1. Introduction
1. Le 17 mars 2006, l’Assemblée parlementaire a décidé
de renvoyer à la commission des questions juridiques et des droits
de l’homme, pour rapport, les propositions de résolution relatives
à «la liberté de religion et autres droits de l’homme des minorités
non musulmanes en Turquie» (
Doc.
10714, Renvoi 3203) et à «la situation difficile de la
minorité musulmane turque en Thrace occidentale, Grèce» (
Doc. 10724, Renvoi
3203). Le 13 avril 2006, la commission m’a nommé rapporteur.
2. La question de la liberté de religion et autres droits de
l’homme des minorités non musulmanes en Turquie et de la minorité
musulmane en Thrace a été présentée à la commission des questions
juridiques et des droits de l’homme sous l’angle juridique découlant
du Traité de Lausanne. La commission a pu auditionner lors de sa
séance du 23 juin 2008 Mme Asli Bilge,
chargée de cours à l’université Yeditepe (Istanbul) et chercheuse
associée au CNRS au centre de recherche «Politique, religion, institutions
et sociétés: mutations européennes» (PRISME), M. Konstantinos Tsitselikis,
professeur assistant en droits de l’homme, Département des études
balkaniques, slaves et orientales, université de Macédoine (Grèce),
et M. Alain Chablais, secrétaire exécutif
ad
interim, Convention-cadre pour la protection des minorités
nationales (Conseil de l’Europe)
.
3. D’emblée, je souhaite souligner que j’ai pu compter sur l’aide
précieuse de mes collègues des délégations grecque et turque lors
de mes visites sur place et leur adresse mes vifs remerciements.
4. Comme mes hôtes ont pu le constater lors de nos entretiens
sur place, je souhaite que cette note puisse contribuer à bâtir
un avenir meilleur pour les membres des communautés minoritaires
dans les deux pays. Cela passera nécessairement par une plus grande
compréhension, une meilleure connaissance réciproque et plus de
respect mutuel, mais également par le biais d’un développement économique
renforcé dans certaines des régions qui font l’objet de ce rapport.
5. Je suis conscient de la sensibilité des questions abordées
tant pour la Grèce que pour la Turquie. La question des minorités
– en raison du poids de l’histoire – est empreinte d’une charge
émotionnelle très grande, qu’il convient de prendre en compte. Il
ne s’agit pas non plus de prendre partie par un jugement tranché,
ce qui n’est pas dans l’esprit du rapporteur:
5.1. Le Conseil de l’Europe a toujours eu pour ambition d’œuvrer
au respect des idéaux démocratiques et des droits de l’homme. La
question des religions et des minorités est une question essentielle
en ce début du XXIe siècle.
5.2. Le Conseil de l’Europe a vocation à promouvoir la connaissance
et la compréhension des religions afin de contribuer à une coexistence
pacifique, notamment des trois religions monothéistes.
5.3. Les conflits armés, les attentats terroristes ont dénaturé
l’essence même de l’islam, entraînant la recrudescence des actes
islamophobes.
5.4. La lutte contre l’antisémitisme est plus que jamais d’actualité.
5.5. Les chrétiens dans certaines régions des Etats membres
du Conseil de l’Europe sont en danger.
6. C’est dans ce contexte que le rapporteur souhaite que ce rapport
contribue à une meilleure compréhension de la situation des minorités
religieuses dans ces deux grands pays que sont la Grèce et la Turquie.
7. C’est dans cet esprit et animé de ces intentions que la commission
des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée
parlementaire a voulu se pencher sur la situation des minorités
religieuses dans deux des grands Etats membres du Conseil de l’Europe:
la Grèce et la Turquie.
8. Dans ces pays aux longues traditions religieuses et culturelles,
berceaux de la civilisation sur les pourtours de la Méditerranée,
où l’on observe la coexistence des églises et des mosquées, trois
religions monothéistes coexistent dans un esprit de tolérance et
de compréhension mutuelles qui, en ce début de XXIe siècle,
n’est pas toujours respecté, ce qui est mal vécu par leurs minorités.
9. C’est dans ce but que le présent rapport réaffirme la primauté
de la laïcité tout en prenant en compte la réalité des religions
– ni la libre adhésion à celles-ci ni leur pratique ne doivent être
entravées.
10. J’enjoins les parties concernées à regarder vers l’avenir
dans un esprit constructif afin d’écrire ensemble une nouvelle page
dans l’histoire de la compréhension mutuelle des peuples et des
religions.
11. En ce sens, je souhaite citer un témoignage m’ayant beaucoup
touché lors de ma visite en Thrace, où une jeune membre de la minorité
m’a dit: «Je ne veux pas d’étiquette. Je souhaite que nous connaissions l’autre
pour ce qu’il est et non pas pour son appartenance à une religion.»
2. Contexte
historique et juridique
12. L’objet de ce rapport n’est pas de porter un jugement
sur l’histoire passée des minorités mais d’analyser la situation
actuelle des minorités concernées, bien qu’il soit impossible de
traiter cette question sans faire référence au contexte historique.
La teneur des relations entre la Grèce et la Turquie au cours du
XXe siècle a très largement déterminé le traitement de leurs minorités
respectives. Les quelques éléments suivants, loin d’être exhaustifs,
ont pour but de servir à une meilleure compréhension de la situation
actuelle.
13. Deux conventions ont principalement déterminé le traitement
des minorités qui font l’objet de ce rapport
.
14. D’une part, c’est selon la Convention d’échange de population
obligatoire
– signée entre la Grèce et
la Turquie en janvier 1923 à Lausanne – que les musulmans citoyens
grecs vivant en Thrace occidentale et les Grecs orthodoxes citoyens
turcs vivant à Istanbul (et à Gökçeada et Bozcaada)
ont été exemptés de l’échange obligatoire.
De cette exemption résulte l’existence actuelle de ces deux groupes
minoritaires.
15. D’autre part, le Traité de Lausanne (signé le 24 juillet 1923)
accorde un certain nombre de droits aux minorités non musulmanes
en Turquie (articles 37 à 44). La Grèce accorde les mêmes droits
à sa minorité musulmane (article 45). Dans les deux cas, le Traité
de Lausanne ne définit pas les minorités concernées plus avant,
pas plus qu’il ne les situe géographiquement.
16. Il est important de noter qu’en 1923, date à laquelle le Traité
de Lausanne a été conclu, les deux populations minoritaires exemptées
de l’échange des populations étaient comparables en taille dans
les deux pays (c’est-à-dire environ 120 000 musulmans en Grèce et
120 000 Grecs orthodoxes en Turquie).
17. Aujourd’hui, on estime la minorité musulmane de Thrace
entre 80 000 et 120 000
personnes, alors qu’il ne reste guère plus de 2 000 à 4 000 Grecs
orthodoxes en Turquie, essentiellement concentrés à Istanbul
. L’essentiel de la communauté grecque
orthodoxe à Istanbul s’est vue contrainte de quitter la Turquie, notamment
après des violences incitées ou tolérées par les autorités en 1955
.
18. D’une part, le Traité de Lausanne garantit l’égalité de traitement
entre les membres des minorités et la majorité (articles 38 et 39);
d’autre part, il confère des droits spéciaux aux citoyens turcs
appartenant à des minorités non musulmanes (mutatis
mutandis, à la minorité musulmane présente en Grèce)
(articles 41 à 43).
19. La Convention d’échange de population obligatoire a ainsi
«créé», en les exemptant de l’échange, les minorités qui font l’objet
de ce rapport, alors que le Traité de Lausanne a «institutionnalisé»
la protection de leurs droits
.
2.1. Contours et identité(s)
des minorités concernées
20. La Turquie compte une population de 72,6 millions
d’habitants, composée en très grande majorité de musulmans parmi
lesquels les sunnites sont majoritaires
(99 %
de musulmans selon le Gouvernement turc, un petit peu moins selon
l’ONG Mazlum-Der et les représentants de communautés religieuses
minoritaires
).
21. On ne dispose pas de données précises quant aux minorités
religieuses non musulmanes mais on évalue à 65 000 les Arméniens
chrétiens grégoriens, à 23 000 les Juifs, de 2 000 à 4 000 les Grecs
chrétiens orthodoxes
. Par ailleurs,
on rapporte que 10 000 Baha’ies
,
15 000 chrétiens orthodoxes syriens (syriaques)
,
5 000 yezidis, 3 300 Témoins de Jéhovah, 3 000 protestants et un
petit nombre indéterminé de Bulgares, chaldéens, nestoriens, Géorgiens,
catholiques (Eglise catholique romaine) et chrétiens maronites vivraient
également sur le territoire turc. Les organisations chrétiennes
estiment pour leur part qu’il y a environ 1 100 missionnaires chrétiens
dans le pays.
22. Il faut distinguer les minorités officiellement reconnues
par l’Etat turc, qui ont un statut juridique spécial de communauté
minoritaire et par conséquent un certain nombre de droits, de celles
qui ne le sont pas. Les minorités officiellement reconnues sont
les chrétiens orthodoxes grecs et arméniens et les juifs.
23. La minorité musulmane est la seule minorité officiellement
reconnue en Grèce (sur la base des dispositions du Traité de Lausanne).
On estime que la minorité musulmane de Thrace comporte entre 80 000 et
120 000 personnes dans une région qui compte au total 362 000 habitants,
soit 29 % de la population locale et 0,92 % de la population totale
du pays (10 620 000). Cette minorité est composée de trois groupes
de population ethno-linguistiquement différenciés: musulmans turcophones
d’origine turque (40 à 50 %), Pomaques (population autochtone qui
parle un dialecte slave et a épousé l’islam durant le régime ottoman) (35
à 40 %) et Roms/Tsiganes musulmans (15 à 20 %)
. Le statut
de la minorité musulmane est défini essentiellement par le Traité
de Lausanne de 1923
.
2.2. Traité de Lausanne
et divergences d’interprétation
24. Les deux pays se réfèrent régulièrement au Traité
de Lausanne lorsque la question des minorités religieuses est abordée,
mais l’interprétation qu’ils en font diverge sur certains points.
• L’interprétation faite par
la Turquie de certaines dispositions du Traité de Lausanne:
25. Alors que le Traité de Lausanne contient l’expression
«minorités non musulmanes» et n’en désigne aucune en particulier,
l’Etat turc n’accorde le statut de minorité qu’à trois d’entre elles
(les chrétiens orthodoxes grecs et arméniens et les juifs)
.
26. Par ailleurs, le Traité de Lausanne ne précise rien quant
au patriarcat œcuménique orthodoxe grec d’Istanbul et au patriarche.
Si des hauts fonctionnaires du Gouvernement turc affirment souvent
publiquement que l’utilisation du terme «œcuménique» en référence
au patriarche viole le Traité de Lausanne, il semblerait que certains
reconnaissent en privé que le Traité de Lausanne ne mentionne rien
sur la question
. Dans un arrêt du 26 juin 2007,
la Haute Cour d’appel (Cour de cassation) a rappelé la position
publique du gouvernement sur la question, à savoir la non-acceptation
de l’utilisation du qualificatif «œcuménique» par le patriarche
.
• L’interprétation faite par
la Grèce de certaines dispositions du Traité de Lausanne:
27. Le Traité de Lausanne reconnaît une minorité religieuse
musulmane en Thrace mais non une minorité nationale turque
. Sur cette base, les autorités grecques
refusent l’utilisation du terme «turc» dans les noms des associations.
Saisie de ce refus, la Cour européenne des droits de l’homme a déjà
condamné la Grèce à plusieurs reprises (voir paragraphes 142 et
suivants).
2.3. La clause dite
de «réciprocité»
Article 45 du Traité de Lausanne
«Les droits reconnus par les stipulations de la présente
section aux minorités non musulmanes de la Turquie sont également
reconnus par la Grèce à la minorité musulmane se trouvant sur son
territoire.»
