1. Introduction
1. La population mondiale vieillit
rapidement. D’ici 2050, pour la première fois dans l’histoire de
l’humanité, on comptera davantage de personnes âgées

que d’enfants de moins
de 15 ans à travers le monde. Ce processus de vieillissement est
particulièrement avancé en Europe, où plus d’une personne sur cinq
était âgée de soixante ans ou plus en 2015. D’ici 2030, les personnes
âgées devraient représenter plus du quart de la population européenne.
Cette tendance démographique a des effets sociaux, économiques et
politiques importants qui touchent tous les secteurs de la société,
y compris la demande de biens et services comme le logement, le
transport et la protection sociale, ainsi que les structures familiales
et les liens intergénérationnels

. Dans toute
l’Europe, les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique,
ont été lents à prendre conscience de la portée de ce vieillissement
et de la nécessité de réagir rapidement, ce qui explique pourquoi
il est aujourd’hui urgent d’agir.
2. Le dernier texte de l’Assemblée parlementaire consacré au
vieillissement de la population en Europe remonte à 2011 et porte
sur les droits des personnes âgées en matière d’emploi

. Depuis, la situation
a beaucoup évolué pour ce qui est de l’amélioration des droits humains
des personnes âgées, notamment avec l’adoption par le Comité des
Ministres, en 2014, de la Recommandation CM/Rec(2014)2 sur la promotion
des droits de l’homme des personnes âgées. Le présent rapport s’inscrit
dans la tendance croissante à renforcer la protection des droits
humains des personnes âgées et se concentre sur la prestation de
soins tout en traitant d’autres questions importantes telles que
l’âgisme et l’exclusion sociale des personnes âgées.
3. Dans le cadre du processus de rédaction du présent rapport,
la commission des questions sociales, de la santé et du développement
durable a tenu une audition publique le 2 juin 2016 avec la participation
de Mme Katherine Hill, Directrice politique
à l’organisation Age UK, et de M. Leocadio Rodríguez Mañas, Coordonnateur
de l’Action commune européenne sur la prévention de la perte d’autonomie
des personnes âgées, Directeur du service de gériatrie de l’hôpital
universitaire de Getafe (Madrid). L’audition a porté sur la discrimination
fondée sur l’âge, la maltraitance à l’égard des personnes âgées,
la fragilité de cette population et l’importance de la gestion précoce
de la dégradation des capacités fonctionnelles afin de prévenir
la dépendance à un âge avancé

.
4. Le 23 juin 2016, j’ai participé à une conférence intitulée
« Vieillissement et santé » organisée par la Conférence des organisations
internationales non gouvernementales (OING) du Conseil de l’Europe,
où j’ai présenté les principaux éléments de mon rapport. Le lendemain,
la Conférence des OING a adopté une Recommandation aux États membres
sur la prise en charge sanitaire et médico-sociale et le respect
des droits des personnes âgées en Europe, qui traite de la plupart
des questions recensées dans le présent rapport

.
5. De plus, à l’automne 2016, j’ai effectué des visites d’information
en Roumanie (22 et 23 septembre) et au Danemark (28 septembre),
deux pays présentant des différences importantes pour ce qui est
de la gouvernance et de la prestation des services de santé et des
services sociaux. Lors de ces visites, j’ai rencontré des hommes
politiques et des responsables des administrations centrales, régionales
et locales, le médiateur, des représentants d’ONG et des représentants
du Bureau régional de l’Organisation mondiale de la santé (OMS)
pour l’Europe. J’ai également visité des maisons de retraite. J’aimerais
remercier toutes les parties avec lesquelles je me suis entretenu,
de s’être rendues disponibles et de m’avoir communiqué des informations
précieuses pour finaliser le présent rapport, ainsi que les délégations
parlementaires et leurs secrétariats pour l’excellente organisation
de ces visites.
2. Cadre
juridique et politique
6. Il n’existe pas d’instrument
international juridiquement contraignant dédié aux droits des personnes âgées
et la nécessité d’un tel instrument est loin de faire consensus.
Cependant, l’idée d’une nouvelle convention gagne du terrain. En
effet, dans son rapport de 2016, l’Experte indépendante des Nations
Unies chargée de promouvoir l’exercice par les personnes âgées de
tous les droits de l’homme a appelé les États membres « à étudier
(…) l’élaboration d’une convention sur les droits des personnes
âgées »

