1. Introduction
1. Le 17 avril 2008, l’Assemblée
parlementaire a adopté la
Résolution
1609 (2008) sur le fonctionnement des institutions démocratiques
en Arménie. Cette résolution a été adoptée à l’issue d’un débat
selon la procédure d’urgence à la suite de la crise politique qui
a éclaté après l’élection présidentielle en Arménie le 19 février
2008.
2. Dans la
Résolution
1609, l’Assemblée énonçait quatre conditions concrètes pour
mettre un terme à la crise. Les demandes faites aux autorités arméniennes
étaient les suivantes :
- abroger,
conformément aux recommandations de la Commission européenne pour
la démocratie par le droit du Conseil de l’Europe (Commission de
Venise), les amendements apportés le 17 mars 2008 à la loi relative
à la tenue de réunions, assemblées, rassemblements et manifestations ;
- engager immédiatement une enquête indépendante, transparente
et crédible sur les événements du 1er mars
2008 et les circonstances qui les ont déclenchés ;
- libérer toutes les personnes détenues sur la base d’accusations
apparemment artificielles et politiquement motivées, et qui, à titre
personnel, n’ont commis ni actes de violence ni infractions graves ;
- engager, avec toutes les forces politiques du pays, un
dialogue ouvert et sérieux sur les réformes du système politique,
du processus électoral, de la liberté et du pluralisme des médias,
de la liberté de réunion, de l’indépendance du judiciaire et du
comportement de la police, que l’Assemblée avait demandées au paragraphe
8 de sa résolution.
3. Le 25 juin 2008, l’Assemblée a adopté la
Résolution 1620 (2008) sur la mise en œuvre par l’Arménie de la
Résolution 1609 (2008) de l’Assemblée. Dans cette résolution, l’Assemblée considérait
que, malgré la volonté politique manifestée par les autorités pour
répondre aux demandes formulées dans la
Résolution 1609 (2008), les progrès étaient insuffisants pour satisfaire les
exigences énoncées dans cette résolution. Par conséquent, l’Assemblée
a décidé d’envisager la possibilité de suspendre le droit de vote
de la délégation arménienne lors de sa partie de session de janvier
2009 si les conditions de la
Résolution
1609, ainsi que celles énoncées dans la
Résolution 1620, ne sont pas remplies d’ici là.
4. L’Assemblée s’est félicitée des changements apportés à la
loi relative à la tenue de réunions, assemblées, rassemblements
et manifestations, conformément aux recommandations de la Commission
de Venise, comme demandé dans la
Résolution 1609 (2008). Toutefois, elle considérait que la liberté de réunion devait
également être garantie dans la pratique en Arménie. Par conséquent,
l’Assemblée a insisté, dans la
Résolution 1620 (2008), auprès des autorités arméniennes pour qu’elles veillent
à ce qu’aucune restriction injustifiée ne soit imposée aux rassemblements
organisés par l’opposition dans le respect de la loi relative à
la tenue de réunions, assemblées, rassemblements et manifestations,
notamment au regard des lieux demandés.
5. En ce qui concerne l’enquête indépendante, impartiale et crédible
sur les événements des 1er et 2 mars 2008,
l’Assemblée a considéré qu’en raison de la création tardive d’une
commission d’enquête parlementaire à cet effet, elle n’était pas
encore en position d’évaluer si les critères d’indépendance, d’impartialité
et de crédibilité étaient satisfaits. Toutefois, elle a noté que
le format et la composition de cette commission, dominée par des
membres de la coalition au pouvoir et effectivement boycottée par
l’opposition, ne garantissait pas automatiquement son indépendance
et donc sa crédibilité aux yeux du public arménien. L’Assemblée
a donc demandé qu’au minimum, la commission, en principe, s’efforce
de respecter un processus de prise de décision consensuel et n’ait
recours à un vote qu’en dernier ressort. En outre, l’Assemblé a
insisté sur le fait que le mandat de la commission énonce clairement
son droit d’enquêter sur les circonstances qui ont déclenché les événements
des 1er et 2 mars ainsi que leurs répercussions
immédiates. De plus, elle a demandé que le défenseur des droits
de l’homme de l’Arménie soit invité à participer d’office aux travaux
de la commission.
6. En ce qui concerne les personnes privées de liberté en relation
avec les événements des 1er et 2 mars 2008,
l’Assemblée s’est dite préoccupée par le fait que les progrès concernant
cette question étaient trop limités pour conclure au plein respect
de ses demandes. Dans la
Résolution
1620 (2008), l’Assemblée a donc demandé que toutes les affaires
qui faisaient encore l’objet d’une enquête soient closes ou portées
rapidement devant les tribunaux pour garantir le droit à un procès
équitable dans un délai raisonnable conformément à la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme. En outre, elle a demandé
instamment que les procédures menées en vertu des articles 300 et
225 du Code pénal de l’Arménie soient abandonnées à moins qu’il
n’y ait de fortes preuves que les accusés avaient, à titre personnel,
commis de graves actes de violence. Qui plus est, l’Assemblée a
considéré que les jugements uniquement fondés sur un seul témoignage
de police sans preuve corroborante n’étaient pas acceptables. Par
rapport à cette question, l’Assemblée a également noté les propositions
d’amendements aux articles 225, 2251,
301 et 3011 du Code pénal et a invité
instamment l’Assemblée nationale arménienne à tenir compte de l’avis
négatif de la Commission de Venise à cet égard.
7. Rappelant qu’il est nécessaire de mettre en place en Arménie
un environnement de médias pluralistes et, se référant à l’arrêt
de la Cour européenne des droits de l’homme concernant le refus
d’accorder une licence de radiodiffusion à la chaîne de télévision
A1+, l’Assemblée, dans la
Résolution
1620 (2008), a demandé aux autorités arméniennes de garantir à présent
une procédure ouverte, équitable et transparente de délivrance des
licences.
