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Rapport | Doc. 12460 | 06 janvier 2011

Les femmes en milieu rural en Europe

Commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes

Rapporteure : Mme Carmen QUINTANILLA, Espagne, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 11773, Renvoi 3519 du 26 janvier 2009. 2011 - Deuxième partie de session

Résumé

Les femmes constituent une force motrice pour l’entretien, la sauvegarde et le développement des zones rurales, contribuant à la main-d’œuvre agricole et à la préservation des traditions face à une dépopulation constante.

Malheureusement, les femmes en milieu rural sont confrontées à des défis majeurs pour obtenir l’égalité entre les sexes, font face à des discriminations dans la jouissance de leurs droits et sont particulièrement vulnérables à la violence. Cette situation pourrait s’aggraver sous l’effet combiné de la mondialisation et de la crise financière et économique.

Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient élaborer des mesures juridiques et politiques visant spécifiquement les femmes rurales, et adopter une approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’élaboration et la mise en œuvre de politiques ayant une incidence sur leur situation.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 2 décembre
2010.

(open)
1. Les femmes constituent une force motrice pour l’entretien, la sauvegarde et le développement des zones rurales, tant au plan culturel qu’au plan économique: non seulement elles contribuent à préserver et à transmettre les traditions, mais elles représentent aussi une proportion non négligeable de la main-d’œuvre agricole et participent à soutenir le dynamisme du secteur rural face à une dépopulation constante.
2. Malheureusement, certaines conditions objectives spécifiques prédominent dans les zones rurales, telles que le chômage, la pauvreté, la médiocrité des transports et l’absence de certains services de base liés à l’éducation, à la santé et aux soins, et les mentalités traditionnelles persistent, imposant des rôles homme-femme stéréotypés et maintenant les femmes au rang de subordonnées dans la vie privée comme publique. En conséquence, les femmes en milieu rural sont confrontées à des défis majeurs pour obtenir l’égalité entre les sexes et la pleine jouissance de leurs droits. A la suite de cette situation, beaucoup de femmes, en particulier les jeunes, ont tendance à quitter la campagne, ce qui, avec les changements démographiques, accroît le processus de dépopulation du milieu rural.
3. Ce problème est d’autant plus grave que des Etats membres du Conseil de l’Europe manquent à élaborer et appliquer des mesures législatives et des politiques concernant l’agriculture et les zones rurales qui intègrent réellement la problématique hommes-femmes, comme cela s’est produit lors du processus de privatisation qui a marqué les années 1990 dans plusieurs Etats aujourd’hui membres du Conseil de l’Europe. En outre, les femmes en milieu rural font rarement l’objet de mesures législatives et de politiques spécifiques et ciblées.
4. L’Assemblée parlementaire note que, malgré des différences régionales soutenues dans la situation de ces femmes dans les Etats membres, plusieurs sujets de préoccupation communs peuvent être identifiés: les femmes vivant en milieu rural ne sont pas correctement prises en compte dans les statistiques nationales; leurs perspectives d’emploi sont limitées, de même que leur accès au crédit, leur couverture sociale et les services sociaux et de santé; elles subissent des contraintes dans le domaine de l’accès à la propriété et des droits de succession; elles ont des difficultés à concilier le travail et la vie de famille, et participent très peu – si elles y participent – aux prises de décisions au sein des entreprises familiales.
5. Qui plus est, l’Assemblée est plus que soucieuse de constater que les femmes en milieu rural sont particulièrement vulnérables à la violence, notamment les crimes dits «d’honneur» et la violence domestique, et que dans certains Etats membres où les zones rurales subissent un chômage et une pauvreté généralisés, elles sont particulièrement la cible de la traite humaine.
6. L’Assemblée craint que l’effet combiné de la mondialisation et de la crise financière et économique actuelle ne dégrade encore plus les conditions de vie des femmes en milieu rural, renforçant ainsi leur vulnérabilité et leur exposition à la discrimination et aux violations des droits humains.
7. Par conséquent, l’Assemblée appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe:
7.1. à concevoir des mesures juridiques et politiques visant spécifiquement à améliorer la situation des femmes en milieu rural et favorisant l’égalité des chances afin de créer les conditions pour que les femmes puissent rester dans les zones rurales;
7.2. à veiller à adopter une approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’élaboration et la mise en œuvre de toutes les politiques ayant une incidence sur la situation des femmes en milieu rural;
7.3. à impliquer les femmes en milieu rural dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques et des décisions les concernant;
7.4. à promouvoir une participation accrue des femmes en milieu rural dans la prise de décisions, à encourager leur présence dans la vie politique locale et dans les organes directeurs des entreprises, des coopératives, des instances agricoles locales et des associations agricoles;
7.5. à veiller à la bonne application du droit par les agents de la force publique et autres agents publics dans les zones rurales, notamment dans le domaine de la justice, du droit du travail et du droit pénal afin d’imposer le respect de l’Etat de droit;
7.6. à s’assurer que les agents de la force publique et les membres de la magistrature des zones rurales reçoivent une formation sur l’égalité entre les femmes et les hommes et sur la violence domestique, et à promouvoir la présence de femmes dans leurs effectifs;
7.7. à engager ou soutenir des actions de visibilité et des campagnes de sensibilisation ainsi que des services d’information pour apprendre aux femmes à connaître leurs droits;
7.8. à promouvoir l’établissement de forums pour que s’échangent connaissances, bonnes pratiques et expériences aux plans national et international sur la situation des femmes en milieu rural;
7.9. à établir des budgets en tenant compte de l’égalité entre les femmes et les hommes;
7.10. à signer et ratifier la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197), à veiller à sa stricte application et à coopérer avec son mécanisme de suivi (GRETA);
7.11. à soutenir les négociations sur la rédaction de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.
8. En outre, concernant les statistiques, l’Assemblée demande aux Etats membres du Conseil de l’Europe:
8.1. d’établir des statistiques visant à donner un clair aperçu de la situation et des conditions de vie des femmes en milieu rural afin d’élaborer des politiques adaptées;
8.2. d’améliorer les données statistiques et les informations sur les raisons qui poussent les femmes à quitter les zones rurales, en vue de mettre en œuvre les mesures nécessaires pour résorber la tendance;
8.3. de réaliser des études statistiques sur l’impact de la pauvreté et de l’exclusion sociale dans les zones rurales, y compris une évaluation de l’impact sexospécifique, afin d’établir des politiques permettant de régler ces problèmes;
8.4. d’étudier la possibilité de mettre en place des observatoires nationaux pour recueillir et partager des données et des informations, et suivre l’évolution de la situation.
9. S’agissant d’améliorer la situation économique des femmes en milieu rural, l’Assemblée appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe:
9.1. à veiller à ce que les femmes ne subissent pas de discrimination en matière d’accès à la propriété et de droits de succession;
9.2. à prendre des dispositions juridiques relatives au concept de «propriété partagée»;
9.3. à éliminer la discrimination à l’égard des femmes pour l’accès à l’emploi et la discrimination salariale;
9.4. à faciliter l’octroi de microcrédits, de fonds et de prêts pour les femmes vivant en milieu rural qui souhaitent monter une entreprise, seules ou en coopérative, notamment pour les projets innovants et créateurs d’emplois pour les femmes en milieu rural;
9.5. à organiser des formations en zone rurale pour promouvoir l’esprit d’entreprise chez les femmes;
9.6. à apporter une valeur ajoutée aux produits agricoles, créer pour eux des débouchés commerciaux et contribuer à diversifier l’économie rurale;
9.7. à favoriser le recours aux nouvelles technologies et leur disponibilité;
9.8. à promouvoir des possibilités de travail à domicile pour les femmes vivant en milieu rural;
9.9. à accroître les opportunités d’emploi en zone rurale dans des secteurs autres que l’agriculture;
9.10. à créer des incitations pour les entreprises qui décident de s’implanter en zone rurale et d’employer des femmes.
10. S’agissant d’améliorer la situation sociale des femmes en milieu rural, l’Assemblée appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe:
10.1. à élaborer un cadre législatif complet sur le statut des épouses aidantes, qui leur permettrait notamment de bénéficier d’une couverture sociale, d’une pension de retraite, de soins médicaux, de congés de maternité et de prestations liées à la maternité, et à veiller à l’application des règlements nationaux de sécurité et de santé;
10.2. à établir un système pour enregistrer celles qui travaillent en tant qu’épouses aidantes, afin d’assurer la pleine jouissance de leurs droits sociaux, en conformité avec la Résolution 1752 (2010) de l’Assemblée sur des pensions de retraite décentes pour les femmes et la Résolution 1329 (2003) sur le statut du conjoint collaborateur dans l’entreprise familiale;
10.3. à améliorer les conditions de travail des femmes et des hommes dans l’agriculture et à veiller à prendre en compte les sexospécificités lors de l’estimation des risques et de la prévention des dangers sanitaires chez les travailleurs agricoles. Une attention spéciale doit être accordée à la situation des femmes enceintes et des mères allaitantes;
10.4. à renforcer la disponibilité de services essentiels tels que les garderies, les écoles obligatoires, l’accompagnement des personnes âgées et des personnes handicapées, les services sociaux et de santé, afin que les femmes en milieu rural puissent plus facilement concilier travail et vie familiale;
10.5. à veiller à la disponibilité de structures de soins médicaux dans les zones rurales et de services liés à la santé sexuelle et génésique, et à la planification familiale, en créant si nécessaire des unités mobiles;
10.6. à promouvoir la scolarité, l’éducation des adultes et la formation professionnelle pour les femmes et les filles dans les zones rurales;
10.7. à établir ou encourager l’établissement de bureaux d’information et d’associations de défense fournissant aux femmes vivant en milieu rural des conseils sur leurs droits et leur représentation en justice;
10.8. à investir dans des infrastructures et des services comme les routes, le transport public, la téléphonie haut débit et les connexions internet, y compris dans les zones rurales reculées, afin de diminuer l’isolement des habitants – et des femmes en particulier – et d’accroître leurs opportunités d’emploi et d’éducation;
10.9. à mettre en place des programmes et des centres de réinsertion des victimes de la traite en zone rurale, ainsi que des dispositifs de protection, des services et des abris pour les victimes de violence, y compris la violence domestique.
11. Enfin, l’Assemblée appelle le Parlement européen et la Commission européenne, dans le cadre de leurs compétences respectives:
11.1. à poursuivre leurs efforts pour garantir une approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes dans toutes leurs politiques et leurs mesures, que ce soit dans le cadre de la Politique agricole commune ou des fonds structurels;
11.2. à veiller à l’exécution de la Directive 2010/41 du Parlement européen et du Conseil concernant l’application du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes exerçant une activité indépendante et abrogeant la Directive 86/613/CEE du Conseil.

