1. Introduction
1. Comme l’a encore récemment réaffirmé, en mai dernier,
le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, la participation
égale des femmes et des hommes à la vie politique est l’un des fondements
de la démocratie et l’un des objectifs de l’Organisation
.
Malheureusement, en politique, l’égalité entre les sexes est restée
un idéal plus qu’une réalité: de nombreuses mesures énoncées dans
la Recommandation Rec(2003)3 du Comité des Ministres sur la participation
équilibrée des femmes et des hommes à la prise de décision politique
et publique ne sont pas encore mises en œuvre
, et une bonne part des dispositions présentées
par l’Assemblée parlementaire dans sa
Recommandation 1674 (2004) sur la
participation des femmes aux élections et dans sa
Résolution 1489 (2006) sur
les mécanismes visant à garantir la participation des femmes à la
prise de décision ont connu le même sort. Malgré tout l’intérêt
que porte l’ensemble de la communauté internationale – pas seulement
le Conseil de l’Europe – à la représentation des femmes dans les
instances de décision politique et à leur impact sur le processus
de prise de décision (en particulier depuis la Conférence mondiale
des Nations Unies sur les femmes tenue à Mexico en 1975), les progrès
sont lents et décevants. Comme l’a rappelé en 2008 Anders B. Johnsson,
Secrétaire général de l’Union interparlementaire (UIP): «En 1975,
les femmes occupaient 10,9 % des sièges parlementaires dans le monde.
Après plus de trente ans de promesses, d’exhortations et d’incitations,
les femmes occupent, en 2008, moins de 18 % des sièges parlementaires.»
2. Au niveau de l’exécutif, la situation n’est pas meilleure.
En 2008, seuls 16 % des portefeuilles ministériels étaient détenus
par des femmes, lesquelles sont aussi en minorité aux postes les
plus élevés de l’Etat: sur les 150 chefs d’Etat en fonction au début
2008, sept seulement (4,7 %) étaient des femmes. Huit seulement
des 192 gouvernements du monde (soit 4,2 %) sont dirigés par des
femmes
.
3. Les facteurs entraînant une sous-représentation des femmes
en politique sont nombreux – ce qui non seulement constitue un gaspillage
de talents, mais aussi fragilise la démocratie et les droits de
l’homme (l’égalité entre les sexes étant un droit fondamental et
l’un des fondements de la démocratie). Le facteur le plus important
aboutissant à la sous-représentation des femmes en politique est,
à mon avis, le fait que la plupart d’entre nous – même en Europe –
vivons encore dans des sociétés où les attitudes, les usages et
les comportements déresponsabilisent les femmes dans la vie publique,
les discriminent et les emprisonnent dans des rôles-modèles prescrits
et dans des stéréotypes selon lesquels elles «ne sont pas faites»
pour la prise de décision et la politique. Aussi ne devrait-on pas
s’étonner que les conclusions d’une très vaste enquête sur les parlementaires,
réalisée par l’UIP en 2008, confirment l’idée que «pour les hommes,
la politique constitue généralement une profession tout à fait accessible,
tandis que tel n’est pas le cas pour les femmes»
. Selon un sondage réalisé en mars 2009,
77 % des femmes et 71 % des hommes de l’Union européenne estiment que
la politique est un domaine dominé par les hommes
.
4. Cependant, le paysage et le cadre institutionnels d’un pays
peuvent aussi considérablement influer sur la représentation des
femmes en politique. A première vue, des facteurs apparemment neutres
– les systèmes électoraux, par exemple – peuvent avoir des effets
les plus divers. Un système électoral n’étant pas chose immuable,
avec quelques-uns de mes collègues, j’ai décidé de présenter à l’Assemblée,
en janvier 2008, une proposition de résolution concernant l’impact
des systèmes électoraux sur la représentation des femmes en politique.
Cette proposition a été renvoyée à notre commission en vue d’un
rapport, et j’ai été désignée rapporteuse.
