1. Introduction
1. La Géorgie est membre du Conseil de l’Europe depuis
le 27 avril 1999, à la suite de l’adoption par l’Assemblée parlementaire
d’un avis positif concernant sa demande d’adhésion (
Avis 209 (1999)).
Après la révolution des roses qui a conduit au pouvoir le Président
Saakashvili et son Mouvement national uni (MNU), l’Assemblée a considéré
que le nouveau gouvernement ne pouvait être tenu responsable du
non-respect par les précédentes autorités des obligations et engagements
dans le délai fixé lors de l’adhésion. En soutien au nouveau gouvernement
et en reconnaissance de la tâche à laquelle il était confronté,
l’Assemblée a adopté la
Résolution
1415 (2005), une série de délais révisés pour le respect
des engagements pris par la Géorgie à l’égard du Conseil de l’Europe.
2. Le précédent rapport sur le respect des obligations et engagements
de la Géorgie a été examiné par l’Assemblée en janvier 2008, au
lendemain de la crise politique qui a suivi la proclamation de l’état
d’urgence en novembre 2007. Ce rapport a conduit à l’adoption de
la
Résolution 1603 (2008).
La période qui a suivi l’adoption de la résolution s’est malheureusement
caractérisée par une confrontation politique permanente ainsi que
des troubles après la guerre tragique entre la Géorgie et la Russie
en août 2008.
3. Les conséquences de la guerre entre la Russie et la Géorgie
ont fait l’objet de plusieurs rapports distincts soumis à l’Assemblée
et ont été examinées par la commission de suivi dans un mandat distinct.
Lors de sa réunion du 27 janvier 2011, la commission de suivi a
décidé qu’à compter de cette date, les conséquences de la guerre
ainsi que la mise en œuvre des demandes de l’Assemblée à cet égard
feraient l’objet d’un suivi au titre des procédures de suivi en
cours pour la Géorgie et la Russie. Nous souscrivons totalement
aux conclusions de l’Assemblée exprimées dans les
Résolutions 1633 (2008),
1647 (2009) et
1683 (2009), et
ne réexaminerons pas leur mise en œuvre dans le présent rapport.
Il est clair que la guerre tragique et l’occupation des régions
de la Géorgie d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie, ainsi que la reconnaissance ultérieure
de leur indépendance par la Fédération de Russie, ont eu un impact
important sur les développements politiques en Géorgie. Toutefois,
les réformes démocratiques et les progrès en matière de respect
des engagements et obligations du pays pris lors de son adhésion
se sont poursuivis sans relâche. Dans une certaine mesure, les réformes
démocratiques ont même été intensifiées lorsque les autorités géorgiennes
ont senti que la guerre d’août était également une attaque directe
contre la nature démocratique de la société géorgienne et ont donc
lancé un programme de réformes ambitieux, appelé «la deuxième vague de
réformes démocratiques».
4. Dans le présent rapport, nous souhaitons donc présenter les
développements, à la fois les progrès réalisés et les préoccupations
persistantes, en ce qui concerne le respect par la Géorgie de ses
obligations et engagements à l’égard du Conseil de l’Europe. Ce
rapport est également fondé sur les résultats de nos visites d’information
effectuées dans le pays les 26 et 27 avril 2008, du 24 au 27 mars
2009, du 21 au 24 mars 2010 et du 12 au 16 juillet 2010
.
Nous estimons que le délai pour établir ce rapport pour l’Assemblée
à la suite de la guerre d’août 2008 et ses conséquences a donc été
maintenu au plus strict minimum.
2. Principaux développements politiques
5. Comme mentionné ci-dessus, notre précédent rapport
a été publié juste après l’élection présidentielle extraordinaire
du 5 janvier 2008. Cette élection a été appelée à la suite de la
démission du Président Saakashvili après la proclamation politiquement
litigieuse de l’état d’urgence qui a suivi une période tendue de protestations
et d’impasse politique entre le gouvernement et une partie de l’opposition.
Par cette démission, le Président Saakashvili voulait permettre
à l’électorat géorgien de rendre un verdict sur ses actions et celles de
son gouvernement en novembre 2007. Cette élection présidentielle
a été examinée en détail dans notre précédent rapport. Toutefois,
pour l’exhaustivité du présent rapport, nous souhaitons rappeler
les conclusions des observateurs internationaux. Selon leur évaluation,
si l’élection présidentielle était globalement conforme aux normes
démocratiques, certaines imperfections et violations observées lors
du scrutin constituaient des défis importants auxquels il convenait
encore de remédier car elles avaient entaché l’ensemble du processus électoral.
De ce fait, la crise entre l’opposition et le parti au pouvoir,
avec le climat de méfiance et de polarisation qui en résulte, s’est
poursuivie après l’élection.
6. En plus de l’élection présidentielle, un référendum consultatif
avait été organisé afin de déterminer la date des prochaines élections
législatives, au printemps 2008, comme le demandait l’opposition,
ou à l’automne 2008 comme le prévoyait la Constitution, modifiée
en 2007. Dans le référendum, 79 % des électeurs se sont prononcés
en faveur de la tenue des élections législatives au printemps 2008.
De ce fait, les élections législatives ont été convoquées pour le
21 mai 2008.
7. En vue de résoudre les crises politiques persistantes après
les événements de novembre 2007 et l’élection présidentielle de
janvier 2008, un dialogue a été engagé entre l’opposition et le
parti au pouvoir sur la réforme du système électoral pour les élections
législatives, afin de garantir un plus grand pluralisme au sein du
parlement. A l’origine, le dialogue entre les autorités et l’opposition
unie a débouché sur un accord en vue de modifier le système électoral
pour les 50 sièges désignés par un vote majoritaire
au
parlement pour passer d’un système de scrutin majoritaire à un tour
à un système d’élection à la proportionnelle sur des listes régionales.
Toutefois, le dialogue a été rompu et l’opposition a refusé de mettre
un terme au boycott du parlement et du vote sur les amendements
constitutionnels nécessaires qui auraient mis en application l’accord
sur le système électoral. A la suite de quoi la majorité a introduit
de nouveaux amendements et a maintenu le système du scrutin majoritaire
pour les sièges concernés, qui sont en outre passés de 50 à 75, tandis
que le nombre de sièges désignés à la proportionnelle était réduit
de 100 à 75. Ces amendements ont été décriés par l’opposition qui
accusait le parti au pouvoir de vouloir maintenir une majorité constitutionnelle au
sein du nouveau parlement en modifiant le système électoral en sa
faveur
. Cela
a encore détérioré les relations entre l’opposition et les autorités
qui restaient caractérisées par une méfiance et une polarisation
de plus en plus fortes.
8. Le 21 mars 2008, plusieurs modifications ont été apportées
au Code électoral. Elles reflétaient les changements constitutionnels
susmentionnés mais tenaient également compte de plusieurs manquements notés
et recommandations formulées par les observateurs internationaux,
y compris l’Assemblée, après l’élection présidentielle de janvier
2008. Les modifications apportées au Code électoral comprenaient
entre autres: la suppression des listes d’électeurs supplémentaires
et de l’enregistrement des électeurs le jour du scrutin; l’abaissement
du seuil électoral de 7 % à 5 %; et la simplification et clarification
des procédures de plaintes et de recours dans le cadre des élections.
Contrairement aux recommandations de la Commission européenne pour
la démocratie par le droit (Commission de Venise), les amendements
mettaient fin à la possibilité de présenter des candidatures indépendantes
aux élections législatives et ne réglaient pas la question de la
grande inégalité de taille entre les circonscriptions à mandat unique,
ce qui va à l’encontre du principe d’égalité du vote.
9. Les observateurs internationaux, y compris une commission
ad hoc de l’Assemblée, qui ont observé les élections législatives
le 21 mai 2008, ont conclu à une amélioration globale dans le processus
électoral par rapport à l’élection présidentielle. Toutefois, ils
ont également noté que malgré les efforts des autorités pour respecter
les normes internationales, certains problèmes et manquements importants
se traduisaient par une application inégale et incomplète de ces
normes.
10. Les élections législatives ont été remportées à une très large
majorité par le Mouvement national uni au pouvoir, qui a obtenu
une majorité constitutionnelle de 119 sièges sur 150 au sein du
nouveau parlement. L’opposition unie a remporté 17 sièges, les Chrétiens-démocrates
six sièges, le Parti travailliste six sièges et les deux seuls sièges
désignés par un vote majoritaire qui n’ont pas été attribués au
Mouvement national uni ont été remportés par le Parti républicain.
11. Malheureusement, alors que la tenue de l’élection présidentielle
anticipée en janvier 2008 et d’élections législatives en mai 2008
était censée être un mécanisme pour réduire le schisme politique
apparu après les événements de novembre 2007, ces élections n’ont
pas réglé le problème de polarisation du climat politique en Géorgie
pendant presque toute la période couverte par le rapport. Cette
situation a été illustrée par la regrettable décision de 14 membres
de l’opposition de ne pas exercer leur mandat au sein du parlement récemment
élu.
12. Il faut souligner que les autorités ont annoncé plusieurs
initiatives pour renforcer l’opposition parlementaire et relancer
le dialogue qui a été rompu avant les élections. En particulier,
elles ont adopté des modifications au règlement du parlement qui
autorisent la réduction du nombre de députés pour créer une faction
et ont proposé la mise en place d’un groupe de travail chargé de
réviser le Code électoral pour les futures élections.
13. Toutefois, les développements politiques nationaux ont été
rapidement éclipsés par les tensions croissantes et la détérioration
de la situation sécuritaire dans les régions de la Géorgie d’Abkhazie
et d’Ossétie du Sud, atteignant le point culminant avec la guerre
tragique entre la Russie et la Géorgie en août 2008. La succession
des événements est présentée succinctement dans le
Doc. 11724 et sort
du cadre du présent rapport. En outre, comme mentionné précédemment,
les conséquences de la guerre entre la Géorgie et la Russie ont
fait l’objet de plusieurs rapports
et
résolutions de l’Assemblée
.
14. Si la guerre et ses conséquences immédiates ont indéniablement
eu un impact considérable sur les politiques et réformes nationales,
la priorité pour les autorités géorgiennes et une grande partie
de la classe politique était de veiller à ce que ces événements
n’entravent pas les réformes nécessaires ou le développement démocratique
dans le pays. Au contraire, les autorités géorgiennes estiment que
la guerre a également été une attaque directe contre la nature démocratique
de la société géorgienne. En réaction, elles ont donc proposé un
train de réformes ambitieux, baptisé «la nouvelle vague de réformes
démocratiques», en vue de renforcer le processus démocratique et
les institutions en Géorgie.
15. Globalement, l’opposition en Géorgie est restée unie derrière
le gouvernement dans son soutien aux actions entreprises en août
2008. Mais, en même temps, une grande partie de l’opposition marquait
vivement son désaccord avec le gouvernement sur sa gestion de la
situation dans la période précédant la guerre, et des conséquences
de celle-ci.
16. Parallèlement, le paysage politique s’est modifié après les
élections législatives et la guerre, avec la création de nouveaux
partis d’opposition, fondés principalement par d’anciens hauts responsables
du parti au pouvoir et du gouvernement, tels que le Mouvement démocratique
– Géorgie unie et l’Alliance pour la Géorgie. Le Mouvement démocratique
– Géorgie unie a été formé par l’ancienne présidente du parlement,
Mme Nino Burjanadze, qui a quitté le Mouvement national uni au pouvoir
à la veille des élections législatives en raison de divergences
politiques avec le Président Saakashvili. L’Alliance pour la Géorgie
a été formée par M. Irakli Alasania, ancien ambassadeur de Géorgie
auprès des Nations Unies et envoyé présidentiel pour les relations avec
les représentants séparatistes dans les régions de la Géorgie d’Abkhazie
et d’Ossétie du Sud. Ce dernier a été rejoint par plusieurs autres
responsables qui ont démissionné de leurs fonctions après la guerre
pour protester contre ce qu’ils estiment être un style fermé de
prise de décision du gouvernement et la gestion des relations avec
l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud dans la période précédant la guerre.
Le mouvement de M. Alasania a formé l’Alliance pour la Géorgie avec
le Parti de la Nouvelle droite et le Parti républicain.
17. Incontestablement, la guerre et ses conséquences ont galvanisé
une grande partie de l’opposition dans sa volonté de changer le
pouvoir politique à Tbilissi, même si ces opposants sont nombreux
à ne pas être d’accord sur la façon de procéder. A partir du 9 avril
2009, les partis d’opposition ont organisé une série de rassemblements
de protestation et de manifestations avec pour but affiché d’imposer
des élections législatives anticipées et la démission du Président
Saakashvili. Ces actions de protestation, qui se sont poursuivies jusqu’à
l’été 2009, se sont finalement atténuées sans avoir atteint leur
but.
18. Malgré l’assurance de la part des autorités et des participants
que les rassemblements seraient pacifiques et que la loi et la Constitution
seraient respectées, ils ont eu lieu dans un climat très tendu.
Les deux camps craignaient qu’il y ait des provocations et que les
protestations dégénèrent en violence. Malheureusement, plusieurs
incidents isolés ont été enregistrés. Les signalisations récurrentes
d’attaques de manifestants par des assaillants inconnus à proximité
des sites de rassemblement étaient particulièrement préoccupantes.
Dans une lettre adressée aux autorités, l’organisation Human Rights
Watch se disait préoccupée par les «modes de frappe» employés dans
toutes ces attaques, ainsi que par l’apparente absence d’enquête
sérieuse sur ces attaques et de mesures pour garantir la sécurité
des manifestants. Si la police a ouvert des enquêtes sur les attaques,
au moment de la rédaction du présent rapport – plus d’un an après
les faits – elles étaient toujours en cours et n’avaient abouti
à aucune poursuite.
