Imprimer
Autres documents liés

Rapport | Doc. 12814 | 09 janvier 2012

Le fonctionnement des institutions démocratiques en Ukraine

Commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)

Corapporteur : Mme Mailis REPS, Estonie, ADLE

Corapporteur : Mme Marietta de POURBAIX-LUNDIN, Suède, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Résolution 1115 (1997). 2012 - Première partie de session

Résumé

La commission de suivi exprime son inquiétude face aux poursuites pénales engagées contre un certain nombre de membres de l’ancien gouvernement. Elle considère que les charges s’apparentent à une pénalisation post facto de décisions politiques normales. La commission considère que l’évaluation des décisions politiques et de leurs conséquences est une prérogative des parlements et, en fin de compte, de l’électorat, et non des tribunaux. Elle appelle donc les autorités ukrainiennes à retirer du Code pénal les articles qui permettent la pénalisation des décisions politiques normales et demande que toutes les charges basées sur ces articles qui pèsent sur d’anciens membres du gouvernement soient levées.

De plus, la commission considère que les nombreuses défaillances relevées dans les procédures pénales engagées contre des membres de l’ancien gouvernement peuvent avoir réduit la possibilité des accusés d’obtenir un procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. De l’avis de la commission, ces défaillances sont le résultat de déficiences systémiques du système judiciaire en Ukraine. Remédier à ces déficiences, qui ne sont pas nouvelles et préoccupent l’Assemblée parlementaire depuis longtemps, fait partie des engagements pris par l’Ukraine lors de son adhésion au Conseil de l’Europe. La commission appelle donc instamment les autorités à résoudre ces questions rapidement, conformément aux recommandations de l’Assemblée.

Concernant les élections à venir, la commission regrette que le nouveau Code électoral pour les élections législatives ne prenne pas en compte les principales recommandations de l’Assemblée et de la Commission de Venise. Elle appelle instamment les autorités à mettre en œuvre un certain nombre de recommandations importantes avant la tenue des prochaines élections. A cet égard, la commission considère que les élections législatives à venir seront un test décisif de l’engagement de l’Ukraine en faveur des principes démocratiques.