5. La commission a décidé de recourir à l’expertise de la Commission
européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise)
du Conseil de l’Europe. Celle-ci a soumis à la commission un rapport
sur la question en juin 2009, basé sur une communication de l’expert
allemand Michael Krennerich. Ce rapport (publié sous la référence
CDL-AD(2009)029), mis à disposition du public, me paraît un excellent
point de départ pour élaborer mon propre rapport. J’approuve l’avis
de la Commission de Venise: l’impact des systèmes électoraux sur
la représentation des femmes en politique est lié à des quotas par
sexe; autrement dit, un même système électoral peut conduire à des
résultats totalement différents selon que, oui ou non, des quotas
par sexe (quels qu’ils soient) ont été mis en place et en application.
Aussi consacrerai-je une part importante de cet exposé des motifs
à la question de l’effet des quotas par sexe associés au système
électoral.
2. Les systèmes
électoraux et leur impact sur la représentation des femmes en politique
6. Selon la Commission de Venise, un système électoral
«désigne les moyens par lesquels les électeurs expriment leur préférence
politique et la manière dont les suffrages sont traduits en mandats/sièges politiques»
.
Je souscris à cette définition. L’étude de la commission porte uniquement
sur les systèmes électoraux servant à élire les chambres basses
ou uniques des parlements – tout comme, d’ailleurs, l’étude UIP
précédemment mentionnée et une étude de 2008 commandée par le Parlement
européen sur les systèmes de quotas électoraux par sexe et leur
mise en œuvre en Europe
. Dans ces conditions, je n’ai guère d’autre
choix que de suivre cet exemple.
7. D’après le rapport de la Commission de Venise, l’une des conclusions
les plus nettes est que les pays appliquant un système de représentation
proportionnelle comptent une proportion plus élevée de femmes dans leurs
parlements que ceux appliquant un système de scrutin majoritaire
. Les systèmes électoraux
mixtes (par exemple, les systèmes mixtes avec compensation proportionnelle)
semblent plus favorables à la représentation parlementaire des femmes
que les systèmes majoritaires, mais moins propices à l’élection
de femmes que les systèmes de représentation proportionnelle traditionnels
.
J’ajouterai que les systèmes majoritaires sont en réalité moins
favorables à toutes les candidatures «atypiques» – en d’autres termes,
à toutes les candidatures autres que celles d’hommes blancs d’âge
mûr et de classe moyenne ayant une bonne éducation. Choisir un système
électoral plus propice à la représentation des femmes devrait donc automatiquement
servir également les candidatures de jeunes ou de personnes âgées,
immigrées, etc.
8. Dans la majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe,
les parlementaires sont élus à la représentation proportionnelle
dans des circonscriptions plurinominales (plutôt qu’uninominales).
En général, les circonscriptions plurinominales sont jugées plus
favorables à la désignation et à la représentation des femmes que
les circonscriptions uninominales
.
La raison avancée est que les circonscriptions plurinominales permettent
d’équilibrer les listes des partis et, de ce fait, représentent
divers intérêts internes aux partis, renforcent la cohérence des
partis et attirent les votes des électrices
.
9. La taille des circonscriptions plurinominales semble aussi
jouer un rôle. D’aucuns estiment que plus elles sont grandes, plus
les femmes ont de chances d’être désignées comme candidates et élues
. Reste que la taille d’un parti – c’est-à-dire
le nombre de sièges que le parti gagne ou compte gagner dans telle
ou telle circonscription – joue parfois un rôle encore plus grand.
Il semble, en effet, que seuls les partis prévoyant de remporter
plusieurs sièges dans une circonscription pratiquent vraiment l’équilibrage
des candidatures (ce qui est favorable aux candidates)
.