19. Les divergences d’opinion entre les partis d’opposition sur
la poursuite des manifestations ainsi que sur la possibilité d’une
coopération avec les autorités ont séparé l’opposition extraparlementaire
en deux camps qui sont souvent désignés comme l’opposition «modérée»
et l’opposition «radicale». Bien que cette classification soit inappropriée
– l’opposition «radicale» peut avoir des avis modérés sur certaines
questions et vice versa – et peut prêter à une interprétation subjective,
nous utiliserons dans un souci de clarté cette même distinction
dans notre rapport.
20. Tout en rejetant catégoriquement la possibilité d’organiser
des élections législatives et présidentielle anticipées, les autorités
ont proposé de mettre en œuvre plusieurs autres propositions visant
à renforcer le rôle de l’opposition dans le processus démocratique,
ainsi que la possibilité de changements constitutionnels pour renforcer
les pouvoirs du parlement au détriment de ceux du Président.
21. Un groupe de travail pour les élections (GTE) a été mis en
place par les autorités en vue de parvenir à un vaste accord entre
les différences forces politiques sur le cadre électoral pour les
élections locales, qui ont ensuite été fixées au 30 mai 2010. Le
GTE était coordonné par l’Institut démocratique national (IDN) et travaillait
sur la base d’un code de conduite élaboré par eux. Au début, la
majeure partie de l’opposition extraparlementaire n’a pas participé
au travail du GTE, mais plus tard le Parti traditionaliste géorgien
et l’Alliance pour la Géorgie se sont également joints aux travaux
du GTE.
22. Après dix mois de discussions, plusieurs questions ont fait
l’objet d’un consensus, notamment l’élection au suffrage direct
du maire de Tbilissi et les systèmes électoraux pour les conseils
municipaux, l’élection du président de la Commission électorale
centrale, le droit pour l’opposition de nommer les secrétaires des commissions
électorales de circonscription et l’extension du délai de dépôt
des plaintes et des appels concernant les élections. Les changements
de la législation électorale ayant fait l’objet d’un consensus au
sein du GTE ont été présentés au parlement par le Mouvement national
uni au pouvoir
puis adoptés. Aucun consensus n’a pu
être obtenu sur la question du seuil pour l’élection du maire de
Tbilissi. Finalement, un seuil de 30 % a été adopté par le parlement.
23. Le 30 mars 2010, le Président Saakashvili a appelé à des élections
locales pour le 30 mai 2010. L’élection au suffrage direct du maire
de Tbilissi était considérée comme un galop d’essai pour la prochaine élection
présidentielle de 2013 et avait donc une importance particulière.
Malgré l’importance de cette élection, l’opposition n’a pu tomber
d’accord sur un seul candidat pour se présenter contre le candidat
en exercice du Mouvement national uni.
24. La mission internationale d’observation des élections a évalué
positivement les élections locales du 30 mai, même si elle a noté
des manquements significatifs auxquels il convient encore de remédier.
En particulier, elle a noté que les autorités avaient clairement
montré qu’elles avaient la volonté politique d’améliorer le processus
électoral et de conduire les élections dans le respect des normes
européennes. Le Mouvement national uni a remporté la majorité des
sièges dans la plupart des conseils municipaux du pays, y compris
à Tbilissi. En outre, le candidat du MNU, M. Gigi Ugulava, a remporté
la course aux municipales pour Tbilissi. Il est tout aussi important
que les forces de l’opposition aient obtenu des résultats relativement
bons, ce qui montre que le public était disposé à récompenser les
partis qui ont choisi de prendre part au processus démocratique.
25. En vue de surmonter le schisme entre les autorités et l’opposition
et en réponse aux appels persistants pour des réformes institutionnelles
exprimés par l’opposition pendant les actions de protestation du
printemps 2009, les autorités ont lancé un processus de réforme
constitutionnelle. Cette réforme visait à renforcer les pouvoirs
du parlement aux dépens de ceux du Président, et en général à améliorer
le système des freins et contrepoids des institutions ainsi qu’à
renforcer l’indépendance du judiciaire. Le 8 juillet 2009, le Président Saakashvili
a créé la Commission constitutionnelle d’Etat de Géorgie chargée
de rédiger les amendements à la Constitution.
26. La Commission d’Etat a présenté son projet d’amendements à
la Constitution le 14 mai 2010. Ce projet a été présenté pour avis
à la Commission de Venise. Après une série de consultations avec
la Commission de Venise, ainsi qu’avec la société publique et civile
géorgienne, les amendements à la Constitution ont été adoptés par
le parlement le 15 octobre 2010. Si la majeure partie des recommandations
de la Commission de Venise ont été mises en œuvre, certaines doivent
encore être prises en compte.
27. Après l’adoption des amendements constitutionnels, l’attention
politique se tourne vers les prochaines élections législatives de
2012 et l’élection présidentielle de 2013. Les élections législatives
revêtent une nouvelle importance compte tenu des pouvoirs accrus
du parlement à la suite des changements constitutionnels. Egalement
en vertu de la nouvelle Constitution, le Président continue à exercer
un pouvoir considérable. La prochaine élection présidentielle est
donc largement considérée comme un indicateur de l’orientation politique
du pays.
3. Institutions démocratiques
3.1. Réforme constitutionnelle
28. Le 8 juillet 2009, la Commission constitutionnelle
d’Etat de Géorgie a été établie par décret présidentiel. Elle avait
pour mission de rédiger une nouvelle Constitution en vue, notamment,
de renforcer le rôle du parlement, l’indépendance du judiciaire
et le système de contrôle des pouvoirs du Président.
29. Cette commission était composée d’universitaires, de représentants
de la société civile, d’experts internationaux et de représentants
des partis. Malheureusement, la majorité de l’opposition extraparlementaire a
refusé de participer au travail de la commission, ce qui est une
opportunité manquée pour elle. Tous les partis qui ont accepté d’y
participer étaient représentés à égalité par une personne. M. Avtandil
Dematrashvili, ancien président de la Cour constitutionnelle et
un des rédacteurs de l’ancienne Constitution, avait été nommé président
de la commission sur proposition des partis d’opposition participant
à la commission. Une étroite coopération avait été établie avec
les partenaires internationaux, dont notamment la Commission de
Venise. Il convient de féliciter les autorités d’avoir su créer
une structure de rédaction et une méthode de travail visant spécifiquement
à éviter toute domination ou politisation du processus de rédaction
par un parti ou un intérêt politique unique.
30. Le premier projet d’amendements constitutionnels a été complété
par le groupe de travail le 14 mai 2010 et transmis à la Commission
de Venise pour avis le 17 mai. Il a été examiné par la Commission
de Venise et d’autres experts internationaux à Berlin du 15 au 17
juillet 2010. La Commission constitutionnelle d’Etat a subséquemment
présenté la dernière version de son projet d’amendements constitutionnels
au parlement le 21 juillet 2010.
31. La législation géorgienne dispose qu’une consultation publique
d’au moins un mois doit être organisée avant que les amendements
ne puissent être examinés par le parlement. Le parlement a donc
constitué une commission composée de membres du parlement – tant
du parti au pouvoir que de l’opposition –, de représentants de la
société civile et d’universitaires, chargée spécifiquement de mener
cette consultation. La commission était présidée par le président
du Parlement géorgien, M. Davit Bakgradze. Elle a organisé une vaste
consultation incluant une série de débats publics – 27 en tout –
dans toutes les régions de la Géorgie. Le 13 septembre 2010, la
Commission constitutionnelle d’Etat a apporté un certain nombre
de changements à sa proposition pour qu’elle reflète les résultats
des débats publics.
32. Les amendements à la Constitution ont été adoptés en première
et en seconde lectures par le Parlement géorgien les 24 septembre
et 1er octobre 2010 respectivement. Le texte adopté en seconde lecture
a été transmis pour avis le 2 octobre à la Commission de Venise.
Les amendements constitutionnels ont été adoptés par le parlement
en troisième et dernière lecture le 15 octobre 2010, un jour après
l’adoption de son avis par la Commission de Venise réunie en session
plénière.
33. Si toutes les prescriptions statutaires, y compris celles
concernant le processus de consultation publique, ont été observées,
la rapidité avec laquelle les amendements constitutionnels ont été
adoptés après leur présentation par la Commission constitutionnelle
d’Etat, et le fait que la consultation a eu lieu pendant la période
des vacances d’été ont donné l’impression que les modifications
constitutionnelles avaient été passées en force. Les organisations
de la société civile et les partis de l’opposition ont pensé que
la consultation publique avait été trop limitée et manqué de profondeur.
Sachant que la discussion publique des changements constitutionnels
n’a pas été limitée à la période officielle de consultation publique
mais que celle-ci battait déjà son plein alors que la Commission
constitutionnelle d’Etat rédigeait la nouvelle Constitution, nous regrettons
la perception de hâte créée par l’adoption rapide des amendements
constitutionnels après leur présentation par la commission. Et ce
d’autant que cette hâte semble avoir été inutile puisque nombre
des dispositions clés de la nouvelle Constitution n’entreront en
vigueur qu’après l’entrée en fonction du nouveau Président.
34. La nouvelle Constitution modifie sensiblement l’équilibre
des pouvoirs entre les institutions de l’Etat. Elle écarte un système
de gouvernement doté d’un Président fort au profit d’un système
mixte où le pouvoir est aux mains d’un gouvernement responsable
uniquement devant le parlement. Le rôle du Président consiste maintenant
à garantir l’unité et l’indépendance nationale de l’Etat et le fonctionnement
des institutions démocratiques, et à jouer un rôle d’arbitre impartial
entre les institutions de l’Etat.
35. Les pouvoirs du gouvernement ont été sensiblement renforcés
aux dépens de ceux du Président. Le gouvernement, qui contrôle maintenant
la politique intérieure et extérieure de l’Etat, est dirigé par
un Premier ministre nommé par le Président sur proposition du groupe
politique ayant obtenu la majorité des sièges aux élections. Le
Premier ministre désigné constitue son gouvernement et le présente
au parlement pour un vote de confiance.
36. Le Président ne dirige ni ne définit plus la politique intérieure
et extérieure de l’Etat: celle-ci est fixée par le gouvernement.
Il ne nomme ni ne destitue plus les ministres et les membres du
gouvernement, et son consentement n’est plus requis pour le passage
du budget de l’Etat alors que la plupart de ses actions et décisions
doivent être contresignées par le Premier ministre
.
37. Si le rôle et les pouvoirs du Président de la Géorgie ont
été réduits, sa fonction – conformément aux modalités du système
mixte parlementaire-présidentiel – reste forte et influente. Le
Président conserve le pouvoir de déclarer la guerre et l’état de
loi martiale, et, en tant que garant de l’indépendance et de l’unité
du pays, il reste commandant en chef des forces armées. De plus,
il conserve un rôle important dans la politique étrangère puisque
la Constitution lui donne le pouvoir d’engager des discussions avec
les Etats étrangers et de conclure des conventions et des accords
internationaux. Conformément aux recommandations de la Commission
de Venise, ses décisions dans ces domaines doivent être contresignées
par le Premier ministre dans la plupart des cas, mais pas tous.
38. Outre qu’elle introduit le système parlementaire-présidentiel
mixte décrit ci-dessus, la nouvelle Constitution instaure d’importants
changements et améliorations, entre autres, dans les domaines du judiciaire,
des droits de propriété et de l’autonomie locale.
39. Les changements constitutionnels dans le domaine de l’autonomie
locale seront décrits ci-dessous dans un chapitre séparé. Dans le
domaine du judiciaire, la nouvelle Constitution introduit le principe
de nomination à vie des juges, ce qui devrait améliorer sensiblement
leur indépendance. En outre, elle ajoute de nouvelles entités à
la liste de celles habilitées à présenter directement des requêtes
à la Cour constitutionnelle, dont les conseils municipaux (Sakrebulos)
et le Haut-Conseil de la justice.
40. Les nouvelles dispositions constitutionnelles renforcent également
les pouvoirs des forces politiques puisqu’elles diminuent le nombre
des parlementaires nécessaire pour instituer une commission d’enquête parlementaire
et simplifient les procédures de mise en accusation du Président
par le parlement.
41. La Commission de Venise a aidé
la Commission
constitutionnelle d’Etat et les autorités pendant tout le processus
de rédaction. Son évaluation des amendements constitutionnels a
été sollicitée et elle l’a donnée sous forme de deux projets d’avis
et d’un avis partiel
sur le chapitre de l’autonomie locale
.
La Commission constitutionnelle d’Etat a apporté un certain nombre
de modifications aux amendements constitutionnels à la suite de
ces avis. Elles incluaient surtout l’abolition du droit d’initiative
législative du Président
, considéré comme une source possible
de conflit institutionnel, et la réintroduction des lois organiques
. Elles introduisaient
aussi la prescription que la plupart des décisions présidentielles
devaient être contresignées par le Premier ministre.
42. Dans son dernier avis
sur
les amendements constitutionnels adoptés par le Parlement géorgien
en seconde lecture, la Commission de Venise saluait les modifications
envisagées comme des améliorations importantes et une étape cruciale
dans la transformation du système présidentiel en un système mixte
dans lequel le gouvernement est responsable devant le parlement.
43. Nous applaudissons les changements constitutionnels qui ont
renforcé le rôle et le pouvoir du parlement. Si le système mixte
parlementaire-présidentiel mis en place par la nouvelle Constitution
est conforme aux normes européennes, nous remarquons qu’il est vulnérable
à des tensions et conflits interinstitutionnels au cas où le Président
et le parlement ne seraient pas d’accord sur les priorités politiques et
la direction à suivre. Cela poserait problème en cas de tension
systémique. Nous avons mentionné notre inquiétude à ce sujet à diverses
reprises à nos interlocuteurs géorgiens qui ont reconnu cette vulnérabilité
et nous ont assuré qu’ils étaient prêts à prendre les mesures correctives
voulues au cas, à leur avis improbable, où des tensions systémiques
viendraient à se manifester.