B. Exposé des motifs, par Mme Quintanilla Barba, rapporteure

(open)

1. Les femmes en milieu rural et le Conseil de l’Europe

1. En déposant à l’Assemblée parlementaire une proposition de résolution sur la véritable situation des femmes en milieu rural en Europe (Doc. 11773), j’étais motivée par mon expérience personnelle et mon engagement en tant que présidente d’Afammer (Association des familles et des femmes en milieu rural), organisation non gouvernementale espagnole qui, depuis 1982, soutient la place centrale des femmes dans le développement des zones rurales et défend leurs droits 
			(2) 
			Voir
le site <a href='http://www.afammer.es/'>www.afammer.es/</a>..
2. Par le présent rapport, ce n’est pas la première fois que l’Assemblée consacre son attention à la situation des femmes en milieu rural: en 1997, à l’initiative de ce qui était alors la commission de l’agriculture et du développement rural, l’Assemblée a adopté la Recommandation 1321 (1997) sur l’amélioration de la situation des femmes dans la société rurale. Malheureusement, en répondant à ce texte, le Comité des Ministres a décidé de n’inclure aucune activité spécifique des femmes en milieu rural dans son programme de travail, arguant qu’il ne souhaitait pas répéter inutilement les travaux des Communautés européennes, du Parlement européen et de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) 
			(3) 
			Réponse du
Comité des Ministres à la Recommandation 1321
(1997), 14 avril 1998, Doc. 8072..
3. Je suis au regret de constater que, de mon point de vue, cette décision manquait d’anticipation: le milieu des années 1990 a représenté les principales années de transition politique et économique dans plusieurs pays européens qui ont adhéré au Conseil de l’Europe à cette période ou immédiatement après. Ce processus de transition a eu des incidences particulièrement négatives pour les femmes en milieu rural: auparavant, elles avaient le même accès à la privatisation des terres et d’autres propriétés que les hommes, mais elles étaient exclues de facto; leur situation s’est dégradée sous l’effet des restrictions budgétaires qui ont ramené au minimum les services à la campagne – transport, écoles, structures de garde d’enfants et hôpitaux. De nombreuses femmes ont subi un retour aux valeurs culturelles et religieuses traditionnelles, qui les a confinées à la maison pour garder les enfants, les privant de tout rôle public en société et de toute possibilité d’émancipation économique.
4. En résumé: les femmes en milieu rural ont été les principales victimes du manque d’attention portée à l’égalité entre les femmes et les hommes durant le processus de transition économique des années 1990, et de son impact différent selon le genre. Malheureusement, à l’époque, le Conseil de l’Europe n’a pas identifié les femmes en milieu rural comme étant un groupe très exposé à l’exclusion sociale et économique, à la discrimination et aux violations des droits humains, et n’a donc pas mis en place des projets adéquats pour remédier à cet état de fait.
5. Dans les mêmes années, le conflit le plus meurtrier en Europe depuis la seconde guerre mondiale a dévasté les pays de l’ex-Yougoslavie. Les zones rurales ont été les plus touchées: la guerre n’a pas épargné un seul village et a entraîné une pauvreté généralisée, des destructions et des pénuries alimentaires; les habitants ont abandonné terres et exploitations pour chercher refuge dans les montagnes, dans d’autres parties du pays ou à l’étranger. Les femmes en milieu rural ont été victimes de violence sexuelle durant le conflit, nombre d’entre elles ont perdu leur mari, d’autres ont été victimes de la traite. D’une manière générale, la place de la femme dans la société et le souci d’égalité entre les femmes et les hommes ont enregistré un net recul, en raison d’une mentalité typique en situation de guerre, favorisant la suprématie de l’homme dans la sphère privée et publique.
6. Depuis le milieu des années 1990, la situation a évolué. L’Union européenne a réellement joué un rôle essentiel pour faire progresser ses nouveaux Etats membres: pendant que les nouveaux arrivants devaient s’adapter aux acquis de l’Union sur l’égalité entre les femmes et les hommes en matière d’emploi, l’Union européenne étendait dans le même temps cette approche égalitaire à d’autres domaines comme l’agriculture. Dans cette optique, l’organisation a engagé un travail de réflexion sur les effets différenciés que les fonds structurels avaient sur les femmes et sur les hommes, et lancé des initiatives ciblant spécifiquement les femmes.
7. En dépit de ces avancées, la situation des femmes en milieu rural dans les pays de l’Union européenne continue de varier considérablement, non seulement d’un pays à l’autre, mais aussi d’une région à l’autre. Si nous observons la situation des femmes en milieu rural dans la zone du Conseil de l’Europe – où l’Union européenne n’a ni exercé la même influence, ni consacré le même volume de ressources – ces disparités sont encore plus frappantes. Quoi qu’il en soit, il est certain que, du fait de certaines conditions objectives spécifiques qui prédominent dans les zones rurales et de la persistance des mentalités traditionnelles, les femmes en milieu rural sont confrontées à des défis majeurs pour obtenir l’égalité entre les sexes et la pleine jouissance de leurs droits.
8. En l’état actuel des choses, l’effet combiné de la mondialisation et de la crise financière et économique risque d’aggraver les inégalités existantes entre les femmes et les hommes, et de détériorer la situation des femmes vivant dans les zones rurales, à moins que les Etats membres du Conseil de l’Europe n’agissent avec anticipation et réactivité.
9. Dans le présent rapport, je décrirai l’état des lieux dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe choisis pour présenter d’une manière générale la situation complexe des femmes en milieu rural en Europe. J’examinerai les choses sous l’angle de l’égalité entre les femmes et les hommes, et de l’émancipation économique des femmes, telles que les prescrit le mandat de la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes dont je suis la rapporteuse. Je suis heureuse d’indiquer que la commission de l’environnement, de l’agriculture et des questions territoriales viendra compléter mon analyse avec toute son expertise, et émettra un avis.
10. Pour achever cette introduction, je souhaiterais préciser que le présent rapport s’appuie largement sur l’audition intitulée «La véritable situation des femmes en milieu rural en Europe», qui a été organisée par la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes le 26 mars 2010 
			(4) 
			Le compte
rendu de l’audition est disponible auprès du secrétariat de la commission., et sur des rapports et des conclusions de l’instance de surveillance établie en vertu de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), notamment son article 14. J’ai également suivi de près les travaux entrepris par l’Union européenne sous la présidence espagnole, qui a placé l’amélioration de la situation des femmes en milieu rural au premier rang de ses priorités.

