1. Introduction
1. A la fin de l’année 2009, la présidente de la commission
des questions sociales, de la santé et de la famille d’alors, Mme
Christine McCafferty, et 11 autres parlementaires ont déposé une
proposition de résolution sur les testaments de vie et la protection
de la santé et des droits de l’homme. Cette proposition s’efforce
de préciser si une personne a le droit de décider de commencer,
de poursuivre ou d’arrêter un traitement médical et quels peuvent
être les usages, les avantages et les limites des «testaments de
vie», dans la perspective de mieux protéger la santé et les droits
humains à tous les stades de la vie.
2. J’ai été désigné comme rapporteur sur cette question à la
suite de son renvoi à la commission des questions sociales, de la
santé et de la famille pour rapport en 2010. J’ai présenté un schéma
de rapport à la commission en janvier 2011 et une audition sur ce
thème a eu lieu lors de la réunion de la commission en mai 2011,
avec la participation de quatre experts
.
Tenant compte de l’avis des experts lors de l’audition, la commission
a accepté, le 16 septembre 2011, ma proposition de changer le titre
afin d’utiliser l’expression générique «souhaits précédemment exprimés»
par
les patients, quelle que soit la forme qu’ils revêtent: «testaments
de vie», directives anticipées, procurations permanentes, etc.
3. Le Conseil de l’Europe est très actif dans le domaine des
traitements médicaux dans les situations de fin de vie. Plusieurs
textes ont déjà été adoptés en la matière (par ordre chronologique):
- Convention pour la protection
des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard
des applications de la biologie et de la médecine: Convention sur
les droits de l’homme et la biomédecine (Convention d’Oviedo, STE no 164),
1997;
- la Recommandation Rec(2003)24 du Comité des Ministres
sur l’organisation des soins palliatifs;
- la Recommandation CM/Rec(2009)11 du Comité des Ministres
sur les principes concernant les procurations permanentes et les
directives anticipées ayant trait à l’incapacité.
4. Les 30 novembre et 1er décembre 2010, la Division de la bioéthique
du Conseil de l’Europe a organisé un symposium sur le processus
décisionnel en matière de traitements médicaux dans les situations
de fin de vie, auquel le vice-président de la commission, M. Bernard
Marquet, a participé.
5. Au niveau de l’Assemblée parlementaire, il est apparu plus
difficile de parvenir à un consensus sur ces questions. Bien qu’il
y ait eu plusieurs débats au fil des ans (dont l’un sur l’euthanasie
en 2003 et un autre sur l’assistance aux patients en fin de vie
en 2005), l’Assemblée n’a adopté en la matière qu’une seule résolution et
une seule recommandation ces quinze dernières années:
- la Recommandation 1418 (1999) sur la protection des droits de l’homme et de la dignité
des malades incurables et des mourants;
- la Résolution
1649 (2009) «Les soins palliatifs: un modèle pour des politiques
sanitaires et sociales novatrices».
6. Je n’ai certainement pas l’intention de réinventer la roue
ni de rouvrir le débat sur l’euthanasie ou le suicide assisté. Je
me concentrerai plutôt sur la façon dont les testaments de vie,
les procurations permanentes et/ou les directives anticipées ayant
trait à l’incapacité peuvent contribuer à répondre aux questions
soulevées par Mme McCafferty et d’autres collègues dans la proposition
de résolution. Je pense structurer mon rapport de la façon suivante:
après m’être efforcé de donner des définitions et d’évoquer le consensus
dégagé au sujet des principes qui sous-tendent les directives anticipées,
je présenterai la réglementation internationale existante (celle
du Conseil de l’Europe) avant de présenter la situation au niveau national
en partant notamment des exposés du professeur Andorno et de Mme
Erny lors de l’audition de Paris. Je m’arrêterai alors sur les problèmes
principaux restants, avant de donner mes conclusions et recommandations.