44. L’avis de la Commission de Venise mentionnait aussi la possibilité
de tensions systémiques et il recommandait donc de renforcer le
rôle et les pouvoirs du parlement. La Commission de Venise demandait notamment
s’il était nécessaire que le Président ait le pouvoir de négocier
des traités et notait aussi qu’à son avis le rôle du parlement dans
les questions budgétaires était trop limité. Ces recommandations
n’ont pas été prises en compte dans les amendements constitutionnels
adoptés par le Parlement géorgien.
45. La Commission de Venise s’inquiétait de la complexité de la
procédure de motion de défiance du gouvernement qui, à son avis,
«donnait trop de pouvoir au Président et diminuait non seulement
le pouvoir du parlement mais aussi la responsabilité politique du
Premier ministre qui devait être la pierre angulaire du nouveau
système»
.
Nous partageons les inquiétudes de la Commission et recommandons
que le Parlement géorgien prenne les mesures appropriées dans ce
domaine.
46. Une des grandes idées du projet de nouvelle Constitution était
de renforcer les pouvoirs du parlement et du Premier ministre aux
dépens de ceux du Président. Certains ont spéculé, voire allégué,
que ces changements dans l’équilibre des pouvoirs étaient motivés
par la possibilité que le Président Saakashvili, qui n’est pas autorisé
à se présenter aux élections pour un troisième mandat consécutif
en 2013, envisageait de revenir comme Premier ministre après la
prochaine élection présidentielle. Dans ce contexte, nous sommes d’accord
avec la Commission de Venise qui pense que l’idée de voir dans les
changements constitutionnels une manière de tourner les limites
sur le contrôle du pouvoir est démentie par la portée et la profondeur
de la réforme constitutionnelle.
3.2. Réforme électorale
47. L’un des éléments majeurs du «second ensemble de
réformes démocratiques» est la réforme électorale. Un Groupe de
travail pour les élections (GTE) a été créé et chargé de procéder
à une réforme du cadre électoral et de la législation en la matière.
Afin de garantir l’indépendance de ce groupe, c’est l’Institut démocratique
national qui l’a mis en place et animé, sur la base du Code de conduite
défini par cet organisme. Ce Code de conduite engage toutes les
parties concernées dans le sens d’une coopération constructive,
de décisions consensuelles et du refus de toute condition préalable
au débat. En outre, le parti au pouvoir, le Mouvement national uni,
soutenu par une majorité de députés au parlement, s’est lui-même
officiellement engagé à soutenir tout accord consensuel obtenu par
le groupe de travail; cela devrait en garantir l’adoption par le
parlement.
48. En dehors du parti au pouvoir et de l’opposition parlementaire,
le seul parti de l’opposition extraparlementaire ayant rejoint le
GTE dès le départ a été le mouvement baptisé «Le salut de la Géorgie
par l’industrie». Ultérieurement, le Parti traditionaliste géorgien
et l’Alliance pour la Géorgie ont également rejoint le GTE. On doit
déplorer, en revanche, que les autres partis de l’opposition extraparlementaire,
aient constamment refusé de participer au groupe.
49. Après l’annonce de la date des élections locales (30 mai 2010),
le GTE a décidé de se concentrer tout d’abord sur une réforme électorale
à ce niveau. Au terme de dix mois de débat, un consensus a été atteint
sur un certain nombre de sujets – dont l’élection au suffrage direct
du maire de Tbilissi, et, en ce qui concernait l’élection du conseil
municipal de Tbilissi, un scrutin mi-proportionnel, mi-majoritaire.
Dans le cadre de ce nouveau système, 25 sièges sont pourvus sur
la base d’un scrutin à la proportionnelle, avec un seuil électoral de
4 %, et 25 autres sièges pour des circonscriptions à mandat unique.
Les autorités ont annoncé au départ que les maires d’autres grandes
villes seraient eux aussi élus au suffrage direct. Toutefois, aucune
suite n’a été donnée à cette initiative dans les négociations.
50. En dehors du système électoral défini pour les conseils municipaux
(dits «Sakrebulo») et pour l’élection du maire de Tbilissi, le GTE
est également parvenu à un consensus sur d’autres questions, notamment l’élection
du président de la Commission électorale centrale, le droit de l’opposition
à nommer les secrétaires des commissions électorales de district,
ou encore l’extension du délai de dépôt d’une plainte en matière électorale.
Aucun consensus n’a pu être atteint au sujet du seuil de voix à
atteindre pour l’élection du maire de Tbilissi: l’Alliance pour
la Géorgie insistait sur un chiffre minimal de 50 %, ensuite réduit
à 45 %; mais, de son côté, le Mouvement national uni, au pouvoir,
refusait tout seuil supérieur à 30 %. En l’absence d’un accord officiel
sur une réforme globale, le Mouvement national uni a soumis au parlement
toutes les questions ayant fait l’objet d’un consensus, y compris
celle du seuil de 30 %, et qui ont été adoptées par les parlementaires. Toutefois,
étant donné la date tardive (28 décembre 2009) de l’approbation
de ces textes, y compris les derniers amendements, la Commission
de Venise n’a pas été en mesure d’adopter à temps, au sujet des dernières
modifications, un avis susceptible d’être pris en compte avant les
élections locales.
51. Les travaux du GTE ont été suspendus après l’annonce officielle
de la date des élections locales. Etant donné le caractère positif
de ces travaux et du climat qui a régné au sein du GTE, ainsi que
la nécessité d’approfondir la réforme électorale, nous avons demandé,
à plusieurs reprises, à l’ensemble des forces politiques de réunir
de nouveau le GTE dans les meilleurs délais, après les élections
locales. Il importe de convoquer de nouveau, et rapidement, le GTE
afin de finaliser la réforme électorale avant les prochaines élections
législatives et présidentielle qui auront lieu respectivement en
2012 et 2013, et de ne pas s’y prendre à la veille des scrutins.
Il faut déplorer, en effet, qu’en Géorgie les modifications de dernière
minute du Code électoral aient été la règle, et que cela ait provoqué
des tensions avant chaque scrutin.
52. Le 4 octobre 2010, huit partis d’opposition ont publié une
proposition conjointe de réforme électorale, et souhaité en débattre
avec le parti au pouvoir. A une exception près, ces partis d’opposition
avaient tous pris part aux élections locales – y compris le principal
parti d’opposition représenté au parlement, à savoir le Mouvement
chrétien-démocrate
. Dans leur proposition,
les partis appelaient à l’instauration d’un système électoral mixte
où la moitié des sièges seraient attribués selon un système de liste
à représentation proportionnelle, et l’autre moitié, sur la base
d’un système de représentation proportionnelle dans les circonscriptions
plurinominales (au niveau régional). La proposition en question
prévoit en outre une réduction du nombre de membres de la Commission
électorale centrale, qui serait composée de manière paritaire par divers
représentants de partis qualifiés; enfin, cette proposition demande
l’instauration d’un système de vote biométrique, afin de réduire
les risques de fraude et de manipulations électorales.
53. Nous notons avec une grande satisfaction le fait que, conformément
à nos recommandations, le parti au pouvoir et les huit partis d’opposition
aient conclu un accord, le 10 novembre 2010, sur la création d’un groupe
de travail électoral chargé d’élaborer une proposition de réforme
électorale. Ce groupe de travail se compose de membres de partis
qualifiés
qui
sont convenus de prendre part à ses activités. Des organisations
internationales (non gouvernementales) jouent le rôle d’observateur
vis-à-vis des activités du groupe de travail, de même que les ONG
locales, sur la base d’un schéma approuvé par les représentants
du parti au pouvoir et des partis d’opposition au sein du groupe
de travail. De plus, les représentants concernés sont convenus que
toutes les décisions seraient prises sur la base du consensus. Nous
saluons tout particulièrement le fait que, à l’initiative des autorités,
la Commission de Venise sera consultée à titre permanent au sujet
des points évoqués par le GTE.
54. Les élections présidentielle et législatives de 2008 et les
élections locales de 2010 ont révélé les imperfections de la législation
en vigueur. En outre, en raison de plusieurs vagues successives
de modification du Code électoral, la loi électorale actuelle contient
un nombre relativement important de dispositions ambiguës ou contradictoires.
Par conséquent, il est vivement recommandé de procéder à l’élaboration
puis à l’adoption d’un Code électoral totalement nouveau, lequel
serait fondé sur les enseignements positifs des précédentes élections
et sur les travaux du GTE. Il importera tout particulièrement que
ce nouveau Code électoral traite de la question du mode d’élection.
Comme nous l’avons souligné plus haut, les négociations sur le système
électoral ont échoué à la veille des élections législatives de 2008;
dès lors, le système en vigueur a été vivement critiqué par l’opposition,
qui lui reproche de favoriser le parti au pouvoir, c’est-à-dire
le Mouvement national uni.
55. Le 4 juin 2010, la Commission de Venise et l’OSCE/BIDDH ont
adopté un avis conjoint
au
sujet du Code électoral géorgien tel qu’il a été modifié en mars
2010. Dans ce texte, la Commission de Venise considère que le Code
électoral géorgien tel qu’il a été modifié permet globalement des
élections démocratiques, transparentes et ouvertes. De plus, certains
amendements récents au Code électoral remédient à un certain nombre
de défauts des précédentes élections. C’est, de toute évidence,
une amélioration. Cependant, on peut être encore très sérieusement
préoccupé par plusieurs dispositions contraires aux normes européennes,
notamment aux normes électorales définies dans le cadre de la Convention
européenne des droits de l’homme
.
56. Conformément à la Constitution géorgienne, 75 des 150 parlementaires
du pays sont élus au sein de circonscriptions à mandat unique. La
loi électorale ne définit pas de règles concernant la taille de
ces circonscriptions. A l’heure actuelle, ces circonscriptions correspondent
à divers secteurs historiques du pays, de tailles très diverses,
allant de 4 000 à 140 000 électeurs – ce qui pose un problème s’agissant
du principe de l’égalité de suffrage. Selon les normes du Conseil
de l’Europe, l’écart maximal, en termes de représentation électorale,
d’une circonscription à l’autre ne devrait pas dépasser 10 % en
règle générale, et ne devrait jamais dépasser les 15 %. Cette question
pourrait être résolue soit par la création de circonscriptions à
mandat unique de taille sensiblement égale, soit par la mise en
place de circonscriptions à plusieurs élus. Par principe, l’impartialité
et la transparence seront des facteurs importants pour la définition
de frontières électorales.
57. A l’heure actuelle, la législation électorale en vigueur ne
permet pas de candidatures indépendantes, y compris pour les scrutins
majoritaires, et cela semble contradictoire avec la logique même
du système majoritaire. Cette limitation d’un droit implicite au
pluralisme est contraire aux normes européennes. De plus, la Commission
de Venise et l’OSCE/BIDDH jugent excessives les exigences définies
en matière de résidence vis-à-vis des candidats à un mandat public;
d’autre part, les restrictions généralisées du droit de vote des détenus
sont
contraires à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme.
58. La Commission de Venise note que, dans certaines circonstances,
le Code électoral géorgien semble autoriser tel ou tel parti ou
telle ou telle formation à annuler l’enregistrement officiel d’un
candidat ou d’une candidate après son élection
. L’Assemblée a confirmé à
plusieurs reprises que le principe d’un «mandat impératif» était
contraire aux normes européennes. Par conséquent, la Géorgie doit
mettre sa loi électorale en conformité avec ces normes.
59. Par ailleurs, l’avis de la Commission de Venise souligne les
progrès accomplis en ce qui concerne la mise en place d’une administration
électorale équilibrée et impartiale. Nous devons nous en féliciter. Cependant,
la législation géorgienne autorise encore les partis politiques
à rappeler les personnes désignées pour les représenter au sein
des commissions électorales dans un délai pouvant aller jusqu’à
quinze jours seulement avant la date du scrutin. Cela peut porter
atteinte au principe d’indépendance, de stabilité et d’impartialité
de l’administration électorale. Nous recommandons par conséquent
de changer cela.
60. Parmi les sanctions prévues pour toute infraction aux règles
de financement des campagnes électorales figure la possibilité d’invalider
les résultats obtenus par le parti contrevenant – mais une telle
mesure semble disproportionnée et risque d’engendrer des manipulations.
D’une manière générale, il conviendrait de modifier les règles relatives
à l’annulation des résultats d’un scrutin municipal ou régional,
dans un souci de cohérence et de clarté; il faudrait notamment autoriser
les recours en appel de telles décisions – auprès d’un tribunal compétent.
61. Pour instaurer un climat politique plus fédérateur et plus
constructif, l’ensemble des forces politiques devrait absolument
parvenir à un consensus assez large pour la mise en place d’un système
électoral considéré comme impartial et équitable par tous les acteurs
concernés. Cela devrait être l’une des missions majeures du Groupe
de travail électoral. Tous les membres du groupe de travail devraient
agir dans cette direction, sans aucune condition préalable et exclusive.
Il importe de noter que le système électoral est lié aux dispositions
constitutionnelles. A cet égard, les autorités géorgiennes nous
ont assuré à plusieurs reprises que, en dépit de l’achèvement du
processus de réforme constitutionnelle, il n’était pas interdit
de modifier de nouveau la Constitution afin de mettre en place le
système électoral défini par le Groupe de travail électoral.
