sur les élections législatives, et la loi de 1983 sur les partis politiques. En 2014, une modification de la loi sur les partis politiques a abaissé le seuil permettant aux partis politiques de recevoir un financement public, et la même année, une révision de la loi sur les dispositions fondamentales a permis de faire campagne dans n’importe quelle langue. Alors que le dernier rapport de l’Assemblée sur l’observation des élections législatives du 7 juin 2015 
			(4) 
			Doc. 13822, paragraphes 9-18. a décrit longuement le cadre juridique, il serait peut-être utile de rappeler ici les points clés qui avaient été signalés par la commission ad hoc en juin 2015 comme nécessitant des améliorations, et qui sont restés inchangés depuis les dernières élections législatives, et même les élections antérieures 
			(5) 
			Doc. 12701, «Observation des élections législatives en Turquie»
(12 juin 2011) (rapporteure: Mme Kerstin Lundgren, Suède,
ADLE).:
  • Le seuil électoral de 10 %: malgré les débats publics dont ce seuil a fait l’objet ces derniers mois, les partis politiques ont encore dû dépasser le seuil électoral national de 10 % des suffrages valides exprimés pour obtenir des sièges. L’Assemblée 
			(6) 
			L’Assemblée
a recommandé aux autorités turques d’abaisser ce seuil. Voir la Résolution 1380 (2004) sur le respect des obligations et engagements de la
Turquie (paragraphe 23.2) et la Résolution 1925 (2013) sur le dialogue postsuivi avec la Turquie (paragraphe 10.3). et la Cour européenne des droits de l’homme 
			(7) 
			Dans l’affaire Yumak et Sadak c. Turquie, Requête
no 10226/03, arrêt du 30 janvier 2007,
la Cour a jugé que ce seuil ne constituait pas une violation du
droit à des élections libres; elle l’a néanmoins jugé «excessif»
et a fait observer qu’il serait souhaitable de l’abaisser pour garantir
le pluralisme politique. n’ont pas cessé de souligner que ce seuil élevé portait atteinte au pluralisme politique au parlement.
  • L’absence de contrôle judiciaire des décisions de la CES, qui menace la séparation des pouvoirs et empêche l’accès à tout recours judiciaire effectif en cas de litige électoral, contrevient au Code de bonne conduite de la Commission de Venise (section II.3.3). Le récent arrêt rendu par la Cour constitutionnelle, qui établit que les décisions de la CES ne peuvent pas être réexaminées quand bien même il a été porté atteinte à des libertés et des droits fondamentaux, a limité plus encore la possibilité pour les parties prenantes d’intenter un recours en justice 
			(8) 
			Le
7 octobre 2015, la Cour constitutionnelle a publié ses premières
décisions afin de déterminer si les contestations relatives aux
décisions de la CES lors d’élections législatives relevaient de
ses compétences. Bien que reconnaissant que le droit à des élections
législatives libres était garanti par la Constitution et la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5,
«la Convention»), la cour a jugé que les décisions de la CES ne
pouvaient pas faire l’objet d’un recours, même en cas d’atteinte
aux droits et libertés fondamentaux. Cette décision fondamentale
exclut toute autre possibilité de recours judiciaire en matière
électorale pour les parties prenantes..
  • Les carences du cadre constitutionnel: la Constitution de 1982, adoptée sous un régime militaire, condamne et interdit plus qu’elle ne protège les droits de l’homme et les libertés fondamentales, en ce qu’elle consacre des restrictions injustifiées du droit à la liberté d’association, de réunion et d’expression, ainsi que des droits électoraux.
  • Le système d’attribution des sièges: le système d’attribution des sièges relatifs aux circonscriptions entraîne une disparité importante du nombre d’électeurs par siège parlementaire, ce qui est contraire au principe de l’égalité de vote énoncé à la section I.2.2.2.iv du Code de bonne conduite en matière électorale 
			(9) 
			Les membres du parlement
sont élus pour un mandat de quatre ans, selon un système proportionnel,
dans 85 circonscriptions plurinominales, sur des listes de parti
bloquées ou en tant que candidats indépendants. La CES a entrepris
une redistribution des sièges au début de 2015, sur la base des
statistiques actuelles sur la répartition démographique..
  • Les restrictions de la liberté d’expression: le fait d’insulter le président constitue une infraction pénale (article 299 du Code pénal). Ce chef d’accusation, retenu à outrance ces derniers mois, restreint la liberté de parole et la liberté de faire campagne. En outre, les partis politiques n’ont pas le droit de promouvoir un certain nombre d’idéologies, notamment la non-laïcité, et l’existence des minorités. Ces restrictions entravent la liberté d’association et d’expression et limitent le pluralisme politique.
  • L’absence de cadre juridique pour l’observation nationale et internationale des élections, en dépit des recommandations de l’Assemblée 
			(10) 
			Doc. 12701, «Observation des élections législatives en Turquie»
(12 juin 2011) (rapporteure: Mme Kerstin Lundgren, Suède,
ADLE); Doc. 13611, «Observation de l’élection présidentielle en Turquie
(10 août 2014)» (rapporteure: Mme Meritxell
Mateu Pi, Andorre, ADLE). et de la Commission de Venise dans son «Code de bonne conduite» 
			(11) 
			CDL-AD(2002)23rev.,
«Code de bonne conduite en matière électorale – lignes directrices
et rapport explicatif» adopté par la Commission de Venise lors de
sa 52e session (Venise, 18-19 octobre 2002):
«La possibilité de participer à l’observation doit être la plus
large possible, en ce qui concerne aussi bien les observateurs nationaux
que les observateurs internationaux.» La loi sur les dispositions
fondamentales ne prévoit un suivi du processus électoral que de la
part de représentants des partis politiques et des candidats indépendants..
  • Les restrictions au droit de vote, qui s’appliquent aux appelés du contingent, aux élèves d’écoles militaires et aux détenus condamnés pour une infraction intentionnelle, quelle que soit sa gravité. La Cour européenne des droits de l’homme a jugé à deux reprises que la privation des droits électoraux des détenus condamnés était trop étendue et qu’elle devait être proportionnée aux infractions commises. Cette restriction va également à l’encontre du Code de bonne conduite de la Commission de Venise (section I.2.2.2.iv) et d’autres engagements internationaux 
			(12) 
			Voir les arrêts: Soyler c. Turquie, Requête no 29411/07,
17 septembre 2013, et Murat Vural c.
Turquie, Requête no 9540/07,
21 octobre 2014. A ce jour, le cadre juridique n’a pas encore été
modifié pour tenir compte des arrêts de la Cour. Toutefois, comme
lors des dernières élections, la CES a rendu une décision le 23
février 2015 qui met partiellement en œuvre les arrêts de la Cour,
en appliquant le droit international qui permet à tous les condamnés
non incarcérés de voter, même s’ils n’ont pas encore purgé la totalité
de leur peine..
  • Les restrictions au droit d’éligibilité pour les citoyens de plus de 25 ans jouissant de la capacité juridique et ayant reçu un enseignement primaire: ils ne peuvent pas se présenter à une élection s’ils n’ont pas achevé le service militaire obligatoire, ont été interdits d’exercice d’une fonction publique ou ont été condamnés pour un large éventail d’infractions, y compris mineures (et même en cas d’amnistie).

