1. Introduction
1. Le 17 avril 2008, l’Assemblée
a adopté la
Résolution
1609 (2008) sur le fonctionnement des institutions démocratiques
en Arménie. Cette résolution a été adoptée après un débat tenu selon
la procédure d’urgence à la suite de la crise politique qui avait
éclaté dans le pays au lendemain de l’élection présidentielle du
19 février 2008.
2. Dans la
Résolution
1609, l’Assemblée avait énoncé quatre conditions concrètes
à remplir pour mettre fin à la crise:
2.1. abroger, conformément aux recommandations de la Commission
de Venise du Conseil de l’Europe, les amendements apportés, le 17
mars 2008, à la loi relative à la tenue de réunions, assemblées,
rassemblements et manifestations;
2.2. engager immédiatement une enquête indépendante, transparente
et crédible sur les événements du 1er mars 2008 et les circonstances
qui les ont déclenchés;
2.3. libérer toutes les personnes détenues sur la base d’accusations
apparemment artificielles et politiquement motivées qui, à titre
personnel, n’ont commis ni acte de violence ni infraction graves;
2.4. engager un dialogue ouvert et sérieux entre toutes les
forces politiques en Arménie, sur les réformes du système politique,
du processus électoral, de la liberté et du pluralisme des médias,
de la liberté de réunion, de l’indépendance du judiciaire et du
comportement de la police que l’Assemblée avait demandées au paragraphe
8 de sa résolution.
3. L’Assemblée avait estimé que la crédibilité de l’Arménie en
tant que membre du Conseil de l’Europe serait mise en cause tant
que ces conditions ne seraient pas remplies, ce qui l’avait amenée
à envisager la possibilité de suspendre le droit de vote de la délégation
arménienne auprès de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
à l’ouverture de la partie de session de juin, si des progrès considérables
n’étaient pas accomplis d’ici là sur les exigences de l’Assemblée.
4. A la suite de l’adoption de la
Résolution 1609, les autorités ont pris un certain nombre d’initiatives indiquant
clairement qu’elles prenaient au sérieux les exigences de l’Assemblée.
De plus, un certain nombre de hauts représentants des autorités,
y compris le Président de la République et le président de l’Assemblée nationale,
ont exprimé publiquement leur volonté politique et leur intention
de satisfaire aux exigences de l’Assemblée.
5. De son côté, l’opposition arménienne a, d’une manière générale,
salué l’adoption de la
Résolution
1609 dans laquelle elle voit une feuille de route claire
et concrète en vue de la résolution de la crise politique qui avait
éclaté à la suite de l’élection présidentielle. M. Levon Ter-Petrossian,
le principal acteur de l’opposition, a indiqué qu’il était disposé
à engager avec les autorités un dialogue sur les exigences formulées
par l’Assemblée à la condition, toutefois, que toutes les personnes
détenues en liaison avec les événements du 1er mars soient libérées
auparavant.
6. Par décret du Président de l’Arménie, un groupe de travail,
composé du chef de cabinet du Président, du vice-ministre des Affaires
étrangères, du vice-ministre de la Justice, du procureur général
adjoint et des membres de la délégation arménienne auprès de l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe, a été mis en place en vue
de coordonner la mise en œuvre de la
Résolution 1609 de l’Assemblée. Une controverse s’est fait jour à propos
des conditions dans lesquelles M. Raffi Hovannisian, président du
Parti du patrimoine et unique membre de l’opposition au sein de
la délégation arménienne auprès de l’Assemblée parlementaire – qui
avait indiqué qu’il ne serait pas entièrement disponible en raison
d’autres engagements –, pourrait être remplacé au sein du groupe
de travail. Malheureusement, cette indisponibilité a eu pour effet
que la participation de l’opposition aux délibérations dudit groupe
de travail a été minimale.
7. Les différentes initiatives prises par les autorités n’ont
malheureusement débouché que sur très peu de résultats tangibles
au cours des premiers quarante-cinq jours qui ont suivi l’adoption
de la
Résolution 1609. La commission de suivi, réunie à Kiev le 27 mai, a
exprimé son inquiétude, se demandant si l’Arménie parviendrait à
satisfaire aux exigences de l’Assemblée avant l’écoulement du délai.
Elle a chargé son président de demander, en son nom, la tenue d’un
débat selon la procédure d’urgence au cours de la partie de session
de juin 2008 de l’Assemblée si, après la visite qu’ils devaient
effectuer en Arménie, les corapporteurs concluaient que les progrès
effectués jusque-là restaient insuffisants.