. Dans son rapport
de 2012, l’ancienne Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits
de l’homme avait déjà appelé à l’adoption de mesures spécifiques
visant à renforcer le régime international de protection des personnes âgées,
qui pourraient prendre par exemple la forme d’un nouvel instrument
international consacré à ce sujet

.
7. L’adoption récente de la Convention interaméricaine sur la
protection des droits de l’homme des personnes âgées, qui est le
premier instrument contraignant régional consacré aux personnes
âgées, ainsi que du Protocole à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples relatif aux droits des personnes âgées, constitue
aussi un signal fort en faveur d’un instrument juridiquement contraignant
sur la question

.
2.1. Conseil
de l’Europe
8. Si la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5) ne mentionne
pas explicitement les personnes âgées (son article 14 ne cite pas
non plus l’âge comme motif de discrimination), elle n’en est, de toute
évidence, pas moins applicable à cette fraction de la population.
Dans un certain nombre d’affaires dont elle a été saisie, la Cour
européenne des droits de l’homme a conclu à une violation de la
Convention en raison des mauvaises conditions d’hospitalisation
ou du caractère inadapté du traitement et des soins administrés
à des personnes âgées (voir, entre autres, l’arrêt Dodov c. Bulgarie relatif à la disparition
d’une maison de retraite d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer).
9. La Charte sociale européenne et la Charte sociale européenne
(révisée) (STE nos 35 et 163) contiennent
plusieurs dispositions consacrées aux personnes âgées. L’article 23
de la Charte révisée énonce spécifiquement le droit des personnes
âgées à la protection sociale, ce qui en fait la première disposition
d’un instrument international sur les droits humains consacré aux
droits de ces personnes. Afin d’assurer l’exercice effectif de ce
droit, les États Parties sont tenus de veiller à ce que les personnes
âgées disposent de ressources adéquates leur permettant de mener
une vie décente et de participer activement à la vie publique, sociale
et culturelle, de choisir librement leur style de vie et de mener
une existence indépendante moyennant l’offre de logements, de soins
et de services adaptés à leur situation et de garantir une assistance
appropriée à celles qui vivent dans des institutions, tout en respectant
leur vie privée, et leur participation aux décisions affectant leurs
conditions de vie dans ces institutions. Ces obligations sont fréquemment
rappelées par le Comité européen des Droits sociaux qui a souligné
la nécessité de lutter contre la discrimination fondée sur l’âge
dans l’accès aux biens, aux installations et aux services et de
prendre des mesures appropriées pour lutter notamment contre les
mauvais traitements à l’encontre des personnes âgées.
10. L’Assemblée et le Comité des Ministres contribuent tous deux
à la promotion des droits des personnes âgées

. En 2014, le Comité des Ministres
a adopté la Recommandation CM/Rec(2014)2 sur la promotion des droits
de l’homme des personnes âgées; il s’agit d’un instrument complet
qui traite de sujets tels que la non-discrimination, l’autonomie
et la participation, la protection contre la violence et les abus,
la protection sociale et les soins. Chaque chapitre de la recommandation
s’accompagne d’un guide de bonnes pratiques observées dans les États
membres contenant des idées sur la manière d’appliquer les principes
énoncés dans la recommandation. La mise en œuvre de cet instrument
fera l’objet d’un examen en 2019

