1. Introduction
1. Située dans la partie méridionale
de l’Europe, l’Italie – péninsule et îles comprises – s’étend jusqu’au cœur
de la mer Méditerranée. D’une superficie totale d’environ 300 000 km²,
le pays a des frontières terrestres avec l’Autriche, la France,
le Saint-Siège, Saint-Marin, la Slovénie et la Suisse. Il compte
quelque 60,7 millions d’habitants, dont 80 % de chrétiens catholiques.
2. Forte de l’héritage de l’Empire romain et de la Renaissance,
l’Italie s’est unifiée en 1861, sous le roi Victor Emmanuel II,
avec la fondation du Royaume d’Italie
.
Au gouvernement parlementaire s’est substituée en 1922 la dictature
fasciste de Benito Mussolini qui a duré une vingtaine d’années,
jusqu’à la défaite de l’Italie durant la seconde guerre mondiale
après deux ans de guerre civile. Après la libération, la République
italienne a été instaurée en 1946 par un référendum populaire à
la suite duquel la monarchie a été abolie et la démocratie restaurée.
3. Le pays joue un rôle prépondérant dans la politique régionale
et internationale. L’Italie est l’un des membres fondateurs du Conseil
de l’Europe et de la Communauté économique européenne, prédécesseur
de l’Union européenne; elle a rejoint l’espace Schengen en 1997
et la zone euro en 1999. Elle a adhéré aux Nations Unies en 1955
et est l’un des membres fondateurs de l’Organisation du Traité de
l’Atlantique Nord (OTAN), de l’Organisation de coopération et de
développement économiques (OCDE), de l’Organisation pour la sécurité
et la coopération en Europe (OSCE), de l’Organisation mondiale du
Commerce (OMC) et de l’Union pour la Méditerranée.
4. L’Italie est la troisième puissance économique de la zone
euro et la huitième dans le monde; elle compte parmi les principales
puissances du commerce mondial et les plus grands pays exportateurs
. La crise économique
et de la dette souveraine n’a pas épargné le pays, dont l’économie
est entrée dans une forte récession économique en 2008 puis de nouveau
en 2011. Entre 2007 et 2013, le produit intérieur brut (PIB) a chuté
de 9 %
. Le chômage a atteint 13 % en 2014
et celui des jeunes 43,5 %
. La dette souveraine de l’Italie a
augmenté pour devenir la troisième du monde
et
le ratio dette publique–PIB est passé de 100 % en 2007 à 131,8 %
(soit plus de 2 200 milliards d’euros) en 2018
. En 2011, les taux d’intérêt de
la dette ont augmenté et l’Italie a dû faire face à une dégradation
de la note de ses obligations par les agences de notation financière; la
Banque centrale européenne (BCE) a dû intervenir pour éviter que
la zone euro n’entre dans une crise grave
. Les problèmes du système bancaire ont
amplifié le repli économique. La crise a également fait ressortir les
faiblesses structurelles sous-jacentes du pays
et
a renforcé les disparités régionales ainsi que la fracture Nord-Sud,
caractéristique de l’économie italienne
. Des coupes sévères dans les dépenses sociales
ont entraîné de grandes inégalités ainsi qu’une aggravation de la
pauvreté, provoquant un certain nombre de mouvements de protestation
contre l’austérité entre 2012 et 2014. En 2017, 15,6 % des Italiens
vivaient dans une pauvreté relative et 8,4 % dans l’extrême pauvreté
. En 2017, un enfant sur trois était
considéré en situation de risque de pauvreté ou d’exclusion sociale
.
5. Sous la pression des marchés financiers, de l’Union européenne
et du Fonds monétaire international, le Parlement italien a adopté
en 2011 deux trains de mesures d’austérité équivalant à plus de
90 milliards d’euros d’économies
et
a introduit le principe d’équilibre du budget dans la Constitution
. L’Italie a par ailleurs
adopté un certain nombre de réformes économiques structurelles
. Selon l’OCDE,
l’économie italienne se redresse lentement et les prévisions de
croissance du PIB s’établissent à 1 % pour 2017 et 0,8 % pour 2018
. Le chômage a diminué mais reste
élevé et l’activité économique est toujours bien inférieure à son potentiel,
et ce en raison des faiblesses structurelles et des suites de la
crise. En septembre 2018, un gouvernement de coalition a été formé
à la suite des élections de 2018 (voir ci-dessous) et a proposé
un projet de budget reflétant (partiellement) les promesses électorales
des deux partis de la coalition, parmi lesquelles des réductions
d’impôts, l’instauration d’un revenu universel de base et des modifications
des retraites. Le projet de budget soumis à la Commission européenne
par les autorités italiennes incluait un déficit de 2,4 % du PIB
en 2019 (au lieu des 0,8 % prévus précédemment) que les autorités
ont présenté comme un élan économique anticyclique pour s'attaquer
à l’endettement public de 130 %, soit deux fois plus que la limite
fixée par la Commission européenne (60 %). En conséquence, la Commission
européenne a rejeté cette proposition le 23 octobre 2018 et demandé
aux autorités italiennes de présenter un nouveau projet dans un
délai de trois semaines. Suite à l’accord conclu entre le Gouvernement
italien avec la Commission européenne, et notamment la limitation
du déficit budgétaire à 2,04 % du PIB, le budget 2019 a été adopté
le 29 décembre 2018 par le Parlement italien.
6. Cela étant, l’Italie continue de fortement pâtir de la crise
des réfugiés et des migrations qui sévit en Europe. Vu la situation
géographique du pays et la fermeture progressive d’autres routes
migratoires vers l’Union européenne, la Méditerranée centrale est
redevenue le principal point d’entrée en Europe pour les réfugiés
et les migrants
.
7. L’Italie entretient une relation privilégiée avec le Saint-Siège
,
qui exerce la souveraineté sur la Cité du Vatican. Les relations
bilatérales, complexes voire hostiles par le passé, se sont normalisées
avec la ratification des Accords du Latran en 1929
.
En 1947, ceux-ci ont été incorporés dans la Constitution italienne, qui
dispose que «[l]’État [italien] et l’Église catholique sont, chacun
dans son ordre, indépendants et souverains» (article 7). En 1984,
les Accords du Latran ont été révisés dans le cadre d’un accord
signé entre l’Italie et le Saint-Siège, en vertu duquel le catholicisme
romain n’est plus la seule religion d’État en Italie et il est mis
fin au financement direct de l’Église par l’État
. En 2012, suite à une enquête
de la Commission européenne sur une présomption d’aides publiques
illégales, l’Italie a amendé sa législation pour supprimer certaines
des exemptions de taxe foncière dont bénéficiait traditionnellement
l’Église, afin de se conformer à la législation de l’Union européenne
. Bien que le pouvoir
de l’Église ait diminué, le catholicisme reste la religion prédominante
en Italie et l’Église continue, avec le pape, d’exercer une grande
influence sociétale et politique
.
8. Depuis son adhésion au Conseil de l’Europe, l’Italie a ratifié
131 traités de l’Organisation et en a signé 48 autres sans ratification
.
En février 2017, elle a signé la Convention du Conseil de l’Europe
pour la prévention du terrorisme (STCE no 196)
et son Protocole additionnel (STCE no 217)
ainsi que la Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment,
au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime
et au financement du terrorisme (STCE no 198).
Le 1er août 2018, l’Italie a ratifié
le Protocole portant amendement à la Convention européenne du paysage
(STCE no 219).
10. Ce rapport périodique a été élaboré en application de la
Résolution 2018 (2014) sur l’évolution de la procédure de suivi de l’Assemblée
(octobre 2013-septembre 2014), et l’exposé des motifs approuvé par
la commission le 17 mars 2015. Il s’appuie sur les constats et conclusions
les plus récents des mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe,
sur les rapports de l’Assemblée et du Commissaire aux droits de
l’homme du Conseil de l’Europe ainsi que, s’il y a lieu, sur des
rapports établis par d’autres instances internationales et de la
société civile. Je souhaiterais remercier les autorités et les membres
de la délégation italienne auprès de l’Assemblée parlementaire qui
ont soumis, en novembre 2018, des commentaires détaillés à mon avant-projet de
rapport
.
11. Le présent rapport ne prétend pas à l’exhaustivité mais vise
à fournir une analyse des principaux développements intervenus dans
le pays sous l’angle des normes et obligations du Conseil de l’Europe.
Le rapporteur y met l’accent sur les principales difficultés que
rencontre l’Italie en matière de fonctionnement de ses institutions
démocratiques et d’administration de la justice, ainsi que sur les
questions de respect des droits de l’homme qui sont liées à la crise
migratoire.
2. Démocratie
2.1. Système constitutionnel et électoral
12. L’Italie est une République
parlementaire dont le pouvoir se divise en trois branches: l’exécutif,
le législatif, le judiciaire. L’actuelle Constitution italienne
a été rédigée au lendemain de la seconde guerre mondiale afin d’écarter
tout risque de restauration d’une dictature
. Elle a instauré à cet
effet un système constitutionnel dans lequel l’exécutif est faible
et politiquement responsable devant un parlement bicaméral fort.
13. Le Président de la République est le chef de l’État. Il est
élu par les deux chambres du parlement conjointement pour un mandat
de sept ans. Il représente l’unité nationale et est le garant de
la Constitution. Séparé de toutes les branches du pouvoir, il garantit
l’équilibre des pouvoirs et est habilité à dissoudre le parlement
.
Il nomme les ministres proposés par le Premier ministre, procède
aux nominations à vie d’un nombre limité de Sénateurs non élus et
préside le Conseil supérieur de la magistrature et, en sa qualité
de chef des armées, le Conseil suprême de la Défense. Le Président
assume également d’autres tâches et prérogatives protocolaires et
honorifiques Le Président en fonction est Sergio Mattarella, qui
a succédé en janvier 2015 à Giorgio Napolitano
.
14. Le pouvoir exécutif est exercé collégialement par le Conseil
des ministres. Le gouvernement est dirigé par le Premier ministre,
dont le titre officiel est celui de «Président du Conseil des ministres».
Le Premier ministre et, sur sa proposition, les autres ministres,
sont nommés par le Président de la République, mais leur désignation
doit être approuvée par les deux chambres du parlement, dont ils
doivent obtenir la confiance
. Chacune
des deux chambres a la possibilité de destituer le gouvernement
par motion de censure. Le Premier ministre mène la politique générale
du gouvernement et en assume la responsabilité. Paolo Gentiloni
a été nommé Premier ministre en décembre 2016, son rôle se limitant
à la gestion des affaires courantes depuis la défaite de la coalition
gouvernementale lors des élections législatives du 4 mars 2018.
Giuseppe Conte a ensuite été nommé Premier ministre et a prêté serment
en juin 2018.
15. Le pouvoir législatif est confié au parlement, qui se compose
de la Chambres des députés, dont les 630 membres sont élus par scrutin
national, et du Sénat de la République, dont les 315 membres sont
élus par scrutin régional. Les deux chambres sont élues simultanément
pour un mandat de cinq ans au suffrage universel direct. Le parlement
guide l’action du gouvernement, sur lequel il exerce un contrôle
.
16. Le Parlement italien se caractérise par un système de «bicaméralisme
parfait»: les deux chambres ont des pouvoirs égaux et des fonctions
identiques. Le choix d’avoir un Sénat fort a été fait pour garantir
une représentation adéquate d’intérêts régionaux contradictoires
tout en réduisant le risque que l’exécutif ou la Chambre des députés
aient trop de pouvoir. Une particularité du Sénat tient au fait
que certains de ses membres en font partie à vie, soit sur nomination
(cinq à l’heure actuelle) soit de droit
.