28. L’article 45 du Traité de Lausanne, qui accorde à
la minorité musulmane se trouvant sur le territoire de la Grèce
les mêmes droits qu’aux minorités non-musulmanes de Turquie, est
l’article charnière dans les relations entre la Grèce et la Turquie
pour ce qui concerne la protection des minorités (ou l’absence de protection
délibérée de celles-ci, voire l’agression envers elles). Evoquant
la «réciprocité», l’un ou l’autre des pays a, tour à tour, remis
en cause plusieurs de ces droits aux citoyens membres de ces minorités.
29. Comme il a été souligné dans la littérature spécialisée, alors
que le Traité de Lausanne institue la notion de réciprocité en des
termes positifs, «son application s’est faite dans les deux pays
en termes négatifs»
.
30. La Cour constitutionnelle turque a ainsi interprété la section
III du Traité de Lausanne selon le principe de réciprocité: la Turquie
respectera les droits des minorités conférés par ce traité aussi
longtemps que la Grèce les respecte. Une telle interprétation apparaît
contraire à l’article 45 du traité (qui prévoit des responsabilités
parallèles, et non interdépendantes, pour chaque Etat) et à l’article
60, paragraphe 5, de la Convention de Vienne sur le droit des traités,
qui interdit le principe de réciprocité dans le domaine des droits de
l’homme
.
31. Le rapporteur souligne que les membres des minorités concernées
sont dans les deux cas des nationaux des pays dans lesquels ils
résident. On ne comprend donc guère – autrement que pour des raisons historiques
sans rapport avec les droits des individus concernés – en quoi le
principe de réciprocité devrait jouer. Alors que les «Etats-parents»
que sont la Grèce et la Turquie peuvent considérer avoir des responsabilités
envers les membres des minorités dans le pays voisin, ce sont bien
en premier lieu les pays où vivent les minorités qui sont responsables
pour leurs propres citoyens, y compris membres des minorités respectives,
et non l’inverse.
32. Il est essentiel de souligner que la Cour européenne des droits
de l’homme a affirmé que «la Convention déborde le cadre de la simple
réciprocité entre Etats contractants. (…) En concluant la Convention,
les Etats contractants n’ont pas voulu se concéder des droits et
obligations réciproques utiles à la poursuite de leurs intérêts
nationaux respectifs, mais réaliser les objectifs et idéaux du Conseil
de l’Europe afin de sauvegarder leur patrimoine commun de traditions
politiques, d’idéaux, de liberté et de prééminence du droit»
.
33. Le rapporteur considère que le recours récurrent des deux
Etats concernés au principe de réciprocité pour refuser la mise
en œuvre des droits garantis à leurs minorités respectives par le
Traité de Lausanne est: 1. inacceptable eu égard au droit international
des droits de l’homme; 2. anachronique; et 3. nuisible à la cohésion
nationale car chaque Etat punit ses propres citoyens.
34. Il serait donc souhaitable que la Grèce et la Turquie, à tous
les niveaux administratifs et judiciaires, traitent tous leurs citoyens
sans discrimination, indépendamment de la façon dont l’Etat voisin
pourrait traiter ses propres citoyens. Il les appelle également
à mettre pleinement en œuvre les principes généraux en matière de
droits des minorités développés dans la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme (voir section 3 ci-dessous).
2.4. La perception extérieure
des minorités de part et d’autre
35. Qu’il s’agisse de la minorité musulmane de Thrace
ou de la minorité orthodoxe grecque de Turquie, les deux pays ont
adopté une perception extérieure à leur égard depuis la signature
du Traité de Lausanne. Le rapporteur a pu le constater facilement:
la Turquie exerce sa «supervision» sur la minorité musulmane de Thrace
par le biais d’un influent consulat général à Komotini, alors que
la Grèce le fait via un bureau des affaires politiques du ministère
des Affaires étrangères situé à Xhanti. En Turquie, les minorités
religieuses non musulmanes visées par le Traité de Lausanne relèvent
également du ministère des Affaires étrangères.
36. Il faut affirmer avec force que dans les deux pays les membres
des minorités concernées ne sont pas des ressortissants étrangers
mais des citoyens de leurs pays de résidence respectifs.
37. Plusieurs membres des minorités de part et autre se sont plaints
auprès du rapporteur de cette continuelle perception en tant qu’«étrangers»
au sein de leur propre pays.
3. Normes internationales
pertinentes
38. Après avoir évoqué les particularités historiques
et juridiques de la question, le rapporteur souhaite placer ses
réflexions dans le contexte des normes concernant les droits des
minorités qui s’imposent à tous les Etats membres du Conseil de
l’Europe indépendamment de leur ratification, ou non, des instruments spécifiques
en la matière.
39. Le rapporteur souhaite que la Turquie et la Grèce ratifient
les instruments spécifiques du Conseil de l’Europe en matière de
protection des droits des minorités: la Convention-cadre pour la
protection des minorités nationales (STE no 157,
ouverte à signature en 1995)
et
la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE
no 148, ouverte à signature en 1992)
.
Néanmoins, le rapporteur note que ces instruments ne sont pas sans
pertinence pour ces deux pays puisqu’ils participent activement
– au sein du Comité des Ministres – à leurs mécanismes de contrôle.
40. Les normes générales du Conseil de l’Europe, et en tout premier
lieu la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après «la
Convention») par laquelle sont liés tous les Etats membres, impliquent
des obligations sur tous les Etats en matière de protection des
minorités.
41. Bien qu’elle ne confère pas de droits spécifiques aux minorités,
la Convention permet aux personnes appartenant aux minorités de
faire valoir leurs droits même lorsque l’Etat concerné ne reconnaît
pas l’existence de la minorité en question. La Convention garantit,
entre autres, un esprit de pluralisme, la liberté d’expression et
la liberté de pensée, de conscience, de religion, autant de droits
particulièrement pertinents pour les membres de minorités. Le développement
de la jurisprudence eu égard à l’interdiction de la discrimination (article
14) est également très important pour les minorités. De plus, le
Protocole no 12 à la Convention prévoit une
interdiction générale de la discrimination. D’application plus large
que l’article 14 de la Convention, il garantit que personne ne doit
faire l’objet d’une quelconque forme de discrimination par aucune
autorité publique et sous quelque motif que ce soit. Le rapporteur
encourage les nombreux Etats membres n’ayant encore ni signé, ni
ratifié ce protocole additionnel à le faire sans délai.
42. La Convention-cadre conservera cependant toujours une valeur
ajoutée notamment en termes de droits renforcés, tel le droit à
une participation effective des membres des minorités, et le rapporteur
pense que la ratification par la Grèce et la Turquie de cet instrument
ainsi que de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
serait opportune.
4. La situation actuelle
des minorités
43. Lors de ses visites dans les deux pays, le rapporteur
a rencontré des représentants des minorités. Les difficultés auxquelles
ils doivent faire face sont ressorties assez clairement de ces entretiens
et sont exposées ci-dessous. Le rapporteur a choisi de respecter
l’ordre alphabétique et présentera sous chaque section d’abord la
situation en Grèce puis celle en Turquie.
44. En règle générale, le rapporteur a constaté que les membres
des minorités religieuses peuvent exercer leur religion librement
dans les deux pays. Le rapporteur se doit d’ajouter qu’il lui a
semblé percevoir une plus grande sérénité au sein de la minorité
musulmane de Thrace, tandis que les minorités religieuses non musulmanes
de Turquie ont exprimé de légitimes interrogations
.
Le
rapporteur a pu mesurer en Thrace la coexistence pacifique de la
mosquée et de l’église, preuve d’une coexistence, d’un respect et
d’une compréhension mutuels.
4.1. Représentation
religieuse/clergé
Grèce: Les muftis
45. En Thrace, on compte trois muftis élus (Rhodopi,
Xanthi, Komotini) et deux muftis nommés, 270 imams et environ 300
mosquées
.
Depuis plusieurs années, la procédure de nomination/élection des
muftis pose question. En pratique, deux systèmes parallèles coexistent.
46. La loi no 2345/1920 – qui ne fut
jamais promulguée – disposait que les muftis étaient directement
élus par les musulmans ayant le droit de vote selon des critères
fixés pas la loi. Cependant, en 1990 le système de nomination des
muftis fut modifié à la suite d’une réforme législative. Le décret
présidentiel du 24 décembre 1990, abrogeant la loi n° 2345/1920,
dispose que les muftis sont nommés par décret présidentiel, sur proposition
du ministre de l’Education et des Affaires religieuses, qui à son
tour doit consulter un comité composé du préfet local et d’un certain
nombre de dignitaires musulmans choisis par l’Etat.
47. Après ces changements législatifs, la communauté musulmane
a élu ses muftis alors même que d’autres muftis avaient été nommés
par le Président de la République conformément à la législation
de 1990. Les muftis élus n’ont pas été reconnus par les autorités
publiques et certains d’entre eux ont même fait l’objet de poursuites
pénales pour usurpation des symboles religieux. Les muftis concernés
ont porté l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme
au motif que leurs droits au titre de la Convention auraient été violés.
Dans son arrêt
Serif c. Grèce et
dans ses arrêts
Agga c. Grèce , la Cour, concluant
à la violation de l’article 9 de la CEDH par la Grèce, constate
que «punir une personne au simple motif qu’elle a agi comme chef
religieux d’un groupe qui la suit volontairement ne peut toutefois
guère passer pour compatible avec les exigences d’un pluralisme
religieux dans une société démocratique»
.
48. L’interprétation contestée des articles 175 et 176 du Code
pénal (punissant le fait d’usurper la fonction de ministre de culte
et de porter, publiquement et sans droit, la tenue officielle religieuse
d’un ministre de culte) a été rapidement modifiée, les juridictions
nationales ayant donné effet direct à l’arrêt
Serif
c. Grèce .
Ainsi, les trois autres condamnations prononcées à l’encontre de
M. Agga en 1997 et 1998 sur la base des articles en question du
Code pénal ont été annulées le 28 mars 2001 par le tribunal pénal
de Lamia
.
Cependant, lors de sa 982e réunion DH
de décembre 2006, le Comité des Ministres a noté «avec regret que
les mesures générales prises en réponse aux précédents arrêts similaires
de la Cour (Serif, Agga no 2 – Résolution
finale ResDH(2005)88) n’ont pas permis d’éviter de nouvelles violations
similaires». Depuis, les autorités grecques ont traduit les arrêts
pertinents de la Cour de Strasbourg et les ont transmis à tous les
juges du pays. Les Délégués des Ministres reprendront l’examen de
ces points lors de leur réunion des 2 et 4 juin 2009 aux fins de
l’examen des mesures générales adoptées et de leurs effets en pratique.
49. Le rapporteur, qui a rencontré des muftis élus et des muftis
nommés, a pu constater que la situation de coexistence des deux
types de muftis perdure. Il a le sentiment que les autorités grecques
s’en accommodent. Il est vrai que la Cour a statué que «dans une
société démocratique, l’Etat n’a pas besoin de prendre des mesures
pour garantir que les communautés religieuses demeurent ou soient
placées sous une direction unique»
.
50. Par ailleurs, si la Cour de Strasbourg a reconnu que cette
situation de coexistence était susceptible d’entraîner des tensions,
elle a également affirmé que «le rôle des autorités en pareilles
circonstances ne consiste pas à éliminer la cause des tensions en
supprimant le pluralisme mais à veiller à ce que les groupes concurrents
se tolèrent les uns les autres»
.
51. Mais a contrario, l’Etat
ne devrait pas s’immiscer dans les affaires religieuses d’une façon
qui crée une division artificielle au sein de la communauté religieuse.
La question de la désignation des muftis devrait être une question
purement religieuse, et c’est à la communauté concernée que devrait
revenir le choix de ses muftis (selon une pratique d’ailleurs bien
établie dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe).