.
2.2. Nations
Unies
11. Les Nations Unies travaillent
activement sur la question des droits humains des personnes âgées. Certains
instruments déclaratoires, dont les Principes des Nations Unies
pour les personnes âgées (1991) et le Plan d’action international
de Madrid sur le vieillissement (2002), se donnent notamment pour
objectif d’éliminer la discrimination fondée sur l’âge et de promouvoir
les droits humains des personnes âgées. En 2010, l’Assemblée générale
a établi un Groupe de travail ouvert sur le vieillissement dans
le but de renforcer la protection des droits humains des personnes
âgées; il s’agissait du premier forum international consacré spécialement
à ce sujet. À cette fin, le Groupe de travail a été chargé d’examiner
le cadre international actuel des droits humains des personnes âgées,
d’en identifier les lacunes éventuelles et de chercher le meilleur moyen
de les combler, notamment en évaluant, au besoin, la faisabilité
d’instruments ou de mesures supplémentaires.
12. De plus, en 2013, le Conseil des droits de l’homme a établi
le mandat d’expert indépendant chargé de promouvoir l’exercice par
les personnes âgées de tous les droits de l’homme. Cet expert a
pour mission d’évaluer la mise en œuvre des instruments internationaux
existants en faveur des personnes âgées et d’identifier les meilleures
pratiques et les lacunes dans l’application des législations en
vigueur relatives à la promotion et à la protection de leurs droits.
13. Il convient également de mentionner que les personnes âgées
sont visées, directement ou indirectement, dans 15 des 17 objectifs
de développement durable adoptés par l’Assemblée générale des Nations
Unies le 25 septembre 2015. En particulier, l’objectif 3 «Permettre
à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous
à tout âge» sera déterminant dans la lutte contre la discrimination
liée à l’âge dans les systèmes de santé afin que les personnes âgées
puissent effectivement exercer leur droit fondamental au meilleur
état de santé et de bien-être possible au fur et à mesure qu’elles
avancent en âge

.
3. Lutte
contre l’âgisme
14. Bien qu’il n’existe pas de
personne âgée «type», ni de définition communément admise de la
personne âgée, les sociétés en ont souvent une perception stéréotypée.
Les clichés les plus répandus sont que les personnes âgées seraient
en mauvaise santé, dépendantes, improductives, inutiles et à charge.
Ainsi, « une idée pernicieuse et profondément enracinée veut que
les personnes qui vieillissent ne sont plus à même de contribuer
à la vie sociale, souffrent de maladies chroniques et/ou deviennent
fragiles. Ces préjugés mènent souvent à la conclusion que l’on ne
peut pas faire grand-chose pour les aider »

.
Cette manière d’appréhender les personnes âgées – fondée sur des
attitudes et des stéréotypes négatifs (âgisme) – influence les comportements
et les politiques et provoque souvent une discrimination fondée
sur l’âge. L’âgisme se traduit fréquemment aussi par l’isolement
et l’exclusion des personnes âgées et il est étroitement lié à la
violence et aux abus dont elles sont victimes dans les sphères publique
et privée

.
15. L’Assemblée considère l’âgisme comme un préjugé néfaste, à
l’origine d’un manque de respect généralisé des personnes âgées,
que ce soit dans les médias, qui véhiculent une image stéréotypée
et dégradante des intéressés, dans la société, où ils sont victimes
d’abus physiques et financiers, sur le lieu de travail, où ils ne
sont pas traités à égalité, ou bien dans le secteur de la santé,
où ils ne bénéficient pas toujours des soins et services médicaux
appropriés

.
De même, le Comité européen des Droits sociaux a relevé que la discrimination
fondée sur l’âge est répandue dans de nombreux secteurs de la société
dans toute l’Europe, notamment dans les soins de santé, l’éducation,
l’assurance et la banque, la participation au dialogue politique et
civil, la répartition des ressources et l’accès aux installations

.
16. La Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme
a relevé que la discrimination en raison de l’âge dans le système
de santé est un problème très préoccupant et que certains médicaments,
examens et traitements sont parfois refusés uniquement en raison
de l’âge du patient

.
Pendant l’audience publique tenue le 2 juin 2016, des chiffres concernant
le Royaume-Uni nous ont été présentés; ils montraient que les personnes
âgées atteintes d’un cancer colorectal se voient beaucoup plus rarement
proposer une chimiothérapie que les patients plus jeunes.
17. S’attaquer à l’âgisme suppose non seulement d’interdire dans
la loi la discrimination fondée sur l’âge, mais aussi de mieux comprendre
ce phénomène

et
d’opérer un changement de paradigme pour passer d’une vision des
personnes âgées perçues comme « un fardeau social » à une conception
qui mette en avant le processus de vieillissement actif (voir plus
bas, au chapitre 6) et nous amène à réviser notre point de vue sur
le vieillissement pour voir ce que les personnes âgées continuent
d’apporter à la société