2. Définitions
7. La notion de «testament de vie», de «document d’instructions
préalables» ou de «directives anticipées» renvoie à un document
écrit dans lequel un majeur capable exprime librement à l’avance
sa volonté afin qu’elle puisse être prise en compte dans des situations
où il ne peut plus s’exprimer lui-même (ayant été privé de la capacité
juridique ou ayant perdu conscience par exemple). Les directives
anticipées (j’emploierai désormais cette expression) peuvent porter
sur les types de soins et de traitements que la personne aimerait
recevoir de son vivant (y compris dans des situations de fin de
vie) et aussi sur l’usage de son corps et de ses organes une fois
qu’elle sera décédée. Ainsi, la personne en question peut indiquer
si elle souhaite faire don de ses organes et, dans l’affirmative,
lesquels elle souhaite donner, si elle veut être enterrée ou incinérée
et quel type de cérémonie, religieuse ou non, elle désire. Dans
le présent rapport, je souhaiterais mettre l’accent sur les directives
anticipées dans le domaine des soins de santé et des traitements
.
8. La personne qui rédige la directive anticipée peut aussi désigner
un(e) représentant(e) qui sera chargé(e) d’informer les médecins
ou l’équipe médicale de sa volonté lorsqu’elle ne sera plus capable
de l’exprimer elle-même (ce que l’on qualifie généralement de «procuration
permanente»). La désignation d’un mandataire est importante à la
fois pour veiller au respect des instructions de la personne qui
a rédigé le document et pour prendre des décisions qui ne sont pas
expressément énoncées dans le document, conformément à la volonté
du mandant et à ses valeurs. Par conséquent, le/la représentant(e),
parent(e) ou non du mandant, doit très bien connaître la personne
qui signe le «testament de vie», car c’est lui ou elle qui agira
en qualité de suppléant(e) pour la prise de toutes les décisions
médicales requises après avoir été informé(e) par les médecins.
3. Consensus sur les
principes
9. Ainsi que je l’ai expliqué précédemment, il est capital
pour moi de souligner qu’il ne faut pas relancer un débat sur des
questions pour lesquelles un large consensus a déjà été trouvé.
C’est pourquoi je tiens à citer ici la synthèse réalisée par Mme
Erny concernant le large consensus sur les principes qui sous-tendent
les directives anticipées:
«Sur
le plan juridique, il est clair pour tous que les directives anticipées
trouvent leur fondement dans l’application:
– du principe d’autonomie dégagé par la Cour européenne
des droits de l’homme pour l’application de l’article 8 de la Convention
européenne des droits de l’homme relatif au droit à la vie privée;
il ne peut y avoir intervention sur la personne sans son consentement;
– du principe de primauté de la personne et plus précisément
du principe du consentement consacrés par les articles 2 et 5 de
la Convention sur la biomédecine.
Il découle de ces principes que le patient ne doit pas
être instrumentalisé et sa volonté, quand elle est clairement exprimée,
doit l’emporter même s’il s’agit d’un refus de traitement: nul ne
peut être contraint de subir un traitement médical contre sa volonté.
Le consentement, principe fondateur du champ des droits des patients
et de la bioéthique, est l’expression première du principe d’autonomie.
En conséquence, dans les situations de fin de vie, tant
que le patient peut exprimer sa volonté, il doit être associé aux
décisions qui déterminent ses traitements et leur adaptation; il
peut demander leur limitation voire leur arrêt; aucune intervention
ne peut être pratiquée, aucun traitement ne peut lui être administré
contre sa volonté, même si l’abstention engage le pronostic vital.
Le droit au retrait est en effet le corollaire du principe du consentement.»
4. Réglementation
élaborée dans le cadre du Conseil de l’Europe
10. Le Conseil de l’Europe a élaboré une réglementation
plus concrète sur la base de ce large consensus
. Je
vais en présenter brièvement le contenu ci-dessous.
