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Rapport | Doc. 419 | 14 octobre 1955

Politique européenne commune lors des futures conférences Est-Ouest

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. François de MENTHON, France

1. INTRODUCTION

1. Le nouveau débat politique de l'Assemblée se situ e entre la première Conférence de Genève, au niveau des chefs de gouvernement, et la seconde, au niveau des ministres des Affaires Étrangères. Porte-parole de l'opinion publique européenne, l'Assemblée a ainsi l'occasion de commenter les résultats de la première rencontre d'un caractère préliminaire, et de se prononcer, en temps utile, sur les objectifs que les représentants occidentaux devront poursuivre au cours des négociations parlementaires se sont tenus ou se tiendront dans les parlements nationaux sur le même sujet; mais l'Assemblée a sa mission propre : traduire les préoccupations qui sont celles de l'Europe à la recherche de sa sécurité et de son unité. Les membres de notre Assemblée auront suffisamment conscience de leurs responsabilités pour ne point rendre plus difficile la tâche des négociateurs de l'Occident, mais au contraire pour orienter notre débat de manière à renforcer leur position.
2. La Grande-Bretagne et la France sont les seuls États membres du Conseil à participer aux conférences à quatre. Leurs représentants doivent se faire les porte-parole de l'ensemble des États membres du Conseil de l'Europe. Les prochaines négociations intéressent le Conseil de l'Europe non seulement quant à la politique internationale, mais également quant à l'unification européenne. Rien ne devrait être accepté qui rendrait impossible ou plus difficile la constitution d'une Europe unie et libre groupant l'ensemble des pays européens. Il est important d'autre part que les ministres des deux États membres connaissent également, afin de s'en faire les interprètes, les aspirations particulières des pays membres non représentés aux conférences à quatre. Le débat public à l'Assemblée concourt à ce but. Certes, les gouvernements des États membres qui sont également membres de FO.T.A.N. sont régulièrement informés par les trois puissances occidentales lors des réunions du Conseil de cette organisation. Cependant, des négociations d'une telle importance ne sauraient être préparées dans le seul secret des chancelleries; Et il n'est pas certain d'ailleurs que les réunions des Ministres de l'O. T. A. N. aient toujours suffi au but recherché.

2. Ire PARTIE - Considérations générales sur la conférence à quatre au niveau des chefs de gouvernement

3. La conférence à quatre au niveau des chefs de gouvernement, bien que ne marquant aucun progrès de fait dans aucune des questions examinées, a néanmoins permis de dégager ce qu'on a pris l'habitude, par la suite, d'appeler « l'esprit de Genève », c'est-à-dire un esprit de détente. Comment expliquer ce paradoxe?
4. Constatant que la tactique brutale poursuivie du temps de Staline ne faisait qu'aviver l'esprit de résistance des peuples occidentaux, le Gouvernement soviétique l'a abandonnée. Le risque en était devenu trop grand en face des effets dévastateurs des armes nucléaires. La Corée et l'Indochine avaient démontré avec une clarté aveuglante la possibilité de généralisation d'une guerre localisée en guerre totale. Il semble par ailleurs que l'U. R. S. S. doit mobiliser toutes ses énergies pour faire face aux tâches immenses qui se posent à l'intérieur du pays et qu'elle désire à cet effet se libérer des charges qu'une tactique de guerre froide lui imposait. Il apparaît également avec de plus en plus d'évidence que l'U. R. S. S. et ses satellites ont un besoin pressant d'échanges commerciaux développés avec les pays occidentaux. Le Gouvernement soviétique a, par conséquent, renoncé pour l'instant et dans les conditions actuelles, à employer les méthodes de la guerre froide.
5. L'humanité entière peut se réjouir de la nouvelle diplomatie soviétique dans la mesure où le danger d'une nouvelle guerre signifiant la fin de la civilisation en est diminué. L'Occident peut se féliciter d'avoir contribué à cette évolution par l'union que les pays démocratiques ont su réaliser entre eux, notamment clans l'alliance défensive de l'O. T. A. N., par les efforts de réarmement qu'ils se sont imposés, par leur refus de céder aux pressions soviétiques.
6. Cependant, la satisfaction ne serait vraiment justifiée que par la disparition des causes réelles de la tension entre l'Est et l'Ouest. Des rapports plus détendus entre les grandes puissances créent l'atmosphère propice au succès de telles négociations. Us favorisent la meilleure compréhension des points de vues respectifs, permettent aux dirigeants comme aux populations de se rapprocher les uns des autres et diminuent la méfiance. C'est à ce titre qu'on ne peut que saluer l'esprit de Genève. Toutefois, la première Conférence de Genève n'est point parvenue à des résultats concrets. Il est vrai qu'il ne s'agissait encore que d'une réunion préliminaire ayant pour objet de renouer le dialogue.
7. L'U. R. S. S. n'a pas changé ses positions fondamentales en ce qui concerne les questions qui ont divisé depuis si longtemps l'Est et l'Ouest : la réunification de l'Allemagne, la sécurité européenne, la constitution d'une Europe libre, l'activité subversive du communisme international, etc. On a même pu parler d'un raidissement soviétique dans ce sens qu'après la reconnaissance par les Occidentaux de l'interdépendance des problèmes de la réunification allemande et de la sécurité européenne, et ceci à l'origine sur les instances des Soviets eux-mêmes, ces derniers ont ensuite demandé que la solution du premier de ces problèmes soit renvoyée jusqu'à la mise en place d'un système de sécurité, ce qui revient à dire : jusqu'après la reconnaissance, pour une période indéterminée, du statu quo en Europe.