10. Les seuils légaux – qui fixent la proportion minimale des
suffrages que doit recueillir un parti pour se voir attribuer des
sièges – ne doivent pas normalement favoriser la représentation
féminine, car les petits partis pouvant représenter les intérêts
des femmes sont exclus de la représentation parlementaire. Toutefois,
dans la pratique, grâce au seuil légal, seuls les partis de taille
relativement importante accèdent au parlement – ils profitent même
de l’exclusion des petits partis. Or, comme ils ont davantage de
place sur leur liste de candidats, ils peuvent plus facilement désigner
des femmes et leur permettre d’obtenir un mandat
. Cependant, l’Assemblée est critique envers
des seuils légaux de plus de 3 % pour d’autres raisons, liées à
une représentation juste et démocratique. Je laisserai la question
des seuils à mon collègue rapporteur de la commission des questions
politiques, M. Daems, car je présenterai mon rapport conjointement
à son rapport plus général, qui traite notamment des seuils, au
cours d’un débat commun lors de la partie de session de janvier
2010 de l’Assemblée.
11. Alors que, dans les systèmes à scrutin majoritaire des circonscriptions
uninominales, seules les candidatures individuelles sont possibles,
dans les scrutins à la représentation proportionnelle, les électeurs se
voient proposer différents types de listes: bloquées, ouvertes ou
libres. Avec les listes bloquées, les partis politiques déterminent
l’ordre dans lequel leurs candidats se verront attribuer des sièges
éventuels, et l’électeur approuve l’intégralité de la liste sans
pouvoir modifier cet ordre. En revanche, avec les listes ouvertes, l’électeur
peut exprimer sa préférence pour des candidats particuliers, modifiant
ainsi l’ordre de placement sur la liste. Avec les listes libres,
l’électeur peut même choisir entre des candidats de différentes
listes. Quel est le type de liste le plus avantageux pour la représentation
des femmes? Tout dépend s’il existe des quotas par sexe concernant
l’ordre de placement et s’ils sont effectivement mis en œuvre –
auquel cas les listes bloquées semblent plus avantageuses –, mais
aussi dans quelle mesure les femmes s’organisent et mènent une campagne
active en faveur du vote pour les candidates – auquel cas le vote
de préférence ne sera pas forcément contraire à l’intérêt des femmes
.
12. Le Conseil de l’Europe vient de publier un document d’information
intitulé «Démocratie paritaire – Bien loin de la réalité», une étude
comparée des résultats du premier et du deuxième cycle de suivi
de la Recommandation Rec(2003)3 du Comité des Ministres sur la participation
équilibrée des femmes et des hommes à la prise de décision politique
et publique
.
Cette étude comprend également une brève analyse du rôle éventuel
joué tant par le système électoral que par les lois ou les dispositions
réglementaires concernant les quotas dans la représentation des
femmes au parlement. Pour l’essentiel, il parvient aux mêmes conclusions
que la Commission de Venise en ce qui concerne l’impact des systèmes
électoraux («d’après les données communiquées, les systèmes qui
semblent favoriser une plus grande participation des femmes dans les
deux études sont les systèmes de représentation proportionnelle»
), mais il manque de données pour procéder
à une évaluation effective de l’incidence de la réglementation concernant
les quotas
.
3. L’impact des quotas
par sexe associés aux systèmes électoraux
13. La Commission de Venise considère que les quotas
électoraux par sexe peuvent être une mesure adéquate et légitime
pour améliorer la représentation parlementaire des femmes. J’ajouterais
que les arguments contre les quotas par sexe manquent même de fondement
légitime de base si l’on considère que, dans de nombreux Etats membres,
des quotas par région/langue/nationalité et/ou des quotas socioprofessionnels
sont acceptés et appliqués. Ces dernières années, un nombre impressionnant
de pays à travers le monde ont adopté des quotas électoraux par
sexe, et encore plus nombreux sont les pays où les partis politiques
appliquent, en plus ou à la place des quotas légaux, des quotas
volontaires
. Il convient cependant de faire ici un
avertissement: tous les quotas ne sont pas les mêmes. La véritable
différence entre les différents types de quotas n’est pas vraiment
de savoir s’ils sont obligatoires ou non, mais plutôt de se demander
s’ils sont axés sur les moyens ou sur les résultats
, s’ils sont ou non
précis dans le détail (ordre de placement sur les listes et sanctions)
en fonction de la situation d’un pays.