8. Nous nous sommes rendus en Arménie les 16 et 17 juin 2008.
Au cours de notre visite, nous avons rencontré, entre autres, le
Président de l’Arménie et d’autres hauts responsables gouvernementaux;
le président de l’Assemblée nationale et les présidents des commissions
parlementaires participant à la mise en œuvre de la
Résolution 1609; le groupe de travail présidentiel pour la coordination
de la mise en œuvre de la
Résolution
1609; des représentants des partis au pouvoir et des partis
d’opposition siégeant au parlement; des représentants de l’opposition
extraparlementaire; des chefs de l’opposition en détention et leurs
avocats; ainsi que des représentants de la société civile et de
la communauté des diplomates basés à Erevan. Nous tenons à remercier
l’Assemblée nationale de l’Arménie ainsi que le bureau du représentant
spécial du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe pour l’excellent
programme qu’ils ont mis sur pied ainsi que pour le soutien logistique
qu’ils nous ont apporté au cours de notre visite. Par ailleurs,
nous tenons à exprimer notre reconnaissance à toutes les personnes
et à toutes les entités – gouvernementales et non gouvernementales – pour
la diligence avec laquelle elles nous ont fourni toutes les informations
utiles à nos enquêtes.
2. Mise en œuvre des conditions
de l’Assemblée
9. Dans les sections suivantes,
nous donnerons notre évaluation de l’état d’avancement de la mise
en œuvre des quatre conditions énoncées par l’Assemblée. Cette évaluation
se fonde sur nos conclusions ainsi que sur des informations recueillies
avant, pendant et après notre visite.
2.1. Abroger, conformément aux
recommandations de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe,
les amendements apportés, le 17 mars 2008, à la loi relative à la
tenue de réunions, assemblées, rassemblements et manifestations
10. Le 15 avril 2008, les autorités
se sont accordées avec des experts de la Commission de Venise du Conseil
de l’Europe et de l’OSCE/BIDDH sur les modifications à apporter
à la loi relative à la tenue de réunions, assemblées, rassemblements
et manifestations, en vue de la mettre en conformité avec les normes
du Conseil de l’Europe.
11. Le 25 avril 2008, le président de l’Assemblée nationale a,
conformément à l’accord conclu, transmis le «projet de loi amendant
et remplaçant la loi relative à la tenue de réunions, assemblées,
rassemblements et manifestations»
à
la Commission de Venise pour avis. Le 16 mai 2008, la Commission
de Venise a émis sur ce texte un projet d’avis généralement favorable
.
Le 20 mai 2008, l’Assemblée nationale de l’Arménie a adopté en première
lecture le projet de loi auquel de nouveaux amendements ont été
apportés par la suite en vue de répondre aux préoccupations et aux
observations de la Commission de Venise. Le 9 juin 2008, le président
de l’Assemblée nationale a transmis ces amendements à la Commission
de Venise pour avis
.
La Commission de Venise a émis un projet d’avis complémentaire
sur
ces amendements le même jour. Le projet de loi a ensuite été adopté
en deuxième lecture le 11 juin 2008. La loi a été promulguée par
le Président de l’Arménie le 16 juin et est entrée en vigueur le
lendemain.
12. De l’avis de la Commission de Venise, les amendements adoptés
le 11 juin ont mis la loi relative à la tenue de réunions, assemblées,
rassemblements et manifestations en conformité avec les normes du
Conseil de l’Europe et constituent, à certains égards, une amélioration
par rapport à la loi originale.
13. En conséquence, les autorités ont satisfait à la condition
d’abroger, conformément aux recommandations de la Commission de
Venise, les amendements du 17 mars à la loi relative à la tenue
de réunions, assemblées, rassemblements et manifestations. Toutefois,
au point 8.4 de la
Résolution
1609, l’Assemblée demandait que la liberté de réunion soit
garantie tant dans la loi que dans la pratique. L’application de
la loi et la volonté des autorités d’autoriser les rassemblements
de l’opposition sans imposer de restrictions injustifiées revêtent
donc une importance cruciale en vue d’évaluer la satisfaction par
l’Arménie de cette condition de l’Assemblée.
14. Des représentants du Mouvement populaire d’Arménie de M. Ter-Petrossian
nous ont informés que, entre le 21 mars et le 14 juin 2008, 42 demandes
d’autorisation d’organisation de rassemblements présentées par ses
partisans avaient été refusées par les autorités. Les autorités
ont rejeté la demande d’autorisation pour l’organisation, le 20
juin 2008, d’une manifestation de protestation sur la place de la
Liberté, déposée par M. Ter-Petrossian – à l’évidence, l’organisation
de cette manifestation devait coïncider avec le début de la partie
de session de juin de l’Assemblée et l’éventuel débat sur la mise
en œuvre par l’Arménie de la
Résolution 1609
(2008). Les autorités ont proposé, en guise d’alternative,
de tenir cette manifestation sur le parking d’un stade situé à la
périphérie du centre-ville de Erevan, proposition qui n’a pas été
acceptée par M. Ter-Petrossian. Au cours de notre mission d’enquête,
nous nous sommes rendus à l’endroit proposé par les autorités et
sommes arrivés à la conclusion qu’il ne pouvait être considéré comme
une alternative raisonnable.