8. De l’avis de l’Assemblée, la détention prolongée de partisans
de l’opposition en rapport avec les événements des 1er et
2 mars 2008 était un sujet de dispute qui continuait à nuire aux
relations entre l’opposition et les autorités, et risque de faire
obstacle à un dialogue constructif sur les réformes nécessaires pour
l’Arménie. Par conséquent, également pour favoriser le processus
de réconciliation entre les autorités et l’opposition, l’Assemblée,
dans la
Résolution 1620
(2008), a invité instamment les autorités arméniennes à examiner
tous les moyens juridiques à leur disposition, y compris l’amnistie,
la grâce et le classement des poursuites, pour libérer toutes les
personnes faisant l’objet d’une détention en rapport avec les événements des
1er et 2 mars 2008, à l’exception de
celles qui avaient personnellement commis, encouragé ou organisé de
graves actes de violence.
9. Si l’Assemblée a donné aux autorités arméniennes jusqu’à sa
partie de session de janvier 2009 pour respecter l’ensemble de ses
exigences, nous étions de l’avis que des résultats tangibles devraient
déjà être obtenus avant cette date, en particulier en ce qui concerne
la libération des personnes privées de liberté en rapport avec les
événements des 1er et 2 mars 2008, ainsi
que l’enquête indépendante, transparente et impartiale liée à ces
événements. Par conséquent, suite à notre suggestion, l’Assemblée
a décidé, dans la
Résolution
1620 (2008), d’inviter le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil
de l’Europe à se rendre en Arménie et à présenter un rapport à la
commission de suivi, lors de sa réunion de septembre 2008, sur les progrès
réalisés par les autorités arméniennes sur ces deux questions.
10. Le Commissaire aux droits de l’homme s’est rendu à Erevan
du 13 au 15 juillet 2008. Lors de sa visite, il a proposé, entre
autres, un ensemble de recommandations concrètes pour résoudre l’impasse
entre les autorités et l’opposition en ce qui concerne la commission
d’enquête mise en place par l’Assemblée nationale pour enquêter
sur les événements des 1er et 2 mars
2008, ainsi que les circonstances qui les ont déclenchés
.
11. La visite du Commissaire aux droits de l’homme a été suivie
d’une visite officielle du Président de l’Assemblée parlementaire
les 23 et 24 juillet 2008. Lors de sa visite, le Président a encouragé
les autorités arméniennes à mettre pleinement en œuvre les
Résolutions 1609 et 1620 et les a invitées instamment à prendre rapidement
des mesures concrètes et tangibles en ce qui concerne la commission
d’enquête parlementaire et la libération des personnes privées de
liberté par rapport aux événements des 1er et
2 mars 2008. Durant sa visite, le Président a également appuyé pleinement
les propositions faites par le Commissaire aux droits de l’homme
pour résoudre l’impasse en ce qui concerne la commission d’enquête.
En outre, il a souligné que la détention de personnes, en rapport
avec les événements des 1er et 2 mars
2008, n’ayant commis à titre personnel aucun acte de violence grave,
était inacceptable pour l’Assemblée ; par conséquent, il a invité
instamment les autorités à utiliser tous les moyens à leur disposition
pour libérer ces personnes sans délai.
12. Le Commissaire aux droits de l’homme a informé la commission
de suivi des résultats de sa visite de juillet lors de sa réunion
le 11 septembre 2008. Après la présentation de son rapport écrit
en octobre 2008, la commission de suivi a publié un communiqué soulignant
qu’elle était extrêmement préoccupée par les résultats et conclusions
du Commissaire révélant que seuls des progrès limités avaient été
réalisés en ce qui concerne les principales exigences de l’Assemblée.
Tout en remarquant les mesures positives prises pour la mise en
place d’une enquête indépendante et crédible, la commission de suivi
restait extrêmement préoccupée en ce qui concerne les personnes
privées de liberté en rapport avec les événements des 1er et 2 mars
2008 et regrettait que les autorités arméniennes n’examinent pas
la possibilité d’une amnistie, d’une grâce, ou tout autre moyen
juridique à leur disposition pour résoudre la situation. Par conséquent,
la commission de suivi a demandé au Commissaire aux droits de l’homme
d’effectuer une visite de suivi à Erevan et d’informer la commission
lors de sa réunion du 17 décembre 2008 des progrès réalisés par
les autorités arméniennes concernant la nécessité de mener une enquête
indépendante et la libération des personnes privées de liberté en
rapport avec les événements des 1er et
2 mars 2008.
13. Le Commissaire s’est rendu à Erevan du 20 au 22 novembre 2008.
Nous avons eu une réunion de travail avec lui une semaine plus tard,
le 1er décembre 2008 à Paris, et avons
pris connaissance de ses conclusions dont nous avons tenu compte
pour l’élaboration du présent rapport.
2. Mise en œuvre des exigences de l’Assemblée
2.1. Engager une enquête indépendante,
transparente et crédible sur les événements du 1er mars 2008
et les circonstances qui les ont déclenchés
14. Le 16 juin 2008, l’Assemblée
nationale arménienne a adopté une résolution dans laquelle elle
constituait une commission ad hoc « chargée d’enquêter sur les événements
des 1er et 2 mars 2008, ainsi que les circonstances
qui les ont déclenchés. » Cette commission d’enquête est composée
de deux membres issus de chacun des cinq groupes politiques siégeant
au parlement actuel ainsi que d’un membre issu des rangs des députés
indépendants. En outre, la résolution constituant la commission
d’enquête autorisait des représentants de forces extraparlementaires
à participer aux travaux de la commission, mais uniquement avec un
droit de vote à titre consultatif. Le fait que quatre des cinq groupes
politiques représentés au parlement appartiennent à la coalition
au pouvoir suscitait des interrogations quant à la possibilité pour
la commission de conduire son enquête de manière indépendante et
impartiale. Tout en notant que, en raison de la mise en place récente
de la commission d’enquête, elle n’était pas en mesure d’évaluer
si les critères d’indépendance, de transparence et de crédibilité
avaient été respectés, l’Assemblée considérait, dans la
Résolution 1620 (2008), que le format et la composition de cette commission
n’en garantissaient pas automatiquement l’indépendance et l’impartialité,
et, partant, la crédibilité aux yeux de la population arménienne.
15. Suite à sa visite en Arménie en juillet 2008, le Commissaire
aux droits de l’homme a conclu que la commission d’enquête parlementaire
n’aurait pas l’impartialité et la crédibilité nécessaires exigées
par l’Assemblée du fait qu’elle était dominée par les partis appartenant
à la coalition au pouvoir et donc son boycott par les principales
forces d’opposition loyales à Levon Ter-Petrossian. Afin de sortir
de l’impasse et garantir une enquête indépendante et crédible, le
Commissaire a donc proposé la création d’un petit groupe d’experts indépendants
pour établir les faits en ce qui concerne les événements des 1er et
2 mars 2008 et les circonstances qui les ont déclenchés. Ce groupe
devrait être composé sur la base de la parité entre l’opposition et
la coalition au pouvoir et d’une prise de décision par consensus.