8. L'attitude soviétique à Genève démontre que, par la politique de détente dont l'initiative lui revient, le Gouvernement soviétique espère désarmer moralement l'Occident. En proclamant lui-même la détente, il veut forcer les puissances occidentales- à s'en tenir au statu quo territorial. Il veut les conduire à lever les restrictions imposées aux échanges commerciaux. Si les puissances occidentales se refusaient à l'un et l'autre, il serait facile de leur reprocher un esprit contraire à la détente et les Soviets comptent sur l'opinion publique dans les démocraties pour que ce reproche désarme les gouvernements. Enfin, il veut obtenir que grâce à la détente le parti communiste soit considéré dans chacun des pays libres de la même manière que les autres partis, ce qui donnerait à son action et à sa propagande des facilités toutes nouvelles.
9. Quelles conséquences l'U. R. S. S. semble-t-elle actuellement rechercher par sa politique dite de détente?
a. La garantie du statu quo en Europe qu'impliquerait la conclusion du traité de sécurité collective proposé à Genève et déjà à Berlin sous une forme presque identique. Ce traité consacrerait la division de l'Allemagne jusqu'à la deuxième phase prévue et maintiendrait pour toujours la situation de l'Europe orientale, les gouvernements y régnant actuellement étant des cosignataires;
b. La garantie supplémentaire de non-agression, en, attendant que le système de sécurité soit établi, selon le projet déposé par le maréchal Boulganine, le 21 juillet 1955;
c. La reprise des échanges commerciaux, dont le maréchal Boulganine a parlé à plusieurs reprises (voir son discours inaugural à Genève le 17 juillet 1955 —• AS/AG (7) 1);
d. L'amélioration de la situation intérieure tant en U. R. S. S. qu'en Chine et dans les pays satellites par le commerce extérieur et la réduction des charges militaires;
e. La réduction des troupes de la République Fédérale à 150.000 hommes ou 200.000 hommes (les Accords de Paris prévoient 12 divisions, soit 500.000 hommes), par le truchement des propositions soviétiques tendant à réduire les forces armées ;
f. La reprise des échanges commerciaux, dont le maréchal Boulganine a parlé à plusieurs reprises (voir son discours inaugural à Genève le 17 juillet 1955 —• AS/AG (7) 1);
g. L'amélioration de la situation intérieure tant en U. R. S. S. qu'en Chine et dans les pays satellites par le commerce extérieur et la réduction des charges militaires;
h. La réduction des troupes de la République Fédérale à 150.000 hommes ou 200.000 hommes (les Accords de Paris prévoient 12 divisions, soit 500.000 hommes), par le truchement des propositions soviétiques tendant à réduire les forces armées ;
i. L'amélioration de la situation des partis communistes dans les pays occidentaux et notamment la levée de la condamnation morale dont ils ont été frappés du temps de la guerre froide; la constitution de nouveaux fronts populaires en France et en Italie;
j. L'affaiblissement moral qui s'ensuivrait des forces de résistance existant encore dans les pays de l'Europe orientale;
k. La neutralisation progressive 
			(1) 
			Maréchal Boulganine devant lo Soviot Suprême, le 4 août 1955 : « On sait que, dans certains Etats d'Europe, du Proche et du Moyen-Orient, un mouvement se renforce toujours davantago en faveur d'une politique do neutralité. Ce désir est parfaitement compréhensible, car on sait, d'après lo passé, que les pays qui ont mené une politique de neutralité ont garanti à leurs peuples la sécurité et ont joué un rôle positif. Nous avons déclaré à Genèvo que si tels ou tels États, désireux do s'en tenir à la neutralité, posaient la question de la garantie de leur sécurité et de leur inlégrilé lerril.oriale, l'Union Soviétique serait prèle, avec les autres puissances, à participer à des garanties de cette nature. »des pays européens par le moyen des fronts populaires et en conséquence la dislocation de l'alliance atlantique ;
l. Enfin, le retrait des troupes américaines et britanniques d'un continent européen devenu politiquement instable.
10. Cette enumeration semble refléter assez fidèlement le maximum que l'U. R. S. S. espère atteindre dans la nouvelle phase de la politique internationale. Il est évident que quelques-unes de ces conséquences constitueraient également des avantages pour-l'Occident•—-par exemple la réduction des charges militaires. D'autres seraient désastreuses pour l'Occident. Cependant les pays occidentaux ne sont pas nécessairement, et d'avance, perdants dans celte nouvelle évolution des rapports entre l'Est et l'Ouest. En face de l'attitude intransigeante soviétique à Genève, les Occidentaux sont finalement restés à Genève sur leurs positions. En ces dernières semaines, la .position des Occidentaux a marqué un raffermissement dont nous ne pouvons que nous réjouir. Par ailleurs, il existe dans nos pays suffisamment de forces démocratiques pour résister non seulement à l'action subversive, mais aussi aux tentatives de créer des fronts populaires dont l'accession au gouvernement aurait comme première conséquence une politique de neutralité et d'abandon du Pacte Atlantique.
11.
12. La réponse occidentale à la nouvelle tactique soviétique doit être nette et claire : les pays occidentaux ont toujours rejeté formellement le recours à la guerre comme moyen de règlement des différends. Ils désirent mettre fin à la guerre froide, déclenchée d'ailleurs par les Soviets, par une paix véritable qui élimine les causes de conflit et de tension. Les Occidentaux ont apporté la preuve de cette volonté d'accord. Si l'U. R. S. S. veut profiter des avantages de la détente, elle doit, de son côté, y apporter une contribution. Il serait paradoxal d'admettre avec les Soviets que la sécurité soit déjà assurée, alors que l'armée rouge occupe encore la moitié de l'Europe et que l'U. R. S. S. ne cesse d'utiliser les partis communistes dans les pays démocratiques pour la réalisation des buts permanents du communisme international. 