17. Toutefois, ce chevauchement des fonctions des deux chambres
a été très critiqué car il ralentit les processus, toutes deux ayant
un droit de veto sur les projets de loi ce qui entrave la mise en
œuvre d’un certain nombre de réformes de grande ampleur et hautement
nécessaires. En outre, les gouvernements qui se sont succédé ont
eu fréquemment recours à la faculté de prendre des décrets pour
éviter de trop longs débats – lesquels peuvent durer plusieurs années
– dans les deux chambres,
entravant ainsi les compétences législatives du parlement
. Les autorités ont toutefois
souligné que, lors de la 16e législature,
70% des projets de loi initiés par le parlement, 85% des projets
de loi initiés par le gouvernement, et 88% des décrets-lois (adoptés
en cas de nécessité et d'urgence) ont été approuvés après une seule
lecture dans chaque chambre. Depuis 2015, le nombre de décrets-lois
émis dans des conditions d'urgence a diminué (passant de 25 en 2013 à
13 entre le 1er janvier 2017 et le 22
mars 2018). Pour les autorités, ce renversement de tendance peut résulter
de l'arrêt de la Cour constitutionnelle no 32
de 2014
,
et des déclarations faites par les Présidents de la République M. Napolitano
et M. Mattarella en 2013 et 2015 respectivement sur ce sujet.
18. Après la seconde guerre mondiale, l’Italie a mis en place
un système électoral à la proportionnelle, qui a été remplacé au
début des années 1990 par un système mixte alliant différentes dispositions
électorales pour les deux chambres. En 2005, une nouvelle réforme
a introduit un système complexe favorisant les petits partis et
encourageant les grands à former des coalitions
. Celui-ci a par ailleurs conduit
à ce que les deux chambres aient des majorités différentes et donc
à la formation de parlements sans majorité. Pour garantir la constitution
d’une majorité gouvernementale à la Chambre des députés, une prime
de majorité était accordée au parti ou à la coalition ayant obtenu
le plus de voix lors des scrutins nationaux à la proportionnelle
. En octobre
2017, le parlement a adopté une loi électorale qui a instauré un
système mixte de représentation majoritaire et de représentation
proportionnelle lors d’un scrutin unique (voir ci-dessous).
19. Le 28 décembre 2017, le Président Mattarella a dissous le
parlement et convoqué des élections générales pour le 4 mars 2018.
La coalition de centre droit formée par Forza Italia, parti de l’ancien
Premier ministre Silvio Berlusconi
, Lega
et le parti
radical de droite Fratelli d’Italia ont remporté les élections avec le
Mouvement 5 étoiles (M5S, pour Movimento 5 Stelle), dirigé par Luigi
Di Maio, qui s’est présenté seul et est arrivé en deuxième position.
Toutefois, le Mouvement 5 Étoiles apparaît comme étant la force
politique la plus importante d’Italie. Au cœur de la coalition de
centre droit, Lega a supplanté Forza Italia, ce que nombre de commentateurs
ont considéré comme une défaite sans appel pour l’ancien Premier
ministre Berlusconi
. Le grand perdant de ces élections
est la coalition de centre gauche menée par l’ancien Premier ministre
Matteo Renzi, qui a perdu les deux tiers de ses sièges à la Chambre
des députés et la moitié de sa représentation au Sénat. Toutefois,
aucun parti n’a remporté la majorité et le parlement se retrouve
donc une nouvelle fois sans majorité.
20. Au terme des négociations entre les partenaires de la coalition,
Giuseppe Conte, un universitaire novice en politique, a été sollicité
pour devenir Premier ministre le 21 mai 2018. Le Président de la
République Sergio Mattarella s’est cependant opposé à la formation
d’un gouvernement incluant Paolo Savona en tant que ministre des
Finances, en raison des positions eurosceptiques de M. Savona. Le
Président a affirmé qu’une telle nomination pouvait créer une incertitude
dans l’économie italienne et, à terme, amener l’Italie à sortir
de la zone euro. Le 31 mai 2018, un accord a été trouvé entre les
membres de la coalition pour nommer Giovanni Tria au ministère de
l’Économie, ce qui a conduit, le 1er juin
2018, à la formation du gouvernement dirigé par Giuseppe Conte et
à la nomination du dirigeant de la Lega, Matteo Salvini, en tant
que ministre de l’Intérieur et de celui du Mouvement 5 Étoiles,
Luigi Di Maio, en tant que ministre du Travail et du Développement économique,
tous deux avec le rang de vice-Premiers ministres
.
21. Lors des élections locales de juin 2018, la Lega, formant
alors une coalition avec Forza Italia et Fratelli d’Italia, a confirmé
sa popularité et remporté les élections municipales dans plusieurs
bastions du Parti démocratique de centre-droit en Toscane (Sienne,
Pise et Massa)
. Le Mouvement 5 Étoiles l’a emporté
à Imola (Émilie-Romagne) et Avellino (Campanie).
2.2. Instabilité du système politique
22. Les spécificités des systèmes
constitutionnel et électoral de la République italienne susmentionnés
ont pour conséquence l’instabilité notoire du système politique
et de ses institutions, instabilité qui hante la politique italienne
depuis des décennies. Au cours des 71 ans qui se sont écoulés depuis
l’adoption de la dernière Constitution, 42 Premiers ministres et
64 gouvernements se sont succédé, chacun restant au pouvoir en moyenne
un peu plus d’un an. Depuis les élections générales de 2013, il
y a eu trois Premiers ministres différents
.
Le pays a souvent été décrit comme étant «ingouvernable»
.
23. Le bicaméralisme italien pousse notamment les gouvernements
à avoir souvent recours au vote de confiance pour éviter de longs
débats et un veto parlementaire sur des réformes importantes
. En revanche, ils
sont régulièrement contraints de démissionner après une motion de
censure de l’une ou l’autre des deux chambres
. Bien qu’il soit courant que la
chambre basse ait le droit de déposer des motions de censure, il
n’y a qu’en Italie que les deux chambres ont le droit de le faire.
Cette possibilité est largement perçue comme un défaut du système
parlementaire italien car elle augmente le risque d’instabilité
gouvernementale
. Les autorités
ont toutefois souligné que, dans l'histoire des parlements républicains,
seuls deux gouvernements ont démissionné à la suite d'un débat parlementaire
qui a débuté par une communication du premier ministre et s'est
terminé par un vote de censure: le premier gouvernement Prodi (1998)
et le deuxième gouvernement Prodi (2008)
.
En outre, l’Italie a un système de partis fragmenté, associé à une
alternance régulière de majorité, ce qui renforce le potentiel d’instabilité
gouvernementale
.
24. Le système politique a été affaibli par un certain nombre
de crises politiques. Le paysage politique de la République italienne,
longtemps dominé par les démocrates-chrétiens
, a subi un bouleversement considérable
au début des années 1990, lorsque l’opération
mani
pulite («mains propres») a exposé au grand jour la corruption
endémique qui régnait aux plus hauts niveaux de la scène politique
et du monde des affaires: les scandales «
tangentopoli».
Ceux-ci impliquaient tous les grands partis politiques dans des
affaires de financement illégal et ont suscité une crise politique
majeure qui a entraîné la chute du système de
partitocrazia .
Par la suite, un système de partis bipolaire s’est mis en place
avec une alternance entre coalitions de centre droit et de centre
gauche. Le nouveau système politique, dominé par Berlusconi, un magnat
des médias qui s’est retrouvé embourbé dans un nombre incalculable
de scandales, accusé de corruption et condamné pour fraude fiscale
, n’a fait qu’entamer
davantage la confiance du public dans les élites politiques. Les
autorités ont réfuté cette analyse, en expliquant qu’en dépit de
fréquents changements de gouvernement, le système politique italien
s'est révélé stable: au cours de la dite «première République», malgré
les remaniements ou les changements fréquents du gouvernement, la
classe politique elle-même a maintenu un degré élevé de continuité,
puisque tous les gouvernements avaient une majorité chrétienne démocrate.
Au cours de la dite «deuxième République», à l'exception des 11e et
12e législatures
, tous les autres
gouvernements ont été dirigés par la coalition qui a remporté les
élections, en alternant généralement entre les deux principaux blocs
.
2.3. Réforme constitutionnelle et électorale
25. Une tentative visant à réformer
radicalement la Constitution en renforçant le rôle du Premier ministre
et en réduisant les pouvoirs du Sénat et du Président a été bloquée
par référendum en 2006
. Plusieurs initiatives
antérieures destinées à réformer le système politique italien ont
également échoué
.
En 2012, un amendement à la Constitution italienne exigeant des
budgets équilibrés est entré en vigueur, pour se conformer au chapitre
sur le Pacte fiscal du Traité de l'Union européenne sur la stabilité,
la coordination et la gouvernance dans l'Union économique et monétaire.
26. Matteo Renzi, qui est devenu en février 2014 le plus jeune
Premier ministre d’Italie, a proposé plusieurs changements radicaux
du système politique, parmi lesquels une réforme constitutionnelle
et électorale majeure ayant pour objet d’assurer une plus grande
stabilité des institutions du système politique italien. En décembre 2013,
la Cour constitutionnelle italienne a jugé la loi électorale de
2005 partiellement inconstitutionnelle
. Par
la suite, en 2015, une nouvelle loi électorale, portant seulement
sur la Chambre des députés, a été adoptée par le Parlement italien
. Elle prévoyait un système électoral
en grande partie majoritaire, avec un premier tour basé sur la représentation
proportionnelle à scrutin de liste ouverte − corrigée en fonction
d’une prime de majorité et avec un seuil électoral de 3 % − et un
deuxième tour de scrutin organisé sous certaines conditions
. Toutefois, en
janvier 2017, la Cour constitutionnelle a jugé inconstitutionnels divers
éléments de la loi électorale de 2015 portant sur la Chambre des
députés
. Par
la suite, en octobre 2017, les deux chambres du parlement ont adopté
une nouvelle loi électorale
prévoyant
un système mixte de représentation majoritaire et proportionnelle
à un seul tour
,
avec un seuil d’entrée à la Chambre des députés de 3 % pour les
partis uniques et de 10 % pour les coalitions; un système similaire
a été mis en place pour le Sénat. Ces modifications apportées au
système électoral favorisent la formation de grandes coalitions gouvernementales
moyennant un marchandage politique mais ils renforcent le risque
qu’un parlement se retrouve sans majorité ou avec une majorité instable.
Il n’est donc par certain que ces changements permettront de résoudre
les problèmes chroniques d’instabilité gouvernementale que connaît
l’Italie
.
27. Les principaux éléments de la réforme constitutionnelle prévue
visaient à réduire fortement les pouvoirs du Sénat, à ramener le
nombre de sièges de 315 à 100, et à ce que les sénateurs, actuellement
élus au suffrage direct, soient élus au suffrage indirect par les
représentants des régions. Il est essentiel de noter qu’avec les
réformes proposées le gouvernement n’aurait plus été obligé d’obtenir
la confiance du Sénat, celui-ci n’aurait plus eu la possibilité
de déposer de motion de censure contre le gouvernement, et le droit
de veto législatif du Sénat aurait été considérablement affaibli
. Avec la nouvelle
loi électorale, la réforme constitutionnelle aurait complètement
transformé la nature du système politique italien
. Même si les deux chambres
ont voté en faveur de la réforme constitutionnelle en 2016, celle-ci
n’a pas obtenu la majorité requise des deux tiers pour éviter un
référendum constitutionnel.
28. Le 4 décembre 2016, après une campagne longue et très personnalisée,
qui a transformé le référendum en un vote de sanction contre le
gouvernement, la réforme constitutionnelle proposée a été rejetée
par 59 % des voix. Le Premier ministre Renzi a démissionné le 7 décembre
et a été remplacé par son ministre des Affaires étrangères, Paolo
Gentiloni.