La commission d’enquête parlementaire serait alors chargée de tirer
les conclusions politiques en fonction des résultats du groupe d’experts.
16. Lors de sa visite, le Président de l’Assemblée a entièrement
soutenu les propositions du Commissaire et a remarqué avec satisfaction
que les autorités, ainsi que l’opposition soutenant M. Levon Ter-Petrossian, avaient
indiqué qu’en principe, ils soutenaient la proposition de compromis
formulée par le Commissaire.
17. Le Commissaire a également proposé qu’un expert conseille
les autorités arméniennes sur la méthodologie pour constituer un
tel groupe d’experts, ainsi que sur son mandat et les modalités
de fonctionnement. Les sujets d’attention spécifiques incluaient
la nécessité de renforcer l’indépendance du groupe d’experts et
de ses membres, ainsi que la transparence de ses travaux et la publication
de ses conclusions.
18. Le 23 octobre 2008, le Président arménien a édicté le décret
constituant le « groupe d’experts chargé d’enquêter sur les événements
des 1er et 2 mars 2008 et son statut »
.
Selon ce décret, le groupe sera chargé d’établir les causes des
événements des 1er et 2 mars 2008, d’évaluer
la légalité et la proportionnalité des activités des policiers et
des dirigeants par rapport à ces événements et de définir les circonstances
qui ont entraîné la mort de 10 personnes pendant les événements.
Le groupe d’experts sera composé de cinq membres, deux nommés par
la coalition au pouvoir, un par le parti Héritage, un par le mouvement
politique dirigé par M. Levon Ter-Petrossian et un membre nommé
par le Défenseur des droits de l’homme d’Arménie.
19. La création de ce groupe d’enquête a été saluée par la communauté
internationale, y compris par nous. Tout en saluant la création
de ce groupe d’enquête comme une étape importante vers la mise en
œuvre des exigences de l’Assemblée, nous avons également souligné
que la façon dont ce groupe dirigera ses travaux, ainsi que l’accès
qu’il aura aux institutions publiques compétentes à tous les niveaux,
seront finalement décisifs pour déterminer si l’enquête pouvait
être considérée comme crédible aux yeux du public arménien.
20. Le décret présidentiel accorde au groupe d’enquête des pouvoirs
importants pour mener ses travaux. Il a le droit de demander et
d’obtenir des informations auprès de « toute instance ou responsable
d’État ou d’autonomie locale » ; il peut demander aux instances
publiques compétentes de mener des enquêtes ou de préparer des opinions
d’experts et peut inviter des experts internationaux à participer
à ses travaux. Le groupe d’enquête peut également demander des informations
et des précisions à des individus et des organisations, mais uniquement
avec leur consentement. Il n’a pas le droit d’interroger des juges.
Compte tenu du fait que certaines des personnes impliquées dans
les événements qui ont eu lieu les 1er et
2 mars ont terminé leur mandat ou ont été remplacées par les autorités,
il est important que ces dernières indiquent clairement que l’obligation
pour les instances publiques et les dirigeants de fournir des informations
au groupe d’experts concerne également les anciens responsables
qui étaient en fonction ou exerçaient leur mandat lors des événements
des 1er et 2 mars 2008. En outre, le
fait de ne pas pouvoir demander des précisions aux juges ne devrait
pas être interprété comme un obstacle pour le groupe d’experts à
l’obtention des informations et précisions nécessaires en ce qui
concerne l’arrestation, la poursuite et la condamnation des personnes
en rapport avec les événements des 1er et
2 mars 2008.
21. Des questions ont été soulevées pour savoir si le groupe d’experts
avait le pouvoir constitutionnel d’interroger l’actuel Président
arménien et son prédécesseur. Compte tenu du rôle important de ces
personnes pendant et après les événements des 1er et
2 mars 2008, nous espérons sincèrement qu’ils seront disposés à
témoigner devant le groupe d’experts, s’ils sont invités à le faire,
et qu’aucun obstacle juridique ne sera soulevé pour les en empêcher.
22. Le groupe d’experts présentera son rapport à la commission
d’enquête parlementaire. Les membres ont le droit de joindre des
opinions minoritaires au rapport s’ils le souhaitent. Afin de garantir
la transparence du groupe d’enquête – condition importante pour
sa crédibilité – le rapport sera rendu public, sous la forme décidée
par le groupe, au moment de sa présentation à la commission d’enquête
parlementaire. Afin d’éviter que le travail des membres du groupe
d’experts ne soit influencé par les considérations politiques et
les rapports médiatiques, il a été décidé que les travaux du groupe
d’experts resteraient confidentiels jusqu’à la publication du rapport.
Certains membres de l’opposition ont émis des doutes sur la nécessité
de la confidentialité des travaux du groupe d’experts. Toutefois,
étant donné que le rapport sera rendu public au moment de sa présentation
et que les membres peuvent y joindre des opinions minoritaires,
nous ne considérons pas que la confidentialité du travail du groupe
irait nécessairement à l’encontre de l’exigence exprimée par l’Assemblée
de transparence de l’enquête sur les événements des 1er et
2 mars 2008 et ses circonstances.
23. Malgré quelques réserves en ce qui concerne les droits et
les pouvoirs du groupe d’enquête, le Parti Héritage et le Congrès
national arménien (HAK) – la coalition des partis d’opposition soutenant
M. Levon Ter-Petrossian qui a été officiellement fondée le 1er août
2008 – a finalement décidé de participer au groupe d’enquête d’experts.
Les membres nommés pour la coalition au pouvoir dans le groupe d’experts
sont M. Gevorg Tovmasyan, ancien haut responsable au bureau du Procureur
général et M. Robert Avagyan, ancien professeur de droit et ancien
membre du Conseil de Justice. Le Congrès national arménien a nommé M.