14. A ce jour, dix Etats membres du Conseil de l’Europe ont adopté
des quotas légaux obligatoires pour les parlements nationaux
,
mais ces quotas varient considérablement quant au pourcentage minimal
fixé pour chaque sexe (de 15 à 40 %). Quelques pays prévoient aussi
l’ordre des candidats sur les listes
, mais aucun de ces quotas légaux n’impose
un «système d’alternance hommes/femmes», qui veut qu’un candidat
sur deux soit une femme. Les sanctions légales en cas de non-respect
peuvent consister en un refus de la liste – sanction la plus efficace
(Arménie, «l’ex-République yougoslave de Macédoine», Serbie, Slovénie
et Espagne) –, en une limitation du nombre de candidats (Belgique),
ou en une réduction du financement public (Albanie, France et Portugal)
. L’impact
de
facto des quotas légaux sur la représentation féminine
au parlement a varié selon leur rigueur (pourcentage minimal fixé)
et la sanction appliquée. En France, par exemple, des partis politiques
préféraient accepter la perte massive du financement public que
de respecter les quotas légaux par sexe
.
15. Dans une trentaine d’Etats membres du Conseil de l’Europe,
un ou plusieurs partis politiques ont adopté des quotas volontaires
afin de garantir la désignation d’une certaine proportion de candidates
–presque toujours des partis verts, socialistes ou de gauche. Comme
pour les quotas légaux, la rigueur des quotas varie – généralement,
le minimum requis pour le sexe sous-représenté se situe entre 20
et 40 %. Néanmoins, un certain nombre de partis imposent sur leur
liste un quota de 50 % de femmes
. En matière de quotas, les partis opérant
en dehors de systèmes électoraux à représentation proportionnelle
ont innové, notamment avec les listes restreintes composées uniquement
de femmes (Parti travailliste britannique) ou le jumelage de circonscriptions
(Parti travailliste écossais). Le parti socialiste du Portugal a
même été jusqu’à rendre obligatoire un quota hommes/femmes de 33 %
pour tous les partis et à toutes les élections, exportant ainsi
le quota volontairement consenti en son sein à tous les autres partis
alors qu’il était au pouvoir, une prouesse qui lui a valu le premier
prix de l’égalité de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
en 2009
.
16. Il est intéressant de noter que, dans certains pays appliquant
uniquement des quotas volontaires au niveau des partis, la représentation
parlementaire des femmes est relativement élevée. En règle générale,
plus les partis appliquant volontairement des quotas par sexe sont
importants, plus l’impact de ces mesures est fort. Toutefois, les
quotas volontaires appliqués au niveau des petits partis peuvent
aussi avoir un impact sur la représentation des femmes, étant donné
l’effet de «contagion» sur les partis concurrents de même idéologie politique,
qui peuvent alors se sentir obligés de suivre l’exemple pour rester
compétitifs dans la course électorale
.
4. Considérations
supplémentaires
17. La Commission de Venise conclut donc que, en théorie,
la représentation parlementaire des femmes est particulièrement
favorisée par le système électoral suivant: scrutin de liste proportionnel
dans une grande circonscription et/ou une circonscription recouvrant
l’ensemble du territoire national avec un seuil légal, des listes
bloquées et un quota obligatoire prévoyant non seulement une forte
proportion de candidates, mais également des règles strictes de
placement de ces candidates sur les listes (dans le cadre, par exemple,
d’un système d’alternance hommes/femmes), et des sanctions efficaces
en cas de non-respect
.