3.3. Partis politiques
62. Comme indiqué précédemment, le Mouvement national
uni au pouvoir dispose d’une majorité constitutionnelle (119 sur
150 mandats) au parlement. En Géorgie, l’opposition est divisée
et fragmentée, et elle n’a pas su se présenter aux électeurs comme
une alternative viable pour gouverner le pays. Dans un même temps,
aussi du fait de sa majorité écrasante, le parti au pouvoir a dicté
son programme politique et, parfois, a mis au ban les autres forces
et opinions politiques. Cela a contribué à alimenter les tensions
et a polarisé le climat politique. C’est pourquoi dans plusieurs
rapports de suivi présentés à l’Assemblée nous avons déjà souligné
qu’il fallait absolument renforcer le rôle et la capacité de l’opposition
politique pour améliorer la stabilité politique et contribuer à
la consolidation démocratique.
63. A noter que l’importance de cette question a été reconnue
par les autorités. A l’occasion de la seconde vague des réformes
démocratiques annoncées après la guerre d’août 2008 contre la Russie,
un train complet de réformes démocratiques a été introduit dans
le but, entre autres, de renforcer le rôle de l’opposition dans les
travaux du parlement et des organes de supervision nationaux, y
compris ceux qui contrôlent les secteurs de la défense et de la
sécurité nationale.
64. Pour renforcer son rôle dans les travaux du parlement, l’opposition
a obtenu le droit de nommer jusqu’à trois vice-présidents du parlement
ainsi qu’un vice-président pour chacune des commissions parlementaires. De
même, la procédure de création d’un groupe parlementaire a été simplifiée
et le nombre de députés nécessaire à la formation d’un groupe est
passé de 10 à six députés. De plus, un membre de la minorité parlementaire
a été élu au Conseil supérieur de la justice, qui gère le système
judiciaire, et le nombre de membres issus de la minorité parlementaire
a été augmenté au sein du groupe de confiance qui supervise l’information
en matière de défense. Une nouvelle loi sur la Chambre de contrôle
a été adoptée pour garantir l’indépendance de la principale instance
d’audit du pays et pour renforcer la surveillance publique des dépenses
budgétaires de l’Etat. Un conseil anticrise a également été formé
pour superviser la reconstruction et la distribution de l’aide aux
personnes déplacées à l’intérieur du pays, ainsi que pour élaborer
de nouvelles propositions de réformes démocratiques. Ce conseil
se compose de représentants du gouvernement, ainsi que de membres
de la majorité parlementaire et de l’opposition.
65. Les réformes ne visaient pas seulement à renforcer le rôle
de l’opposition parlementaire, mais aussi à affermir et à responsabiliser
l’opposition extraparlementaire. Tout particulièrement importantes,
les modifications apportées à la loi organique des unions politiques
de citoyens: elles ont permis, entre autres, de rétablir le financement
budgétaire des partis ayant refusé de siéger au parlement après
les élections de mai 2008, mais aussi de financer six partis d’opposition
en plus des neuf bénéficiant déjà du financement de l’Etat. Grâce
à ces amendements, un fonds est désormais à la disposition d’un
vaste éventail d’activités de création/renforcement des capacités
de partis, de groupes de réflexion et d’ONG affiliées à des partis
politiques.
66. A l’heure de rédaction du présent rapport, ces réformes, couplées
à la réforme électorale appliquée au niveau local (voir plus haut),
ont permis de renforcer l’opposition dite modérée et, en général,
d’améliorer le climat politique du pays. A notre avis, les travaux
menés par le groupe interpartis pour préparer la réforme électorale
pendant la campagne pour les élections parlementaires, notamment
en ce qui concerne le système électoral à adopter, vont être cruciaux
pour la consolidation et la normalisation de l’environnement politique démocratique
du pays.
3.4. Pluralisme des médias
67. En Géorgie, bien qu’il continue d’être un exemple
pour la région, le paysage médiatique a malheureusement aussi connu
des développements négatifs. Alors que la législation géorgienne
relative aux médias reste l’une des plus libérales, le climat général,
notamment s’agissant du pluralisme des médias, s’est détérioré au
cours des derniers mois.
68. Dans un rapport publié en novembre 2009, l’organisation Transparency
International critiquait le manque de transparence quant à la propriété
et au contrôle des médias électroniques, notant aussi que l’organe
national de régulation n’était pas perçu comme indépendant et devait
être davantage dépolitisé. Par ailleurs, Transparency International
exprimait des craintes concernant l’indépendance du service public
de radiodiffusion qui, à son avis, semblait davantage au service
de l’Etat que du public. De même, dans son rapport de 2009, le Comité
pour la protection des journalistes exprimait son inquiétude face
au contrôle accru exercé par le gouvernement sur les télédiffuseurs,
notamment face à la manipulation et à la politisation des nouvelles
télévisées et à l’obstruction faite aux radiodiffuseurs favorables
à l’opposition. Dans son indice annuel de la liberté de la presse (Press Freedom Index) publié le
20 octobre 2010, la Géorgie est tombée du 81e au 99e rang sur 178 pays.
De son côté, dans son rapport 2010, Freedom House classe la Géorgie
comme «partiellement libre».
69. Toutefois, plusieurs actions positives sont intervenues depuis
notre dernier rapport. Durant les élections locales de mai 2010,
les observateurs électoraux ont noté une amélioration de l’environnement
médiatique, ce que les conclusions d’autres rapports ont confirmé.
A cet égard, la couverture équilibrée des élections par le radiodiffuseur
public a été soulignée
et
saluée.
70. Une chaîne parlementaire a vu le jour, qui entend diffuser
vingt-quatre heures sur vingt-quatre des informations sur les travaux
du parlement et sur les opinions des différentes forces politiques
concernant les questions à l’ordre du jour. La politique éditoriale
a été élaborée en concertation avec l’opposition, sous l’égide de
l’Institut démocratique nationale (IDN), afin de garantir l’objectivité
et l’équilibre des informations entre toutes les forces politiques.
En outre, un certain nombre d’initiatives législatives ont été prises
pour accroître la participation des partis d’opposition aux instances
de régulation et de supervision des médias.
71. Au cours des actions de protestation d’avril 2009, quatre
membres du conseil d’administration du service public de radiodiffusion
démissionnaient en raison, selon eux, de la couverture tendancieuse
des événements politiques du moment en faveur des autorités. Les
autorités ont alors proposé, dans le cadre des réformes démocratiques
annoncées, d’allouer la moitié des sièges du conseil d’administration
à l’opposition. Puis, le 23 septembre 2009, le parlement a adopté
la décision d’augmenter (de neuf à 15) le nombre des membres du conseil
d’administration du radiodiffuseur public, sept sièges devant revenir
à des personnes nommées par l’opposition et un à la société civile.
Dans leur proposition initiale, les autorités souhaitaient aussi
accroître les pouvoirs du conseil d’administration
, mais ce vœu n’a
pas été soumis au parlement.
72. Un groupe d’experts indépendants sur les médias et sur la
législation des médias a élaboré une série de textes législatifs
visant à améliorer l’environnement médiatique du pays. Cet ensemble
de mesures, qui aurait remporté une forte adhésion des experts,
couvre des questions diverses et importantes telles que la propriété
des médias, l’accès aux informations publiques, les droits de diffusion,
le conflit d’intérêts et les directives en matière de publicité.
Ces textes ont été soumis le 27 octobre 2010 au défenseur public
de la Géorgie, qui s’est félicité de leur contenu.
73. En Géorgie, l’environnement médiatique se heurte à un problème
persistant: le manque de transparence de la propriété des médias.
Le 26 octobre 2010, le président du parlement, M. Davit Bakradze, tout
en rappelant que la législation actuelle en matière de médias respectait
les normes internationales, a annoncé un projet de loi visant à
rendre la propriété des médias totalement transparente. Ainsi, le
12 novembre 2010, le Mouvement national uni a déposé un projet de
loi appelé à restreindre la propriété par des compagnies offshore à 10 % des actions dans
tous les médias détenteurs d’une licence de radiodiffusion géorgienne.
Après des consultations approfondies auprès des commissions parlementaires
concernées et en réponse aux recommandations de la société civile,
il a été décidé d’abolir totalement les possibilités de propriété offshore de médias détenteurs d’une
licence de radiodiffusion géorgienne. Cette nouvelle loi constitue
une amélioration importante et appréciable de l’environnement médiatique.
Elle représente un progrès important et opportun dans l’environnement
médiatique, mais elle ne résout pas tous les problèmes récemment
signalés dans ce secteur, tels ceux mentionnés dans la proposition
du groupe d’experts indépendants. A cet égard, les autorités doivent
sans tarder s’attaquer aux questions soulevées par le groupe d’experts,
notamment – mais pas seulement – en ce qui concerne le droit d’accès
à l’information.
74. Si le renforcement de la transparence de la propriété et du
contrôle éditorial des médias est, effectivement, essentiel dans
une société démocratique, la législation à cet effet ne peut qu’apporter
une solution partielle, notamment sur un marché des médias qui se
mondialise sans cesse davantage avec une pléthore de holdings offshore. Ajoutons à cela la possibilité,
tout aussi importante pour le pluralisme de l’environnement médiatique,
pour les nouveaux regroupements de pénétrer le marché des médias
assez facilement. Il existe un certain nombre d’initiatives en faveur
de nouveaux radiodiffuseurs, qui bénéficieraient d’un appui économique
suffisant. Toutefois, les autorités n’ont mis à disposition aucune
nouvelle fréquence depuis un certain temps. C’est pourquoi nous
recommandons à ces dernières d’organiser dans les meilleurs délais
un nouvel appel d’offres totalement transparent pour des fréquences
de radiodiffusion, afin de diversifier le paysage médiatique et
d’en renforcer le pluralisme.
3.5. Autonomie locale
75. La Géorgie a ratifié la Charte européenne de l’autonomie
locale le 8 décembre 2004, en vigueur dans le pays depuis le 1er
avril 2005. Depuis lors, les autorités ont mis en place un certain
nombre de réformes afin d’aligner la législation nationale sur les
dispositions de la charte. Ainsi, une stratégie de décentralisation
a été élaborée, avec l’aide du Conseil de l’Europe ainsi que du
Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et de l’Union
européenne. Reste qu’à ce jour cette stratégie n’est pas officiellement adoptée,
même si ses clauses semblent orienter les politiques gouvernementales.
Nous avons été informés par les autorités de leur intention d’adopter
la stratégie dans un avenir très proche.
76. Parmi les changements constitutionnels adoptés le 15 octobre
2010 figurait un chapitre spécial sur l’autonomie locale. Ce chapitre
s’est vu nettement renforcé avec l’aide de la Commission de Venise
et des experts du Conseil de l’Europe. Il prévoit, entre autres
réels progrès, l’indépendance et l’autonomie des pouvoirs locaux,
la distinction entre les responsabilités propres et déléguées, et
la capacité des représentants des collectivités locales à saisir
directement la Cour constitutionnelle. Néanmoins, comme le souligne
l’avis de la Commission de Venise, certains secteurs méritent encore
d’être approfondis et clarifiés
.
77. La réforme de la loi organique sur l’autonomie locale s’est
poursuivie à des fins de mise en conformité avec la charte. Cette
réforme est mise en œuvre en étroite coopération avec le Conseil
de l’Europe. Malgré une amélioration globale de la loi organique,
plusieurs problèmes restent à traiter, notamment en ce qui concerne
l’organisation du pouvoir exécutif et du contrôle exercé par l’Etat
sur les autorités locales. S’agissant du pouvoir exécutif, le problème
est en partie lié au fait qu’il reste aux mains du
Gamgebeli et du
Gamgeoba bien que ni l’un
ni l’autre ne soient élus et, par conséquent, tenus de rendre compte
aux citoyens de la communauté. En outre, les procédures de nomination
de ces personnes sont ambiguës et potentiellement contraires aux
dispositions de la charte. De surcroît, le fait que le pouvoir exécutif
soit partagé entre trois personnes – le
Gamgebeli,
le
Gamgeoba et le président
du Sakrebulo – nuit à la transparence et à la responsabilisation
du système. Ces points allant à l’encontre des dispositions de la
charte, il est important qu’ils soient abordés dans un avenir proche.
78. Pour l’heure, seul le maire de Tbilissi est élu au suffrage
direct. Les maires des autres municipalités sont élus indirectement
par les conseils municipaux. Initialement, les autorités avaient
proposé que les maires des autres grandes villes autonomes soient
élus au suffrage direct mais cette proposition est restée sans suite. Compte
tenu de l’expérience positive de l’élection directe du maire de
Tbilissi, les autorités doivent envisager de la généraliser à toutes
les municipalités et, en particulier, aux grandes villes autonomes,
comme le recommande aussi l’Association nationale des pouvoirs locaux
de Géorgie.
79. Alors qu’à l’occasion du dernier scrutin l’opposition a remporté
les élections dans bon nombre de conseils municipaux du pays, sa
structure est souvent jugée trop faible et mal organisée au plan
local, notamment dans les municipalités de moindre importance. Aussi
son rôle s’en trouve-t-il diminué au niveau local et au sein des
collectivités locales. A cet égard, le renforcement des structures
des partis d’opposition à l’échelon local est une priorité. Dans
ce contexte, dans son rapport 2009, Freedom House note que, du fait
de la domination des conseils municipaux par le parti au pouvoir,
le gouvernement central continue d’exercer un contrôle strict sur
les conseils municipaux, ce qui est contraire à la logique même
de l’autonomie.
80. La base fiscale des collectivités locales est faible et doit
être renforcée. Si certaines taxes (l’impôt foncier, par exemple)
sont directement levées et perçues par les municipalités, le coût
de la perception est souvent supérieur aux revenus générés. De ce
fait, la plupart des conseils municipaux reçoivent un financement
supplémentaire du budget central, ce qui limite leur indépendance.