2.4. Liberté des médias
29. La liberté d’expression et
des médias est garantie par la Constitution et globalement respectée. Toutefois,
et bien qu’un certain nombre de mesures aient été prises, Freedom
House considérait en 2017 qu’en Italie la liberté des médias n’était
que partielle, avec un score de 31 sur 100 en matière de liberté
de la presse
. À l’évidence, plusieurs
problèmes entravent de longue date la liberté des médias et n’ont
pas encore reçu une solution adéquate.
30. Après la libéralisation du secteur des médias dans les années
1990, la propriété des médias s’est fortement concentrée, et l’est
encore à ce jour. Les médias audiovisuels sont dominés par deux
géants: la société publique
Radiotelevisione
Italiana (RAI), et
Mediaset,
société privée appartenant à Silvio Berlusconi. À elles deux, elles
exploitent la quasi-totalité des grandes chaînes de télévision publiques
et privées du pays. Étant donné qu’environ 80 % de la population
s’informe semble-t-il quotidiennement à la télévision
– le taux le plus élevé dans l’Union
européenne – cette concentration de la propriété est préoccupante,
tout particulièrement dans le contexte italien où les diffuseurs,
notamment publics, entretiennent habituellement des liens étroits
avec les forces et personnalités politiques et où il n’existe pas
de réglementation en matière de conflit d’intérêts
. Les autorités italiennes ont souligné
qu’à leur avis, ces questions ont été abordées dans la Loi consolidée
de 2005 sur les médias, l'audiovisuel et les services radiophoniques
(TUSMAR), qui a établi le système de communications intégrées, a
fixé des limitations spécifiques pour empêcher l'émergence de positions
dominantes dans le système de communications intégrées, et a réglementé
la nomination des membres de l'autorité de communication (AGCOM),
qui sont maintenant tous des professeurs d'université ou hauts fonctionnaires
d'État avec l'expérience dans les domaines de communications ou
de la concurrence. La loi n o 215 du
20 juillet 2004 – également connue sous le nom de «Loi Frattini»
– contient des dispositions sur les conflits d'intérêts, établit
les règles de règlement de ces conflits et veille à ce que tous
les titulaires de charge publique, dans l'exercice de leurs fonctions,
aient pour seul objectif le maintien et la protection des intérêts
publics. L'autorité de la concurrence et du marché et l’AGCOM évaluent
la présence de conflits d’intérêts
.
31. Des inquiétudes concernant l’autonomie de la RAI ont été exprimées
après la nomination de Marcello Foa
à sa présidence en septembre 2018,
malgré les réticences du syndicat des journalistes. Cette nomination
a été possible grâce au soutien du dirigeant de Forza Italia, Silvio
Berlusconi, qui a accepté de ne pas s’y opposer au sein de l’organe
parlementaire responsable de la surveillance du radiodiffuseur public, après
qu’un accord a été conclu avec les forces de centre-droit pour présenter
plusieurs candidats communs lors des prochaines élections régionales.
32. Suite à un arrêt de 2012 de la Cour européenne des droits
de l’homme
, l’Italie a
défini un cadre législatif et réglementaire relatif à l’octroi des
licences de radiodiffusion ainsi qu’à la cession et à l’abandon
de la propriété des sociétés de télévision, et ce afin de garantir
un pluralisme effectif des médias
. Ces nouvelles règles
n’ont toutefois pas réduit substantiellement la concentration de
la propriété, et la désignation des membres de la nouvelle autorité
est en réalité à caractère politique et basée sur leur affiliation
à un parti
.
De nouvelles initiatives ont été récemment lancées pour réformer
le diffuseur public et améliorer son indépendance, son efficacité
et sa viabilité, notamment une modification de sa structure de gouvernance
et l’introduction d’un nouveau système de perception de la redevance
télévisuelle. La délégation italienne a souligné que, dans le précédent
parlement, la Chambre des députés avait approuvé, en première lecture,
une mesure introduisant de nouvelles règles en matière de conflits
d'intérêts, mais le débat s’est enlisé au Sénat. Une nouvelle révision
de ces règles est actuellement incluse dans le contrat gouvernemental
qui a été signé par la Ligue et le Mouvement 5 Étoiles après les
élections 2018
.
33. La diffamation reste une infraction pénale en Italie, passible
d’une amende ou d’une peine de prison allant jusqu’à six mois
. La Cour européenne
des droits de l’homme a régulièrement condamné l’Italie pour avoir
imposé des sanctions pénales disproportionnées dans les cas de diffamation,
notamment des peines d’emprisonnement, à des journalistes et des
éditeurs
. En 2013, sur demande de l’Assemblée
, la Commission européenne pour la démocratie
par le droit (Commission de Venise) a rendu un avis sur la législation
italienne relative à la diffamation dans lequel elle a invité instamment
les autorités à modifier le Code pénal afin de garantir le principe
de proportionnalité des sanctions et d’éviter un effet intimidant
sur la liberté des médias
.
34. Plusieurs projets visant à amender la législation relative
à la diffamation sont actuellement examinés au Parlement italien.
En 2015, la Chambre des députés a proposé de supprimer les peines
de prison pour les journalistes dans les affaires de diffamation
,
mais en 2016 le Sénat a proposé de relever la peine maximum de six
à neuf ans de prison lorsque la diffamation vise des responsables
politiques, des juges ou des fonctionnaires. Après de vives critiques
sur la scène internationale, notamment de la part du Commissaire
aux droits de l’homme, cette proposition a été retirée
. Le projet de loi
est actuellement bloqué au Sénat. Aussi, au moment de la rédaction
du présent document, la législation italienne relative à la diffamation
n’est pas conforme aux normes européennes
.
35. En conséquence, les tribunaux italiens continuent de prononcer
des peines de prison pour diffamation. Selon l’organisation
Ossigeno per l’Informazione, 475 journalistes
ont été condamnés pour diffamation en 2015 et 155 peines de prison
ont été prononcées
. Dans la pratique,
les peines de prison sont prononcées avec sursis ou ne sont pas
appliquées. Toutefois, comme l’a souligné le Commissaire aux droits
de l’homme, le fait que la diffamation continue d’être passible
de sanctions pénales et que des personnalités publiques soient prêtes
à user de cette possibilité pour étouffer les critiques entrave
la liberté des médias en Italie
.
36. Les journalistes italiens font régulièrement l’objet d’intimidations,
menaces (y compris de mort) et agressions physiques de la part des
réseaux de criminalité organisée. En 2016, 62 journalistes auraient
reçu des menaces orales ou écrites, 57 auraient été physiquement
agressés et quatre auraient subi des dommages matériels. En conséquence,
20 journalistes vivent à l’heure actuelle sous protection policière
permanente
. La situation
a toutefois évolué positivement en 2016 lorsque le Parlement italien
a approuvé la proposition de la Commission parlementaire antimafia
d’inclure dans le Code pénal de nouvelles circonstances aggravantes pour
les infractions commises par la mafia contre les journalistes
.
2.5. Autonomie locale
37. L’Italie est un pays unitaire
et décentralisé, subdivisé en 20 régions. Celles-ci sont à leur
tour divisées en 96 provinces et 14 métropoles, elles-mêmes subdivisées
en plus de 8 000 communes. L’autonomie locale est fermement établie.
La Constitution italienne reconnaît le principe d’autonomie locale
et exige l’établissement pour chaque région de statuts définissant
leur organisation et leur fonctionnement. Les 15 régions qui ont
un statut «ordinaire» n’ont qu’une autonomie très limitée tandis
que les cinq autres ont un statut «autonome» spécial qui leur confère
davantage de compétences législatives, administratives et financières
.
D’aucuns ont affirmé que les régions ayant un statut «autonome»
spécial étaient plus vulnérables face à la corruption et davantage
susceptibles d’être infiltrées par la criminalité organisée. Lors
des réformes constitutionnelles de 2001, les régions ayant un statut
ordinaire se sont vu attribuer des compétences accrues en matière
de fiscalité, d’éducation et dans d’autres domaines expressément
mentionnés dans la Constitution, mais deux grands projets de réforme
ont toutefois été rejetés lors des référendums constitutionnels
de 2006 et de 2016
.
38. Les divisions historiques entre régions italiennes en matière
économique et culturelle sont profondes, comme l’atteste l’existence
de nombreux partis politiques régionalistes et régionaux. Même si
les revendications sécessionnistes ne semblent plus être en tête
des priorités politiques, les identités régionales restent fortes
et
les dirigeants et partis politiques régionaux plaident régulièrement
en faveur d’une plus grande autonomie des régions
. Aussi n’y a-t-il
pas de consensus à l’échelon national sur les futures réformes du
système de démocratie locale et régionale.
39. Dans son troisième rapport de suivi sur l’Italie, en octobre 2017,
le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe
avait salué les réformes destinées à favoriser la décentralisation
et à renforcer l’efficacité politique et financière des collectivités
territoriales
.
Il s’est en outre dit préoccupé notamment par les coupes budgétaires
et la réduction du soutien étatique qu’ont entraîné des mesures d’austérité
et qui ont eu des incidences disproportionnées sur les collectivités
territoriales. Le Congrès a invité instamment les autorités italiennes
à revoir le calcul des coupes budgétaires et à lever les contraintes financières
imposées aux collectivités locales afin que ces dernières aient
assez de ressources financières et humaines pour exercer leurs responsabilités.
Il a recommandé aux autorités italiennes de veiller à une plus grande
autonomie budgétaire des régions ayant un statut ordinaire afin
de réduire l’écart entre celles-ci et les régions ayant un statut
autonome spécial, et les a invitées à signer et à ratifier le Protocole
additionnel à la Charte européenne de l’autonomie locale sur le
droit de participer aux affaires des collectivités locales (STCE no 207)
.
3. Droits de l’homme
3.1. Questions générales en matière de
droits de l’homme
40. L’Italie est fortement déterminée
à protéger et promouvoir les droits de l’homme dans le monde entier moyennant
des initiatives bilatérales et multilatérales, aussi bien à l’échelon
mondial que régional
. Le pays dispose d’un
cadre législatif solide en matière de protection des droits de l’homme
et a créé plusieurs organes pour la protection des droits de l'homme
,
assortis d’importantes ressources financières et humaines
. Cela étant, l’Italie
est l’un des quelques membres du Conseil de l’Europe qui n’ont toujours
pas d’institution nationale des droits de l’homme indépendante,
et ce en dépit des engagements répétés des autorités italiennes
en ce sens
.
J'ai donc été heureux d'apprendre que la Chambre des députés était
sur le point de commencer, en novembre 2018, l'examen de plusieurs
projets de loi visant à créer une Commission nationale pour la promotion
et la protection des droits de l'homme fondamentaux, qui devrait
être conforme aux principes de Paris. L’Italie n’a pas non plus
d’institution nationale du médiateur
. Alors qu’elle a adopté
un certain nombre de stratégies et de plans d’action spécifiques
dans divers domaines, elle n’a pas encore adopté de plan d’action
général et complet en matière de droits de l’homme.
41. En 2017, la Cour européenne des droits de l’homme a traité
2 106 requêtes concernant l’Italie, dont 1 973 ont été déclarées
irrecevables ou rayées du rôle
. Elle a prononcé 31
arrêts portant sur 133 requêtes, dont 28 ont conclu à au moins une
violation de la Convention européenne des droits de l’homme. La
majorité des violations portent sur le droit au respect de la vie
privée et familiale (sept arrêts), l’absence d’enquête effective
(six arrêts), le droit à un procès équitable (six arrêts) et la
protection de la propriété (six arrêts)
. Divers arrêts rendus
ces dernières années sur les questions ci-après sont à noter: droit
à la vie, torture et traitements inhumains ou dégradants commis
par des agents de l’État (dont un arrêt pilote sur la surpopulation carcérale),
impunité pour restitutions extraordinaires, légalité de la détention,
droit à un procès équitable (dont un arrêt pilote), vie privée et
familiale (dont: protection des embryons et des enfants nés d’une
gestation par autrui, et reconnaissance légale des relations entre
personnes de même sexe), absence d’accès à une procédure d’asile
et expulsion collective d’étrangers.