11. La Convention d’Oviedo, qui est, à ma connaissance, le seul
instrument juridiquement contraignant dans ce domaine qui soit ratifié
par la plupart des Etats membres
,
prévoit, à son article 9 sur les «souhaits précédemment exprimés»,
que:
«Les souhaits précédemment
exprimés au sujet d’une intervention médicale par un patient qui,
au moment de l’intervention, n’est pas en état d’exprimer sa volonté
seront pris en compte.»
12. Le rapport explicatif de la convention explique l’article
en ces termes:
«60. Tandis que
l’article 8 dispense du consentement dans les situations d’urgence,
le présent article vise le cas où une personne douée de discernement
a exprimé par anticipation son consentement, entendu comme assentiment
ou comme refus, pour des situations prévisibles où elle ne serait
pas à même de se prononcer sur l’intervention.
61. L’article ne recouvre donc pas uniquement les situations
d’urgence, visées à l’article 8, mais aussi les autres hypothèses
où la personne a prévu la possibilité de se trouver dans l’incapacité
de consentir valablement, par exemple dans les cas de maladie progressive
telle la démence sénile.
62. L’article prévoit que, lorsque la personne a ainsi
fait connaître par avance ses souhaits, ceux-là doivent être pris
en compte. Cependant, la prise en compte des souhaits précédemment
exprimés ne signifie pas que ceux-ci devront être nécessairement
suivis. Ainsi, par exemple, lorsque ces souhaits ont été exprimés
très longtemps avant l’intervention et que les conditions scientifiques
ont évolué, il peut être justifié de ne pas suivre l’opinion du
patient. Le praticien doit donc, dans la mesure du possible, s’assurer
que les souhaits du patient s’appliquent à la situation présente
et sont toujours valables, compte tenu notamment de l’évolution
des techniques médicales.»
13. Ainsi que Mme Erny l’a souligné lors de l’audition,
il ressort du rapport explicatif que les auteurs de la convention
ne souhaitaient pas donner une portée contraignante au dispositif
dans tous les cas: «Les souhaits seront “pris en compte” par le
médecin; si celui-ci doit obligatoirement s’en enquérir, ils ne
s’imposent à lui que pour autant qu’ils répondent à la situation
présente et à l’intérêt du malade. Il existe donc une marge d’appréciation
afin que l’instrument ne se retourne pas contre le malade et s’applique
de manière appropriée et actualisée. Les “vœux précédemment exprimés”
sont donc dans la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine
un indicateur de la volonté du malade pour le médecin qu’il ne peut
négliger, mais il garde la possibilité de réévaluer les souhaits
de la personne au regard de la situation concrète qui se présente
et notamment des progrès de la médecine. La disposition de l’article
9 ne s’oppose cependant pas à ce que des Etats organisent de véritables
testaments de vie de portée contraignante.»
14. Par la suite, le Comité des Ministres est allé plus loin que
les auteurs de la convention. Il a défini, dans sa Recommandation
CM/Rec(2009)11, des lignes directrices sur les procurations permanentes
et les directives anticipées en cas d’incapacité. Ce texte recommande
avant tout aux gouvernements des Etats membres «de promouvoir l’autodétermination
pour des majeurs capables par l’introduction de la législation sur les
procurations permanentes et les directives anticipées ou par l’amendement
de la législation existante en vue de la mise en œuvre des principes
contenus dans l’annexe à la présente recommandation».
15. Dans l’annexe à la recommandation, le Comité des Ministres
a formulé un certain nombre de principes qui couvrent le contenu,
la forme, l’établissement et la révocation des procurations permanentes
(ainsi que son rôle et le système de contrôle), et le contenu, les
effets, la forme et la révocation des directives anticipées. Je pense
que les points suivants sont essentiels, c’est pourquoi, je tiens
à les mettre en valeur ici.
En ce qui concerne le champ d’application
- Principe 1: «1. Les Etats devraient
encourager l’autodétermination des majeurs capables en prévision de
leur éventuelle incapacité future par des procurations permanentes
et des directives anticipées. 2. Conformément aux principes d’autodétermination
et de subsidiarité, les Etats devraient envisager que ces mesures
aient priorité sur les autres mesures de protection.»