			(2) 
			Président Eisenhower, le 24 août 1955, à Philadelphie : « L'esprit de Genève, s'il doit créer une atmosphère favorable à la recherche de la paix, s'il doit être sincère et non pas superficiel, devra inciter tout le monde à réparer les injustices, à respecter les Droits de l'Homme et à mettre fin 'à une subversion organisée à l'échelle mondiale. » M. Pinay, le 29 septembre 1955, devant l'Assemblée Générale des Nations Unies : « Il y aurait détente illusoire si la politique de la force se perpétuait, par d'autres méthodes, sous d'autres expressions et sur d'autres théâtres. Il n'y aurait pas de détente vraie s'il s'agissait d'un armistice conclu sur un front pour mieux porter attaque sur un autre front. Il n'y aurait aucune détente si la force prenait le masque de la subversion interne ou de l'excitation au nationalisme élémentaire. Il n'y aurait plus que. des tentatives de dissolution visant au déséquilibre, puis à l'hégémonie — c'est-à-dire à la négation même de la coexistence. » C'est ainsi que se posent les problèmes auxquels une solution d'ensemble doit être trouvée avant qu'on puisse parler d'une paix véritable : garantie de la sécurité européenne, désarmement, réunification de l'Allemagne. Ces problèmes sont interdépendants, la solution de chacun étant nécessaire pour résoudre l'autre. Ainsi, aucun, système de sécurité européenne ne serait valable sans une Allemagne unifiée. De même, la création d'un système de sécurité européenne est liée au progrès des négociations sur le désarmement mondial. Enfin, la constitution d'une Europe unie peut être considérée comme indispensable pour consolider la paix en rendant définitivement impossible des conflits armés ou même des tensions aiguës entre les peuples européens. Un chapitre particulier est consacré ci-dessous à chacun de ces problèmes.
13. L'Occident ne réussira à construire une paix véritable sur des bases satisfaisantes que s'il reste uni. Tant que l'U. R. S. S. pourra entretenir l'espoir de disloquer le front des puissances occidentales, elle ne sera pas disposée à consentir quelque concession que ce soit. L'unité d'action des pays démocratiques est plus difficile à maintenir en période de détente que de tension; cependant, elle est peut-être plus importante encore qu'au cours de la période antérieure de guerre froide. Cette unité d'action doit jouer notamment en ce qui concerne le meilleur moyen de pression que conserve sans doute l'Occident, celui de la normalisation des échanges commerciaux. Rien ne serait plus dangereux qu'une course à Moscou où chacun d'eux s'efforcerait d'obtenir pour soi-même de meilleures conditions que son voisin au détriment de ce dernier. La nouvelle phase des relations Est-Ouest comporte également le danger d'un optimisme prématuré 1, qui affaiblirait l'Occident. Jusqu'à ce que l'armistice temporaire ait été remplacé par une paix réelle, l'effort commun de sécurité doit être poursuivi. Cependant, la période de détente peut avoir des effets heureux également sur l'évolution intérieure soviétique. Le peuple russe, pour la première fois depuis de longues années, a lu in extenso les déclarations des hommes politiques occidentaux. Les dirigeants soviétiques ont été amenés à abandonner certains de leurs slogans concernant la volonté de guerre des hommes d'Etat des démocraties occidentales. Des visas d'entrée à des touristes et des journalistes ont été accordés, le déplacement d'un nombre plus grand de citoyens soviétiques à l'étranger autorisé. Ces contacts humains, comme l'échange d'idées avec le monde extérieur et l'établissement de relations culturelles entre l'Est et l'Ouest, sont susceptibles d'exercer une influence heureuse pour mieux faire comprendre au peuple russe les démocraties occidentales. Il a beaucoup été question dans les derniers mois des voyages de parlementaires des pays démocratiques en U. R. S. S. Ces parlementaires ne voient dans de tels déplacements qu'une possibilité précieuse de se documenter sur place. Par contre, les hôtes soviétiques essaient de donner à ces voyages le sens d'une reconnaissance du caractère démocratique des institutions soviétiques. Rien ne justifie une telle interprétation. En résumé, le nouvel esprit de Genève peut avoir des conséquences heureuses s'il est le signe précurseur d'une véritable co-exis-tence pacifique. Celle-ci exigera de longs et patients efforts, poursuivis en commun par les puissances occidentales, en vue de donner au monde une structure garantissant une paix réelle.

3. IIe PARTIE - La sécurité et le désarmement

14. Il convient de rappeler une fois de plus qu'il ne saurait être question de sécurité européenne aussi longtemps que les troupes soviétiques demeureront au coeur de l'Europe contre le gré de peuples privés malgré eux du droit de s'exprimer librement. La politique soviétique d'armement et de soviétisation forcée de l'Europe centrale et orientale a rendu nécessaires la création et le renforcement du Pacte Atlantique. On ne peut changer radicalement du jour au lendemain cette situation qui résulte de longues années de guerre froide. En fonction du progrès du désarmement mondial, il faudrait la remplacer, étape par étape, par un nouveau système de sécurité collective 
			(3) 
			M. Pinay, le 29 septembre 1955, à l'Assemblée Générale des Nations Unies : « E n ce qui concerne le système de sécurité lui-même, il est exclu de substituer des garanties de caractère purement juridique aux garanties réelles qu'apportent les organisations défensives actuellement existantes. ». Pour conserver au moins l'équilibre de force précaire actuellement atteint, toute modification de la position des puissances de l'O. T. A. N. exigerait une modification comparable des positions soviétiques. Il a souvent été objecté que la position des armées de terre n'avait plus aujourd'hui la même importance qu'hier. Cependant, tant que le désarmement ne sera pas réalisé, il faudra compter avec les deux catégories d'armements, tant conventionnelles qu'atomiques. L'agression de Corée a prouvé que des guerres pouvaient, pour des raisons stratégiques ou politiques, ne pas permettre l'emploi d'armes atomiques; dans ce cas, les armées de terre reprennent leur importance de jadis. La géographie européenne condamne tout parallélisme strict dans le repli des positions réciproques. Un retrait des troupes soviétiques de 250 km les porterait sur de nouvelles bases sensiblement aussi efficaces qu'aupara-Arant, alors qu'un retrait identique des troupes occidentales les adosserait à la mer, rendant toute défense impossible. Cette situation conduirait probablement les Etats-Unis à évacuer l'Europe. Les Soviets demandent aux peuples de l'Europe occidentale de se mettre à leur place pour mieux comprendre leur souci de sécurité; s'ils veulent bien, pour leur part, se mettre à notre place, ils comprendront que nous ne pouvons accepter semblable risque.
