Avis de commission | Doc. 13955 | 25 janvier 2016
Demande de statut de partenaire pour la démocratie auprès de l'Assemblée parlementaire présentée par le Parlement de Jordanie
Commission des questions juridiques et des droits de l'homme
A. Conclusions de la commission
(open)B. Amendements proposés
(open)Amendement A (au projet de résolution)
Dans le paragraphe 9.6, ajouter après le mot «appliquer», les mots «de manière constante».
Amendement B (au projet de résolution)
Dans le paragraphe 9.7, remplacer «, en particulier, revoir la loi de 1954 sur la prévention de la criminalité en vue d’empêcher toute utilisation abusive de la détention administrative » par «faire un premier pas vers l’abolition de la pratique de la détention administrative».
Amendement C (au projet de résolution)
Dans le paragraphe 9.9, insérer, au début du paragraphe, les mots «redoubler d’efforts pour réduire le nombre de personnes placées en détention provisoire et».
Amendement D (au projet de résolution)
Dans le paragraphe 9.10, insérer au début du paragraphe «à veiller à ce que la torture soit clairement interdite par la législation et soit considérée comme un crime grave passible de peines conformes aux normes internationales;».
C. Exposé des motifs par M. Xuclà, rapporteur pour avis
(open)1. Amendement A (au projet de résolution)
Note explicative:
Comme l’indique le rapport de Mme Durrieu, le moratoire de fait sur les exécutions a pris fin en décembre 2014 avec l’exécution de 11 personnes, puis de deux personnes supplémentaires en février 2015. En novembre 2014, la fin du moratoire de fait était déjà en germe, puisqu’un groupe d’experts avait été constitué par le cabinet ministériel en vue de reprendre les exécutions, au motif que les crimes commis dans le pays seraient en augmentation . En 2007, 2008, 2010, 2012 et 2014, la Jordanie s’était abstenue à plusieurs reprises de se prononcer au moment du vote sur une résolution des Nations Unies relative à un moratoire sur le recours à la peine de mort . Tout en reconnaissant la situation délicate dans laquelle se trouve la Jordanie, dans une région en proie au terrorisme et à d’autres formes de violence, l’Assemblée a souligné à de multiples occasions, en se fondant sur l’expérience concrète acquise par de nombreux pays, que la peine de mort ne renforce pas la sécurité. La peine de mort n’a aucun effet dissuasif sur les criminels les plus dangereux, qui sont convaincus de n’être pas découverts, ni sur les terroristes, qui sont pour une bonne part de toutes façons prêts à mourir pour leur cause. C’est pourquoi j’aimerais encourager la Jordanie à rétablir un véritable moratoire effectif.
2. Amendement B (au projet de résolution)
Note explicative:
La loi de 1954 relative à la prévention de la criminalité autorise le recours à la détention administrative. Ce texte permet au gouverneur d’une province de placer en détention «les personnes qui seraient sur le point de commettre un crime ou d'aider à le perpétrer, ont l’habitude de commettre des vols, de protéger des voleurs ou de receler des biens volés et toute personne qui, en liberté, constituerait un “danger pour autrui”» . Cette dernière catégorie a également été utilisée jusqu’à récemment pour protéger les femmes qui risquaient d’être victimes de violences domestiques. Selon le Centre national des droits de l'homme de Jordanie, 12 766 personnes étaient placées en détention administrative en 2013, parfois pour une période de plus de trois ans .
Après examen du troisième rapport périodique de la Jordanie en novembre 2015, le Comité des Nations Unies contre la torture a appelé les autorités jordaniennes, dans ses observations finales, à «abolir la pratique de la détention administrative, y compris et en particulier le placement en détention des femmes et des jeunes filles victimes de violences pour assurer leur protection et des travailleurs migrants qui fuient leur employeur au comportement abusif» . Cet amendement est conforme au paragraphe 9.11 du projet de résolution, qui appelle à la mise en œuvre effective des instruments internationaux pertinents en matière de droits de l’homme, car il renforce la recommandation adressée récemment par le Comité des Nations Unies contre la torture. L’amendement serait par ailleurs conforme aux travaux actuels de l’Assemblée sur la question de la détention administrative en général .
La pratique de la détention administrative est uniquement autorisée par le droit international des droits de l’homme dans des cas extrêmement limités. La détention administrative telle qu’y recourt la Jordanie porte atteinte à l’Etat de droit en refusant aux personnes détenues un accès à la justice et en conférant aux gouverneurs des pouvoirs qui devraient relever de la compétence du pouvoir judiciaire. C’est la raison pour laquelle je recommande vivement d’abolir la pratique de la détention administrative telle que l’utilise actuellement la Jordanie.
