1. Origine et objectif du rapport
1. Le 1er octobre 2009, l’Assemblée a adopté la
Résolution 1689 (2009) et
la
Recommandation 1886 (2009) sur
l’avenir du Conseil de l’Europe à la lumière de ses soixante années
d’expérience, qui visaient à proposer des pistes de réflexion sur
l’évolution de la mission du Conseil de l’Europe, à identifier les
problèmes liés à son fonctionnement et à suggérer des mesures à
prendre afin que l’Organisation puisse rester l’institution clé
dans le processus de construction d’une Europe unie fondée sur les
principes et les valeurs de la démocratie, des droits de l’homme
et de la prééminence du droit, et contribuer ainsi à garantir une
promotion et une protection effectives de ces principes et valeurs.
2. Le 29 septembre 2009, l’Assemblée a élu M. Thorbjørn Jagland
nouveau Secrétaire Général du Conseil de l’Europe. Tout au long
de la campagne qui précédait son élection, M. Jagland a insisté
sur le besoin de réforme de l’Organisation, afin de la rendre plus
souple et mieux adaptée aux défis actuels.
3. Il est tout à fait naturel que l’Assemblée, qui a mené elle-même
une réflexion sur les voies à suivre pour rendre le Conseil de l’Europe
plus pertinent et performant, souhaite suivre le processus de réforme
lancé par le Secrétaire Général et y contribuer.
4. J’ai donc déposé une proposition de résolution intitulée «Suivi
de la réforme du Conseil de l’Europe», qui est à l’origine du présent
rapport, dans un but double: tenir les collègues informés sur l’avancement
de la réforme menée par le Secrétaire Général, et offrir à l’Assemblée
l’occasion d’exprimer ses vues et d’exercer son influence sur les
choix politiques à faire dans ce processus.
5. A mon avis, passer en revue, dans le moindre détail, les questions
liées au fonctionnement quotidien du Conseil de l’Europe n’est pas
le rôle de notre Assemblée. En revanche, elle se sent à juste titre
concernée quand il est question de définir les orientations stratégiques
de l’Organisation pour les années à venir.
6. Je tiens à rappeler que, en présentant à l’Assemblée les premiers
éléments de son programme de changement, le 25 janvier 2010, le
Secrétaire Général a insisté sur le caractère politique de la réforme.
En tant que l’un des deux organes statutaires du Conseil de l’Europe,
l’Assemblée est investie, avec le Comité des Ministres, d’une responsabilité
importante quant à l’avenir de l’Organisation. Il est donc indispensable
que l’Assemblée soit consultée lorsqu’il s’agit de faire des choix
politiques de nature à affecter cet avenir et puisse y contribuer.
Comme la plupart de mes collègues membres de l’Assemblée, je suis
résolument favorable à la réforme du Conseil de l’Europe et je suis
résolument opposé à la diminution du rôle politique de notre Organisation.
2. Vers la seconde phase de la réforme
7. En janvier 2010, le Secrétaire Général a lancé la
première étape de la réforme. Les principaux objectifs ont été désignés
de la manière suivante:
- revitaliser
le Conseil de l’Europe en tant qu’organe politique et organisation
novatrice;
- concentrer ses travaux sur un nombre plus restreint de
projets, sélectionnés en fonction de leur forte valeur ajoutée et
de leurs avantages spécifiques;
- développer une organisation souple qui soit aussi plus
visible et mieux adaptée aux besoins des citoyens européens.
8. La première étape de la réforme comportait des mesures de
mise en œuvre immédiate qui portaient essentiellement sur des besoins
prioritaires et liées à la gouvernance interne, et à des mesures
opérationnelles telles que la réforme du processus et du format
budgétaires, les premières mesures de rationalisation du programme
d’activités, l’introduction d’un nouveau concept pour la présence
extérieure du Conseil de l’Europe, le traitement de questions financières
et la maîtrise des coûts salariaux.
9. L’Assemblée a examiné ce premier train de mesures dans son
Avis 279 (2010) sur
le budget et les priorités du Conseil de l’Europe pour l’exercice
2011 (sur la base d’un rapport de la commission des questions économiques
et du développement). Elle a exprimé son soutien au processus engagé
par le Secrétaire Général, et a appelé de ses vœux une stratégie
politique pour donner à l’Organisation une nouvelle ambition.
10. Parallèlement, le Secrétaire Général a mis en place, au sein
du Secrétariat du Conseil de l’Europe, un groupe de réflexion, «Agenda
2020», chargé de travailler sur la préparation de la seconde phase
de la réforme, qui devrait aborder des questions relatives au positionnement
stratégique de l’Organisation vis-à-vis des grands défis d’aujourd’hui
et de demain.