52. Il est important de souligner que le poste de mufti a une
dimension économique importante. En effet, ce sont les muftis qui
détiennent les clés de fondations et donc de leurs finances. Ce
sont donc les muftis nommés qui détiennent l’essentiel des biens
de la minorité (et ce, directement des autorités centrales, puisqu’ils
sont nommés par elles). Cet élément est mal perçu par les membres
de la minorité, qui se sentent dépossédés.
53. Il convient de remarquer aussi qu’en vertu de la loi no 2345/1920,
les compétences des muftis ne se réduisent pas à des fonctions religieuses,
mais qu’ils détiennent également les compétences de juge pour statuer
sur des litiges entre musulmans en matière familiale et successorale,
dans la mesure où ces litiges sont régis par le droit islamique.
54. Cette question – qui n’a pas été abordée par la Cour dans
son arrêt – demeure cependant en suspens. La Cour n’a pas examiné
l’affaire sous l’angle des compétences juridictionnelles des muftis,
mais a simplement relevé à cet égard «que hormis une vague assertion
selon laquelle le requérant avait officié lors de cérémonies de
mariage et s’était livré à des activités administratives, les juridictions
internes l’ayant condamné n’ont mentionné dans leur décision aucun
acte précis qui aurait été accompli par l’intéressé en vue de produire
des effets juridiques»
.
Cela laisse supposer que l’utilisation dans les faits des compétences
de juge par les muftis élus pourrait poser problème. En effet, si
les muftis élus – non reconnus par les autorités – prononcent des mariages,
des divorces ou encore règlent des différends en terme de succession,
ces décisions encourent le risque d’être nulles et non avenues.
55. Par ailleurs, l’application de la charia
peut
se révéler problématique
,
et le rapporteur est particulièrement préoccupé par ce qui a été
rapporté par un des experts auprès de la commission, selon lequel «99 %
des décisions des muftis sont avalisées par les tribunaux grecs,
même lorsqu’elles enfreignent les droits des femmes et des enfants
tels qu’ils ressortent de la Constitution ou de la Convention européenne
des droits de l’homme»
.
56. En 2005, le Comité des droits de l’homme du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) s’était dit préoccupé
par les obstacles auxquels peuvent se heurter les femmes musulmanes
du fait que le droit général grec ne s’applique pas à la minorité
musulmane de Thrace en matière de mariage et d’héritage; il avait
demandé instamment à la Grèce de faire en sorte que les femmes musulmanes
prennent davantage conscience de leurs droits et des recours à leur
disposition, et qu’elles bénéficient des dispositions du droit civil
grec
. Alors que dans la pratique les muftis,
élus ou nommés, ont déjà quasiment perdu leurs compétences judiciaires,
le rapporteur pense que ces prérogatives devraient être supprimées.
57. Une fois ces prérogatives supprimées, les muftis (devenus
de simples chefs religieux) pourraient être choisis librement par
la minorité, ce qui mettrait un terme à la confusion régnante. Cela
aurait également pour effet positif de rendre à la minorité les
biens et ressources appartenant aux fondations religieuses.
58. A ce sujet, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil
de l’Europe a indiqué «qu’il serait favorable au retrait de la compétence
judiciaire des muftis étant donné les graves questions de compatibilité
de cette pratique avec les normes internationales et européennes
en matière de droits de l’homme; il serait par conséquent également
favorable à l’élection directe des muftis (uniquement en tant qu’experts
du droit coranique) par les membres de la minorité musulmane». Entre-temps,
il a invité les autorités grecques «à prendre rapidement toutes
les mesures qui s’imposent en vue de renforcer l’examen et le contrôle
au fond, par les tribunaux nationaux, des décisions judiciaires
prises par les muftis en vue de vérifier qu’elles sont effectivement
et entièrement conformes aux normes internationales et européennes
en matière de droits de l’homme»
.
59. Par ailleurs, les membres de la minorité musulmane ont exprimé
leur inquiétude eu égard à la loi no 3536/2007, qui prévoit que
l’Etat grec nommera 240 professeurs de droit islamique (dont certains
pourront officier en tant qu’imams). Alors que les connaissances
en droit islamique seront évaluées par les muftis nommés (dont la
légitimité est contestée par les membres de la minorité), c’est
un conseil composé de professeurs d’université et de représentants
de l’Etat grec qui examinera si les candidats répondent bien aux exigences
requises.
Turquie
– Patriarcat œcuménique/dénomination
60. Le patriarcat grec-orthodoxe d’Istanbul (dit «de
Constantinople»)
a
la préséance sur les trois autres patriarcats orthodoxes grecs d’Antioche,
de Jérusalem et d’Alexandrie, et sur les Eglises orthodoxes autocéphales.
Sa juridiction s’étend aujourd’hui à la Turquie et à la diaspora
grecque orthodoxe en Europe et en Amérique. Les orthodoxes grecs
de nationalité turque ne représentent qu’une petite minorité
.
61. Les autorités turques ont souvent reproché au patriarcat d’utiliser
la dénomination de «patriarche œcuménique», qui traduirait sa prétention
à jouer un rôle supranational.
62. Bien qu’elle ait rendu une décision d’acquittement envers
le patriarcat dans un arrêt du 26 juin 2007, la Cour de cassation
turque rappelle qu’il n’existe pas de base légale en droit turc
pour se désigner comme «œcuménique» et que le patriarcat n’a pas
la personnalité juridique. Dans une résolution d’octobre 2007, le Parlement
européen a exprimé son inquiétude au sujet de cette décision
.
63. La non-reconnaissance par les autorités turques du caractère
«œcuménique» du patriarcat est chronique, et ressentie par les membres
de la minorité et par des observateurs internationaux comme la marque
d’une volonté d’amoindrir l’importance du patriarcat. Pourtant,
le patriarcat a bien indiqué au rapporteur que l’usage de ce titre,
en vigueur depuis le VIe siècle, n’a aucun caractère politique.
Selon le patriarcat, les autorités turques défendraient la thèse
prétendant que le Traité de Lausanne aurait aboli le qualificatif
«œcuménique»; or le traité n’aborde en rien cette question. Le patriarcat
a également indiqué que les courriers officiels adressés au patriarche
se réfèrent au «Premier prêtre» afin d’éviter le terme «œcuménique».
64. Comme l’a fait remarquer l’un des experts invités à une audition
devant la commission, «sous l’angle historique, le terme «œcuménique»
fait référence à la hiérarchie des patriarcats grecs orthodoxes
à travers le monde, et il possède une connotation et une importance
ecclésiastiques internes qui relèvent de la liberté d’expression
religieuse et de la protection de l’autonomie de la minorité». Il
remarque également que «ces derniers temps, le Gouvernement turc
semble avoir minimisé l’importance politique de cette question»
. En effet,
un espoir en ce sens a également été souligné par le patriarcat
lors de la visite du rapporteur. Le patriarcat s’est déclaré satisfait
que pour la première fois, lors de la visite historique du Premier
ministre grec en Turquie en janvier 2008, le Premier ministre turc
ait indiqué que la question de la dénomination du patriarche concernait
uniquement les Grecs orthodoxes.
65. L’absence de personnalité juridique touche toutes les communautés
(patriarcat œcuménique de Constantinople, patriarcat arménien d’Istanbul,
archevêché catholique arménien d’Istanbul, exarchat orthodoxe bulgare
et grand rabbinat) et a des conséquences directes en termes de droit
à la propriété et de gestion des biens. Selon les interlocuteurs
du rapporteur, les patriarches grec et arménien ainsi que le grand rabbin
ont tous les trois essayé de prendre contact avec le gouvernement
au sujet de leur absence de personnalité juridique, mais sans succès
à ce jour. Cette situation demeure préoccupante (ainsi que l’avait
déjà fait remarquer le Commissaire aux droits de l’homme en 2003)
. La lecture de l’arrêt
Fener Rum Patrikligi (patriarcat œcuménique)
c. Turquie, dans lequel la Cour reconnaît que le patriarcat
œcuménique détenait certaines propriétés, devrait amener les autorités
turques à revoir leur position en la matière
.
– La formation du clergé
66. En Turquie, les minorités rencontrent de sérieuses
difficultés pour former de nouveaux membres du clergé.
67. A la suite d’une loi plaçant l’éducation religieuse sous contrôle
de l’Etat, l’école théologique grecque-orthodoxe de Heybeliada (séminaire
de Halki) a été fermée en 1971
.
Les autorités ont considéré que le nombre d’étudiants était trop
faible pour maintenir ce séminaire en fonctionnement (thèse que
le patriarcat conteste). Le patriarcat, qui réclame depuis lors
la réouverture de la faculté avec le statut dont elle jouissait avant
1971, souhaite que tous les orthodoxes, quelle que soit leur nationalité,
puissent suivre les enseignements du séminaire de Halki.
68. En 2006, sur pression de l’Union européenne et des Etats-Unis
,
une tentative de réforme susceptible de permettre la réouverture
du séminaire de Halki a échoué devant le Parlement turc, qui s’y
est opposé.
69. Face à ces difficultés de former de nouveaux membres du clergé,
une solution consiste à faire venir des religieux de l’étranger,
mais ceux-ci sont alors confrontés à la difficulté d’obtenir un
permis de travail. Le rapporteur appelle de ses vœux à la réouverture
du séminaire de Halki. Alors que la délégation turque précise que
«les membres du clergé étrangers peuvent obtenir un permis de séjour
et, en conséquence, exercer leurs fonctions en Turquie», la délégation
grecque fait remarquer que «le cadre législatif pertinent n’est
pas toujours clair, confrontant ainsi les personnes intéressées
à des obstacles administratifs pour l’obtention de ces permis. A
titre d’exemple, les demandes du patriarcat œcuménique, soumises
en février 2007, n’ont été honorées que récemment (décembre 2008)».
70. Les autorités posent en effet comme condition d’avoir la nationalité
turque et de travailler en Turquie au moment des élections pour
la désignation de métropolites. Alors que le gouvernement n’avait
pas donné de réponse formelle quand le patriarche œcuménique Bartholomé
a nommé en 2004 six métropolites non citoyens turcs au Saint-Synode
(une première en la matière en quatre-vingts années d’histoire du
pays)
, dans sa décision du 26 juin 2007, la Cour
de cassation turque a rappelé la position officielle selon laquelle
le patriarcat est une institution dépourvue de personnalité juridique
et que seules les personnes ayant la nationalité turque et travaillant
en Turquie au moment des élections peuvent participer et être élues
aux élections religieuses organisées au sein du patriarcat (ce qui
inclut la désignation des métropolites). A ce jour, le patriarcat
grec compte huit ressortissants américains et grecs qui y travaillent
donc dans l’illégalité (à cet égard, les autorités turques ont fait
comprendre au rapporteur qu’elles fermaient les yeux «en connaissance de
cause» sur cette situation irrégulière afin d’aider la minorité).
Compte tenu de la taille actuelle de la communauté grecque orthodoxe,
le patriarcat considère ne plus pouvoir fonctionner normalement
du fait de cette condition de nationalité stricte.