A cet égard, l’avis de la Commission de Venise sur les amendements
constitutionnels recommande que le transfert des ressources financières
concernées ne soit pas seulement obligatoire en cas de délégation
des compétences, mais aussi en cas de transfert des compétences
. Doivent aussi être révisées
les règles appliquées aux budgets locaux et à la formule de péréquation
du Code budgétaire, ainsi que le chapitre des impôts locaux du Code
fiscal. Sur ces questions, une coopération s’est établie entre les
autorités géorgiennes et la Direction des institutions démocratiques
du Conseil de l’Europe.
81. Les autorités ont manifesté leur intérêt pour le développement
de régions fortes, notamment compte tenu de la faiblesse de certaines
municipalités du pays. Aucun décret général n’est actuellement en
vigueur pour les régions en Géorgie. Les autorités ont néanmoins
commencé à établir un projet de stratégie de développement régional.
Plusieurs organisations et instances, dont le Conseil de l’Europe,
ont exprimé la crainte d’une possible régionalisation de la Géorgie,
étant donné la faiblesse des ressources financières et humaines
aux niveaux régional et local. Le développement de régions fortes
risquerait de saper celui de l’autonomie locale au plan municipal.
Tout en favorisant le principe de régionalisation du pays, les autorités doivent
s’assurer que ce processus ne nuit pas au développement d’une réelle
autonomie à l’échelon municipal.
82. En juin 2010, le ministère du Développement régional a adopté
une stratégie de développement régional pour 2010-2017 et un plan
d’action correspondant devait être adopté fin 2010 ou début 2011.
Il est regrettable que, malgré la coopération étroite avec le Conseil
de l’Europe dans le domaine de l’autonomie locale, ces documents
stratégiques n’aient pas donné lieu à des consultations.
83. La priorité accordée au développement socio-économique des
régions transparaît aussi dans la décision du Parlement géorgien
de se diviser entre Tbilissi et Kutaisi, deuxième grande ville de
Géorgie, située à l’ouest du pays. Conformément à cette décision,
les sessions parlementaires se tiendront à Kutaisi, tandis que les
réunions de commission continueront à se dérouler à Tbilissi. Cette
délocalisation partielle du parlement entrera normalement en vigueur
avec la convocation du nouveau parlement après les élections législatives
de 2012.
4. Prééminence du droit
4.1. Indépendance du système judiciaire
84. Le renforcement de l’indépendance du système judiciaire
est depuis longtemps une priorité pour les autorités géorgiennes
qui ont continué à prendre des mesures et à procéder à des réformes
à cet effet au cours de la période concernée.
85. En 2007 et 2008, une série d’amendements ont été apportés
à la Constitution dans le but de renforcer l’indépendance du système
judiciaire. Le Haut Conseil de la justice, chargé, entre autres,
de nommer les juges et de prendre des mesures disciplinaires à leur
encontre, a cessé d’être un organe consultatif du Président et est
devenu un organe indépendant, majoritairement composé de juges.
Le Président et le ministre de la Justice ne sont plus membres du
Haut Conseil de justice qui est aujourd’hui présidé par le Président
de la Cour suprême. Le Haut Conseil de la justice est composé du
Président de la Cour suprême, de huit membres élus par la Conférence
des juges, de deux membres désignés par le Président et de trois membres
désignés par le parlement. Par ailleurs, le président de la commission
des questions juridiques du parlement est membre d’office du conseil.
A la suite des amendements constitutionnels apportés dans le cadre
de la seconde vague des réformes démocratiques, un des trois membres
désignés par le parlement doit provenir d’une faction de l’opposition.
Ainsi, conformément aux normes européennes, la majorité des membres
du Haut Conseil de la justice sont des juges élus par leurs pairs.
86. Dans un effort supplémentaire pour renforcer l’indépendance
des juges, le principe de la nomination à vie des juges a été introduit
par les amendements constitutionnels de 2010. Cependant, ces dispositions instituent
également une période probatoire «n’excédant pas trois ans»
. Dans son
avis sur les récents amendements constitutionnels, la Commission
de Venise a souligné qu’en vertu de la Charte européenne sur le
statut des juges toute période de procès – s’ils ne peuvent être
évités – doit être de courte durée et les critères justifiant la
non-confirmation d’une nomination après une période probatoire doivent
être clairement définis dans la loi. Par ailleurs, la décision de
confirmer ou non une nomination doit être prise par une instance indépendante.
Par conséquent, nous proposerions que cette période probatoire soit
supprimée, tel que recommandé par la Commission de Venise, ou modifiée
pour être pleinement en conformité avec les normes européennes.
87. Tandis que la nomination des juges est une prérogative du
Haut Conseil de la justice, tous les juges de la Cour suprême continuent
d’être nommés par le parlement sur proposition du Président. Le
transfert du droit de nomination des juges de la Cour suprême au
Haut Conseil de la justice garantirait davantage leur indépendance
.
88. Le nouveau Code de procédure pénale qui est entré en vigueur
le 1er octobre 2010 contient également d’importantes dispositions
visant le renforcement de l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Le nouveau code introduit le principe du débat contradictoire dans
le système judiciaire ainsi que les procès avec jury pour certaines
catégories d’affaires. Ces dispositions, ainsi que d’autres, ont
transformé le rôle du juge dans les procès pour en faire un arbitre
impartial entre le procureur et la défense. Ces changements contribueront
à protéger davantage le corps judiciaire de l’influence indue de
tierces parties.
89. En février 2010, des amendements ont été adoptés qui interdisent
les communications avec les juges sur une affaire en dehors de la
présence de la partie adverse et instaurent des sanctions sévères
pour toutes violations à cette règle. De plus, le Code pénal a été
modifié de sorte à incriminer l’immixtion d’agents de l’Etat dans
les activités du corps judiciaire.
90. Cependant, malgré toutes ces réformes et changements législatifs
majeurs et tous les efforts déployés par les autorités pour améliorer
la perception du public à cet égard, le public a encore le sentiment
que l’indépendance du judiciaire est limitée et que ce dernier reste
sujet aux pressions de l’exécutif. Il est fondamental aussi bien
pour la confiance du public dans l’Etat de droit que pour le fonctionnement
de celui-ci que le système judiciaire soit perçu par le public comme
impartial et indépendant. Par ailleurs, la pression sur le judiciaire
et les limites de l’indépendance du judiciaire continuent d’être
une source de préoccupation telle que souligné dans le tout dernier
rapport
du défenseur public de la Géorgie
et dans le Rapport de 2009 sur les droits de l’homme du Département
d’Etat des Etats-Unis. Des réformes supplémentaires sont encore nécessaires
à cet égard.
4.2. Code de procédure pénale
91. Dans sa
Résolution
1603 (2008) sur le respect des obligations et des engagements
de la Géorgie, l’Assemblée exhorte les autorités à «adopter le nouveau
Code général de procédure pénale élaboré en collaboration avec le
Conseil de l’Europe»
. Ce Code de procédure pénale a été adopté
par le parlement à l’automne 2009 et est entré en vigueur le 1er
octobre 2010. Il a été élaboré en étroite collaboration avec le Conseil
de l’Europe et adopté après un processus de consultation élargie,
y compris avec la société civile géorgienne.
92. Un principe clé du nouveau code est l’introduction d’un système
de débats contradictoires dans lequel le juge est un arbitre impartial
entre le parquet et la défense. De plus, le droit dont jouissait
un juge, dans le cadre du précédent code, d’interroger les témoins
et de ce fait d’être en charge de l’enquête, a été supprimé. En
conséquence, les juges ne jouent plus de rôle dans l’accusation,
ou dans la défense, concernant les affaires portées devant le tribunal,
ce qui contribue à protéger le pouvoir judiciaire de toute influence
indue par des tierces parties.
93. Le nouveau code instaure des procès avec jury, dans un premier
temps pour les affaires de meurtre aggravé, ce qui est une innovation.
Il est espéré que l’introduction du système de jury renforcera davantage l’indépendance
du pouvoir judiciaire.
94. Plusieurs dispositions du nouveau code visent à renforcer
le droit à un procès équitable et à une procédure régulière. Le
code prévoit des protections contre l’auto-incrimination et exclut
la possibilité qu’un prévenu soit déclaré coupable uniquement sur
la base de sa propre confession. Par ailleurs, le nouveau code confère
l’égalité des droits aussi bien au procureur qu’à la défense en
ce qui concerne la collecte et la présentation des preuves devant
les tribunaux. De plus, des délais et des périodes de temps stricts
sont fixés dans le code pour les procès.
95. Dans leur évaluation globalement positive du projet final
du Code de procédure pénale, les experts de la Direction générale
des droits de l’homme et des affaires juridiques du Conseil de l’Europe
ont soulevé des questions concernant le système de transaction de
la défense avec le ministère public qui fait partie du code ainsi
que le rôle de la victime dans la procédure pénale et les délais
légaux parfois trop courts. En outre, il a été souligné que, surtout
dans un système fondé sur le principe du contradictoire, le rôle
de l’avocat de la défense est crucial et qu’en conséquence il est
essentiel de disposer d’un système complet d’aide juridictionnelle
gratuite pour ceux qui en ont besoin. Nous encourageons les autorités
à poursuivre et, le cas échéant, à intensifier les efforts et les
mesures qu’elles prennent à cet égard.
4.3. Réforme du ministère public
96. En octobre 2008, le parlement a adopté la loi de
la Géorgie sur le ministère public. Par ailleurs, en mars 2009,
une série d’amendements constitutionnels ont été adoptés qui ont
modifié le statut du ministère public dans le cadre institutionnel
de l’Etat géorgien.
97. En 2010, un Conseil public a été créé pour prendre part à
la sélection de procureurs et pour superviser l’application de normes
éthiques par le ministère public. Par ailleurs, un programme pilote
de centres d’aide aux victimes a débuté cette année, et l’initiative
«Community prosecution» a été étendue pour couvrir 15 régions.
98. Ces amendements constitutionnels, ainsi que les réformes précédentes,
ont entraîné d’une manière générale une réduction des effectifs
du ministère public et le renforcement de son efficacité. Les procureurs sont
généralement bien payés et les postes dans le service sont sollicités
par les avocats. Par conséquent, la question de la corruption dans
le ministère public, qui était problématique dans le passé, n’est
presque plus à l’ordre du jour.
99. Nous notons avec satisfaction que le ministère public reste
une institution puissante mais qu’il ne jouit plus des pouvoirs
généraux de supervision, pouvoirs à propos desquels nous avions
exprimé des préoccupations dans notre précédent rapport
.
100. Les changements constitutionnels de 2009 ont transféré la
responsabilité du ministère public d’un procureur général indépendant
au ministre de la Justice qui, dans le même temps, occupe le poste
de procureur général. Cet arrangement est en principe conforme aux
normes et standards européens, mais l’existence de mesures de sauvegarde
suffisantes est nécessaire pour garantir l’impartialité et la transparence du
ministère public et son indépendance par rapport aux intérêts politiques.
101. Dans son avis
sur
les changements constitutionnels de 2009 qui ont affecté le ministère
public, la Commission de Venise a noté que la loi sur le ministère
public confère au ministre de la Justice des pouvoirs considérables
sur le ministère public. Cette situation pourrait être en contradiction
avec le principe susmentionné. Tandis que la gestion globale du
ministère public est aux mains du procureur en chef, le ministre
jouit du pouvoir de nommer ou de licencier chaque procureur, d’approuver
les principes de la politique du droit pénal ainsi que d’édicter
des actes juridiques normatifs et d’abolir les ordonnances, les
instructions et directives illégales.
102. Dans son avis, la Commission de Venise a recommandé que des
dispositions supplémentaires soient adoptées dans le but de codifier
de façon explicite le fait que le ministre ne devrait pas jouir
du pouvoir d’agir dans les affaires individuelles, comme c’est déjà
le cas en pratique. De plus, la Commission de Venise a exprimé des
préoccupations sur le fait que l’absence de critères juridiques
clairs pour le licenciement du procureur général, des procureurs
généraux adjoints, des procureurs des républiques autonomes et des procureurs
de districts porterait atteinte à leur indépendance. Par ailleurs,
l’avis de la Commission de Venise recommande que tous les procureurs
doivent avoir la possibilité, expressément prévue par la loi, de
faire appel devant un tribunal d’une décision de licenciement prise
contre eux. Nous avons été informés par les autorités géorgiennes
que le Code de procédure administrative de la Géorgie prévoyait
déjà cette possibilité.
103. La loi sur le ministère public donne le pouvoir au ministre
de la Justice de conduire lui-même des poursuites contre, entre
autres, le Président de la Géorgie, les membres du parlement, les
juges, les membres du gouvernement, le défenseur public, les procureurs
et les officiers militaires de haut rang. Ces pouvoirs sont une
source de préoccupation dans la mesure où le ministre pourrait empêcher
ou initier de telles poursuites sur la base de motivations politiques.
Nous recommanderions vivement que ces pouvoirs dont jouit le ministre de
la Justice soient abolis par des amendements à la loi sur le ministère
public.
4.4. Administration de la justice
104. Malgré les nombreuses réformes positives apportées
dans le domaine de la justice, la question de l’administration de
la justice devient de plus en plus préoccupante et un objet du débat
public. Un grand nombre des interlocuteurs que nous avons rencontrés
au cours de nos visites, y compris le défenseur public de la Géorgie,
ont exprimé des préoccupations à propos de cette question. Les problèmes
à ce niveau ont parfois entraîné des inégalités dans l’application
de la justice, portant ainsi atteinte au principe du droit à un
procès équitable tel que garanti par l’article 6 de la Convention
européenne des droits de l’homme. Les principales difficultés relevées
concernant l’administration de la justice sont, entre autres, l’absence
ou l’insuffisance de l’argumentation dans les décisions du tribunal,
les obstacles aux droits de la défense, l’utilisation de matrices standardisées
pour la prise de décisions par les tribunaux, ainsi que les décisions
des tribunaux basées sur des preuves insuffisantes ou contradictoires.
