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Rapport | Doc. 12347 | 20 juillet 2010

Accès des femmes à des soins médicaux légaux: problème du recours non réglementé à l’objection de conscience

(Ancienne) Commission des questions sociales, de la santé et de la famille

Rapporteure : Mme Christine McCAFFERTY, Royaume-Uni

Origine -  Renvoi en commission: Doc. 11757, Renvoi 3516 du 26 janvier 2009. 2010 - Quatrième partie de session

Résumé

La pratique de l’objection de conscience se développe dans le domaine des soins de santé, lorsque des prestataires de soins de santé refusent d’assurer certains services en y opposant une objection religieuse, morale ou philosophique. Tout en reconnaissant le droit d’un individu à l’objection de conscience vis-à-vis de l’accomplissement d’un acte médical donné, la commission des questions sociales, de la santé et de la famille se préoccupe vivement de la montée de cette pratique qui, en grande partie, n’est pas réglementée, surtout dans le domaine de la santé reproductive, dans de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe.

Il y a une nécessité d’établir un équilibre entre l’objection de conscience d’un individu qui refuse d’accomplir un acte médical donné, d’une part, et la responsabilité professionnelle et le droit de chaque patient à recevoir un traitement légal dans un délai approprié, d’autre part.

L’Assemblée parlementaire devrait par conséquent inviter les Etats membres à élaborer des réglementations exhaustives et précises définissant et réglementant l’objection de conscience eu égard aux soins de santé et aux services médicaux, y compris les services de santé génésique, et à mettre en place un dispositif de supervision et de suivi de l’objection de conscience, associé à un mécanisme de recours effectif.

L’Assemblée devrait aussi recommander que le Comité des Ministres charge les comités directeurs compétents et/ou d’autres organes compétents du Conseil de l’Europe d’aider les Etats membres à développer ces réglementations et à mettre en place ces mécanismes de supervision et de suivi.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			 Projet
de résolution adopté par la commission le 22 juin 2010.

(open)
1. La pratique de l’objection de conscience se développe dans le domaine des soins de santé, lorsque des prestataires de soins de santé refusent d’assurer certains services en y opposant une objection religieuse, morale ou philosophique. Tout en reconnaissant le droit d’un individu à l’objection de conscience vis-à-vis de l’accomplissement d’un acte médical donné, l’Assemblée parlementaire se préoccupe vivement de la montée de cette pratique qui, en grande partie, n’est pas réglementée, surtout dans le domaine de la santé reproductive, dans de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe.
2. L’Assemblée souligne la nécessité d’établir un équilibre entre l’objection de conscience d’un individu qui refuse d’accomplir un acte médical donné, d’une part, et la responsabilité professionnelle et le droit de chaque patient à recevoir un traitement légal dans un délai approprié, d’autre part. L’Assemblée s’inquiète tout particulièrement de la manière dont la non-réglementation de cette pratique touche disproportionnellement les femmes, notamment celles qui ont de faibles revenus ou qui vivent dans les zones rurales.
3. Dans la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe, la pratique de l’objection de conscience est largement non réglementée ou l’est insuffisamment. Un encadrement juridique et politique exhaustif et précis de la pratique de l’objection de conscience par les professionnels de la santé, associé à un dispositif effectif de supervision et de recours, permettrait d’assurer que les intérêts et les droits tant des prestataires de soins de santé que des individus qui veulent accéder à des services médicaux légaux sont respectés, protégés et réalisés.
4. Etant donné l’obligation faite aux Etats membres d’assurer l’accès à des soins médicaux légaux et de protéger le droit à la santé, ainsi que l’obligation de garantir le respect du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion de chaque prestataire de soins de santé, l’Assemblée invite les Etats membres:
4.1. à élaborer des réglementations exhaustives et précises définissant et réglementant l’objection de conscience eu égard aux soins de santé et aux services médicaux, y compris les services de santé génésique:
4.1.1. qui garantissent le droit à l’objection de conscience seulement aux personnes prestataires de soins de santé directement concernées par la procédure médicale en question, et non aux institutions publiques/de l’Etat, comme les hôpitaux publics et les cliniques dans leur ensemble;
4.1.2. qui obligent les prestataires de soins de santé:
4.1.2.1. à fournir des informations aux patients sur toutes les options de traitement possibles (sans considération du fait que ces informations puissent inciter les patients à poursuivre un traitement auquel le prestataire de soins de santé est opposé);
4.1.2.2. à informer les patients en temps utile de toute objection de conscience à un acte, et à les envoyer chez un autre prestataire de soins de santé le cas échéant;
4.1.2.3. à s’assurer que les patients bénéficient d’un traitement approprié dispensé par le prestataire de soins de santé à qui les patients ont été adressés;
4.1.3. qui obligent le prestataire de soins de santé à administrer au patient le traitement qu’il souhaite et qu’il a légalement le droit de recevoir, malgré son objection de conscience en cas d’urgence (et notamment lorsque la santé ou la vie du patient est menacée), ou lorsqu’il n’est pas possible de diriger le patient vers un autre prestataire de soins de santé (en particulier en l’absence de praticien équivalent à une distance raisonnable);
4.2. à mettre en place un dispositif de supervision et de suivi de l’objection de conscience, associé à un mécanisme de recours effectif, afin d’assurer à toute personne, mais particulièrement aux femmes, la possibilité de recevoir des traitements adéquats dans un délai approprié, et de garantir la mise en œuvre et l’exécution effectives de la réglementation pertinente au sein des divers services de santé des Etats membres.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			 Projet
de recommandation adopté par la commission le 22 juin 2010.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution … (2010) sur l’accès des femmes à des soins médicaux légaux: le problème du recours non réglementé à l’objection de conscience et à sa Résolution 1607 (2008) sur l’accès à un avortement sans risque et légal en Europe.
2. L’Assemblée se préoccupe vivement de la montée de l’objection de conscience qui, en grande partie, n’est pas réglementée, surtout dans le domaine de la santé reproductive, qui pose problème pour l’accès des femmes à des soins médicaux légaux dans de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe.
3. L’Assemblée estime qu’il doit y avoir un équilibre entre le droit à l’objection de conscience d’un individu qui refuse d’accomplir un acte médical donné, d’une part, la responsabilité professionnelle et le droit de chaque patient à recevoir un traitement légal dans un délai approprié, d’autre part.
4. Par conséquent, l’Assemblée recommande que le Comité des Ministres:
4.1. invite les Etats membres à élaborer des réglementations exhaustives et précises définissant et réglementant l’objection de conscience eu égard aux soins de santé et aux services médicaux, y compris les services de santé génésique, ainsi qu’à mettre en place un dispositif de supervision et de suivi de l’objection de conscience, comme l’énonce la Résolution … (2010);
4.2. charge les Comités directeurs compétents et/ou d’autres organes compétents du Conseil de l’Europe d’aider les Etats membres à développer ces réglementations et à mettre en place ces mécanismes de supervision et de suivi.