42. Au 31 décembre 2017, 4 665 requêtes concernant l’Italie (8,3 %)
étaient en instance devant la Cour européenne des droits de l’homme,
le pays restant donc parmi les cinq pays présentant le plus de requêtes malgré
l’évolution très positive de ces dernières années
. D’après la Cour,
environ 4 400 affaires portent sur des retards dans le versement
des indemnités prévues par la loi «Pinto» en cas de durée excessive
des procédures juridictionnelles (voir également ci-après); les
autres affaires portent sur le régime spécial dans les prisons de
haute sécurité, sur les peines d’emprisonnement pour diffamation
et sur la rétention de mineurs non accompagnés
.
43. L’Italie a nettement progressé quant au nombre d’arrêts en
attente d’exécution devant le Comité des Ministres. Comme elle a
longtemps été le pays qui comptait le plus grand nombre d’arrêts
en attente d’exécution (à savoir 2 350, soit plus d’un cinquième
du nombre total de dossiers en instance fin 2016), plus de 1 700
dossiers relatifs à la durée excessive des procédures civiles et
des procédures de faillite ont été clos par résolution finale en
décembre 2017
.
À la fin décembre 2017, seulement 380 arrêts étaient encore en attente
d’exécution, dont 250 concernés par la procédure de surveillance
soutenue, ce qui témoigne de la persistance de carences structurelles
auxquelles les autorités n’ont pas encore remédié
. Les sommes versées
par l’Italie au titre de l’indemnisation ont dépassé la barre des
15 millions d’euros en 2016, plaçant ainsi le pays au troisième
rang de ce point de vue parmi les États membres du Conseil de l’Europe,
mais les paiements sont toutefois souvent retardés
.
3.2. Prévention de la torture et autres
mauvais traitements
44. En 2015, la Cour a souligné
que l’inadéquation de la législation pénale italienne pour la prévention
et la répression des actes de torture et autres mauvais traitements
et l’application d’un délai de prescription à de tels actes avaient
créé une impunité de fait
. En
juillet 2017, après un retard non négligeable, l’Italie a introduit
le crime de torture dans le Code pénal, remédiant ainsi à une grave
lacune du système de protection des droits de l’homme
. Malgré cette avancée positive,
dans son rapport de visite de 2016 le Comité européen pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
(CPT) a fortement critiqué le projet de loi, auquel le texte final
adopté était similaire, car sa définition trop restrictive de la
torture risquait d’exclure du champ d’application de la loi de nombreux
mauvais traitements graves. Par ailleurs, la loi ne considère pas
un acte de torture commis par un agent public comme une infraction
autonome mais plutôt comme une circonstance aggravante, et applique
un délai de prescription
.
Le CPT a donc estimé que la loi ne répondait pas valablement aux
questions soulevées par la Cour
.
C’est d’autant plus important que les mauvais traitements infligés
par les forces de l’ordre et les agents pénitentiaires sont un problème
récurrent en Italie
,
qui a valu au pays maintes condamnations de la Cour
.
45. Le CPT a par ailleurs examiné les incidences de la réforme
pénitentiaire
entreprise
par les autorités italiennes pour réduire la surpopulation carcérale,
comme l’avait demandé la Cour dans l’arrêt pilote de 2013 dans l’affaire
Torregiani c. Italie . Des progrès notables
ont été observés: le pays comptait 11 000 détenus de moins en 2016
et 2 500 places de prison avaient été créées. Cette avancée a permis
au Comité des Ministres de clore ce groupe d’affaires. Il convient
toutefois de noter que la population carcérale a recommencé à augmenter
depuis 2016 et que la surpopulation persiste
.
46. Dans son rapport de visite de 2016, le CPT s’est par ailleurs
dit préoccupé par la médiocrité des conditions matérielles existant
dans plusieurs établissements de la police d’État et des
Carabinieri. Pour ce qui est des
prisons, le CPT a dénoncé les imperfections du système pénitentiaire,
les nombreuses restrictions imposées aux détenus soumis au régime
«41-bis»
, l’imposition
de périodes d’isolement prolongées et les conditions de détention
des mères avec des enfants.
47. Avancée positive: après que l’Italie a ratifié le Protocole
facultatif se rapportant à la Convention des Nations Unies contre
la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants (OPCAT) en 2013, les autorités ont créé une nouvelle
institution chargée d’appliquer le mécanisme national de prévention dans
le cadre de l’OPCAT. Le Garant national des droits des personnes
privées de liberté (
Garante nazionale)
, en vigueur depuis début 2016, est
un mécanisme de suivi de la situation des personnes privées de liberté
.
3.3. Droits des réfugiés et des migrants
48. Le nombre de personnes arrivant
d’Afrique du Nord (essentiellement de Libye) vers l’Italie en empruntant
la route de la Méditerranée centrale est monté en flèche: de 56 000
en 2011 il est passé à plus de 181 000 en 2016, chiffre jamais atteint
auparavant. Les réfugiés et les migrants utilisent souvent des bateaux innavigables,
sans gilets de sauvetage ni assez de carburant ou de nourriture,
ce qui fait de cette voie la plus meurtrière du monde, avec plus
de 4 500 décès en mer en 2016
. Selon les données publiées par l'Organisation
internationale pour les migrations (OIM), il y eu 2172 victimes
en 2017. Près de 1 000 migrants et réfugiés sont morts en Méditerranée
au cours du premier semestre 2018; 653 d'entre eux et elles sont
morts le long de la route méditerranéenne centrale entre l'Afrique
du Nord et l'Italie
.
49. Les autorités italiennes ont réagi en renforçant leurs capacités
de recherche et sauvetage et en mettant en place un plan national
pour l’accueil des réfugiés et des migrants
.
En raison des règles de l’Union européenne en matière d’asile et
de la pression exercée par d’autres États membres de l’Union européenne pour
stopper les mouvements secondaires, l’Italie a dû absorber un nombre
toujours plus important d’arrivées. L’Assemblée n’a cessé de répéter
que tous les États membres du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne
devraient faire preuve de davantage de solidarité
envers l’Italie
et les autres pays européens qui sont en première ligne et sont
confrontés à des flux migratoires massifs, et a souligné que seule
une réponse européenne commune pouvait remédier à l’actuelle afflux
de réfugiés et de migrations
.
50. Même si le nombre d’arrivées est resté élevé les sept premiers
mois de 2017 (environ 100 000 personnes), il a nettement diminué
depuis; le nombre de nouveaux arrivants enregistrés en 2017 était bien
inférieur, avec un total de 119 000 arrivées par voie maritime
. Cette baisse est la conséquence
du fait que l’Italie a sensiblement réduit les opérations de recherche
et de sauvetage effectuées par des ONG
et renforcé la
coopération bilatérale en matière de contrôle des flux migratoires
avec la Libye, son ancienne colonie, mesures que les pays membres
de l’Union européenne ont approuvées
malgré l’indignation
de l’opinion publique et les allégations selon lesquelles l’Europe
contribuerait à exposer les migrants à des violations systématiques
des droits de l’homme en Libye
. Le Commissaire
aux droits de l’homme a invité instamment l’Italie à apporter des
précisions sur les opérations maritimes qu’elle mène dans les eaux territoriales
libyennes afin de gérer les flux migratoires
. La délégation
italienne a indiqué que les opérations de sauvetage en mer des migrants
par des ONG ont été par la suite régies par un Code de conduite
délivré par le ministère italien de l'Intérieur en accord avec l'Union
européenne et signé par toutes les ONG, à l'exception de
Médecins Sans Frontières et le réseau
allemand
Jugend Rettet). Le
code établit plusieurs principes visant à améliorer la sécurité,
à assouplir l'interdiction des transferts à d'autres navires et
à demander aux ONG de ne pas pénétrer dans les eaux territoriales
libyennes «sauf en cas de danger grave et imminent nécessitant une
assistance immédiate», à condition qu'ils n'entravent pas «la recherche
et le sauvetage de la part des Garde-côtes libyens»
.
51. Ces derniers mois, le ministre de l’Intérieur a durci sa politique
concernant les migrants. Les autorités ont interdit aux navires
qui les secourent de les faire débarquer dans des ports italiens,
sauf en cas d’accords avec d’autres pays européens. En juillet 2018,
il a fallu l’intervention du Président italien Sergio Mattarella
pour que 67 migrants soient autorisés à débarquer du navire des
garde-côtes le
Diciotti à
Trapani
. Le 25 août 2018, cependant, le
Diciotti n’a pas été autorisé pendant
plusieurs jours à débarquer 177 migrants secourus, jusqu’à ce qu’un
accord soit trouvé avec l’Irlande, l’Albanie et l’Église catholique
italienne pour accueillir les migrants
. À la suite
de ces événements, les procureurs ont ouvert une enquête à l’encontre
du ministre de l’Intérieur Matteo Salvini et de son chef de cabinet
Matteo Piantedosi pour détention illégale, abus de pouvoir et «enlèvement
à des fins coercitives». Toutes ces charges ont été abandonnées
par la suite
. Les autorités ont aussi
entravé, sinon rendu impossibles, les activités d’ONG qui secourent
les migrants
: l’immatriculation du navire Aquarius – géré
par SOS Méditerranée et Médecins Sans Frontières et dont on pense
qu’il a secouru 30 000 personnes
– a été révoquée le 24 septembre
2018 par le Panama, à la suite de pressions exercées par le Gouvernement
italien. Plusieurs communes d’Italie, parmi lesquelles la ville
de Riace en Calabre, ont lancé une politique d’intégration destinée
à accueillir les migrants et réfugiés nouvellement arrivés. En octobre 2018,
cependant, la maire de Riace, Domenico Lucano, a été poursuivi pour
avoir prétendument encouragé l’immigration illégale «par des actes
illégaux punissables en droit pénal, y compris l'organisation de faux
mariages»
et assigné à résidence. Le ministère
de l’Intérieur a également ordonné que des centaines de réfugiés
soient expulsés de Riace vers d’autres centres d’accueil. Tous ces
faits sont extrêmement préoccupants
.
52. Malgré les efforts et la bonne volonté de l’Italie face à
ces défis colossaux, les arrivées massives de réfugiés et de migrants
ont submergé le système d’accueil du pays. Bien que la méthode des
points d’enregistrement
ait permis d’enregistrer et
d’identifier convenablement la plupart des arrivants, le nombre de
places d’accueil est insuffisant par rapport aux besoins
. Du fait
de l’absence de normes et de règles harmonisées, à quoi viennent
s’ajouter l’inadéquation du suivi des opérateurs privés et les incitations
à la corruption en matière de passation de marchés
,
les conditions de vie sont très différentes d’un endroit à l’autre,
et parfois en contradiction avec les articles 3 et 5 de la Convention
européenne des droits de l’homme
.
53. La situation a été encore aggravée par des retards dans l’accès
au processus de demande d’asile puis par la lenteur de celui-ci,
en particulier au stade de l’appel
. Les autorités ont informé la commission
que le Décret-loi no 113 adopté en 2018
(voir ci-dessous) visait à accélérer les délais de traitement des
demandes de protection internationale en introduisant une série
de modifications à la législation existante et en augmentant le
nombre des commissions chargées de l'examen des candidatures
.