71. Dans les commentaires qu’elle a fournis au rapporteur, la
délégation turque auprès de l’Assemblée a demandé au rapporteur
de préciser que «la Turquie a autorisé le patriarcat à rester à
Istanbul à la condition qu’il fournisse des services uniquement
destinés à répondre aux besoins religieux et spirituels de la minorité orthodoxe
grecque résidant à Istanbul et que le patriarche soit un citoyen
turc». Ce à quoi la délégation grecque a répondu en précisant qu’«en
1923 et 1970, les autorités turques ont promulgué des décrets imposant
des restrictions à l’élection du patriarche œcuménique, ainsi qu’aux
métropolites qui l’élisent. Ces décrets stipulent que le patriarche
et les prélats participant à l’élection du patriarche œcuménique
doivent être des citoyens turcs, accomplissant leurs devoirs religieux
en Turquie. Le 26 juin 2007, la Cour suprême de Turquie (Yargitay) a confirmé la validité
de ces restrictions. Or, selon les canons de l’Eglise orthodoxe,
le patriarche doit être élu par l’ensemble de la prélature du patriarcat
œcuménique. Actuellement, sur la totalité des prélats relevant de
la juridiction du patriarcat œcuménique au plan mondial, moins de
20 personnes sont de nationalité turque et accomplissent leurs devoirs
en Turquie, et elles seules sont autorisées à élire le patriarche
ou à être élues en tant que tel. Par ailleurs, à ce jour, la jeune
génération du clergé ne compte que quelques rares prêtres et diacres
de nationalité turque. Ces restrictions auront très probablement
pour conséquence de placer dans un avenir proche le patriarcat œcuménique
dans l’impossibilité d’élire un patriarche acceptable par les autorités
turques».
72. Le patriarcat, regrettant auprès du rapporteur un refus de
dialogue en la matière de la part des autorités turques, lui a fait
savoir qu’il aurait envoyé 84 lettres à ce sujet au Gouvernement
turc, qui seraient restées systématiquement sans réponse. Par ailleurs,
le patriarcat aurait proposé aux autorités de mettre en place un comité
mixte de discussion (composé de deux représentants du gouvernement
et de deux représentants du patriarcat). Là encore, cette proposition
serait restée sans réponse: le Conseil de l’Europe et votre rapporteur ont
vocation à être un lien entre les partis.
73. En septembre 2007, le patriarcat a rencontré le Président
turc, ainsi que le ministre des Affaires étrangères, le ministre
de l’Intérieur et le ministre de l’Education, auxquels il a clairement
exposé tous les problèmes concernant le patriarcat. Il entretient
également des contacts réguliers avec les administrations turques
compétentes. Les contacts et le dialogue engagés avec les communautés
et institutions non musulmanes devraient être renforcés et donner
lieu à des résultats tangibles.
74. Le séminaire des orthodoxes arméniens (séminaire de Skudari)
ainsi que l’école rabbinique ont également été fermés (en raison
d’un nombre insuffisant d’étudiants).
75. Les représentants de la communauté juive ont fait savoir au
rapporteur sans la moindre ambiguïté que la question de la formation
du clergé n’est pas un problème pour eux
,
pas plus que l’obligation pour les membres du clergé d’avoir la
nationalité turque. Au contraire, arguant de différences culturelles
trop importantes, ils ne souhaitent pas que des étrangers soient
membres de leur clergé en Turquie.
76. Les représentants de la communauté orthodoxe arménienne quant
à eux regrettent de ne pas avoir les moyens d’envoyer leurs membres
se former à l’étranger et souhaiteraient qu’un département d’étude
de la religion orthodoxe arménienne soit ouvert dans une université
turque. Pour cette minorité non plus, la condition de nationalité
turque n’est pas problématique.
77. Lors de la visite du rapporteur en Turquie, les autorités
ont fait état d’une proposition de rouvrir le séminaire en tant
que département de la faculté de théologie de l’université d’Istanbul.
Le recteur de l’université de Galatasaray a précisé au rapporteur
avoir rencontré les patriarches grec et arménien ainsi que le grand rabbin
afin de discuter de la possibilité d’ouvrir des départements de
théologie de leurs religions au sein de l’université publique. Ce
projet témoigne d’une volonté d’apaisement et de dialogue.
78. D’après le vice-recteur, le patriarche arménien et le grand
rabbin sont d’accord avec cette proposition, alors que le patriarche
grec s’est montré réservé. Il n’est pas favorable à cette proposition
car les universités dépendent du Conseil supérieur de l’enseignement
(YÖK), auquel le recteur a rendu compte de ces positions.
79. A ce sujet, le patriarcat grec orthodoxe a fait remarquer
au rapporteur que cette proposition du recteur date de 1994 et qu’il
ne s’agit que d’une simple proposition orale n’ayant jamais pris
forme écrite. Il serait souhaitable que les parties explorent cette
solution de façon officielle.
4.2. Les fondations
– vakfs
80. Ainsi que l’a précisé l’un des experts devant la
commission: «Les fondations des minorités, ou
vakfs, sont
un héritage aussi bien grec que turc du droit ottoman. Il s’agit
d’institutions religieuses dont les revenus sont attribuables à
la collectivité. Leur patrimoine immobilier provient de donations,
qui peuvent être accumulées. Ces fondations constituent des entités
juridiques particulières faisant exception au cadre juridique général
régissant les fondations en droit civil grec et turc.»
Grèce
81. Le rapporteur note l’adoption en février 2008 de
la loi no 3647, laquelle devrait être
en mesure de régler, pour une partie substantielle, les problèmes
qui duraient depuis des décennies autour du statut juridique des vakfs. A ce jour, et malgré des
législations successives, nombre de problèmes liés au fonctionnement
des vakfs subsistent (notamment
eu égard à l’enregistrement des biens et à l’élection des membres
des comités de gestion). Selon cette nouvelle loi, les vakfs sont reconnus en tant que
personnes morales de droit privé. Par contre, la question du statut
de la loi islamique (à laquelle la loi renvoie) n’est pas clarifiée.
Pour que cette loi apporte les améliorations attendues, encore faudra-t-il
que, contrairement aux législations antérieures, elle soit réellement
appliquée. La délégation turque a informé le rapporteur dans ses
commentaires que la loi n’aurait pas été préparée en consultation
avec la minorité et que les amendements demandés par la minorité
n’auraient pas été pris en compte.
82. Le rapporteur relève avec beaucoup de satisfaction le commentaire
de l’un des experts selon lequel, «pour la première fois, la référence
à la clause de réciprocité a été supprimée». Cela démontre une disposition à
distinguer enfin la situation de la minorité dans l’un des pays
de celle de la minorité dans l’autre pays, et de mettre définitivement
un terme à la logique de représailles. Il s’agit d’une évolution
très encourageante.
83. Concernant le droit de construire des temples et lieux de
culte et de les utiliser, l’article 27 de la loi n° 3467/2006 a
supprimé une des conditions exigées pour la construction de temples
et lieux de culte: l’avis préalable de l’autorité ecclésiastique
(du métropolite local)
.
Cette condition était considérée depuis longtemps comme inacceptable
. Cependant,
dans ses commentaires, la délégation turque rapporte que la minorité
aurait des difficultés lors de la construction de mosquées, notamment
en ce qui concerne la hauteur des minarets.
84. Par ailleurs, la délégation grecque a fait savoir dans ses
commentaires que la loi n° 3554/2007 a dispensé les vakfs musulmans de déclaration fiscale
sur les revenus, les biens fonciers et les grands domaines des années
précédentes, et le cumul de leurs dettes enregistrées, leurs amendes
et les hypothèques existantes ont été annulés. A compter de 2008,
les vakfs sont également exonérés
de l’impôt foncier sur les grands domaines. La délégation turque
déplore dans ses commentaires que la loi n° 3554/2007 ne serait
pas encore entrée en vigueur. Si tel était le cas, le rapporteur
pense qu’il serait souhaitable que cette loi entre en vigueur le
plus rapidement possible.
Turquie
85. Dans son rapport de 2003, le Commissaire aux droits
de l’homme avait ainsi décrit les difficultés rencontrées en termes
de propriété des institutions religieuses: «Ces institutions, ayant
pour la plupart acquis une personnalité juridique en 1936, ont rencontré
des difficultés pour gérer et disposer librement de leur
propriété et pour acquérir de nouveaux
biens immobiliers. De plus, de nombreux biens appartenant à des paroisses,
privées en tant que telles de personnalité juridique, ont été enregistrés
au cadastre sans indication de propriétaire, alors que d’autres
ont appartenu à des associations minoritaires religieuses qui se
sont de fait dissoutes, faute d’effectifs suffisants. Ces propriétés,
considérées comme abandonnées, sont passées à l’Etat. En ce qui
concerne notamment la minorité orthodoxe grecque, la réduction de
ses effectifs de plus de 100 000 au début du XXe siècle
à moins de 4 000 actuellement, l’absence de personnalité juridique
du patriarcat d’Istanbul et l’impossibilité pour les membres du
clergé d’être membres des associations minoritaires et de leurs
conseils d’administration ont eu comme effet la dépossession de
très nombreuses propriétés à Istanbul et ailleurs.»
86. En 1935, la loi no 2762 reconnut
la personnalité juridique des fondations créées sous l’Empire ottoman et
en 1936 il fut exigé qu’elles inscrivent leurs biens immobiliers
au registre foncier.
87. Selon une jurisprudence de la Cour de cassation datant de
1974, ces déclarations sont considérées comme les actes de création
des fondations excluant, sauf clause explicite contraire, que ces
fondations ne puissent acquérir par la suite des biens immobiliers
supplémentaires par rapport à ceux figurant dans ladite déclaration
. Selon les
précisions apportées par les délégations grecque et turque, la loi
no 5737 autorise toutefois l’enregistrement
des biens donnés aux fondations ou achetés après 1936 et qui appartenaient
au Trésor public ou à la Direction générale des fondations, mais
n’a pas remédié à la situation pour ce qui est des propriétés qui,
à un stade ultérieur, ont été vendues à de tierces parties.
88. Après 1974, sur la base de cette jurisprudence, les fondations
pieuses ont fait l’objet d’expropriations massives et la gestion
d’un très grand nombre d’entre elles (considérées comme éteintes,
ou
mazbut) est tombée sous
la responsabilité de la Direction générale des
vakfs. Comme l’a fait remarquer
M. Gross dans son rapport sur les îles de Gökçeada et Bozcaada,
la procédure de
mazbut «ne
s’applique pas seulement aux lieux de culte, mais à tous les biens
d’une paroisse (y compris les églises, les bâtiments scolaires,
les maisons et les champs)»
. Le nombre de biens appartenant
effectivement aux minorités religieuses a été considérablement et
durablement réduit.
89. La législation turque relative aux
vakfs a
suscité de nombreuses affaires devant la Cour européenne des droits
de l’homme, qui a, à plusieurs reprises, condamné la Turquie. Dans
l’affaire
Fener Rum Erkek Lisesi Vafki
c. Turquie, la Cour constate en janvier 2007 qu’«aucune
disposition de la loi no 2762 n’interdisait
aux fondations régies par ladite législation l’acquisition de biens
outre que ceux figurant dans la déclaration de 1936»
. Dans l’affaire en question, la
Cour conclut à la violation de l’article 1er du
Protocole no 1 en ce que l’ingérence
n’était pas prévue par la loi – elle a en effet considéré que la
jurisprudence de 1974 ne répondait pas aux exigences de «prévisibilité»
.
Nombre de fondations ont acquis
des titres de propriété entre 1936 et 1974 en ayant la certitude
que ces transactions étaient légales. Ces titres leur ont été retirés
sur la base de la jurisprudence de 1974, alors que, par analogie,
il est clair que toutes les annulations de titres de propriété de ce
type sur la seule base de cette jurisprudence sont incompatibles
avec la Convention
.
90. La législation sur les fondations a fait l’objet de nombreuses
modifications, notamment dans le contexte du paquet d’harmonisation
législative européenne (2002-2003)
.
91. A la suite de ces réformes législatives, certaines fondations
ont pu acquérir et enregistrer des biens immobiliers, et des conseils
d’administration des fondations ont pu être élus. Mais, comme le
fait remarquer le Commissaire aux droits de l’homme, «la réglementation
en question n’a aucun effet rétroactif et ne concerne pas les propriétés
ayant appartenu aux établissements religieux ou aux paroisses et
ayant passé à la propriété de l’Etat avant 2002, en tant que propriétés
abandonnées»
.