En ce qui concerne les procurations
permanentes
- Principe
8: «Les Etats devraient envisager l’introduction de systèmes de
certification, d’enregistrement et/ou de notification au moment
de l’établissement de la procuration permanente, de sa révocation,
de son entrée en vigueur ou de son arrivée à terme.»
- Principe 12: «1.
Le mandant peut désigner un tiers pour contrôler le mandataire.
2. Les Etats devraient envisager l’introduction d’un système de
contrôle parlequel une autorité
compétente pourrait être habilitée à enquêter. Lorsque le mandataire
n’agit pas conformément à la procuration permanente, ou dans l’intérêt
du mandant, l’autorité compétente devrait pouvoir intervenir. (…)»
En ce qui concerne les directives
anticipées
- Principe
15: «1. Les Etats devraient décider de l’éventuel caractère contraignant
des directives anticipées. Les directives anticipées non contraignantes
devraient être considérées comme l’expression de souhaits à prendre
dûment en compte. 2. Les Etats devraient aborder la question des
situations survenant en cas de changement substantielde circonstances.»
- Principe 16: «1. Les Etats devraient considérer si les
directives anticipées ou certaines catégories d’entre elles doivent,
pour avoir un caractère contraignant, être établies ou enregistrées
sous forme écrite. 2. Les Etats devraient considérer si la validité
et l’efficacité de ces directives anticipées peuvent être subordonnées
à d’autres dispositions et mécanismes.»
- Principe 17: «Une directive anticipée doit être révocable
à tout moment et sans formalité.»
16. Pour sa part, l’Assemblée a communiqué en 1999 ses
recommandations au Comité des Ministres dans la Recommandation 1418
(1999) sur la protection des droits de l’homme et de la dignité
des malades incurables et des mourants, y compris leur «droit à
l’autodétermination» (voir le paragraphe 9). L’Assemblée a demandé
au Comité des Ministres d’encourager les Etats membres du Conseil
de l’Europe à prendre les mesures nécessaires:
- «pour que – sauf refus de l’intéressé
– les malades incurables et les mourants reçoivent un traitement antidouleur
et des soins palliatifs adéquats, même si le traitement appliqué
peut avoir pour effet secondaire de contribuer à abréger la vie
de la personne en cause;
- pour donner effet au droit des malades incurables et des
mourants à une information vraie et complète, mais communiquée avec
compassion, sur leur état de santé, en respectant le désir que peut
avoir une personne de ne pas être informée;
- pour qu’aucun malade incurable ou mourant ne reçoive de
traitement contre sa volonté, tout en veillant à ce que l’intéressé
ne subisse ni l’influence ni les pressions de tiers. Il convient
en outre de prévoir des sauvegardes pour que cette volonté ne résulte
pas de pressions économiques;
- pour faire respecter les instructions ou la déclaration
formelle (living will) rejetant
certains traitements médicaux, respectivement données ou faite par
avance par des malades incurables ou des mourants désormais incapables
d’exprimer leur volonté. Il convient en outre de veiller à ce que
les critères de validité relatifs à la portée des instructions données
par avance ainsi que ceux concernant la nomination et les pouvoirs
des représentants légaux des intéressés soient dûment définis. De
même, il faut s’assurer que le représentant légal ne prend, à la
place de l’intéressé, des décisions fondées sur des déclarations
préalables du malade ou des présomptions de volonté, que si ce dernier
n’a pas exprimé directement sa volonté dans les circonstances mêmes
de sa maladie ou s’il n’y a pas de volonté clairement définie. Dans
ce contexte, il doit toujours y avoir un rapport manifeste avec
les déclarations faites par la personne en question peu de temps
avant le moment où la décision doit être prise, plus précisément
lorsque le malade est mourant, et dans des conditions appropriées,
c’est-à-dire sans pressions ni déficience mentale. Il faut également
bannir toute décision qui reposerait sur des jugements de valeur
générale en vigueur dans la société et veiller à ce qu’en cas de
doute la décision soit toujours en faveur de la vie et de la prolongation
de la vie;
- pour que, sans préjudice de la responsabilité thérapeutique
ultime du médecin, la volonté exprimée par un malade incurable ou
un mourant en ce qui concerne une forme particulière de traitement
soit prise en compte, pour autant qu’elle ne porte pas atteinte
à sa dignité d’être humain;
- pour qu’en l’absence d’instructions anticipées ou de déclaration
formelle il ne soit pas porté atteinte au droit à la vie du malade.