15. Les dirigeants soviétiques ont invoqué, tant à la Conférence de Genève qu'au cours des pourparlers germano-soviétiques de Moscou, l'impossibilité, dans la situation actuelle, pour chacune des deux parties, de renoncer à la garantie de sécurité offerte par l'emplacement de leurs armées. Ils en ont tiré la conclusion que les deux systèmes do sécurité devraient par conséquent, pour l'instant, demeurer en vigueur, chacun d'eux comprenant une partie de l'Allemagne. Il faudrait à leur avis établir d'abord un système de sécurité collective qui laisserait subsister, dans une première étape, les accords existants, les complétant seulement par un engagement de non-agression et de règlement pacifique des différends. Dans une seconde étape, ce système remplacerait l'O. T. A. N., l'U. E. O. et le Pacte de Varsovie. Les puissances occidentales ont opposé à cette proposition une conception qui tient compte aussi bien de la nécessité de la réunification allemande que du souci des grandes puissances de conserver, momentanément, leurs positions stratégiques. Elles ont réaffirmé que l'O. T. A. N. et l'U. E. O. ont des buts purement cléfensifs. Si l'Allemagne réunifiée, disposant d'une liberté de choix, décide de demeurer partie à ces accords, ce qui est probable, une telle décision n'impliquerait aucun élément d'insécurité pour l'U. R. S. S. Toutefois, des garanties supplémentaires pourraient lui être offertes quant au statut militaire de l'Allemagne unifiée. M. Edgar Faure a suggéré à cet effet : le maintien du plafond de l'armée allemande après la réunification au niveau actuellement fixé pour la République Fédérale, la conclusion entre les « Quatre Grands » d'un double engagement privant tout gouvernement coupable d'un recours à la force de la garantie du Pacte Atlantique et prenant acte de la déclaration de la République Fédérale de ne pas recourir à la force, enfin l'inclusion de l'Allemagne unifiée dans une organisation générale de sécurité qui se superposerait aux engagements défensifs existants. Sir Anthony Èden a proposé la conclusion, entre les « Quatre Grands » et l'Allemagne réunifiée, d'un pacte de garantie mutuelle contre toute agression (autrement dit, un nouveau Locarno), un système de limitation réciproque des armements et de contrôle à créer en Allemagne et dans les pays voisins, l'établissement d'une zone démilitarisée entre l'Est et l'Ouest. Depuis, les puissances occidentales ont groupé ces différentes suggestions en un seul projet qui sera proposé au Gouvernement soviétique lors de la prochaine réunion de Genève. Il prévoirait la création d'une « zone de tension réduite » des deux côtés de la ligne de démarcation Oder-Neisse. Cette zone ne serait pas entièrement démilitarisée, mais des deux côtés de la ligne les effectifs militaires seraient considérablement réduits et stationnés à des endroits fixés d'un commun accord. L'Allemagne unifiée resterait libre d'entrer clans l'O. T. A. N. si elle le désire. L'établissement d'une telle zone devrait évidemment être lié à la limitation progressive des armements sur le plan mondial, pour éviter qu'elle ne conduise à une neutralisation de fait de l'Europe, entourée des puissances mondiales qui continueraient à s'armer. La proposition actuelle de créer une « zone de tension réduite » semble de prime abord plus satisfaisante que celle, faite à Genève, de créer une zone entièrement démilitarisée. Il va sans dire que cette dernière était clans l'esprit de ses auteurs liée à la réunification de l'Allemagne. Mais même dans cette perspective elle présentait des risques stratégiques considérables. En toute hypothèse, une zone démilitarisée qui comprendrait même seulement une partie du territoire de la République Fédérale, risquerait de découvrir, outre l'Allemagne elle-même, le Danemark, peut-être le Benelux et de rendre impossible stratégique-ment toute défense de l'Europe occidentale contre une agression. Elle pourrait ainsi conduire à une neutralisation de fait de l'Europe occidentale. Inversement, la démilitarisation de l'actuelle zone d'occupation soviétique en Allemagne n'aurait pas de conséquence du même ordre pour les forces orientales, vu la profondeur de leur arrière-pays.