15. C’est pourquoi nous avons instamment invité les autorités
à proposer d’autres solutions de rechange raisonnables, en soulignant
la nécessité d’autoriser ce rassemblement sans y mettre de restrictions
injustifiées afin de montrer que les autorités entendent respecter
dans la pratique le principe de la liberté de réunion. De même,
nous avons instamment invité les partisans de M. Ter-Petrossian
à veiller à ce que la manifestation se déroule de manière calme
et pacifique, et à s’abstenir de toute provocation.
16. Nous nous félicitons de l’accord intervenu en dernière minute
entre les autorités et l’opposition, en vue de la tenue de la manifestation
à proximité du Matenadaran, un des lieux demandés par l’opposition.
Nous nous félicitons également de ce que tant la police que les
participants se soient efforcés d’éviter les chocs et les confrontations.
Toutefois, nous regrettons que cette solution ait été fondée sur
un accord de dernière minute entre les organisateurs et la police,
et non sur une autorisation expresse de tenir ce rassemblement émanant
de l’administration municipale de Erevan.
2.2. Engager une enquête indépendante,
transparente et crédible sur les événements du 1er mars 2008 et
les circonstances qui les ont déclenchés
17. Les autorités se sont, certes,
déclarées disposées à engager une enquête indépendante conformément à
la demande de l’Assemblée, mais la question de la forme exacte que
devait revêtir l’entité chargée de la mener a suscité une controverse
et il a été difficile de s’accorder sur ce point. En conséquence,
la décision y relative n’a été prise que très tard, le 16 juin,
au cours de notre visite à Erevan. Des représentants de l’opposition,
parlementaire et extraparlementaire, se sont plaints de ce que les
autorités n’ont guère, si tant est qu’elles l’aient fait, consulté
l’opposition sur cette question.
18. La proposition formulée dans notre précédent rapport selon
laquelle cette enquête devait être menée sous l’égide du défenseur
des droits de l’homme n’a malheureusement pas été jugée acceptable
par les autorités. A notre sens, cela est lié au rapport ad hoc
sur l’élection présidentielle et les événements qui l’ont suivie,
publié le 25 avril 2008 par le défenseur des droits de l’homme.
Dans ce rapport, le défenseur formule un certain nombre d’interrogations
à propos de la version officielle des événements du 1er mars 2008
et se montre extrêmement critique à l’égard de la manière dont les
autorités ont réagi aux manifestations qui ont suivi l’élection
présidentielle.
19. En fin de compte, la forme choisie pour mener l’enquête est
celle d’une commission d’enquête ad hoc de l’Assemblée nationale
de l’Arménie. Cette commission a été constituée et son mandat a
été adopté le 16 juin 2008.
20. La commission d’enquête est composée de deux membres issus
de chacun des cinq groupes politiques siégeant au parlement actuel
ainsi que d’un membre issu des rangs des députés indépendants. De
plus, la résolution établissant la commission d’enquête stipule
qu’un représentant de M. Ter-Petrossian ainsi que des représentants
d’autres forces extraparlementaires devraient être invités à participer
aux travaux de la commission – sur la base d’une liste qui sera
établie lors de sa première réunion. Toutefois, ces membres ne seront
dotés que d’un droit de vote à titre consultatif. Lors de sa première
réunion, la commission a décidé d’inviter à ses travaux, outre M. Ter-Petrossian,
des représentants de toutes les forces extraparlementaires ayant
obtenu au moins 3 % des suffrages lors des dernières élections législatives
ainsi que des représentants de tous les candidats qui s’étaient
présentés à la dernière élection présidentielle. Par ailleurs, la
commission est autorisée à inviter des experts nationaux et internationaux
à participer à ses réunions, lesquels ne seront toutefois pas dotés
du droit de vote.
21. Le fait que quatre des cinq groupes politiques représentés
au parlement appartiennent à la coalition au pouvoir suscite des
interrogations quant à la possibilité pour la commission de conduire
son enquête de manière indépendante et impartiale. Des représentants
de l’opposition ont exprimé des inquiétudes devant le fait que,
dans la pratique, les voix des partis au pouvoir prévaudront lors
des votes en commission. L’opposition a proposé que la commission
soit composée en veillant à la parité entre les forces de l’opposition
et les forces favorables au gouvernement ou, à défaut, qu’elle prenne
ses décisions par consensus; ces propositions ont été rejetées.