Il convient de dresser la liste des traitements qui ne peuvent en
aucun cas être refusés ou interrompus.»
17. Dix ans plus tard, l’Assemblée reconnaissait, dans sa Résolution
1649 (2009) sur les soins palliatifs: un modèle pour des politiques
sanitaires et sociales novatrices, «que toute intervention médicale
trouve ses limites dans l’autonomie du patient, dans la mesure où
celui-ci exprime sa volonté de renoncer à un traitement curatif
ou lorsque, indépendamment de toute évaluation médicale de son état
de santé, il l’exprime clairement, par exemple dans un testament
de vie»
. En ce qui concerne l’encadrement
législatif des testaments de vie, elle recommandait «de s’abstenir
de mettre en place des mécanismes juridiques risquant de créer des problèmes
d’interprétation dans la pratique» et «de procéder à une évaluation
exhaustive des conséquences juridiques, parmi lesquelles d’éventuels
effets secondaires juridiques tels que la responsabilité financière
(“les soins en tant que préjudice pécuniaire”)»
.
5. Réglementation
au niveau national: aperçu général et exemple de l’Espagne
5.1. Aperçu général
18. Selon le professeur Andorno, la situation en Europe
est très variable, depuis l’absence de toute législation sur les
directives anticipées, jusqu’à des textes de loi spécifiques aux
effets contraignants. Le professeur Andorno distingue quatre groupes
de pays (catégories, suivies par quelques exemples):
- «Les pays où des lois spécifiques
ont été adoptées rendant les directives avancées juridiquement contraignantes
(Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, Hongrie, Pays-Bas,
Suisse, Royaume-Uni);
- les pays où des lois spécifiques sur cette question ont
été adoptées ces dernières années bien que ces documents ne soient
pas juridiquement contraignants (France);
- les pays où il n’existe encore aucune loi spécifique,
mais qui envisagent de les promulguer dans les cinq prochaines années
(Italie);
- les pays où il n’existe encore aucune loi spécifique et
qui n’ont pas de projets concrets pour les promulguer ces prochaines
années (Bulgarie, Grèce, Lituanie, Norvège, Portugal, Serbie, Slovaquie, Turquie).» .
19. Même dans les pays ayant adopté des lois spécifiques qui rendent
les directives anticipées juridiquement contraignantes, les lois
et leurs spécifications exactes diffèrent, de même que le degré
de leur mise en œuvre. Cela pourrait être une question de culture
– le professeur Andorno a noté que les approches nationales variaient
selon le degré d’autonomie des patients, qui jouait un rôle prépondérant
dans certains pays, tandis que d’autres se fondaient sur des structures
de décisions plus «paternalistes»
. Cependant, cela pourrait aussi être dû
à des normes différentes de prise en charge dans les Etats membres,
liées à leurs disparités de niveau de vie – le professeur Butenko
a souligné par exemple qu’il n’y avait pas pour l’instant de législation
concernant les testaments de vie en Ukraine en raison essentiellement
du peu d’intérêt que suscite cette question alors que la plupart
des habitants sont avant tout préoccupés par l’accès aux services
de base dans le contexte du système de santé actuel, qui est déficient
dans le pays
.