.
En fait, il convient de reconnaître ce qu’elles apportent de précieux
à notre société en transmettant leur savoir, leur sagesse et leur
héritage et en participant à l’économie en qualité de salariés,
contribuables, consommateurs, bénévoles, aidants, parents et grands-parents

.
Les campagnes de sensibilisation visant à accroître la connaissance
et la compréhension du vieillissement auprès des médias, du grand
public, des responsables politiques, des employeurs et des prestataires
de services sont cruciales dans ce domaine.
4. Amélioration
des soins prodigués aux personnes âgées
4.1. Définitions
18. Bien qu’il n’y ait pas de définition
universellement acceptée des soins, ce terme englobe généralement des
services tels que l’assistance à la vie quotidienne, le revenu social,
la protection et la sécurité, la promotion de la santé et la prévention
des maladies, les traitements et la rééducation, ainsi que les soins
de santé, que ce soit en ambulatoire, en établissement de soins
ou à domicile

.
19. Les soins de longue durée incluent toute une série de services
(médicaux ou autres) répondant aux besoins médicaux et autres des
personnes qui sont atteintes d’une maladie chronique ou d’une infirmité
et ne peuvent pas s’occuper d’elles-mêmes pendant une période prolongée.
Ils prennent la forme d’une aide dans les tâches de tous les jours:
se laver, manger, faire le ménage, faire des achats, s’habiller,
cuisiner, etc. Ils relèvent de deux catégories principales: les
soins à domicile et les soins en établissement. Les soins à domicile s’entendent
généralement des services médicaux prodigués par des professionnels
au domicile du patient, par opposition aux soins prodigués dans
un établissement spécialisé (soins en institution). Il s’agit de
soins médicaux à domicile prodigués par des professionnels de santé
par opposition aux soins informels prodigués par des membres de
la famille ou d’autres personnes

.
4.2. Accès
aux soins
20. Les personnes âgées se heurtent
souvent à des obstacles lorsqu’elles désirent accéder à des soins
de santé et de longue durée de qualité. Ces obstacles poussent fréquemment
les intéressés à renoncer aux soins ou à les reporter, avec les
conséquences désastreuses qu’une telle conduite peut entraîner.
Parmi les obstacles, il convient de mentionner les entraves physiques
à l’accès aux soins de santé (difficultés à se déplacer, distance
à parcourir jusqu’à un établissement de soins, manque de moyens
de transport, etc.) et les obstacles financiers (en raison des frais
restant à la charge du patient par exemple). Toutefois, l’un des problèmes
majeurs fréquemment mentionné est le manque de personnels de santé
possédant des connaissances adéquates en gériatrie et en gérontologie