Andranik Kocharian, ancien vice-ministre de l’Intérieur et de la
Défense pendant la présidence de M. Levon Ter-Petrossian, et le
parti Héritage a nommé Mme Seda Safarian, célèbre avocate qui a
représenté plusieurs des partisans de l’opposition détenus après
les événements des 1er et 2 mars 2008.
Le Défenseur des droits de l’homme en Arménie a nommé M. Vahe Stepanyan,
son chef de Cabinet et ancien ministre de la Justice, pour le représenter
au sein du groupe d’experts. Le groupe d’experts, qui se réunira
tous les jours, a élu M. Stepanyan président lors de sa première
réunion le 11 novembre 2008.
24. Certains partis de l’opposition ont émis des doutes sur la
constitutionnalité du décret présidentiel constituant le groupe
d’experts et le parti Héritage a indiqué qu’il pourrait la contester
devant la Cour constitutionnelle. Sans vouloir préempter la valeur
de ces affirmations, nous invitons instamment les partis d’opposition
à participer de façon constructive et avec bonne foi au travail
du groupe d’experts et à ne pas compromettre son travail uniquement
sur la base de motifs de procédure.
25. La création du groupe d’experts est une étape importante vers
la mise en œuvre des exigences de l’Assemblée. Le travail de ce
groupe est essentiel afin de faire la lumière sur les événements
des 1er et 2 mars 2008. Il peut jouer
un rôle important en établissant les bases de la réconciliation
nécessaire entre l’opposition et les autorités qui, à elles seules,
permettront à l’Arménie de résoudre les problèmes auxquels elle
est confrontée suite à la crise politique. Toutefois, nous soulignons
que la création de ce groupe, même si elle est essentielle, n’est
qu’une première étape vers la mise en œuvre des exigences de l’Assemblée.
Ce sont les résultats des travaux du groupe d’expert ainsi que la
façon dont il mènera l’enquête qui seront décisifs pour sa crédibilité
aux yeux du public arménien. Par conséquent, nous appelons les autorités
arméniennes à ne pas s’immiscer dans le travail du groupe d’enquête
et à veiller à ce qu’il bénéficie de la plus grande coopération possible
de la part de tous les organes publics et responsables, y compris
ceux qui ont quitté leur fonction ou ont été remplacés depuis les
événements des 1er et 2 mars 2008.
2.2. Libération des personnes privées de
leur liberté en rapport avec les événements des 1er et
2 mars 2008
26. Nous saluons le fait que les
amendements proposés aux articles 225, 2251,
301 et 3011 du Code pénal arménien n’ont
pas été adoptés par l’Assemblée nationale à la suite de l’avis négatif
de la Commission des questions juridiques de l’Assemblée nationale
arménienne, fondé sur l’avis négatif de la Commission de Venise
du Conseil de l’Europe sur ces amendements.
27. Il est regrettable qu’il y ait eu si peu d’avancées en ce
qui concerne les demandes de l’Assemblée relatives à la libération
des personnes privées de leur liberté en rapport avec les événements
des 1er et 2 mars 2008.
28. Comme cela s’était produit lors de la préparation de notre
précédent rapport, les informations que nous avons reçues à propos
du nombre d’affaires et de personnes privées de leur liberté ont
été parfois confuses et contradictoires. Selon les dernières données
dont nous disposons, de toutes les personnes inculpées à la suite
des événements des 1er et 2 mars 2008,
87 ont été reconnues coupables par les tribunaux, 45 ont été condamnées
à des peines de prison ferme et 42 à des peines de prison avec sursis.
Dans 20 affaires, les poursuites ont été abandonnées et, dans cinq
autres, les personnes accusées ont été acquittées. En outre, 13 personnes
sont toujours détenues en instance de jugement ; sept personnes
sont placées en détention provisoire sans avoir été déférées devant
la justice. Parmi ces personnes se trouvent les trois parlementaires dont
l’immunité a été levée par l’Assemblée nationale arménienne.
29. En ce qui concerne les sept affaires qui n’ont pas encore
été portées devant les tribunaux, l’enquête menée par le procureur
général s’est achevée au début du mois d’octobre – près de sept
mois après l’arrestation des personnes en question – et leurs dossiers
ont été transmis à la défense pour étude avant leur mise en examen
officielle, comme le prévoit la législation arménienne. Le 14 novembre
2008, le tribunal a repoussé au 1er décembre
2008 le délai d’examen par la défense des chefs d’inculpation. Le
1er décembre 2008, la mise en examen
officielle a été prononcée devant la cour et publiée par le bureau
du procureur général.
30. Nous souhaitons mettre en lumière que les sept affaires, qui
n’ont été portées devant les tribunaux que maintenant, sont ceux
des trois parlementaires, dont l’immunité parlementaire a été levée
par l’Assemblée nationale sur la base de preuves fournies par le
procureur général, qui indiqueraient que ces personnes avaient commis
des crimes graves. Cependant, sept mois supplémentaires ont été
nécessaires au bureau du procureur général pour rassembler des preuves
et finaliser la mise en examen. Il semblerait donc que l’Assemblée
nationale avait pris la décision de lever l’immunité parlementaire
de trois de ses membres sur la base de preuves –dans le meilleur
des cas– très sommaires, ce qui indiquerait que des motivations
politiques ont jouer un rôle dans cette décision.
31. La section 11 du Code pénal arménien traite des crimes contre
l’Etat. L’article 300 du Code pénal prévoit que l’usurpation de
pouvoir, à savoir la prise de pouvoir en violation de la Constitution
arménienne, ou les actes destinés à renverser l’ordre constitutionnel
passibles d’une peine de prison de 10 à 15 ans.
32. L’article 225 du Code pénal arménien (au chapitre “Crimes
contre l’ordre public”) traite des troubles de l’ordre public. Aux
termes de l’article 225-1, l’incitation à l’émeute, accompagnée
de violences, pogroms, incendies volontaires, destruction de biens,
usage d’armes à feu, d’explosifs ou de dispositifs explosifs, ou résistance
armée contre un représentant des autorités est passible d’une peine
d’emprisonnement de 4 à 10 ans. La participation à de tels actes
est passible d’une peine d’emprisonnement de 3 à 8 ans (article
225-2). Toutefois, l’article 225-3 considère que, dans la circonstance
aggravante où l’organisation de tels actes d’incitation à l’émeute,
ou la participation à de tels actes, est accompagnée de meurtre,
le crime est passible d’une peine d’emprisonnement de 6 à 12 ans.