C. Exposé des motifs, par Mme McCafferty, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le 14 octobre 2008, Mme Hägg (Suisse, Groupe socialiste) et plusieurs de ses collègues ont présenté une proposition de résolution intitulée «Accès des femmes à des soins médicaux légaux: problème du recours non réglementé à l’objection de conscience» (Doc. 11757). Cette proposition soulignait que, dans la majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe, la pratique de l’objection de conscience dans le domaine médical est non réglementée ou l’est insuffisamment. L’absence d’un cadre juridique et politique effectif et complet régissant la pratique de l’objection de conscience par les prestataires de soins de santé pourrait avoir de graves répercussions sur la santé et la vie des personnes dans un certain nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe. Les signataires du projet de résolution s’inquiètent tout particulièrement de la manière dont la non-réglementation de cette pratique touche disproportionnellement les femmes, notamment celles qui ont de faibles revenus ou qui vivent dans les zones rurales.
2. La proposition de résolution a été transmise à cette commission pour rapport (qui m’a désignée comme rapporteur) et à la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes, pour avis (qui a désigné Mme Circene, Lettonie, PPE/DC, rapporteuse pour avis). La commission des questions sociales, de la santé et de la famille a organisé un échange de vues avec deux experts sur cette question 
			(3) 
			 Dr Christian
Fiala, président de la Fédération internationale des professionnels
de l’avortement et de la contraception, et Mme Christina
Zampas, Responsable régionale et conseillère juridique pour l’Europe
du Centre des droits reproductifs (New York/Stockholm). à sa réunion à Paris le 13 novembre 2009, et a tenu un nouvel échange de vues à Paris le 4 juin 2010 avec deux autres experts 
			(4) 
			 Mme Eugenia
Roccella, sous-secrétaire d’Etat au ministère du Travail, de la
Santé et des Politiques sociales (Italie), et Mme Joanna
Mishtal, Ph.D., professeur adjoint, Département d’anthropologie,
université de Floride centrale (Etats-Unis d’Amérique).. Ce rapport a aussi mis à profit la visite d’information que j’ai effectuée en juin 2009 en Autriche et en République tchèque, ainsi que l’expertise de Mme Christina Zampas, que je tiens à remercier pour sa contribution à ce rapport.
3. A la lumière de ces éléments, et après avoir proposé une définition succincte du phénomène, je souhaite examiner le droit international et européen en matière de droits de l’homme et les normes médicales internationales sur ce point. Je me pencherai ensuite sur les différents aspects de la question, en les illustrant par les pratiques de l’objection de conscience dans différents Etats membres et donnerai des exemples des répercussions que cette absence de réglementation peut avoir sur la santé et la vie des personnes. Enfin, je voudrais suggérer des lignes d’action à suivre aux niveaux national et européen.

2. Les différents aspects de l’objection de conscience

4. L’objection de conscience dans le domaine médical s’appuie généralement sur les convictions personnelles et les valeurs éthiques des professionnels de la médecine dans différentes catégories (prestataires de soins de santé). Leurs convictions, souvent liées à la religion, peuvent les rendre peu disposés à donner certaines informations et à fournir certains services médicaux. Citons, par exemple, certains services de planning familial et technologies de la reproduction, l’avortement sûr lorsqu’il est légal, et le soulagement de la douleur par des moyens abrégeant la vie des patients arrivés au stade terminal de leur maladie 
			(5) 
			 Bernard
Dickens, «The art of medicine. Conscientious commitment», <a href='http://www.thelancet.com/'>www.thelancet.com</a>, vol. 371, 12 avril 2008..
5. Le phénomène de l’objection de conscience dans le domaine médical est une question très controversée et ne s’appréhende qu’en fonction de différents facteurs juridiques et sociaux dans un contexte national donné. Le débat sur la question est motivé par le souhait de trouver un équilibre entre, d’une part, le droit des médecins à ne pas agir contrairement à leurs convictions et, d’autre part, le droit des patients à avoir accès à des procédures médicales légales.
6. Les adversaires de l’objection de conscience avancent que la conscience d’un professionnel de la médecine n’a guère de place dans la prestation des soins médicaux modernes. D’aucuns pensent même que, si les prestataires de soins de santé ne sont pas prêts à dispenser des soins légaux, efficaces et salutaires à un patient parce qu’ils sont contraires à leurs valeurs, ils ne devraient pas pratiquer la médecine ni des professions apparentées. Dans le droit-fil de cette position, la porte ouverte à une «médecine dictée par les valeurs» est souvent considérée comme l’ouverture de la boîte de Pandore d’une médecine particulariste, sectaire et discriminatoire. Les partisans de cette position défendent souvent l’idée que les médecins qui empêchent la fourniture de services médicaux aux patients pour des motifs de conscience devraient être sanctionnés par l’interdiction d’exercer ou d’autres mécanismes légaux.
7. L’argument en faveur de l’objection de conscience est que son interdiction porte préjudice aux prestataires de soins de santé et limite leur autonomie. Indépendamment de la position à adopter sur la question globalement, on pense généralement que les prestataires de soins de santé qui opposent une objection de conscience à certaines interventions médicales ne devraient pas être marginalisés professionnellement 
			(6) 
			 Conscientious objection
and doctors’personal beliefs (Objection de conscience et convictions
personnelles des médecins), British Medical Association (BMA – ordre
des médecins britannique), 2007.. Pour assurer l’accès des patients à des services médicaux légaux, les prestataires de soins de santé devraient néanmoins être obligés, également par la loi, d’adresser les patients à des collègues acceptant de fournir le service en question. Il est particulièrement inquiétant que cette pratique reste rare.
8. Dans le cadre de ce rapport, il importe de noter que la plupart des exemples donnés concernent la santé reproductive, domaine où le recours à l’objection de conscience est le plus fréquent, et touchent principalement les femmes. Toutefois, les normes de l’accès aux soins médicaux, qu’illustrent les exemples donnés, sont applicables à toutes les situations où un prestataire de soins de santé oppose une objection.