11. Les travaux du groupe «Agenda 2020» ne sont pas publics. Cependant,
j’ai pu en discuter les grandes lignes avec M. Gérard Stoudmann,
représentant spécial auprès du Secrétaire Général pour les questions organisationnelles
et la réforme, qui préside le groupe, ainsi qu’avoir accès à certains
éléments qui y sont débattus. M. Stoudmann a également représenté
le Secrétaire Général, invité à participer à un échange de vues
avec la commission des questions politiques, lors de notre réunion
tenue le 18 novembre 2010 à Paris. A cette occasion, il a présenté
les grandes orientations de la réflexion qui est menée pour préparer
la seconde phase de la réforme.
12. Le groupe «Agenda 2020», composé des principaux hauts fonctionnaires
des unités structurelles du Secrétariat, s’appuie sur la réflexion
menée dans 15
task-forces regroupées
au sein de quatre Ateliers du changement:
- Priorités/Programme/Budget (task-forces sur
la transversalité, sur la révision des conventions, sur le monitoring et sur l’évaluation);
- Relations avec l’Union européenne (task-forces sur
les activités normatives et le monitoring,
sur l’Union européenne dans les structures du Conseil de l’Europe,
sur le Conseil de l’Europe dans la politique externe de l’Union
européenne et sur le Nouveau partenariat stratégique);
- Compétivité (task-forces sur
la présence externe, sur la société civile, sur le financement externe
et sur la communication);
- Stratégie d’excellence interne (task-forces sur
le capital humain, sur l’allégement de la bureaucratie et sur les
structures intergouvernementales).
13. L’objectif du groupe est triple:
- définir les priorités pour 2010-2020;
- définir les priorités pour le programme d’activités 2012-2013;
- coordonner et présenter les recommandations élaborées
par les 15 task-forces.
14. Selon les informations obtenues, les éléments suivants devraient
être pris en compte en ce qui concerne les orientations stratégiques
pour la décennie:
- établir d’ici
à 2020 une plate-forme commune paneuropéenne de normes et de standards;
- répondre par des projets concrets aux défis de société
qui se présentent, parmi lesquels, en particulier, le risque croissant
de perte de cohésion et de radicalisation;
- utiliser le Conseil de l’Europe comme un forum pour discuter
des questions d’actualité pertinentes dans le cadre du mandat de
l’Organisation.
15. Pour ce qui est des priorités à retenir dans la définition
du programme d’activités 2012-2013, les éléments suivants seraient
privilégiés:
- établir un budget
bisannuel à partir de 2012, accompagné d’un passage en revue détaillé
du programme intergouvernemental d’activités, en lien, à l’avenir,
avec le cycle budgétaire de deux ans;
- se concentrer sur les priorités à définir, avec une réduction
du nombre total de programmes;
- établir un nouveau cadre de coopération avec l’Union européenne;
- adopter une approche transversale, chaque fois que cela
est possible, notamment en matière de méthodes de travail (groupes
de projets, task-forces).
16. Selon les dernières informations, les quatre Ateliers du changement
ont transmis leurs recommandations au groupe «Agenda 2020», qui
est en train de les examiner et de les finaliser. Les propositions
du groupe «Agenda 2020» devraient servir de base pour la seconde
phase de la réforme, que le Secrétaire Général envisage de présenter
au début de l’année 2011.
3. Les grands défis à relever
17. L’échange de vues avec le représentant spécial du
Secrétaire Général qui a eu lieu le 18 novembre 2010 a permis aux
membres de la commission, d’une part, d’obtenir des informations
générales sur le processus de la réforme et, d’autre part, de lui
faire part des observations et des préoccupations des membres de l’Assemblée.
Toutefois, au moment de la préparation de ce rapport, le contenu
détaillé de la seconde phase n’est pas encore connu. Il m’est donc
impossible de faire des commentaires sans en avoir pris connaissance! Cependant,
il est clair que cette nouvelle phase devra aller beaucoup plus
loin qu’une simple amélioration des méthodes de travail, et comportera
des choix politiques et la redéfinition du rôle du Conseil de l’Europe
pour en faire une priorité de l’agenda politique européen. Il me
semble donc utile, à ce stade, de rappeler certains défis et de
reprendre certaines idées – y compris ceux exprimés par mes collègues
de la commission – dont il faut tenir compte si l’on veut un Conseil
de l’Europe plus performant et opérationnel.
18. Ces défis ne sont pas nouveaux, et bon nombre d’entre eux
ont déjà été exposés dans la
Résolution 1689
(2009) et la
Recommandation
1886 (2009), ainsi que dans nombre d’autres textes pertinents de
l’Assemblée. Je dois constater qu’il y a eu trop peu de progrès
– et sans doute pas assez de volonté – pour trouver des réponses
à ces problèmes.