92. La loi no 5737, adoptée début 2008,
est censée apporter de nouvelles réponses aux problèmes des fondations
pieuses, et le rapporteur note avec satisfaction que cette nouvelle
loi prévoit la représentation des minorités à l’assemblée générale
de la Direction des fondations et lève toute restriction sur l’acquisition
et la cession de biens immobiliers par les vakfs.
93. La délégation turque a précisé dans ses commentaires que la
nouvelle loi accorde aux fondations de la communauté non musulmane,
entre autres, le droit:
- d’avoir
la pleine jouissance de leurs biens;
- d’être représentées à l’assemblée générale (principal
organe de la Direction générale des fondations);
- de modifier leur objet;
- de participer à des activités et coopérations internationales,
à la condition que cette possibilité soit mentionnée dans leurs
statuts;
- de faire et recevoir des dons;
- de créer des entreprises afin de réaliser plus facilement
les objectifs de la fondation;
- d’enregistrer au nom de la fondation les biens qui étaient
préalablement enregistrés sous des noms fictifs;
- d’enregistrer au nom de la fondation les biens donnés
à la fondation ou achetés par la fondation après 1936, mais restitués
à leurs donateurs, au Trésor public, au ministère des Finances ou
à la Direction générale des fondations à la suite d’un arrêt de
la Haute Cour d’appel de 1974.
94. Pourtant, le rapporteur regrette que l’occasion n’ait pas
été saisie de – comme c’est le cas dans la nouvelle loi grecque
– retirer toute référence au principe dit de réciprocité. Au contraire,
l’article 2.2 de la loi stipule que la mise en œuvre de la loi est
contingente du principe de réciprocité. Le rapporteur pense qu’une telle
disposition n’a pas sa place dans cette loi
.
95. La nouvelle loi ne règle nullement la question de la restitution
des biens perdus depuis 1974 au profit de la Direction des fondations,
pas plus qu’elle ne prévoit d’indemnisation en cas d’impossibilité
de restitution. La délégation turque rétorque dans ses commentaires
que la nouvelle loi sur les fondations (no 5737)
prévoit la restitution de l’ensemble des biens enregistrés au nom
du Trésor public ou de la Direction générale des fondations.
96. Enfin, le rapporteur est préoccupé par la disposition qui
stipule que les fondations nouvellement créées le sont en respect
du Code civil turc. En effet, l’article 101.4 du Code civil turc
interdit la création de fondations en vue de soutenir un groupe
d’une origine quelconque ou une communauté. Dans la pratique, cela
risque d’empêcher la création de nouvelles fondations par les groupes
minoritaires.
97. Beaucoup dépendra aussi de l’application des nouvelles dispositions
dans la pratique administrative et judiciaire. Le rapport de M.
Gross, précité, fait état de réelles discriminations à l’égard de
la minorité grecque orthodoxe à ce niveau. Il faut un changement
non seulement des lois, mais aussi des mentalités pour surmonter
ces problèmes.
98. Un élément a été mis en avant par les interlocuteurs du rapporteur,
à savoir la limitation géographique des fondations pour l’élection
de leurs conseils d’administration. Pour prétendre être élues dans
ces conseils, les personnes doivent habiter le quartier dans lequel
la fondation a son siège. Pourtant, pour certaines fondations une
solution raisonnable a pu être trouvée: plusieurs d’entre elles,
comme celle de l’hôpital arménien, ont été reconnues comme agissant
sur l’ensemble d’Istanbul. Cela permet d’élire des conseils d’administration
avec des membres de la communauté habitant tout Istanbul. Selon
les précisions de la délégation turque, la réforme législative de
septembre 2004 autorise les fondations de la communauté non musulmane
à organiser librement leurs élections et à élargir leur circonscription
électorale. La délégation grecque rapporte cependant que cette possibilité
est sujette à l’autorisation préalable de la préfecture d’Istanbul.
Plusieurs fondations auraient rencontré des obstacles sérieux pour
obtenir ces autorisations. La délégation turque conteste ce point.
99. Dans le contexte du droit de propriété, la communauté juive
a fait part d’un problème spécifique au rapporteur. La communauté
juive s’est plainte de constructions d’habitation sur les cimetières
juifs. En théorie, les cimetières juifs appartiennent aux municipalités,
mais l’usufruit en revient à la communauté juive et les concessions
y sont illimitées. La communauté juive a clôturé les cimetières
mais rencontre ce type de difficultés surtout pour les anciens cimetières,
notamment en Anatolie (région dans laquelle elle a perdu le contrôle
des cimetières car la communauté sur place a disparu). Or, la loi
no 3998 prévoit que les cimetières qui
appartiennent aux communautés ne peuvent pas être donnés aux municipalités.
Selon les membres de la communauté juive, cette loi n’est pas appliquée.
100. Par ailleurs, on rapporte que deux églises protestantes et
une assemblée de Témoins de Jéhovah n’ont pas pu enregistrer leurs
lieux de culte
.
4.3. L’éducation
101. Le Traité de Lausanne constitue la base légale du
système éducatif des minorités dans les deux pays. Les articles 40
et 41 du traité disposent que la minorité a le droit de créer des
écoles publiques et privées. Le Protocole culturel de 1951 entre
la Grèce et la Turquie prévoit un échange annuel de 25 enseignants
(nombre ultérieurement porté à 35) et le Protocole culturel de 1968
prévoit l’échange de manuels scolaires entre la Grèce et la Turquie.
Il semblerait cependant que l’échange de manuels scolaires ne soit
effectif que depuis 2001. Apparemment, la Grèce aurait unilatéralement
réduit le nombre d’enseignants participant à l’échange à 16. Bien
que la Turquie continue de soumettre une liste de 35 enseignants,
la Grèce n’en accepte plus que 16; elle a pour sa part détaché seulement
14 enseignants à Istanbul pour l’année scolaire 2008-2009.
102. L’enseignement des minorités est un enjeu de taille pour les
deux pays. S’il est vrai que le droit à l’éducation est un droit
fondamental reconnu, il n’en va pas de même de l’enseignement en
langue minoritaire. Les instruments contraignants du Conseil de
l’Europe allant en ce sens n’ont été ratifiés ni par la Grèce, ni
par la Turquie.
Grèce
103. On constate de grandes disparités de niveau entre
les écoles minoritaires et les écoles de la majorité (écoles grecques)
en Thrace. Certains membres de la minorité choisissent d’ailleurs
d’envoyer leurs enfants dans les écoles de la majorité afin de leur
garantir une éducation de qualité. Ce choix s’explique également
en raison du fait qu’il n’existe que deux établissements secondaires
supérieurs pour les minorités dans la région (ce qui ne peut évidemment
pas suffire pour tous les enfants issus de minorités) et deux écoles
religieuses (medrese) à Komotini
et Echinos (dont l’enseignement est réputé totalement anachronique).
Les membres de la minorité réclament l’ouverture de nouvelles écoles
pour la minorité.
104. L’accès à une éducation de qualité est particulièrement difficile
dans les villages montagneux dans lesquels habitent essentiellement
des Pomaques. Les membres de la minorité rom doivent également faire face
à un important absentéisme des enfants.
105. Alors qu’une partie des membres de la minorité (principalement
les jeunes) est consciente des lacunes dans la maîtrise de la langue
grecque par les membres de la minorité, et coordonne ses efforts
afin de l’améliorer, une autre partie (en moyenne nettement plus
âgée) semble surtout préoccupée par la maîtrise de la langue turque.
106. Le rapporteur a en effet pu constater directement qu’un nombre
significatif de ses interlocuteurs ne maîtrise pas la langue grecque.
Selon les dires de membres de la minorité, seuls environ 20% des
enfants issus de la minorité maîtrisent à peu près le grec à leur
sortie de l’école élémentaire. C’est un chiffre extrêmement bas.
Cela est dû, entre autres, au fait qu’une grande partie des membres
de la minorité s’exprime exclusivement en langue turque et regarde
exclusivement les chaînes de la télévision turque, de sorte qu’elle est
assez mal intégrée au sein de son propre pays, la Grèce. D’ailleurs,
il est assez significatif de constater que les mariages mixtes entre
membres de la majorité et membres de la minorité sont quasiment
inexistants.
107. Afin de remédier à cette situation, de nombreux projets ont
été entrepris en Thrace en vue d’améliorer le niveau d’éducation
des enfants de la minorité
.
108. Entre autres, des mesures de discrimination positive ont été
mises en œuvre. Les candidats musulmans aux examens d’entrée à l’université
ne sont pas soumis à la condition d’avoir au minimum la moyenne
à ces examens. Par ailleurs, en 1996 un quota d’admission de 0,5%
d’étudiants musulmans entrant à l’université a été institué. La
loi n° 3404/2005 a créé la possibilité d’instaurer également un
quota distinct de 0,5% des places dans les instituts universitaires
technologiques. En termes d’accompagnement financier, l’organisme
de bourses (IKY) a mis en place un programme spécifique de bourses
pour les étudiants musulmans de Thrace
.
109. Par ailleurs, un programme pilote d’enseignement du turc dans
cinq collèges publics en Thrace, comme choix possible de langue
étrangère (deux niveaux: débutant et avancé), a été lancé. La délégation
turque a fait remarquer dans ses commentaires que «des cours facultatifs
de turc dans les écoles publiques ne peuvent remplacer le droit
à un système d’éducation destiné aux minorités».
110. Pour la première fois, des cours privés de langue turque ont
été proposés aux enseignants du programme en langue grecque des
écoles minoritaires.
111. Le rapporteur souhaite attirer l’attention sur un programme
spécifique «Education des enfants musulmans»
dont
les actions ainsi que l’engagement remarquable des protagonistes
l’ont positivement impressionné: lutte contre l’arrêt anticipé de
l’école, renforcement de l’apprentissage de la langue grecque, compréhension
la plus étendue possible des résultats positifs de l’insertion des
jeunes de la minorité dans le système éducatif. Les centres de soutien
au programme d’éducation des enfants musulmans (neuf au total, et deux
itinérants dans la région montagneuse de Rhodopi) donnent des informations
aux parents et aux enseignants. Les parents musulmans y ont également
la possibilité d’apprendre le grec
.
Par ailleurs, dans le cadre de ce projet, des activités (rencontrant
un franc succès) sont organisées à l’attention des enfants issus de
la minorité comme de la majorité, ce qui représente un exemple de
mixité inédit et remarquable. Le rapporteur est surpris d’apprendre
que le budget pour ce projet n’a pas été renouvelé en juillet 2008.
Le rapporteur a été informé que le projet va concourir à un nouvel
appel d’offres pour obtenir des fonds européens, mais l’absence
de continuité du budget a d’ores et déjà occasionné la fermeture
de huit centres pour au moins une année. C’est particulièrement
regrettable. Le rapporteur encourage le ministère de l’Education
à envisager de prendre en charge le budget de ce projet afin de
lui donner la stabilité nécessaire pour mener à bien sa mission.
La délégation grecque a informé le rapporteur que le programme «Education des
enfants musulmans» a été intégré à un programme plus large intitulé
«Education pour les enfants de rapatriés grecs, de musulmans et
d’étrangers» qui devrait démarrer en mars 2009.
112. Autre projet remarquable: Türkçe
Kitabimiz, le tout premier livre en langue minoritaire
préparé par les membres de la minorité des deux pays à l’attention
des élèves des écoles secondaires minoritaires, vient d’être publié.
113. Dans le contexte d’un projet financé depuis 1997 par l’Union
européenne, via le ministère de l’Education nationale, tous les
livres scolaires pour les écoles minoritaires ont été remis à jour.
Malheureusement, certains d’entre eux attendent depuis plus de cinq
ans l’aval du ministère de l’Education nationale pour être mis en circulation.