3. L’objection de conscience dans le droit international et européen des droits de l’homme et dans les normes médicales internationales

9. Le droit international et européen en matière de droits de l’homme reconnaît le droit de la personne à la liberté de religion, de conscience et de pensée ainsi que l’obligation de l’Etat à respecter ce droit. Il incombe aussi aux Etats d’assurer l’accès à des services médicaux légaux, et notamment aux services de santé reproductive. Lorsque ces deux obligations sont en conflit, les Etats devraient veiller à ce que le refus d’un prestataire de dispenser des soins médicaux ou de fournir des produits de santé ne gêne ni n’empêche indûment l’accès des patients aux services de santé auxquels ils ont légalement droit 
			(7) 
			 Voir Déclaration universelle
des droits de l’homme; Pacte international relatif aux droits civils
et politiques (PIRDCP); Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels (PIRDESC) et Convention des Nations Unies sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW)..
10. Les organes conventionnels internationaux en matière de droits de l’homme, comme le Comité des Nations Unies sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, qui contrôle si les Etats se conforment à la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), ont affirmé à maintes reprises que les Etats ont l’obligation positive de réglementer l’invocation de l’objection de conscience par les professionnels de santé pour veiller à ce que l’accès des femmes à la santé et à la santé génésique ne soit pas limité 
			(8) 
			 Rapport du Comité
CEDAW des Nations Unies, 2008.. Globalement, la réglementation du droit à l’objection de conscience devrait mettre en œuvre le droit des hommes et des femmes à être informés et à avoir accès à des méthodes sûres, efficaces, abordables et acceptables de planification familiale de leur choix, ainsi qu’à d’autres méthodes de leur choix pour la régulation de la fécondité, qui n’enfreignent pas la loi 
			(9) 
			 Rapport
de la Conférence internationale sur la population et le développement..
11. Au niveau européen, l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, et prévoit que ce droit «ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publique, ou à la protection des droits et libertés d’autrui». Cette limitation du droit à l’objection de conscience a été expressément reconnue par la Cour européenne des droits de l’homme dans le cadre de l’accès aux contraceptifs 
			(10) 
			 Voir Pichon et Sajous c. France, Cour
européenne des droits de l’homme, Requête no 49853/99
(décision sur la recevabilité), et Adriana Lamacková, «Conscientious
Objection in Reproductive Healthcare: Analysis of Pichon and Sajous v. France»,European
Journal of Health Law, 15, 2008..
12. Le droit international en matière de droits de l’homme prévoit que les Etats ont l’obligation de veiller à ce que l’exercice par les prestataires de soins de santé de l’objection de conscience ne nuise pas à la santé ni aux droits de leurs patients. Ainsi, la réglementation du droit à l’objection de conscience doit veiller à assurer le fonctionnement des procédures administratives qui offrent des alternatives immédiates aux femmes au cas où une objection de conscience leur refuserait l’accès à une procédure légale 
			(11) 
			 Voir Recommandation
générale de la CEDAW concernant les femmes et la santé, no 24,
1999, paragraphe 11. .
13. Les règles de déontologie médicale internationales, telles que celles qui ont été établies par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et la Fédération internationale de gynécologie et d’obstétrique (FIGO) donnent des orientations supplémentaires sur la réglementation du droit à l’objection de conscience. L’OMS et la FIGO demandent à ce que les praticiens qui refusent, pour des motifs de conscience, d’accomplir une procédure ont le devoir d’adresser le patient à un autre prestataire ne s’y refusant pas. Ces praticiens ont aussi le devoir de traiter une personne dont la vie ou la santé est immédiatement en jeu, et de prodiguer des soins en temps voulu lorsque l’envoi du patient à d’autres praticiens ou un retard nuiraient à la santé et au bien-être du patient.
14. S’agissant des hôpitaux et des prestataires de service indirects, l’OMS énonce clairement que les directeurs d’établissements hospitaliers doivent veiller à ce qu’un personnel formé, quelles que soient ses idées, «est disponible à tout moment» pour intervenir en cas de complications à la suite d’un avortement 
			(12) 
			. OMS,
Département de santé et recherche génésiques, «Complications des
avortements: directives techniques et gestionnaires pour Ia prévention
et le traitement», 1995., et qu’un hôpital, une clinique ou un centre de santé publique ne saurait mettre en danger la vie ou la santé des femmes en leur refusant des services autorisés par la loi 
			(13) 
			 Voir
OMS, «Avortement médicalisé: directives techniques et stratégiques
à l’intention des systèmes de santé», 2003.. Enfin, la FIGO affirme que les médecins ont «l’obligation éthique, à tout moment, de prodiguer des soins et de prévenir les dangers» 
			(14) 
			 FIGO, Résolution sur
l’objection de conscience, 2006..

4. Réglementation et pratiques dans les Etats membres du Conseil de l’Europe

15. De nombreux Etats membres ont adopté des lois, des codes d’éthique et, occasionnellement, des règlements ou des lignes directrices garantissant le droit à l’objection de conscience dans le cadre de la santé, et les tribunaux nationaux de certains pays ont développé une jurisprudence sur cette question. Toutefois, de nombreux pays confrontés à des problèmes concernant l’objection de conscience dans le cadre de la santé ne disposent pas de cadre juridique et politique global et effectif, ni de mécanisme de surveillance pour régir la pratique de l’objection de conscience par les prestataires de soins de santé.
16. Dans certains Etats membres, la Constitution protège la liberté de conscience sans que ce droit ne soit mieux précisé. D’autres Etats ne reconnaissent le droit à l’objection de conscience que pour une procédure médicale spécifique. Certains pays ne réglementent pas cette pratique du tout 
			(15) 
			 Andorre,
la Lettonie, Malte, le Monténégro, «l’ex-République yougoslave de
Macédoine» et la Suède ne réglementent pas l’objection de conscience.
En Suède, on se montre accommodant envers les prestataires de soins
de santé et il semble que se posent quelques problèmes pour réaliser
un équilibre entre les droits des prestataires de soins de santé
et les droits de la femme. , alors que d’autres mettent en œuvre le cadre réglementaire de l’objection de conscience de manière insatisfaisante 
			(16) 
			 Il
existe des éléments de preuve pertinents pour la Pologne, la Slovaquie
et l’Italie, par exemple..
17. Les prestataires de soins de santé qui invoquent l’objection de conscience ont certaines obligations légales et éthiques qui visent à protéger le patient. Les Etats doivent veiller à ce que la réglementation sur l’objection de conscience énonce clairement ces obligations. L’absence de cadre juridique et politique effectif dans certains Etats membres empêche des personnes d’avoir accès aux services de santé auxquels elles ont droit, ce qui enfreint, entre autres, leur droit à bénéficier des services de santé et leur droit à la vie privée, et constitue potentiellement une violation de l’obligation de soins et un abandon du patient 
			(17) 
			 Voir, généralement,
Rebecca J. Cook, Monica Arango Olaya, Bernard M. Dickens, «Healthcare
Responsibilities and Conscientious Objection», International Journal of Gynecology and Obstetrics,
104, 2009..