3.1. Baisse de l’engagement des Etats membres
19. L’Assemblée a exprimé, dans la
Résolution 1689 (2009), sa préoccupation
face à certaines tendances qui pourraient signifier la baisse de
l’engagement des Etats membres en faveur du Conseil de l’Europe
(par exemple, le faible niveau de participation des ministres aux
sessions ministérielles du Comité des Ministres; la croissance zéro
en termes réels du budget; la réticence parmi les Etats membres
à adhérer aux instruments juridiques; les tentatives de minimiser
l’importance des mécanismes du
monitoring, voire
de les mettre en cause).
20. Malgré les déclarations solennelles, ces tendances n’ont pas
été inversées. Bien entendu, le fonctionnement de l’Organisation
doit changer et elle doit proposer des réponses opérationnelles
aux besoins des Etats membres – c’est l’un des défis fondamentaux
de la réforme. Il n’en reste pas moins que sans un soutien vigoureux
de la part des Etats, le Conseil de l’Europe a peu de chances de
répondre à leurs attentes et devra diminuer encore davantage ses
activités. Ce désengagement est d’autant plus difficile à comprendre qu’il
coïncide avec la multiplication, dans nos Etats, de tendances dangereuses
et déstabilisatrices qui menacent la cohésion de la société et qui
se manifestent aussi bien au sein de l’Union européenne que dans les
pays qui n’en font pas partie. Le Conseil de l’Europe, avec ses
capacités d’analyse et d’anticipation, est le cadre de choix pour
partager les expériences nationales et élaborer des réponses communes
aux problèmes qui, bien que sous des formes variées, concernent
l’Europe dans son ensemble.
21. La proposition du Secrétaire Général d’utiliser la formule
des «accords partiels» pour permettre à des Etats intéressés de
poursuivre la coopération dans certains domaines spécifiques mérite
attention. Il faut cependant veiller à ne pas fragmenter davantage
le Conseil de l’Europe et à éviter qu’il ne se transforme en un
réseau distendu d’îlots d’activités isolées. Bien au contraire,
une plus grande synergie entre organes, institutions et mécanismes
de l’Organisation est indispensable pour répondre efficacement aux
défis de société et aux besoins des Etats membres.
22. L’initiative récente du Secrétaire Général sur les Roms pourrait
servir d’exemple d’une mobilisation rapide de l’expertise et des
ressources intellectuelles disponibles au sein du Conseil de l’Europe,
d’une part, et de la volonté politique des Etats membres, d’autre
part, face à une situation d’urgence.
23. Le succès de telles initiatives dépendra de la capacité de
l’Organisation de traduire son potentiel en décisions opérationnelles
et d’apporter des solutions pratiques, utiles aux Etats membres.
Cependant, pour pouvoir les mobiliser, le Conseil de l’Europe doit
continuer à disposer de moyens suffisants, de ressources intellectuelles
et d’un degré d’expertise reconnu.
24. La plus grande prudence est donc nécessaire lorsqu’il est
question de mettre fin à telle ou telle activité. Néanmoins, dès
lors qu’il est avéré qu’une activité ne présente plus d’intérêt,
il ne faut pas hésiter à y mettre fin, même si cela peut remettre
en cause certaines situations acquises. Pour autant, la décision
de mettre fin à des activités est, par nature, une décision politique,
et j’estime que l’Assemblée devrait être consultée. Sur ce point,
la proposition de résolution déposée par M. Konečný et plusieurs
collègues et intitulée «Examiner de près les activités du Conseil
de l’Europe: une nouvelle mission pour l’Assemblée parlementaire»
(
Doc. 12324), qui
propose que l’Assemblée examine périodiquement et de façon approfondie
les activités et les programmes du Conseil de l’Europe, mérite d’être
étudiée de près.
25. Je tiens à rappeler encore deux propositions que l’Assemblée
a formulées dans le rapport sur l’avenir du Conseil de l’Europe
à la lumière de ses soixante années d’expérience. D’une part, il
s’agit de la tenue régulière des sommets, qui permettrait de donner
l’impulsion nécessaire à l’Organisation et de maintenir un degré
élevé de responsabilité des Etats vis-à-vis de leurs obligations.
Dans la situation actuelle, où l’écart entre les déclarations solennelles
et les actes réels est si manifeste et où une discussion sur une
éventuelle redéfinition du rôle du Conseil de l’Europe est à l’ordre
du jour, cette possibilité devrait être sérieusement considérée.