3. Administration électorale et inscription des électeurs / électrices et des candidat/es

12. Les élections ont dans l’ensemble été organisées de manière professionnelle. L’administration électorale comprend quatre niveaux: la Commission électorale suprême (CES), 81 commissions électorales provinciales (CEP), 1 067 commissions électorales de district (CED) et 175 006 commissions de bureau de vote (CBV). La CES est un organe permanent, composé de 11 juges élus pour six ans, ayant une autorité et une responsabilité générales pour la conduite des élections. Les partis politiques éligibles, c’est-à-dire l’AKP, le CHP, le MHP et le HDP, pouvaient désigner des membres de la CES sans droit de vote.
13. Chaque province compte une CEP, composée des trois juges ayant la plus grande ancienneté, qui sont nommés pour un mandat de deux ans. Les quatre partis politiques ayant obtenu le plus grand nombre de voix dans la province aux dernières élections générales peuvent nommer chacun un membre au sein de la CEP, sans droit de vote. Les CED comptent sept membres et sont présidées par le juge du district le plus ancien; quatre de leurs membres sont nommés par des partis politiques et deux sont des fonctionnaires. Les femmes représentaient environ 27 % des membres des CEP, mais seulement 6 % des membres des CED. Les CBV doivent être composées de sept membres, dont cinq sont désignés par des partis politiques et deux sont des fonctionnaires.
14. Avant le jour du scrutin, les membres de la mission préélectorale de l’Assemblée ont évoqué le déplacement possible des urnes situées dans des zones touchées par l’escalade de la violence dans des lieux plus sûrs 
			(13) 
			L’AKP a fait
valoir que la tenue d’élections dans de telles conditions pouvait
entraîner la perte de vies humaines et porter atteinte à l’intégrité
de la procédure de vote.; le sujet n’allait pas sans soulever des questions voire des interrogations quant aux motivations politiques possibles de tels déplacements. Certaines CED ont opté pour le déplacement, d’autres ont demandé l’avis de la CES sur la question. Le 3 octobre, la CES s’est prononcée en faveur de la tenue des élections dans ces zones, arguant que le déplacement des bureaux de vote en dehors de leur mukhtarlik (plus petite zone administrative) n’était pas conforme à la loi. En conséquence, plusieurs CED ont décidé de replacer un nombre important de bureaux de vote dans leur mukhtarlik d’origine.
15. Le vote à l’étranger a été organisé du 8 au 25 octobre dans 113 bureaux de vote établis dans 54 pays et 30 postes de douane turcs. Environ 1,2 million (sur 2,89 millions 
			(14) 
			Environ 70 % d’entre
eux résident dans cinq pays: l’Allemagne, la France, les Pays-Bas,
la Belgique et l’Autriche.) d’électeurs ont voté à l’étranger. Leurs bulletins de vote ont été transportés par vols charters et dans des valises diplomatiques dans un centre de dépouillement à Ankara. Des garanties, telles que la vérification en ligne des électeurs et le stockage sécurisé du matériel de vote, ont été mises en place pour assurer l’intégrité de la procédure. La commission ad hoc a relevé que le taux de participation augmentait régulièrement depuis l’introduction de la mesure en 2014, comme le demandait l’Assemblée en 2004: 19 % à l’élection présidentielle de 2014, 32,5 % à l’élection de juin 2015 et 44 % aux élections de novembre 2015.
16. En Turquie, l’inscription des électeurs est passive. La CES tient un registre central permanent des électeurs, lié au registre de l’état civil et des adresses géré par le ministère de l’Intérieur. Depuis les élections de juin 2015, le nombre total d’électeurs a augmenté de plus de 300 000 personnes en raison de la proportion de jeunes ayant eu 18 ans depuis cette date 
			(15) 
			Selon la Commission
électorale suprême, le corps électoral a augmenté pour l’élection
du 1er novembre 2015, passant d’un total
de 53 741 883 électeurs inscrits en Turquie et 2 866 940 inscrits
à l’étranger en juin 2015 à 54 052 503 électeurs inscrits en Turquie
et 2 895 167 électeurs à l’étranger.. La plupart des interlocuteurs rencontrés par la mission préélectorale de l’Assemblée et la commission ad hoc n’ont exprimé aucune préoccupation concernant la fiabilité du registre électoral.
17. Dans l’ensemble, l’inscription des candidats a été ouverte. A la suite de la période de désignation et de la période d’affichage public et de contestation, la CES a annoncé que 16 partis politiques, présentant au total 8 426 candidats, et 21 candidats indépendants étaient inscrits 
			(16) 
			Le
nombre de candidats indépendants a été huit fois inférieur à celui
des élections du 7 juin 2015. Pour ces élections, la caution exigée
des candidats indépendants s’élevait à 10 651 livres turques (autour
de 3 100 euros). D’après la section I.I.I.3 du Code de bonne conduite
de la Commission de Venise, la caution demandée doit être remboursée
si le candidat dépasse un certain nombre de suffrages; son montant
et le nombre de suffrages requis pour le remboursement ne doivent
pas être excessifs.. La commission a également jugé que trois partis ne disposaient pas d’une structure organisationnelle suffisante et leur a refusé le droit de se présenter aux élections 
			(17) 
			Le Parti du droit et
de la vérité, le Parti de la patrie (YURT-P) et le Parti de la réconciliation
sociale, de la réforme et du développement (TURK-P), dont les deux
derniers se sont présentés aux élections de juin 2015. Le 2 septembre,
l’AKP a déposé une plainte auprès du procureur général de la Cour
suprême de Turquie, demandant l’annulation de l’inscription du TURK-P
au motif d’une structure organisationnelle inadéquate. En conséquence,
le 18 septembre, la CES a pris la décision d’exclure le TURK-P des
élections. Le 16 octobre, le TURK-P a saisi la Cour constitutionnelle
pour violation de sa liberté d’association et de son droit de participer
aux élections. Le 27 octobre, la Cour constitutionnelle a rendu
une ordonnance de non-lieu fondé sur un motif d’incompétence. .
18. La Constitution garantit l’égalité entre les femmes et les hommes, mais les partis politiques ne sont pas légalement tenus de désigner des candidates. Certains partis ont mis en place des quotas par sexe de manière volontaire: le HDP et le CHP ont respectivement assuré que 50 % et 33 % de leurs candidats étaient des femmes. Le nombre de candidates sur la liste de l’AKP a baissé depuis juin 2015 
			(18) 
			Il a été expliqué à
la commission ad hoc que, compte tenu de l’importance de ces élections
anticipées, l’AKP avait favorisé la candidature de personnalités
politiques (principalement des hommes) qui n’étaient plus empêchées
de se présenter à nouveau à des élections parlementaires, compte-tenu
de la règle interne de l’AKP selon laquelle les parlementaires ne
peuvent exercer plus de trois mandats successifs.. Les listes des partis comptaient en moyenne 24 % de femmes.