33. Selon les informations dont nous disposons, 79 personnes ont
été inculpées au titre de l’article 225, dont 19 avec circonstances
aggravantes en application de l’alinéa trois du même article. En
outre, 28 personnes au total ont été inculpées au titre de l’article
300. Dans tous les cas sauf un, les personnes inculpées en application de
l’article 300 ont également été inculpées en application de l’article
225. Dans les sept affaires pour lesquelles l’inculpation a été
prononcée le 1er décembre 2008, toutes
les personnes ont été inculpées au titre des articles 300 et 225-3.
34. Dans nos précédents rapports, nous avions déjà indiqué que
les articles 225 et 300 du Code pénal arménien sont problématiques,
car ils permettent une interprétation large, laissent une marge
de discrétion excessive au procureur et « ne donnent pas d’indication
claire quant à la question de savoir où prend fin l’expression légitime
d’un point de vue et où commence l’incitation à la violence ». Dans
la
Résolution 1620 (2008), l’Assemblée a donc considéré que « les charges retenues
au titre des articles 300 et 225 du Code pénal doivent être levées,
à moins qu’il n’existe des preuves sérieuses que les accusés ont
personnellement commis ou ordonné des actes de violence, ou encouragé
ou aidé à commettre de tels actes ».
35. Outre la nature problématique de l’article 300, nous n’avons
jusqu’ici reçu aucune preuve crédible de la part des autorités arméniennes
pouvant donner à penser que les événements des 1er et
2 mars 2008 étaient destinés à l’usurpation du pouvoir au sens de
l’article 300.
36. Malgré la longueur des enquêtes sur les causes des 10 décès
survenus pendant les événements des 1er et
2 mars 2008, aucun chef d’inculpation n’a encore été retenu contre
quiconque, y compris les fonctionnaires de police, pour le meurtre
de ces personnes ; ceci malgré la preuve concluante qu’au moins
trois de ces décès sont dus à des projectiles tirés par des armes
de la police. Nous sommes particulièrement préoccupés à l’idée qu’à
ce jour, personne n’a été inculpé pour le meurtre de ces personnes.
37. L’article 225-3 fait expressément référence à la circonstance
aggravante de meurtre. Cependant, compte tenu du manque de clarté
quant à l’exacte responsabilité concernant les 10 décès des 1er et
2 mars 2008 et donc du fait qu’aucune personne n’ait été inculpée
pour ces décès, et encore moins de meurtre, nous estimons qu’il
est difficile de comprendre comment des charges assorties de la
circonstance aggravante de meurtre aux termes de l’article 225-3
peuvent être justifiées.
38. A partir des remarques que nous avons émises concernant les
articles 225-3 et 300, nous sommes forcés de conclure que les charges
retenues au titre de ces articles avaient des motifs politiques
et que, à moins que les autorités arméniennes puissent nous fournir
des éléments détaillés et concluants prouvant le contraire pour
chacune des affaires prise individuellement, les personnes reconnues
coupables sous ces chefs d’inculpation doivent être considérées
comme des prisonniers politiques.
39. Nous sommes sérieusement préoccupés au sujet d’une lettre
du responsable du Service spécial d’investigation, adressée le 5
mars 2008 au procureur régional de Vayots Dzor (dans le sud du pays), mandatant
le procureur régional notamment pour questionner des sympathisants
de l’opposition à propos de leur participation aux rassemblements
de protestation et obtenir des détails concernant l’endroit où ils
se trouvent, leurs contacts, les membres de leurs familles ainsi
que leurs biens. En outre, le procureur régional devait localiser
les chauffeurs de taxi et de bus ayant transporté des sympathisants
de l’opposition à Erevan et savoir qui les avait accompagnés et
avait payé pour le transport. Une autorisation judiciaire d’obtenir
les enregistrements de conversations téléphoniques des directeurs
de campagne de M. Levon Ter-Petrossian devait également être obtenue.
Les autorités ont confirmé l’authenticité de cette lettre. Des instructions similaires
auraient également été adressées à d’autres procureurs régionaux
et aux forces de l’ordre, dont le Service de sécurité nationale.
Cette lettre semble accorder une crédibilité à l’affirmation selon
laquelle des personnes ont été visées en raison de leurs convictions
politiques ou pour association avec des sympathisants de l’opposition,
à la suite des événements des 1er et
2 mars 2008.
40. Dans la
Résolution
1620 (2008), l’Assemblée a considéré que les jugements uniquement
fondés sur des témoignages de police sans preuve corroborante n’étaient
pas acceptables. Dans son rapport à la Commission de suivi le 11
septembre, le Commissaire aux droits de l’homme a noté qu’au moins
19 cas de poursuites étaient fondés uniquement sur des témoignages
de police, malgré les inquiétudes de l’Assemblée à cet égard. Cela
révèle une fois de plus, à notre sens, que les charges retenues
contre ces personnes et les condamnations dont ces dernières ont
fait l’objet peuvent avoir eu des motifs politiques.
41. Nous rappelons que, dans la
Résolution 1620 (2008), l’Assemblée a considéré que la détention continue de
sympathisants de l’opposition à la suite des événements des 1er et
2 mars 2008 était un sujet de dispute qui continuait à nuire aux
relations entre l’opposition et les autorités et fait obstacle à
l’instauration d’un dialogue constructif sur les réformes demandées
par l’Assemblée. C’est pourquoi l’Assemblée prie instamment les
autorités arméniennes d’envisager tous les moyens juridiques à leur
disposition, y compris l’amnistie, la grâce et le classement des
poursuites, pour libérer toutes les personnes détenues en rapport
avec les événements des 1er et 2 mars
2008, à l’exception des personnes qui ont personnellement commis
des crimes graves et violents, en ont été complices ou les ont organisés.
42. Nous regrettons que les autorités arméniennes n’aient encore
fait usage, au moment où nous rédigeons le présent rapport des moyens
juridiques proposés par l’Assemblée pour libérer les personnes privées
de leur liberté en rapport avec les événements des 1er et
2 mars 2008.