2. Les femmes rurales: une force essentielle mais invisible dans le monde

11. Les femmes constituent une force motrice pour l’entretien, la sauvegarde et le développement des zones rurales, tant au plan culturel qu’au plan économique: non seulement elles contribuent à préserver un patrimoine culturel riche et diversifié ainsi qu’à transmettre les traditions, mais elles représentent aussi une proportion non négligeable de la main-d’œuvre agricole et participent à soutenir le dynamisme du secteur rural face à une dépopulation constante.
12. Malheureusement, les femmes en milieu rural constituent aussi une force invisible: leur présence et leur rôle n’apparaissent pas clairement dans les statistiques; la plupart de celles qui participent aux travaux agricoles ne perçoivent pas un revenu distinct de celui de leur mari ou d’autres membres masculins du foyer; en tant que simple auxiliaire de leur mari agriculteur ou travailleur indépendant d’un autre secteur, elles n’ont droit à aucune couverture sociale qui leur soit propre; souvent, elles n’ont aucun droit de propriété sur la terre ou sur l’exploitation agricole.
13. En Europe, on estime que 14,6 millions de personnes travaillent dans l’agriculture. 41 % sont des femmes, dont 78 % travaillent en tant qu’épouses aidantes tandis que les autres sont propriétaires ou copropriétaires. En général, en Europe, la majeure partie des femmes employées dans l’agriculture sont les épouses des propriétaires, ce qui rend leur statut de travailleuses invisible.
14. Comme l’explique le Secrétaire général des Nations Unies dans son rapport sur l’amélioration de la situation des femmes dans les zones rurales, «les femmes constituent près de 70 % de la main-d’œuvre agricole, mais la plupart ne possèdent ni ne contrôlent aucune terre. Les femmes rurales sont propriétaires de moins de 10 % de biens dans les pays développés et de 2 % dans les pays en développement. Il est estimé que les femmes d’Afrique reçoivent moins de 10 % de toutes les subventions octroyées aux petits agriculteurs et seulement 1 % de l’ensemble des subventions accordées au secteur agricole» 
			(5) 
			A/64/190,
29 juillet 2009, paragraphe 4..
15. Le lien entre les femmes, l’agriculture et le développement explique pourquoi des organismes des Nations Unies comme l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) 
			(6) 
			La
FAO a joué un rôle pionnier dans ce domaine, en lançant dès 1989
son premier Plan d’action pour l’intégration des femmes dans le
développement. et des institutions financières et économiques mondiales comme la Banque mondiale accordent une attention particulière au rôle crucial des femmes dans les pays en développement.
16. Ces dernières années, une prise de conscience a émergé dans la communauté internationale, qui a réalisé que le fait de négliger les questions d’égalité entre les femmes et les hommes dans le cadre du développement n’était pas seulement contraire aux droits humains mais constituait également une occasion manquée d’accroître la productivité et les revenus agricoles. En particulier dans les pays à faible revenu pour lesquels l’agriculture représente en moyenne 32 % du PIB, les femmes forment une proportion importante de la main-d’œuvre et produisent la majeure partie des aliments consommés localement 
			(7) 
			Banque
mondiale, Gender in Agriculture,
2008..
17. La 4e Conférence mondiale sur les femmes à Beijing, en 1995, a marqué un tournant dans la reconnaissance de la contribution des femmes au développement et l’identification des principales préoccupations concernant la situation des femmes en milieu rural dans le monde. La Déclaration de Beijing et le programme d’action associé ont énormément influé sur la façon dont les gouvernements et les organisations internationales ont abordé la question de l’égalité entre les femmes et les hommes en suivant une approche intégrée dans les années qui ont suivi 
			(8) 
			Voir le site <a href='http://www.un.org/womenwatch/daw/beijing/platform/index.html'>www.un.org/womenwatch/daw/beijing/platform/index.html</a>..
18. A l’issue de la Conférence de Beijing, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté plusieurs résolutions relatives à la question des femmes en milieu rural, dans lesquelles elle a souligné leur extrême vulnérabilité du fait de la récession économique mondiale ainsi que l’importance de politiques et de stratégies agricoles qui tiennent compte des différences entre les femmes et les hommes 
			(9) 
			Voir
les Résolutions 62/206 sur la participation des femmes au développement,
62/190 sur les techniques agricoles au service du développement,
63/187 sur le droit à l’alimentation, 63/229 sur le rôle du microcrédit
et de la microfinance dans l’élimination de la pauvreté, 62/138,
62/140 et 63/158 pour appuyer l’action engagée pour en finir avec
la fistule obstétricale et 62/136 sur l’amélioration de la condition
de la femme en milieu rural..
19. Le texte le plus complet et le plus détaillé adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies sur cette question est la Résolution 62/136 sur l’amélioration de la condition de la femme en milieu rural, qui, entre autres:
  • prie les organismes compétents des Nations Unies, surtout ceux qui s’occupent de développement, de prendre en considération et d’appuyer l’autonomisation et la satisfaction des besoins particuliers des femmes rurales dans leurs programmes et leurs stratégies;
  • invite la Commission de la condition de la femme à continuer d’accorder l’attention voulue à la situation des femmes en milieu rural en tant que thème prioritaire;
  • déclare le 15 octobre Journée internationale des femmes rurales, afin de renforcer la visibilité de cette question;
  • demande aux Etats d’adopter des mesures permettant d’appuyer l’autonomisation des femmes en milieu rural et de veiller à ce qu’une attention suffisante soit accordée à leurs priorités, leurs besoins et leurs contributions, dans les domaines suivants:
  • promouvoir la participation des femmes en milieu rural dans les prises de décisions;
  • renforcer l’émancipation économique des femmes en milieu rural;
  • mettre sur pied des services de santé;
  • éradiquer la violence à l’égard des femmes dans les zones rurales;
  • répondre aux besoins des femmes en milieu rural en situation de vulnérabilité (femmes handicapées, autochtones et femmes âgées);
  • prie le Secrétaire général de lui présenter un rapport examinant les activités entreprises par les Etats membres et les organismes des Nations Unies.
20. Deux ans après l’adoption de la Résolution 62/136 par l’Assemblée générale des Nations Unies, dans son premier rapport rédigé à la demande de l’Assemblée générale, le Secrétaire général des Nations Unies n’a pu que mettre en garde contre le risque que les inégalités et la discrimination subies par les femmes en milieu rural ne s’accroissent du fait de la conjonction de la crise financière et économique, de la menace des changements climatiques, et des crises énergétiques et alimentaires: «En temps de crise, les femmes entreprennent des activités supplémentaires afin de procurer à leur famille des substituts non marchands aux produits du marché devenus trop chers. Compte tenu de la vulnérabilité climatique, la production agricole devrait chuter dans les régions tropicales et les régions plus tempérées, avec un effet négatif direct sur l’agriculture dont les femmes représentent une grande partie des effectifs. Ces dernières années, les hausses brutales du prix des aliments et des carburants ont érodé le pouvoir d’achat des ménages pauvres, en particulier les ménages dirigés par une femme, qui figurent parmi les plus pauvres. Les crises énergétiques et alimentaires ont suscité de fortes préoccupations concernant l’insécurité alimentaire et la malnutrition dans de nombreux pays, mettant ainsi en danger le bien-être et la santé des femmes rurales pauvres et de leurs familles.» 
			(10) 
			Secrétaire général
des Nations Unies, rapport sur l’amélioration de la condition de
la femme en milieu rural, A/64/190, 29 juillet 2009, paragraphe
5.

3. Portrait général des femmes en milieu rural en Europe

21. Les zones rurales en Europe sont extrêmement variées par leur structure sociale et économique, leur géographie et leur culture. De la même façon, les femmes en milieu rural ne constituent pas un groupe homogène: elles ont des rôles et des occupations différents dans des fermes ou des entreprises familiales, peuvent travailler en dehors du secteur agricole, à la maison ou en communauté. Leurs besoins et leurs intérêts diffèrent également, surtout selon leur âge, leur niveau d’études, la taille et la composition de leur famille et l’âge de leurs enfants.
22. La première difficulté rencontrée pour dresser un portrait des femmes rurales en Europe réside dans l’absence de statistiques qui tiennent compte des sexes: les données sont recueillies à d’autres fins, puis rassemblées pour faire ressortir les disparités entre les femmes et les hommes dans les zones rurales, et notamment dans le secteur agricole. En conséquence, les informations disponibles ne sont ni bien ciblées ni comparables à 100 %.
23. Une source d’information précieuse pour l’Union européenne est Eurostat, qui compile des statistiques sur les structures agricoles, ce qui permet de comparer des données sur la main-d’œuvre agricole, ventilées par sexe. A partir de ces informations, certaines caractéristiques générales peuvent être relevées dans l’Union européenne:
  • les femmes représentent 28,7 % des exploitants agricoles et le chiffre est en augmentation;
  • en moyenne, les exploitations tenues par des femmes sont inférieures en taille de 40 % de celles dirigées par des hommes;
  • le pourcentage d’exploitantes individuelles femmes est plus élevé dans les nouveaux Etats membres de l’Union européenne que dans les anciens Etats membres.
24. Même s’il n’existe pas un ensemble uniforme de données ou de statistiques comparables qui s’appliqueraient à toute la zone du Conseil de l’Europe, les informations disponibles permettent d’affirmer:
  • qu’une proportion non négligeable des femmes qui travaillent dans l’agriculture sont des épouses aidantes 
			(11) 
			Dans l’Union européenne, plus
de 80 % des femmes vivant en milieu rural sont des «épouses aidantes»., c’est-à-dire qui apportent une aide ou une participation à l’exploitation agricole sans être considérées comme des associées au sens formel du terme;
  • que dans les zones rurales, le taux de chômage est beaucoup plus élevé que dans les zones urbaines et touche plus les femmes que les hommes;
  • qu’une proportion importante des femmes qui travaillent dans une exploitation agricole sont embauchées à titre temporaire;
  • que de nombreuses femmes travaillant dans les exploitations ont aussi un emploi occasionnel ou à temps partiel, souvent dans un secteur non agricole;
  • qu’une proportion importante de femmes a un travail saisonnier, parfois régi par l’économie souterraine; qu’elles sont de plus en plus nombreuses à être migrantes.

4. La situation dans les pays sélectionnés

25. Dans cette section qui ne prétend pas à l’exhaustivité, je tenterai de décrire l’état des lieux dans certains pays sélectionnés, pour présenter d’une manière générale la complexité des enjeux auxquels les femmes en milieu rural doivent faire face dans différents Etats membres du Conseil de l’Europe.

4.1. Bosnie-Herzégovine 
			(12) 
			Sources: Fonds
international de développement agricole (FIDA), «In post-conflict
Bosnia and Herzegovina, women are a driving force for change» (<a href='http://www.ruralpovertyportal.org/'>www.ruralpovertyportal.org</a>);
Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes,
examen de rapports soumis par les Etats parties en application de
l’article 18 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes
de discrimination à l’égard des femmes, Bosnie-Herzégovine, 18 avril
2005 (CEDAW/C/BIH/1-3).