5.2. Espagne
20. Etant donné que je connais fort bien la réglementation
espagnole dans ce domaine, je souhaiterais la présenter ici comme
exemple de «bonnes pratiques» (qui cependant pourraient naturellement
être encore améliorées). Selon les lois qui régissent le testament
de vie en Espagne, les directives anticipées qui sont contraires
à la loi ou aux bonnes pratiques ou bien celles qui ne correspondent
pas à la situation de fait, telle que l’intéressé(e) l’avait prévue
au moment de la signature du document, ne sont pas valables. A ma connaissance,
cette disposition figure dans l’ensemble des lois des pays qui ont
rendu les directives anticipées juridiquement contraignantes
.
21. Au sujet de ces restrictions, il est important de signaler
que, même si, au moment de la signature du testament de vie, certaines
clauses ne sont pas applicables ou légales, elles peuvent le devenir
ultérieurement. Par conséquent, la personne qui signe un testament
de vie peut y inclure des souhaits et des demandes qui ne peuvent
pas être satisfaites au moment de la signature mais pourraient l’être
dans l’avenir.
22. Pour que le testament de vie soit accessible à l’ensemble
du corps médical, il est impératif de l’enregistrer afin qu’il figure
sur un registre national et de l’insérer dans le dossier clinique
de la personne qui l’a signé. En outre, un testament de vie peut
toujours être révoqué par la personne qui l’a signé dans les mêmes conditions
que lors de la signature.
23. En Espagne, un testament de vie peut être établi de trois
manières:
a. devant un notaire; dans
ce cas, la présence de témoins n’est pas nécessaire;
b. devant trois témoins majeurs et capables; parmi ces trois
témoins, deux d’entre eux au moins ne peuvent pas être des parents
de la personne concernée (jusqu’aux cousins compris) et ne peuvent
avoir aucune relation patrimoniale avec elle;
c. devant un fonctionnaire gouvernemental (qui est normalement
affecté au Registre des testaments de vie de la région autonome
concernée); la présence de témoins n’est pas non plus nécessaire
dans ce cas.
24. La participation directe de professionnels de la santé n’est
pas obligatoire en Espagne
.
6. Autres défis
25. Un récent bulletin du bureau régional de l’Organisation
mondiale de la santé (OMS) pour l’Europe
sur les soins palliatifs pour les
personnes âgées explique que «les personnes âgées peuvent avoir
intérêt à faire des déclarations anticipées, notamment pour réduire
le poids des décisions à prendre pesant sur leur famille, mais elles
sont aussi préoccupées par la confusion de ces déclarations avec
l’euthanasie; l’éventualité que la préférence en matière de prise
en charge change; les réticences à penser à la mort; et le temps
nécessaire pour que les personnes âgées fassent suffisamment confiance
aux professionnels pour parler de ces questions délicates. Certains
s’alarment aussi que les déclarations concernent presque toujours
l’interruption d’un traitement plutôt que l’affirmation de choix
actifs, ce qui pourrait favoriser les préjugés contre l’âge et le handicap.
Certains médecins ne connaissent pas bien le statut des directives
anticipées, ce qui peut les conduire à mal les appliquer ou à ne
pas en tenir compte».
26. Je pense que c’est là un assez bon résumé des problèmes restants.
Permettez-moi d’en examiner une par une les implications:
6.1. Sensibilisation
aux directives anticipées
27. Quelle que soit la forme qu’elles revêtent (testaments
de vie, procurations permanentes, etc.), les directives anticipées
sont dans l’intérêt des intéressés, depuis le patient (qui peut
ainsi faire en sorte que les souhaits qu’il a exprimés précédemment
soient pris en considération) et les proches (pour alléger le poids
des décisions à prendre dans des circonstances très émouvantes)
jusqu’au médecin (qui peut adapter le traitement et la prise en
charge aux souhaits exprimés au préalable par le patient). Ce ne
sont donc pas seulement les «personnes âgées» mais tout un chacun
qui devrait adopter des directives anticipées. C’est là en fait
la position officielle du Conseil de l’Europe, qui, dans la Recommandation
CM/Rec(2009)11 du Comité des Ministres, a invité les Etats à promouvoir
les procurations permanentes et les directives anticipées, et à envisager
de privilégier ces méthodes par rapport aux autres mesures de protection
conformément aux principes d’autodétermination et de subsidiarité.