4. Campagne électorale, financement de la campagne et environnement médiatique

19. Conformément à la législation électorale, certaines règles de la campagne ont été appliquées dès le 31 août, alors que la période de la campagne officielle ne démarrait que dix jours avant le jour du scrutin (du 22 octobre au 31 octobre à 18 heures), laissant la plus grande partie de la campagne insuffisamment réglementée. Des règles plus strictes et les principes généraux d’une campagne équitable ont été appliqués pendant la période de campagne officielle (par exemple, interdiction de toutes les cérémonies publiques et de tous les discours sur l’action du gouvernement).
20. Alors que les candidats étaient en général en mesure de délivrer leurs messages à l’électorat, la campagne a été généralement de faible intensité: la plupart des partis politiques ont utilisé les médias sociaux et organisé des campagnes de porte-à-porte et des petites réunions, se concentrant sur quelques circonscriptions ciblées dans le pays là où leur parti était susceptible d’accroître le nombre de sièges au parlement. La commission ad hoc a aussi noté que les partis politiques ont dû mener une seconde campagne électorale la même année, sans fonds supplémentaires de l’Etat. Les contraintes financières ont probablement aussi contribué à la réduction des effectifs de la campagne électorale. Des chefs de partis ont conclu un «gentlemen’s agreement» informel pour ne pas utiliser certaines méthodes de campagne afin d’empêcher le bruit et la pollution environnementale 
			(19) 
			Les mesures comportaient
des restrictions sur l’utilisation de haut-parleurs sur les véhicules
et convois de véhicules, l’affichage de matériels de campagne uniquement
au voisinage des bureaux de campagne, l’enlèvement des matériels
de campagne après un rassemblement et l’emplacement des bureaux
de campagne dans des zones d’accès faciles pour la sécurité. Alors
que certains partis étaient favorables à cet accord, d’autres ayant
moins de ressources, comme par exemple le Parti de la félicité,
craignaient que cela puisse les désavantager.. Une visibilité accrue du matériel de campagne, en particulier des drapeaux et affiches, a été observée les derniers jours de la campagne. Certains partis ont utilisé des références religieuses 
			(20) 
			La MROE de l’OSCE/BIDDH
a relevé que le langage religieux était utilisé dans les événements
organisés par la campagne de l’AKP à Samsun, Manisa et Bursa les
5, 8 et 16 octobre respectivement. Le 22 septembre et le 3 octobre,
la CES a confirmé deux plaintes contre un chant de la campagne de
l’AKP qui incluait des références religieuses; elle a interdit l’utilisation
du chant dans les réunions de la campagne, à l’intérieur comme à
l’extérieur, et dans les campagnes sur les médias sociaux et internet. et trois partis représentés au parlement ont fait campagne à l’étranger 
			(21) 
			Le leader du CHP a
fait campagne en Suisse, France, Belgique, Pays-Bas, en Allemagne
et en Autriche du 23 au 27 septembre. Le co-président du HDP a fait
campagne dans plusieurs villes allemandes durant la dernière semaine
de septembre et la première semaine d’octobre. Le chef de l’AKP
a fait campagne en Allemagne le 3 octobre., en violation de la loi.
21. Aux termes de la Constitution, le président doit être au-dessus des partis et remplir ses fonctions de manière impartiale. Tout en participant à des rassemblements antiterroristes organisés dans le pays et à l’étranger 
			(22) 
			Le
président a assisté à des manifestations anti-terroristes le 20
septembre à Istanbul, le 4 octobre à Strasbourg et le 5 octobre
à Bruxelles., le président a exploité les possibilités de faire campagne pour une majorité stable, et critiqué les figures de l’opposition, ne respectant par conséquent pas ses obligations constitutionnelles d’exécution impartiale de son mandat.
22. Le déroulement de la campagne a été, dès le début, terni par la violence. Comme l’a déploré la délégation préélectorale de l’Assemblée, la violence politique a pu être observée dans les semaines qui ont précédé les élections, avec des attaques, dans l’espace de deux jours, du 6 au 8 septembre 
			(23) 
			Chiffres
fournis à la délégation préélectorale par le HDP. Selon les données
fournies à la MROE de l’OSCE/BIDDH par le HDP, 129 attaques ont
été perpétrées contre les bureaux du parti entre le 6 septembre
et le 9 octobre. Selon les données fournies par le ministre de l’Intérieur,
les attaques suivantes ont été perpétrées contre les bureaux des
partis en octobre: 9 contre le AKP, 7 contre le HDP et 1 contre
le CHP., perpétrées contre 400 bureaux du HDP et lieux de travail des membres du parti du HDP et de quelques locaux de l’AKP. Elle a également été informée qu’un certain nombre de membres du HDP, dont des maires, ont été arrêtés et détenus au cours d’opérations de police, une situation qui était préoccupante 
			(24) 
			Plus de 20 maires,
membres du Parti démocratique des régions, affilié au HDP au niveau
national, ont été suspendus par le ministre de l’Intérieur en raison
d’enquêtes criminelles pour atteinte à l’intégrité territoriale
et à l’unité de l’Etat. Selon les données fournies à la MROE de
l’OSCE/BIDDH par le HDP: 2 590 membres du HDP ont été placés en détention
et 630 arrêtés entre le 20 juillet et le 18 octobre.. Des dépliants de la campagne du HDP ont été confisqués 
			(25) 
			Le 16 octobre, un juge
pénal de la paix a ordonné la confiscation de la brochure mentionnant
«un gouvernement décentralisé» comme preuve pénale dans une enquête
au titre de la loi anti-terroriste.. Des membres du CHP, du MHP et du HDP ont fait l’objet d’enquête pour diffamation des autorités publiques, dont insultes au président. L’AKP a signalé un certain nombre d’attaques de ses bureaux et de menaces à l’encontre de ses membres, en particulier dans l’est et au sud-est du pays. Il a également été fait état d’intimidation des électeurs et de pression exercée pour voter en faveur de plusieurs forces politiques.
23. A la fin de juillet 2015, la violence s’est intensifiée dans le sud-est du pays, où vit une grande partie de la population kurde. Dans plusieurs provinces de l’est et du sud-est du pays, la capacité de faire librement campagne a été considérablement limitée par la détérioration de la sécurité et là où des zones de sécurité spéciales ont été décrétées et/ou des couvre-feux imposés 
			(26) 
			Le 21 août, le Conseil
des ministres a décrété des zones de sécurité spéciales dans au
moins huit provinces ayant effet de septembre 2015 à mars 2016.
De plus, à compter de septembre 2015 les gouverneurs des provinces
ont déclaré zones de sécurité spéciales pendant maximum 15 jours
20 districts dans au moins 7 provinces dans le sud-est du pays. Des
gouverneurs ont également décrété des couvre-feux dans plusieurs
quartiers dans au moins une dizaine de districts allant de quelques
heures à une période de temps indéfinie. En particulier, le couvre-feu
décrété à Cizre (4-12 septembre) a incité le Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe à réagir. Voir la déclaration
de M. Muižnieks: «La Turquie devrait immédiatement donner accès
à la ville de Cizre à des observateurs indépendants», 11 septembre
2015. Les autorités ont annoncé que 32 militants du PKK ont été
tués, tandis que le HDP a fait état de 21 civils tués pendant l’opération. dans des zones où les votes sont majoritairement favorables au HDP.
24. La violence a culminé avec l’attaque à la bombe à Suruc le 20 juillet 2015 (32 morts, des dizaines de blessés) et le grave attentat terroriste perpétré à Ankara le 10 octobre 2015, au cours duquel plus d’une centaine de personnes ont été tuées et plus de 500 blessées. Le HDP, qui a été visé par cette attaque, n’a plus organisé de réunion à compter de cette date. L’AKP a annoncé le 12 octobre que les rassemblements ultérieurs du parti prendraient la forme de rassemblements anti-terroristes. Le climat de la campagne s’est polarisé de plus en plus entre l’AKP et les autres partis, et les discours politiques ont souvent été émaillés de propos très virulents.
25. Les grandes questions concernaient la situation socio-économique, le «processus de solution» (qui est le terme officiel utilisé pour décrire le processus de paix) et la campagne de lutte contre le terrorisme. La proposition de l’AKP visant à établir un système présidentiel, qui était au cœur de la campagne de juin 2015, a été moins débattue, bien que figurant dans le manifeste du parti. La commission ad hoc a toutefois considéré que le climat général de la campagne, au regard de l’escalade de la violence, tendait à instaurer un climat de peur et d’insécurité parmi les électeurs, ce qui aurait très certainement pu avoir une influence sur le choix politique le jour du scrutin.
26. Comme l’indiquaient les rapports précédents de l’Assemblée, la législation ne contient pas de dispositions détaillées sur le financement des campagnes. Le financement des partis par l’Etat est alloué chaque année, sur une base proportionnelle, aux partis qui ont reçu au moins 3 % des votes lors des dernières élections législatives 
			(27) 
			Alors
que le HDP a droit à un financement de l’Etat après l’élection de
juin 2015, le versement sera alloué en janvier 2016. Le ministère
des Finances n’a pas répondu à la demande du HDP d’un versement
anticipé des fonds.. La législation prévoit uniquement certaines restrictions sur le montant et la nature des dons, et il n’est pas exigé que les sources et montants des dons des campagnes et les dépenses soient indiqués ailleurs que dans les rapports financiers annuels des partis politiques, ce qui limite la transparence.