3. Amendement C (au projet de résolution)
Note explicative:
Cet amendement fait écho aux recommandations formulées en octobre 2015 par l’Assemblée dans sa Résolution 2077 (2015) sur l'abus de la détention provisoire dans les Etats parties à la Convention européenne des droits de l'homme.
En septembre 2013, selon les informations données par l’administration pénitentiaire, plus de 40 % des personnes détenues étaient placés en détention provisoire . L’important retard dans les affaires à traiter et le manque d’efficacité de la justice contribuent à créer cette situation de détention provisoire excessivement longue. En principe, «[l]a législation impose à la police de notifier une arrestation aux autorités dans un délai de 24 heures et aux autorités d’engager des poursuites officielles dans un délai de 15 jours à compter de l’arrestation» . Il est cependant courant que les juges accordent un délai supplémentaire au procureur pour engager ces poursuites (jusqu’à six mois en cas de crime et deux mois en cas de délit). Selon une étude réalisée en 2012 par le Centre d’aide juridictionnelle de la justice, 35 % des prévenus ont été par la suite acquittés et 20 % ont été détenus pendant une durée supérieure à celle de la peine d’emprisonnement à laquelle ils ont finalement été condamnés . Je considère, au vu de ces chiffres alarmants, que la question de la détention provisoire devrait être traitée d’urgence par les autorités jordaniennes.
4. Amendement D (au projet de résolution)
Note explicative:
A l’heure actuelle, la torture n’est pas considérée comme un crime en Jordanie, mais comme un délit, et n’est pas passible de peines conformes aux normes internationales. Dans ses observations finales, le Comité des Nations Unies contre la torture a invité instamment la Jordanie à «adopter une définition de la torture qui prenne en compte l’ensemble des éléments énoncés à l’article 1er de la Convention et à veiller à ce que la torture soit considérée comme un crime et les peines encourues soient proportionnées à la gravité de ce crime». Le Comité recommande par ailleurs que le champ d’application de cette définition englobe «toute personne qui commet un acte de torture ou une tentative d’acte de torture, en est l’instigatrice, y consent ou donne son assentiment à la commission de tels actes» .
Selon le rapport 2015 de Human Rights Watch, les auteurs d’actes de torture ou de mauvais traitements jouissent d’une impunité presque totale . Le tribunal spécial de police, qui traite de toutes les plaintes déposées au sujet des actes répréhensibles et des allégations de torture et autres mauvais traitements commis par les forces de police, n’a jamais condamné quiconque pour torture . Certains changements positifs ont été signalés au sujet de l’attitude adoptée vis-à-vis de la torture et du tabou qu’elle représente depuis le début du programme Karama en 2008. Ce programme, qui est notamment géré par le Centre national des droits de l’homme et le ministère jordanien de la Justice, avec l’aide technique de l’Institut danois des droits de l’homme Dignity, vise à supprimer le recours à la torture et aux autres formes de mauvais traitements .
Il est régulièrement fait état d’allégations d’actes de torture liés aux activités de lutte contre le terrorisme. Ainsi, en novembre 2015, Amnesty International et Human Rights Watch ont appelé le Gouvernement jordanien à enquêter sur le fait qu’Amer Jamil Jubran, jordanien d’origine palestinienne, aurait fait des aveux sous la torture et les mauvais traitements. En mai 2014, il avait été arrêté, placé en détention à l’isolement pendant 56 jours et aurait été torturé au quartier général du Service des renseignements généraux (GID). Après ses «aveux», il a été accusé d’une série d’infractions liées au terrorisme, notamment d’avoir commis «des actes risquant de nuire aux relations avec un gouvernement étranger». Le 29 juillet 2015, il a été condamné à une peine de 10 ans d’emprisonnement . La Cour européenne des droits de l’homme considère le fait d’être jugé sur la base «d’aveux» obtenus sous la torture comme un déni de justice flagrant. Dans l’affaire Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni, elle a conclu que le Royaume-Uni ne pouvait extrader Omar Othman (un prédicateur extrémiste lié à Al Qaïda) vers la Jordanie parce que les éléments de preuve obtenus sous la torture infligée à d’autres personnes seraient admis et utilisés contre Othman .