26. La fin du conflit de 1992-1995 en Bosnie-Herzégovine a marqué le début d’une double transition: la transition de la guerre à la paix, et une transition politique et économique. Aujourd’hui, le produit intérieur brut du pays n’atteint que la moitié de son niveau d’avant-guerre et les dépenses du secteur social ont été réduites de façon spectaculaire. Selon Lenyara Khayasedinova, coordinatrice du programme Intégration de l’égalité hommes-femmes pour l’Europe centrale et orientale et les nouveaux Etats indépendants pour le Fonds international de développement agricole (FIDA), après la guerre, «lorsque les prestations familiales et les services sociaux publics ont été réduits, la condition sociale des femmes a plongé. Il a été constaté un retour à des attitudes plus traditionnelles à l’égard des femmes, qui sont plutôt invitées à rester à la maison pour accomplir les tâches domestiques, même celles qui occupaient autrefois des places prestigieuses dans la vie publique».
27. Pourtant, d’après le FIDA, un quart de la totalité des ménages en Bosnie-Herzégovine sont dirigés par une femme, en raison de la guerre ou du départ des hommes à l’étranger, à la recherche d’un travail. Les salariés du pays ne comptent que 35 % de femmes, qui subissent des discriminations notamment salariales. Outre la difficulté de concilier travail et obligations familiales, les femmes n’ont pas suffisamment accès aux terres, à la formation, au crédit et aux équipements.
28. La situation des femmes est particulièrement difficile dans les zones rurales, où la guerre a laissé des marques profondes et où la mentalité de la population n’est pas tournée vers l’égalité entre les femmes et les hommes; certes, les deux sexes sont égaux devant la loi, mais, de facto, des coutumes inégalitaires persistent en matière d’éducation, et de droits de propriété et d’héritage.
29. Il semble que la couverture sociale (pensions de retraite et assurance-invalidité) ne pose pas problème pour les travailleurs agricoles et les membres de leur famille qui ont une activité agricole comme activité principale; toutefois, seul un nombre réduit de ménages ruraux bénéficie d’une assurance-maladie.
30. Les femmes qui vivent en milieu rural sont mal informées sur leurs droits et ont un accès limité à des services de santé, y compris les services de conseil et de planification familiale, faute de structures appropriées, de fonds suffisants pour pallier cette lacune, et du fait des distances à parcourir pour obtenir de tels services.
31. Malgré les difficultés de la situation, le rapport du Secrétaire général des Nations Unies sur l’amélioration de la situation des femmes dans les zones rurales énumère plusieurs mesures qui vont dans la bonne direction, comme: l’implication de plusieurs organisations de femmes rurales dans l’élaboration du plan d’action national sur l’égalité entre les femmes et les hommes; les efforts déployés par le gouvernement pour intégrer la perspective sexospécifique dans les politiques de développement rural; la participation des femmes entrepreneurs dans des foires commerciales et agricoles; et le renforcement de services mobiles concernant la santé génésique et la planification familiale.
32. Le 15 octobre de cette année, à l’occasion de la Journée internationale de la femme rurale, des associations féminines de la Republika Srpska, en coopération avec le Centre gouvernemental du pays chargé de la promotion de l’égalité entre les sexes, ont lancé la campagne «Egalité pour les femmes rurales», visant à faire ressortir les problèmes des femmes en milieu rural, à accroître leur visibilité et à améliorer leur condition. Les activités de la campagne qui a duré une semaine englobaient un large éventail de tables rondes, de débats et séminaires, d’événements culturels, ainsi que des actions de rue et des promotions dans le cadre desquelles des produits fermiers et des matériels promotionnels ont été distribués aux citoyens 
			(13) 
			Voir
le site <a href='http://www.kampanjainfo.org/'>www.kampanjainfo.org/</a>..

4.2. Finlande 
			(14) 
			Source: Comité pour l’élimination
de la discrimination à l’égard de femmes des Nations Unies, examen
de rapports soumis par les Etats parties en application de l’article
18 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
à l’égard des femmes, Finlande, 26 février 2004 (CEDAW/C/FIN/5).

33. La Finlande offre plusieurs caractéristiques qui en font une étude de cas intéressante pour le présent rapport; il s’agit de l’un des pays les plus avancés en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, un pays relativement riche, et qui présente un secteur agricole important et une densité de population au kilomètre carré très faible, surtout dans les zones rurales.
34. Ce pays a compris depuis des années qu’il est indispensable d’intégrer l’égalité entre les femmes et les hommes dans les politiques agricoles et, dans cet esprit, des organes et des plans d’action spécifiques ont été mis en place sur une base périodique. En 2003, un groupe de travail sur les femmes, créé dans le cadre du plan d’action national (nommé «Programme de politique rurale»), a élaboré un Plan d’action pour les femmes rurales. La Stratégie de développement rural de la Finlande pour 2007-2013 prévoit différentes mesures destinées à améliorer la situation des femmes rurales, entre autres groupes 
			(15) 
			Plan
stratégique national conforme au Règlement du Conseil (CE) no 1698/2005
concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen
agricole pour le développement rural (FEADER)..
35. Le nombre de femmes propriétaires terriennes et entrepreneurs est relativement élevé, même si les statistiques manquent de précision pour ce qui est des copropriétés: lorsque les épouses sont copropriétaires, les statistiques ne prennent en compte que l’un des deux propriétaires, en général l’homme 
			(16) 
			Particulièrement en Finlande
et en Suède (voir Commission européenne, Comité consultatif sur
les femmes dans les zones rurales, projet de procès-verbal de la
réunion du 25 mars 2010).. Des organismes gouvernementaux comme l’Agence de promotion de l’entreprenariat féminin organisent ou soutiennent des formations destinées à améliorer les talents d’entrepreneur des femmes. Il n’est pas plus difficile pour les femmes que pour les hommes de trouver un emploi à la campagne 
			(17) 
			Voir
la Stratégie de développement rural de la Finlande pour 2007-2013..
36. Un système intégré d’apprentissage à distance et, plus récemment, des investissements importants dans les technologies de l’information et des communications ont permis de renforcer le niveau d’études des femmes vivant en milieu rural, même dans des zones reculées. En outre, le modèle nordique de l’éducation des adultes organisée par des instituts ruraux locaux a donné des résultats particulièrement probants 
			(18) 
			Présentation faite par Mme Merja Siltanen
lors de l’audition sur «La véritable situation des femmes en milieu
rural en Europe» à Paris, le 26 mars 2010..

4.3. Italie 
			(19) 
			Principale source: Veronica
Navarra, «Rural development policies
and programmes in support of rural women, The Italian experience»,
Observatoire national pour les femmes entrepreneurs et le travail
des femmes dans l’agriculture (ONILFA), <a href='http://www.onilfa.it/'>www.onilfa.it</a>.

37. L’Italie enregistre les taux d’emploi des femmes les plus bas (42 %) comparés à la moyenne de l’Union européenne (55,6 %). Dans les années 1990, du fait de la déréglementation progressive du marché de l’emploi et de la volonté d’abaisser le taux de chômage élevé, plusieurs politiques et mesures législatives ont été adoptées pour stimuler l’esprit d’entreprise, comme la simplification des procédures de création d’une entreprise, la réduction des charges afférentes, un accès plus facile au crédit, l’amélioration de la couverture sociale des travailleurs indépendants, etc.
38. Des mesures spécifiques ont également vu le jour, ciblant uniquement les jeunes et les femmes, comme la loi 215/92 sur les actions positives en faveur de l’entreprenariat féminin; cet instrument jette les bases juridiques permettant d’octroyer des subventions aux femmes qui créent ou développent une entreprise et vise à lever les contraintes socio-économiques qui restreignent, voire interdisent, l’accès des femmes au marché du travail et à l’entreprise, comme le manque de formation adéquate ou d’information.
39. Selon l’Institut national de la statistique (ISTAT), entre 1999 et 2003, le nombre d’exploitations agricoles tenues par des femmes a légèrement augmenté (passant de 26,3 à 27,3 %), et même si ce pourcentage demeure faible par rapport aux hommes, il continue de grimper.
40. En Italie, le vieillissement de la population rurale est l’une des principales contraintes qui freinent le développement rural. En effet, dans l’agriculture, il existe un pourcentage élevé de femmes entrant dans le groupe d’âge 35-54 ans (59,4 %), un petit pourcentage de femmes âgées de 15 à 34 ans (22,9 %), et les femmes de plus de 50 ans totalisent 33,9 %. Cette répartition des âges n’est pas la même chez les femmes qui travaillent dans les secteurs secondaire et tertiaire, où le pourcentage des femmes de 15 à 34 ans est plus élevé (39,2 %), et celui des femmes de plus de 50 ans moins élevé (17,8 %).
41. En général, le niveau d’études des femmes qui travaillent dans l’agriculture est inférieur à la moyenne nationale: selon les données 2001 de l’ISTAT, seules 1,7 % d’entre elles ont un diplôme universitaire, 16,6 % sont diplômées du secondaire, 36,5 % ont achevé la scolarité obligatoire, et 5,6 % ne sont pas allées au bout de la scolarité obligatoire.
42. Les femmes vivant en milieu rural ont un nombre d’heures de travail plus important que d’autres travailleuses féminines; 27,5 % d’entre elles travaillent à temps partiel. La majorité des exploitations agricoles dirigées par des femmes conjuguent efficience, innovation et diversification, par exemple en privilégiant la vente directe des produits fermiers et le tourisme agricole.
43. En 1997, le Gouvernement italien a créé un Observatoire national pour les femmes entrepreneurs et le travail des femmes dans l’agriculture (ONILFA), qui, sous l’égide du ministre de l’Agriculture et avec l’aide de représentants des autres ministères concernés, a pour vocation d’évaluer les possibilités réelles d’emploi pour les femmes dans le secteur rural et d’élaborer la stratégie requise pour améliorer ces possibilités.

4.4. Pologne 
			(20) 
			Source: ministère du Travail
et des Politiques sociales, Service des femmes, de la famille et
de la lutte contre la discrimination, «Analyse de la situation sociale
et professionnelle des femmes rurales en Pologne», publié sous la direction
de Jerzy Krzyszkowski, Varsovie, 2008.