26. D’autre part, l’Assemblée s’est déclarée favorable au renforcement
du rôle des conférences des ministres spécialisés et de leur impact
sur les travaux quotidiens de l’Organisation. Nous avons proposé d’envisager
des arrangements afin que les différents ministères spécialisés
nationaux puissent intervenir dans le choix des priorités pour engager
des actions intergouvernementales et contribuer au financement de certaines
activités du Conseil de l’Europe. Ce dernier aspect n’est pas négligeable
dans la situation budgétaire actuelle que j’évoque ci-dessous. J’estime
que cette idée prend toute son actualité dans le contexte de la volonté
du Secrétaire Général de rendre le Conseil de l’Europe plus opérationnel
et tourné vers la solution de problèmes pratiques dans l’intérêt
des Etats membres. Par ailleurs, l’Assemblée devrait inviter plus
souvent des ministres spécialisés à intervenir devant ses membres
afin de les sensibiliser aux problèmes réels de société, mais également
parce qu’ils ont aussi le devoir de rendre compte à l’échelle européenne.
3.2. Vocation générale ou recadrage sur les trois piliers?
27. Concernant la vocation du Conseil de l’Europe, ce
n’est pas la première fois que nous nous trouvons face à un dilemme:
devons-nous limiter nos activités aux trois piliers essentiels que
sont la démocratie, les droits de l’homme et la prééminence du droit,
ou bien faut-il continuer à considérer notre Organisation comme un
cadre de coopération plus large?
28. Il faut reconnaître qu’il n’y a pas de consensus sur ce point,
ni parmi les Etats membres ni au sein de l’Assemblée. Les Etats
qui font partie de l’Union européenne, ou ceux qui sont engagés
dans le processus d’adhésion, ont tendance à privilégier le cadre
de l’Union pour leurs projets de coopération et d’intégration européennes.
29. Un débat existe entre ceux qui souhaiteraient réduire les
activités du Conseil de l’Europe au suivi des engagements des pays
non membres de l’Union européenne dans les domaines relatifs aux
trois piliers susmentionnés et ceux qui soulignent l’importance
de la culture, de l’éducation et de la cohésion sociale. Il s’agit
à bien des égards d’un faux débat. Que serait une démocratie sans
culture et sans cohésion sociale?
30. Soyons réalistes: une bonne partie des 20 pays du Conseil
de l’Europe qui ne sont pas membres de l’Union européenne restera,
de longues années encore, voire toujours, en dehors de l’Union.
Cependant, ils auront à faire face aux problèmes de société qui
dépassent les frontières nationales et nécessitent donc une coopération
à l’échelle internationale et européenne. La présence de ces pays
au sein du Conseil de l’Europe est un atout majeur pour notre Organisation,
et leur rôle dans nos activités est appelé à croître.
31. Je partage sur ce point l’avis du Secrétaire Général: il y
a besoin en Europe, à côté de l’OTAN, qui s’occupe des questions
de sécurité «dure», et de l’Union européenne qui développe un projet
d’intégration profonde, d’une enceinte qui assure une «sécurité
douce» fondée sur le respect des valeurs communes et où toute l’Europe
puisse coopérer sur la solution des problèmes qui touchent l’ensemble
de nos pays et dépassent les frontières de l’Union à 27; une enceinte
où tous les Etats européens puissent participer sur un pied d’égalité à
la construction d’un espace européen juridique et culturel commun,
en d’autres termes, d’une Grande Europe sans clivages. L’Europe
a été trop longtemps divisée pour se permettre de nouvelles divisions!
32. Bien entendu, l’accent principal doit rester sur les domaines
prioritaires de notre Organisation – la défense de ses valeurs et
principes fondamentaux qui forment la base de l’unité européenne.
Dans ce contexte, comment ne pas s’interroger sur les raisons qui
ont amené les Etats membres de l’Union européenne à doter cette
dernière de structures parallèles, qui font double emploi avec les
mécanismes et les instruments du Conseil de l’Europe et, de cette
manière, compromettent cette unité?
3.3. Problèmes budgétaires
33. Nous avons pris note de la nouvelle formule, plus
lisible, de présentation du budget du Conseil de l’Europe introduite
par le Secrétaire Général. On peut aussi se féliciter de la décision
prise par le Comité des Ministres le 23 novembre 2010 de passer
à un processus budgétaire bisannuel – je rappelle que l’Assemblée l’a
préconisé depuis plusieurs années. Cependant, la situation budgétaire
de l’Organisation n’en reste pas moins dramatique, etmenace son existence même. Mis
à part les frais liés au fonctionnement des organes et institutions
(tels que la Cour, l’Assemblée parlementaire, le Congrès, etc.),
les deux tiers du budget restant sont alloués aux différents mécanismes
de monitoring, et seulement
un tiers aux activités opérationnelles, ces dernières dépendant
très fortement des financements extérieurs extrabudgétaires.