114. Il existe également un programme intitulé «Education et conseil
de familles de Tsiganes, de musulmans et d’immigrés».
115. Toutes ces mesures démontrent une prise de conscience – qui
doit être saluée – par les autorités grecques de l’enjeu que représente
l’éducation des membres de la minorité. De nombreux étudiants issus
de la minorité ont tendance à privilégier les études en Turquie
parce qu’ils en maîtrisent mieux la langue et que leur accès à l’université
y est facilité. Afin que ces citoyens grecs puissent avoir un plein
accès à l’éducation dans leur propre pays, il est indispensable
que les enfants de la minorité profitent d’un enseignement de qualité et
qu’ils apprennent également la langue grecque. Le rapporteur salue
les mesures de discrimination positive instituées en matière d’accès
à l’université.
116. Cependant, il reste préoccupant que l’on rapporte que les
enseignants issus de l’Académie pédagogique spéciale de Thessalonique
(EPATH), qui forme les instituteurs des écoles primaires de la minorité
musulmane de Thrace, aient un faible niveau en langue grecque comme
en langue turque (langues dans lesquelles ils sont censés enseigner).
Certains membres de la minorité souhaiteraient que cette académie
soit remplacée par une faculté de meilleur niveau.
117. Par ailleurs, le nombre d’années d’enseignement obligatoire
est passé de neuf à dix ans en Grèce. Or, alors que l’école maternelle
est devenue obligatoire, les membres de la minorité se sont plaints
de l’absence d’écoles maternelles pour la minorité (c’est-à-dire
bilingues).
118. Dans ses commentaires, la délégation turque a attiré l’attention
du rapporteur sur la question de l’élection des membres des conseils
des écoles pour la minorité. Depuis 2001, tous les membres des conseils des
établissements scolaires pour la minorité sont élus, élection soumise
à l’approbation du Secrétaire général de Thrace. Par ailleurs, la
très grande majorité des directeurs adjoints des écoles pour la
minorité ne sont pas issus de la minorité. Toutefois, selon la délégation
grecque, au cours des cinq dernières années, quelques enseignants
musulmans ont été nommés à cette fonction.
Turquie
119. Les membres des minorités sont confrontés à deux
difficultés dans les écoles pour la minorité.
120. D’une part, la direction des écoles est bicéphale. Le directeur
est issu de la minorité alors que le directeur adjoint est un musulman
nommé par l’Etat. On rapporte que, dans la pratique, seul le directeur
adjoint aurait un réel pouvoir de décision puisqu’il doit avaliser
toutes les décisions du directeur. Et ce, bien qu’il existe deux
types d’enseignants: les enseignants de langue turque (rémunérés
par l’Etat) et les enseignants de langue minoritaire (rémunérés
par la communauté minoritaire). Le directeur n’a aucun pouvoir,
même sur les enseignants rémunérés par la communauté minoritaire.
121. La nouvelle loi sur les établissements d’enseignement privés
est entrée en vigueur le 14 février 2007. Auparavant, dans les écoles
où la langue d’enseignement n’était pas le turc (notamment dans
les écoles minoritaires) et dans les écoles ouvertes par des étrangers,
le directeur adjoint devait être de nationalité turque et enseigner
la langue turque ou la culture turque, tout en maîtrisant la langue
d’enseignement. Dans les cas où il n’était pas possible de recruter
un enseignant possédant ces qualifications, le directeur adjoint
était nommé parmi les enseignants de nationalité turque et «d’origine
turque». Dans la nouvelle loi, l’expression «d’origine turque» a
été supprimée. En vertu de cette modification, si un citoyen turc
qui enseigne la langue turque ou la culture turque et qui maîtrise
la langue d’enseignement n’est pas disponible, tout enseignant de nationalité
turque peut être nommé, quelles que soient ses origines.
122. Les enfants des membres des minorités non musulmanes n’ayant
pas la nationalité turque ne sont pas autorisés à fréquenter des
écoles pour la minorité. A titre d’exemple, les enfants d’hommes
d’affaires ou de diplomates arméniens ne peuvent pas aller à l’école
arménienne car c’est interdit par la loi. Le rapporteur a du mal
à comprendre le sens de cette interdiction qui lui semble franchement
discriminatoire, surtout en considération du fait que les écoles
pour la minorité souffrent d’un manque chronique d’élèves. On lui
a rapporté le cas individuel de l’enfant d’un rabbin américain auquel
on aurait donné le statut d’«invité» afin qu’il puisse aller à l’école
pour la minorité. Il s’agit d’une solution ponctuelle louable mais
qui ne règle en rien le problème. Il existe actuellement une exception
dans le cas des écoles de la minorité orthodoxe grecque, où les
enfants des fonctionnaires grecs peuvent être admis en vertu du
principe de réciprocité. Le rapporteur pense qu’il serait souhaitable
de supprimer la condition de nationalité turque pour aller dans
les écoles minoritaires.
123. L’article 24, paragraphe 4, de la Constitution et l’article
12 de la loi fondamentale no 1739 sur
l’éducation nationale disposent que la culture religieuse et l’éducation
morale font partie des matières obligatoires enseignées dans les
écoles primaires et les établissements d’enseignement secondaire
et supérieur et écoles de même niveau.
124. Grâce à la décision no 1 du 9 juillet
1990 du Haut Conseil de l’éducation, une possibilité de dispense existe:
«A la suite de la proposition du ministère de l’Education, les élèves
de nationalité turque et adhérant à la religion chrétienne ou juive,
qui fréquentent les écoles primaires et secondaires, à l’exception
des écoles affiliées aux minorités, ne sont pas obligés de suivre
le cours de culture religieuse et connaissance morale à condition
qu’ils attestent leur adhésion à ces religions. Cependant, si ces
élèves veulent suivre ce cours, ils doivent présenter une demande
écrite de la part de leur représentant légal.» Selon le ministre
de l’Education, cette possibilité d’exemption est également ouverte
aux membres des minorités non musulmanes non reconnues par le Traité
de Lausanne.
4.4. Violences/pressions
Grèce
125. Il n’a été fait état d’aucune violence en Grèce qui
serait exercée par les autorités grecques ou des membres de la majorité
à l’égard des membres des minorités. Cependant, on rapporte certaines
violences envers des bâtiments appartenant à la minorité.
126. Le rapporteur souhaite soulever une prévention spécifique.
Il a pu constater que la minorité musulmane de Thrace n’est pas
ethniquement homogène. La minorité musulmane ethniquement turque
représente la part la plus importante de la minorité et, selon des
témoignages recueillis par le rapporteur, des membres de la minorité
musulmane se considérant pomaques ou roms souffrent de tentatives
d’intégration forcée au sein de la branche turque de la minorité.
Certains se sont même dits menacés. C’est un comble que la majorité
dans la minorité puisse être perçue par certains comme une menace
pour la minorité dans la minorité, mais c’est une réalité. Certains
interlocuteurs du rapporteur, membres de la branche turque de la
minorité, ont eu l’air de trouver risible que certains Pomaques
et Roms puissent prétendre ne pas être ethniquement turcs. Or, bien qu’ils
parlent turc dans l’ensemble (notamment en raison du fait qu’ils
vont dans les écoles minoritaires bilingues en turc), les Pomaques
et une partie des Roms (environ 25%) parlent également leurs propres langues.
127. Le rapporteur rappelle le principe fondamental énoncé à l’article
3 de la convention-cadre, qui prévoit en son alinéa premier que
«toute personne appartenant à une minorité nationale a le droit
de choisir librement d’être traitée ou ne pas être traitée comme
telle et aucun désavantage ne doit résulter de ce choix ou de l’exercice
des droits qui y sont liés». Toute tentative visant à imposer une
identité à une personne, ou à un groupe de personnes, est inadmissible
.
Turquie
128. Si les autorités turques respectent l’intégrité des
minorités religieuses, on ne peut passer sous silence le fait que
des violences contre des personnes appartenant à des minorités religieuses,
contre des religieux et contre des lieux de culte et des biens ont
été perpétrées en Turquie. Hrant Dink, journaliste d’origine arménienne,
a été assassiné en 2007; trois chrétiens protestants ont été assassinés
en avril 2007 à Malatya
; en 2006, un prêtre catholique
italien a été assassiné dans son diocèse en Turquie; des biens appartenant
à la communauté grecque orthodoxe ont été attaqués; trois attentats
ont été perpétrés contre des synagogues (1986, 1992 et 2003); un
dentiste a été assassiné en raison de sa confession juive, etc.
129. Le rapporteur a pu ressentir une forme d’inquiétude chez certains
de ses interlocuteurs membres des minorités non musulmanes. Il note
que les membres de la communauté protestante sont dans une position particulièrement
vulnérable.
130. Cependant, le rapporteur a pu constater que les autorités
ne cherchent pas à nier les faits; bien au contraire, elles se sont
montrées très préoccupées par ces violences.
131. Plusieurs mesures ont été prises pour les endiguer.
132. Le 19 juin 2007, le ministre de l’Intérieur a émis une circulaire
sur la liberté de religion des citoyens turcs non musulmans. Dans
cette circulaire, il est reconnu qu’il y a eu une augmentation des
crimes contre des citoyens non musulmans et leurs lieux de culte.
Il est également demandé aux gouverneurs de toutes les provinces
de prendre les mesures nécessaires pour éviter que de tels actes
ne se reproduisent, et de promouvoir la tolérance entre les personnes
de religion et de croyances différentes. Bien que le ministre de l’Intérieur
ait mentionné l’exemple d’un prêtre retrouvé seulement vingt-quatre
heures après avoir été kidnappé comme preuve de l’efficacité de
ce système renforcé, à ce jour, la mise en œuvre de la circulaire
n’a pas eu les effets escomptés
.
133. Une unité du ministère de l’Intérieur créée en 2004 – le Conseil
d’évaluation des problèmes des minorités – supervise ces mesures.
134. Il a également été mentionné que des opérations de police
ont été entreprises contre des bandes à l’origine de certaines attaques.
Selon les autorités, ces bandes agissent pour des raisons nationalistes
plutôt que religieuses. Dans ce contexte, les autorités ont souligné
que les membres du réseau Ergenekon ont été arrêtés. Or, il s’avère
que l’acte d’accusation finalement retenu contre ce réseau ne fait
mention d’aucun des cas relatifs aux violences à l’égard des minorités
. Le rapporteur enjoint donc les autorités
à continuer leurs enquêtes afin de poursuivre en justice les responsables
d’actes de violence à l’encontre des minorités.
135. La Commission d’enquête des droits de l’homme du Parlement
turc a mis en place une sous-commission chargée d’enquêter sur l’assassinat
de Hrant Dink. Dans son rapport final de juillet 2008, cette sous-commission
constate des erreurs et négligences de la part des forces de sécurité
et de la police nationale, qui auraient pu éviter ce meurtre
.
Le rapporteur invite le Parlement turc à donner suite à ces conclusions
sans tarder.
136. Dans ce contexte, le rapporteur constate avec inquiétude que
Baskin Oran, professeur de renom dont les travaux contribuent substantiellement
à la cause des droits des minorités en Turquie, a fait l’objet de menaces
sérieuses à plusieurs reprises depuis 2005. La première vague de
menaces est venue en 2005 et 2006 à l’occasion du «Rapport sur les
minorités» qu’il a rédigé au sein du Conseil consultatif sur les
droits de l’homme
. Le professeur a de nouveau été l’objet
de menaces début 2007 après les funérailles de Hrant Dink. A la
suite de cet assassinat les autorités turques lui ont accordé une
protection rapprochée, ce dont le rapporteur se félicite. Il semblerait
cependant que les démarches du professeur Oran auprès des autorités judiciaires
(procureur de la République) s’agissant des menaces téléphoniques
et électroniques émanant de Türk Intikam Tugaylari (Escadrons de
la Vengeance turque) n’aient abouti à aucun résultat depuis début avril 2008
(tout comme ses démarches faites depuis 2005). Fin 2008, le professeur
Oran a de nouveau été victime de menaces par courrier électronique
.