22. Le Conseil de l’Europe, l’OSCE/BIDDH et la Commission européenne,
entre autres, ont été invités à nommer des experts en vue de participer
aux travaux de la commission d’enquête. Nous estimons que la participation
d’experts internationaux est essentielle en vue de garantir la crédibilité
de l’enquête. Il va toutefois sans dire que ces derniers ne seront
disposés à participer aux travaux de la commission d’enquête que
si l’indépendance et l’impartialité de cette dernière sont garanties.
23. Les membres de la commission, y compris ceux qui ne sont dotés
que d’un droit de vote à titre consultatif, peuvent présenter un
avis dissident sur les conclusions de la commission. Ces avis seront
publiés en tant que partie intégrante du rapport final de la commission.
En vue de garantir la transparence de l’enquête, toutes les réunions
de la commission seront publiques et ouvertes à la presse.
24. Lors de sa première session, la commission a élu un représentant
du parti républicain du Président Sargsyan au poste de président.
Le poste de vice-président a été offert à un parti d’opposition
et plus précisément au Parti du patrimoine. Des membres de l’opposition
ont mis en cause l’impartialité du Président élu lequel avait, par
le passé, exprimé publiquement et très clairement son avis à propos
des responsables des événements du 1er mars 2008. Le Parti du patrimoine
a nommé en tant que représentants à la commission deux parlementaires
qui se trouvent actuellement en détention après que le parlement
eut levé leur immunité. Une telle démarche ne saurait être considérée
comme constituant une approche constructive de l’important travail
de cette commission.
25. Aux termes de son mandat
, la commission doit formuler
«des recommandations en vue de l’adoption de solutions politiques
et juridiques de nature à exclure la répétition de tels événements
[du 1er mars 2008]». Toutefois, il ne l’autorise pas explicitement
à enquêter sur les circonstances qui ont déclenché les événements du
1er mars 2008, comme l’avait demandé l’Assemblée. Ce point doit
être clarifié. Il convient, de même, de préciser que l’enquête sur
les événements des 1er et 2 mars doit inclure les événements intervenus immédiatement
après et qui y sont directement liés, tels que la mise en détention
de militants de l’opposition ainsi que les accusations qui ont été
portées contre eux à propos du rôle qu’ils auraient joué lors des manifestations.
26. Nous nous félicitons de voir qu’une enquête officielle a été
ouverte comme l’avait demandé l’Assemblée. Toutefois l’Assemblée
avait également demandé que cette enquête soit indépendante, transparente
et crédible. A ce stade, il ne nous est pas possible de dire si
ces conditions clés sont remplies, compte tenu du fait, d’une part,
qu’en raison de sa mise en place tardive, la commission n’a pas
encore commencé ses investigations et, de l’autre, que son format
et sa composition n’en garantissent pas automatiquement l’indépendance
et l’impartialité ni, partant, la crédibilité aux yeux de la population
arménienne. Nous estimons qu’afin de garantir la crédibilité de
l’enquête il convient de remplir au moins les conditions ci-dessous:
- la commission devrait se faire
une règle de travailler sur la base d’un consensus et d’éviter d’avoir recours
au vote. Cela vaut plus particulièrement pour les questions sur
lesquelles la commission souhaite mener une enquête et pour les
personnes qu’elle souhaite entendre. La méthode de travail du groupe
de travail sur la réforme du Code électoral de l’Assemblée nationale,
qui, en règle générale, prend ses décisions sur la base d’un vote
consultatif , devrait être
prise comme modèle pour le fonctionnement de la commission d’enquête;
- le mandat de la commission devrait être précisé conformément
au paragraphe 25 du présent rapport;
- le défenseur des droits de l’homme devrait être invité
à participer d’office aux travaux de la commission et être doté
d’un droit de vote à titre consultatif;
- la possibilité d’étendre le droit de vote à titre consultatif
aux experts nationaux et internationaux qui participent de manière
permanente aux travaux de la commission devrait être envisagée.
27. Nous appelons toutes les forces politiques à participer de
manière constructive aux travaux de la commission et, le cas échéant,
à réexaminer la liste de leurs représentants afin de garantir au
mieux la crédibilité de l’enquête.
2.3. Libérer toutes les personnes
détenues sur la base d’accusations apparemment artificielles et
politiquement motivées ou qui, à titre personnel, n’ont commis ni
acte de violence ni infraction graves
28. La détention de personnes sur
des motifs d’accusations qui semblent artificielles et politiques,
en lien avec les événements du 1er mars
2008, était l’une des grandes préoccupations de l’Assemblée au moment
de l’adoption de la
Résolution
1609 (2008); et la libération de ces personnes est l’une des demandes
les plus urgentes de l’Assemblée.