44. Depuis 1989, la Pologne, ainsi que d’autres pays de la région, a entrepris des transformations socio-économiques radicales qui se sont répercutées dans les zones rurales. Malheureusement, malgré l’importance du secteur agricole dans l’économie polonaise, les questions liées à la vie dans les zones rurales et à leurs habitants figurent toujours parmi les domaines de recherche les plus négligés; les spécialistes de l’agriculture ou de la condition féminine orientent rarement leurs recherches vers les femmes qui vivent en milieu rural.
45. De nos jours, l’économie rurale polonaise s’appuie sur de petites exploitations produisant surtout des aliments destinés à leur propre usage; y prédominent également de petites entreprises familiales dont les gains négligeables ne font que refléter une faible demande en biens et services, en raison du chômage et de la pauvreté des zones rurales. Cette situation est aggravée par le fait que de nombreuses exploitations sont tenues par des personnes âgées et solitaires, dont les principales ressources financières sont des prestations sociales, et qui n’ont ni les moyens ni l’esprit d’initiative requis pour changer leur mode d’exploitation ou adopter une approche innovante.
46. La population rurale représente 38,6 % de l’ensemble de la population polonaise, les femmes atteignant 50,2 % dans les zones rurales. Le peuplement rural est fragmenté et se compose de 53 000 localités, dont 15 % sont occupées par moins de 100 habitants, 66 % par une population allant de 100 à 500 habitants, 13 % par une population enregistrant 500 à 1 000 habitants, et seules 6 % comptent plus de 1 000 personnes.
47. Dans les années 2000-2005, le pourcentage de la population en âge de travailler est passé de 56,8 % à 60,7 % dans les zones rurales (contre 66,1 % dans les zones urbaines). D’après les prévisions, d’ici à 2015, ce pourcentage atteindra 63,7 % dans les zones rurales et descendra à 63,2 % dans les zones urbaines. Cette augmentation dans les zones rurales s’explique, d’une part, parce que les familles rurales ont plus d’enfants et, d’autre part, parce que durant quinze ans un processus de «retour aux sources» s’est peu à peu engagé: une part croissante de citadins polonais – principalement des entrepreneurs, riches et dotés d’un bon niveau d’études – s’installent à la campagne, à proximité des villes; dans le même temps, l’exode rural des habitants à la recherche d’un emploi a cessé, et ils regagnent les campagnes.
48. Le vieillissement constitue un grave problème en Pologne, surtout dans les zones rurales, où le pourcentage d’habitants d’âge postproductif au plan économique est supérieur à celui des villes. En ce qui concerne la structure des âges dans les zones rurales, les hommes sont plus nombreux que les femmes en dessous de 54 ans, et les femmes sont plus nombreuses que les hommes au-dessus de 54 ans.
49. Les statistiques ne distinguent pas la situation des femmes rurales au regard de l’emploi, mais des recherches et des enquêtes montrent que les femmes en milieu rural sont plus souvent au chômage que les hommes et que les citadines. Le phénomène est principalement dû à la pénurie d’offres d’emploi dans leur zone de résidence, à la distance par rapport aux grandes villes, à l’insuffisance des transports locaux, à la mauvaise qualité des routes et au manque d’infrastructures sociales (garderies, maisons de retraite ou services sociaux).
50. Le Fonds agricole d’assurance sociale (KRUS) couvre 4,5 millions d’agriculteurs et est également accessible aux femmes et aux hommes; les prestations de sécurité sociale et les règles sont les mêmes pour les deux sexes, à l’exception d’un âge de départ à la retraite plus bas pour les femmes. De plus, les femmes en milieu rural peuvent bénéficier de primes de naissance (trois pensions de base) et d’allocations de maternité (l’équivalent de huit semaines d’indemnité de maladie). Toute femme assurée depuis au moins un an peut bénéficier de ces prestations 
			(21) 
			Comité pour l’élimination de la discrimination
à l’égard de femmes, examen de rapports soumis par les Etats parties en
application de l’article 18 de la Convention sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, Pologne,
13 décembre 2004 (CEDAW/C/POL/6), paragraphes 233-234..
51. Même si la Pologne est membre de l’Union européenne depuis 2004, les enquêtes montrent que les femmes en milieu rural ne songent pas à recourir aux fonds structurels de l’Union européenne, en grande partie parce qu’elles ne connaissent pas les procédures administratives à suivre. Elles sont également réticentes à changer de modèle d’agriculture pour adopter des approches innovantes qui se sont avérées fructueuses dans d’autres Etats membres de l’Union, comme le tourisme agricole; de la même façon, rares sont les femmes vivant en milieu rural qui envisagent de travailler à la maison (télétravail).
52. Il existe toutefois des signes de changement positifs: les femmes qui apportent leur contribution aux revenus familiaux sont plus fréquemment traitées comme des partenaires égaux pour ce qui est de la prise de décisions, et l’autorité des femmes se renforce au sein de la famille 
			(22) 
			Ibid..

4.5. Fédération de Russie 
			(23) 
			Exposé de
Mme Elena Vassilieva lors de l’audition sur «La situation réelle
des femmes rurales en Europe».

53. En Fédération de Russie, la population rurale compte 38 millions de personnes dont 20 millions de femmes; 9 millions d’entre elles sont en âge de travailler. Le pourcentage de femmes occupant des postes à responsabilité en tant qu’agricultrices, chefs d’entreprise ou au sein de moyennes et grandes entreprises est de 19 %. Le nombre de femmes en milieu rural ayant une formation professionnelle supérieure est 1,6 fois supérieur à celui des hommes ruraux. Proportionnellement, cependant, le taux de chômage des femmes est supérieur.
54. Les principaux problèmes sociaux qui touchent les zones rurales sont la pauvreté et le bas niveau de vie: le revenu moyen est de 235 euros par mois, ce qui représente 47 % d’un salaire en milieu urbain. Le chômage est deux fois plus élevé que dans les villes.
55. Sur la période 2000-2008, la fourniture de services essentiels tels que les écoles maternelles, les écoles, les hôpitaux et les transports en commun a été réduite de 18, 24, 22 et 20 % respectivement. En même temps, 34 % des villages ruraux n’ont pas de routes à revêtement dur.
56. Selon les ONG, bien que la Fédération de Russie ait pris de nombreuses mesures visant à éliminer la discrimination contre les femmes, dans la réalité la discrimination envers les femmes vivant en milieu rural persiste sous différentes formes.
57. En premier lieu, aucun cadre juridique spécifique, complet et actualisé n’aborde leur situation. La disposition législative la plus récente à cet égard est la résolution du Soviet suprême RSFSR 11/1/1990 N 298/3-1 intitulée «Mesures urgentes pour l’amélioration de la situation des femmes, des familles et de la maternité et plaidoyer pour l’enfance en milieu rural», qui date de 1990. De la même façon, aucun programme d’action sociale ne couvre la problématique spécifique des femmes vivant en zone rurale 
			(24) 
			Rapport alternatif
sur la discrimination et le statut des femmes rurales en Fédération
de Russie, préparé par le Centre de recherche sur les questions
de genre de Novgorod (organisme public régional de la Fédération
de Russie) pour la 46e session du Comité pour l’élimination de la
discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), 2010..
58. En deuxième lieu, les femmes rurales ne connaissent pas leurs droits. Par ailleurs, les autorités locales et nationales «ferment les yeux» en ce qui concerne l’application de la loi dans différentes situations qui les touchent tout particulièrement, comme les violences sexuelles, les violences au sein de la famille, ou encore l’application du droit du travail et de la loi sur la non-discrimination (ou «discrimination passive»).
59. Les conséquences négatives des réformes agraires entreprises dans les années 1990 ont touché l’ensemble de la population agricole, mais la situation est encore plus désavantageuse pour les femmes. Les réformes des exploitations agricoles et leur privatisation ont été effectuées sans aucune participation des femmes. Cela s’explique par leur insuffisante représentation au sein des collectivités locales, mais aussi par le fait que la plupart des femmes n’avaient ni les moyens ni les compétences nécessaires pour monter leur propre exploitation.
60. En outre, tout comme les femmes urbaines, les femmes rurales ont été très touchées par la réduction du nombre de centres publics de santé, d’enseignement et de commerce dans les campagnes, où elles étaient très nombreuses à travailler comme employées de l’Etat.
61. L’accessibilité des services de santé est un problème majeur. Dans les zones rurales, la réduction des dépenses du gouvernement dans les services publics de santé a entraîné la fermeture d’établissements spécialisés et d’hôpitaux. La plupart des services médicaux sont payants. Les services de premiers secours sont rares.
62. Des inquiétudes ont été exprimées à propos du manque de confidentialité des employés des services médicaux dans les zones rurales, en ce qui concerne les diagnostics de séropositivité au VIH, de toxicomanie et d’hépatite. Les diagnostics concernant les mères sont également transmis aux établissements scolaires, car ces informations figurent sur les fiches médicales des enfants. Cela peut donner lieu à des discriminations non seulement envers la mère, mais aussi envers l’enfant 
			(25) 
			Ibid..
63. En milieu rural, le pourcentage de femmes souffrant d’anémie est élevé en raison de la détérioration de la qualité des aliments et des conditions écologiques des zones rurales. L’incidence des maladies professionnelles demeure importante chez les femmes. Les problèmes les plus courants sont ceux touchant la colonne vertébrale et les organes respiratoires 
			(26) 
			Comité pour l’élimination
de la discrimination à l’égard des femmes, examen des rapports soumis
par les Etats parties conformément à l’article 18 de la Convention
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard
des femmes, Fédération de Russie (CEDAW/C/USR/5)..
64. Malgré leur fort taux de chômage et leur pauvreté, les familles rurales ont généralement beaucoup d’enfants. Cela peut être considéré comme un résultat positif de la politique du gouvernement visant à combattre le déclin de la population. Une vaste gamme de mesures a été mise en place afin d’améliorer la qualité et la disponibilité de l’assistance médicale et des avantages sociaux pour les mères et leurs enfants, et de soutenir les familles jeunes et nombreuses, en particulier celles ayant plus de trois enfants, par des avantages financiers et des réductions fiscales 
			(27) 
			Informations
fournies par M. Valery Parfenov (Fédération de Russie, GDE)..

4.6. Espagne 
			(28) 
			Sauf indication contraire,
les sources pour ce chapitre sont: Inocencia Maria Martinez Leon
et Dolores de Miguel Gomez, La importancia
de la mujer en el medio rural espanol, Universidad Politécnica
de Cartagena, 2007.