.
21. Pour garantir le droit fondamental des personnes âgées au
meilleur état de santé et de bien-être possible, il convient d’assurer
la disponibilité et l’accessibilité des équipements, biens et services
de santé à un prix abordable, quels que soient le type de soins
et le lieu de résidence des intéressés. Pour cela, il faut éliminer
les obstacles physiques et financiers en garantissant la disponibilité
d’un transport adapté et à prix abordable, la formation adéquate
des professionnels de santé aux problèmes spécifiques au vieillissement,
de manière à ce qu’ils puissent aider et comprendre les personnes
âgées, et en réduisant la part des soins de santé restant à la charge
des patients âgés. L’établissement de centres gériatriques publics
et privés sur l’ensemble du territoire devrait être envisagé. Il
conviendrait également de redoubler d’efforts pour que les soins
puissent être dispensés de préférence dans des structures de proximité
ou à domicile plutôt qu’en institution.
4.3. Soins
centrés sur la personne
22. Quel que soit le groupe cible,
il conviendrait de toujours veiller à prodiguer des soins en privilégiant
la personne, c’est-à-dire en tenant compte des besoins et préférences
de la personne concernée. Dans le cas des personnes âgées, cette
approche suppose que les soins soient dispensés d’une manière qui
permette à l’intéressé de préserver son autonomie, sa dignité et
sa qualité de vie. À cette fin, au lieu d’être perçues comme des
bénéficiaires passifs de soins, les personnes âgées devraient être
invitées à participer à la planification, au développement et au
suivi de leur prise en charge. Pour cela, elles devraient être mieux
informées sur les services sociaux et de soins disponibles, sur
leurs droits en qualité de bénéficiaires de soins et sur les questions
médicales qui les concernent. Le fait d’informer les personnes âgées
de leurs droits pourrait également contribuer à améliorer le signalement
des cas de mauvais traitements (voir plus bas, chapitre 5). La Charte
écossaise des droits des personnes atteintes de démence et de leurs
aidants (Charter of Rights for People
with Dementia and their Carers in Scotland) est un bon
exemple à cet égard. Ce document vise à permettre aux individus
atteints de démence, aux personnes qui les aident et à la collectivité
dans son ensemble de s’assurer que leurs droits sont respectés.
Il a été élaboré à l’issue d’une vaste consultation, qui a permis
de recueillir et de prendre en compte l’avis de plus de 500 personnes,
parmi lesquelles des personnes atteintes de démence, leurs aidants
et des professionnels de santé.
23. Lors de la visite d’un établissement accueillant des personnes
atteintes de démence au Danemark, nous avons été témoins des immenses
bienfaits de l’approche centrée sur la personne. J’ai été extrêmement impressionné
par l’ambiance sereine, accueillante et normale de l’établissement
qui comprend une merveilleuse grand-rue bordée de vieilles boutiques,
un bar et d’autres installations spécialement adaptées aux besoins
des personnes atteintes de démence. Cet établissement est inspiré
de la philosophie des soins centrés sur la personne, élaborée à
l’origine par feu le professeur Tom Kitwood de l’université de Bradford.
24. De plus, bon nombre de personnes préférant vieillir chez elles,
il conviendrait d’élaborer des programmes spécifiques visant à permettre
aux personnes âgées de vivre chez elles de manière indépendante aussi
longtemps que possible, tout en soutenant l’aide informelle. En
fait, une grande partie de la population adulte aide déjà des membres
de familles ou des proches âgés et fragiles

. L’augmentation
des cas de démence ne fera qu’accroître le besoin de ce type d’aide

.
25. L’aide et les soins à domicile prodigués devraient inclure
en particulier des soins infirmiers et une assistance à domicile,
de manière à éviter le placement en institution et à prévenir l’exclusion
sociale. Le service civil pourrait également être une ressource
précieuse pour aider les personnes âgées qui vivent seules ou dans
des centres communautaires. Le fait pour ces personnes de recevoir
régulièrement chez elles la visite d’un étudiant leur permet de
rester intégrées à la collectivité tout en sensibilisant davantage
la jeune génération aux droits des personnes âgées

.
26. La « prise en charge des aidants » devrait être une priorité
compte tenu de la pression physique et mentale que l’aide prodiguée
à leurs proches, en particulier lorsqu’ils sont atteints de démence,
fait peser sur eux

. Il faudrait
prendre des mesures pour les soulager: activités sociales, hébergement
temporaire hors du domicile, services de soins à domicile, etc.
Les intéressés devraient également bénéficier d’un soutien financier
et d’une formation pratique aux soins ainsi que de soutien et de
conseil

.
4.4. Intégration
des services sociaux et des soins de santé
27. Bien qu’une distinction soit
généralement faite entre les services sociaux et les services de
santé étant donné que ces aspects relèvent de prestataires différents
intervenant dans des lieux différents, il conviendrait de les appréhender
de manière complémentaire et intégrée pour le bien des personnes
âgées