137. Le rapporteur a pu noter que les autorités turques prennent
ces menaces très au sérieux et ont exprimé leur volonté de poursuivre
les responsables avec fermeté et célérité.
138. La communauté juive de Turquie – saluant une bonne volonté
de la part des autorités – considère que, grâce aux efforts d’harmonisation
législative dans le contexte du dialogue avec l’Union européenne,
80% des difficultés qu’elle rencontrait ont été résorbés. Cependant,
elle s’est montrée très inquiète au sujet de l’atmosphère générale
dans le pays. Les problèmes économiques, le faible niveau d’éducation,
le problème israélo-palestinien et la solidarité avec les coreligionnaires
palestiniens sont autant d’éléments qui forment un terreau fertile
à un rejet des minorités, religieuses ou non, et notamment de la
minorité juive.
139. Le rapporteur est convaincu que seule une politique conséquente
de poursuites rapides et effectives des responsables des violences
serait un signe positif à l’égard de l’ensemble de la population.
Les ONG ont transmis au rapporteur le message selon lequel «les
membres des minorités non musulmanes font partie intégrante de la
société turque et l’enrichissent». Les appels à la violence ou les
menaces contre les minorités non musulmanes doivent être poursuivis
en justice, a fortiori lorsqu’ils sont relayés par certains médias.
Or, à ce jour, seul un trop petit nombre de décisions de justice
a été rendu dans des cas similaires et beaucoup de suspects n’ont
pas été poursuivis
. Par contre, les poursuites pénales
de certains membres des minorités pour insulte à la nation turque
(article 301 du Code pénal) contribuent à maintenir un climat de
méfiance envers les minorités
.
4.5. Liberté d’association
Turquie
140. En ce qui concerne les questions liées au droit de
propriété des associations: voir la partie sur les fondations (paragraphe
85 et suivants ci-dessus).
141. La loi sur les associations impose par ailleurs l’obligation
d‘informer les autorités avant de recevoir un soutien financier
de l’étranger, et de fournir des documents détaillés sur ce soutien.
Cette disposition est restée inchangée après les amendements adoptés
en février 2008. En revanche, il semblerait que la nouvelle loi
sur les fondations de la minorité musulmane en Grèce n’autorise
pas les fondations à recevoir des dons de l’étranger ni à adresser
des dons à l’étranger.
Grèce
142. Le Comité des droits de l’homme du Pacte international
des droits civils et politiques s’est dit préoccupé face à la réticence
que manifeste le gouvernement à autoriser les groupes ou associations
privés à utiliser dans le nom de leur association le qualificatif
«turc»
,
arguant de ce qu’il n’existe en Grèce d’autres minorités ethniques,
religieuses ou linguistiques que celle des «musulmans» de Thrace.
Il a par conséquent demandé à l’Etat partie de reconsidérer sa pratique
à la lumière de l’article 27 du PIDCP
.
143. La qualification (et donc la perception) de la minorité musulmane
de Thrace n’a pas toujours été la même. En 1955, les autorités grecques
qualifiaient elles-mêmes cette minorité de «turque». Mais alors
que les relations gréco-turques s’étaient dégradées, les autorités
grecques ont refusé – et continuent depuis de refuser – l’usage
de ce qualificatif par la minorité
.
A plusieurs reprises, la Cour de cassation de Grèce a ordonné la dissolution
ou l’interdiction d’enregistrement d’associations comportant le
terme «turc» dans leurs noms
. Ces décisions
sont loin d’être anodines puisque la question de la définition même
de la minorité est étroitement liée au refus des autorités grecques
d’accepter la dénomination «turque» dans le nom des associations
.
144. Le système instauré par le Traité de Lausanne est clairement
basé sur le critère religieux, et non national
.
Or l’utilisation du qualificatif «turc» pour la minorité répond
plus au système de l’Etat-nation qui s’est développé depuis. Certes,
la reconnaissance du caractère «turc» de la minorité peut donner
symboliquement une plus grande importance à l’Etat-«parent» qu’est
la Turquie. Cependant, l’interdiction par les autorités grecques
de laisser les membres de la minorité (ou une partie d’entre eux
– voir ci-dessus paragraphes 18 et 113 sur l’identité des Pomaques
et des Roms musulmans) choisir librement sa dénomination n’est qu’une vaine
tentative de nier la réalité. Cette attitude des autorités grecques
a d’ailleurs conduit à la condamnation de la Grèce à plusieurs reprises
par la Cour européenne des droits de l’homme.
145. Ainsi, dans l’affaire
Bekir-Ousta
et autres c. Grèce , la Cour a tranché cette question
en constatant la violation de l’article 11 de la Convention par
la Grèce. En l’espèce, les juridictions grecques avaient refusé d’enregistrer
l’association à but non lucratif dénommée «Association de la jeunesse
de la minorité du département d’Evros» au motif que le nom de l’association
crée une confusion et donne l’impression que sur le territoire grec
sont installés de façon permanente des ressortissants d’un pays
étranger, en particulier de la Turquie. La Cour, qui conclut que
la mesure incriminée était disproportionnée aux objectifs poursuivis, remarque
qu’«à supposer même que le but de l’association fût de promouvoir
l’idée qu’il existe en Grèce une minorité ethnique, ceci ne saurait
passer pour constituer à lui seul une menace pour une société démocratique»
.
146. Dans un arrêt en date du 27 mars 2008 relatif à la dissolution
d’une association ayant le mot «turc» dans son nom, la Cour ne considère
pas que «seuls le titre et l’emploi du terme “turc” dans les statuts
de [l’association] suffisaient, dans le cas d’espèce, pour conclure
à la dangerosité de l’association pour l’ordre public»
. Dans un arrêt du même jour, la Cour poursuit
en constatant à nouveau qu’«à supposer même que le véritable but
de l’association fût de promouvoir l’idée qu’il existe en Grèce
une minorité ethnique, ceci ne saurait passer pour constituer à
lui seul une menace pour une société démocratique»
. Les autorités ont demandé
le renvoi de ces deux affaires devant la Grande Chambre de la Cour.
Cette demande a été rejetée en ce qui concerne les deux affaires
Tourkiki Enosi Xhantis et Emin, et les arrêts sont devenus définitifs.
147. Les associations devraient désormais pouvoir s’enregistrer
sous l’appellation qu’elles ont choisie. L’association concernée
dans l’affaire Bekir-Ousta a redemandé son enregistrement. Le rapporteur
constate avec inquiétude que le 9 décembre 2008, la Cour de première
instance d’Alexandropoulis a de nouveau refusé l’enregistrement
de l’association, allant ainsi clairement à l’encontre de la décision
de la Cour européenne des droits de l’homme. Le rapporteur rappelle
l’obligation qui pèse sur tous les Etats membres de mettre en œuvre les
décisions de la Cour et demande à la Grèce de respecter cette obligation.
148. Il a été allégué que les associations de Pomaques ou de Roms
n’auraient aucune difficulté à utiliser ces qualificatifs dans leurs
noms (le rapporteur a d’ailleurs rencontré la présidente de l’association
des femmes roms de Drossero-Xanthi).Il
s’agit clairement d’une discrimination injustifiée.
Pour plus d’informations sur cette section, voir également
le rapport du Commissaire aux droits de l’homme sur sa visite en
Grèce du 8 au 10 décembre 2008 (CommDH(2009)9).
4.6. Attribution/retrait
de la nationalité
149. Un certain nombre des membres de la minorité musulmane
de Thrace se sont vu retirer leur nationalité, en application d’une
disposition du Code de la nationalité (l’article 19, qui permettait
de retirer la nationalité grecque aux personnes d’origine ethnique
autre que grecque ayant quitté le pays sans intention d’y revenir)
. Cette disposition
a été abrogée en 1998 mais sans effet rétroactif. Certaines personnes
continuent donc d’être classifiées comme non citoyens, ce qui affecte
la jouissance de leurs droits dans toute une série de domaines (protection
sociale, santé, pensions, papiers d’identité, etc.)
.
150. Le ministère de l’Intérieur a déclaré qu’au cours de l’année
2006, 41 personnes avaient été régularisées (attribution de la nationalité
grecque) et que la situation de 18 autres est en cours de régularisation
.
En revanche, la situation d’apatridie de membres de la minorité
vivant à l’étranger reste en suspens.
151. Si cette question n’a pas été soulevée par les membres de
la minorité qu’il a rencontrés en Thrace (et ce pour des raisons
évidentes, puisque les apatrides sont condamnés à vivre hors de
la Grèce), le rapporteur est cependant d’avis qu’il s’agit d’une
question suffisamment importante pour enjoindre les autorités grecques de
régler le plus rapidement possible les cas encore en suspens. Cette
régularisation ne devrait engager ni des coûts importants, ni des
démarches administratives lourdes pour les personnes ayant souffert
dans ce contexte du retrait de leur nationalité. Le Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe vient d’ailleurs de
recommander aux autorités grecques de redonner immédiatement la
nationalité grecque aux personnes (vivant en Grèce) l’ayant perdue
en application de l’ancien article 19 du Code de la nationalité
et d’envisager la possibilité de donner satisfaction aux personnes
(ou à leurs descendants) ayant perdu la nationalité grecque en vertu
de cet article et étant restées à l’étranger
.
Le rapporteur ne peut que souscrire à cette recommandation.
5. La nécessité d’une
approche modernisée de la protection des minorités
5.1. Une «nouvelle»
approche
152. On relève ces deux dernières années un certain nombre
d’événements à forte valeur symbolique sur la question des minorités
entre la Grèce et la Turquie. La visite historique du Premier ministre
grec en Turquie en janvier 2008 – et sa rencontre avec son homologue
turc – en fait incontestablement partie.
153. Plusieurs interlocuteurs du rapporteur en Thrace ont témoigné
d’un changement d’approche de la part des autorités grecques vis-à-vis
de la minorité depuis les années 1990. La logique de réciprocité
aurait cessé à cette époque d’être considérée par les forces politiques
comme la façon adéquate de traiter une partie de la population.
154. On note en particulier la visite sans précédent de la ministre
des Affaires étrangères grecque en Thrace en février 2007. Lors
de cette visite, la ministre s’est entièrement consacrée à la minorité
musulmane et a considéré qu’il était nécessaire de désenclaver et
de développer la région. La ministre a annoncé à cette occasion
de nombreuses mesures favorables à la minorité: l’effacement des
dettes et hypothèques des vakfs, l’extension
à la fonction publique du quota de 5/1000 pour les musulmans déjà
existant dans les universités, la possibilité d’obtenir à nouveau
sur simple demande la nationalité grecque pour ceux en ayant été
déchus.
155. Le quota promis pour l’accès à la fonction publique a été
mis en place en 2008. Cette mesure devrait être mise en œuvre sans
tarder.
156. Bien que le rapporteur doute que la minorité musulmane de
Thrace (des citoyens grecs) doive relever de la compétence du ministère
des Affaires étrangères, il s’agit d’une initiative et d’annonces
qui méritent d’être saluées.
157. Le rapporteur a également pu ressentir un élan au sein d’une
«nouvelle» génération de jeunes membres de la minorité musulmane
de Thrace. Ces jeunes se placent sans ambiguïté au sein de l’Etat
grec et de l’Union européenne. Ils prennent des initiatives intéressantes
avec l’intention affichée d’intégrer la minorité au sein de la société
grecque sans pour autant perdre la connaissance de sa langue maternelle.
Une frange plus âgée se montre assez réticente et tient un tout
autre discours. Mais le rapporteur exprime l’espoir que ce changement de
mentalité d’une génération à l’autre est prometteur d’améliorations
significatives pour la minorité et encourage fortement ces jeunes
à poursuivre leurs efforts en vue de plus de compréhension et d’entente.