65. En Espagne, 24 % de la population vit en zone rurale, dont 5 millions de femmes. L’Espagnole moyenne qui vit en zone rurale est mariée, a plus de 50 ans, 2,3 enfants, et consacre huit heures par jour aux tâches ménagères et cinq à des activités extérieures.
66. Moins de 9 % des fermes sont gérées par des femmes. Dans la plupart des cas, du fait de la petite taille des exploitations (moins d’un hectare), elles produisent des revenus inférieurs au seuil de subsistance; 3 % seulement des exploitations de plus de 50 ha sont dirigées par des femmes. Le niveau de responsabilité de ces femmes dans la gestion de leur exploitation ne correspond pas à leur réel pouvoir de décision, car leur époux ou les hommes de leur famille ont le dernier mot en raison de la persistance d’une mentalité patriarcale.
67. Un nombre grandissant d’agricultrices sont engagées dans des activités innovatrices telles que le tourisme rural, la production d’aliments biologiques, la transformation et le commerce de produits agricoles, l’artisanat traditionnel, etc. En ce qui concerne les femmes ayant des droits de propriété sur leur exploitation ou sur leurs terres, 32 % ont plus de 65 ans, 7,4 % moins de 35 ans et 1,4 % seulement moins de 25 ans. Le vieillissement de la population est particulièrement marqué en Galice (36 %) et au Pays basque (46 %).
68. 82 % des femmes qui vivent à la campagne aident leur conjoint ou des membres de leur famille. Leur statut n’est pas clairement défini dans la législation: elles ne reçoivent pas de salaire et seules 59 % d’entre elles sont couvertes par les assurances sociales. On assiste depuis quelques années à une forte augmentation du nombre de travailleuses migrantes dans l’industrie agroalimentaire qui sont employées comme ouvrières agricoles temporaires.
69. Au 31 décembre 2006, 463 628 femmes relevaient du régime spécial agricole de la sécurité sociale (Régimen Especial Agrario de la Seguridad Social, REASS), dont 81 % de salariées, les autres étant indépendantes. La part des femmes dans un autre régime de sécurité sociale pour les travailleurs indépendants (Registro de Inscritos en el Régimen Especial de Trabajadores Autónomos, RETA) a connu une hausse de 51 % sur la période 1999-2006 
			(29) 
			Ministère de l’Agriculture,
de la Pêche et de l’Alimentation, Plan
para favorecer la igualdad entre mujeres y hombres en el medio rural,
2007, annexe I..
70. En 2007, le gouvernement a adopté un plan visant à favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes en milieu rural, ainsi que la loi 45/2007 concernant le développement rural durable, qui introduisait le principe de transversalité dans les politiques de développement rural et encourageait une participation active des femmes ayant des postes à responsabilité, ainsi que l’action positive. Des appels ont également été lancés afin de mettre en avant le travail des femmes et leur rôle en tant que propriétaires ou copropriétaires d’exploitations, et de favoriser le maintien de leur activité agricole ou leur incorporation à l’agriculture, l’emploi féminin et la diversification des activités, la formation, la conciliation entre travail et vie familiale, et l’accès aux nouvelles technologies 
			(30) 
			Voir le site <a href='http://www.mapa.es/desarrollo/pags/mujer/plan_igualdad/indice.pdf'>www.mapa.es/desarrollo/pags/mujer/plan_igualdad/indice.pdf</a>..
71. Le ministère de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation apporte son parrainage à des actions visant à encourager le développement des capacités entrepreneuriales des femmes ainsi que leur rôle de direction. C’est là un intéressant exemple de bonnes pratiques. En 2010, le ministère a décerné le premier prix d’excellence en innovation pour les femmes rurales 
			(31) 
			Voir le site <a href='http://www.meattradenewsdaily.co.uk/default.aspx?Country=Spain'>www.meattradenewsdaily.co.uk/default.aspx?Country=Spain</a>..
72. Un progrès important dans la situation juridique des femmes rurales a eu lieu en 2009, avec l’entrée en vigueur du décret royal sur la propriété partagée. Ce décret établit les droits et obligations découlant de la propriété partagée dans l’agriculture et met en place des avantages dans des domaines tels que des indemnités de sécurité sociale, un accès facilité à une assistance financière, des avantages pour l’emploi des jeunes, etc. 
			(32) 
			Voir
le site <a href='http://www.boe.es/boe/dias/2009/10/14/pdfs/BOE-A-2009-16339.pdf'>www.boe.es/boe/dias/2009/10/14/pdfs/BOE-A-2009-16339.pdf</a>..

4.7. Turquie

73. L’agriculture est une source d’emploi traditionnelle pour les femmes turques. Ces dernières sont désavantagées dans les secteurs de l’industrie et des services car elles ont un niveau d’instruction inférieur, des qualifications professionnelles moins bien ciblées ou des contraintes familiales et culturelles. 73 % des femmes qui travaillent sont occupées à des activités agricoles, contre 40 % des hommes.
74. Comparée à d’autres secteurs, l’agriculture emploie une plus grande proportion de travailleurs analphabètes. Sur la période 1995-2006, le taux global d’alphabétisation était de 88,1 % (96 % pour les hommes et 80,1 % pour les femmes) 
			(33) 
			Comité pour l’élimination
de la discrimination à l’égard des femmes, examen des rapports soumis
par les Etats parties conformément à l’article 18 de la Convention
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard
des femmes, Turquie, 24 novembre 2008 (CEDAW/C/TUR/6).. En 2008, le taux d’alphabétisation pour les femmes a augmenté à 86,91 %, selon l’Institut statistique turc. Malgré cette amélioration, en moyenne les trois quarts des hommes et la quasi-totalité des femmes analphabètes font partie de la main-d’œuvre agricole. Lorsque le niveau d’instruction augmente, tant les femmes que les hommes préfèrent travailler dans d’autres secteurs de l’économie.
75. La part des femmes est très importante dans les activités de stockage, entretien, vente et traitement, mais elles ne participent pas, ou très peu, à la prise de décision à l’échelle de l’exploitation. Cela est vrai y compris lorsque les femmes assument dans les faits la responsabilité de l’exploitation, lorsque les hommes partent en ville en quête de travail.
76. Environ 77 % des femmes travaillant dans le secteur agricole le font dans des entreprises familiales sans être rémunérées. Malgré leur contribution à l’agriculture, le rôle important qu’elles jouent n’est pas bien reconnu: le travail des femmes dans les activités rurales traditionnelles est souvent non rémunéré et n’est pas considéré comme du travail mais comme un «mode de vie». Dans les familles sans terres, la plupart des travailleurs saisonniers sont des femmes. Ces deux catégories ne sont pas couvertes par le système de sécurité sociale.
77. La plupart des villages ruraux ont un centre de soins ou un établissement de santé qui assure les soins de santé primaires et la prise en charge materno-infantile. Selon les autorités turques elles-mêmes, cependant, ce système n’est pas suffisant en cas de problèmes de santé graves, notamment en matière de santé reproductive (complications de la grossesse, etc.) 
			(34) 
			Ibid..
78. En Turquie, les avortements à risque sont l’une des premières causes de décès chez les femmes en âge de procréer. Malgré le caractère libéral de la loi relative à l’avortement, le nombre d’interruptions volontaires de grossesse (IVG) pratiquées dans le délai légal de dix semaines a été nettement réduit par l’exigence de ce que l’intervention ne soit effectuée que par un gynécologue ou sous sa supervision. Ce facteur est particulièrement important dans la Turquie rurale, où les médecins spécialistes (quelle que soit la spécialité) sont rares ou inexistants. Dès lors, beaucoup de centres de soins ruraux non dotés d’un spécialiste formé ne peuvent assurer cette prestation. Une femme turque vivant en milieu rural et souhaitant bénéficier d’une IVG dans les dix premières semaines de grossesse n’en aura donc pas toujours la possibilité 
			(35) 
			Voir le site <a href='http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2435661/'>www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2435661/</a>..
79. La situation des femmes en milieu rural varie considérablement d’une région à l’autre. Le projet d’aménagement rural le plus complet à ce jour couvre le territoire le plus pauvre de Turquie. Il s’agit du projet GAP de développement du Sud-Est anatolien, encore en cours de réalisation. L’une des initiatives les plus innovatrices lancées dans le cadre du GAP est la création des ÇATOM (en anglais «multi-purpose community centres»), conçus pour faciliter la participation des femmes au processus de développement et dirigés par des femmes élues par les participantes elles-mêmes 
			(36) 
			Innovations pour l’autonomisation des
femmes dans la région du GAP, rapport d’activité, janvier-juin 2009;
étude réalisée avec le soutien de l’Agence suédoise de coopération
internationale au développement. . Les principales activités des ÇATOM sont notamment:
  • des programmes courts de formation (alphabétisation, informatique, anglais, économie familiale);
  • des programmes portant sur l’hygiène, la santé materno-infantile, les services médicaux essentiels;
  • le renforcement des capacités en matière de gestion et de direction;
  • la formation à des activités génératrices de revenus (artisanat, couture, coiffure, etc.).
80. En général, ces dernières années, le Gouvernement turc a fait un grand effort pour améliorer la disponibilité d’assistance médicale pour les femmes en milieu rural, y compris dans des zones reculées, en mettant en place des structures dans lesquelles elles peuvent accoucher et rester pour une certaine période après l’accouchement, ainsi que des services d’hélicoptères pour les urgences. De la même manière, des programmes spéciaux et des campagnes ont été menés afin d’améliorer le taux d’alphabétisme, qui est fondamental pour l’autonomisation des femmes 
			(37) 
			Informations fournies
par Mme Nursuna Memecan (Turquie, ADLE)..