34. Dans sa
Recommandation
1886 (2009), l’Assemblée a invité le Comité des Ministres
«à revoir la stratégie budgétaire du Conseil de l’Europe pour le
doter des moyens à la hauteur de ses missions».
35. Nous sommes parfaitement conscients du contexte actuel dû
à la crise qui affecte nos Etats membres, ce qui rend cette question
encore plus difficile. Nous maintenons néanmoins que la situation
budgétaire du Conseil de l’Europe n’est pas acceptable et certaines
décisions stratégiques en matière de budget doivent être revues.
L’Assemblée s’est prononcée en ce sens à plusieurs reprises dans
ses avis.
36. Le problème budgétaire est la conséquence des choix politiques
et devient à son tour un problème politique. Le refus des Etats
membres de revoir la politique de «budget à croissance zéro» du
Conseil de l’Europe, tout en consacrant des sommes croissantes aux
autres institutions (y compris à la mise en place des mécanismes
et structures parallèles faisant double emploi avec ceux du Conseil
de l’Europe) démontre de manière éloquente le manque de réel engagement
de ces Etats envers notre Organisation et les valeurs qu’elle défend.
37. Sans un financement adéquat des activités opérationnelles,
le Conseil de l’Europe se trouve dépourvu de moyens pour aider les
Etats membres à se conformer à leurs engagements et obligations.
L’exemple de la Cour nous montre bien qu’il ne suffit pas d’adhérer
à une convention, il est nécessaire d’aider les Etats à la respecter.
En même temps, la multiplication des financements extrabudgétaires
fragilise l’activité de l’Organisation et n’est pas non plus sans
conséquences sur les choix des priorités. Enfin, il est à déplorer
que les responsables de l’Organisation, au lieu de se consacrer
au travail politique de fond dans l’intérêt des Européens, en soient
amenés à faire la chasse aux financements pour sauver les programmes
restants!
38. Certes, la gestion budgétaire du Conseil de l’Europe peut
et doit être améliorée. Ainsi est-il probablement souhaitable d’étudier
la possibilité de mutualiser certains mécanismes de monitoring. Cependant, le Comité
des Ministres doit faire face à ses responsabilités pour doter l’Organisation
d’un budget plus adéquat à son rôle. A ce propos, il est à regretter
que, contrairement à la pratique précédente où le reliquat budgétaire
était réinjecté dans les activités, les Etats membres demandent
dorénavant que les économies réalisées sur le fonctionnement du
Conseil de l’Europe leur soient reversées. Cette vision purement
comptable de l’Organisation est en contradiction flagrante avec
l’attachement à son rôle politique proclamé par nos Etats membres
et met en péril son avenir. Une telle politique est également démotivante
pour le Conseil de l’Europe puisque, ainsi, il ne profite en aucune
manière des améliorations susceptibles d’être réalisées dans sa
gestion.
39. Actuellement, les contributions de plusieurs Etats au budget
du Conseil de l’Europe ne couvrent même pas les salaires de leurs
juges à la Cour européenne des droits de l’homme. Cette situation
est inacceptable.
3.4. Rationnaliser les activités
40. Dans la situation budgétaire dramatique que j’ai
évoquée ci-dessus, il n’est pas surprenant que l’on soit obligés
d’évaluer de manière critique les activités de l’Organisation, et
de chercher à éviter tout gaspillage et double emploi. Je me limiterai
ici à deux domaines où, à mon avis, il y a matière à réfléchir.
41. Ne devrait-on pas regrouper les structures de soutien des
différents mécanismes de monitoring et
de pilotage (commissions, comités, secrétariats, etc.) qui existent
au sein du Conseil de l’Europe dans le cadre de ses conventions,
et dont le nombre ne cesse d’augmenter?
42. Par ailleurs, ne pourrait-on pas revoir le fonctionnement
du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe,
dont plusieurs activités font double emploi avec les travaux de
notre Assemblée, et dont les membres, réunis en deux chambres, siègent
en son sein aux frais du Conseil de l’Europe, alors que les membres
de notre Assemblée siègent en son sein aux frais de leurs parlements?
3.5. Réforme du système de la Convention et de la Cour
européennes des droits de l’homme
43. Je rappelle que cette problématique fait l’objet
d’un rapport préparé actuellement au sein de la commission des questions
juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée (rapporteur:
Mme Bemelmans-Videc), et qu’il faudrait donc respecter les compétences
spécifiques de chacune des commissions.