27. En dépit de la diversité du paysage médiatique, commission ad hoc s’est déclarée très préoccupée par les violations de la liberté de la presse et de la liberté d’expression. Les restrictions constitutionnelles et juridiques de la liberté d’expression qui avaient été identifiées précédemment restent valables. Des dispositions peu claires de la loi anti-terroriste et de la loi sur la presse ont été excessivement appliquées au cours de la période électorale. Un certain nombre de journalistes et de médias ont été poursuivis pour «soutien au terrorisme». Les enquêtes pénales engagées pour «insulte au Président de la République» ont été si nombreuses 
			(28) 
			Selon le site de communication
indépendant Bianet, entre juillet et septembre 2015, 61 personnes,
dont 37 journalistes, ont fait l’objet d’enquêtes, de poursuites
ou de condamnation pour insultes au président. qu’on peut se demander avec inquiétude si le recours généralisé à l’article 299 est en conformité avec les normes européennes 
			(29) 
			Voir la jurisprudence
relative à l’article 10 de la Convention européenne des droits de
l’homme, Lingens c. Autriche, Requête
no 9815/82, arrêt du 8 juillet 1986, Castells c. Espagne, Requête no 11798/85,
arrêt du 23 avril 1992, Incal c Turquie, Requête
no 22678/93, arrêt du 9 juin 1998, Arslan c. Turquie, Requête no 23462/94,
arrêt du 8 juillet 1999 (Grande Chambre), et Fikret
Sahin c. Turquie, Requête no 42605/98,
arrêt du 6 décembre 2005. Le 3 novembre 2015, la commission de suivi
de l’Assemblée a décidé de demander à la Commission de Venise d’analyser
la conformité avec les normes européennes des droits de l’homme
de l’article 299 du Code pénal sur la diffamation du Président de
la République, et son application dans la pratique, dans le cadre
de l’avis en préparation suite à la Résolution 2035 (2015) de l’Assemblée. .
28. Une pression accrue a été exercée contre les journalistes, les médias et les groupes de médias ces derniers mois, ce qui a entraîné une augmentation de l’autocensure, et réduit l’accès des électeurs à une pluralité de vues et d’informations. Il y a lieu de relever quelques événements pour illustrer le climat médiatique général qui prévalait durant la campagne électorale:
  • les bureaux du Hürriyet assaillis par la foule les 6 et 8 septembre 2015 
			(30) 
			La foule a été menée
par des partisans de l’AKP, y compris le député de l’AKP (et leader
de la branche jeunesse) M. Boynukalin, après qu’un journaliste aurait
mal cité les propos du Président Erdoğan dans une interview télévisée.
Des fenêtres ont été brisées, des menaces ont été proférées visant
à brûler les bureaux alors que des journalistes s’y trouvaient,
ce qui a suscité des réactions de la communauté internationale,
notamment de la Présidente de l’Assemblée, Anne Brasseur.
Voir la déclaration de Mme Brasseur du
9 septembre 2015., et l’agression brutale de son chroniqueur Ahmet Hakan le 1er octobre 2015;
  • la cessation de la diffusion de plusieurs chaînes de télévision, dont la plupart critiques envers le gouvernement, par quatre prestataires de services numériques, suite à la correspondance du Bureau du Procureur d’Ankara dans le cadre d’enquêtes en cours sur les accusations de soutien au terrorisme 
			(31) 
			Les
prestataires de services numériques Tivibu, Turkcell TV +, Digiturk
et Turksat ont supprimé les stations de télévision le 27 septembre,
et les 2, 8 et 12 octobre, respectivement. Les stations de télévision
touchées incluaient Samanyolu TV, Shaber, Kanalttürk, Bugün télévision
et Mehtap TV. Le 9 octobre, Samanyolu TV a déposé des plaintes à la
CES, le Conseil supérieur de la radio et de la télévision (CSRT)
et des procureurs et des juges. Une autre plainte a été déposée
le 12 octobre par le MHP à la CES sur la même question. La plainte
déposée par Samanyolu TV a été rejetée par la CES sans raisonnement
juridique. Le 21 octobre, deux membres du CHP ont déposé des plaintes
auprès du CSRT, le procureur d’Izmir et le Conseil suprême des procureurs
et des juges.;
  • d’autres cas liés à des accusations de terrorisme à l’encontre du groupe de médias Doğan le 15 septembre, le groupe de médias Koza-Ipek le 1er septembre et les stations de télévision Samanyolu Haber et Mehtap TV le 15 octobre, qui tous critiquent le gouvernement;
  • le remplacement de la gestion du groupe de médias Koza-Ipek par des fiduciaires de l’Etat, suite à la décision rendue le 26 octobre par un juge pénal de la paix d’Ankara. Le 27 octobre, des fonctionnaires sont entrés de force avec la police dans le bâtiment du groupe de médias Koza-Ipek.
  • l’interdiction de rapports sur toute question liée à l’enquête sur l’attentat d’Ankara, venant de fait criminaliser tout rapport sur des questions d’intérêt public 
			(32) 
			L’interdiction a été
imposée à tous les médias par un juge pénal de la paix d’Ankara
le 14 octobre et levée le 19 octobre. Des enquêtes criminelles ont
été engagées par le Procureur général d’Ankara contre des fonctionnaires
et un journaliste pour divulgation de renseignements sur l’enquête.;
  • la descente de la police dans les bureaux du journal quotidien kurde Azadiya Welat et l’agence de presse kurde DIHA à Diyarbakir le 28 septembre, qui a incité le Conseil de l’Europe à lancer une alerte le 5 octobre. Trente-deux journalistes kurdes détenus ont été libérés après avoir été interrogés;
  • ainsi qu’un grand nombre de restrictions sur internet 
			(33) 
			Selon une organisation
nationale de médias, depuis le 24 octobre, 103 877 sites sont bloqués,
certains sans décision de justice..
29. Dans ce paysage médiatique tendu, la commission ad hoc était d’autant plus préoccupée que les sanctions basées sur des rapports de suivi des médias du Conseil supérieur de la radio et de la télévision (CSRT), et imposées par la CES aux diffuseurs, ne prévoient pas de recours effectif en cas de violation de la réglementation. Plusieurs parties prenantes, dont les membres du CSRT, mettent en question la méthodologie du CSRT pour la surveillance de la couverture de la campagne. Il ressort clairement de divers mécanismes de surveillance des médias que ceux-ci favorisaient ouvertement le parti au pouvoir 
			(34) 
			Les résultats de la
surveillance des médias par la MROE de l’OSCE / BIDDH ont montré
que trois des cinq stations de télévision contrôlées, dont le radiodiffuseur
public, favorisaient le parti au pouvoir. L’AKP a reçu le temps
d’antenne le plus important de la couverture sur toutes les stations
de télévision – 73 % sur TRT1, 77 % sur ATV, 32 % sur CNN Turk, 49 %
sur Haber Turk et 47 % sur Samanyolu TV, tandis que les autres partis
parlementaires recevaient une couverture moindre. Le ton de la couverture
de l’AKP était surtout positif sur la TRT1, ATV et Haber Turk, et
surtout négatif sur CNN Turk et Samanyolu TV. Les partis CHP, MHP
et HDP avaient respectivement 12, 8 et 6 % sur TRT1; 11, 8 et 4 %
sur les ATV; 28, 18 et 14 % sur CNN Turk; 19, 22 et 9 % sur Haber
Turk, et 23, 13 et 12 % sur Samanyolu TV. Quatre autres partis avaient
une couverture inférieure à 1 %, et les autres partis n’étaient
pas mentionnés sur les programmes des stations de télévision contrôlées,
les deux autres ayant une couverture négative. Voir aussi les conclusions
du CRST publiées le 27 octobre 2015 par les médias électroniques
Bianet sur le temps d’antenne alloué par les médias, y compris TRT
appartenant à l’Etat, selon lequel 12 chaînes de télévision, dont
TRT a alloué 138 heures au Président Erdoğan, 238 heures à l’AKP,
36 heures au CHP, 21 heures au MHP et 6 heures au HDP sur une période
de 25 jours., alors que la réglementation applicable aux médias requiert de tous les radiodiffuseurs qu’ils veillent à l’impartialité, la véracité et l’exactitude dans leurs émissions 
			(35) 
			La conduite des médias
audiovisuels pendant la période électorale est régie par loi sur
la création de chaînes de radio et de télévision et leurs émissions
et leurs services de médias (loi sur la radiodiffusion), la loi
sur les dispositions de base et les décisions de la CES.. L’absence de lignes directrices et de définitions générales sur la mise en œuvre de ces principes en période électorale, et la composition politique de ce Conseil 
			(36) 
			Le
Conseil supérieur de la radio et de la télévision (CSRT) est composé
de neuf membres élus par le parlement; cinq sont nommés par l’AKP,
deux par le CHP et un membre respectivement par le MHP et le HDP., ne permettent toutefois pas au CSRT de réglementer la scène médiatique de manière à garantir un accès équitable des candidats politiques aux médias en période électorale, ce qui permettrait aux électeurs de faire un choix bien informé.
30. Les dispositions juridiques régissant le fonctionnement de la CES et le traitement des plaintes électorales devraient être clarifiées afin que des recours effectifs et en temps opportun soient prévues en cas de plaintes électorales. Comme l’ont indiqué les conclusions préliminaires de la MIOE du BIDDH, la CES a reçu quelque 40 plaintes et recours introduits par des partis politiques, des députés et d’autres parties prenantes, principalement liés à la couverture médiatique déséquilibrée et inexacte ainsi que diverses décisions de l’administration électorale et violations relatives à la campagne. Alors que la CES a traité efficacement certaines plaintes, d’autres n’ont pas fait l’objet d’examen quant au fond, et dans certains cas d’un recours effectif ou opportun. Certaines décisions de la CES sur les plaintes et recours n’ont pas été suffisamment motivées, en particulier dans les cas rejetés par la CES, ou dans ceux pour lesquels elle a estimé ne pas avoir l’autorité pour juger. En l’absence de délais légaux, la CES n’a pas traité des plaintes liées aux médias, dont la plupart étaient liées à l’exigence d’impartialité, en temps opportun, afin d’offrir des voies de recours effectives aux plaignants.