.
Ce cloisonnement entre soins de santé et services sociaux – qui
répartissent artificiellement les besoins des personnes âgées entre
ces deux pôles – se fait au détriment des intéressés. En fait, cette
fragmentation cause des problèmes en raison de l’intervention de
nombreux services, ce qui se traduit par des formalités administratives
et une perte de temps dans l’accès aux structures et services de
santé et d’aide sociale, des doublons dans la prise en charge, des
prestations de médiocre qualité et une utilisation inefficace des ressources
disponibles. En conséquence, les usagers de ces services pâtissent
d’un manque de continuité dans les soins, ainsi que d’incohérences
dans la prestation des services censés répondre à leurs besoins.
28. Les soins de santé et les services sociaux devraient donc
être efficacement intégrés afin de ne pas retarder, voire refuser,
l’administration de soins en raison de difficultés administratives,
ce qui suppose un changement organisationnel, ainsi que la mise
en commun des budgets et des responsabilités. L’Écosse est en avance
dans ce domaine: le partenariat des services sociaux et de santé
du comté de Ayrshire (Ayrshire Health
& Social care Partnership), présidé par M. Ian M.
Welsh, a été tout particulièrement cité en exemple, car les ressources
et l’administration des deux services ont été regroupées sous une
direction commune.
5. Lutte
contre la maltraitance des personnes âgées
29. Les personnes âgées sont très
exposées à la maltraitance. Un mauvais état de santé, notamment
dans des cas bien particuliers comme la démence, augmente sensiblement
le risque d’abus. La Déclaration de Toronto sur la prévention universelle
de la maltraitance des personnes âgées définit cette dernière comme
un acte ou omission unique ou répété survenant dans le cadre d’une
relation normalement fondée sur la confiance causant une blessure
ou de la détresse chez une personne âgée. La maltraitance peut être
physique, psychologique, émotionnelle, sexuelle ou financière ou
résulter de la négligence. Elle peut survenir à domicile ou dans
un établissement et être le fait d’un soignant formel ou informel.
30. Les maltraitances à l’égard des personnes âgées constituent
encore un sujet tabou dans bon nombre de pays de sorte que ce problème
est sous-évalué. Il est très difficile d’évaluer l’étendue du phénomène
en raison du manque d’informations et de données fiables. Cependant,
selon les estimations, au moins 4 millions de personnes âgées dans
la région Europe de l’OMS subiraient des mauvais traitements chaque
année

. L’article 2.2
de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la
lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique
(STCE no 210) encourage également les
Parties à appliquer ses dispositions aux violences domestiques commises
à l’égard des hommes et des enfants. La violence domestique inclut
la violence intergénérationnelle, qui peut revêtir la forme d’une
violence physique, sexuelle, psychologique et économique commise
par une personne à l’égard d’un enfant ou d’un parent (maltraitance des
personnes âgées).
31. Il est urgent d’évaluer la situation actuelle en matière de
maltraitance des personnes âgées et de prendre des mesures appropriées
pour la prévenir, la détecter et l’éradiquer. Briser le silence
sur cette question suppose la mise en place d’une stratégie de sensibilisation
visant les personnes âgées elles-mêmes, les collectivités en général
et les aidants formels et informels en particulier. Il faudrait
mener des recherches et collecter des données sur la maltraitance
dans les centres de soins et à l’extérieur en accordant une attention particulière
aux milieux dans lesquels les personnes âgées pourraient être tout
spécialement vulnérables, notamment les institutions de soins de
longue durée. La surveillance systématique de ces institutions par
une autorité publique indépendante et spécialisée – par exemple
les organismes officiels nationaux de protection des droits humains –
devrait être mise en place et assurée par le biais d’inspections
fréquentes annoncées à l’avance mais aussi inopinées.
6. Prévention
de l’exclusion sociale des personnes âgées
32. Bon nombre de facteurs peuvent
conduire à l’exclusion sociale des personnes âgées, y compris l’âgisme
et l’institutionnalisation (voir les paragraphes 14 et 25 ci-dessus).
À ce propos, j’aimerais me concentrer sur deux d’entre eux, dans
la mesure où ils constituent un problème majeur pour les personnes âgées
et les affectent de manière disproportionnée: l’isolement ou la
solitude d’une part et la pauvreté d’autre part. Ces facteurs font
également peser des risques sur leur santé et leur bien-être

,
contribuent à la réduction de leur autonomie et constituent un obstacle
à l’accès aux services sociaux et aux soins de santé notamment