Début 2017, une réforme substantielle de la procédure d’asile a
considérablement diminué la durée de traitement des dossiers de demande
mais au prix d’une réduction des garanties procédurales en faveur
des demandeurs d’asile
. À propos de ces
procédures, le Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des
êtres humains (GRETA) a constaté qu’elles ne garantissaient pas
la détection effective des personnes vulnérables, par exemple les victimes
de la traite ou de tortures
.
La protection des enfants migrants non accompagnés présente des lacunes
similaires. Leur nombre élevé a entraîné des défaillances partielles
du système d’accueil et de tutelle
.
Le GRETA a invité instamment les autorités italiennes à renforcer
les initiatives visant à identifier les enfants victimes de la traite
et à s’attaquer au problème de la disparition de mineurs non accompagnés
en améliorant les mesures de protection et en désignant rapidement
un tuteur légal
.
Les autorités ont également indiqué qu’une nouvelle législation
adoptée en 2017 visait à renforcer les mesures de protection des
enfants non accompagnés, à en assurer une application uniforme à
l'échelle nationale, à augmenter les ressources allouées aux installations
d'accueil destinées spécifiquement aux mineurs et à donner accès
à tous les mineurs non accompagnés aux services financés par le
Fonds national pour les politiques et les services d'asile
. Cela étant, il reste fort à faire,
en particulier augmenter le nombre de places dans les refuges spécialisés.
54. S’agissant d’éventuels retours forcés, les procédures d’identification
abrégées et l’insuffisance des informations données aux gens sur
leurs droits suscitent un certain risque de voir des personnes ayant
besoin d’une protection internationale être
refoulées, tout
particulièrement car les retours vers des pays avec lesquels l’Italie
a conclu des accords de réadmission peuvent être rapidement mis
à exécution
.
D’aucuns, notamment le Commissaire aux droits de l’homme, ont dit
craindre que des personnes venues d’Égypte, de Tunisie ou de Grèce
ne soient régulièrement renvoyées dans leurs pays au titre de ces
accords sans que leur situation ait été dûment examinée et sans
garanties procédurales, et ce alors même que certaines avaient semble-t-il
l’intention de demander l’asile
.
Suite à l’arrêt décisif que la Cour a rendu en 2012 dans l’affaire
Hirsi Jamaa , l’Italie a déclaré que la «politique
de refoulement»
des réfugiés et des
migrants interceptés dans les eaux internationales n’était plus
en application
.
De récents changements intervenus dans le système d’accueil des
migrants, dans la procédure d’asile (notamment durant les sauvetages
en mer) et dans la jurisprudence nationale témoignent d’une évolution
positive
.
55. Le système de retour forcé des migrants en situation irrégulière
et des demandeurs d’asile déboutés vers des pays avec lesquels l’Italie
n’a pas conclu d’accords de réadmission a été pointé du doigt comme
étant un «échec total»
, tout particulièrement en raison de l’absence
de coopération de la part de ces pays. Les migrants en situation
irrégulière ne bénéficient généralement pas du soutien ni des services
prévus dans le cadre du système d’accueil, ceux-ci étant uniquement
offerts aux demandeurs d’asile et réfugiés dûment enregistrés. Les
autorités ont toutefois souligné que, lors de leur entrée irrégulière
en Italie, les migrants reçoivent des premiers soins dans les zones
dites «hotspots», ont accès aux services hospitaliers d'urgence et
aux soins ambulatoires dans les établissements publics agréés et
ont accès à des programmes de médecine préventive pour préserver
la santé individuelle et collective. Enfin, les arrêts de la Cour
constitutionnelle ont souligné que les interventions publiques concernant
les citoyens étrangers ne peuvent se limiter au simple contrôle
de leur entrée et séjour sur le sol italien, mais doivent nécessairement
comporter d'autres aspects tels que l'aide sociale, l'éducation,
les soins de santé et le logement – qui impliquent de multiples
sphères législatives
.
Bien que le séjour irrégulier ne soit plus une infraction pénale
depuis 2014
, un nombre croissant de migrants
vivent en transit, dans des campements de fortune et des conditions
de vie déplorables, voire à la rue
. La Commission européenne
contre le racisme et l’intolérance (ECRI) aussi bien que le Commissaire
aux droits de l’homme ont dit regretter l’absence de politique d’intégration
de ce groupe de personnes et appelé les autorités à remédier à cette
situation
. Le lancement,
en septembre 2017, du premier plan national d’intégration, comprenant
des objectifs en matière d’apprentissage de la langue, de logement,
d’emploi et de santé, est une étape positive à cet égard
.
56. Les migrants et les réfugiés sont particulièrement exposés
au travail forcé, à l’exploitation et à des conditions de travail
abusives parce qu’ils sont en situation précaire et confrontés à
la discrimination sur le marché du travail
et que le cadre juridique
censé les en prémunir n’est pas adapté. Le travail non déclaré chez
les migrants reste courant sur le marché italien, notamment dans
le sud et dans le secteur agricole. À ce propos, le GRETA a invité
instamment les autorités italiennes à renforcer la lutte contre
la traite des êtres humains aux fins de l’exploitation par le travail,
notamment en renforçant l’inspection du travail
.
L'adoption, en 2016, de la Loi 199 contenant des dispositions visant
à «contrer les phénomènes d'emplois non déclarés, de travail forcé
dans l'agriculture et de réalignement des salaires dans le secteur
agricole», qui durcit les sanctions pour ceux qui commettent de
telles infractions, doit être accueillie favorablement
.
57. Une nouvelle législation concernant les migrants et les réfugiés
a été adoptée récemment. Le Décret-loi no 113
relatif à la «sécurité et migration» a été signé par le Président
Mattarella le 4 octobre 2018
et adopté par le parlement le 28
novembre 2018. Ce decret-loi introduit des restrictions au régime
d'asile italien et abolit le statut de la protection humanitaire
. Les autorités ont expliqué que
les permis de séjour délivrés pour des raisons humanitaires seront
remplacés par des permis de séjour «spéciaux» délivrés uniquement
en cas de conditions sanitaires exceptionnellement graves, de situations
temporaires de catastrophe dans le pays d'origine, ou d'actes civils
de haute valeur. Il comprend également une série de mesures visant
à accélérer le traitement des demandes d'asile, telles que les procédures
accélérées pour les demandeurs d'asile faisant l'objet d'une procédure
pénale ou reconnues coupables d'un crime grave, et la possibilité
de rédiger une liste de pays d'origine sûrs. Certaines mesures ont
été adoptées pour lutter contre l'immigration clandestine, y compris
l'allongement de la période maximale de détention pour les citoyens
étrangers hébergés dans des Centres de rapatriement et l’extension,
à l'ensemble de l'espace Schengen, de l'interdiction de retour des étrangers
qui ont été expulsés. Le décret-loi prévoit également la révocation
de la citoyenneté (acquise par le mariage ou la naturalisation,
ou accordée à des ressortissants étrangers nés en Italie et y résidant
jusqu'à l'âge de 18 ans) en cas de condamnation définitive pour
des crimes de terrorisme ou de subversion. Les organisations de
la société civile et les ONG ont exprimé leurs vives préoccupations
au sujet de ce nouveau décret-loi, estimant qu'il était incompatible
avec les principes constitutionnels et le droit international
. Le Rapporteur s'attend à ce que
les autorités italiennes veillent à ce que cette nouvelle législation
et sa mise en œuvre respectent les normes internationales.
3.4. Lutte contre le racisme, l’intolérance
et la discrimination
58. L’égalité de tous les citoyens
est garantie par la Constitution italienne (article 3). S’agissant
du cadre institutionnel de lutte contre le racisme et l’intolérance,
aussi bien le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la
protection des minorités nationales que l’ECRI estiment que ni le
mandat ni les statuts du Bureau national pour la promotion de l’égalité
de traitement et la lutte contre la discrimination raciale (UNAR),
créé en 2013 et responsable de la protection contre toutes les formes
de discrimination, ne garantissent son indépendance et qu’ils doivent
être revus. Ils estiment en outre que l’UNAR ne dispose pas des
ressources qui lui permettraient de fonctionner efficacement et
qu’il faut les lui attribuer
.
Évolution positive: l’Italie a créé un Observatoire pour la sécurité
contre les actes discriminatoires (OSCAD) et adopté en 2015 un plan
d’action contre le racisme, la xénophobie et l’intolérance, qui
a été développé par l’UNAR après de nombreuses consultations.
59. La société italienne est confrontée à une augmentation des
attitudes racistes et xénophobes ainsi que de l’antitsiganisme dans
le discours public, notamment dans les médias et sur internet. Entre
septembre 2010 et novembre 2014, l’OSCAD a reçu près de 1 200 signalements
concernant des discours de haine et des infractions à caractère
haineux, dont la moitié constituait une infraction pénale
.
La crise et l’austérité économiques et, comme l’a souligné la délégation
italienne, le nombre écrasant de demandeurs d'asile auxquels l’Italie
a dû faire face et qu’elle a dû gérer, ont, encore davantage, exacerbé
le mécontentement; certains partis politiques ont exploité les sentiments
anti-immigrés. Le Commissaire aux droits de l’homme, l’ECRI et le
Comité consultatif de la Convention-cadre ont exprimé leurs inquiétudes
à l’égard du discours de haine des responsables politiques à l’encontre
des migrants, des Roms, des musulmans, et des personnes lesbiennes,
gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI)
. Le Comité européen
des Droits sociaux a estimé que la rhétorique politique xénophobe
ou les discours contre les Roms et les Sintés constituaient une violation
des dispositions de la Charte sociale européenne (révisée) (STE
no 163)
. Par ailleurs, en
dépit des recommandations de l’ECRI visant à ce que la négation
de l’Holocauste constitue une infraction pénale à part entière,
la législation adoptée en juillet 2016 n’en a fait qu’une circonstance
aggravante
.
60. Selon l’OSCE/BIDDH, au total 803 infractions motivées par
la haine ont été signalées par la police en 2016, parmi lesquelles
286 infractions à caractère raciste et xénophobe, 204 infractions
visant des personnes handicapées, 52 des Roms et des Sintés et 38
infractions fondées sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre
des victimes. Un certain nombre d’attaques verbales et physiques
violentes contre des centres accueillant des demandeurs d’asile
ont été enregistrées. Il n’existe toujours pas de statistiques officielles
sur les poursuites et les condamnations des auteurs d’infractions
inspirées par la haine mais leur nombre serait faible par rapport
au nombre élevé d’infractions et d’actes de violence signalés
. Le plan
d’action de 2015 prévoyait des mesures concrètes de lutte contre
le discours de haine et la violence raciste, homophobe et transphobe,
conformément aux recommandations de l’ECRI, mais ces mesures doivent
à présent être mises en œuvre dans la pratique. Le Comité consultatif
de la Convention-cadre a vivement recommandé aux autorités italiennes
de lutter efficacement contre toutes les manifestations de racisme,
d’intolérance et de xénophobie, notamment en prévenant les infractions
à caractère raciste, en enquêtant sur toutes celles qui sont commises
et en poursuivant les auteurs
.
La Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies nouvellement
élue, Michelle Bachelet, a annoncé le 10 septembre 2018 que ses
services examineraient «les informations faisant état d’une multiplication
des actes de violence et de racisme à l’encontre des migrants, des
personnes d’origine africaine et des Roms»
.