4.1. Obligation d’assurer la disponibilité et l’accessibilité des services de santé légaux par un personnel qualifié

18. Conformément au droit international des droits de l’homme et aux normes médicales internationales, les pays ont l’obligation d’assurer la disponibilité et l’accessibilité des services de santé reproductive et sexuelle de qualité en employant notamment un personnel disponible et prêt à fournir avec compétence ces services dans un délai et dans un rayon géographique appropriés 
			(18) 
			 Voir PIRDCP, CEDAW
et OMS..
19. La réglementation sur l’objection de conscience doit prévoir des procédures claires dans les établissements de soins à l’intention du personnel médical afin que celui-ci puisse faire part à l’avance de son refus de fournir certains services; citons notamment la création d’un registre des objecteurs de conscience. Elle doit aussi spécifier clairement les obligations des prestataires de soins de santé objecteurs (voir les alinéas ci-dessous sur les obligations spécifiques). Les objecteurs doivent prouver que leur objection se fonde sur leurs convictions religieuses ou leur conscience et que leur refus est de bonne foi 
			(19) 
			 Réseau
d’experts indépendants en matière de droits fondamentaux de l’Union
européenne, Le droit à l’objection de conscience
et la conclusion par des Etats membres de l’UE de concordats avec
le Saint-Siège, 2005..
20. De nombreux pays réglementent uniquement, ou surtout, l’objection de conscience dans le cadre de l’avortement, en reconnaissant qu’il s’agit d’une des procédures médicales les plus courantes auxquelles les prestataires de soins de santé peuvent opposer une objection de conscience. C’est pourquoi les exemples donnés et nombre de questions soulevées portent sur le contexte de l’avortement. Par exemple, en Croatie, certains médecins opposeraient une objection à pratiquer l’avortement mais offriraient aux patientes de se faire avorter dans un cadre privé pour des motifs financiers. En Norvège, la réglementation sur l’objection de conscience impose aux prestataires de soins de santé de signaler par écrit à l’hôpital qui les emploie qu’ils refusent de pratiquer l’avortement, et aux hôpitaux de le signaler à leur tour aux autorités gouvernementales. En Slovénie, la loi sur les services de santé autorise l’objection de conscience conformément aux règles internationales en la matière. La loi demande aux professionnels de santé de déclarer leur objection de conscience à leur employeur et à celui-ci de veiller à ce que les droits des patients aux soins de santé puissent être exercés «sans perturbation». Ainsi les Etats membres peuvent faire en sorte de disposer de professionnels médicaux disposés à fournir ces services de santé.
21. Certains pays ont organisé leur système de santé et de recrutement de manière à disposer de médecins prêts à fournir ces services et capables de le faire. Par exemple, les lignes directrices sur la nomination des médecins à des postes hospitaliers publiées par le National Health Service au Royaume-Uni recommandent que l’interruption de grossesse fasse partie des fonctions du poste à pourvoir si des services adéquats d’interruption de grossesse «ne peuvent autrement être disponibles», que le descriptif de l’emploi énonce expressément ces obligations en matière d’interruption de grossesse, et que les candidats soient «prêts à s’acquitter de toutes les tâches qui peuvent leur être demandées s’ils sont nommés», y compris celles liées à l’interruption de grossesse 
			(20) 
			 Royaume-Uni,
NHS Guidelines Appointment of doctors to hospital posts: termination
of pregnancy (Lignes directrices sur la nomination des médecins
à des postes hospitaliers: interruption de grossesse), NHS Executive HSG(94)39, 14 septembre
1994..
22. D’autres contextes où l’aspect de l’objection de conscience peut entrer en jeu sont les «situations de fin de vie» et le domaine de la reproduction assistée. Concernant le premier, les médecins doivent généralement traiter les patients au mieux de leurs intérêts et notamment leur dispenser des traitements si des possibilités de rétablissement existent. L’euthanasie est interdite par la loi dans nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe comme en Autriche, pays examiné aux fins du présent rapport. Les règles de la profession imposent généralement aux professionnels de la médecine l’obligation de soulager la douleur. L’absence d’un cadre législatif clair rend, cependant, les décisions des médecins difficiles. La crainte que les prestataires de soins de santé ont des procès et des contestations les amène souvent à prendre des mesures de prolongement de la vie. Concernant cette thématique, référence doit être faite à la Résolution 1649 (2009) sur les soins palliatifs, basée sur un rapport préparé par Wolfgang Wodarg (Allemagne, SOC), qui constate «qu’un Etat de droit libéral ne saurait laisser en suspens des questions éthiques touchant à la vie et à la mort d’êtres humains».
23. Conformément à la loi autrichienne de 2006 sur des testaments de vie, les patients peuvent refuser à l’avance un traitement dans des situations de fin de vie. Cette disposition est une condition préalable idéale pour éviter que soit réclamée une législation sur l’euthanasie; elle facilite aussi au personnel médical les rapports avec les membres de la famille, qui peuvent avoir des avis conflictuels. Enfin, elle crée de meilleures conditions pour les personnes qui veulent mourir dans la dignité. Concernant ce problème et comme suite donnée à la Résolution 1649 (2009), la commission prépare actuellement un rapport sur le sujet «Testaments de vie et protection de la santé et des droits de l’homme».
24. Le domaine de la reproduction assistée a été réglementé par un certain nombre d’Etats membres. Des lois pertinentes ont, par exemple, été introduites en République tchèque récemment. La reproduction assistée y est permise pour les couples hétérosexuels avec consentement préalable des donneurs. Trois cycles seraient généralement pris en charge par les assurances maladie, afin que même des personnes pauvres puissent accéder au traitement et être intégralement remboursées. Les donneurs anonymes sont autorisés mais ne sont pas payés. La gestation pour autrui n’est pas autorisée du tout. Le phénomène de l’objection de conscience individuelle est, cependant, moins problématique dans ce domaine, étant donné que seuls les centres spécialisés proposent de tels traitements. La question principale relève de l’éthique (collective) telle qu’elle s’exprime par les limites légales définies par rapport à des situations spécifiques (couples homosexuels, donneurs anonymes, gestation pour autrui, etc.).