6.2. Confusion avec
l’euthanasie et préoccupations liées à l’interruption du traitement
28. La confusion avec l’euthanasie est fâcheuse et –
dans la plupart des pays (les Etats membres du Conseil de l’Europe
considèrent en majorité l’euthanasie comme illégale) – erronée.
L’adoption d’une directive anticipée peut au contraire contribuer
à éviter qu’une euthanasie ne soit pratiquée sur soi contre sa volonté: en
effet, la directive anticipée peut aussi mentionner légitimement
ceci: «Je refuse que quelque chose soit réalisé ou omis par mes
médecins ou infirmières dans l’intention de m’ôter la vie.»
De même, les directives anticipées
ne sont pas axées sur l’interruption d’un traitement par opposition
aux «choix actifs»; en effet, une directive anticipée peut préciser
la préférence du patient pour un traitement de suppléance vitale
(et quel type de traitement) dans différentes circonstances. De
même, la préférence peut être conditionnelle (c’est-à-dire acceptée
à condition de contribuer à améliorer l’état de santé) ou refusée.
Il est nécessaire d’avoir une discussion plus ouverte sur les situations
de fin de vie en général dans le cadre d’un grand débat plus éclairé sur
les directives anticipées au sein de la classe politique et du grand
public afin de mettre fin à la confusion avec l’euthanasie.
6.3. Prise en considération
de l’évolution des préférences en matière de soins
29. Il importe que la législation sur les directives
anticipées prévoie que les préférences d’une personne/ d’un patient
puissent évoluer dans le temps et qu’elle permette de les modifier
(pour autant que le patient reste capable de prendre des décisions
). C’est
là la position officielle du Conseil de l’Europe, qui, dans la Recommandation
CM/Rec(2009)11 du Comité des Ministres, a énoncé le principe selon
lequel «une directive anticipée doit être révocable à tout moment
et sans aucune formalité»
. En fait, l’auteur d’une directive anticipée
doit être invité à réexaminer la directive à intervalles réguliers,
par exemple une fois par an
.
6.4. Confiance envers
les professionnels, statut juridique et bonne application des directives anticipées
30. Dans une culture patriarcale et/ou paternaliste où
«c’est le médecin qui sait ce qui convient», les patients – notamment
les femmes – ne sont parfois même pas informés par leur médecin
ou par leurs proches qu’ils ont une maladie en phase terminale.
Un abîme sépare ce type de culture de l’état d’esprit qui permet
au patient de faire des choix actifs sur ce que seront son traitement
et sa prise en charge s’il est inconscient ou incapable d’exprimer
ce qu’il souhaite. Cependant, le consentement global et éclairé
à un traitement médical est une condition préalable pour que celui-ci
ne soit pas une violation de droits fondamentaux. Il ne faut pas
laisser la culture interférer avec le respect des droits humains.
C’est pourquoi il est capital que tous les Etats membres du Conseil
de l’Europe qui ne l’ont pas encore fait élaborent une feuille de
route pour parvenir à réglementer les directives anticipées, ainsi
que le professeur Butenko l’a proposé lors de l’audition
.
31. Il est également important que les professionnels de santé
et autres (par exemple, les juristes ou les fonctionnaires) qui
sont consultés sur les directives anticipées soient dûment formés
pour le faire correctement. De même, les professionnels qui sont
appelés à appliquer les directives doivent bien connaître leur statut juridique
et la façon de les appliquer à bon escient. Idéalement, il vaudrait
mieux que les directives anticipées permettent de prendre pleinement
en considération les souhaits exprimés précédemment par les patients
dans le cadre d’un dialogue avec le personnel soignant et les proches:
pour ce faire, il faut avoir confiance dans les professionnels.