29. Dans un premier temps, très peu de résultats tangibles ont
été obtenus pour répondre à cette exigence et il a été signalé que
les arrestations se sont poursuivies jusqu’à début juin. Néanmoins,
durant les deux dernières semaines qui ont précédé notre visite,
la situation semblait évoluer rapidement. Compte tenu de l’activité
intense des autorités dans ce domaine, les informations que nous
avons reçues au sujet des personnes détenues et/ou libérées ont
changé à plusieurs reprises lors de notre visite et étaient parfois déroutantes
et/ou apparemment contradictoires
.
30. D’après les informations reçues par les autorités, 116 personnes
ont été emprisonnées à la suite des événements du 1er mars 2008,
parmi lesquelles 28 font toujours l’objet d’une enquête et 88 ont
vu leur affaire portée devant le tribunal. Parmi ces 28 personnes,
17 sont toujours en détention provisoire et 11 en liberté conditionnelle
avec interdiction de quitter le pays. Parmi les personnes jugées,
3 ont été acquittées, 22 ont obtenu un sursis et 14 ont été condamnées
à des peines d’emprisonnement. Pour 49 affaires, le jugement n’a pas
été prononcé, et, parmi les personnes concernées, 38 sont toujours
en détention et 11 ont été libérées avec interdiction de quitter
le pays en attendant le jugement. Toutefois, selon différentes informations
émanant également des autorités, 17 personnes restent en détention
et 13 ont été libérées dans l’attente d’une enquête; 17 affaires
ont été suspendues et les personnes libérées, et 68 ont été transmises
au tribunal.
31. Lors d’une réunion avec M. Ter-Petrossian, nous avons reçu
une liste contenant les noms de 63 personnes qui, selon lui, sont
toujours en détention. Sur ces 63 personnes, 24 ont déjà été condamnées
à des peines d’emprisonnement
. Nous avons
transmis cette liste aux autorités en leur demandant de nous fournir
des informations sur chacune des affaires. Cependant, compte tenu
du temps limité, les autorités n’ont pas été en mesure de nous communiquer
ces informations; de notre côté, nous n’avons pu faire le recoupement
avec d’autres informations reçues pour chacune des affaires. Il
semblerait que plusieurs personnes de cette liste aient été libérées
depuis lors.
32. Les autorités nous ont informés que 65 personnes au total
ont plaidé coupable aux accusations retenues contre elles au moment
de l’enquête ou du procès. Plusieurs personnes passées aux aveux
ont obtenu un sursis dans le cadre d’un accord de réduction de peine,
tandis que celles qui n’ont pas reconnu leur culpabilité pour des
accusations similaires ont été condamnées à plusieurs années d’emprisonnement.
Il n’est donc pas à exclure que nombre de personnes soient passées
aux aveux pour éviter de longues peines d’emprisonnement, notamment
étant donné le manque de confiance de la population dans l’indépendance
des tribunaux.
33. Plusieurs personnes auraient été inculpées et leurs affaires
portées devant le tribunal sur la base d’un seul témoignage de police,
sans preuve corroborante ni témoignages indépendants. S’il n’a pas
été possible durant notre courte visite de vérifier ces allégations,
nous nous inquiétons du fait qu’elles soulèvent des questions sur
la possibilité d’un procès équitable des personnes arrêtées dans
le cadre des événements du 1er mars 2008.
34. Bon nombre de personnes ont été inculpées en vertu de l’article
300 (usurpation de pouvoir) et de l’article 225 (désordres de masse
et incitations aux désordres de masse) du Code pénal. Comme nous l’indiquions
dans notre précédent rapport, ces articles sont problématiques car
ils permettent une vaste interprétation et une discrétion excessive
au procureur et «ne donnent pas d’indication précise sur la frontière entre
l’expression légitime d’opinion et l’incitation à la violence».
D’une manière générale, les procureurs ont employé un langage normalisé
dans les accusations prononcées en vertu de ces articles; et les
juges ne semblent pas les avoir mises sérieusement à l’épreuve.
35. Nous avons été informés que nombre de personnes qui avaient
été arrêtées en vertu de ces dispositions avaient fait l’objet d’autres
accusations pénales par la suite. Il pourrait s’agir d’une tentative
de contourner la demande de l’Assemblée de libérer les personnes
inculpées pour des motifs artificiels et politiques en les accusant
d’avoir «commis à titre personnel des actes de violence ou des infractions
graves».
36. Nous sommes particulièrement inquiets au sujet des trois parlementaires
à qui nous avons rendu visite en prison. Tous trois ont été arrêtés
et ont vu leur immunité parlementaire levée pour une violation présumée des
articles 300 et 225. Or, à ce jour, leurs affaires n’ont pas été
portées devant le tribunal. En outre, conformément à l’article 17
de la Constitution arménienne, les députés ne peuvent être arrêtés
qu’en flagrant délit alors que, dans ce cas précis, les trois députés
ont été arrêtés après les événements du 1er mars 2008 – ce qui laisse
entendre que leurs droits constitutionnels ont été violés au moment
de leur arrestation. Cette situation soulève des questions sur l’équité
de traitement des personnes qui ne bénéficient pas de la visibilité ni
de l’immunité liées au statut parlementaire.