43. Compte tenu du fait que les personnes ont été mises en examen
et condamnées pour leurs convictions politiques, compte tenu du
manque de tout progrès quant aux demandes de l’Assemblée concernant
les personnes inculpées en application des articles 300 et 225 ou
uniquement à partir de preuves policières, et compte tendu de l’absence
de tout acte d’amnistie, de grâce ou de classement des poursuites,
nous ne pouvons que conclure que les autorités arméniennes n’ont
pas la volonté politique requise pour résoudre la question des personnes
détenues en rapport avec les événements des 1er et
2 mars 2008.
2.3. Réforme des médias et environnement
de médias pluralistes
44. Dans la
Résolution 1609 (2008), l’Assemblée a considéré que l’indépendance politique
de la Commission nationale de radio et de télévision ainsi que du
Conseil de télévision et de radiodiffusion de service public doit
être garantie. En outre, la composition de ces instances doit être
révisée afin de veiller à ce qu’elles soient véritablement représentatives
de la société arménienne.
45. Par ailleurs, dans la
Résolution
1620 (2008), l’Assemblée a rappelé que l’Arménie a besoin d’un environnement
de médias pluralistes et, faisant référence à l’arrêt de la Cour
de Strasbourg à propos du refus d’accorder une licence de radiodiffusion
à la chaîne A1+, a appelé les autorités à garantir à présent une procédure
ouverte, équitable et transparente d’octroi des licences, conformément
aux principes directeurs adoptés par le Comité des Ministres du
Conseil de l’Europe, le 26 mars 2008, et à la jurisprudence de la
Cour.
46. Comme mentionné dans notre précédent rapport (
Doc. 11656 (2008)), une audience publique a été organisée par l’Assemblée
nationale arménienne sur le thème de la réforme des médias, réunissant
des représentants des autorités, des ONG et de l’opposition. Cette
audience a donné lieu à un ensemble de dispositions législatives
qui ont été adressées au Conseil de l’Europe pour avis, ainsi qu’à
la mise en place d’un groupe de travail parlementaire sur la réforme
de la loi relative à la radio et à la télévision.
47. Une partie des dispositions législatives porte sur la mise
en œuvre d’une procédure ouverte et transparente d’appels d’offres
pour la composition du Conseil de télévision et de radiodiffusion
de service public et pour la composition de la Commission nationale
de radio et de télévision. Cette procédure vise à garantir l’indépendance
des membres et, par conséquent, le travail de ces deux organes.
L’avis préliminaire des experts du Conseil de l’Europe concernant
ce nouveau processus d’appels d’offres est généralement positif.
Comme nous l’avons indiqué dans nos précédents rapports, le manque
d’indépendance de ces deux principaux organes de régulation des
médias suscite des inquiétudes quant à une éventuelle influence
du gouvernement sur les médias qui sont règlementés par ces organes.
Nous nous félicitons des efforts fournis par les autorités à cet
égard. Toutefois, nous notons que les amendements proposés ne stipulent
pas expressément que les deux organes de régulation doivent être
largement représentatifs de la société arménienne et en traduire
la composition. C’est pourquoi nous recommandons que d’autres amendements soient
apportés à la loi relative à la radio et à la télévision à cet effet.
48. Le 9 septembre 2008, l’Assemblée nationale a adopté un amendement
à la loi relative à la radio et à la télévision qui annule toutes
les offres de fréquences de radiodiffusion jusqu’en 2010, lorsque
l’introduction de la radiodiffusion numérique aura été achevée en
Arménie. L’amendement prolonge la validité de toutes les licences
actuelles jusqu’en janvier 2010. Alors que le gouvernement soutient
que l’adoption de ces amendements était nécessaire pour répondre
aux exigences techniques liées à l’introduction de la radiodiffusion
numérique, l’opposition a qualifié ces amendements de tentative
d’éviter l’organisation d’une procédure ouverte, équitable et transparente
d’octroi des licences comme le demandait l’Assemblée, afin de maintenir
la suspension de la chaîne de télévision A1+.
49. Nous prenons bonne note des discussions en cours entre les
autorités, l’Assemblée nationale et les experts du Conseil de l’Europe
concernant l’ensemble des réformes législatives proposées, ainsi
que des amendements déjà adoptés à la loi relative à la radio et
à la télévision qui annulent les offres de licences de radiodiffusion
jusqu’en 2010. Nous comprenons que le Conseil de l’Europe fournira
un avis d’expert sur les amendements révisés à la loi relative à
la radiotélévision et est prêt à fournir un expert en bandes de fréquences
pour analyser les conséquences techniques de l’introduction de la
radiodiffusion numérique. En outre, les amendements à la loi relative
à la radio et à la télévision relatifs à l’annulation des offres
de licences de radiodiffusion ont également été discutés par le
Comité des Ministres en décembre 2008, dans le cadre des débats
sur l’exécution par l’Arménie de l’arrêt de la cour cité plus haut
dans l’affaire de A1+.
50. Nous ne souhaitons pas préempter la coopération et les discussions
qui ont cours actuellement à ce sujet entre les autorités arméniennes
et les services spécialisés du Conseil de l’Europe. C’est pourquoi
nous analyserons in extenso la
réforme des médias et ses implications sur le pluralisme de l’environnement
des médias dans notre prochain rapport sur l’Arménie, dans le cadre
de la procédure de suivi de l’Assemblée en cours. Toutefois, nous
tenons à souligner que les incidences techniques de l’introduction
de la radiodiffusion numérique ne doivent pas servir de prétexte
pour retarder de façon indue l’organisation d’une procédure ouverte,
équitable et transparente d’octroi de licences comme le demande
l’Assemblée.
2.4. Liberté de réunion
51. Dans la
Résolution 1620 (2008), l’Assemblée accueillait favorablement l’adoption des
amendements à la loi relative à la tenue de réunions, assemblées,
rassemblements et manifestations, conformément aux recommandations
de la Commission de Venise et aux demandes de l’Assemblée. Toutefois,
elle avait également exhorté les autorités arméniennes à garantir
la liberté de réunion dans la pratique et donc à faire en sorte
qu’aucune restriction injustifiée ne soit imposée aux rassemblements
organisés par l’opposition dans le respect de la loi relative à
la tenue de réunions, assemblées, rassemblements et manifestations,
notamment au regard des lieux demandés.
52. Nous saluons le fait que les manifestations de l’opposition
se sont généralement déroulées librement à Erevan depuis l’adoption
de la dernière résolution. Toutefois, nous constatons que, à l’origine,
cela était fondé sur des accords de dernière minute entre les organisateurs
et la police et non sur une autorisation expresse des autorités
municipales de la ville de Erevan d’organiser le rassemblement.