44. Cependant, sans vouloir anticiper les conclusions de nos collègues,
il est difficile de s’empêcher de constater que, compte tenu de
la gravité des problèmes de la Cour, c’est la pérennité du système
de justice européen en matière de protection des droits de l’homme
qui est en jeu. La Cour, même avec ses effectifs considérablement
renforcés, n’est pas en mesure de faire face au flot croissant des
recours. Même avec l’entrée en vigueur du Protocole no 14 qui aura
un effet positif non négligeable, la dynamique reste négative et
l’engorgement de la Cour ne cesse de croître. Il est clair qu’elle
ne peut pas réparer toutes les injustices commises (ou ressenties
comme telles) par les autorités des Etats membres – cela ne devait
d’ailleurs jamais être son rôle. Des décisions courageuses sont
donc nécessaires dans le cadre du processus d’Interlaken. Une approche
«technique» ne pourra résoudre un problème éminemment politique,
près de 80 % des requêtes émanant de 10 Etats.
45. En effet, le vrai problème de la Cour, c’est la faiblesse
des justices nationales des pays membres, l’absence ou l’insuffisance
des voies de recours effectif, les problèmes au niveau de la mise
en œuvre des décisions judiciaires, y compris des arrêts de la Cour,
et bien d’autres. L’effort principal doit donc porter sur la réparation
des carences structurelles des mécanismes nationaux de justice,
seul moyen de rétablir la confiance de l’individu. Cette tâche dépasse
les pouvoirs de la Cour et nécessite des efforts en synergie du Comité
des Ministres et de l’Assemblée, mais requiert également des programmes
d’assistance bien ciblés et faits sur mesure. En même temps soyons
lucides: où sont les budgets permettant de financer l’assistance nécessaire
pour une mise à niveau? Lorsque ce n’est pas une question budgétaire,
que faire? Les parlements nationaux devraient jouer un rôle beaucoup
plus actif.
46. En même temps, il est évident que la pratique précédente,
où l’accroissement du budget de la Cour était assuré grâce à des
coupes budgétaires des autres secteurs du Conseil de l’Europe, était
contre-productive et a atteint ses limites. La décision du Secrétaire
Général de mettre fin aux transferts budgétaires vers la Cour au détriment
des autres activités du Conseil de l’Europe est donc pleinement
justifiée. A l’image du reste de l’Organisation, rien n’interdit
d’ailleurs à la Cour de réfléchir à une optimisation de sa gestion,
qui serait facilitée par l’obtention d’une plus grande autonomie
administrative et budgétaire.
47. Je ne peux me permettre de ne pas évoquer ici le problème
de l’élection des juges à la Cour. Nous prenons acte de l’introduction
par le Comité des Ministres d’un mécanisme d’évaluation préalable
des candidats aux postes de juges par un panel d’experts avant la
transmission d’une liste nationale à l’Assemblée. Il reste à voir
si cette nouveauté permettra d’assurer une très haute qualité des
candidats – ce qui est crucial pour l’autorité de la Cour, en particulier
dans la perspective de l’adhésion de l’Union européenne. Cela étant, comme
plusieurs de mes collègues, je suis persuadé qu’il faudra également
porter un regard critique sur la procédure d’évaluation et d’élection
des candidats aux postes de juges au sein même de l’Assemblée.
3.6. Renforcer le pilier «démocratie»
48. Il convient de rappeler l’initiative de l’Assemblée
de renforcer, assurer plus de synergie, et mieux mettre en valeur
les activités du Conseil de l’Europe en matière de démocratie. Il
s’agirait de créer, sur la base de différents mécanismes et structures
en la matière – tels le Forum annuel pour l’avenir de la démocratie,
les débats bisannuels de l’Assemblée sur l’état de la démocratie
en Europe, la Commission européenne pour la démocratie par le droit
(Commission de Venise), l’Université d’été de la démocratie et le
réseau des Ecoles des études politiques du Conseil de l’Europe –,
un véritable laboratoire d’idées, de réflexion et d’expertise qui pourrait
devenir un pôle d’excellence et de référence à haute visibilité
internationale. Cette proposition a d’ailleurs été réitérée dans
la
Recommandation 1928
(2010) sur la démocratie en Europe: crises et perspectives.
49. Compte tenu de la réflexion actuellement en cours sur la mission
et les activités futures du Forum pour l’avenir de la démocratie,
ainsi que de l’intérêt des autorités de la ville de Strasbourg pour
l’initiative de l’Assemblée, il serait tout à fait opportun de relancer
cette idée en vue de lui donner de la substance concrète pour 2012,
année du prochain débat bisannuel sur l’état de la démocratie en
Europe.
3.7. Conventions
50. Il faut se féliciter du fait que le Secrétaire général
ait donné suite à l’idée de renforcer le système conventionnel du
Conseil de l’Europe en faisant l’inventaire de l’ensemble des conventions
afin d’en optimiser la mise en œuvre – ce que l’Assemblée proposait
depuis plusieurs années. Je me réfère tout particulièrement à la
Résolution 1732 (2010) «Renforcer
l’efficacité du droit des traités du Conseil de l’Europe» (rapport
de M. Prescott, commission des questions juridiques et des droits
de l’homme).