5. Le rôle de l’Union européenne

81. Grâce à son cadre juridique exhaustif et à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne sur la non-discrimination fondée sur le sexe dans le domaine de l’emploi, l’Union européenne a joué un grand rôle dans l’amélioration de la situation des femmes en milieu rural dans ses Etats membres, y compris les pays d’Europe de l’Est qui ont rejoint l’Union au cours des deux derniers cycles d’adhésion. Il a de fait été demandé à ces pays de s’adapter à l’acquis communautaire en la matière avant même leur adhésion officielle.
82. Dans les années 1990, l’Union européenne a, de plus, fait un bond en avant dans le domaine de l’égalité entre les sexes en s’engageant à appliquer une approche intégrée de l’égalité dans toutes les politiques de l’Union, y compris dans le cadre des Fonds structurels. Le 2 décembre 1996, le Conseil de l’Union européenne a adopté une résolution concernant l’intégration de la dimension de l’égalité des chances entre femmes et hommes dans le cadre des Fonds structurels européens 
			(38) 
			Journal
officiel C 386, 20 décembre 1996., dans laquelle il invite les Etats membres à tirer pleinement partie des possibilités existantes en matière de programmation dans le cadre des différentes formes d’intervention des Fonds structurels afin de promouvoir l’égalité des chances et à examiner les possibilités de réorientation des programmes en fonction des priorités établies, à savoir la lutte contre le chômage et pour l’égalité des chances. Entre autres mesures, le Conseil a invité la Commission à systématiser le recensement des exemples de bonnes pratiques et la diffusion d’informations et d’expériences concernant ces bonnes pratiques, et à faire le point chaque année, dans le cadre de son rapport annuel sur les Fonds structurels, sur la mise en œuvre de la résolution 
			(39) 
			Dr Mary Braithwait, Mainstreaming Gender in the European Structural
Funds, 2000..
83. Depuis, la dimension de l’égalité hommes-femmes a été systématiquement prise en compte dans le cadre des Fonds structurels, y compris dans le cadre de la Politique agricole commune, à toutes les étapes (elle est explicitement mentionnée dans les objectifs des fonds, et doit figurer dans la préparation des propositions de programme, dans la gestion des programmes, dans le suivi et l’évaluation). Cette approche intégrée est réitérée dans diverses réglementations, directives et communications de l’Union européenne.
84. Au cours des vingt dernières années, l’Union européenne a en outre mis en place plusieurs programmes financiers destinés à favoriser l’application effective du principe de l’égalité entre les sexes, notamment:
  • l’initiative NOW (New Opportunities for Women), qui vise à appuyer des activités de formation et des projets de création d’emploi et d’aide aux entreprises, notamment pour les femmes en milieu rural;
  • l’initiative Leader+ (mise en œuvre dans le cadre de la Politique agricole commune sur la période 2000-2006), axée sur la création d’emplois pour les jeunes et pour les femmes dans les territoires ruraux par le biais d’incitations au développement de nouvelles activités et sources d’emploi;
  • le programme Progress (2007-2013) pour l’emploi et la solidarité, qui couvre des activités en matière de lutte contre la discrimination, d’égalité hommes-femmes, d’emploi et de lutte contre l’exclusion sociale.
85. La présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne a tout mis en œuvre pour faire avancer le programme d’action visant à améliorer l’égalité entre les sexes en milieu rural. Elle s’est ainsi énergiquement employée à promouvoir un certain nombre de manifestations ayant un grand retentissement ainsi que des réunions officielles et informelles 
			(40) 
			Voir, par exemple, le Forum européen
sur le rôle des femmes dans le développement durable du milieu rural (Cáceres,
avril 2010) et sa déclaration finale.. Enfin, elle a réussi à faire approuver une nouvelle directive concernant l’application du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes exerçant une activité indépendante (Directive 2010/41/EU), finalisée quelques jours seulement après la fin de la présidence.
86. Ce texte abroge la Directive 86/613/CEE du Conseil, du 11 décembre 1986, sur l’application du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes exerçant une activité indépendante, y compris une activité agricole, ainsi que sur la protection de la maternité 
			(41) 
			Journal
officiel L 359, 19 décembre 1986., comme cela avait été demandé à maintes reprises par le Parlement européen 
			(42) 
			Résolution
du Parlement européen du 12 mars 2008 sur la situation des femmes
dans les zones rurales de l’Union européenne (INI/2007/2117)..
87. La Directive 2010/41 devrait être un texte qui fera date, car il affirme pour la première fois le droit des femmes exerçant une activité indépendante et des conjoints aidants des travailleurs indépendants – c’est-à-dire la majorité des femmes travaillant en milieu rural – à bénéficier d’un congé maternité et de prestations de maternité, ainsi que le droit des conjoints aidants de travailleurs indépendants de bénéficier d’une protection sociale autonome.
88. Cependant, il faut aussi rappeler que, même avant la Directive 2010/41, un certain nombre de pays membres de l’Union européenne, tels que la Belgique, la France et l’Espagne, avaient reconnu le statut de conjoints aidants dans l’agriculture, en leur garantissant les mêmes droits que le propriétaire dans le domaine des droits sociaux, de l’accès à l’assistance financière, etc.

6. Principaux domaines critiques et mesures pour y faire face

89. Dans ce chapitre, je souhaite résumer les principaux problèmes auxquels sont confrontées les femmes en milieu rural et présenter quelques recommandations fondamentales, que je développe en détail dans le projet de résolution, pour faire face à ces problèmes.

6.1. Conditions économiques

6.1.1. Revenu indépendant

90. Il a déjà été souligné que la grande majorité des femmes employées dans des travaux agricoles travaillent dans l’exploitation familiale; elles ne peuvent pas gagner de revenu monétaire indépendamment de leur conjoint ou de leurs proches. Toutefois, étant donné que les revenus provenant de l’exploitation agricole sont souvent insuffisants pour couvrir les besoins de la famille, dans de nombreux pays européens les femmes rurales exercent aussi une autre activité, habituellement dans la ville voisine. L’absence de revenus monétaires crée souvent une situation de dépendance.

6.1.1.1. Recommandations:

91. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient établir un registre des femmes et membres de la famille aidants; ils devraient prévoir la déclaration de la copropriété dans les documents juridiques et statistiques; ils devraient proposer ou soutenir la formation professionnelle des femmes dans les régions rurales.

6.1.2. Droits de propriété et de succession

92. Même si les législations des Etats membres du Conseil de l’Europe ont été remaniées afin d’éliminer les inégalités entre les sexes en matière de droits de propriété et de succession, la persistance des coutumes et des pratiques patriarcales altère souvent la capacité des femmes de jouir de ces droits 
			(43) 
			Hors
des frontières européennes, l’inégalité d’accès à la propriété et
aux droits de succession est encore consacrée par la loi: voir la
présentation de Mme Rachida Tahri à l’audition sur la situation
des femmes rurales..
93. Les obstacles les plus courants sont les suivants:
  • au moment de l’enregistrement, la personne considérée comme le «chef de famille» – en général, le mari – est indiquée comme étant le propriétaire unique de l’exploitation ou des terres;
  • par conséquent, lorsque le propriétaire unique meurt, sa femme partage la propriété avec les autres héritiers, sans avoir le droit de la vendre ou de l’hypothéquer en tant que copropriétaire;
  • dans le cadre de la succession, les terres ou l’exploitation sont cédées aux héritiers masculins, considérés plus aptes à poursuivre cette activité. Dans certains cas, les femmes laissent leur part d’héritage aux héritiers masculins, pour la même raison.
94. Cette vulnérabilité des femmes à la discrimination dans l’accès aux droits de propriété n’a pas été dûment prise en compte dans le cadre de la réforme agraire, qui a eu lieu au cours des années 1990 dans les pays d’Europe centrale et orientale.

6.1.2.1. Recommandations:

95. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient mettre en place des campagnes de sensibilisation ainsi que des services d’information afin de faire connaître leurs droits aux femmes en milieu rural; ils devraient en outre empêcher l’application discriminatoire du droit par les autorités, à tous les niveaux.

6.1.3. Garantir l’accès au crédit et aux autres financements

96. A l’évidence, l’accès limité des femmes rurales aux droits de propriété se répercute aussi sur leur capacité d’obtenir des prêts bancaires. Certains pays européens ont ouvert la marche en introduisant des programmes spéciaux visant à aider les femmes chefs d’entreprises à créer de nouvelles entreprises: en Norvège, par exemple, les femmes sont les bénéficiaires d’environ 50 % de l’aide publique au développement rural.
97. Cependant, la méconnaissance des possibilités de financements et le manque d’assurance des femmes rurales dans la gestion des procédures administratives nécessaires constituent un obstacle majeur.

6.1.3.1. Recommandations:

98. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient mettre en place des financements spécifiques visant à favoriser l’emploi des femmes en milieu rural ainsi que leur esprit d’entreprise; ils devraient diffuser des informations et promouvoir la formation concernant les procédures permettant d’obtenir ces financements dans les zones rurales ainsi que les subventions de l’Union européenne ou d’autres organisations.

6.2. Conditions sociales

6.2.1. Sécurité sociale

99. Alors que les femmes propriétaires ou copropriétaires d’exploitations agricoles bénéficient de la sécurité sociale en tant que travailleuses indépendantes, la plupart des femmes en milieu rural – en raison de leur statut de conjoint «aidant» – n’ont pas droit à la sécurité sociale à titre personnel, mais sont considérées comme des adultes à charge. Par conséquent, elles ne peuvent pas généralement bénéficier de l’aide sociale, des congés de maternité et des pensions de retraite, à moins que les législations nationales ne le prévoient spécifiquement. Cette situation devrait changer dans les Etats membres de l’Union européenne à la suite de l’entrée en vigueur de la Directive 2010/41, évoquée ci-dessus.

6.2.1.1. Recommandations:

100. L’Union européenne devrait suivre de près la mise en œuvre de la Directive 2010/41 dans ses Etats membres; les Etats non membres de l’Union européenne devraient prévoir des dispositions juridiques concernant la situation des conjoints aidants et reconnaître le droit aux congés et aux allocations de maternité ainsi que le droit à une protection sociale indépendante aux conjoints aidants de travailleurs indépendants.

6.2.2. Conditions de travail

101. Les femmes employées dans l’agriculture peuvent être exposées aux mêmes risques et dangers que les travailleurs masculins, mais elles sont, en outre, confrontées à d’autres risques, notamment en matière de santé reproductive, ceux causés par les pesticides et les produits phytosanitaires.
102. Le fait que les conjoints collaborateurs n’entrent pas habituellement dans le champ d’application de la législation en matière de sécurité et de santé est une source d’inquiétude particulière. Certains Etats membres du Conseil de l’Europe, comme le Royaume-Uni, ont décidé de considérer ces travailleurs agricoles comme des employés, aux fins des règlements de sécurité et d’hygiène, et ont pris en charge ce problème dans le cadre d’orientations sectorielles.

6.2.2.1. Recommandations:

103. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient améliorer les conditions de travail des femmes et des hommes dans l’agriculture et garantir une approche respectueuse de la différence entre les hommes et les femmes dans l’évaluation des risques et la prévention des dangers pour la santé des travailleurs agricoles. Une attention particulière devrait être accordée à la situation des femmes enceintes et des mères qui allaitent.