37. Même si nous saluons les récents progrès réalisés pour répondre
à cette exigence de l’Assemblée, nous ne pouvons considérer qu’elle
a été satisfaite jusqu’ici. Les affaires qui font toujours l’objet
d’une enquête devraient être soit closes, soit portées devant le
tribunal avec effet immédiat. Les procédures contre les individus
principalement accusés d’infractions en vertu des articles 300 et
225 devraient être abandonnées à moins qu’il n’y ait de fortes preuves
que ces individus ont commis, à titre personnel, des actes de violence.
En outre, il ne devrait pas faire de doute qu’un jugement uniquement
fondé sur un seul témoignage de police, sans preuves corroborantes
ni témoignages indépendants, n’est pas acceptable.
38. Tenant compte des nombreuses questions soulevées à cet égard,
une enquête sur le rôle de la partie poursuivante dans la détention
de militants de l’opposition, ainsi que sur les chefs d’accusation
retenus contre eux, devrait faire partie intégrante du mandat de
la commission d’enquête indépendante.
39. Il nous semble clair que la détention et la condamnation de
personnes en lien avec les événements du 1er mars 2008 continueront
à compromettre les relations entre l’opposition et les autorités
et à entraver les possibilités de dialogue constructif entre elles.
Par conséquent, nous recommandons fortement que l’Assemblée nationale
envisage l’adoption d’une loi d’amnistie générale ou que le Président
arménien publie un décret de grâce présidentielle pour tous les
individus dont la détention est liée aux événements du 1er mars 2008,
excepté ceux qui ont été impliqués, à titre personnel, dans les
décès tragiques survenus ce jour-là.
40. Les autorités ont proposé des amendements aux articles 225
et 300
,
qui élargiront considérablement leur champ d’application. Selon
la Commission de Venise
,
les amendements proposés vont trop loin et sont ouverts aux abus.
En effet, ils peuvent limiter la liberté d’expression et de réunion.
Par conséquent, nous saluons le fait que la Commission des questions
juridiques de l’Assemblée nationale arménienne ait formulé un avis
négatif sur ces amendements et décidé de ne pas les soumettre pour
adoption.
2.4. Amorcer un dialogue ouvert
et sérieux entre toutes les forces politiques arméniennes sur les réformes
demandées par l’Assemblée au paragraphe 8 de la résolution concernant
le système politique, le processus électoral, la liberté et le pluralisme
des médias, la liberté d’assemblée, l’indépendance du pouvoir judiciaire
et de la police
41. Nous accueillons favorablement
la série d’initiatives prises par les autorités pour amorcer un
dialogue sur les réformes demandées par l’Assemblée.
42. L’une des conditions essentielles de l’Assemblée était que
ce dialogue soit ouvert, sérieux et engagé entre toutes les forces
politiques arméniennes. Or, plusieurs représentants de l’opposition
ont eu l’impression que leur participation à l’élaboration de mesures
a été limitée. Nous sommes conscients que cette situation est due
en outre à la décision de M. Ter-Petrossian et de la plupart des
forces politiques qui le soutiennent de boycotter le dialogue avec
les autorités tant que les militants politiques emprisonnés en lien
avec les événements du 1er mars 2008 ne seront pas libérés. Nous
comprenons que, en plus de sa motivation politique évidente, cette
situation est aussi due au fait qu’une grande partie des dirigeants
de ce mouvement qui, dans des conditions normales, le représenteraient
dans les négociations avec les autorités, sont toujours en détention.
Néanmoins, nous exhortons l’ensemble des forces politiques à saisir
l’occasion donnée par les autorités d’amorcer un dialogue ouvert,
sérieux et constructif sur les réformes exigées par l’Assemblée.
43. A cet égard, nous tenons à citer l’exemple positif de la façon
dont est mené le dialogue sur la réforme du processus électoral.
Le groupe de travail de l’Assemblée nationale, créé spécialement
à cette fin, a élargi le vote consultatif à tous les représentants
des forces politiques extraparlementaires et aux organisations de la
société civile qui participent à ses travaux, et fonde en principe
ses décisions sur la base d’un vote consultatif. Nous sommes d’avis
que cette façon de procéder devrait servir d’exemple au dialogue
sur les autres réformes demandées par l’Assemblée, ainsi qu’à la
commission d’enquête pour en savoir plus sur les événements du 1er
mars 2008 et sur les circonstances qui les ont déclenchés.
44. Une analyse approfondie des réformes proposées irait au-delà
du champ du présent rapport. L’évaluation de ces réformes se fera
dans le cadre de la procédure normale de suivi de l’Assemblée. Toutefois, nous
tenons à mettre l’accent sur les différentes initiatives prises,
en plus de celles déjà mentionnées dans les paragraphes précédents.