3.8. Partenariat avec l’Union européenne
51. L’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne a créé
de nouvelles opportunités pour renforcer le partenariat entre le
Conseil de l’Europe et l’Union européenne, et a ouvert la perspective
de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des
droits de l’homme, ainsi qu’à d’autres conventions et mécanismes
de notre Organisation. Les négociations pour l’adhésion de l’Union
européenne à la Convention européenne des droits de l’homme sont
déjà en cours.
52. Comment faire le meilleur usage de cette situation nouvelle?
L’Assemblée poursuit en ce moment sa réflexion sur ce sujet (rapports
de la commission des questions politiques sur l’impact du Traité
de Lisbonne sur le Conseil de l’Europe [rapporteur: Mme Lundgren]
et de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme
sur l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne
des droits de l’homme: élection des juges [rapporteur: M. Holovaty]).
53. L’Assemblée a aussi l’intention de renforcer substantiellement
son partenariat avec le Parlement européen. La décision du Bureau
de l’Assemblée en faveur de la création d’un organe informel conjoint Parlement
européen/Assemblée parlementaire pour coordonner la communication
d’informations, dans le contexte de l’adhésion de l’Union européenne
à la Convention européenne des droits de l’homme, s’inscrit dans
cette ligne. Aussi, la commission des questions politiques et la
commission des questions juridiques et des droits de l’homme sont
en train de développer des relations des plus en plus étroites avec
la sous-commission des droits de l’homme de la commission des affaires
étrangères du Parlement européen sur une série de questions d’intérêt
commun allant des conséquences de l’entrée en vigueur du Traité
de Lisbonne à la situation politique et des droits de l’homme dans
les Balkans.
54. Nous prenons également note des nouvelles modalités de coopération
en matière de financement des activités dans le cadre du Partenariat
oriental sous forme d’une enveloppe globale («facilité») qui devrait permettre
au Conseil de l’Europe d’avoir plus de flexibilité dans son action
et d’affirmer ses priorités définies en fonction des besoins de
nos Etats membres. J’insiste sur la nécessité d’un véritable partenariat
dans le choix de ces priorités, qui doit aller bien plus loin que
les relations de sous-traitance que nous avons vues dans le passé.
4. Le rôle de l’Assemblée parlementaire: générer
des idées et agir pour le changement
55. La réforme de l’Assemblée en tant que telle fera
l’objet d’un rapport spécifique que je suis chargé de préparer au
sein d’une commission ad hoc du Bureau. Il ne me semble donc pas
opportun d’anticiper ici la discussion qui aura lieu dans ce cadre.
56. Je me bornerai à souligner ici qu’il faut aller vers une Assemblée
plus politique et plus réactive, qui continue à jouer son rôle:
faire naître des idées pour l’avenir tout en accordant plus d’attention
au suivi de la mise en œuvre de ses idées et positions. L’Assemblée
doit être à l’avant-garde de la réforme, et nous, en tant que membres
des parlements nationaux, avons une responsabilité particulière
pour assurer le soutien politique de ce processus.
5. Conclusions
57. La réforme du Conseil de l’Europe est devenue une
nécessité. Elle entre maintenant dans une phase où d’importants
choix politiques sont à l’ordre du jour.
58. Le Secrétaire Général a formulé les objectifs ambitieux pour
que le Conseil de l’Europe puisse rester à la hauteur de sa mission
et relever les défis de la société en mutation. Cependant, pour
atteindre ces objectifs, la détermination qu’il a montrée et les
pouvoirs dont il dispose ne suffiront pas.
59. Une volonté politique forte de la part des Etats membres est
indispensable. Le rôle du Secrétaire Général est de mobiliser cette
volonté politique. L’Assemblée devrait être prête à soutenir ses
efforts. Mais elle ne pourrait être une véritable alliée du Secrétaire
Général que si elle se sent pleinement impliquée dans la définition
des orientations stratégiques de la réforme.
60. Dans ce contexte, j’estime qu’un sommet du Conseil de l’Europe
devrait être convoqué pour redonner une nouvelle impulsion politique
à l’Organisation, responsabiliser les Etats membres vis-à-vis d’elle
et, le cas échéant, redéfinir son rôle à l’heure actuelle.
61. L’Assemblée devrait soutenir l’objectif du Secrétaire Général
de faire du Conseil de l’Europe un outil plus performant et capable
de transformer son potentiel en décisions opérationnelles, capable
d’apporter des réponses pratiques et rapides aux Etats membres sur
les défis auxquels ils sont confrontés. A cette fin, je proposerais
une plus grande synergie entre organes, institutions et mécanismes
de l’Organisation ainsi qu’un regroupement fonctionnel des structures
de soutien des différents mécanismes du suivi et de pilotage qui existent
dans le cadre des conventions du Conseil de l’Europe.