4.2. L’objection de conscience s’applique aux individus et non aux institutions

25. Conformément au droit international en matière de droits de l’homme, le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion est un droit individuel et, partant, ne saurait être revendiqué par des institutions telles que les hôpitaux. Les établissements de santé, en tant qu’organismes publics, ont le devoir de fournir des soins de santé légaux à la population.
26. En France, une décision du Conseil constitutionnel reconnaît que l’objection de conscience est un droit accordé aux individus et non aux institutions, et confirme l’abrogation d’articles du Code de la santé publique, qui permettraient aux chefs de service des établissements de santé publique de s’opposer à ce que l’avortement soit pratiqué dans leur service. Le Conseil constitutionnel a expliqué clairement que la liberté de conscience concerne la conscience de l’individu et non celle d’une institution ou d’un service.
27. En Allemagne, le Tribunal administratif fédéral a soutenu la décision de la Cour suprême administrative bavaroise en indiquant que les hôpitaux publics devaient pratiquer des avortements et permettre aux femmes de réaliser leur droit à l’avortement conformément à la loi.

4.3. Obligations des prestataires de soins de santé

28. La réglementation sur l’objection de conscience dans le cadre des soins de santé reconnaît le droit des prestataires de soins de santé à opposer une objection à certaines procédures de soins, mais leur impose aussi certaines obligations pour que les patients puissent recevoir les soins médicaux dont ils ont besoin et qu’ils ont légalement le droit de recevoir. Ces obligations comprennent le devoir de fournir des informations au patient sur toutes les possibilités de traitement disponibles, indépendamment du fait que cette information puisse inciter le patient à poursuivre le traitement auquel s’oppose le prestataire des soins de santé.
29. Les prestataires de soins de santé ont aussi l’obligation d’aviser dans un délai approprié les patients de toute objection de conscience à une procédure et de les adresser, dans ce cas, à un autre prestataire de soins de santé. En outre, l’objecteur de conscience a le devoir de veiller à ce que tout patient qu’il adresse à un autre prestataire de soins de santé bénéficie de la part de celui-ci d’un traitement de qualité. Dans les cas où il n’est pas possible d’adresser le patient à un autre prestataire de soins de santé ou dans les cas d’urgence, l’objecteur de conscience doit aussi dispenser le traitement souhaité auquel le patient a légalement droit.

Droit du patient à l’information

30. La réglementation sur l’objection de conscience ne s’applique qu’aux services médicaux; un prestataire de soins de santé ne saurait invoquer son droit à l’objection de conscience pour ce qui est de l’information. Même s’ils opposent une objection à fournir certains services, les prestataires de soins de santé sont tenus de donner des informations exactes et impartiales sur toutes les procédures médicales légalement disponibles, et notamment sur les risques, les avantages et les alternatives au traitement, pour que le patient puisse faire un choix éclairé sur le traitement à prendre. Pour permettre au patient de prendre des décisions éclairées sur son traitement, les prestataires de soins de santé doivent fournir à tous les patients un service de diagnostic, comme les examens prénatals dépistant les anomalies fœtales, même si les résultats de cette procédure peuvent amener le patient à commettre un acte contre lequel ils ont une objection.
31. En outre, au Royaume-Uni, les lignes directrices du Conseil médical général indiquent que, si un médecin oppose une objection de conscience à certains services, il doit veiller à ce que le patient ait suffisamment d’informations sur les options thérapeutiques disponibles. Le médecin doit discuter avec le patient des informations dont il dispose et dont le patient pourrait avoir besoin. De plus, le médecin a l’obligation de rencontrer personnellement ce patient et de lui communiquer les documents imprimés sur tous les traitements ou procédures auxquelles le médecin choisit d’opposer une objection de conscience 
			(21) 
			 Royaume-Uni, General
Medical Council, «Personal Beliefs and Medical Practice» (Convictions
personnelles et pratique médicale). .

Délai de notification au patient et obligation d’orientation

32. Les objecteurs de conscience ont le devoir d’informer le patient dans un délai approprié de leur objection de conscience à une procédure spécifique et d’orienter ce patient, également dans un délai approprié, vers un prestataire de soins de santé acceptant et capable de pratiquer la procédure ou le traitement, et facilement accessible 
			(22) 
			 CEDAW.. Cette règle du délai approprié d’information et d’orientation doit s’appliquer dès que le patient demande pour la première fois l’intervention médicale à un prestataire de soins de santé.
33. A titre d’exemple, le Code d’éthique de l’Association médicale du Portugal demande à ce qu’un médecin «communique immédiatement» son objection au patient, alors que la loi no 16/2007 impose aux médecins de communiquer leurs objections au patient dans un délai «opportun». En France, les médecins objecteurs de conscience ont aussi l’obligation légale de donner à une femme demandant un avortement le nom de spécialistes pouvant réaliser l’intervention. En Pologne, en Croatie et en Hongrie, la loi demande aux médecins d’informer le patient de toute objection de conscience à une procédure et d’orienter ces patients vers d’autres médecins, mais elle ne prévoit pas de mécanisme de surveillance pouvant vérifier l’application de cette mesure, de nombreux patients n’étant donc pas orientés vers un autre prestataire de soins de santé.
34. Au Royaume-Uni, les lignes directrices publiées par la British Medical Association (BMA) 
			(23) 
			 BMA
(ordre des médecins britannique), Handbook
of Ethics and Law (Manuel sur l’éthique et le droit). et le Royal College of Obstetricians and Gynaecologists (RCOG), qui ont guidé la mise en œuvre et l’interprétation judiciaire des dispositions sur l’objection de conscience de la loi de 1967 sur l’avortement, impose aux médecins dont la conscience interdit de pratiquer un avortement de prendre les mesures préalables pour l’avortement et d’adresser les patientes à un autre médecin dans les plus brefs délais. Les lignes directrices de la BMA prévoient expressément qu’«il ne suffit pas de dire à la patiente de demander un autre avis ailleurs, puisque d’autres médecins pourraient ne pas accepter de la voir si elle ne leur a pas été adressée dans les règles». Le RCOG a publié des délais recommandés pour orienter les patientes vers des services d’avortement 
			(24) 
			 BMA (ordre des médecins
britannique), Handbook of Ethics and
Law (Manuel sur l’éthique et le droit); RCOG Guidelines
(Lignes directrices sur l’avortement du Royal College of Obstetricians
and Gynaecologists)..
35. En outre, les lignes directrices du National Health Service au Royaume-Uni, qui sont publiées pour guider les praticiens, notent que tous les médecins qui opposent une objection de conscience à «recommander une interruption devraient rapidement orienter la femme qui leur demande conseil sur une interruption de grossesse vers un autre [médecin généraliste]. (…) Faute de quoi, ils pourraient être présumés manquer à leur mission» 
			(25) 
			 Royaume-Uni, NHS Guidelines
HSG(95)37, juillet 1995.. De même, aux Pays-Bas et en France, la loi impose une obligation légale respectivement aux professionnels de santé et aux médecins de communiquer sur-le-champ à une femme enceinte leur refus de pratiquer l’avortement.