61. La situation de la population rom – à savoir les Roms, les
Sintés et les Gens du voyage (
Caminanti)
– est toujours d’actualité. Jusqu’en 2011, les autorités italiennes
avaient instauré un «état d’urgence relatif aux campements de communautés
nomades»
dans
plusieurs régions, permettant ainsi des expulsions forcées et la
réinstallation des Roms dans de vastes camps «autorisés» et séparés
du reste de la population. Cette politique et tous les actes administratifs
connexes ont été ultérieurement déclarés illégaux et discriminatoires par
le Conseil d’État
. Les préjugés
contre les Roms et leur stigmatisation restent profondément ancrés
et répandus dans la population italienne, dont l’opinion leur est
à 85 % défavorable
. Les Roms continuent d’être
confrontés à la marginalisation, l’exclusion sociale, la pauvreté
et une extrême précarité. La discrimination dans l’accès à l’éducation,
aux soins de santé, au logement et à l’emploi demeure un obstacle structurel
qui les empêche de participer pleinement à la vie de la société.
D’après une enquête de 2014, 97 % des ménages roms vivaient sous
le seuil de pauvreté, 69 % des jeunes roms étaient exclus de l’emploi
et de l’éducation et 66 % se sentaient victimes de discrimination
lorsqu’ils cherchent un emploi
. On estime
en outre que l’espérance de vie moyenne des Roms est inférieure
de dix ans à celle de la population générale et la mortalité infantile
des enfants roms est au moins deux fois plus élevée que la moyenne
nationale
.
62. Depuis 2012, l’Italie a amorcé un revirement politique notable
en faveur de l’inclusion sociale des Roms
en
adoptant la Stratégie nationale pour l’intégration des Roms (2012-2020),
qui est axée sur quatre priorités: le travail, le logement, la santé
et l’éducation
. Il est regrettable
que cette stratégie n’ait pas encore suscité de progrès appréciables
vers la réalisation des objectifs qu’elle énonce, notamment à cause
des retards dans sa mise en œuvre et de l’absence d’objectifs quantifiables
et d’un financement spécifique.
63. Parmi les questions complexes et non résolues, figure celle
du statut juridique de quelque 15 000 Roms venus d’ex-Yougoslavie
et de leurs enfants nés en Italie. N’ayant aucun document d’identité,
ils sont confrontés à des problèmes d’accès à l’emploi, au logement,
à l’éducation ou aux soins de santé, et ne sont pas autorisés à
enregistrer la naissance de leurs enfants, qui deviennent donc de
fait apatrides
. Un projet de loi
visant à permettre aux enfants de migrants nés en Italie d’acquérir
la nationalité italienne sous certaines conditions reste bloqué
devant le Sénat
.
64. Une partie de l’opinion publique continue de se montrer hostile
à l’égard des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres
et intersexes (LGBTI). Celles-ci sont victimes de discrimination,
notamment dans l’accès à l’emploi, ainsi que d’actes de violence.
Le gouvernement italien a adopté une Stratégie nationale LGBT en
2013. Suite à un arrêt de 2015 où la Cour européenne des droits
de l’homme a jugé que l’Italie enfreignait la Convention car il
était impossible à des couples de même sexe de faire reconnaître
légalement leur relation
, les autorités
italiennes ont adopté, en mai 2016, un cadre législatif spécifique
autorisant la reconnaissance et la protection des couples homosexuels
dans le cadre d’une union civile
. Cette évolution doit être saluée.
Il convient également de noter que, malgré l'absence de législation
spécifique, la possibilité d'adopter l'enfant de son partenaire,
y compris les partenaires de même sexe (dite «stepchild adoption»),
a été reconnue à maintes reprises par les tribunaux et, très récemment
encore, par la Cour de cassation
.
4. État de droit
4.1. Indépendance du pouvoir judiciaire
et administration de la justice
65. L’Italie consacre 1,3 % de
ses dépenses publiques totales au système judiciaire
.
Si ce chiffre peut paraître faible, le budget du système judiciaire
par habitant est supérieur à la moyenne du Conseil de l’Europe. Entre
2012 et 2014, le budget du système judiciaire a diminué de 3,4 %,
principalement en raison des coupes budgétaires imposées aux tribunaux
à
la suite d’une réorganisation et d’une concentration structurelles
du système judiciaire italien. Il s’agissait de supprimer 31 tribunaux
de première instance et 667 juges de paix
en
vue d’améliorer l’efficacité
.
Ces mesures n’ont pas entraîné une réduction du nombre de juges
et de personnel mais leur concentration dans un nombre réduit de
grands tribunaux. Cette concentration s’est accompagnée d’une plus
grande spécialisation de la justice.
66. Le pouvoir judiciaire italien est régi par un cadre juridique
solide et bénéficie d’une protection constitutionnelle spéciale,
qui garantit son autonomie et son indépendance par rapport aux autres
branches de pouvoir
. À sa tête, le Conseil supérieur de
la magistrature, qui est un organe autonome, se compose essentiellement
de magistrats élus par leurs pairs
. Avec
ses antennes locales, il joue un rôle central dans la gestion de
la justice et protège celle-ci contre les influences extérieures
.
67. Le ministre de la Justice, qui est officiellement responsable
de l’organisation et du fonctionnement de la magistrature, ne joue
en pratique qu’un rôle limité dans les décisions relatives aux statuts
des procureurs et des juges, lesquels appartiennent tous deux au
même ordre professionnel que les magistrats
.
Bien que le ministre puisse lancer une action disciplinaire, seul
le Conseil supérieur de la magistrature peut prendre des décisions
relatives à l’affectation, la mutation, l’avancement et le salaire
des magistrats et leur infliger des mesures disciplinaires
.
Une fois nommés, sur concours, les magistrats sont inamovibles.
Ils perçoivent des salaires attrayants (particulièrement en fin
de carrière) ainsi qu’une retraite et des indemnités de départ à
la retraite qui sont de loin les plus élevées de tout le service
public italien
.
Toute ingérence ou pression provenant d’un organe externe et visant
des magistrats dans l’exercice de leurs fonctions est interdite.
68. En Italie, le salaire et l’avancement des magistrats dépendent
de leur ancienneté, laquelle inclut l’exercice de fonctions non
judiciaires au sein du service public, ce qui a grandement favorisé
le recrutement temporaire de magistrats à des fonctions extrajudiciaires
et politiques
.
Des magistrats se présentent fréquemment à des élections nationales,
locales et européennes ou occupent des postes à responsabilité au sein
du gouvernement national ou de collectivités territoriales. En l’absence
de mesures claires relatives au conflit d’intérêts avec des activités
extrajudiciaires, un certain nombre de magistrats exercent des fonctions temporaires
au sein des pouvoirs exécutif ou législatif et entretiennent des
relations avec des partis politiques ou leurs dirigeants, avant
de reprendre leurs fonctions au sein du pouvoir judiciaire à la
fin de leur carrière politique
.
Les lacunes juridiques permettent en outre par exemple à un magistrat
d’exercer des activités politiques à l’échelon local tout en continuant
d’exercer ses activités judiciaires, la seule limite étant l’inéligibilité territoriale
. Aussi cela affecte-t-il l’opinion
et, au bout du compte, la confiance du public à l’égard de l’indépendance
et de l’impartialité du pouvoir judiciaire. Le GRECO a donc recommandé
que le cumul de fonctions judiciaires et de fonctions exercées auprès
de collectivités locales soit strictement encadré par la loi et
que la question des activités politiques des magistrats soit réexaminée
par le législateur
.
Le Conseil supérieur de la magistrature a adopté des critères pour
empêcher les membres du pouvoir judiciaire qui se sont présentés
aux élections, même s'ils n'ont pas été élus, de retourner exercer
leurs fonctions dans le district où ils ont concouru, ce qui est
bienvenu, tout comme l’appel fait par le ministre de la justice
devant la Commission de la justice de la Chambre des députés, le
11 juillet 2018, pour «dépasser le mécanisme de la porte tournante
entre la politique et le pouvoir judiciaire, entre le parlement
et les salles de justice»
.
69. L’un des principaux problèmes structurels auquel l’Italie
continue d’être confrontée est celui de la lenteur de la justice
(qui se traduit souvent par un déni de justice), que viennent aggraver
le recours excessif à la détention provisoire et la durée de celle-ci.
Le système judiciaire italien est constamment critiqué, notamment par
le Commissaire aux droits de l’homme, pour la lenteur des procédures
juridictionnelles et l’inefficacité des tribunaux et du parquet
. Bien que la Constitution italienne garantisse
le principe de durée raisonnable du procès (article 111), la lourde
charge de travail des tribunaux, en première comme en deuxième instance,
s’est soldée par une lenteur excessive des procès et des retards
procéduraux. L’Italie compte parmi les États membres du Conseil
de l’Europe les plus souvent condamnés par la Cour européenne des
droits de l’homme en lien avec la lenteur de la justice. Depuis
2001, la législation nationale prévoit un recours juridique destiné
à faire valoir le droit à un procès dans un délai raisonnable en
demandant à l’État une juste réparation du préjudice subi (la «loi
Pinto»)
.
70. La délégation italienne a fourni des informations complémentaires
sur les efforts entrepris pour que les procès soient plus rapides
et plus efficaces, tels que le recrutement de plus de 5 000 fonctionnaires
sur trois ans et la numérisation des procédures civiles et pénales,
qui ont conduit à la réduction de la durée des procès en première
instance, comme l'a souligné la Commission européenne pour l'efficacité
de la justice (CEPEJ)
. Les
procédures d'appel restent problématiques, même si la Cour de cassation,
en dépit d'un arriéré important d'affaires civiles, a réussi à réduire
la durée des procédures pénales. En quelques années, le nombre d'appels en
instance contre l'Italie est tombé de plus de 17 000 en octobre
2014 à 4 665 au 31 décembre 2017. La mise en œuvre de grands plans
d'action impliquant des centaines de cas devrait également avoir
un impact positif supplémentaire sur la réduction de l'arriéré,
selon les autorités
.
71. Cela étant, et malgré une légère diminution du nombre d’affaires
ces dernières années, le pays éprouve des difficultés à réduire
son énorme arriéré judiciaire. En 2016, au total plus de 3,8 millions
d’affaires civiles et 1,5 million d’affaires pénales étaient en
souffrance devant les tribunaux italiens
. En 2015, la
durée moyenne d’un procès en première instance était de 427 jours
au civil et 389 au pénal. En appel, elle était de 819 jours et devant
la Cour de cassation de 1 427 jours
.
Dans 60 % des tribunaux italiens, une affaire sur cinq est en souffrance
depuis plus de trois ans, ce qui dépasse le «délai raisonnable»
prévu dans la loi «Pinto»
. Les autorités italiennes
ont souligné que le nombre de procédures «à risque, fondé sur la
loi Pinto» a diminué entre 2013 et 2018
.
72. L’une des graves conséquences de ces retards considérables
est qu’au cours de ces dix dernières années environ 1,5 million
d’affaires, y compris de corruption, ont été clôturées avant la
fin du procès pour cause de prescription. Ne serait-ce qu’en 2014,
l’action pénale a été prescrite dans plus de 132 000 affaires pénales
. De 2015 à
2017, le nombre de procédures pénales prescrites était respectivement
de 130 208, 136 888 et 125 624, et s'élevait à 63 177 au premier
semestre de 2018
.
Cela n’a fait qu’aggraver la méfiance du public à l’égard du pouvoir
judiciaire et de l’administration de la justice. En outre, la durée
excessive des procédures juridictionnelles et l’incertitude judiciaire
affectent le monde des affaires. Selon Mario Draghi, président de
la Banque centrale européenne, le coût pour l’Italie de la lenteur
de son système judiciaire est supérieur à 1 % de son PIB
.
73. Ce problème a de multiples causes sous-jacentes, notamment
le volume excessif des affaires portées devant les tribunaux, la
complexité des procédures, les problèmes de gestion et d’organisation
des tribunaux, les pratiques judiciaires et l’insuffisance des ressources
matérielles et humaines
. Le nombre
de juges par habitant en Italie est en particulier l’un des plus
faibles en Europe et l’on comptait en 2016 quasiment 1 100 postes
de magistrat vacants. Deux décennies d’inertie en termes de ressources
humaines ont entraîné un recours accru aux magistrats non professionnels
et une forte diminution du personnel administratif. Il est crucial
pour l’indépendance et l’efficacité de la justice que des ressources
financières et humaines suffisantes lui soient attribuées
.