16. Dans la mesure où l'opposition à la réunification allemande proviendrait de la crainte d'une attaque-surprise, un contrôle et la réduction des forces dans la zone de tension réduite au niveau indispensable à la défense apporteraient un apaisement au Gouvernement soviétique, tout en évitant de courir des risques stratégiques trop graves. Il y a lieu de rappeler que les engagements pris par la République Fédérale d'Allemagne dans le cadre de l'U. E. 0. contiennent déjà la renonciation volontaire et contrôlée aux armes lourdes sans lequelles une agression est de toute façon inconcevable. Toute violation de ces engagements serait frappée de sanctions extrêmement sévères. Nous sommes en droit de demander maintenant au Gouvernement soviétique un geste d'apaisement correspondant par l'acceptation d'une demilitarisation partielle des territoires sous son contrôle militaire. La République Fédérale d'Allemagne a également pris l'engagement, dans les Accords de Paris (Résolution d'Association du Conseil de l'Atlantique Nord aux déclarations tri-partites), « de ne jamais avoir recours à la force pour obtenir la réunification de l'Allemagne ou la modification des frontières actuelles de la République Fédérale ». Les puissances occidentales se sont portées garantes de cet engagement. Le gouvernement d'une Allemagne unifiée serait probablement aussi disposé que celui de la République Fédérale à renouveler cet engagement à l'égard de l'U. R. S. S. et des pays de l'Europe orientale en le faisant notamment porter sur la renonciation à la force pour obtenir une modification de la ligne de démarcation Oder-Neisse. Un tel engagement n'impliquerait pas une reconnaissance de cette frontière. En dépit de l'affirmation contraire de l'U. R. S. S. répétée récemment encore dans la déclaration de T. A. S. S. publiée au lendemain de la visite du chancelier Adenauer à Moscou, l'Accord de Potsdam qui porto la signature des chefs de gouvernement des Trois a stipulé dans son chapitre V qu' « en attendant la fixation définitive des problèmes territoriaux par les traités de, paix », les modifications des frontières orientales de l'Allemagne seraient de caractère provisoire. Cette position a été réaffirmée par les pays membres de l'O. T. A. N. dans les Accords de Paris (Résolution de l'Association du Conseil de l'O. T. A. N. aux déclarations tripartites) d'après lesquels « la délimitation définitive des frontières de l'Allemagne devrait attendre la conclusion de ce traité » (de paix ). Les ministres occidentaux des Affaires Étrangères ont souligné cette position une fois de plus dans le communiqué publié à New-York le 28 septembre et dans la note occidentale au Gouvernement soviétique en date du 3 octobre. C'est au cours de la négociation du traité de paix que ce problème devrait trouver sa juste solution.
17. Un pacte de non-agression compléterait ce système. S'il ne modifie en rien l'obligation déjà contractée dans la Charte del'O.N.U. et que tout pays démocratique respecterait toujours, il peut néanmoins constituer un autre élément d'apaisement à l'égard de l'U. R. S. S.
18. La sécurité réciproque doit également comporter aujourd'hui une garantie contre toute ingérence, directe ou indirecte, dans les affaires intérieures des autres pays. L'U. R. S. S. a proclamé ce principe dans maintes déclarations. Une dissolution du Kominform s'ensuivrait logiquement, qui ne devrait pas être de pure forme, mais supprimer tout lien entre Moscou et lés divers partis communistes. Il est regrettable que cette demande n'ait pas été soulevée avec plus de vigueur par les chefs de gouvernement occidentaux à Genève, alors qu'elle avait déjà été présentée à la Conférence africano-asiatique de Bandoeng ainsi que par le Premier Nehru.
19. Bien que limité au continent européen, un règlement de la sécurité européenne devrait être lié à un plan de désarmement mondial. La sécurité de nos jours est indivisible. Les négociations sur l'établissement d'un système de sécurité européenne doivent se dérouler en étroite interdépendance avec celles sur le désarmement. En ce qui concerne le niveau réduit que devraient atteindre les forces des pays en cause, l'acceptation par l'U. R. S. S. des chiffres proposés dans le plan franco-britannique offre aux négociateurs une base de départ commune pour fixer les objectifs réciproques. Malgré la démobilisation, d'ailleurs incontrôlable, de 640.000 hommes de l'armée rouge, il reste toujours, d'après les estimations occidentales, 4 millions de soldats soviétiques sous les drapeaux. Les forces américaines comptent actuellement, d'après la déclaration de M. Stassen devant les Nations Unies, 2.900.000 hommes. Les chiffres communiqués à cette occasion font apparaître, une fois de plus, jusqu'à quel degré les États-Unis avaient démobilisé après la dernière guerre. Le réarmement ne leur a été imposé, comme aux pays de l'Europe occidentale, que par le maintien et le renforcement de l'armée rouge et des troupes des pays satellites. Par ailleurs, le Gouvernement soviétique pose sans cesse le problème de l'évacuation des bases sur sol étranger. L'abandon de la base soviétique de Porkkala sur ie territoire finlandais devrait marquer le début de l'évacuation des bases américaines en Europe. Cependant, il est évident qu'il n'y a aucun rapport entre une base militaire imposée à un pays étranger et des bases militaires édifiées par une alliance défensive et d'un commun accord entre des pays alliés. Dans le domaine du contrôle, l'évolution intéressante de Genève a été l'abandon des anciens projets d'inspection et de contrôle complets et permanents en faveur de nouvelles méthodes de protection contre des attaques surprises. Dans sa lettre au président Eisenhower en date du 22 septembre, le maréchal Boulganine a donné son accord de principe à la proposition d'Eisenhower relative à l'échange de prises de vues aériennes, pourvu que cette mesure soit réalisée dans le cadre d'un plan complet et progressif de désarmement. Dans sa réponse en date du 13 octobre, le président Eisenhower donne son accord de principe à la proposition faite par l'U. R. S. S. le 10 mai 1955 et renouvelée au cours de la Conférence de Genève