6.2.3. Manque de services, notamment les services de santé et d’aide maternelle

104. Malgré les différences régionales, les zones rurales dans l’ensemble des pays du Conseil de l’Europe souffrent d’une disponibilité limitée de services en matière d’aide maternelle, d’hôpitaux et de prise en charge des personnes âgées et handicapées, ainsi que de santé sexuelle et reproductive et de planification familiale. Dans certaines régions reculées, il existe une différence marquée entre le nombre de naissances vivantes par femme dans les zones rurales et celui dans les zones urbaines, différence également attribuable au fait que les femmes dans les zones rurales tendent à avoir davantage d’enfants; il en va de même pour le taux de mortalité maternelle liée à l’accouchement.
105. L’absence de routes et de réseaux de transport efficaces renforce l’isolement des femmes et des jeunes filles en milieu rural, limite leurs possibilités de recevoir une éducation et de trouver un emploi hors de leur foyer et aggrave les contraintes liées à la conciliation entre travail agricole et obligations familiales.

6.2.3.1. Recommandations:

106. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient équiper les zones rurales de services de transport suffisants et de bonne qualité et leur fournir des services médicaux et de prise en charge, notamment en matière de santé reproductive et de planification familiale; ils devraient envisager la création d’unités sanitaires mobiles, encourager la mise en place de connexions internet ainsi que l’offre de formation en informatique et promouvoir le télétravail.

6.3. Association et coopération

107. La participation des femmes dans les associations et les clubs – et, d’une manière générale, leur place dans les sociétés rurales –, bien qu’en augmentation, reste faible. L’Association mondiale des femmes rurales (ACWW) est un réseau d’associations de femmes présent dans 70 pays et comprenant 9 millions de membres individuels. La plus importante au sein de ce réseau est l’association allemande Landfrauenverband(Association de femmes en milieu rural), qui est aussi la plus grande association de femmes en Europe et compte un demi-million de membres. D’autres associations d’envergure existent dans les pays qui ont un long passé lié aux syndicats et aux organisations non gouvernementales, comme l’Italie, la France, l’Espagne et la Fédération de Russie.
108. A l’échelon international, la coopération et les échanges de bonnes pratiques sont limités, surtout en dehors de l’Union européenne. Le Groupe de travail permanent sur le développement rural régional en Europe du Sud-Est (RRD SWG) 
			(44) 
			Voir le site <a href='http://www.seerural.org/'>www.seerural.org</a>., organisation internationale, dont le siège est à Skopje et qui assure la liaison entre les institutions publiques chargées du développement rural en Albanie, en Bosnie-Herzégovine et dans ses Etats fédéraux (Bosnie-Herzégovine et Republika Srpska), en Bulgarie, au Monténégro, en Roumanie, en Serbie, au Kosovo 
			(45) 
			Toute référence
au Kosovo, que ce soit à son territoire, ses institutions ou sa
population, doit se comprendre en pleine conformité avec la Résolution
1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies et sans préjuger du
statut du Kosovo., en Slovénie et dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine», est un exemple intéressant. Fondé en 2005, cet organisme encourage l’agriculture durable et le développement rural en Europe du Sud-Est en promouvant la coopération horizontale entre les institutions des pays et des territoires membres. Ses activités comprennent non seulement l’échange de données statistiques, la protection et la promotion du patrimoine culturel et de l’environnement durable, mais aussi la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes et de l’autonomisation des femmes dans les zones rurales.

6.3.1. Recommandations:

109. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient encourager la mise en place d’associations de femmes rurales et les faire participer à l’élaboration des politiques les concernant; ils devraient promouvoir les échanges d’informations et de bonnes pratiques entre ces associations, à l’échelon international; ils devraient établir des mécanismes régionaux afin de promouvoir l’autonomisation économique des femmes.

6.4. Vulnérabilité à la violence et à la traite

110. En raison d’une situation complexe due à l’isolement, à la pauvreté, aux mentalités traditionnelles, au manque de connaissances et à l’exécution des lois, les femmes sont particulièrement exposées aux risques de violence, notamment les crimes dits «d’honneur» 
			(46) 
			Voir
le Doc. 11943,
rapport sur l’urgence à combattre les crimes dits «d’honneur» (Rapporteur:
M. John Austin (Royaume-Uni, SOC). et la violence domestique. Malheureusement, le manque d’indépendance économique des femmes les rend plus prédisposées à accepter une relation violente, étant donné qu’elles ne disposent d’aucun autre moyen leur permettant d’assurer leur subsistance et celle de leurs enfants. La violence contre les femmes, notamment au sein de la famille, est un crime répandu mais largement non déclaré: les femmes ne sont pas encouragées à rechercher des solutions légales pour s’y opposer; elles sont, en fait, soumises à une forte pression sociale visant à leur faire accepter cette violence comme une «réalité de la vie» 
			(47) 
			Organisation
mondiale contre la torture (OMCT), Violence
against women in Azerbaijan, 2004, p. 18-23, et Violence against women in Georgia,
2006, p. 18; United Human Rights Council, Domestic
violence against women in Armenia, sur le site <a href='http://www.unitedhumanrights.org/'>www.unitedhumanrights.org</a>..
111. Dans le même ordre d’idées, les conditions spécifiques des régions reculées (notamment la pauvreté, l’ignorance et le manque de services) rendent les jeunes femmes plus vulnérables à la traite des êtres humains et font en sorte, de surcroît, qu’il leur est pratiquement impossible de se réinsérer dans la société à leur retour, volontaire ou forcé. L’exclusion sociale due au discrédit causé par la prostitution, le manque de perspectives économiques ainsi que l’absence de services sociaux et de programmes de réinsertion condamnent souvent les victimes de la traite à sombrer à nouveau dans la prostitution.

6.4.1. Recommandations:

112. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient mettre en place des cadres juridiques de qualité pour faire face aux phénomènes de la traite des êtres humains et de la violence contre les femmes, sous toutes ses formes, qui constituent une grave violation des droits de l’homme; ils devraient veiller à leur mise en œuvre rigoureuse; ils devraient promouvoir l’organisation de campagnes d’information afin de donner aux femmes rurales les moyens de mieux connaître leurs droits ainsi que les dangers qu’elles courent; ils devraient s’attaquer aux causes profondes de la traite des êtres humains, notamment la pauvreté et le manque d’opportunités de travail.

7. Conclusions

113. Au cours de l’audition sur la question des femmes rurales, organisée en mars 2010 par la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes, j’ai été particulièrement impressionnée par l’exposé de Mme Merja Siltanen, présidente pour l’Europe de l’Association mondiale des femmes rurales (ACWW), notamment lorsqu’elle a déclaré qu’il n’existait qu’un seul moyen pour garantir l’égalité des chances aux femmes rurales: la législation, la législation… la législation, encore et toujours.
114. Mme Siltanen souhaitait, non sans raison, provoquer son auditoire et elle a trouvé un public adapté: en tant que législateurs, les parlementaires ont pour premier devoir et pour responsabilité de porter cette question à l’attention de leur parlement et de commencer à élaborer une législation dans ce domaine. Cependant, n’importe quel type de législation ne convient pas:
  • elle doit être spécifique – et porter sur la situation des femmes en milieu rural en tant que groupe particulièrement vulnérable à l’exclusion socio-économique et susceptible de subir une violation de ses droits;
  • elle doit reposer sur une approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes, c’est-à-dire qu’elle doit prendre en compte les différentes répercussions que peuvent avoir les mesures sur les femmes et les hommes, et faire directement participer les femmes à son élaboration, sa mise en œuvre et son évaluation.
115. J’espère que ce rapport contribuera utilement à la présentation d’exemples de bonnes pratiques concernant la prise en compte des questions de différences entre les sexes dans le cadre des politiques agricoles, et fournira une source d’inspiration aux membres de l’Assemblée et aux gouvernements des Etats membres du Conseil de l’Europe.
116. Toutefois, même lorsqu’une législation convenable est adoptée, il reste un redoutable défi à relever: faire évoluer la mentalité patriarcale, qui place les femmes et les hommes dans des rôles stéréotypés et confine les femmes, en particulier dans les zones rurales, dans une position de subordination et d’infériorité, dans leur vie privée comme dans leur vie publique. Malheureusement, l’expérience d’un certain nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe montre que l’impact d’une législation évoluée peut être anéanti par les coutumes et les traditions de la collectivité.
117. Je pense que la meilleure contribution que le Conseil de l’Europe puisse offrir, en tant qu’organisation internationale, pour améliorer la situation des femmes en milieu rural et garantir leur pleine autonomisation, consiste à veiller à ce que la tradition ne l’emporte jamais sur le droit.

Annexe – Article 14 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes

(open)
1. Les Etats parties tiennent compte des problèmes particuliers qui se posent aux femmes rurales et du rôle important que ces femmes jouent dans la survie économique de leurs familles, notamment par leur travail dans les secteurs non monétaires de l’économie, et prennent toutes les mesures appropriées pour assurer l’application des dispositions de la présente Convention aux femmes des zones rurales.
2. Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans les zones rurales afin d’assurer, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, leur participation au développement rural et à ses avantages et, en particulier, ils leur assurent le droit:
a. de participer pleinement à l’élaboration et à l’exécution des plans de développement à tous les échelons;
b. d’avoir accès aux services adéquats dans le domaine de la santé, y compris aux informations, conseils et services en matière de planification de la famille;
c. de bénéficier directement des programmes de sécurité sociale;
d. de recevoir tout type de formation et d’éducation, scolaires ou non, y compris en matière d’alphabétisation fonctionnelle, et de pouvoir bénéficier de tous les services communautaires et de vulgarisation, notamment pour accroître leurs compétences techniques;
e. d’organiser des groupes d’entraide et des coopératives afin de permettre l’égalité de chances sur le plan économique, qu’il s’agisse de travail salarié ou de travail indépendant;
f. de participer à toutes les activités de la communauté;
g. d’avoir accès au crédit et aux prêts agricoles, ainsi qu’aux services de commercialisation et aux technologies appropriées, et de recevoir un traitement égal dans les réformes foncières et agraires et dans les projets d’aménagement rural;
h. de bénéficier de conditions de vie convenables, notamment en ce qui concerne le logement, l’assainissement, l’approvisionnement en électricité et en eau, les transports et les communications.