5. Jour du scrutin

31. Le jour de l’élection, le scrutin était généralement organisé de manière efficace et pacifique dans les zones observées par la commission ad hoc. Le décompte des voix a été évalué comme transparent et bien organisé. Le dépouillement des bulletins et le décompte des voix observé dans plusieurs CED a été évalué comme étant dans l’ensemble ordonné et efficace, malgré l’engorgement par moments.
32. Dans les bureaux de vote visités, le scrutin a été, en général, bien organisé. Malgré les contraintes juridiques empêchant les organisations non gouvernementales (ONG) d’être accréditées en tant qu’observateurs, le suivi du processus électoral par la société civile a été de fait dynamique. La plate-forme de la société civile «Oy ve Ötesi» (Vote et au-delà) avait l’intention de déployer plus de 60 000 observateurs et étaient présents dans de nombreux bureaux de vote. A plusieurs reprises, il a été demandé aux équipes des MIOE et aux observateurs internationaux de quitter les CBV, parfois par des personnes agissant au nom des candidats aux élections. Dans plusieurs cas, les observateurs accrédités au nom des partis politiques se sont vu refuser l’accès. Après un ordre émis par un gouverneur provincial, des fonctionnaires de police ont demandé aux représentants d’un groupe d’observateurs citoyens accrédités au nom des partis politiques de présenter leur identification.
33. Les membres de la commission ad hoc ont été déployés dans 16 équipes et quatre emplacements (Ankara, agglomération d’Ankara, Izmir, Istanbul). Ils ont visité environ 200 bureaux de vote. Leurs conclusions étaient les suivantes:
  • les membres de la commission ad hoc ont convenu de conclure que les élections ont été généralement bien menées dans les bureaux de vote visités;
  • dans quelques bureaux de vote, des tensions pourraient se faire sentir du fait que les électeurs ont été informés de la présence importante de certains observateurs des partis. Certaines équipes étaient confrontées à des questions en entrant dans les bureaux de vote, mais cela pouvait généralement être surmonté après discussion avec le Président de la commission électorale. Dans un cas, une équipe s’est vu refuser l’accès à un bureau de vote, mais la question a été résolue plus tard, après intervention de la police, qui a été convoquée par le bureau électoral;
  • les membres ont observé une forte participation des personnes handicapées et des personnes âgées, avec l’aide de membres de la famille (comme l’autorise la réglementation), ou par des membres du bureau électoral. Dans certains endroits, des bus ont amené les électeurs aux bureaux de vote;
  • des membres ont été intrigués par le rôle, et l’autorité, des directeurs des écoles où se trouvaient les bureaux de vote;
  • dans plusieurs bureaux de vote visités à la campagne, il n’y avait pas d’observateurs des partis et peu de représentants appartenant à «Oy ve Ötesi» (Voter et au-delà);
  • de nombreux bureaux de vote étaient dominés par les hommes, à l’exception d’un bureau de vote uniquement féminin;
  • dans un bureau de vote à Kirsehir/Ankara, il a été signalé qu’un électeur avait été pris en train de photographier son bulletin de vote dans l’isoloir 
			(37) 
			Cette
pratique a été mentionnée par d’autres témoins. Il semble que les
photos devraient prouver le vote loyal pour un parti, quelquefois
contre une rémunération ou une bourse, comme l’a indiqué un étudiant.. Le président a notifié l’incident à la police. Après consultation d’une CED, ce vote a été considéré comme valable et a pu être comptabilisé.
34. Le 12 novembre, la CES a annoncé les résultats officiels des élections; avec un taux de participation de 85,23 %:
  • AKP: 49,50 % (317 sièges);
  • CHP: 25,32 % (134 sièges);
  • MHP: 11,9 % (40 sièges);
  • HDP: 10,76 % (59 sièges);
  • Parti de la félicité (Saadet): 0,68 % (aucun siège);
  • Autres partis politiques: 1,84 % (aucun siège);
35. En ce qui concerne l’égalité entre les femmes et les hommes, le nombre de femmes députés élues a baissé, passant de 98 à 82 depuis les élections de juin. 24 % des candidats inscrits sur les listes des partis étaient des femmes, mais pas à des postes élevés, ce qui fait que 14,91 % des députés élus sont des femmes (elles étaient 17,8 % en juin 2015). Alors que les femmes jouent un rôle actif dans la campagne, elles restent sous-représentées dans la vie politique. Tous les partis politiques devraient donc être vivement encouragés à mettre en œuvre des quotas de genre comme mesures temporaires pour assurer une représentation équilibrée des femmes au parlement, et veiller à ce que les femmes soient éligibles sur les listes des partis.