Obligation de traiter le patient s’il n’est pas possible de l’adresser à un autre prestataire de soins de santé

36. Dans des situations où le prestataire de santé ne peut garantir que des femmes bénéficieront d’un traitement de qualité ailleurs, ils doivent dispenser eux-mêmes le traitement aux patientes, indépendamment du fait que ce soit contraire à leur conscience 
			(26) 
			 Voir FIGO, Résolution
sur l’objection de conscience, 2006, CEDAW.. Par exemple, en Norvège, un médecin ne peut refuser de traiter un patient sauf si celui-ci a un accès raisonnable à un autre médecin qui peut effectuer ce traitement. A Saint-Marin, un médecin qui oppose une objection de conscience à une procédure doit orienter le patient vers un autre professionnel de santé qui peut fournir le traitement adéquat et le médecin doit veiller à ce que le patient continue de recevoir des soins pendant la période de transition.

4.4. L’objection de conscience s’applique aux professionnels de santé effectuant directement des procédures ou traitements médicaux

37. Si tous les pays qui reconnaissent l’objection de conscience dans le domaine de la santé ou pour une procédure médicale spécifique accordent ce droit aux médecins, l’application de ce droit à d’autres personnels de santé est souvent floue et rend difficile la définition du champ d’application de ce droit. L’objection de conscience doit être invoquée seulement par le personnel directement concerné par la procédure médicale, et non par ceux qui y participent indirectement comme les administrateurs hospitaliers, les infirmières, etc. Cette situation crée une confusion s’agissant du champ d’application de ce droit qui peut retarder l’accès des femmes à des services de santé reproductive 
			(27) 
			 La situation est particulièrement
problématique dans le cas de la contraception d’urgence (la «pilule
du lendemain») qu’il faut prendre dans un délai de quelques heures,
si aucun pharmacien à proximité n’est disposé à la délivrer. .
38. Par exemple, la réglementation de la Norvège sur l’avortement prévoit que le droit de refuser de participer à un avortement ne peut être invoqué que par ceux qui exécutent ou aident à l’exécution de la procédure, et non par le personnel qui fournit des soins ou des traitements à la femme concernée avant et après la procédure. De même, la loi de l’Italie sur l’avortement ne dispense pas les personnels de santé de fournir des soins avant et après l’avortement.
39. L’affaire Pichon et Sajous c. France dont a été saisie la Cour européenne des droits de l’homme montre que la place faite à l’objection de conscience n’est pas illimitée. La Cour a considéré que les pharmaciens qui refusaient de vendre des contraceptifs ne pouvaient imposer leurs convictions religieuses à autrui. Elle a expliqué que le droit à la liberté de religion, en tant que question de conscience individuelle, ne garantit pas toujours le droit à se comporter dans le domaine public d’une manière dictée par ces convictions. La Cour a déclaré que «dès lors que la vente de ce produit est légale, qu’elle intervient sur prescription médicale uniquement et obligatoirement dans les pharmacies, les requérants ne sauraient faire prévaloir et imposer à autrui leurs convictions religieuses pour justifier le refus de vente de ce produit» 
			(28) 
			 Pichon
et Sajous c. France (décision sur la recevabilité) susmentionné
(note de bas de page 11)..

4.5. Exceptions à l’invocation de l’objection de conscience

40. Une enquête montre que seulement un nombre limité d’Etats membres du Conseil de l’Europe ont expressément interdit l’invocation de l’objection de conscience dans les cas d’urgence ou de risque de mort ainsi que de danger pour la santé du patient 
			(29) 
			 Bosnie-Herzégovine,
Croatie, République tchèque, Hongrie (le risque de mort ne s’appliquant
qu’à l’avortement), Italie, Lituanie, Pologne, Portugal, Saint-Marin,
Slovaquie et Royaume-Uni (avortement uniquement).. C’est un domaine qui devrait être généralement réglementé pour clarifier les droits des prestataires de soins de santé et de leurs patients.

4.6. Responsabilité et mécanismes de recours

41. Les Etats membres ont l’obligation de mettre en place des mécanismes efficaces de contrôle et de responsabilité pour que les clauses d’objection de conscience ne défavorisent pas indûment, dans la pratique, les patients ou leur refusent l’accès à des services de santé légaux. De nombreux pays disposent d’un mécanisme général de recours en matière de santé auquel les patients qui estiment que leurs droits ont été violés peuvent faire appel; ce mécanisme pourrait vraisemblablement être saisi de la question de l’exercice illégal du droit d’objection de conscience. Si un mécanisme de recours distinct n’est peut-être pas nécessaire pour l’objection de conscience, la législation et la réglementation qui accordent le droit à l’objection de conscience devraient clarifier le fait que l’exercice de ce droit en violation de la loi est soumis à la procédure de recours général de l’Etat membre et que les individus ont le droit à un recours effectif dans un délai approprié.
42. Tout Etat membre doit disposer d’un mécanisme de recours doté d’une procédure claire que peuvent saisir les individus contre un professionnel ou un établissement de santé qui auraient enfreint la loi dans le cadre des services médicaux qu’ils fournissent. Toutes les réponses aux plaintes devraient être communiquées par écrit dans une décision motivée disponible à toutes les parties.
43. Par exemple, dans la République tchèque, dans le cadre de l’avortement, la loi prévoit un mécanisme de recours avec un processus d’appel dans un délai approprié pour les cas de refus de pratiquer un avortement opposé par un gynécologue à une patiente. Si ce mécanisme ne fait pas expressément mention de l’objection de conscience, les principes sur les délais inscrits dans cette loi sont extrêmement importants pour qu’une femme ne se voie pas refuser l’accès à l’avortement à cause des délais administratifs dus uniquement aux objections personnelles d’un professionnel de santé à la procédure. En cas de violation du droit d’une femme à accéder à des services de santé légaux, la législation doit prévoir des sanctions et des réparations appropriées.