.
33. Pour combattre la solitude et l’isolement, il est impératif
de veiller à ce que les personnes âgées demeurent intégrées à la
société en promouvant le vieillissement actif. L’adjectif « actif »
ne doit pas être compris seulement dans le sens de la capacité d’être
physiquement actif ou de participer à la population active, mais
aussi dans celui d’une participation continue aux affaires sociales,
économiques, culturelles et civiques. Le vieillissement actif peut
être encouragé en multipliant les environnements adaptés aux personnes
âgées, de manière à les aider à conserver leur autonomie, à veiller
à leur santé et à stimuler leur inclusion. Cet objectif impose l’adaptation
des structures et services aux besoins et aux désirs spécifiques
des personnes âgées, notamment en matière d’espaces publics et de
bâtiments, de transport, de logement, de communication, de soutien
de la communauté et de services de santé

.
34. En ce qui concerne le logement, il convient de se rappeler
que les obstacles architecturaux peuvent grandement affecter les
personnes âgées. Par exemple, une personne âgée peut être dans l’incapacité
de quitter son appartement pendant une longue période à cause d’un
ascenseur qui ne fonctionne pas. On parle à ce propos « d’appartements-prisons ».
Ce phénomène peut contribuer à l’isolement des personnes âgées et compliquer
aussi singulièrement leurs activités de tous les jours comme l’achat
de nourriture ou l’observance d’un traitement médical