6. Conclusions et recommandations

36. La commission ad hoc a conclu que les élections ont été bien menées le jour du scrutin, dans une atmosphère généralement pacifique, malgré le contexte de sécurité difficile durant la campagne électorale. Ces élections offraient un large éventail de choix politiques. Le fonctionnement général des bureaux de vote visités par les membres de la commission ad hoc a été efficace et transparent. Les processus de dépouillement et le décompte des votes ont été en général transparents et menés avec célérité. La commission ad hoc félicite le peuple turc de sa participation active à l’organisation des élections (avec environ un million de citoyens impliqués dans les différents niveaux de l’administration électorale), et sa participation à l’élection, avec un taux de participation élevé, y compris dans les zones de la partie est et sud-est de la Turquie touchées par une situation de sécurité défavorable.
37. La commission ad hoc a également salué la volonté et la capacité croissante d’une société civile dynamique pour impliquer les citoyens dans la surveillance de ces élections, partis et citoyens observateurs, en particulier appartenant à «Oy ve Ötesi» (Voter et au-delà), et assurer leur participation active dans le processus électoral, malgré les restrictions légales empêchant les observateurs nationaux d’être accrédités en tant qu’observateurs.
38. La commission ad hoc a noté que le cadre juridique – s’il est mis en œuvre pleinement et efficacement – est généralement propice à la tenue d’élections démocratiques. Cependant, la liberté d’association, de réunion et d’expression, ainsi que les droits de suffrage actif et passif, sont dans une certaine mesure indûment restreints dans la Constitution et la législation générale.
39. La commission ad hoc souligne, une fois de plus, qu’un processus électoral ne se limite pas, tant s’en faut, au jour de scrutin. Elle regrette que la campagne électorale ait été ternie par un contexte de sécurité difficile, en particulier dans le sud-est du pays, et un nombre élevé d’incidents violents, dont les attaques contre les membres du parti et le personnel de campagne, ainsi que dans les locaux des partis, ce qui a entravé la capacité des candidats à faire campagne librement.
40. La couverture médiatique s’est polarisée sur des positions partisanes, y compris sur la chaîne de télévision publique, le parti au pouvoir ayant été nettement favorisé. La commission ad hoc a donc conclu que la campagne électorale a été caractérisée par l’iniquité, compte tenu des graves restrictions à la liberté des médias, la criminalisation des voix dissidentes, l’absence de recours effectifs et opportuns prévus par la Commission électorale suprême (en particulier concernant une couverture inéquitable des médias) et l’examen judiciaire des décisions de la CES, et le contexte de peur régnant dans le pays suite à la reprise des attentats terroristes et la reprise de la lutte contre le terrorisme.
41. La commission ad hoc souhaite qu’après ces élections législatives, qui se sont déroulées dans une atmosphère beaucoup plus polarisée, le dialogue reprenne au sein de la société afin de poursuivre le processus de démocratisation, ainsi que les pourparlers de paix pour résoudre la question kurde, qui est une question clé pour la stabilité démocratique à long terme du pays. En particulier, elle a souligné le rôle que le président, conformément à ses prérogatives constitutionnelles, devrait jouer en faveur d’un processus politique inclusif pour faire face aux problèmes auxquels est confrontée la Turquie, en veillant à ce que toutes les voix, y compris celles ayant perdu ces élections, soient en mesure d’être entendues.
42. Nombre de lacunes, qui, à plusieurs reprises ont déjà été identifiées par l’Assemblée parlementaire, la Commission de Venise et l’OSCE/BIDDH, restent sans réponse. Par conséquent, la commission ad hoc encourage vivement les autorités à remédier, avant les prochaines élections, à ces lacunes dans le cadre de son dialogue post-suivi avec l’Assemblée parlementaire et des programmes de coopération du Conseil de l’Europe, et en étroite coopération avec la Commission de Venise, en particulier:
  • à revoir et adapter la législation électorale et les dispositions constitutionnelles pertinentes, notamment pour combler les lacunes; inclure une meilleure protection et réglementation dans le domaine de la liberté d’expression et de l’utilisation des médias durant la campagne; améliorer les règles relatives à la campagne et au financement des partis (en ligne avec les recommandations du Groupe d'Etats contre la corruption (GRECO) en 2015); revoir la méthode de répartition des sièges et garantir le principe de l’égalité du vote en raison des différences significatives dans le poids du vote;
  • à abaisser le seuil de 10 %, qui a un impact sur le manque de représentativité du parlement;
  • à mettre en place un mécanisme pour permettre le contrôle judiciaire des décisions de la CES, et assurer l’accès aux recours judiciaires en matière électorale, conformément aux recommandations de la Commission de Venise;
  • à évaluer la composition et le fonctionnement du Conseil supérieur de la radio et de la télévision (CSRT) pour assurer un bon suivi de la loi sur l’établissement des entreprises de radio et de télévision qui oblige les radiodiffuseurs à fournir une couverture impartiale des partis politiques;
  • à s’assurer que la CES garantit des recours effectifs et opportuns en cas de violation de la loi;
  • à instaurer une base juridique pour l’observation citoyenne et internationale, en conformité avec le paragraphe II.3.2 du Code de bonne conduite en matière électorale de la Commission de Venise, ce qui contribuerait à améliorer la confiance globale dans le processus électoral.

Annexe 1 – Composition de la commission ad hoc

(open)

Sur la base de propositions des groupes politiques de l’Assemblée, la commission ad hoc se composait comme suit:

  • Andreas GROSS (Suisse, SOC), Président
  • Groupe du Parti populaire européen (PPE/DC)
    • Volodymyr ARIEV, Ukraine*
    • Elena CENTEMERO, Italie
    • Iryna GERASHCHENKO, Ukraine
    • Anže LOGAR, Slovénie
    • Ion POPA, Roumanie
    • Ionuƫ-Marian STROE, Roumanie
    • Imer ALIU, «l’ex-République yougoslave de Macédoine»
  • Groupe socialiste (SOC)
    • Andreas GROSS, Suisse*
    • Josette DURRIEU, France
    • Birutè VĖSAITĖ, Lituanie
    • Paolo CORSINI, Italie
    • Yuliya L’OVOCHKINA, Ukraine
  • Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE)
    • André BUGNON, Suisse
    • Alfred HEER, Suisse
    • Olena SOTNYK, Ukraine*
    • Carles JORDANA MADERO, Andorre
    • Eerik-Niiles KROSS, Estonie
  • Groupe des conservateurs européens (CE)
    • Richard BALFE, Royaume-Uni
    • Christopher CHOPE, Royaume-Uni*
  • Groupe de la gauche unitaire européenne (GUE)
    • Tiny KOX*, Pays-Bas
    • Nikolaj VILLUMSEN, Danemark*
    • George LOUKAIDES, Chypre
  • Corapporteures de la commission de suivi(ex officio)
    • Ms Ingebjørg GODSKESEN, Norvège*
    • Ms Nataša VUCKOVIC, Serbie*
  • Commission de Venise
    • Srđan DARMANOVIĆ, Monténégro
  • Secrétariat
    • Sylvie AFFHOLDER, Administratrice, Assemblée parlementaire
    • Danièle GASTL, Assistante, Division de l’observation des élections et de la coopération interparlementaire, Secrétariat de l’Assemblée parlementaire
    • Sevda GÜNDÜZ, Assistante, Division de l’observation des élections et de la coopération interparlementaire, Secrétariat de l’Assemblée parlementaire
    • Nathalie BARGELLINI, Attachée de presse, Assemblée parlementaire
    • Amaya UBEDA DE TORRES, Administratrice, Commission de Venise
    • Denise O’HARA, Secrétaire du Groupe du Parti populaire européen (PPE/DC)
    • Anna KOLOTOVA, Secrétaire du Groupe de la gauche unitaire européenne (GUE)

* membres de la délégation préélectorale

Annexe 2 – Déclaration de la mission préélectorale

(open)

Strasbourg, 08.10.2015 – Une délégation multipartite de sept membres (*) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) s’est rendue à Ankara les 5 et 6 octobre 2015, à l’invitation de la délégation turque auprès de l’APCE, pour une visite préélectorale avant les élections législatives anticipées prévues le 1er novembre 2015.

La délégation note que la campagne pour les élections anticipées se déroule dans un environnement qui a radicalement changé par rapport aux élections du 7 juin. En effet, aucun parti n’a à lui seul de majorité parlementaire, les tentatives de former une coalition ont échoué, le processus de paix est suspendu et les heurts ont repris entre les Forces turques de sécurité et le PKK. Ces événements ont entraîné une polarisation accrue, et un regain de tensions dans le pays.

La délégation se félicite que tous les partis politiques se soient engagés à tenir des élections équitables et estime que les électeurs se verront, une fois encore, offrir un véritable choix. Elle est cependant sérieusement préoccupée par la situation des médias. Elle a été informée de cas d’intimidations répétées, de pressions et d’attaques physiques à l’encontre de journalistes et de groupes de presse, qui ont culminé par des mouvements de foule dans les locaux de Hürriyet les 6 et 8 septembre 2015 et l’agression brutale dont a été victime son chroniqueur Ahmet Hakan le 1er octobre 2015.

La délégation a également été informée d’une nette augmentation des poursuites intentées à l’encontre de voix critiques, accusées de «diffamation du Président» (article 299 du Code pénal), ou encore de «terrorisme»; un certain nombre de restrictions à la liberté d’expression, notamment sur Internet et les médias sociaux, lui ont également été rapportées.

Les problèmes de sécurité ont également dominé les discussions durant la visite préélectorale. La délégation condamne la violence à motivations politiques observée ces dernières semaines, notamment les attaques perpétrées, en deux jours, contre 400 bureaux et locaux professionnels du parti HDP, ainsi que contre des bâtiments d’AKP. Elle a également été informée qu’un certain nombre de membres du HDP, dont des Maires, ont été arrêtés et mis en détention lors de récentes opérations de police, ce qui est préoccupant. La délégation appelle toutes les parties prenantes politiques à éviter de recourir à la violence verbale et physique et à agir pour y mettre un terme, ainsi qu’à adopter une position raisonnable durant la campagne électorale pour prévenir toute nouvelle escalade qui saperait les processus démocratiques.