18. Il serait tentant, bien sûr, d’adopter cette recette et de
l’appliquer à tous les Etats membres du Conseil de l’Europe. Malheureusement,
cela ne fonctionnerait sans doute pas… Non que la recette soit mauvaise,
mais la volonté politique fait défaut. Pour bon nombre d’Etats membres
– et même encore moins pour certains partis politiques –, la représentation
des femmes en politique n’est pas précisément, tant s’en faut, une
priorité. Tous les Etats membres du Conseil de l’Europe n’ont pas
assorti leurs dispositions relatives à l’égalité entre les femmes
et les hommes ou la lutte contre la discrimination, dans leurs Constitutions
et dans leurs autres textes législatifs pertinents, des exceptions
nécessaires permettant des mesures de discrimination positive en
faveur du sexe sous-représenté. Ainsi, le Labour Party britannique,
qui a reçu le deuxième prix de l’Assemblée sur l’égalité entre les
femmes et les hommes, a été contraint de changer la loi quand il
était au gouvernement afin qu’il soit possible de continuer d’appliquer
le système novateur des listes composées uniquement de femmes au
sein de son parti.
19. Le vrai moteur est la volonté politique de féminiser le monde
politique. Si cette volonté existait, il n’y aurait pas de besoin
de quotas. Mais comme elle fait défaut, les quotas peuvent suppléer
à la forte volonté politique nécessaire, et donneront des résultats
à condition que la réglementation légale ou interne soit complète.
Malheureusement, peu d’électeurs ont conscience que les quotas sont
en réalité la réponse à l’absence de volonté politique. Dans un
sondage réalisé en mars 2009, 70 % des femmes à travers l’Union européenne
souhaitaient voir 50 % de femmes au parlement, mais seulement 10 %
des femmes et 12 % des hommes voyaient les quotas comme la solution
.
20. Comme l’a indiqué le professeur Drude Dahlerup de l’université
de Stockholm
, cela s’explique par le fait qu’en
matière de sous-représentation, bon nombre de gens continuent de
blâmer les femmes elles-mêmes plutôt qu’un système politique qui
les exclut et où elles sont l’objet de discriminations. La croyance
que les quotas hommes/femmes sont inutiles repose sur l’idée qu’il
n’y a pas suffisamment de femmes compétentes souhaitant s’engager
en politique et que les électrices ne votent pas pour des femmes
candidates. Or, dans les faits, ce sont les électeurs masculins
qui ne votent pas pour des femmes candidates, et la formation intellectuelle
et les qualifications des femmes sont, surtout en Europe, depuis
longtemps au niveau de celles des hommes, quand elles ne les dépassent
pas. Le vrai problème reste la bonne vieille discrimination à l’égard des
femmes, et contre cela, seule la discrimination positive peut changer
les choses, y compris par le biais de quotas hommes/femmes au niveau
des élections et des partis politiques, comme en témoignaient, il
y a près de quinze ans déjà, les Accords de Beijing.
21. De surcroît, comme l’a souligné la Commission de Venise, les
mesures visant à améliorer la représentation des femmes peuvent
parfois entrer en conflit avec d’autres objectifs – par exemple,
garantir une représentation parlementaire équitable des petits partis
et améliorer la relation entre les électeurs et leurs représentants.
Conclusion de la Commission de Venise: «Pour renforcer efficacement
la représentation descriptive et substantielle des femmes en politique,
la réforme de la législation électorale ne saurait suffire; une
approche beaucoup plus large et plus complète s’impose. Néanmoins,
une telle réforme – à condition d’être bien conçue et efficace –
peut faciliter un tel processus.»
22. L’enquête UIP que j’ai citée plus haut contient peut-être
quelques-unes des réponses concernant l’approche globale requise.