d'installer des groupes de contrôle international dans des ports, des centres ferroviaires, sur les autostrades et les aérodromes de tout pays signataire de la convention do désarmement. Cependant, tant que ces groupes ne pourront aller au-devant de ces objets de contrôle, leur efficacité ne sera pas grande, comme l'a démontré l'expérience avec la commission d'armistice en Corée. La liberté complète de mouvement des groupes de contrôle conditionne leur action. Par ailleurs, il semble que l'U. R. S. S. veuille toujours lier l'autorité de contrôle au Conseil de Sécurité, ce qui lui conserverait le droit de veto. Or, ce droit rendrait illusoire tout contrôle. Les puissances occidentales devraient continuer à insister sur l'établissement d'un contrôle efficace qui seul crée la confiance nécessaire susceptible d'inciter les puissances à réduire leurs forces. Un tel système de contrôle devrait être incorporé dans le projet de traité de désarmement que la Commission des Nations Unies a été chargée de rédiger en 1952. Tout effort possible devrait être entrepris dès maintenant en vue de parvenir à la rédaction d'un tel projet d'ensemble comprenant des engagements précis quant aux armes conventionnelles et nucléaires, quant à la réduction des effectifs et quant au contrôle. Dans le but de créer, dans un champ d'ex2Dérience limitée, les bases d'une confiance réelle, la Grande-Bretagne a proposé d'envisager, dans les conditions politiques actuelles, une « zone contrôlée comprenant des régions situées de part et d'autre du rideau de fer ». Le commandement soviétique et celui de l'O. T. A. N. commenceraient par déclarer les forces, les armements et les installations dont ils disposent dans cette région. Les deux camps jouiraient d'une représentation égale au sein d'un organe de contrôle. Celui-ci désignerait des équipes mixtes d'inspecteurs qui auraient la plus grande liberté de mouvement et qui auraient droit d'accès à toutes les installations. Certes, une réalisation de ce genre permettrait de part et d'autre des expériences utiles, mais prendre une telle mesure en Allemagne en l'isolant du problème de la réunification ris-, querait de faire reculer la solution de celui-ci. La création d'une telle zone exceptionnelle sur le territoire allemand donnerait à ce territoire le caractère d'une zone partiellement démilitarisée. Ceci, comme nous l'avons dit plus haut, ne peut se concevoir, malgré certains risques, que comme une contre-partie pour l'U. R. S. S. de la réunification allemande. Un progrès réel vers la réduction des armements et le désarmement faciliterait la recherche simultanée d'une solution sur les problèmes divisant l'Est et l'Ouest en Europe. Inversement, une solution de ces problèmes encouragerait les puissances à accepter une réduction des armements. D'où la nécessité d'un progrès parallèle.
20. Les problèmes de la sécurité européenne qui intéressent tous les pays européens ne sauraient être réglés, bien entendu, en dehors d'eux. Un accord à quatre suppose des consultations préalables des autres pays intéressés. Lorsque cet accord à quatre sera intervenu, dans ces conditions, sur des principes généraux, il appartiendra à une conférence plénière à laquelle participeraient tous les pays intéressés d'en préciser les détails d'application.

4. IIIe PARTIE - L'unité allemande

21. C'est sur la nécessité d'arriver sans tarder à l'établissement pacifique de l'unité allemande que l'Assemblée devrait insister le plus vigoureusement. Le maréchal Boulganine a déclaré à Genève que le moment de la réunification n'était pas encore venu, opinion qui n'est justifiée par aucun argument valable, ni politique, ni économique, ni social et surtout pas moral. Rien ne permet en efîct de priver le peuple allemand, séparé arbitrairement depuis dix ans, du droit de rétablir son unité par des moyens pacifiques, ainsi qu'il le souhaite. Les événements du 17 juin 1953 à Berlin-Est ont prouvé que le désir de réunification est aussi fort à l'Est de l'Elbe qu'à l'Ouest, avec la seule différence que, pour les habitants de la zone orientale, unité signifie en môme temps liberté. Aussi longtemps que l'Allemagne ne sera pas réunifiée, l'Europe ne connaîtra pas de sécurité, malgré tous les traités signés. Pleinement consciente de ce danger, l'Assemblée devrait souligner avec force le caractère insuffisant et dangereux de tout accord avec l'U. R. S. S. qui ne prévoirait pas expressément l'unification de l'Allemagne. Un lien devrait être établi entre la conclusion d'un système de sécurité européenne et la réunification allemande en établissant des étapes successives et parallèles entre les deux réalisations. Une telle procédure n'implique aucunement la reconnaissance au problème allemand d'un caractère de préalable. Mais les problèmes sont si étroitement liés l'un à l'autre qu'ils ne peuvent être réglés l'un sans l'autre. C'est ce que reconnurent les trois ministres occidentaux des Affaires Etrangères lorsqu'ils déclarèrent dans le communiqué publié à l'issue de la Conférence de New-York le 28 septembre : « Ils ont décidé en particulier de donner la priorité à la réunification de l'Allemagne dans le cadre d'un plan de sécurité européenne. »
22. La tactique que compte poursuivre le Gouvernement soviétique dans ce domaine s'est éclaircie au cours de la visite du chancelier Adenauer à Moscou. Déjà, depuis la Conférence de Berlin en février 1954, les dirigeants soviétiques affirmaient qu'il fallait tenir compte, dans tout règlement des problèmes européens, de la réalité de l'existence de deux États allemands. Mais le chancelier Adenauer déclarait encore récemment que tout au plus 10 % des habitants de la zone orientale soutiennent le Gouvernement communiste. D'autre part, ce Gouvernement n'existe que par l'appui soviétique. Le Gouvernement soviétique, pour lui donner l'apparence d'une souveraineté réelle,, vient de signer, à Moscou, le 20 septembre, avec ostentation, au lendemain de la visite du chancelier Adenauer, un traité avec la délégation du Gouvernement de Pankow dont l'article 1er stipule que « la République Démocratique Allemande est libre de ses décisions touchant aux questions intérieures et