6.5. Rendre les directives
anticipées compréhensibles et accessibles
32. L’OMS n’évoque pas un aspect que, personnellement,
je trouve essentiel: la nécessité de rendre les directives anticipées
«compréhensibles» et accessibles. Aux Etats-Unis, le pourcentage
de personnes qui élaborent des directives anticipées est bien plus
élevé que dans les pays européens – ce peut être à la fois une question
culturelle et être dû au degré de prise en charge, mais cela peut
aussi résulter, semble-t-il, d’un modèle dominant de directive anticipée
(«Cinq volontés»), élaboré par une organisation non gouvernementale. Le
formulaire (qui coûte cinq dollars) existe en plusieurs langues
et sous diverses formes. Il peut être complété en ligne et sur un
imprimé. Il est rédigé dans un style facile à comprendre, ce qui
le rend accessible au plus grand nombre. Il n’est peut-être pas
aussi élaboré sur le plan juridique que le modèle proposé par le
ministère fédéral allemand de la Justice, par exemple, mais il me
semble que la multiplication de formulaires entre lesquels il est
difficile de choisir (comme en Espagne, où il y en a plusieurs pour
les 17 régions autonomes) a un effet dissuasif pour ceux qui seraient
tentés de rédiger des directives anticipées, de même que quand ils doivent
s’acquitter de frais trop élevés pour ce faire.
33. Une fois qu’une directive anticipée a été rédigée, il importe
de pouvoir la consulter immédiatement si nécessaire. La question
de l’enregistrement de ces directives conditionne donc aussi celle
de l’accessibilité: personnellement, j’aime bien le modèle espagnol
de registres publics régionaux – qui pourrait (ou devrait peut-être)
être complété par un registre national.
7. Conclusions
et recommandations
34. On s’accorde à penser, sur la base de l’article 8
de la Convention européenne des droits de l’homme concernant le
droit au respect de la vie privée, qu’aucune intervention ne peut
être pratiquée sur une personne sans qu’elle ait donné son consentement.
De ce droit fondamental découlent les principes d’autonomie personnelle
et de consentement en vertu desquels le patient ne doit pas être
manipulé et, si sa volonté est clairement exprimée, elle doit prévaloir
même si cela signifie le refus d’un traitement: nul ne peut être
contraint de subir un traitement médical contre sa volonté.
35. Le Conseil de l’Europe a incorporé ce principe dans la Convention
d’Oviedo, qui oblige juridiquement la plupart des Etats membres.
La convention tient aussi compte de la situation où le patient ne
peut plus exprimer sa volonté, car elle prévoit que les souhaits
précédemment exprimés au sujet d’une intervention médicale par un
patient qui, au moment de l’intervention, n’est pas en état d’exprimer
sa volonté «seront pris en compte». Ces souhaits peuvent être formalisés
par les directives anticipées, les testaments de vie ou les procurations permanentes.
En 2009, le Comité des Ministres a recommandé aux Etats membres
d’encourager ces instruments et a défini un certain nombre de principes
pour aider les Etats membres à les réglementer.
36. Cependant, la situation réelle varie beaucoup en Europe, depuis
l’absence totale de législation sur les directives anticipées jusqu’à
des textes de loi spécifiques qui donnent à celles-ci un caractère
contraignant. Même quand il y a une législation spécifique, elle
n’est pas toujours pleinement mise en œuvre et le «recours» aux
directives anticipées, aux testaments de vie et/ou aux procurations
permanentes reste en général limité.
37. Il me semble que le Conseil de l’Europe a eu raison de promouvoir
ces instruments, qui permettent de protéger les droits humains et
la dignité de la personne en tenant compte des souhaits précédemment exprimés
par les patients. Toutefois, il est manifestement nécessaire de
les populariser. Il faut qu’un nombre plus important de pays ratifient
la Convention d’Oviedo et appliquent la Recommandation CM/Rec(2009)11,
et que tous les pays examinent leur législation afin de l’améliorer
s’il y a lieu. J’espère donc que l’Assemblée parlementaire saura
jouer un rôle déterminant en ce sens.