La délégation italienne a expliqué que, ces dernières années, des
efforts ont été entrepris pour inclure le recrutement de nouveaux
magistrats dans les lois budgétaires annuelles
.
74. Ces dernières années, l’Italie a adopté diverses réformes
législatives – notamment une grande réforme de la procédure civile
en 2014 et, en juin 2017, une réforme du Code pénal et du Code de
procédure pénale – dont l’objectif était de rationaliser les procédures
civiles et pénales et d’en réduire la durée. Ces réformes ont permis
d’introduire une médiation obligatoire et un système de «filtre»
pour l’appel au civil, le recours accru à des procédures abrégées
et à des mécanismes alternatifs et extrajudiciaires de résolution
des différends. La réorganisation du système judiciaire italien,
qui prévoyait une spécialisation accrue, la nomination de conseillers
référendaires et le recrutement de plus de 3 000 agents administratifs
auprès des tribunaux, a permis des gains d’efficacité. Les récentes
réformes de la justice pénale visaient entre autres à prolonger
le délai de prescription
et
à modifier le système de recours devant les cours d’appel et la
Cour de cassation
. Concernant la lutte
contre la corruption, le GRECO a salué les efforts déployés par
les autorités pour résoudre le problème des délais de prescription
– considéré comme le talon d’Achille de la justice italienne – au
moyen de modifications essentielles apportées concernant les infractions
de corruption, notamment en augmentant les délais de prescription
et en prévoyant des motifs supplémentaires de suspension du délai
de prescription
.
75. Comme indiqué plus haut, la durée excessive de la détention
provisoire dans le contexte des retards des tribunaux est préoccupante.
L’Italie figure parmi les pays européens qui comptent le plus grand
nombre de personnes en détention provisoire
. Bien que
la détention provisoire ne puisse s’appliquer aux infractions pénales
passibles d’une peine inférieure à cinq ans, la loi autorise au
maximum deux à six ans de détention provisoire en fonction de la
gravité de l’infraction alléguée
. La Cour européenne
des droits de l’homme a rendu de nombreux arrêts contre l’Italie
en raison de la durée excessive de la détention provisoire et de l’insuffisance
de garanties du droit du défendeur à un procès équitable, mais aussi
pour cause de détention provisoire arbitraire
. Les autorités
italiennes ont adopté des amendements législatifs limitant les infractions pour
lesquelles une détention provisoire peut être requise et ont introduit
des mesures alternatives mais ces mesures n’ont pas encore conduit
à une réduction sensible du recours à la détention provisoire
. Les mesures alternatives sont en
particulier peu appliquées et la loi italienne n’exige pas de contrôle
régulier de la détention provisoire
. La nouvelle
de la diminution du recours à la détention préventive est à saluer
. Dans le même temps, des mesures
alternatives ont également été utilisées plus souvent par les juges;
en septembre 2018, le nombre de ces mesures avait augmenté de 4
000 par rapport à 2017
. Les autorités sont invitées à
continuer à se pencher sur ces questions.
4.2. Lutte contre la corruption, le blanchiment
de capitaux et la criminalité organisée
76. La corruption reste malheureusement
un phénomène omniprésent et profondément enraciné en Italie, qui
affecte l’ensemble de la société, administration publique et secteur
privé compris
. En 2015, 3 000 affaires
de corruption ont été signalées, 177 personnes ont été arrêtées
et 700 autres ont fait l’objet d’une enquête. La police a signalé
des irrégularités dans presque 30 % des marchés publics vérifiés
. Selon un sondage Eurobaromètre
de 2017, 89 % des Italiens estiment que la corruption est répandue
et 87 % pensent que les institutions publiques sont corrompues
.
L'Italie se classe 8e sur 27 pays européens
en termes d’«expérience directe ou indirecte d'épisodes de corruption
au cours des douze derniers mois»
. La corruption,
le népotisme et le favoritisme étaient également perçus, en 2017,
comme de sérieux obstacles à l’entrepreneuriat en Italie
.
En 2018, Transparency International a noté certains progrès, suite
à l'adoption récente de quatre lois pertinentes sur les lanceurs
d’alerte, la transparence, l'influence indue et le blanchiment d'argent,
et a classé l'Italie 54e (elle était
60e en 2017) sur 176 pays concernant
les niveaux de perception de la corruption publique
. Comme mentionné
dans l'Eurobaromètre 2018 sur la corruption, les partis politiques (66%)
et les élus locaux, régionaux et nationaux (60%) sont perçus par
le public comme étant les groupes les plus corrompus (contre respectivement
89 % et 77 % en 2013)
La
Cour des comptes a estimé que le coût de la corruption en Italie
s’établissait à environ 60 milliards d’euros par an, soit 4 % du
PIB
.
77. Ces dernières années, l’Italie a pris un certain nombre de
mesures de lutte contre la corruption et en 2013 elle a ratifié
les conventions du Conseil de l’Europe en matière de corruption.
L’adoption d’un ensemble de textes anticorruption en 2012, actualisés
en 2015, a marqué le passage d’une démarche répressive à une démarche
préventive. Une Autorité nationale anticorruption (ANAC) a notamment
été créée et un plan national anticorruption adopté
. En outre, d’importantes
réformes législatives ont été promulguées en matière de lutte contre
la corruption
. La Loi dite «des lanceurs d’alerte»
(loi no 179) adoptée en 2017 a introduit
des mesures de grande envergure pour protéger les employés publics
ou privés qui déclarent aux autorités compétentes des comportements
illégaux ou des abus dont ils ont été témoins dans le cadre de leur
relation de travail
.
78. En 2013, le GRECO a conclu que l’Italie avait mis en œuvre
ou traité de manière satisfaisante 17 des 22 recommandations que
contenait le rapport d’évaluation des premier et deuxième cycles
conjoints
.
En revanche, le pays n’a pas encore appliqué de façon satisfaisante
huit des 16 recommandations formulées dans le rapport d’évaluation
du troisième cycle. Le GRECO a relevé que les sanctions pénales
infligées à des fonctionnaires pour corruption sont adéquates et
en général efficacement appliquées dans la pratique. Les autorités
sont invitées à adopter la législation requise pour que le pays
retire – ou ne renouvelle pas – ses réserves à la Convention pénale
sur la corruption (STE no 173)
.
Pour ce qui est du financement des partis politiques, le GRECO a
relevé que des progrès non négligeables avaient été accomplis
, notamment en matière
de transparence des dons, mais il a souligné qu’il fallait en faire
davantage en matière de contrôle du financement des partis et des
campagnes électorales
.
En juin 2018, le GRECO a confirmé que le nouveau cadre juridique
– qui avait en 2017 aboli le financement public direct pour lui
substituer un système volontaire de financement privé – présentait
plusieurs aspects positifs, concluait que l'Italie avait partiellement
mis en œuvre sept autres recommandations et invitait les autorités
à faire des efforts supplémentaires pour renforcer la transparence
et le contrôle (notamment la publication des comptes de campagnes)
afin de mieux prévenir la corruption
.
79. Dans son rapport sur le quatrième cycle d’évaluation concernant
l’Italie, consacré à la prévention de la corruption des parlementaires,
juges et procureurs, le GRECO a salué les mesures décisives prises
pour combattre la corruption, et le rôle proactif de l’Autorité
anticorruption. S’agissant des parlementaires, il a recommandé de
renforcer le cadre d’intégrité et invité instamment le pays à remanier
le système actuel relatif aux conflits d’intérêts, notamment en
consolidant la cadre réglementaire et en créant des mécanismes de contrôle
et de reddition de comptes plus efficaces
.
Tout en saluant l’adoption récente d’un Code de conduite et de règles
relatives au lobbying à l’intention des députés, le GRECO a recommandé
à l’Italie d’affiner ces règles pour assurer la pleine conformité
avec les mesures qu’il a énoncées. Des mesures similaires sont encore
attendues du Sénat. Comme le GRECO l’a souligné à maintes reprises
dans ses rapports consacrés à l’Italie, «la lutte contre la corruption
relève d’une évolution des mentalités et non pas uniquement de dispositions
législatives ou réglementaires». Elle doit par conséquent faire
l’objet d’une approche à long terme et notamment d’une éducation
continue à tous les niveaux de la société, d’un engagement politique
durable et d’une tolérance zéro à l’égard des actes de corruption
.
Dans un récent rapport, le GRECO regrettait l’absence de progrès
concernant l’incrimination de la corruption active et passive des
arbitres et jurés étrangers, et «les lacunes législatives persistantes
en matière d’incrimination du trafic d’influence». Il déplorait également
l’absence de progrès tangibles du processus de ratification du Protocole
additionnel à la Convention pénale sur la corruption (STE no 191)
.
80. Un nouveau projet de loi (aussi appelé projet de loi «pour
en finir avec la corruption», soutenu par le Mouvement 5 Étoiles)
a été approuvé par le Conseil des ministres le 6 septembre 2018
et soumis au parlement. Le texte prévoit que toute personne qui
sera reconnue coupable de corruption et condamnée à plus de deux
ans d’emprisonnement n’aura plus jamais le droit d’exercer un mandat
public ni de participer à un appel d’offres public. Le texte permettrait
aussi, pour la première fois, à des agents infiltrés d’enquêter
dans des affaires de corruption et exigerait une transparence totale
des contributions de particuliers et de sociétés aux partis et fondations
politiques. Le renforcement des mesures et politiques anticorruption
est une évolution positive et devra être conforme à la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme dans ce domaine.
81. L’Italie n’est pas membre du Comité d’experts sur l’évaluation
des mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement
du terrorisme (MONEYVAL), mais elle adhère au Groupe d’action financière
(GAFI) depuis 1990. Dans le dernier rapport d’évaluation mutuelle,
adopté en février 2016, il est fait état du cadre légal et institutionnel
bien défini de l’Italie pour la lutte contre le blanchiment de capitaux
et le financement du terrorisme. Cela étant, le texte indique qu’il
faut apporter des améliorations dans un certain nombre de domaines,
notamment les enquêtes et poursuites engagées dans des affaires
où le blanchiment de capitaux est une infraction distincte et autonome,
et l’usage impropre des personnes morales
.
82. L’une des particularités de la situation en Italie tient au
fait que la corruption, le blanchiment de capitaux et la criminalité
organisée de type mafieuse sont entremêlés. La criminalité organisée
et les organisations criminelles existent en Italie depuis plus
de deux siècles. Elles sont fortement concentrées dans quatre régions du
sud de l’Italie, à savoir la Sicile, la Calabre, la Campanie et
les Pouilles, où elles ont infiltré la politique, l’économie et
la société. La mafia se livre avant tout au trafic de drogues –
qui demeure la principale activité transnationale et une grande
source de revenus – mais elle a élargi ses activités à l’assassinat,
au trafic d’armes, de déchets/déchets toxiques et d’êtres humains,
à la contrebande de cigarettes, à la contrefaçon, au racket et à
l’extorsion, à la falsification de marchés publics et à l’usure
.
Pour dissimuler leurs activités criminelles, les organisations criminelles
italiennes ont mis en place des réseaux étendus de blanchiment de capitaux
et de corruption de haut niveau. Selon le ministre de la Justice,
les recettes de la mafia se situent entre 18 et 34 milliards d’euros
par an, soit au moins 1,7 % du PIB
.