105. Les problèmes dans l’administration de la justice ont été
aggravés car le système judiciaire fait encore la part belle à l’accusation,
violant le principe de la présomption d’innocence. En réponse aux
allégations selon lesquelles des personnes ont été poursuivies sur
la base de preuves inexistantes ou inventées, l’Institut démocratique
national a mis en place un projet de suivi des procès pour les affaires
dans lesquelles des personnes ont été accusées d’avoir détenu illégalement
des armes ou de la drogue, car plusieurs organisations des droits
de l’homme ont fait observer qu’il n’était pas certain que ces accusations
soient fondées. Tandis que le projet de suivi des procès est toujours
en cours, les résultats préliminaires montrent un nombre considérable
d’affaires dans lesquelles des personnes sont condamnées uniquement
sur la base du témoignage de la police, sans preuves corroboratives.
Dans un certain nombre d’affaires, il a été indiqué que le ministère
public n’a pas été en mesure de présenter l’arme ou les drogues
à la base des accusations. Nous voudrions faire observer que l’Assemblée
a exprimé à plusieurs reprises son avis selon lequel les accusations uniquement
basées sur des témoignages de la police, sans preuves corroboratives,
sont inacceptables, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme.
106. Le fait que le système de justice en Géorgie avantage encore
l’accusation ressort tout aussi clairement des statistiques qui
nous ont été communiquées par le Président de la Cour suprême. Selon
ces statistiques, le taux de condamnation en Géorgie est de 98 %,
dont 75 % sur la base d’accords de transactions pénales. Le pourcentage
très élevé des transactions pénales est à notre avis également révélateur
du manque de confiance persistant du public dans l’équité du système
judiciaire. Dans le même temps, la législation géorgienne permet
aux individus de faire appel de leur condamnation et de leur peine,
même lorsqu’elles se fondent sur une transaction pénale. Une série
de dispositions visant à se prémunir contre toute utilisation abusive
de la procédure de transaction pénale a été adoptée dans le nouveau
Code de procédure pénale.
107. Nous exhortons les autorités géorgiennes à se pencher sur
les problèmes de l’administration de la justice mis à jour dans
ce rapport par de nombreuses instances et organisations nationales
et internationales, y compris par le défenseur public de la Géorgie.
Les problèmes soulignés ici ont une incidence négative sur le droit
à un procès équitable et sur la confiance du public dans l’équité
et l’indépendance du système de justice. Cela pourrait à son tour
porter atteinte aux progrès notables accomplis par les autorités
dans le domaine de la réforme judiciaire et du renforcement de l’indépendance
du judiciaire.
4.5. Lutte contre la corruption
108. Depuis la révolution des roses, la lutte contre la
corruption est considérée comme une réussite de la Géorgie et la
corruption de faible niveau a été pratiquement éradiquée. Nous notons,
dans le même temps, que les allégations de corruption impliquant
des personnes occupant des postes élevés persistent et que beaucoup
d’ONG considèrent toujours que la corruption politique est un problème
en Géorgie. Il est donc nécessaire de prendre des mesures supplémentaires
pour remédier à cette situation.
109. Nous notons avec satisfaction qu’en janvier 2009 le Conseil
de lutte contre la corruption, qui comprend des groupes de la société
civile, a été établi sous le couvert du ministère de la Justice
et s’est vu confier la tâche de mettre à jour et d’élaborer davantage
la stratégie du gouvernement de lutte contre la corruption. Si cette
stratégie est dans l’ensemble particulièrement appropriée, des interlocuteurs
ont fait observer qu’il est nécessaire de déployer des efforts supplémentaires
pour en informer le public et pour appliquer ses dispositions dans
la pratique.
110. Le dernier rapport de conformité du Groupe d’Etats contre
la corruption (GRECO) sur la Géorgie a été adopté en mai 2009. Dans
son rapport de conformité, le GRECO salue l’adoption de plusieurs
initiatives prises au niveau législatif pour mettre en œuvre ses
recommandations précédentes. Dans le même rapport, le GRECO note
également que les autorités géorgiennes «sont maintenant confrontées
à la difficile tâche de garantir l’application énergique dans la
pratique de la législation existante».
111. Il convient de noter que les lacunes mentionnées n’impliquent
pas nécessairement qu’un climat d’impunité prévaut en Géorgie pour
la corruption de haut niveau. Dans certains cas, le procureur général
a initié des enquêtes sur des allégations de corruption, y compris
celles impliquant des hauts fonctionnaires, et un certain nombre
de figures politiques de haut niveau ont été déclarées coupables.
Dans le même temps, plusieurs interlocuteurs nous ont indiqué qu’à
leur avis ces enquêtes ne sont pas toujours initiées ou conduites de
façon cohérente dans les cas d’allégations de corruption de haut
niveau.
112. Le 26 octobre 2010, Transparency International a publié son
indice de perception sur la corruption. Dans cet indice, basé sur
une échelle de 0 (niveau de corruption élevé) à 10 (pas de corruption),
la Géorgie occupe la 68e place avec une note de 3,8. Selon Transparency
International, il reste plusieurs points à régler à cet égard, tels
que la nécessité de procéder à des réformes judiciaires supplémentaires,
d’accroître la protection des droits de propriété, le manque de
transparence dans les dépenses publiques, la corruption de haut
niveau ainsi que le faible niveau de participation de la société
civile dans l’exécution de la politique publique.
113. L’adoption par le parlement, le 27 mars 2009, d’une série
d’amendements à la loi sur les conflits d’intérêts et la corruption
dans la fonction publique constitue un développement positif. Ces
amendements, qui ont été formulés en étroite collaboration avec
le Conseil de l’Europe, régissent clairement la question des présents
reçus par les fonctionnaires à tous les niveaux et offrent une protection
aux dénonciateurs. De plus, une nouvelle loi sur la Chambre de contrôle
a été adoptée en décembre 2008, qui confère à la chambre le droit de
procéder à un audit financier des pouvoirs locaux et des entreprises
d’Etat.
114. D’autres amendements à la loi sur la fonction publique ont
été proposés qui introduiront un Code de conduite pour la fonction
publique basée sur le code modèle tel qu’adopté par le Comité des
Ministres du Conseil de l’Europe. Les autorités géorgiennes nous
ont informés que ces amendements avaient été adoptés le 12 juin
2009. De plus, comme nous l’avons déjà indiqué dans le chapitre
sur le pluralisme des médias, nous aimerions recommander que les
autorités géorgiennes adoptent à présent une loi adéquate sur l’accès
du public à l’information. Une telle loi peut jouer un rôle important
dans la lutte contre la corruption.
4.6. Exécution des décisions de justice
115. Dans son 7e rapport sur l’exécution des arrêts de
la Cour européenne des droits de l’homme
,
la commission des questions juridiques et des droits de l’homme
de l’Assemblée parlementaire fait observer que les problèmes majeurs
en Géorgie dans ce contexte sont liés à l’absence de nouvelles enquêtes
sur les mauvais traitements perpétrés par la police et au traitement
médical inapproprié dans les prisons.
116. En relation avec l’absence de nouvelles enquêtes dans les
cas de mauvais traitements perpétrés par la police, il est souligné
que des enquêtes devraient non seulement être lancées, mais être
également effectives comme le requiert la Cour. A cet égard, il
s’avère souvent que les enquêtes n’incluent pas d’expertise médicale indépendante,
d’entretiens avec toutes les parties et qu’il y a un manque de diligence
pour ouvrir une affaire. Dans ce contexte, nous notons avec satisfaction
que le nouveau Code de procédure pénale permet la réouverture d’affaires
sur la base des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme.
117. En ce qui concerne le traitement médical inapproprié dans
les prisons, le rapport de la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme note que des mesures ont été prises par
les autorités géorgiennes mais que cette question reste sous la
surveillance du Comité des Ministres jusqu’à ce qu’une solution
permanente soit trouvée.
5. Droits de l’homme
5.1. Conditions pénitentiaires et brutalité policière
118. Les autorités géorgiennes ont adopté une stratégie
de réforme pénitentiaire élaborée et un plan d’action pour améliorer
les conditions de vie dans les établissements pénitentiaires. La
surpopulation et les conditions de vie en prison continuent d’être
un sujet préoccupant malgré les nombreux efforts que les autorités géorgiennes
ont faits dans ce domaine. Une nouvelle «mégaprison» a été construite
et sera bientôt opérationnelle. Ce nouveau complexe d’établissement
pénitentiaire, très grand, a été élaboré avec l’aide de la communauté
internationale; il respecte les normes européennes relatives aux
prisons. Toutefois, à la suite de l’augmentation continue de la
population carcérale, une multitude d’anciennes prisons sont encore
utilisées et les conditions d’hygiène et de vie y sont inquiétantes
car bien en dessous des normes européennes. Le Comité européen pour
la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants (CPT) a signalé que la situation dans les vieux bâtiments
était considérée comme inhumaine et pouvait mettre des vies en danger.
C’est pourquoi une nouvelle stratégie complète visant à assouplir
le système pénitentiaire et à pratiquer des libérations conditionnelles
est prévue par les autorités pour résoudre ce problème.
119. Si des progrès considérables ont été réalisés à cet égard,
il reste que les personnes subissent de mauvais traitements dans
les prisons ainsi que lors de leur arrestation. L’ancien défenseur
public a signalé que les victimes craignent parfois de se manifester
et de déposer une plainte officielle par peur des représailles.
La résolution de ce problème devrait être une priorité pour les
autorités géorgiennes, pour faire savoir que le climat d’impunité
ne saurait être toléré pour ces mauvais traitements pratiqués dans
les centres de détention et dans les prisons.
120. Pour souligner la détermination des autorités de combattre
la criminalité, des peines incompressibles très sévères, et, de
notre avis, quelque peu excessives, ont été prescrites dans la loi,
même pour des délits mineurs. En outre, les peines sont exécutées
consécutivement et non pas concurremment comme c’est le cas dans
de nombreux autres pays européens. Il s’ensuit que la Géorgie a
proportionnellement une des plus nombreuses populations carcérales
de la zone du Conseil de l’Europe qui continue à augmenter au rythme
de 200 personnes en moyenne par mois. Cet accroissement gêne les
efforts du gouvernement pour mettre les conditions de détention
dans les prisons aux normes européennes. Les autorités ont essayé
de faire face en prenant des mesures de mise en liberté conditionnelle
et de remise de peine, mais les travaux de la Commission nationale
sur la liberté conditionnelle ont été critiqués, y compris par le
défenseur public de la Géorgie, comme étant incohérents et fragmentaires.
Un nouveau Code d’emprisonnement est entré en vigueur en octobre
2010, établissant un nouveau système de commissions des libertés
conditionnelles. Le projet de code a été établi en tenant compte
des normes du Conseil de l’Europe. Nous sommes d’avis qu’il serait important
pour le législateur géorgien de revoir les directives relatives
aux peines incompressibles, de réfléchir à des peines alternatives
pour réduire l’accroissement de la population carcérale et de mettre
au point des directives améliorées qui prévoient des remises en
liberté anticipées, notamment pour les délits mineurs.
121. Des progrès considérables ont été accomplis avec la réforme
de la police qui, d’un strict instrument de force, a été transformée
en organisation d’un service sociétal. Un aspect essentiel de la
réforme a consisté à rendre les forces de police plus responsables
et plus transparentes en allant jusqu’à construire des postes de police
entièrement transparents. Il en est résulté une élimination presque
totale de la corruption des forces de police.
122. Il reste un sujet d’inquiétude lié aux forces de police, à
savoir les enquêtes prolongées et inefficaces dont certaines durent
depuis plus de dix ans, sans résultat. Cela peut s’expliquer en
partie par les restes de la mentalité soviétique qui veut que la
police ne clôture pas les affaires non résolues afin de maintenir
à un niveau statistiquement élevé le taux de réussite des enquêtes.
Toutefois, ces longues enquêtes alimentent des allégations et des
craintes d’irrégularités et de manque de volonté de la police d’enquêter
sur les affaires politiquement sensibles. A cet égard, il est à
noter que ni les assauts contre les manifestants au cours des manifestations
de novembre 2007, ni ceux au cours des manifestations d’avril 2009
n’ont donné lieu à des inculpations ou à des enquêtes clôturées.
Ces enquêtes prolongées devraient être traitées en priorité par
les autorités.
123. L’usage excessif de la force et de la torture par les forces
de l’ordre, qui était un problème systémique il y a plusieurs années,
a disparu, même s’il est regrettable que quelques cas isolés se
produisent encore. L’usage excessif de la force par la police pendant
les grandes manifestations reste un problème dont on a eu l’illustration
au cours des manifestations du printemps 2009. Si le procureur général
a ouvert un certain nombre d’enquêtes à ce sujet, plusieurs ONG
dont certaines notoires comme Human Rights Watch prétendent que, dans
un certain nombre de cas, des enquêtes n’ont pas été menées systématiquement
ou que les condamnations n’ont pas été maintenues. Il convient de
remédier à cette situation pour s’assurer qu’elle ne créera pas
un sentiment d’impunité parmi les forces de l’ordre.