L’UIP part du principe qu’il existe un lien fondamental entre la
démocratie et un véritable partenariat femmes-hommes dans la gestion
des affaires publiques et que, par conséquent, il faut mettre un
terme à la traditionnelle mise à l’écart des femmes des structures
étatiques qui déterminent les priorités politiques et législatives
. Les femmes butent contre des obstacles
à plusieurs niveaux.
a. Avant tout,
elles doivent décider de s’engager dans l’arène politique, et être
en mesure de le faire.
b. Pour prétendre siéger au parlement, elles doivent persuader
leurs partis politiques (ou les responsables de ces partis) de les
présenter comme candidates.
c. Elles doivent remporter l’élection.
23. Dans l’étude UIP, les parlementaires interrogés désignent
les responsabilités familiales comme principal élément dissuasif
à l’engagement des femmes dans l’arène politique – et, pour les
hommes, le manque d’appui de l’électorat. Les attitudes culturelles
dominantes constituent le deuxième facteur de poids pour dissuader
les femmes d’entrer en politique – et, ce qui n’a rien d’étonnant,
l’un des moins importants pour les hommes
. Pour que ces attitudes changent, l’ensemble
de la population doit être convaincue que les femmes font d’aussi bons
législateurs que les hommes: des campagnes de sensibilisation et
une éducation civique sensible au genre semblent donc s’imposer.
Des heures indues au parlement et un manque de structures pour la
garde des enfants pour les parlementaires peuvent en outre dissuader
les femmes de poser leur candidature.
24. Selon toutes les personnes interrogées, femmes et hommes confondus,
l’un des plus grands obstacles pour se présenter aux élections législatives
est financier: le mode de financement des campagnes semble donc
aussi mériter une attention particulière; par exemple, pour limiter
ou plafonner les dépenses de campagne, ainsi que pour déployer des
dispositifs de financement en faveur des candidatures féminines
. Les partis politiques – et leurs
décideurs – maintiennent un ferme contrôle sur la sélection des
candidats se présentant aux élections, ainsi que sur la détermination
de l’ordre des candidats sur les listes électorales. Ces «gardiens»
– en général, des instances fermées – entretiennent souvent des
réseaux d’anciens qui empêchent les femmes d’infiltrer la direction
des partis. En l’absence de règles claires (quotas, par exemple), la
sélection des candidats et la détermination de l’ordre de placement
sur les listes électorales sont donc souvent dominées par des responsables
masculins, ce qui entrave l’accès des femmes au corps législatif
. Pour que cette situation change, les
partis doivent plus s’ouvrir aux femmes et modifier leur perception
de la gente féminine – ce qui, selon l’enquête UIP, a plus de chances
de se produire lorsque les femmes sont bien organisées et font de
leur représentation au sein du parlement et des partis un objectif
explicite
.
25. Enfin, pour gagner les élections, les femmes doivent s’acquérir
l’adhésion des électeurs – y compris des électrices. Selon le rapport
de la Commission de Venise, les candidates aux élections législatives
obtiennent généralement d’aussi bons résultats que les candidats
dans les démocraties bien établies
. En clair, les partis politiques
qui refusent de présenter des femmes sont moins guidés par des raisons
rationnelles que par des stéréotypes sexospécifiques, voire sexistes
fallacieux.