45. S’agissant de la réforme du système politique en vue de garantir
une place et des droits convenables à l’opposition
, des amendements au Règlement
de l’Assemblée nationale ont été adoptés. Ils prévoient entre autres
la répartition des fonctions de direction entre les commissions
permanentes de l’Assemblée d’après la méthode d’Hondt, qui assurera
la représentation de l’opposition à ces fonctions; le droit de l’opposition
de proposer un sujet de débat durant l’une des séances de chacune
des quatre journées des sessions régulières; l’introduction de la
présentation d’une position minoritaire dans les rapports des commissions
permanentes transmis pour débat en séance plénière; et la priorité
pour les représentants de l’opposition de soumettre des questions
au gouvernement. Nous saluons ces initiatives qui renforceront le
rôle de l’opposition dans les travaux du parlement, mais notons
que certaines dispositions n’entreront en vigueur qu’après la prochaine convocation
de l’Assemblée nationale. Nous suggérerions à l’Assemblée nationale
d’envisager leur mise en œuvre à un stade bien plus précoce. De
plus, en vue de consolider le rôle de l’opposition, des réformes
sont aussi nécessaires hors du cadre du règlement de l’Assemblée
nationale, notamment dans le système électoral et le milieu des
médias.
46. Concernant la réforme du processus électoral
, nous avons déjà évoqué la création
d’un groupe de travail spécial de l’Assemblée nationale pour la
réforme du Code électoral. Les forces politiques extraparlementaires
et les ONG prennent part aux travaux de cette commission qui rédige
actuellement une série d’amendements au code à transmettre par la
suite à la Commission de Venise pour avis. Nous sommes conscients
que l’avis de la Commission de Venise servira de base à d’autres
éventuelles réformes nécessaires. Nous tenons à rappeler l’avis
de l’Assemblée selon lequel les effets de tout amendement au Code électoral
sur la conduite d’élections démocratiques dépendront entièrement
de leur mise en œuvre totale et sincère.
47. Pour ce qui est de la réforme des médias
, la commission concernée de l’Assemblée
nationale a organisé une audition publique à laquelle des représentants
des pouvoirs publics, de la société civile et de l’opposition extraparlementaire
ont été conviés. L’audition a servi de base pour l’élaboration d’un
train de mesures législatives, transmises par la suite aux organes
compétents du Conseil de l’Europe pour avis. Elle a conclu qu’un
dialogue approfondi entre les autorités et l’opposition était nécessaire
pour remédier au manque de confiance de la population dans les médias
à l’heure actuelle.
48. Dans ce contexte, nous prenons note de la récente décision
de la Cour européenne des droits de l’homme concluant à la violation
de la Convention européenne des droits de l’homme, s’agissant du
refus des autorités arméniennes d’accorder une licence de radiodiffusion
à A1+. L’Assemblée demande depuis longtemps l’octroi de la licence
à cette chaîne de télévision indépendante et populaire. Par conséquent,
nous exhortons les autorités à revenir sur leur décision sans plus
tarder.
49. A la suite de la demande de l’Assemblée de renforcer l’indépendance
du corps judiciaire
, le Président de
la République a signé un décret prévoyant la création d’une commission
sous les auspices du ministre de la Justice, chargée de concevoir
un programme de réforme complète du pouvoir judiciaire. Il convient
de noter que la réforme judiciaire s’inscrit également dans le programme
de la coalition qui forme le gouvernement actuel. Nous tenons à
insister sur l’importance de la participation de l’opposition à
ces réformes.
50. Concernant les arrestations arbitraires et la nécessité de
réformer les unités de police
, le Président de la
République a apporté des changements significatifs à la direction
de la police et a destitué plusieurs hauts fonctionnaires de police,
y compris le chef et le sous-chef de la police nationale. En outre,
le Président a demandé l’élaboration d’une réforme stratégique de
la loi relative aux organes d’application de la loi. A cet égard,
nous soulignons la nécessité de proposer un mécanisme de contrôle
public efficace des forces de police, comme exigé par l’Assemblée.
Cette question importante n’était pas traitée dans les informations
que nous avons reçues des autorités durant notre visite.
3. Conclusions
51. Nous saluons les progrès réalisés
par les autorités arméniennes pour satisfaire aux demandes de l’Assemblée
énoncées dans la
Résolution
1609 (2008). Cependant, malgré la volonté politique des autorités de
se plier à ces demandes, les progrès ne suffisent pas pour respecter
effectivement les termes de la résolution.
52. Nous déplorons le retard dans la mise en œuvre des mesures
concrètes demandées par l’Assemblée, tout en étant conscients que
les autorités arméniennes disposaient d’un temps limité.