Les manifestations ultérieures ont été dument autorisées à l’avance.
Cependant, nous notons qu’un certain nombre de manifestations spontanées
ont été dissoutes par la police. Dès lors, nous prions instamment
les autorités de poursuivre leurs efforts et de prendre toutes les
mesures nécessaires pour veiller à ce que la liberté de réunion
fondamentale soit pleinement respectée en Arménie.
53. Lors d’un rassemblement du Congrès national arménien le 17
octobre 2008, M. Levon Ter-Petrossian a annoncé qu’il interromprait
provisoirement sa campagne de protestations antigouvernementales
à la lumière des événements récents survenus entre l’Arménie et
la Turquie ainsi qu’en raison de la question du règlement du conflit
du Haut-Karabakh. Il a annoncé qu’il avait pris cette décision afin
de ne pas ébranler la position du président Sargsyan dans le cadre
de ces événements importants pour l’Arménie.
2.5. Autres réformes nécessaires à l’analyse
des causes sous-jacentes de la crise politique
54. Dans la
Résolution 1609 (2008), l’Assemblée appelait toutes les forces politiques à
engager un dialogue ouvert et sérieux sur un certain nombre de réformes
qu’elle considère comme essentielles, afin d’examiner les causes
sous-jacentes de la crise qui a suivi l’élection présidentielle
en février 2008. Ces réformes portaient sur le système politique
et le processus électoral, la liberté et le pluralisme des médias,
la liberté de réunion, l’indépendance du pouvoir judiciaire et de
la police.
55. Dans notre rapport sur la mise en œuvre par l’Arménie de la
Résolution 1609 (2008) de l’Assemblée (
Doc.
11656 (2008)), nous soulignons et accueillons avec satisfaction
la série d’initiatives prises par les autorités pour entreprendre
les réformes demandées par l’Assemblée. Nous saluons le fait que
les autorités arméniennes ont, depuis l’adoption de la
Résolution 1620 (2008), poursuivi leurs efforts pour mener à bien ces réformes.
Outre les progrès intervenus dans le domaine des médias que nous
avons décrits plus haut, nous notons, en particulier, les efforts
en cours visant à réformer le système électoral ainsi que de la
coopération étroite entre les autorités arméniennes et les services
concernés du Conseil de l’Europe sur la réforme du système judiciaire,
en vue de renforcer son indépendance.
56. Ceci étant dit, dans la période qui a suivi l’adoption de
la
Résolution 1620 (2008), nous avons concentré nos efforts et notre attention
sur les deux exigences essentielles de l’Assemblée, à savoir la
mise en œuvre d’une enquête indépendante, transparente et crédible
sur les événements des 1er et 2 mars
et le sort des personnes privées de leur liberté dans le cadre de
ces événements. Apporter une solution acceptable à ces deux questions
majeures est, à notre sens, indispensable à la réussite de la mise
en œuvre de toute autre réforme dans le respect des demandes de
l’Assemblée. A ce stade, nous ne sommes pas en mesure de procéder
à une analyse approfondie des avancées réalisées à propos des autres
réformes demandées par l’Assemblée. Nous avons l’intention de revenir
sur ces questions dans un addendum au présent rapport sur la base
d’une éventuelle visite en Arménie en janvier 2009, si une telle
visite devait contribuer à enregistrer des progrès tangibles en
ce qui concerne la question non encore réglée de la libération des
personnes privées de leur liberté en liaison avec les événements
des 1er et 2 mars 2008.
3. Conclusions
57. Nous saluons la création du
groupe d’enquête indépendant chargé d’enquêter sur les événements
des 1er et 2 mars 2008 et les circonstances
qui les ont déclenchés et nous nous réjouissons de la décision de l’opposition
de participer pleinement aux travaux de ce groupe d’enquête. Un
pas important est ainsi franchi vers l’assurance qu’une enquête
indépendante, transparente et crédible sur les événements des 1er et
2 mars aura bien lieu, comme l’a demandé l’Assemblée.
58. A cet égard, nous tenons à rendre hommage à la contribution
importante pour la création de ce groupe apportée par le Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe.
59. Cela étant, nous soulignons cependant que c’est le résultat
des travaux de ce groupe d’experts qui importe, et que la crédibilité
dont jouira ce groupe aux yeux du public arménien dépendra en fin
de compte de la manière dont il conduira ses travaux. En conséquence,
nous exhortons toutes les forces politiques à s’abstenir de politiser
ou de contrecarrer les travaux de ce groupe d’enquête. Nous invitons
en outre les autorités arméniennes à s’assurer que ce groupe reçoive
la coopération la plus entière possible et se voie offrir un accès
illimité aux informations de la part de tous les organismes et fonctionnaires
de l’Etat sans exception, y compris des fonctionnaires qui ont quitté
leurs fonctions, ou en ont changé, depuis les événements des 1er et
2 mars 2008.
60. Nous regrettons profondément qu’aucun progrès semblable n’ait
été accompli en ce qui concerne la libération des personnes détenues
en relation avec les événements des 1er et
2 mars 2008.
61. Nous notons notre satisfaction le fait que les affaires des
sept membres de l’opposition ont finalement été portées devant les
tribunaux mais déplorons la nature des charges retenues contre eux
en vertu des articles 225-3 et 300 du Code pénal arménien et nous
interrogeons sur la force des preuves censées justifier leur détention
préventive prolongée et la levée de l’immunité de trois d’entre
eux qui sont membres de l’Assemblée nationale.
62. Aucun progrès réel n’a été fait pour satisfaire les exigences
clé de l’Assemblée demandant qu’aucune condamnation ne soit prononcée
sur la seule base d’un témoignage de police, sans preuve corroborante substantielle,
et que les charges en vertu des articles 225 et 300 du Code pénal
arménien soient abandonnées à moins qu’il n’existe des preuves solides
que les personnes concernées ont personnellement commis des actes
de violence ou intentionnellement ordonné, encouragé ou aidé à commettre
de tels actes. A cet égard, nous prenons également bonne note des
préoccupations exprimées par le Commissaire aux droits de l’homme dans
son rapport à propos des procès à l’encontre d’un bon nombre de
personnes reconnues coupables en relation avec les événements des
1er et 2 mars 2008.