5.2. Liberté de réunion
124. En réponse aux rassemblements de protestation prolongés
et souvent tendus, et aux blocages de route organisés par l’opposition
au printemps et au début de l’été 2009, le Parlement géorgien a
adopté, en juillet 2009, un ensemble d’amendements à la loi sur
les réunions et les manifestations. Ces amendements prévoyaient
notamment une interdiction générale de manifester dans un périmètre
de 20 mètres à l’entrée d’un nombre considérable de bâtiments publics;
l’interdiction de bloquer la circulation; l’interdiction d’appeler
au changement forcé de l’ordre constitutionnel ou de l’intégrité
territoriale du pays; ainsi que de mettre fin automatiquement aux
réunions par les services chargés de l’application de la loi lorsque
la loi est violée au cours de la manifestation.
125. Le 14 août 2010, il a été demandé à la Commission de Venise
d’évaluer ces amendements. Dans son avis intérimaire
, la Commission de Venise a conclu
qu’un certain nombre des nouvelles dispositions pouvaient être excessives
et en désaccord avec la Convention européenne des droits de l’homme
et la jurisprudence de la Cour. Sur la base des recommandations
formulées par la Commission de Venise, les autorités géorgiennes
ont préparé de nouveaux amendements à la loi. Le 1er mars 2010,
ces amendements ont été présentés à la Commission de Venise, qui
a adopté son avis
le
13 mars 2010. Nous saluons cette coopération constructive entre
les autorités et la Commission de Venise en vue de corriger les
imperfections constatées dans les amendements.
126. Les amendements originaux établissaient une interdiction générale
de manifester dans un périmètre de 20 mètres à l’entrée d’un grand
nombre de bâtiments publics ainsi que l’interdiction de bloquer
la circulation au cours d’une manifestation. La Commission de Venise
a estimé que cette interdiction générale était excessive et potentiellement
disproportionnée, dans la mesure où aucun critère, similaire à ceux
mentionnés à l’article 11, paragraphe 2, de la Convention européenne
des droits de l’homme, n’est indiqué dans la loi sur la base de
laquelle le droit à la liberté de réunion pourrait être restreint
par les autorités. D’une manière générale, les amendements de mars 2010
prennent effectivement en compte cette préoccupation de la Commission
de Venise, bien qu’ils ne lèvent pas totalement la restriction générale
pour tous les bâtiments publics
. Cependant,
l’interdiction de manifestations pour bloquer la circulation a été
récemment retirée de la loi, ce dont on peut se féliciter.
127. Les amendements de juillet 2009 interdisaient les manifestations
qui appelaient à «la subversion ou au changement forcé de l’ordre
constitutionnel de la Géorgie, au non-respect de l’indépendance
ou de l’intégrité territoriale du pays
» ou de faire des appels «qui constituent
une propagande de guerre et de la violence et provoquent une confrontation
nationale, ethnique, religieuse ou sociale». La Commission de Venise
a noté que, conformément aux normes européennes, de tels appels
peuvent être une raison légitime d’interdire une manifestation uniquement
si les appels visent un renversement violent de l’ordre constitutionnel
et si une telle action est imminente. Nous saluons le fait que ces
précisions aient été ajoutées par la suite à la loi dans les amendements
de mars 2010.
128. Les amendements de 2009 à la loi sur les manifestations prévoient
qu’il soit mis fin immédiatement à une manifestation dès lors que
la loi sur les manifestations est violée. La loi récemment modifiée
prévoit à présent une période – bien que très courte – pendant laquelle
les organisateurs peuvent mettre fin aux violations de la loi avant
qu’il ne soit mis fin à la manifestation. Ces dispositions ne laissent
cependant pas une latitude suffisante pour décider quand il devrait
être mis fin à une manifestation. Ces dispositions révisées, si elles
constituent un progrès par rapport aux amendements originaux, pourraient
avoir pour effet de continuer à restreindre d’une manière excessive
la liberté de réunion. Nous encourageons les autorités à poursuivre
leur coopération constructive avec la Commission de Venise sur cette
question, ainsi que sur d’autres questions pendantes, mentionnées
dans son avis.
5.3. Minorités nationales
129. La Géorgie est un Etat multiethnique dont plus de
16 % de la population
appartient
à une minorité ethnique. Les groupes de minorités ethniques les
plus importants sont les Arméniens, les Azéris, les Russes, les
Abkhazes et les Ossètes. Le pays étant le plus multiethnique du
Caucase, les relations avec les minorités et la mise en œuvre d’une
politique cohérente en ce qui concerne les questions de minorités
sont des priorités importantes pour les autorités actuelles.
130. Les relations avec les minorités nationales et l’intégration
de ces dernières dans la société géorgienne ont été une priorité
pour le gouvernement actuel. Malgré les nombreuses mesures positives
prises par les autorités en vue de faciliter l’intégration des minorités
nationales dans la société géorgienne, il reste encore un certain
nombre de mesures à prendre, en vue notamment:
- d’améliorer plus avant la participation
des minorités nationales à la vie publique;
- d’améliorer plus avant le système d’enseignement des langues
pour les minorités nationales, y compris l’enseignement des langues
minoritaires et du géorgien en tant que deuxième langue;
- de renforcer les mesures contre l’intolérance religieuse
et de mettre en place un cadre juridique approprié pour les religions
minoritaires.
131. La question des minorités nationales est sensible, particulièrement
à la lumière de la guerre de 2008 contre la Russie. Cela dit, s’il
y a eu des conséquences négatives à la fois sur ces questions et
sur les progrès qui auraient pu être accomplis à ce propos, les
autorités ont continué à mettre en œuvre des mesures de vaste portée
en vue d’améliorer la situation des minorités nationales en Géorgie.
132. Selon la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
(ECRI), les minorités nationales sont confrontées au racisme en
Géorgie, ce qui souligne la nécessité d’efforts permanents à cet
égard. Le rapport de l’ECRI note également les allégations selon
lesquelles les conflits qui ont eu lieu en août 2008 en Ossétie du
Sud et en Abkhazie ont donné lieu à certains discours racistes à
l’encontre des Russes, des Ossètes du Sud et des Abkhazes, discours
encore exacerbés par la propagande. D’une manière générale, on observe chez
les minorités une méconnaissance des dispositions législatives existantes
contre les discours et les actes racistes. Cela pourrait expliquer
en partie la méfiance générale dont les personnes appartenant à
des minorités nationales font preuve à l’égard du système judiciaire.
133. Environ 1 500 Roms vivent en Géorgie, qui souffriraient de
marginalisation, de discrimination et de pauvreté. Certains d’entre
eux ne possèdent pas de papiers d’identité, ce qui les empêche d’accéder pleinement
aux soins de santé et aux autres services fournis par l’Etat. Le
gouvernement s’est efforcé de lutter contre la discrimination à
l’encontre des Roms en proposant une formation aux forces de police,
mais d’autres mesures sont nécessaires pour empêcher que la population
rom ne soit davantage marginalisée.
134. Le 22 décembre 2005, la Géorgie a ratifié la Convention-cadre
pour la protection des minorités nationales. Le comité consultatif,
qui assure le suivi de la mise en œuvre de la charte dans les Etats signataires,
a adopté son premier avis le 19 mars 2009
.
Depuis lors, on a observé un certain nombre de développements positifs
tels que l’adoption, en avril 2009, du Plan national pour la tolérance
et l’intégration, qui prévoit un cadre pour les politiques relatives
aux minorités. De plus, une commission interorganismes sur les questions
de minorités (présidée par le ministère de la Réintégration) a été
mise en place en vue d’apporter son soutien en matière de coordination
des politiques sur les minorités nationales. La commission est chargée de
la mise en œuvre du Plan national pour la tolérance et l’intégration.
135. Lors de son adhésion au Conseil de l’Europe, la Géorgie s’est,
entre autres, engagée à signer la Charte européenne des langues
régionales ou minoritaires dans un délai d’un an. Plus de dix ans
se sont écoulés depuis, et la Géorgie n’a pas encore satisfait à
cet engagement. Selon les autorités, cela est dû au fait que cette
question est extrêmement sensible ainsi qu’à la crainte qu’un débat
sur les langues minoritaires puisse être facteur de tensions interethniques
et d’instabilité. Toutefois, nous estimons qu’il existe en Géorgie
bon nombre de questions pendantes que la Charte pourrait contribuer
à résoudre si elle était signée, y compris celles qui touchent à
l’intégration des Arméniens, des Azéris et des autres minorités
nationales dans la sphère publique. Par conséquent, nous invitons
instamment les autorités à s’acquitter sans plus tarder de cet engagement
auquel elles ont souscrit lors de leur adhésion.
136. Lors de son adhésion au Conseil de l’Europe, la Géorgie s’est
engagée à adopter une loi générale sur les minorités. Elle n’a pas
encore respecté cet engagement. Les autorités ont indiqué qu’elles
préféreraient aborder les questions de minorités dans les différentes
lois portant sur des questions qui revêtent une importance pour
le statut et la protection des minorités au lieu d’adopter une loi
spécifique unique sur les minorités. Les raisons sont semblables
à celles qui avaient été avancées pour justifier leur réticence
à signer la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
En même temps, les autorités géorgiennes se sont engagées à veiller
à ce que les dispositions des lois pertinentes soient conformes
aux normes européennes, et surtout à la charte.
137. Nous avons consulté à ce propos le secrétariat du comité consultatif
sur la convention-cadre. De l’avis de ce dernier, la base pour évaluer
le respect par les pays des dispositions de la charte devrait être
le cadre juridique combiné. La question de savoir si ce cadre est
contenu dans une ou plusieurs lois spécifiques n’a pas d’importance.
Dans cette situation, nous sommes d’avis que la Géorgie pourrait
être considérée comme ayant satisfait à l’engagement contracté lors
de son adhésion d’adopter une loi sur les minorités, même si les dispositions
sont contenues dans plusieurs lois spécialisées. Toutefois, cela
pourrait uniquement être le cas si, dans son prochain rapport prévu
pour 2012, le comité consultatif estimait que le cadre juridique
pour la protection des minorités nationales est adéquat et conforme
aux normes européennes, y compris la convention-cadre. Dans l’intervalle,
nous invitons instamment les autorités géorgiennes à continuer de s’occuper
des questions soulevées dans le dernier rapport du comité consultatif.
138. La question de la tolérance religieuse et de la situation
et du statut des autres religions en Géorgie est un sujet important
et toujours un point de préoccupation. L’Eglise orthodoxe géorgienne
est la principale religion du pays. Elle est protégée à la fois
en tant qu’Eglise et qu’entité publique. Les autres communautés religieuses
peuvent uniquement se faire enregistrer en tant qu’organisations
non gouvernementales ou associations privées à but non lucratif.
C’est pourquoi elles ne peuvent bénéficier des mêmes conditions
en ce qui concerne l’exercice de leurs activités religieuses. L’absence
d’un statut juridique approprié – qui n’est pas satisfaisante –
a engendré un certain nombre de problèmes, y compris en ce qui concerne
les droits de propriété. Nous en appelons aux autorités géorgiennes
pour qu’elles adoptent une loi spécifique sur la religion qui donnerait
un statut juridique approprié et qui accorderait protection aux
croyances autres que l’Eglise orthodoxe géorgienne.
139. Il demeure un bon nombre de questions pendantes en ce qui
concerne la restitution des propriétés religieuses historiques confisquées
durant l’ère soviétique. Les édifices religieux revendiqués par
l’Eglise orthodoxe géorgienne ont, d’une manière générale, été restitués
ou sont en train de l’être. Le processus de restitution est toutefois
retardé pour d’autres communautés religieuses. Cette question ne
concerne pas uniquement les églises arméniennes, dont la situation
a été traitée de façon plus approfondie, puisque d’autres communautés
religieuses, dont l’Eglise catholique romaine, l’Eglise évangéliste
luthérienne et la communauté juive, se sont plaintes de problèmes
identiques.
140. Les Témoins de Jéhovah peuvent se faire enregistrer en tant
que tels
depuis
décembre 2008 et ne rencontrent aucun problème juridique pour importer
de la documentation ou mener leurs activités. Cependant, il y a
toujours des préjugés dans la société, et des actes de violence,
notamment de vandalisme de leurs lieux de culte, continuent d’être
commis. Il semblerait que ces actes déplorables ne fassent pas l’objet
d’enquêtes et de poursuites menées avec diligence par les forces
de police et le ministère public. En outre, les Témoins de Jéhovah
disent rencontrer des difficultés pour louer des locaux pour leurs
lieux de culte, particulièrement à Tbilissi, et des obstacles pour
la construction de leurs lieux de culte.
141. Si les autorités s’efforcent d’assurer un cadre juridique
adéquat pour les personnes lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres
(LGBT) et que la discrimination, notamment sur le lieu de travail,
fondée sur l’orientation sexuelle, est interdite, les couples composés
de personnes de même sexe ne bénéficient toujours pas du même niveau
de protection que les couples de sexe opposé. En même temps, les
personnes LGBT continuent d’être en butte aux préjugés et à l’intolérance
dans le contexte de la société généralement conservatrice qu’est
la Géorgie. Les discours ouvertement homophobes, sans réaction juridique
ou politique, par certains acteurs de la société civile et politique,
par exemple par le Mouvement populaire orthodoxe créé juste avant
les élections municipales de mai, sont une source de préoccupation.
En déclarant que les discours de haine ne sont pas acceptables,
ce dont on peut se féliciter, le Conseil d’éthique des médias a
considéré qu’un journaliste avait violé la Charte du journalisme
en ne répondant pas de façon adéquate à des remarques homophobes
prononcées par le dirigeant du Mouvement populaire orthodoxe lors
d’un débat télévisé. Il est regrettable que la police intervienne
avec réticence, selon les informations disponibles, contre les discours
de haine et d’autres actes commis à l’encontre des personnes LGBT.