83. Les groupes de criminalité organisée exercent une grande emprise
sur la politique italienne, en particulier à l’échelon local, et
influent sur l’affectation des ressources publiques et le recouvrement
de l’impôt. Comme ils donnent de nombreuses consignes de vote dans
leurs zones d’influence, ils peuvent peser sur l’issue des scrutins
locaux. Aussi beaucoup d’agents des forces de l’ordre, de juges
et de procureurs auraient-ils collaboré avec des organisations mafieuses
.
84. Depuis le Maxi-Procès de 1986-1987, au cours duquel un certain
nombre de parrains de la mafia ont été condamnés à de longues peines
de prison
, et après une série
d’assassinats visant d’importantes personnalités du monde politique
et institutionnel
, l’opinion
publique a commencé à se révolter contre le phénomène mafieux. Les
autorités italiennes ont lancé une stratégie de lutte contre la
criminalité organisée et adopté de solides lois antimafia au début
des années 1990
.
En 2008, les autorités ont révisé la tâche de la commission parlementaire
antimafia et l’ont chargée d’enquêter sur «le phénomène mafieux»
et sur d’autres organisations criminelles
. La coordination des bureaux locaux
antimafia, qui ont des compétences spécifiques en matière d’infractions
graves liées à la criminalité organisée et au terrorisme, est assurée
par la Direction nationale antimafia. Récemment, la coopération
européenne et internationale dans la lutte contre les organisations
criminelles transnationales a été renforcée. La réforme la plus
récente du Code antimafia, entrée en vigueur en novembre 2017, a
permis d’élargir les modalités de confiscation des biens
.
5. Conclusions
et recommandations
85. Si l’Italie, membre fondateur
du Conseil de l’Europe, honore globalement les obligations lui incombant en
qualité de membre du Conseil de l’Europe, il reste toutefois des
motifs de préoccupation. Le paysage politique reste caractérisé
par un système de partis fragmenté et une instabilité politique.
Les deux chambres parlementaires peuvent déposer des motions de
défiance. Le référendum de décembre 2017, qui visait à réformer
le système politique et à le rendre plus efficace et stable, a échoué.
Une décennie de grave crise économique et la méfiance croissante
à l’égard des institutions politiques et judiciaires ont contribué
à renforcer la popularité, entre autres, d’un parti d’extrême droite
(la Ligue) et d’un parti anti-establishment (le Mouvement Cinq étoiles).
En juin 2018, ces partis politiques aux idéologies différentes ont
uni leurs forces pour former une coalition gouvernementale après
des négociations politiques et des tensions institutionnelles avec le
Président de la République.
86. En ce qui concerne le fonctionnement des institutions démocratiques
aux niveaux local et régional, le rapporteur demande la mise en
œuvre des recommandations formulées par le Congrès des pouvoirs
locaux et régionaux en 2017, notamment la révision du calcul des
coupes budgétaires, la levée des contraintes financières imposées
aux collectivités locales, et l’octroi d’une plus grande autonomie
budgétaire aux régions ayant un statut ordinaire afin de réduire
l’écart entre celles-ci et les régions ayant un statut autonome
spécial. Les autorités italiennes sont également invitées à signer
et ratifier le Protocole additionnel à la Charte européenne de l’autonomie
locale sur le droit de participer aux affaires des collectivités
locales.
87. En ce qui concerne la gestion des migrations, le rapporteur
réaffirme la position de l’Assemblée qui n’a cessé de répéter que
tous les États membres devaient faire preuve de solidarité afin
de faire face à l’arrivée massive de réfugiés et de migrants en
Europe, qui a touché l’Italie de manière disproportionnée. Dans
ce contexte, le rapporteur se félicite que les délais d’attente
pour accéder à la procédure d’asile aient été raccourcis en 2017.
Il convient de saluer les efforts accomplis pour mettre fin à ce
que l’on appelle «la politique de refoulement», entraînant le retour
forcé des migrants en situation irrégulière et des demandeurs d’asile déboutés,
ainsi que l’adoption d’un Plan d’intégration national lancé en 2017.
Les autorités italiennes sont encouragées à mettre en œuvre des
politiques d’intégration pour les migrants en transit, et à renforcer
leur action de lutte contre la traite des êtres humains aux fins
de l’exploitation par le travail, conformément aux recommandations
du GRETA. Le destin des enfants victimes de traite et les disparitions
d’enfants non accompagnés méritent toute notre attention.
88. Le rapporteur note également que le nouveau gouvernement a
promis de mettre en œuvre des politiques migratoires plus sévères.
Il est vivement préoccupé par la position adoptée par le nouveau gouvernement,
qui consiste à condamner les collectivités locales mettant en œuvre
des politiques d’intégration pour les migrants, à entraver le travail
des ONG venant au secours des migrants, et à interdire le débarquement
des migrants secourus en mer dans les ports italiens, ce qui met
des vies humaines en danger et enfreint les normes humanitaires
de base. Si la communauté internationale dans son ensemble est censée apporter
une réponse commune à l’afflux de migrants, le rapporteur invite
instamment les législateurs italiens à veiller à ce que la législation
sur les migrants et les réfugiés respecte les obligations internationales
et européennes de l’Italie et garantisse le respect des libertés
fondamentales.
89. Le rapporteur attend des autorités italiennes qu’elles continuent
à s’engager fermement en faveur de la protection et la promotion
des droits de l’homme. Il note que l’Italie dispose d’un cadre juridique
bien développé à cette fin. Un certain nombre de traités importants
sont toujours en attente de ratification. Tout en reconnaissant
la transposition, en 1999, des principes de la Charte européenne
des langues régionales ou minoritaires dans le système juridique,
le rapporteur continue d'encourager l'Italie à ratifier la Charte.
Les autorités italiennes sont également invitées à prendre les mesures
nécessaires pour ratifier le Protocole no 12 à
la Convention européenne des droits de l’homme et la Convention
européenne sur la nationalité. Le rapporteur se félicite de l'introduction
récente d'une proposition de loi en vue de la ratification des Protocoles nos 15
et 16 à la Convention européenne des droits de l’homme et invite
le parlement à les ratifier sans délai.
90. Il faut attribuer aux autorités italiennes le mérite d’avoir
ratifié, en 2013, le Protocole facultatif à la Convention des Nations
Unies contre la torture ou autres peines ou traitements cruels ou
dégradants (OPCAT) et créé un mécanisme national de prévention (Garante nazionale). Le rapporteur
se félicite des mesures prises par le parlement pour créer une Commission
nationale pour la promotion et la protection des droits de l'homme fondamentaux
qui devrait agir en tant qu'institution nationale indépendante des
droits de l'homme de l’Italie, conformément aux principes de Paris.
S’il faut se féliciter de l’introduction de la torture dans le code
pénal en tant qu’infraction distincte, la définition trop étroite
de la torture ne recouvre pas, toutefois, toutes les questions soulevées
par le CPT et la Cour européenne des droits de l’homme. La législation
pénale pour la prévention et la répression des actes de torture
et autres mauvais traitements demeure inadéquate. Cette situation
et la prescription créent, de fait, un climat d’impunité pour ces
crimes. Le rapporteur relève les progrès notables qui ont été accomplis
quant au nombre d’arrêts en attente d’exécution devant le Comité
des Ministres, et encourage les autorités italiennes à poursuivre
leurs efforts pour réduire le nombre de requêtes déposées auprès
de la Cour européenne des droits de l’homme.
91. Le rapporteur reste très préoccupé par l’augmentation des
attitudes racistes, de la xénophobie et de l’anti-tsiganisme dans
le discours public, notamment dans les médias et sur internet, et
le développement du discours de haine chez les responsables politiques,
comme l’ont souligné le Commissaire aux droits de l’homme, l’ECRI
et le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales. Il appelle les autorités à renforcer l’indépendance
du Bureau national de lutte contre la discrimination raciale, et à
combattre avec efficacité toutes manifestations de racisme, d’intolérance
et de xénophobie, en particulier grâce à la prévention, l’investigation
et la poursuite de toutes les infractions à caractère raciste.
92. Le rapporteur demande également aux autorités italiennes de
prêter attention à la situation des Roms, qui font l’objet de préjugés
et de stigmatisation. Cela vaut en particulier pour les quelque
15 000 Roms sans papiers originaires de l’ex-Yougoslavie qui ont
du mal à accéder au logement, à l’éducation et aux soins de santé;
ils ne peuvent pas déclarer leurs enfants qui se retrouvent donc,
de fait, apatrides. Cette situation devrait être couverte par une
législation adéquate.
93. Dans le domaine des médias, le rapporteur salue les efforts
déployés concernant la délivrance de licences de radiodiffusion
et la réforme du radiodiffuseur public en vue de renforcer son indépendance,
son efficacité et sa pérennité. Il constate cependant que, malgré
l’instauration de nouvelles réglementations, la concentration de
la propriété des médias demeure problématique en Italie. Malheureusement,
la diffamation est encore une infraction pénale sanctionnée par
des peines de prison. Cette situation a un effet dissuasif sur la
liberté des médias. Le rapporteur exhorte les autorités italiennes
à modifier la législation pénale afin de garantir le principe de
proportionnalité des sanctions, conformément aux recommandations
de la Commission de Venise.
94. S’agissant de l’État de droit, le pouvoir judiciaire italien
est régi par un cadre juridique solide et bénéficie d’une protection
constitutionnelle spéciale. Le rapporteur approuve les récentes
réformes de la justice pénale qui ont, entre autres, prolongé le
délai de prescription, y compris dans les affaires de corruption,
et modifié le système de recours devant les cours d’appel et la
Cour de cassation. Il invite les autorités italiennes à continuer à
traiter les problèmes du recours excessif à la détention provisoire,
de la faible application des mesures alternatives, des retards des
tribunaux et des arriérés judiciaires.
95. La corruption reste un phénomène omniprésent et profondément
enraciné. Le rapporteur reconnaît les efforts entrepris par les
autorités italiennes pour lutter contre la corruption. Il convient
de saluer la création d’une Autorité nationale anticorruption, l’adoption
d’un Plan national de lutte contre la corruption et l’adoption d’une
Loi sur les lanceurs d’alerte en 2017, ainsi que les progrès notables
accomplis en matière de financement des partis politiques au pouvoir.
Le nouveau système de financement des partis et campagnes électorales,
qui fera appel à des dons privés, nécessite toutefois une supervision
et une transparence appropriées afin de prévenir la corruption grâce
à des mécanismes de contrôle et de reddition de comptes efficaces.
À cet égard, le rapporteur se félicite que la Chambre des députés
ait adopté un Code de conduite et des règles relatives au lobbying,
qui doivent être mises à jour pour assurer leur pleine conformité
avec les recommandations du GRECO; il attend du Sénat qu’il prenne
des mesures similaires.
96. Le rapporteur accueille favorablement les mesures envisagées
par les autorités italiennes pour renforcer la lutte contre la corruption,
qui devront respecter la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l’homme. Il encourage également les autorités italiennes
à mettre en œuvre les autres recommandations du GRECO, à envisager
de retirer les réserves émises en 2013 au sujet de la Convention
pénale sur la corruption et à envisager de ratifier le Protocole
additionnel.
97. Enfin, le rapporteur s’inquiète du fait que la corruption,
le blanchiment de capitaux et la criminalité organisée de type mafieux
soient entremêlés, en particulier dans le sud de l’Italie, et de
la grande emprise exercée par les groupes de criminalité organisée
sur la politique italienne, en particulier à l’échelon local. Ces questions
doivent faire l’objet d’une attention permanente de la part des
autorités. En outre, la mise en œuvre de mesures claires relatives
aux conflits d’intérêts pour les magistrats exerçant des activités
extrajudiciaires, conformément aux recommandations du GRECO, pourrait
permettre de renforcer la confiance du public à l’égard du pouvoir
judiciaire.