5. L’impact sur l’accès des femmes à des soins médicaux légaux

44. Dans la pratique, divers facteurs peuvent déboucher sur des situations influant sur l’accès des femmes aux soins médicaux légaux. Une des raisons les plus fréquentes est l’absence de tout mécanisme de surveillance assurant la mise en œuvre des dispositions légales et des politiques en vigueur, le non-respect des obligations médicales concernant l’information des patients, l’absence de réglementation exigeant ou favorisant une mesure dans un délai approprié (notification de l’objection de conscience, processus d’appel, etc.) ainsi que l’absence de réglementation concernant le champ d’application des dispositions relatives à l’objection de conscience.

5.1. Absence de mécanismes de surveillance

45. Un rapport récent du ministère italien de la Santé montre l’impact de l’absence de mécanismes de surveillance assurant la disponibilité et l’accessibilité des prestataires de soins de santé dans le cadre de l’avortement. Le rapport montre que, en Italie, près de 70 % des gynécologues refusent de pratiquer des avortements pour des motifs moraux, malgré un cadre juridique solide dans ce domaine. Le rapport constate qu’entre 2003 et 2007, le nombre de gynécologues invoquant l’objection de conscience pour refuser l’avortement a augmenté de 58,7 à 69,2 %. Le pourcentage des anesthésistes refusant d’apporter leur assistance lors d’un avortement est passé de 45,7 à 50,4 %. Dans la partie méridionale du pays, les chiffres sont encore plus élevés 
			(30) 
			 République
italienne, ministère de la Santé, Rapport du ministère italien de
la Santé sur la mise en œuvre de la loi relative à la réglementation
des aspects sociaux de la maternité et de l’interruption volontaire
de grossesse: 2007-2008..
46. Selon la Fédération internationale de la planification parentale (IPPF), en Autriche, les femmes se heurtent à un certain nombre de problèmes pour avorter même si le pays reconnaît expressément le droit à l’avortement, parce que les professionnels de santé invoquent souvent leur objection de conscience à cette procédure. Il n’existe pas de lignes directrices légales spécifiques concernant l’objection de conscience en Autriche, mais dans la pratique les médecins peuvent s’abstenir de pratiquer un avortement si la seule raison pour l’intervention est une grossesse non désirée, mais il n’y a pas d’objection possible si la vie de la mère est en danger. Une différence de pratique est constatée entre la partie orientale et occidentale de l’Autriche (l’avortement étant moins accessible dans cette dernière) et rares sont les médecins qui sont prêts à pratiquer des avortements dans les zones rurales du pays. En conséquence, les femmes doivent se rendre dans une autre région autrichienne ou même dans un autre pays pour pouvoir se faire avorter 
			(31) 
			 International
Planned Parenthood Federation European Network, Abortion Legislation in Europe (Législation
sur l’avortement en Europe).. En tout état de cause, les femmes concernées doivent payer elles-mêmes pour les services médicaux liés à l’avortement.
47. La capacité des établissements publics à opposer une objection de conscience à des soins de santé empêche les femmes d’exercer leur droit à bénéficier de services légaux de santé sexuelle et reproductive; or, les mécanismes de surveillance sont fondamentaux pour éviter une telle situation. Par exemple, en Slovaquie et Pologne 
			(32) 
			 Reproductive
Rights in Poland, the effects of the anti-abortion law (Les
droits reproductifs en Pologne, les effets de la loi anti-avortement),
Federation for Woman and Family Planning, publié par Wanda Nowicka,
2008., l’objection de conscience est fréquemment détournée par la haute direction des hôpitaux qui ont souvent une politique non écrite interdisant dans leur établissement certaines interventions (généralement des avortements ou des stérilisations) indépendamment de l’opinion du personnel de santé. En Pologne, de nombreux établissements n’ont pas de politique officielle d’objection de conscience et les prestataires individuels, dans de nombreux cas, n’invoquent pas officiellement leur droit ni ne l’expriment en termes d’objection de conscience. Dans la capitale de la Slovaquie, Bratislava, par exemple, l’un des hôpitaux publics ne pratique pas l’avortement. Dans la grande capitale régionale de Trnvava, aucun hôpital ne pratique l’avortement 
			(33) 
			 Informations fournies
par l’Association slovaque de planning familial, 2010..

5.2. Non-respect des obligations légales concernant l’information des patients

48. Les manquements aux obligations dont les objecteurs de conscience doivent s’acquitter à l’égard de leurs patients peuvent aussi avoir des conséquences désastreuses pour les femmes, par exemple si les prestataires de soins de santé ne les informent pas sur les différentes possibilités de traitement, y compris le diagnostic, les privant de la possibilité de prendre des décisions éclairées sur les procédures de santé qui sont dans leur intérêt. Les prestataires de soins de santé ne devraient pas être autorisés à invoquer l’objection de conscience concernant l’information sur les soins de santé, y compris le diagnostic, pouvant éventuellement déboucher sur un traitement qu’ils réprouvent. Au regard d’un «stade» encore plus préalable d’information, il a été observé que le nombre des avortements diminue en fonction de la disponibilité de contraceptifs. Ainsi, le ministère de la Santé de la République tchèque aurait, jusqu’à récemment, observé une tendance significative de diminution à long terme des avortements. Cela illustre l’importance de mesures éducatives fournies à temps dans le but d’éviter des situations médicales (tel l’avortement) où le phénomène de l’objection de conscience entre en jeu.
49. Un arrêt de la Haute Cour de justice du Royaume-Uni a relevé, en 2003, le caractère potentiellement illégal de tels actes. Elle a conclu à la négligence d’un médecin qui avait omis de bien conseiller sa patiente – en partie à cause de ses convictions religieuses – sur le risque accru qu’elle courait de donner naissance à un enfant atteint du syndrome de Down et de la possibilité de procéder à un dépistage prénatal pour de telles anomalies. Le médecin, catholique fervent, a déclaré qu’il n’avait pas l’habitude de discuter expressément du dépistage d’anomalies avec chaque femme enceinte. Il pensait que la grossesse était un événement heureux et qu’il voulait «apaiser et non inquiéter les patientes». Selon lui, il aurait pu dire à une personne de l’âge de la plaignante qu’elle courait «un risque légèrement plus élevé» d’anomalie fœtale. Le tribunal a noté que «de son propre aveu, l’approche du médecin de l’information des [patientes sur le dépistage des anomalies] était influencée par sa foi dans la doctrine catholique romaine». Le tribunal a conclu que si le médecin avait utilisé la phrase «risque légèrement plus élevé» comme il l’affirmait, «cette phrase aurait sérieusement prêté à confusion» si l’on considère que, d’après les experts, le risque d’anomalie fœtale augmente considérablement avec l’âge de la plaignante 
			(34) 
			 Enright
et autres c. Kwun et autres, 2003, High Court of England
and Wales [Haute Cour d’Angleterre et du pays de Galles].. Le médecin n’ayant pas fourni ces informations, la patiente ne pouvait choisir de manière éclairée de porter ou non sa grossesse à terme, étant donné le risque d’avoir un enfant atteint du syndrome de Down.