5. Conclusions
et recommandations
26. De ce qui précède, nous pouvons établir les points
suivants:
a. les femmes restent encore
gravement sous-représentées en politique dans la majorité des Etats membres
du Conseil de l’Europe;
b. l’absence de représentation égale des femmes et des hommes
dans le processus de prise de décision politique et publique constitue
une menace pour la légitimité des démocraties et une violation du
droit fondamental à l’égalité hommes-femmes; il faut y remédier
en priorité;
c. le facteur le plus important entraînant la sous-représentation
actuelle des femmes en politique est lié à des attitudes, à des
usages et à des comportements qui déresponsabilisent les femmes,
les discriminent et les emprisonnent dans des rôles-modèles prescrits
et dans des stéréotypes selon lesquels elles «ne sont pas faites»
pour la prise de décision et la politique;
d. ces attitudes, usages et comportements influencent également
un paysage national institutionnel, politique et électoral. Mais,
inversement, un changement dans ce paysage peut aussi influer sur
les attitudes sociétales;
e. changer le système électoral pour le rendre plus favorable
à la représentation des femmes en politique, notamment en adoptant
des quotas par sexe, peut conduire à un processus de décision politique
et publique plus équilibré entre les sexes et, par là même, plus
légitime;
f. en théorie, la représentation parlementaire des femmes
est particulièrement favorisée par le système électoral suivant:
scrutin de liste proportionnel dans une grande circonscription et/ou
une circonscription recouvrant l’ensemble du territoire national
avec un seuil légal, des listes bloquées et un quota obligatoire
prévoyant non seulement une forte proportion de candidates, mais
également des règles strictes de placement de ces candidates sur
les listes (dans le cadre, par exemple, d’un système d’alternance
hommes/femmes) et des sanctions efficaces en cas de non-respect
(de préférence non financières, mais plutôt la non-acceptation de
candidats/listes de candidats).
27. Cette question était un des thèmes discutés par le Forum pour
l’avenir de la démocratie dédié aux systèmes électoraux, organisé
en octobre 2009 à Kiev (Ukraine). Les rapporteurs généraux du forum
ont conclu que les femmes devraient être représentées de manière
équitable à toutes les étapes du processus électoral: «Les préjugés
doivent être éliminés. Les Etats membres et les partis politiques
devraient prendre des mesures pour améliorer les conditions de participation
et de représentation des femmes tout au long du processus électoral.
Ces mesures devraient inclure une éducation civique prenant en compte
les questions homme/femme et l’adaptation éventuelle des systèmes
électoraux pour les rendre plus ouverts à la représentation des
femmes en politique, y compris par l’introduction de quotas pour
les candidatures.»
28. A sa dernière session plénière, le Congrès des pouvoirs locaux
et régionaux du Conseil de l’Europe a également abordé cette question
dans sa Recommandation 273 (2009) sur l’égalité d’accès aux élections locales
et régionales. Au paragraphe 4.b, le
Congrès recommande que le Comité des Ministres encourage les gouvernements
des Etats membres, «pour obtenir une représentation égale des genres,
à mettre en place un système électoral aux niveaux local et régional
assurant une alternance hommes-femmes sur des listes (avec un minimum
de 1 pour 3) et assorti, en cas de non-respect, de sanctions financières,
et permettre au genre sous-représenté d’accéder à des postes à responsabilité
au sein des exécutifs des municipalités et des régions». Cela signifie
que le Congrès est parvenu à des conclusions très comparables aux
miennes et à celles de la Commission de Venise, à l’exception des
sanctions: l’expérience a démontré qu’au plan national, certains partis
sont disposés à assumer de lourdes sanctions financières pour non-respect
des quotas contraignants hommes/femmes ; je plaide pour des sanctions
plus efficaces, c’est-à-dire le refus des listes de candidatures ou
de candidats.
29. Rappelons également qu’il y a six ans, le Comité des Ministres
a déjà recommandé aux Etats membres, «lorsque les systèmes électoraux
ont un impact manifestement négatif sur la représentation politique
des femmes dans les assemblées élues, [de] modifier ou réformer
ces systèmes afin de promouvoir une représentation équilibrée des
femmes et des hommes», une recommandation qui a été plusieurs fois
reprise par l’Assemblée, comme le rappelle l’introduction du présent
rapport. Par conséquent, il va sans dire que toutes ces recommandations
devraient être mises en œuvre sans plus tarder.