Avec la Commission électorale suprême (CES), la délégation a également discuté de possibles mesures à prendre pour garantir la sûreté et la sécurité de tous les électeurs. Une attention particulière a été portée à la récente décision de la CES de ne pas autoriser que les urnes dans des quartiers à risque soient déplacées. La délégation a été informée que, dans certains endroits, des pressions pourraient être exercées sur les électeurs. La création d’un certain nombre de «zones de sécurité temporaire spéciales» et les couvre-feux dans des secteurs majoritairement susceptibles de voter pour le HDP est très préoccupante, car du fait de cette situation, la peur pourrait se répandre au sein des électeurs. Les autorités ont assuré à la délégation que toutes les mesures nécessaires seraient prises pour garantir la sécurité, en particulier dans l’est et le sud-est de la Turquie, et pour permettre aux candidats de faire campagne, et aux citoyens de voter, sans crainte. La délégation estime que l’observation des élections par des observateurs locaux et internationaux dans ces zones contestées, si les conditions de sécurité le permettent, renforcera la transparence du processus électoral et la confiance dans ce dernier.

Enfin, la délégation rappelle qu’un certain nombre de dysfonctionnement identifiés durant la mission d’observation des élections de juin 2015 perdurent, par exemple la forte disproportion de la couverture des différents partis politiques dans les médias appartenant à l’Etat; l’absence de contrôle judiciaire des décisions de la CES; l’absence de réglementation du financement de campagne et des partis; et l’impossibilité pour les ONG nationales de s’enregistrer en tant qu’observateurs. Le rôle actif joué par le Président de la République durant la période de campagne, en dépit des dispositions constitutionnelles qui lui imposent d’exercer sa fonction en toute neutralité, a également été mis en cause. La délégation réitère l’appel de l’APCE à abaisser le seuil de 10 %, qui a un impact sur le manque de représentativité du parlement.

La délégation exprime l’espoir que les élections seront justes et transparentes, et permettront aux citoyens d’exprimer leur volonté. Elle se félicite aussi de la capacité croissante d’une société civile dynamique à associer les citoyens à l’observation de ces élections et à jouer un rôle actif dans le processus électoral.

Durant sa visite à Ankara, la délégation a rencontré des chefs et représentants des principaux partis politiques participant aux élections, des membres du corps diplomatique à Ankara, le Chef de la Mission d’observation des élections de l’OSCE/BIDDH, des membres de la délégation parlementaire turque auprès de l’APCE, le Président et des membres de la Commission électorale suprême (CES), des représentants du ministère de l’Intérieur, le Président et des membres du Conseil suprême de l’audiovisuel (CSA) ainsi que des représentants de la société civile et des médias. Une délégation complète de 32 observateurs de l’APCE se rendra dans le pays pour observer les élections anticipées du 1er novembre 2015.

(*) Membres de la délégation préélectorale: Andreas Gross (Suisse, SOC), Chef de la délégation; Volodymyr Ariev (Ukraine, PPE/DC); Olena Sotnyk (Ukraine, ADLE); Christopher Chope (Royaume-Uni, CE); Nikolaj Villumsen (Danemark, GUE); Ingebjorg Godskesen (Norvège, CE) et Natasa Vuckovic (Serbie, SOC), corapporteures de l’APCE pour le dialogue postsuivi avec la Turquie

Annexe 3 – Programme de la mission d’observation des élections (30 octobre-2 novembre 2015)

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Vendredi 30 octobre 2015

09h00-10h00 Réunion de la commission ad hoc de l’APCE:

  • Information sur la mission préélectorale de M. Andreas Gross, chef de la délégation
  • Informations données par des membres de la mission préélectorale
  • Informations sur la législation électorale, par M. Srđan Darmanović, Commission de Venise, et Mme Amaya Ubeda de Torres, membre du Secrétariat
  • Dispositions pratiques et logistiques, Secrétariat

10h15-10h30 Ouverture par les chefs des délégations parlementaires:

  • M. Ignacio Sánchez Amor, coordinateur spécial des observateurs de courte durée de l’OSCE
  • M. Andreas Gross, chef de la délégation de l’APCE
  • Mme Margareta Cederfelt, chef de la délégation de l’AP-OSCE

10h30-12h30 Réunion d’information de la Mission d’observation limitée des élections de l’OSCE/BIDDH:

  • Introduction et aperçu des résultats à ce jour – Ambassadeur Geert-Hinrich Ahrens, Chef de Mission
  • Contexte politique et campagne – Mme Martina Barker-Cigániková, analyste politique
  • Cadre juridique et plaintes – Mme Marla Morry, analyste juridique
  • Environement médiatique – Mme Elma Šehalić, analyste média
  • Procédures d’administration électorale et du scrutin – M. Konrad Olszewski, analyste élection
  • Questions-réponses
  • Point sur la sécurité – M. Wayne Pilgrim, expert en sécurité

14h30-17h45 Réunions avec des représentants de partis politiques:

  • M. Yıldız Seferinoğlu, Président du Centre pour les élections, Parti de la justice et du développement (AKP)
  • M. Erdal Aksünger, Chef Consultant du Président, député d’İzmir, Parti républicain du peuple (CHP)
  • M. Sırrı Süreyya Önder, député d’Ankara, Parti démocratique des peuples (HDP)

18h00 Réunion avec les interprètes et les chauffeurs des équipes de l’AP-OSCE et de l’APCE déployées à Ankara

Samedi 31 octobre 2015

09h30-10h30 Table ronde avec des représentants des médias:

  • M. Ali Ünal, Représentant à Ankara, Daily Sabah
  • M. Arif Tekdal, correspondant diplomatique, Today’s Zaman Daily
  • Mme Zeynep Gürcanli, représentante du Bureau d’Ankara, Hürriyet
  • M. Ahmet Abakay, Président, Association des journalistes progressistes

10h30-11h30 Table ronde avec des représentants de la société civile:

  • Mme Oya Özarslan, Présidente, Transparency International
  • M. Mehmet Pancaroğlu, Représentant d’Ankara, Vote and Beyond
  • Mme Dilek Ertükel, Directrice pays, NDI
  • Mme Hatice Kapusuz, Présidente de KA.DER, Ankara,
  • Mme Feray Salman, Coordinatrice générale, Plateforme commune pour les droits de l’homme

11h30-12h00 Réunion avec des représentants du Conseil supérieur de la radio et de la télévision (RTSC):

  • M. İlker Ilgın, Vice-Président
  • M. Emir Miracettin Ulucak, Chef du département du suivi et de l’évaluation
  • M. Süleyman Demirkan, membre
  • M. Ersin Öngel, membre

12h00-12h30 Briefing régional par les observateurs de longue durée de la MROE de l’OSCE/BIDDH déployés à Ankara:

  • Mme Jurga Lukšaitė-Roehling, co-ordinatrice des observateurs de longue durée
  • Observateurs de longue durée – Equipes à Ankara: Mme Linda Elisabeth Beijlsmit et Mme Karin Bo Bergquist

Dimanche 1er novembre 2015

07h30 Observation de l’ouverture des bureaux de vote

08h00-17h00 Observation du scrutin

17h00 Observation de la clôture des bureaux de vote, décompte et présentation des résultats

Lundi 2 novembre 2015

8h30-09h30 Réunion de la commission ad hoc de l’APCE

Débriefing des membres de la commission ad hoc suite à l’observation des élections

14h00 Conférence de presse jointe

Annexe 4 – Déclaration de la mission internationale d’observation des élections (MIOE)

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Turquie: choix dans les programmes électoraux, mais un scrutin entravé par la situation tendue sur le plan de la sécurité, les actes de violence et les restrictions imposées aux médias, selon les observateurs internationaux

Strasbourg, 02.11.2015 – Les élections législatives anticipées qui se sont déroulées en Turquie le 1er novembre ont donné aux électeurs la possibilité de choisir entre une multiplicité de programmes électoraux. Dans le même temps, la situation tendue sur le plan de la sécurité, en particulier dans le sud-est du pays, conjuguée à de nombreux incidents violents, notamment des agressions qui ont visé des candidats, leurs locaux et leurs équipes, les a empêchés de faire librement campagne, ont indiqué les observateurs internationaux dans une déclaration publiée ce jour. Les restrictions auxquelles sont soumis les médias continuent de poser un grave problème, ont-ils ajouté.