63. Nous regrettons de devoir conclure qu’il existe de forts indices
que les charges retenues contre un grand nombre de personnes, surtout
les accusations portées en vertu des articles 225-3 et 300 du Code
pénal et celles qui reposent uniquement sur des témoignages de police,
aient été politiquement motivées. Il en résulte que les personnes
reconnues coupables sur de telles charges doivent plutôt être considérées
comme des prisonniers politiques.
64. Nous regrettons également que les autorités n’aient pas fait
usage jusqu’à présent de la possibilité qui est la leur de recourir
à tous les moyens juridiques à leur disposition, y compris l’amnistie,
la grâce ou le classement des poursuites, pour libérer les personnes
détenues en relation avec les événements des 1er et
2 mars 2008 sans avoir personnellement commis d’actes de violence
ou intentionnellement ordonné, encouragé ou aidé à commettre de
tels actes.
65. Nous ne pouvons dès lors que conclure que les autorités arméniennes
manquent de la volonté politique nécessaire pour résoudre la question
des personnes détenues en relation avec les événements des 1er et
2 mars 2008.
66. Nous saluons les efforts faits par les autorités arméniennes
pour entreprendre les réformes demandées par l’Assemblée dans d’autres
domaines, en particulier dans ceux des médias, de la législation
électorale et dans le domaine judiciaire. Nous invitons les autorités
à poursuivre cette coopération avec les organismes pertinents du
Conseil de l’Europe. Concernant le pluralisme et la liberté des
médias, nous saluons les propositions faites dans le but de garantir
l’indépendance des organismes de réglementation des médias en Arménie
et invitons les autorités à appliquer pleinement les prochaines
recommandations des experts du Conseil de l’Europe à cet égard.
Concernant l’ajournement des fréquences de radiodiffusion jusqu’en
2010, et sans vouloir porter de jugement sur la valeur des arguments
avancés pour justifier cette décision, nous soulignons que les autorités
ne devraient pas invoquer les exigences techniques de l’introduction
de la radiodiffusion numérique comme raison d’ajourner indûment
la mise en place d’une procédure ouverte, équitable et transparente
de délivrance des licences de radiodiffusion, comme l’a demandé
l’Assemblée.
67. Malgré les progrès effectués dans certains domaines, il est
inacceptable que des personnes ont été inculpées et incarcérées
pour des motifs politiques et que des prisonniers politiques existent
en Arménie. C’est pourquoi, malgré le pas positif déjà fait vers
la création d’une enquête indépendante, transparente et crédible, nous
recommandons que l’Assemblée suspende le droit de vote des membres
de la délégation parlementaire arménienne auprès de l’Assemblée,
en vertu de le l’article 9, paragraphes 3, 4.
c du
Règlement, jusqu’à ce que les autorités arméniennes aient clairement
démontré leur volonté politique de résoudre la question des personnes
détenues en relation avec les événements des 1er et
2 mars 2008, conformément aux demandes de l’Assemblée, telles qu’exprimées
dans les
Résolutions
1609 (2008) et 1620 (2008).
Commission chargée du rapport: commission
pour le respect des obligations et engagements des Etats membres
du Conseil de l'Europe (commission de suivi)
Renvoi en commission: Résolution n° 1115 (1997)
Projet de résolution adopté
à l'unanimité par la commission le 17 décembre 2008
Membres de la commission:
M. Serhiy Holovaty (président),
M. György Frunda (1er vice-président), M. Konstantin
Kosachev (2e vice-président), M. Leonid Slutsky (3e vice-président),
M. Aydin Abbasov, M. Avet Adonts,
M. Pedro Agramunt, M. Miloš Aligrudić, Mme Meritxell Batet Lamaña,
M. Ryszard Bender, M. József Berényi, Mr Aleksandër Biberaj, Mr Luc van den Brande, Mr Mevlüt Çavuşoğlu, M. Sergej Chelemendik, Mme
Lise Christoffersen, M. Boriss Cilevičs, M. Georges Colombier, M. Telmo Correia, M. Valeriu
Cosarciuc, Mme Herta Däubler-Gmelin, M. Joseph Debono Grech, M.
Juris Dobelis, Mme Josette Durrieu, M. Mátyás Eörsi, Mme Mirjana Ferić-Vac, M. Jean-Charles Gardetto,
M. József Gedei, M. Marcel Glesener, M. Charles Goerens, M. Andreas Gross, M. Michael Hagberg, M. Holger
Haibach, Mme Gultakin Hajiyeva, M. Michael Hancock,
M. Davit Harutyunyan, Mme
Olha Herasym’yuk, M. Andres Herkel,
M. Raffi Hovannisian, M. Kastriot Islami, M. Michael Aastrup Jensen,
M. Miloš Jevtić, Mme Evguenia Jivkova, M. Hakki Keskin, Mme Katerina
Konečná, M. Andros Kyprianou, M. Jaakko Laakso,
Mme Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, M. Göran Lindblad, M. René van der Linden, M. Eduard Lintner,
M. Younal Loutfi, M. Pietro Marcenaro, M. Mikhail Margelov, M. Bernard
Marquet, M. Dick Marty, M. Miloš Melčák, Mme Nursuna Memecan, M. João Bosco Mota Amaral,
M. Theodoros Pangalos, Mme Maria Postoico, M. Christos Pourgourides,
M. John Prescott, M. Andrea Rigoni, MM. Armen Rustamyan, M. Indrek Saar, M. Oliver
Sambevski, M. Kimmo Sasi, M.
Andreas Schieder, M. Samad Seyidov, Mme Aldona Staponkienė, M. Christoph
Strässer, Mme Chiora Taktakishvili,
M. Mihai Tudose, M. Egidijus Vareikis, M. Miltiadis Varvitsiotis,
M. José Vera Jardim, Mme Birutė Vėsaitė, M. Piotr Wach, M. Robert Walter, M. David Wilshire, Mme Renate Wohlwend,
Mme Karin S. Woldseth, M. Boris Zala, M. Andrej Zernovski.
N.B. Les noms des membres qui ont participé à la réunion sont
indiqués en gras
Secrétariat de la commission : Mme
Chatzivassiliou, M. Klein, Mme Trévisan, M. Karpenko