158. Il va sans dire que les discriminations doivent cesser, d’un
côté comme de l’autre. En Turquie, les membres des minorités ont
rapporté ne pas avoir accès à des postes haut placés, que ce soit
dans l’administration, dans l’armée ou au sein de la magistrature.
Ils n’ont aucune difficulté à exercer des professions libérales
mais sont clairement discriminés dans l’accès à la fonction publique.
Le rapporteur suggère que la Turquie, comme l’a fait la Grèce, instaure
un quota pour les membres des minorités nationales pour l’accès
à la fonction publique.
5.2. Rôle des médias
159. Les médias ont un rôle fondamental dans la perception
des minorités par la majorité et doivent jouer un rôle positif en
ce sens.
160. Le rapporteur a été ravi d’entendre de la bouche du ministre
de l’Intérieur turc qu’il «ne peut s’imaginer la Turquie, et essentiellement
Istanbul, sans les minorités». Le ministre l’a assuré que lui-même,
le Premier ministre, le Gouvernement et le Président de la Turquie
pensent que les minorités religieuses forment la richesse de leur
pays et contribuent beaucoup à son futur. Ce message n’est malheureusement
guère repris dans la presse turque, dont le paysage est fortement
marqué par des positions extrémistes, nationalistes et ouvertement
hostiles aux minorités, religieuses ou non.
161. Par ailleurs, les représentants de la communauté juive se
sont montrés inquiets face à la montée de l’antisémitisme. Ils ont
insisté sur le discours de haine relayé par des médias extrémistes,
lesquels opèrent une confusion entre Israël et judaïsme.
162. Or, dans l’ancien Code pénal, il existait une disposition
qui criminalisait l’incitation à la haine. Dans le nouveau Code
pénal, pour être qualifiée de crime, l’incitation à la haine doit
avoir un «effet réel et immédiat». Les représentants de la communauté
juive se sont plaints que l’antisémitisme ne soit pas poursuivi
car le danger n’est pas considéré comme réel et immédiat.
163. Le rapporteur pense qu’un article érigeant l’antisémitisme
en crime devrait être ajouté dans le Code pénal. L’Assemblée a d’ailleurs
déjà pris position en ce sens dans sa
Résolution 1563 (2007) en appelant
les gouvernements des Etats membres du Conseil de l’Europe «à mettre
en œuvre vigoureusement et systématiquement les législations érigeant
en crimes les discours antisémites et autres discours de haine, notamment
toute forme d’incitation à la violence»
.
Alors que la communauté juive vivait dans une «relative quiétude»
jusqu’alors, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
(ECRI) a constaté un «changement brusque de climat» depuis 2003
et a, à plusieurs reprises, demandé «que des mesures soient prises
pour prévenir et sanctionner toute incitation à la haine contre
les membres de la communauté juive»
.
164. En règle générale, l’ECRI déplore que «des propos intolérants
à l’encontre des groupes minoritaires ne fassent l’objet d’aucune
sanction alors que la législation interdisant les propos mettant
en danger l’indivisibilité de l’Etat paraît être appliquée de façon
abusive»
. Le rapporteur
n’a malheureusement eu connaissance d’aucune amélioration en la
matière.
165. Ainsi que l’avait déjà recommandé l’ECRI, un code de déontologie
devrait être développé et des activités de sensibilisation du public,
comme une campagne nationale contre le racisme et l’intolérance,
devraient être organisées.
5.3. L’intégration économique
166. Le rapporteur a pu constater que la Thrace n’est
pas une région économiquement prospère et que, contrairement aux
minorités orthodoxes grecque, arménienne et juive de Turquie, la
minorité musulmane de Thrace n’est pas une minorité riche. Une grande
partie de la minorité vit de la culture du tabac. L’arrêt des subventions
de l’Union européenne pour cette culture plonge la région dans une
situation très précaire. Les habitants des villages de montagne
sont dans la situation la plus défavorisée.
167. Le développement économique de la Thrace serait à favoriser
au regard des enjeux de l’intégration. L’accent devrait être mis
sur le développement de l’infrastructure de la région, sur l’exploitation
de ses ressources touristiques évidentes et sur le développement
technique (par exemple en s’assurant que les habitants des villages
puissent techniquement avoir accès à la télévision grecque
).
168. Le rapporteur a suggéré aux autorités grecques d’explorer
la possibilité de faire usage des programmes de l’Union européenne
en mettant en place des zones de revitalisation rurale ou des zones
franches en Thrace.
169. Plus de développement économique signifierait nécessairement
à terme une meilleure intégration au sein de la société grecque.
6. Conclusions
et recommandations
170. Le rapporteur constate avec satisfaction que la Grèce
comme la Turquie ont témoigné récemment d’une plus grande compréhension
des spécificités inhérentes à leurs minorités respectives, qui font
l’objet de ce rapport.
171. Des démarches ont été entreprises de part et d’autre de la
frontière en vue d’améliorer la situation de ces minorités (par
exemple l’instauration des quotas en Grèce, la réforme de la loi
sur les fondations en Grèce et en Turquie, la circulaire du ministère
de l’Intérieur turc sur la liberté de religion des citoyens turcs
non musulmans, etc.). Il constate également, dans le contexte du
dialogue avec l’Union européenne, la mise en œuvre de nombreuses
réformes positives en Turquie.
172. Le rapporteur a aussi pu constater une réelle prise de conscience
de la part des autorités des deux pays, qui lui ont apporté des
témoignages forts de leur engagement afin d’apporter des réponses
appropriées aux difficultés auxquelles doivent faire face les membres
des minorités en question.
173. Cependant, certaines questions restent en suspens et nécessitent
que les deux Etats poursuivent leurs efforts; efforts qui ne sauront
aboutir sans un dialogue constructif avec les membres des minorités.
174. En conclusion, le rapporteur est convaincu de la bonne volonté
des autorités des deux pays à l’égard des minorités respectives,
et de leur souci de tout mettre en œuvre afin de modifier la perception
de leurs minorités respectives. Le rapporteur s’interroge sur l’opportunité
de continuer à confier à leurs ministères des Affaires étrangères
la compétence concernant les minorités car, il le rappelle, il s’agit
de nationaux! Il est d’une importance capitale que tant les membres
de la majorité que les membres des minorités comprennent et ressentent
que ces derniers sont des citoyens à part entière de leurs pays
de résidence et n’ont pas à être considérés comme des étrangers.
175. Pour les raisons évoquées plus haut dans ce rapport, le rapporteur
souhaite que la Grèce et la Turquie, à tous les niveaux administratifs
et judiciaires, cessent d’appliquer le principe de réciprocité en
ce qui concerne leurs minorités respectives et traitent tous leurs
citoyens sans discrimination, indépendamment de la façon dont l’Etat
voisin pourrait traiter ses propres citoyens. Il les appelle également
à mettre pleinement en œuvre les principes généraux en matière de
droits des minorités développés dans la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme.
176. Le rapporteur encourage par ailleurs les deux pays à signer
et/ou ratifier les instruments internationaux pertinents, et notamment
la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales
STE no 157 (ouverte à signature en 1995)
et la Charte européenne
des langues régionales ou minoritaires STE no 148
(ouverte à signature en 1992).
177. La Grèce et la Turquie doivent également prendre toute la
mesure de l’enjeu que représente l’enseignement pour les minorités.
Il est essentiel que les gouvernements s’assurent que le niveau d’enseignement
dans les écoles pour les minorités soit de qualité et permette une
intégration pleine et entière des enfants issus des minorités au
sein de la communauté nationale car l’intégration des minorités
est facteur de paix et de développement.
178. D’une manière générale, le rapporteur mesure la volonté des
Etats à mieux prendre en compte les spécificités des minorités dans
leur dimension culturelle et religieuse, dans un souci de respect
mutuel et d’enrichissement de leur communauté nationale.
179. A cet effet, le rapporteur a pu apprécier la volonté communément
partagée par la Grèce et la Turquie de concourir à cet objectif.
180. Le rapporteur encourage les autorités des deux pays à instaurer
un dialogue ouvert et constructif avec les représentants des communautés
minoritaires. Il a formulé des recommandations sur la base de ses conclusions
(voir projet de résolution).
Commission chargée du rapport: commission
des questions juridiques et des droits de l’homme
Renvoi en commission:Doc. 10714 et 10724, Renvoi 3203
du 17 mars 2006
Projet de résolution adopté
par la commission le 24 mars 2009 avec une voix contre et deux abstentions
Membres de la commission:
Mme Herta Däubler-Gmelin (Présidente),
M. Christos Pourgourides,
M. Pietro Marcenaro, M. Rafael Huseynov (vice-présidents), M.
José Luis Arnaut, Mme Meritxell Batet Lamaña (remplaçant:
M. Arcadio Díaz Tejera), Mme Marie-Louise Bemelmans-Videc,
Mme Anna Benaki, M. Erol Aslan
Cebeci, Mme Ingrida Circene,
Mme Ann Clwyd (remplaçant: M. Christopher Chope),
Mme Alma Čolo (remplaçante: Mme Milica Marković),
M. Joe Costello, Mme Lydie Err, M. Renato Farina,
M. Valeriy Fedorov, M.Joseph Fenech Adami (remplaçante:
Mme Marie-Louise Coleiro Preca),
Mme Mirjana Ferić-Vac, M. György Frunda,
M. Jean-Charles Gardetto,
M. József Gedei, Mme Svetlana Goryacheva (remplaçant: M. Alexey Aleksandrov), Mme Carina Hägg,
M. Holger Haibach, Mme Gultakin
Hajibayli, M. Serhiy Holovaty, M.
Johannes Hübner, M. Michel Hunault, Mme Fatme Ilyaz, M. Kastriot
Islami, M. Željko Ivanji,
Mme Iglica Ivanova, Mme Kateřina
Jacques, M. András Kelemen, Mme Kateřina Konečná,
M. Franz Eduard Kühnel, M. Eduard
Kukan (remplaçant: M. József Berényi),
Mme Darja Lavtižar-Bebler, Mme Sabine Leutheusser-Schnarrenberger,
M. Aleksei Lotman, M. Humfrey Malins,
M. Andrija Mandić, M. Alberto Martins,
M. Dick Marty, Mme Ermira Mehmeti, M. Morten Messerschmidt,
M. Akaki Minashvili, M. Philippe
Monfils, M. AlejandroMuñoz
Alonso, M. Felix Müri,
M. Philippe Nachbar, M. Valery Parfenov, Mme Maria Postoico, Mme Marietta
de Pourbaix-Lundin, M. Valeriy Pysarenko,
M. Janusz Rachoń, Mme Marie-Line Reynaud (remplaçant: M. René Rouquet), M. François Rochebloine,
M. Paul Rowen, M. Armen Rustamyan, M. Kimmo Sasi, M. Ellert Schram, M. Dimitrios
Stamatis (remplaçant: M. Emmanouil Kefaloyiannis),
M. Fiorenzo Stolfi, M. Christoph Strässer,
Lord John Tomlinson, M. Mihai
Tudose, M. Tuğrul Türkeş,
Mme Özlem Türköne, M. Viktor Tykhonov, M. Øyvind Vaksdal, M. Giuseppe Valentino
(remplaçant: M. Gianni Farina),
M. Hugo Vandenberghe, M. Egidijus Vareikis,
M. Luigi Vitali, M. Klaas de Vries,Mme Nataša Vučković,M. Dmitry Vyatkin,
Mme Renate Wohlwend, M. Jordi Xuclà i Costa
N.B. Les noms des membres ayant participé à la réunion sont
indiqués en gras
Secrétariat de la commission: M.
Drzemczewski, M. Schirmer, Mme Maffucci-Hugel, Mme Heurtin