Toujours selon les informations obtenues, il est rare que les auteurs
de ces actes soient poursuivis en justice au pénal.
5.4. Rapatriement de la population meskhète
142. Lors de son adhésion au Conseil de l’Europe, la Géorgie
s’était engagée à rapatrier la population meskhète avant la fin 2011.
En 2007, la Géorgie a adopté tardivement une loi sur le rapatriement
des personnes expulsées de Géorgie dans les années 1940 par l’ancienne
Union soviétique. La loi a permis de lancer le processus de rapatriement
en énonçant les conditions dans lesquelles les Meskhètes pourraient formuler
une demande de rapatriement.
143. Une série de réunions de coordination ont été tenues avec
des représentants des organisations internationales concernées par
le processus de rapatriement (Union européenne, OSCE, haut-commissaire
de l’OSCE pour les minorités nationales, Haut-Commissariat des Nations
Unies pour les réfugiés, Organisation internationale pour les migrations,
European Centre for Minority Issues et Conseil de l’Europe) en réponse
à des préoccupations relatives à la manière dont ce processus a
été géré. La réunion la plus récente a eu lieu en mars 2010 à Tbilissi.
Au cours de cette réunion, les autorités géorgiennes ont contracté
des engagements pour se pencher sur un certain nombre de préoccupations
pressantes.
144. A l’origine, les demandes de rapatriement devaient être déposées
jusqu’au 1er janvier 2009, ce qui donnait aux gens très peu de temps
pour remplir les formulaires et constituer leur dossier, et ce d’autant
que les formulaires n’étaient pas disponibles avant la fin 2008.
Le délai a été prolongé deux fois jusqu’à ce qu’un délai définitif
pour le dépôt des dossiers ait été fixé au 1er janvier 2010. Les
candidats ayant présenté des dossiers comprenant des erreurs se
sont vu accorder une prorogation de quatre mois en vue de les corriger. Les
autorités ont exclu publiquement toute nouvelle prolongation de
ce délai pour déposer les demandes après ces dates.
145. D’après les données que nous ont transmises les autorités
géorgiennes, 5 806 demandes avaient été reçues au 1er janvier 2010,
dont la majorité provenait d’Azerbaïdjan. Un total de 64 demandes
a été enregistré en provenance de la Fédération de Russie. Ce nombre
est bien moins élevé que ce qu’escomptaient les organisations meskhètes.
Toutefois, selon les organisations meskhètes, 2 000 formulaires
auraient été envoyés en russe. Cela pourrait poser un problème car,
conformément à la loi, toutes les demandes devaient être présentées
en géorgien ou en anglais. Or, en vertu des changements apportés
à la législation, tous les documents justificatifs peuvent être
fournis dans les langues dans lesquelles ils sont disponibles. Les
autorités géorgiennes ont indiqué qu’aucune demande n’a été refusée
au motif de la langue dans laquelle ces documents ont été soumis.
146. Les premières décisions relatives au rapatriement devraient
être prises fin 2011. Les autorités examinent la possibilité de
donner leurs réponses plus tôt, mais ne souhaitent pas s’engager
sur ce point. Certains problèmes se posent en ce qui concerne le
processus de rapatriement actuel en faveur de ceux qui ont reçu
une réponse favorable. La loi ne contient actuellement aucune disposition
en vue d’une stratégie de préparation et de soutien au processus
de réintégration ou d’une assistance financière de la part de l’Etat.
Les autorités géorgiennes ont indiqué qu’elles mettraient au point
une telle stratégie une fois qu’elles sauraient combien de personnes
rapatrier, mais aucun plan concret n’est attendu avant 2011.
147. La population meskhète avait, à l’origine, été expulsée de
la région du Samstskhe, peuplée aujourd’hui principalement de personnes
d’origine arménienne. Cette communauté est très hostile à l’idée
d’un rapatriement et il s’agit là d’un problème auquel il convient
de s’attaquer. Le gouvernement a examiné la possibilité de lancer,
si possible avec le soutien de la communauté internationale, une
campagne de sensibilisation à l’intention à la fois des futurs rapatriés
et de la population géorgienne en vue d’éviter d’éventuels malentendus
et d’éventuelles tensions.
148. Certains craignaient que les personnes ayant décidé de retourner
en Géorgie ne deviennent des apatrides. En réponse, le Gouvernement
géorgien a adopté, en mars 2010, un décret sur l’octroi, aux personnes
bénéficiant du statut de rapatrié, de la citoyenneté géorgienne
par le biais d’une procédure simplifiée, ce qui exclut le risque
d’apatridie.
149. Les organisations meskhètes nous ont indiqué que le nombre
de demandes reçues par les autorités géorgiennes ne représente qu’un
petit pourcentage du nombre de Meskhètes souhaitant retourner en
Géorgie. Selon elles, les raisons de ce petit nombre de demandes
sont notamment dues au fait que cette population connaît mal le
processus de demande et les exigences administratives qui sont difficiles
à satisfaire. En outre, ces organisations nous ont informés de ce
que les Meskhètes qui tentent d’immigrer en Géorgie sans passer par
la procédure de demande de rapatriement se heurtent à un plus grand
nombre d’obstacles que les immigrants non meskhètes des mêmes pays.
150. La volonté des autorités géorgiennes de résoudre la question
meskhète conformément aux engagements qu’elles ont contractés à
l’égard du Conseil de l’Europe doit être saluée. A cet égard, nous aimerions
encourager les autorités géorgiennes à mettre au point sans délai
une stratégie de rapatriement et de réintégration. De plus, nous
encourageons les autorités à faire preuve d’un maximum de souplesse
en ce qui concerne les formalités en vue d’éviter que des demandes
ne soient rejetées uniquement pour des raisons techniques. En outre,
nous aimerions proposer aux autorités géorgiennes de procéder à
une évaluation appropriée, une fois que le processus de rapatriement
aura été finalisé, pour voir si elles ont réussi à contacter tous
les Meskhètes et les autres personnes expulsées éligibles pour le
rapatriement et souhaitant retourner en Géorgie.
5.5. Défenseur public
151. Le rôle et les activités de l’institution du défenseur
public – le médiateur – sont devenus de plus en plus importants
et visibles en Géorgie. En septembre 2009, il a été mis fin au mandat
du défenseur public précédent, Sozar Subari, qui avait parfois des
relations tendues avec les autorités. Il a été remplacé par George
Tugushi, qui est membre du Comité pour la prévention de la torture
et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT).
152. Le 16 juillet 2009, le parlement a adopté des amendements
à la loi sur le défenseur public, afin de prendre en compte le fait
que cette institution a été désignée en tant que mécanisme national
de prévention dans le cadre du Protocole facultatif des Nations
Unies se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines
ou traitements cruels. Ces modifications apportées à la loi sur
le défenseur public ont renforcé les droits et responsabilités de
cette institution qui est désormais chargée également de surveiller
les conditions dans les établissements pénitentiaires et d’autres
centres de détention.
5.6. Allégations de détentions à motivation politique
153. De plus en plus d’allégations, pour la plupart formulées
par les partis d’opposition et un certain nombre d’ONG, font état
d’enquêtes pénales à motivation politique, visant certaines figures
de l’opposition et des représentants de la société civile critiques
du gouvernement, ainsi que leurs familles, et de pressions et motivations
politiques influençant les accusations et les condamnations. D’où
l’affirmation qu’il existe bien des prisonniers politiques en Géorgie.
154. Si nous ne pouvons faire de commentaires sur le fond des affaires
individuelles et estimons qu’un jugement au sujet de ces allégations
de violations des droits de l’homme est avant tout une prérogative
de la Cour européenne des droits de l’homme, nous relevons que les
allégations laissant entrevoir l’existence de prisonniers politiques
sont de plus en plus utilisées en tant que stratégie politique par
les partis politiques dans plusieurs pays.
155. Par ailleurs, nous avons déjà souligné nos préoccupations
concernant les problèmes relatifs à l’administration de la justice
en Géorgie qui, selon nous, sont liés. La limite entre justice inégale
et justice sélective est floue. Les problèmes en ce qui concerne
l’administration de la justice peuvent aisément donner une certaine
crédibilité, particulièrement dans l’environnement politique chargé
qui existe actuellement, aux allégations selon lesquelles les motivations
politiques peuvent influencer l’application de la justice en Géorgie. C’est
pourquoi nous appelons les autorités à régler les problèmes d’administration
de la justice qui concourent à ces allégations et, en même temps,
à mener des enquêtes exhaustives et, au besoin, à remédier aux erreurs judiciaires
présumées.
5.7. Questions relatives aux droits de l’homme qui
sont des conséquences de la guerre de 2008
156. Les conséquences de la guerre font formellement l’objet
d’un mandat séparé et, pour cette raison, n’entrent pas dans le
cadre de ce rapport. Mais il serait impossible que ce rapport occulte
les sujets d’inquiétude concernant les droits de l’homme, engendrés
par la guerre et l’occupation, et, ultérieurement, par la reconnaissance
de l’indépendance, des régions séparatistes d’Ossétie du Sud et
d’Abkhazie.
157. Comme l’indiquent plusieurs rapports et résolutions de l’Assemblée
sur la guerre entre la Russie et la Géorgie, et comme l’affirme
le rapport de la Mission d’enquête internationale indépendante sur
le conflit en Géorgie, des violations des droits de l’homme et du
droit international humanitaire ont été commis des deux côtés pendant
la guerre. En outre, des violations, y compris le nettoyage ethnique,
ont continué dans les zones de facto sous
contrôle russe dans les semaines qui ont suivi la guerre. Conformément
au droit international, il appartient à chacun des Etats de mener
des enquêtes et d’engager des poursuites pour violation des droits
de l’homme et du droit international humanitaire, présumée commise
par des personnes relevant de sa juridiction. L’enquête engagée
par le bureau du procureur de la Géorgie sur les violations commises
par toutes les parties pendant et après le conflit semble piétiner
au motif que les services d’enquête n’ont pas accès à l’ancienne région
du conflit. Nous regrettons profondément cette absence d’enquête
et il nous est difficile d’accepter que des violations des droits
de l’homme d’une telle gravité restent impunies.
158. Le droit de la liberté de circulation est violé à grande échelle
depuis l’occupation des deux régions séparatistes. Des deux côtés
de la frontière administrative, le passage par les civils est devenu presqu’impossible
dans la plupart des endroits et il est devenu de plus en plus difficile
dans la région d’Akhalgori
, depuis que les gardes-frontière du
Service fédéral de sécurité (FSB) ont pris le contrôle de la frontière
administrative des régions séparatistes.
159. Le droit des personnes déplacées à l’intérieur (PDI) à être
rapatriées à la suite du conflit de 2008, ainsi que des conflits
antérieurs des années 1990, continue d’être violé. Dans son dernier
rapport sur les «questions des droits de l’homme après le conflit
armé d’août 2008 en Géorgie»
,
le Commissaire aux droits de l’homme, M. Thomas Hammarberg, a exprimé
son profond regret que les autorités de fait d’Ossétie du Sud, malgré
leurs promesses, aient clairement interdit le rapatriement des PDI
géorgiennes dans leurs lieux de résidence dans les régions qui sont
sous leur contrôle de fait. De la même façon, comme mentionné dans
le
Doc. 12012,
les autorités
de facto abkhazes
ont indiqué qu’elles permettraient le rapatriement des PDI dans
le district de Gali, mais pas au-delà de cette zone.
160. Au total, environ 22 000 PDI à la suite du conflit de 2008
ne peuvent pas retourner sur leur lieu de résidence. On compte également
environ 230 000 PDI à la suite des précédents conflits qui ont eu
lieu au début des années 1990. Les autorités géorgiennes ont fait
d’importants efforts ces dernières années pour soulager la situation
critique de ces PDI et pour améliorer leurs conditions de vie en
général, en particulier leur hébergement. Cela impliquera nécessairement
la réinstallation d’un certain nombre d’entre elles, notamment de
celles qui vivent actuellement dans des centres collectifs. Toutefois,
les modalités de cette réinstallation sont un sujet de préoccupation.
Entre le 26 juillet et le 16 août 2010, plus de 5 000 PDI ont été
chassées de leur lieu de résidence temporaire dans des conditions
qui, selon les organisations internationales et selon le défenseur
public géorgien, ne respectaient ni les normes internationales,
ni le droit géorgien. Ce n’est qu’après l’intervention répétée de
ces acteurs que les évictions ont été interrompues à la fin d’août 2010.
Nous appelons les autorités géorgiennes à veiller à ce que toute
réinstallation des PDI se fasse dans le plein respect des normes
internationales et du droit géorgien, et que les recommandations
du HCR et du défenseur public géorgien soient pleinement prises
en compte à cet égard.
6. Conclusions
161. Malgré les conséquences de la guerre d’août 2008
contre la Russie et de l’impasse politique qui a empoisonné le climat
politique au cours d’une grande partie de la période couverte par
ce rapport, les autorités géorgiennes ont fait de grands efforts
et réalisé des progrès considérables pour honorer leurs obligations
et leurs engagements envers le Conseil de l’Europe.
162. La Géorgie doit encore s’acquitter de certains des engagements
formels auxquels elle a souscrit au moment de son adhésion. En outre,
il reste des motifs d’inquiétude concernant l’indépendance de l’appareil judiciaire
et de l’administration efficace et équitable de la justice. Malgré
les progrès considérables enregistrés dans le domaine du renforcement
des institutions démocratiques, d’autres réformes démocratiques
pour résoudre le climat politique très tendu restent nécessaires
et la solidité du système démocratique doit encore être confirmée
dans les élections législatives et présidentielles à venir. C’est
pourquoi nous recommandons à l’Assemblée de poursuivre la procédure
de suivi de la Géorgie.