53. Par conséquent, il nous est impossible de savoir si les initiatives
prises par les autorités satisfont pleinement aux exigences de l’Assemblée,
par exemple concernant l’enquête indépendante, transparente et crédible
sur les événements du 1er mars 2008. En outre, des progrès continus
et renforcés sont nécessaires pour garantir le respect de l’intégralité
des demandes.
54. A cet égard, nous notons que la détention de personnes arrêtées
relativement aux événements du 1er mars est un sujet de dispute
qui continuera à compromettre les relations entre les autorités
et l’opposition, et fera potentiellement obstacle aux possibilités
de dialogue et de réforme. Il ne fait pas de doute que des actions approfondies
de la part des autorités sont indispensables dans ce domaine. Parallèlement,
nous exhortons les forces politiques qui boycottent actuellement
le dialogue avec les autorités à revoir leur position et à saisir l’occasion
qui leur est offerte.
55. Compte tenu de ce qui précède, nous proposons à l’Assemblée
d’examiner, lors de la partie de session de l’Assemblée de janvier
2009, l’étendue de la conformité de l’Arménie avec les exigences
énoncées par l’Assemblée dans la
Résolution 1609 (2008). De plus, nous recommandons d’évoquer des questions supplémentaires
pour veiller à ce que les exigences de l’Assemblée soient prises
en compte dans l’esprit et dans la pratique. Si celles-ci n’étaient
pas respectées à l’ouverture de la partie de session de janvier
2009, nous n’aurions d’autre choix que de proposer l’application
des sanctions mentionnées dans la
Résolution 1609 (2008).
Commission chargée du rapport: commission pour le respect
des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l’Europe
(commission de suivi).
Renvoi en commission: Résolution
1115 (1997).
Projet de résolution adopté à l’unanimité par la commission
le 23 juin 2008.
Membres de la commission: M. Serhiy Holovaty (Président),
M. György Frunda (1er Vice-Président),
M. Konstantin Kosachev (2e Vice-Président),
M. Leonid Slutsky (3e Vice-Président),
M. Aydin Abbasov, M. Avet Adonts,
M. Pedro Agramunt, M. Miloš Aligrudić, Mme Meritxell Batet
Lamaña, M. Ryszard Bender,
M. József Berényi, M. Aleksandër
Biberaj, M. Luc Van den Brande, M. Jean-Guy Branger, M. Mevlüt Çavuşoğlu, M. Sergej Chelemendik,
Mme Lise Christoffersen,
M. Boriss Cilevičs, M. Georges Colombier, M. Telmo Correia, M. Valeriu Cosarciuc, Mme Herta
Däubler-Gmelin, M. Joseph Debono Grech, M. Juris Dobelis, Mme Josette
Durrieu, M. Mátyás Eörsi, Mme Mirjana
Ferić-Vac, M. Jean-Charles Gardetto,
M. József Gedei, M. Marcel Glesener, M. Charles Goerens, M. Andreas
Gross, M. Michael Hagberg, M. Holger Haibach, Mme Gultakin Hajiyeva, M. Michael Hancock, M. Davit Harutyunyan, M. Andres Herkel, M. Raffi Hovannisian, M. Kastriot Islami, M. Miloš Jevtić, Mme Evguenia Jivkova, M. Hakki Keskin, M. Ali
Rashid Khalil, M. Andros Kyprianou,
M. Jaakko Laakso, Mme Sabine Leutheusser-Schnarrenberger,
M. Göran Lindblad, M. René van der Linden, M. Eduard Lintner, M. Younal Loutfi, M. Pietro Marcenaro, M. Mikhail Margelov,
M. Bernard Marquet, M. Dick Marty, M. Miloš Melčák, Mme Assunta
Meloni, Mme Nursuna Memecan, M. João Bosco Mota Amaral, M. Theodoros Pangalos, Mme Maria
Postoico, M. Christos Pourgourides,
M. John Prescott, M. Andrea
Rigoni, M. Dario Rivolta, M. Armen Rustamyan,
M. Indrek Saar, M. Oliver Sambevski,
M. Kimmo Sasi, M. Andreas
Schieder, M. Samad Seyidov,
Mme Aldona Staponkienė, M. Christoph
Strässer, Mme Elene Tevdoradze, M. Mihai Tudose, M. Egidijus
Vareikis, M. Miltiadis Varvitsiotis, M. José Vera Jardim, Mme Birutė
Vėsaitė, M. Piotr Wach, M. Robert Walter, M. David Wilshire, Mme Renate
Wohlwend, Mme Karin S. Woldseth, M. Boris Zala, M. Andrej Zernovski.
N.B. Les noms des membres présents à la réunion sont indiqués
en gras.
Voir 24e séance, 25 juin 2008 (adoption
du projet de résolution amendé); et Résolution 1620.