62. L’engorgement croissant de la Cour européenne des droits de
l’homme qui met en danger la pérennité du système de justice européen
en matière de protection des droits de l’homme est également un
sujet de préoccupation pour l’Assemblée, qui suit avec attention
le processus d’Interlaken et s’apprête à contribuer à ce que des
solutions politiques courageuses puissent en être dégagées. Dans
ce contexte, je rappelle que la situation à la Cour est la conséquence
des problèmes structurels des justices nationales des Etats membres, et
que l’effort principal doit ainsi porter sur la réparation des carences
des mécanismes nationaux de justice. L’Assemblée devrait par conséquent,
en synergie avec le Comité des Ministres, appeler à renforcer les programmes
d’assistance ciblés aux Etats membres qui sont à l’origine du plus
grand nombre de requêtes devant la Cour. Tout en prenant note de
l’introduction par le Comité des Ministres d’un mécanisme d’évaluation préalable
des candidats aux postes de juges par un panel d’experts avant la
transmission d’une liste nationale à l’Assemblée, cette dernière
devrait, à son tour, décider de consolider sa propre procédure d’élection
des juges, notamment en vue de l’adhésion de l’Union européenne
à la Convention européenne des droits de l’homme.
63. Malgré la réforme en cours, les structures du Congrès des
pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe restent excessivement
lourdes. A mon avis, ses activités et son mode de fonctionnement
nécessitent d’être revus en profondeur. En particulier, les activités
du Congrès devraient représenter une valeur ajoutée pour le Conseil
de l’Europe et avoir une utilité pratique pour les autorités locales
et régionales des Etats membres, et éviter de dupliquer les travaux
menés dans d’autres instances. D’ailleurs, la pratique actuelle selon
laquelle les membres du Congrès participent à ses travaux aux frais
du Conseil de l’Europe est difficile à justifier et devrait être
arrêtée.
64. En ce qui concerne l’organisation des conférences de ministres
spécialisés du Conseil de l’Europe, je réitère ma conviction que
des ministres spécialisés, qui sont au contact direct avec de multiples
problèmes de société, devraient jouer un rôle plus actif dans la
définition des priorités du Conseil de l’Europe. En outre, l’Assemblée
devrait inviter, lorsque cela est approprié, des ministres spécialisés
des Etats membres du Conseil de l’Europe à intervenir en séance
plénière.
65. Je tiens également à réitérer ma proposition sur la nécessité
de renforcer le pilier «démocratie» du Conseil de l’Europe en regroupant
les différentes activités pertinentes en la matière dans le cadre
d’un «forum de la démocratie», à Strasbourg, en tant que structure
générique.
66. L’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne a créé de nouvelles
opportunités pour renforcer le partenariat entre le Conseil de l’Europe
et l’Union européenne, et a ouvert la perspective de l’adhésion
de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme,
ainsi qu’à d’autres conventions et mécanismes de notre Organisation.
Dans ce contexte, l’Assemblée devrait encourager vivement l’Union européenne
à pleinement profiter de ces opportunités afin d’avancer vers une
Europe véritablement unie sur la base des mêmes valeurs et s’appuyant
sur les mêmes normes. Un véritable partenariat stratégique entre l’Union
européenne et le Conseil de l’Europe devrait être l’un des objectifs
principaux de la réforme de ce dernier et l’Assemblée devrait appeler
le Secrétaire général du Conseil de l'Europe à œuvrer à cette fin.
Pour sa part, l’Assemblée devrait renforcer substantiellement sa
coopération avec le Parlement européen, y compris par le biais de
l’organe informel conjoint Parlement européen/Assemblée parlementaire
dont la création vise à coordonner la communication d’informations
dans le contexte notamment de l’adhésion de l’Union européenne à
la Convention européenne des droits de l’homme. Je souligne également
l’intérêt que peuvent aussi présenter des relations plus étroites
entre les groupes politiques des deux assemblées parlementaires européennes.
67. Ma ferme conviction est que l’Assemblée doit suivre de près
les prochaines phases de réforme de l’Organisation et contribuer,
encore davantage, par toutes ses activités, à ce que le Conseil
de l’Europe reste une institution de référence dans les domaines
de ses compétences clés et un moteur de coopération paneuropéenne
pluridimensionnelle dans d’autres secteurs de ses activités. L’Assemblée
devrait enfin examiner périodiquement et de façon approfondie les
activités et les programmes du Conseil de l’Europe afin d’en évaluer
la pertinence politique, et devrait être consultée sur les choix
des priorités ainsi que sur le non-renouvellement de certaines activités.