extérieures, y compris les relations avec la République Fédérale d'Allemagne de même que le développement de ses relations avec les autres Etats ». En s'appuyant sur cette disposition, les dirigeants soviétiques soutiendront avec plus de vigueur que jusqu'alors que la réunification est devenue une question à résoudre en premier lieu entre les deux Gouvernements allemands. Toutefois, le Gouvernement soviétique a tenu à conserver le principe d'une responsabilité des quatre puissances dans les affaires concernant l'ensemble de l'Allemagne en chargeant son ambassadeur à Pankow « des fonctions de maintenir les relations nécessaires avec les représentants des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France concernant les questions touchant l'Allemagne dans son ensemble et qui découlent des décisions des quatre puissances ». De même que dans les Accords de Paris, qui comportent une clause prévoyant une révision en cas de réunification (annexe I au protocole sur la cessation du régime d'occupation dans la République Fédérale d'Allemagne), une disposition a été introduite dans le Traité de Moscou (article 6) stipulant que celui-ci n'a qu'un caractère provisoire jusqu'à la restauration de l'unité allemande. Il semble, par ailleurs, que l'U. R. S. S. ait maintenant prévu de donner un caractère officiel au réarmement de la zone orientale, mesure qui, bien qu'existant en fait depuis longtemps, avait été réservée lors de la signature du Traité de Varsovie. Les sollicitations soviétiques pour faire reconnaître le Gouvernement de Pankow par le plus grand nombre de pays appartenant au monde non communiste, redoubleront sans doute à la suite de ce traité. Leur objectif final est qu'en fin de compte, tant les puissances occidentales que la République Fédérale céderont à cette pression et consacreront ainsi l'égalité de droit du régime de Pankow avec celui de Bonn. Les Soviets n'hésiteront peut-être même pas à faire exercer à cet effet par les autorités de l'Allemagne orientale une nouvelle pression sur les troupes occidentales stationnées à Berlin 
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			Dans un échange de lettres entre le Gouvernement de Moscou et celui de Pankow, la responsabilité pour le trafic enlrc la République Fédérale et Berlin a été conférée aux autorités de l'Allemagne orientale, à l'exception du contrôle de la circulation des troupes occidentales stationnées à Berlin entre celte ville et la République Fédérale qui, lui, reslc entre les mains du commandement soviétique. Cette nouvelle situation a amené les ministres occidentaux des Affaires Étrangères à préciser dans leur communiqué du 28 septembre que les accords conclus à Moscou <t ne peuvent affecter les obligations ou les responsabilités de l'Union Soviétique découlanL des accords et arrangements entre les trois puissances et l'Union Soviétique au sujet de l'Allemagne dans son ensemble et de Berlin. D'Union Soviétique rcsle responsable de l'exécution do ses obligations ». Ce point de vue a été porté à la connaissance du Gouvernement soviétique dans la note occidentale en date du 3 octobre.. Une fois que le Gouvernement de l'Allemagne orientale serait mis à égalité avec celui de la République Fédérale, il y aurait, pensent les SoA'iets, de fortes chances pour que, lors de la réunification, le régime communiste soit étendu à l'ensemble de l'Allemagne ainsi que le' proclament déjà aujourd'hui les chefs de l'Allemagne de l'Est.
23. L'établissement des relations diplomatiques entre l'U. R. S. S. et la République Fédérale l'ait partie de ce processus. Pour y arriver les Soviets n'ont pas hésité à l'aire du chantage avec les prisonniers allemands encore retenus en U. R. S. S. Il convient de rappeler à cet égard que les anciens prisonniers allemands ont été rendus par les pays occidentaux pour la plupart depuis au moins six ans. Toujours est-il que le Gouvernement soviétique a veillé à partager l'honneur d'avoir obtenu la libération de ces personnes entre lo chancelier Adenauer et son antagoniste, M. Grotewohl. Devant la liaison établie par eux entre la libération do 10.000 anciens prisonniers et d'un nombre inconnu d'internés civils et l'établissement de relations diplomatiques, le chancelier Adenauer a dû accepter l'échange d'ambassadeurs sans avoir pu engager, en préparation aux négociations qui restent du domaine des quatre grandes puissances, une discussion sérieuse sur la réunification de l'Allemagne. Quel chef de gouvernement d'un pays démocratique aurait pu agir différemment? Cette décision du Gouvernement fédéral peut avoir d'heureux effets en habilitant ses représentants à aider leurs collègues occidentaux dans la tâche délicate de dissiper par des contacts directs la méfiance toujours nourrie par l'U. R. S. S. à l'égard de la politique allemande. Aucun doute n'est permis sur l'orientation de la politique allemande qui reste basée sur l'appartenance de la République Fédérale à la communauté des pays occidentaux. Tous les pays occidentaux doivent se rendre compte que le jeu du Gouvernement soviétique est d'éveiller la méfiance à l'égard de l'Allemagne et de troubler ainsi les rapports actuellement existants à l'intérieur de la communauté occidentale. Il convient de rappeler la phrase contenue dans le rapport introductif du mois de juillet, d'après laquelle « les représentants des autres pays membres du Conseil savent que le désir allemand de reunification n'implique aucune volonté « d'abandonner ses amis », mais reflète une attitude qui serait également celle des autres représentants si leur pays était divisé de la même façon ». Le Parlement fédéral a, depuis, approuvé l'établissement de relations diplomatiques avec l'U. R. S. S. sous les deux réserves expresses déjà formulées par le chancelier Adenauer dans une lettre au maréchal Boulganine en date du 14 septembre 