«Ce scrutin très polarisé a certes permis aux citoyens turcs de choisir entre des alternatives politiques réelles et crédibles, mais le fait qu’ils se soient rapidement heurtés à un choix de plus en plus limité dans la couverture médiatique et les restrictions de la liberté d’expression d’une manière générale ont pesé sur le scrutin et demeurent très préoccupants», a estimé Ignacio Sánchez Amor, coordinateur spécial et chef de la mission d’observation de courte durée de l’OSCE. «Les agressions physiques dont ont fait l’objet des candidats, ainsi que d’importants problèmes de sécurité, en particulier dans le sud-est du territoire, ont été un frein supplémentaire dans la campagne électorale.»

Le grave attentat à la bombe terroriste perpétré à Ankara le 10 octobre a considérablement alourdi le climat et le déroulement de la campagne, qui a de ce fait été temporairement suspendue par tous les partis politiques. Les messages destinés à l’électorat ont été instillés dans un climat qui s’est polarisé entre le parti au pouvoir et les autres candidats, et les discours politiques ont souvent été émaillés de propos très virulents, selon la déclaration. Les deux dernières semaines de la campagne ont été marquées par une hausse du nombre d’agressions et d’arrestations de candidats et de militants, le Parti démocratique du peuple (HDP) ayant été ici plus spécialement visé.

«La campagne électorale a malheureusement été entachée par l’inéquité et, dans une certaine mesure, par la peur», a déclaré Andreas Gross, chef de la délégation de l’APCE. «D’où la nécessité absolument cruciale pour le Président de s’engager, pour régler les problèmes auxquels la Turquie doit faire face, dans un processus politique dont nul ne soit exclu et de veiller à ce que tous, y compris ceux qui ont perdu les élections, puissent faire entendre leur voix.»

«Les violences dans le sud-est du pays, à dominance kurde, ont lourdement pesé sur le scrutin et les récentes agressions et arrestations de candidats et militants, principalement du HDP, sont préoccupantes dans la mesure où elles ont entravé leur possibilité de faire campagne», a déclaré Margareta Cederfelt, chef de la délégation de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE. «Pour qu’un processus électoral soit réellement démocratique, les candidats doivent avoir le sentiment qu’ils peuvent mener campagne, et les électeurs celui qu’ils peuvent se rendre aux urnes en toute sécurité.»

En dépit de la diversité du paysage médiatique, la liberté d’expression continue de faire l’objet de restrictions juridiques excessives. Les enquêtes qui ont visé des journalistes et des organes de presse accusés de soutenir le terrorisme ou d’avoir tenu des propos diffamatoires contre le Président, le blocage de sites web, le musellement de certains médias de premier rang et le fait que des fournisseurs de services numériques aient supprimé de leur offre plusieurs chaînes de télévision ont restreint l’accès des électeurs à une pluralité de vues et d’informations, ont estimé les observateurs. En examinant de plus près la situation sur le terrain médiatique, il est apparu que trois des cinq chaînes de télévision nationales observées, dont la chaîne publique, étaient, dans leurs programmes, clairement favorables au parti au pouvoir.

Les élections ont été bien organisées par les services administratifs qui en étaient chargés, et la Commission électorale suprême a respecté tous les délais. Elle a estimé que le scrutin devait malgré tout se tenir dans les zones touchées par la violence et les commissions électorales de district ont, conformément à cette décision, déplacé un nombre non négligeable de bureaux de vote dans plusieurs quartiers.

Dès lors qu’il est pleinement et efficacement mis en œuvre, le cadre juridique doit normalement favoriser la tenue d’élections démocratiques. Or, certaines libertés fondamentales, dont le droit de voter et d’être élu, font l’objet de restrictions excessives dans la Constitution et la législation. Les observateurs ont relevé que diverses recommandations adoptées depuis quelque temps déjà, pour certaines en 2011, par le Bureau des Institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE et par le Conseil de l’Europe en vue de remédier à différentes lacunes et ambiguïtés n’avaient pas été suivies d’effet.

«Une fois de plus, notre appréciation, qui s’est appuyée sur les observations que nous avons menées ces cinq dernières semaines, n’est pas clairement tranchée; il y a des points positifs, mais il y a aussi des choses qui laissent à désirer», a indiqué Geert-Hinrich Ahrens, qui dirigeait la Mission restreinte d’observation des élections de l’OSCE/BIDDH. «J’espère que les autorités compétentes tiendront compte du message contenu dans la déclaration d’aujourd’hui ainsi que dans le rapport final du BIDDH concernant ce scrutin, et qu’elles s’emploieront à donner un suivi substantiel aux recommandations que fera le rapport final.»

Les observateurs soulignent aussi dans la déclaration le fait que le seuil de 10 % pour les élections législatives limite le pluralisme politique et que le système utilisé pour déterminer le nombre de sièges par circonscription aboutit à d’importants écarts concernant le nombre d’électeurs par siège, ce qui est contraire au principe d’égalité du vote. Au plan positif, ils relèvent que la liberté de faire campagne dans la langue de son choix a été garantie par le législateur en 2014.

L’impossibilité de soumettre les décisions de la Commission électorale suprême à un contrôle juridictionnel va à l’encontre du principe de la séparation des pouvoirs et empêche tout accès à des voies de recours judiciaires en matière électorale. Le récent arrêt rendu par la Cour constitutionnelle dans lequel celle-ci a indiqué que les décisions de la Commission ne pouvaient être réexaminées quand bien même il avait été porté atteinte à des libertés et droits fondamentaux, a limité plus encore la possibilité d’intenter un recours en justice, ont déclaré les observateurs.

L’inscription des candidats n’a globalement exclu personne et a laissé aux électeurs un choix réellement ouvert. Néanmoins, les restrictions qui ont frappé ceux qui n’avaient pas accompli leur service militaire obligatoire ou qui avaient été condamnés pour l’un des délits figurant sur une large liste de faits répréhensibles, parfois mineurs, sont incompatibles avec le droit fondamental de se présenter aux élections, indique la déclaration.

Les observateurs ont constaté que les listes électorales ont été perçues comme généralement fiables. Ils ont cependant ajouté que les restrictions de vote imposées aux appelés du contingent, aux étudiants des écoles militaires et aux détenus n’étaient pas conformes aux engagements vis-à-vis de l’OSCE ni à d’autres normes internationales.

Les femmes ont joué un rôle actif dans la campagne, même si elles demeurent sous-représentées dans la vie politique. La Constitution garantit l’égalité des sexes; pour autant, les partis politiques n’ont aucune obligation, au regard de la loi, de proposer des candidatures féminines. Il est toutefois encourageant de voir que certains partis ont institué des quotas hommes/femmes et mis en place des mesures de discrimination positive pour favoriser la participation des femmes. Environ 24 % des candidatures présentées pour ce scrutin émanaient de femmes – mais elles n’occupaient pas les places plus élevées dans les listes.

Le scrutin s’est, dans l’ensemble, déroulé dans le calme et le vote, tel qu’ont pu le constater les observateurs dans le petit nombre de bureaux où ils se sont rendus, était organisé de manière globalement efficace; les observateurs ont toutefois été priés de quitter les lieux dans sept bureaux de vote, et des observateurs citoyens accrédités par des partis politiques ont été interdits d’accès dans certains bureaux. Les procédures de comptage des voix ont été jugées transparentes et bien organisées, même si les modalités prévues par la loi n’ont parfois pas été respectées.