30. Il conviendrait dès lors de recommander aux Etats membres
du Conseil de l’Europe:
a. de changer
le système électoral pour le rendre plus favorable à la représentation
des femmes;
b. de veiller à assortir les dispositions de leur Constitution
et de leurs lois électorales relatives à l’égalité hommes-femmes
et à la lutte contre la discrimination des dérogations nécessaires
pour autoriser des mesures de discrimination positive en faveur
du sexe sous-représenté, si ce n’est pas encore le cas;
c. d’accompagner ces réformes de mesures telles qu’une éducation
civique égalitaire et l’élimination des infâmes clichés sexistes
et des préjugés contre les femmes candidates qui sont ancrés dans
les mentalités, non seulement dans les partis politiques mais aussi
dans les médias.
31. En dernier lieu, l’Assemblée devrait recommander au Comité
des Ministres d’envisager l’élaboration d’un protocole additionnel
à la Convention européenne des droits de l’homme afin d’y inscrire
le droit à l’égalité pour les femmes et les hommes, assorti des
dérogations nécessaires pour permettre des mesures de discrimination
positive en faveur du sexe sous-représenté.
Commission chargée du rapport: commission
sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes
Renvoi en commission:Doc. 11503, Renvoi
3417 du 14 avril 2008
Projet de résolution et projet de recommandation adoptés par
la commission le 30 novembre 2009.
Membres de la commission: Mme Pernille Frahm (Vice-Présidente), M. José Mendes Bota (1er Vice-Président),
Mme Ingrida Circene (2e Vice-Présidente), Mme Anna Čurdová (3e Vice-Présidente), Mme Sonja Ablinger, M. Francis Agius, M. Florin Serghei Anghel,
Mme Magdalina Anikashvili, M. John Austin,
M. Lokman Ayva, Mme Marieluise Beck, Mme Déborah Bergamini, Mme Oksana
Bilozir (remplaçante: Mme Olha Herasym’yuk),
Mme Rosa Delia Blanco Terán (remplaçante: Mme Luz Elena Sanín Naranjo), Mme Olena Bondarenko,
M. Han Ten Broeke, Mme Anna Maria Carloni, M. James Clappison, Mme Diana Çuli, M. Kirtcho Dimitrov, Mme Lydie Err, Mme Catherine Fautrier, Mme Mirjana Ferić-Vac, Mme Sónia Fertuzinhos, Mme Doris
Frommelt, Mme Alena Gajdůšková,
M. Giuseppe Galati, Mme Gisèle Gautier,
M. Neven Gosović, Mme Claude Greff, M. Attila Gruber, Mme Carina
Hägg, M. Håkon Haugli, Mme Francine John-Calame, Mme Nataša Jovanović,
Mme Charoula Kefalidou, Mme Birgen Keleş,
Mme Krista Kiuru, Mme Elvira Kovács, M. Terry Leyden, Mme Mirjana
Malić, Mme Assunta Meloni, Mme Nursuna Memecan,
Mme Dangutė Mikutienė, M. Burkhardt Müller-Sönksen, Mme Hermine
Naghdalyan, Mme Yuliya Novikova (remplaçant: M. Ivan Popescu), M. Mark Oaten, M. Kent Olsson, Mme Steinunn Valdis Óskarsdóttir,
Mme Antigoni Papadopoulos, Mme Mª del Carmen Quintanilla
Barba, M. Stanislaw Rakoczy, M. Frédéric Reiss, Mme Mailis Reps, Mme Maria Pilar Riba Font,
Mme Andreja Rihter, M. Nicolae Robu, Mme Marlene Rupprecht, Mme Klára Sándor, Mme Albertina
Soliani, Mme Tineke Strik, M. Michał Stuligrosz, Mme Doris Stump, Mme Elke Tindemans, M. Mihai
Tudose, M. Miltiadis Varvitsiotis, Mme Tatiana Volozhinskaya, M.
Paul Wille, Mme Betty Williams,
M. Gert Winkelmeier, Mme Gisela Wurm,
M. Andrej Zernovski, M. Vladimir Zhidkikh
N.B. Les noms des membres ayant participé à la réunion sont
indiqués en gras
Secrétariat de la commission: Mme Kleinsorge,
Mme Affholder, Mme Devaux