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			Il y est dit que cette mesure, d'une part, « ne constitue pas une reconnaissance de la situation territoriale actuelle et que la fixation définitive des frontières de l'Allemagne doit être réservée au traité de paix » et, de l'autre, elle « ne change rien à la situation de droit dans laquelle se trouve la République Fédérale pour représenter le peuple allemand dans les relations internationales et défendre les territoires allemands qui se trouvent actuellement soustraits à la souveraineté allemande ». Le Gouvernement soviétique a contesté le bien-fondé de ces réserves en arguant dans un communiqué de l'agence T. A. S. S. en date du 16 septembre que «la question des frontières de l'Allemagne avait été résolue dans l'Accord de Potsdam et que la République Fédérale d'Allemagne exercerait sa juridiction sur le territoire qui se trouve placé sous sa souveraineté. Les deux réserves allemandes correspondent aux dispositions contenues dans les Accords de Paris (résolution d'association du Conseil de l'O. T. A. N. aux déclarations tripartites) stipulant notamment que les pays membres de l'O. T. A. N. « considèrent le Gouvernement de la République Fédérale comme le seul gouvernement allemand librement et légitimement constitué et habilité de ce fait à parler au nom de l'Allemagne en tant que représentant le peuple allemand dans les affaires internationales », ainsi que « la délimitation définitive des frontières de l'Allemagne devrait attendre la conclusion de ce traité » (de rjaix). Aussi ces réserves permettent-elles aux pays occidentaux membres de l'O. T. A. N. et, on peut l'espérer par esprit de solidarité également à ceux membres du Conseil, de rejeter la demande soviétique de reconnaître le Gouvernement de Pankow. Une demande dans ce sens sera probablement déposée lors de la prochaine conférence de Genève. Les ministres occidentaux des Affaires Etrangères lui ont déjà par avance répondu en déclarant dans le communiqué de New-York en date du 28 septembre, après avoir réitéré la disposition des Accords de Paris, qu'ils « ne reconnaissent ni le régime instauré en Allemagne orientale ni l'existence d'un Etat dans la zone soviétique». La récente note occidentale au Gouvernement soviétique en date du 3 octobre confirme cette position.Le môme argument s'applique à la demande soviétique, déjà formulée clans le communiqué sur la conférence entre les dirigeants soviétiques et ceux de l'Allemagne orientale, selon laquelle des représentants des deux Allemagnes doA'raient participer aux conférences à quatre. La participation effec-tiA'e de la République Fédérale aux négociations quadripartites ne peut pas aAroir pour contrepartie la reconnaissance d'un égalité de droits aArec le Goirvernoment de l'Allemagne orientale.
24. Lo prochaine Conférence de GenèA'o A'erra certainement la discussion reprendre en ce qui concerne le processus par lequel pourrait se réaliser l'unification de l'Allemagne. Le projet occidental ne s'éloignerait sans cloute pas du Plan Eden proposé à la Conférence de Berlin de 1954 (élections libres sous le contrôle international clans l'ensemble du pays, formation ensuite d'un gouvernement central qui négocierait la conclusion d'un traité de paix final). Le président Boulganine a exprimé à Moscou, le 10 septembre, l'espoir que les représentants des deux Allemagnes pai'A'iendraient à un langage commun sur la réunification. Les Soviets en sont restés à leur position antérieure demandant d'abord la formation d'un gouvernement central par juxtaposition des deux Gouvernements existants. Il est évident qu'étant donné l'absence complète de caractère démocratique du Gouvernement de Pankow, la thèse soviétique ne pourrait pas davantage être admise aujourd'hui qu'en 1954.

5. IVe PARTIE - L'unité européenne

25. La réalisation de l'unité européenne est une exigence première et un désir profond des peuples groupés au sein du Conseil. Cette oeuvre est une contribution fondamentale à la sécurité européenne et la paix internationale. La création d'une Europe unie groupant l'ensemble des peuples européens constitue, ainsi que l'Assemblée l'a exprimé dans sa Résolution 44, la meilleure garantie de sécurité tant pour ses peuples que pour tout peuple voisin. Leur expérience récente, ainsi que leur position géographique, imposeraient toujours aux Européens une stricte politique de paix. A ce point de vue, il n'existe pas pour l'U. R. S. S., si elle veut vraiment la consolidation de la paix, une meilleure garantie que la constitution d'une Europe unie.
26. Nous avons le devoir de rappeler que l'Occident ne peut accepter comme définitif aucun règlement qui consacrerait la suppression de l'indépendance nationale et de la liberté politique pour un grand nombre de peuples de l'Europe centrale et orientale. La division du continent est l'une des causes les plus graves de l'insécurité et de la tension. L'acceptation de l'état de fait actuel signifierait un abandon des principes démocratiques par les pays mêmes qui professent de les défendre. Une telle attitude aurait un effet néfaste sur les populations de l'Europe centrale ou orientale où, à la suite de la carence de la Conférence de Genève, des éléments démocratiques risquent déjà de se décourager et de se sentir abandonnés par l'Ouest. Le recours de l'Occident à la force pour modifier la situation actuelle dans ces pays n'a aucun partisan sérieux dans l'opinion publique occidentale. C'est par la voie de négociations pacifiques que la liberté de tout pays de décider de son régime politique et de sa structure sociale devrait être rétablie.
27. L'établissement d'un système de sécurité réelle, la réunification de l'Allemagne, l'édification d'une Europe unie et libre, tels sont les objectifs que l'Assemblée pourrait rappeler aux négociateurs de Genève. L'esprit créé au cours de la première conférence a amélioré, par l'établissement d'un contact direct et humain, les perspectives de s'en rapprocher. Toutefois, l'euphorie résultant du climat de détente et ses effets psychologiques sur les peuples démocratiques risquent d'affaiblir graduellement la position des négociateurs, de les diviser et de les amener à consentir des concessions de plus en plus importantes qui finalement compromettraient la paix et l'indépendance des peuples européens. Au contraire, si l'esprit de Genève s'accompagne d'un renouvellement de la solidarité européenne et atlantique dans une fermeté commune, il conduira à l'établissement d'une paix véritable.