5.3. Absence de réglementation imposant ou facilitant une action dans un délai approprié

50. En l’absence de réglementation exigeant une notification dans un délai approprié de l’objection de conscience d’un prestataire de soins de santé à telle ou telle procédure, assortie d’une orientation en temps voulu vers un autre prestataire, les femmes peuvent ne pas être à même de trouver un autre prestataire de santé pour réaliser cette procédure dans les délais, ce qui les empêche d’avoir accès aux services de santé auxquels elles ont légalement droit.
51. Par exemple, au Danemark, sur le cas d’une femme ayant pris rendez-vous dans une clinique pour subir un avortement mais n’ayant pas été informée par le médecin de son objection de conscience à cette intervention, ni orientée dans un délai approprié vers un autre prestataire de soins, un représentant du Conseil national de la santé danois a commenté que les médecins doivent immédiatement informer la patiente de toute objection de conscience. Le fait de ne pas le faire et de ne pas l’orienter vers un autre prestataire pourrait retarder le délai dans lequel une femme peut légalement exercer son droit à l’interruption volontaire de grossesse. Ce retard pourrait amener la femme à dépasser le délai de douze semaines pendant lequel elle peut légalement avoir recours à un avortement et donc être privée involontairement de son droit à cette procédure 
			(35) 
			 «Questions d’éthique
et avortement: jusqu’où va le droit?» (Etisk forbehold ved abort:
Hvor langt rækker retten?), Ugeskrift
for Læger, 2007..
52. En outre, la nécessité d’un processus d’appel dans un délai approprié ne saurait être exagérée puisqu’un système lent et encombré peut rendre sans objet les questions de santé reproductive, avec des résultats tragiques comme la mort ou un handicap permanent. Par exemple, dans l’affaire Tysiac c. Pologne, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré que les Etats devaient assurer l’accès aux services de santé légaux et créer des mécanismes d’appel pour les femmes auxquels ces services sont refusés 
			(36) 
			 Tysiac c. Poland, Cour européenne
des droits de l’homme, 2007.. Dans cette affaire, les médecins ont refusé de délivrer un certificat autorisant l’avortement malgré les graves risques de santé encourus avec l’accouchement, et une dégradation grave de la vue de la femme concernée après la naissance. Avec un système d’appel dans un délai approprié, cette femme aurait pu contester le refus des médecins de l’autoriser à avorter à temps et obtenir un traitement qui l’aurait sauvée d’un handicap permanent.

5.4. Absence de réglementation concernant le champ d’application des dispositions sur l’objection de conscience

53. En outre, l’absence de réglementation concernant les personnes et les services auxquels les dispositions sur l’objection de conscience s’appliquent empêche les femmes d’avoir accès aux soins de santé auxquels elles ont légalement droit. Des vides juridiques peuvent éventuellement permettre à des membres du personnel des services auxiliaires des hôpitaux de s’opposer à ce que soient fournis lesdits services, ce qui peut retarder ou empêcher l’accès des femmes aux soins de santé reproductive.
54. Par exemple, le champ d’application de la clause sur l’objection de conscience de la loi sur l’avortement du Royaume-Uni a été clarifié par une décision de la Chambre des Lords qui, en 1988, a déclaré clairement que la clause ne s’appliquait qu’à la participation au traitement. L’affaire concernait la secrétaire d’un médecin qui refusait pour des motifs de conscience de signer une lettre adressant une patiente à un autre médecin en vue d’un avortement. La Chambre des Lords a considéré que cet acte ne faisait pas partie du traitement de l’avortement et que, par conséquent, il n’était pas couvert par la clause sur l’objection de conscience de la loi sur l’avortement. La décision défend l’idée que les médecins ne peuvent demander à être dispensés de prodiguer des conseils ou de réaliser les étapes préalables à un avortement si la demande d’avortement est conforme aux dispositions légales 
			(37) 
			BMA
(ordre des médecins britannique), Handbook
of Ethics and Law (Manuel sur l’éthique et le droit)..

6. Conclusions

55. Les Etats membres devraient adopter une réglementation exhaustive et précise contrebalançant le droit du prestataire de santé à opposer une objection de conscience à la réalisation d’une procédure et veiller à ce que les patientes puissent exercer leurs droits à l’accès à des services de santé légaux. Dans les cas où une telle réglementation existe, de nombreux Etats membres ne disposent pas de mécanismes de surveillance et de contrôle assurant que les prestataires de soins de santé agissent conformément à cette réglementation. Cette dernière doit prévoir la création de mécanismes assurant l’accessibilité et la disponibilité des prestataires de soins de santé dans des situations où d’autres prestataires peuvent invoquer l’objection de conscience et demander la création d’un registre des objecteurs de conscience.
56. Les réglementations nationales doivent reconnaître que le droit à l’objection de conscience ne concerne que les individus et non les institutions publiques ou de l’Etat. Des garanties supplémentaires doivent définir les obligations des prestataires de soins de santé envers leurs patients dans le contexte de l’objection de conscience, et notamment l’obligation:
  • de fournir des informations aux patients sur toutes les options thérapeutiques;
  • d’informer les patients de toute objection de conscience et de les orienter vers un autre prestataire de soins de santé dans un délai approprié;
  • de veiller à ce que les prestataires de soins de santé vers lesquels les patientes sont orientées fourniront un traitement de qualité ou, faute d’orientation appropriée ou dans des situations d’urgence, imposer à l’objecteur de conscience de dispenser les soins nécessaires.
57. Les politiques nationales doivent définir le champ d’application du droit à l’objection de conscience en ce qui concerne le type de services et les professionnels de santé auxquels il s’applique, et définir des exceptions appropriées pour les situations d’urgence.
58. Enfin, toutes les réglementations nationales doivent mettre en place des mécanismes effectifs de recours qui peuvent être saisis des abus du droit à l’objection de conscience et donner aux femmes un recours effectif et dans un délai approprié.
59. L’adoption par les Etats membres d’une réglementation s’inspirant de ces principes assurera le respect, la protection et la réalisation des intérêts des droits des prestataires de soins de santé et des personnes demandant des soins de santé légaux.