. De
même, s’agissant des espaces publics, les rues incommodes pour les
piétons dissuadent les vieilles personnes de sortir, de rester actives
et de faire de l’exercice.
35. Veiller à la disponibilité de moyens de transport adaptés
peut également sensiblement atténuer le risque d’isolement inhérent
à une desserte déficiente par les transports en commun, surtout
dans les zones rurales. En Écosse, par exemple, de nombreuses régions
sont mal desservies. Dans les zones rurales et éloignées, parmi
les personnes âgées de 60 ans ou plus, 70 % n’ont pas d’abonnement
national à tarif préférentiel leur permettant de voyager gratuitement
en autobus ou ne l’utilisent pas. Dans les zones rurales accessibles,
cette proportion atteint 65 %.
36. Les liens intergénérationnels devraient également être encouragés
en favorisant les situations ou en prévoyant des espaces où les
personnes âgées peuvent rencontrer les générations plus jeunes.
Dans ce contexte, une approche intéressante consiste à héberger
sous un même toit des crèches et jardins d’enfants et des structures
d’accueil pour seniors, ce qui permet une interaction entre les
très jeunes et les personnes âgées.
37. De plus, il faudrait organiser des activités de loisirs et
culturelles sollicitant la participation de personnes âgées. Je
voudrais mentionner à cet égard l’exemple qui m’a été donné par
l’Office international du coin de terre et des jardins familiaux.
Cette ONG fournit aux personnes qui le désirent une parcelle de
terrain pour leur permettre de cultiver des fruits et légumes sains
tout en profitant du bon air. Elle gère plusieurs projets impliquant
des personnes âgées. Par exemple, à Hambourg, après avoir réalisé
que des femmes qui avaient eu l’habitude de jardiner avec leur mari
pendant de nombreuses années éprouvaient des difficultés à entretenir seules
leur jardin lorsque leur mari était décédé, elle a créé des parcelles
plus grandes permettant à des groupes de femmes de jardiner ensemble
tout en profitant d’activités sociales. À Gradignan (France), personnes
âgées et jeunes enfants se réunissent sur les mêmes parcelles pour
jardiner, ce qui favorise le dialogue intergénérationnel. À Falkenstein
Auerbach (Allemagne), des couples âgés dispensent à de jeunes enfants
leurs premières leçons de jardinage.
38. Enfin et surtout, il est nécessaire de confier aux personnes
âgées un rôle important lorsqu’elles ne font plus partie de la population
active. Leur savoir, leur sagesse, leurs connaissances spécialisées
et leur expérience ne devraient pas être gaspillés. Leur engagement
civique et bénévole dans des écoles, des associations, des institutions
religieuses, des entreprises, des centres de santé ou des organisations
politiques devraient être encouragé. De telles mesures permettraient
non seulement aux intéressés de continuer à contribuer à la vie
de la collectivité, mais également à multiplier leurs contacts sociaux
et à accroître leur bien-être psychologique.
39. Enfin, dans le but de réduire la pauvreté chez les personnes
âgées et de leur permettre de vivre dignement, les systèmes de protection
sociale devraient leur garantir un revenu minimum vital. De plus, certains
services financiers – comme les prêts et les hypothèques, ainsi
que les assurances, dont l’assurance maladie – devraient leur être
proposés à un prix abordable, sans faire un usage inapproprié du
critère de l’âge, notamment pour déterminer le risque. Les personnes
âgées devraient également avoir accès à un logement adéquat, équipé
d’un chauffage, d’une alimentation en eau et de sanitaires appropriés.
Le logement devrait être adapté à leurs besoins et désirs spécifiques,
y compris à leur état de santé et à la nécessité pour eux d’habiter
dans un endroit bien situé. Les personnes âgées ayant un handicap
devraient bénéficier d’une aide adaptée pour aménager leur logement.
L’habitat devrait être planifié de manière à encourager les relations intergénérationnelles
et la liberté de circulation. À cet égard, il peut être utile de
concevoir des immeubles multifamiliaux, des espaces communs et des
espaces extérieurs adaptés aux personnes âgées.
7. Conclusions
40. Les personnes âgées ne réclament
pas de la compassion mais la reconnaissance de leurs droits humains.
Il est de notre responsabilité de veiller à ce qu’elles puissent
vivre dignement, comme n’importe quel autre membre de la collectivité.
La société devrait arrêter de les considérer comme un fardeau et
les gouvernements devraient arrêter de percevoir le vieillissement
de la population en termes de coûts et d’offre, car ces deux attitudes
incitent à faire passer au second plan les droits humains des personnes
âgées. La protection des droits des personnes âgées ne sert pas
uniquement leur intérêt; elle nous concerne tous, car nous vieillissons
tous.
41. Même si le vieillissement n’est pas en soi une maladie et
que la vieillesse n’est pas nécessairement synonyme de fragilité
et de problèmes de santé, il est incontestable que les personnes
âgées ont, entre autres, des besoins médicaux accrus. L’Europe,
comme le reste du monde, se doit de renforcer l’offre de services sociaux
et de soins de santé en les adaptant aux besoins évolutifs d’une
population vieillissante, en les réorganisant pour placer le patient
au centre de leurs prestations et en assurant une gestion adéquate
des soins de longue durée. Il est essentiel de se départir d’une
approche fondée sur les besoins et focalisée sur la maladie et la
dépendance fonctionnelle pour se tourner vers une approche globale
centrée sur le respect des droits humains dans laquelle la jouissance
de tous leurs droits humains par les personnes âgées fait partie intégrante
des politiques et des programmes les concernant, y compris en matière
de planification et de délivrance des soins

. De
plus, notre but ne devrait pas seulement être de garantir une vie
plus longue, mais aussi de meilleure qualité et en meilleure santé.
Il est donc important de promouvoir le vieillissement en bonne santé
et d’éviter que des personnes âgées deviennent dépendantes de soins.
42. L’isolement et la solitude comptent parmi les fléaux de la
société moderne et constituent l’un des principaux facteurs d’exclusion
sociale des personnes âgées. Le vieillissement actif devrait être
encouragé afin de combattre ces fléaux dans des environnements propices
à la sécurité, à l’activité, à l’autonomie et à l’engagement social
des personnes âgées. Si des outils adéquats sont mis en place, la
majorité des personnes âgées pourraient continuer à apporter une
contribution humaine, sociale et économique essentielle à la société en
menant une vie active, y compris en travaillant ou en faisant du
bénévolat

. Les liens
intergénérationnels devraient être encouragées, de manière à ce
que les enfants, les jeunes, les adultes et les personnes âgées puissent
mettre à profit leurs atouts et leurs connaissances respectifs pour
construire une société plus dynamique, mieux intégrée et plus humaine
pour le plus grand profit de toutes les générations.