En ce qui concerne le programme de réforme des autorités ukrainiennes, la commission est préoccupée par le fait que, malgré les résultats positifs initiaux, la dynamique et la volonté politique pour mettre en œuvre ces réformes s’essoufflent. Elle invite donc instamment les autorités à mettre en œuvre rapidement les réformes qui sont nécessaires pour que l’Ukraine honore ses engagements d’adhésion et instaure une démocratie solide dans le pays.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 15 décembre
2011.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire exprime son inquiétude face aux poursuites pénales engagées aux termes des articles 364 (abus d’autorité) et 365 (outrepassement d’autorité ou de fonction) du Code pénal ukrainien contre certains membres de l’ancien gouvernement, notamment M. Iouri Loutsenko, ancien ministre de l’Intérieur, M. Valeri Ivachtchenko, ancien ministre de la Défense par intérim, M. Evgueni Kornitchouk, ancien premier vice-ministre de la Justice, ainsi que Mme Ioulia Timochenko, ancien Premier ministre.
2. L’Assemblée considère que le champ d’application des articles 364 et 365 du Code pénal ukrainien est beaucoup trop large et qu'ils permettent effectivement une pénalisation post facto de décisions politiques normales, ce qui est contraire au principe de l’Etat de droit et inacceptable. L’Assemblée invite donc instamment les autorités à retirer rapidement ces deux articles du Code pénal et à lever les charges qui pèsent sur les responsables de l’ancien gouvernement et sont fondées sur ces dispositions. L’Assemblée tient à souligner que l’évaluation des décisions politiques et de leurs conséquences est une prérogative des parlements et, en fin de compte, de l’électorat, et non des tribunaux. Elle estime que des normes internationales strictes délimitant la responsabilité pénale et politique doivent être élaborées.
3. L’Assemblée regrette les nombreuses défaillances relevées dans les procédures pénales engagées contre des membres de l’ancien gouvernement et considère qu’elles peuvent avoir réduit la possibilité des accusés d’obtenir un procès équitable au sens de l’Article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5).
4. De l’avis de l’Assemblée, ces défaillances sont le résultat de déficiences systémiques qui existent dans le système judiciaire en Ukraine. Ces déficiences ne sont pas nouvelles et préoccupent l’Assemblée depuis longtemps, notamment le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire, le recours excessif à la détention provisoire et la durée de celle-ci, le manque d’égalité des armes entre l’accusation et la défense ainsi que les arguments juridiques inappropriés fournis par l’accusation et les tribunaux dans les documents officiels et les décisions.
5. Eu égard à l’indépendance du pouvoir judiciaire, l’Assemblée:
5.1. réaffirme sa profonde inquiétude face au manque d’indépendance du pouvoir judiciaire et considère qu’il s’agit du principal défi que doit relever l’appareil judiciaire en Ukraine;
5.2. estime que la procédure actuelle de nomination des juges nuit à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Elle invite les autorités à supprimer ou, au minimum, à raccourcir considérablement la période d’essai de cinq ans prévue pour les juges et à retirer la Verkhovna Rada du processus de nomination;
5.3. estime que les juges ne devraient pas instruire d’affaires politiquement sensibles ou complexes pendant leur période d’essai;
5.4. considère que la composition du Conseil supérieur de la magistrature est contraire au principe de séparation des pouvoirs et nuit également à l’indépendance du pouvoir judiciaire. L’Assemblée demande donc que des amendements aux lois pertinentes soient adoptés afin de retirer effectivement les représentants de la Verkhovna Rada, le Président de la République et le parquet de la composition du Conseil supérieur de la magistrature. Dans l’attente de l’adoption de ces amendements, ces trois institutions devraient nommer des membres apolitiques au Conseil supérieur de la magistrature;
5.5. invite la Verkhovna Rada à adopter rapidement les amendements constitutionnels qui permettraient de retirer les dispositions empêchant l’application des recommandations de l’Assemblée mentionnées aux paragraphes 5.2 et 5.4;
5.6. exprime son inquiétude face aux nombreux rapports crédibles qui signalent que des mesures disciplinaires ont été engagées, et que des juges ont été révoqués par le Conseil supérieur de la magistrature parce que le ministère public s’est plaint que les juges en question se soient prononcés contre l’accusation dans une certaine affaire. De telles pratiques sont incompatibles avec le principe de l’Etat de droit et doivent cesser immédiatement.
6. Eu égard à la détention provisoire, l’Assemblée:
6.1. exprime son inquiétude face au recours excessif à la détention provisoire, souvent appliquée sans justification ou motifs valables, dans le système judiciaire ukrainien;
6.2. note à cet égard que la détention provisoire excessive et illégale est un des principaux motifs des arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme contre l’Ukraine;
6.3. réaffirme que, conformément au principe de présomption d’innocence, la détention provisoire ne devrait être utilisée que comme une mesure de dernier ressort lorsqu’il existe un risque patent de fuite ou de détournement de la justice;
6.4. demande aux autorités de veiller à ce que le Code de procédure pénale fournisse une procédure claire d’examen de la légalité et de la durée de la détention provisoire. En outre, des indications doivent être données pour garantir que la détention provisoire ne soit appliquée que comme une mesure de dernier ressort et uniquement sur la base d’une décision dûment motivée par un tribunal.
7. Eu égard à l’égalité des armes entre l’accusation et la défense, l’Assemblée:
7.1. note avec préoccupation que le parti pris en faveur de l’accusation est endémique dans le système judiciaire ukrainien;
7.2. demande aux autorités de veiller à ce que, dans le Code de procédure pénale, l’égalité des armes entre l’accusation et la défense soit garantie dans la loi et la pratique;
7.3. invite les autorités à s’assurer en particulier que le Code de procédure pénale indique explicitement que la défense doit obtenir une copie du dossier d’accusation et disposer d’un laps de temps suffisant pour en prendre connaissance, sous le contrôle d’un juge.
8. L’Assemblée prend note avec préoccupation des rapports qui signalent que l’état de santé de M. Iouri Loutsenko, ancien ministre de l’Intérieur, et de M. Valeri Ivachtchenko, ancien ministre de la Défense par intérim, placés actuellement en détention provisoire, se dégrade rapidement et que ces deux personnes ont besoin de soins médicaux en dehors du système carcéral. L’Assemblée demande que ces deux personnes soient libérées immédiatement pour des motifs humanitaires en attendant les conclusions de leur procès, compte tenu également de ses inquiétudes face au recours à la détention provisoire en Ukraine.
9. L’Assemblée salue le fait qu’un certain nombre de réformes importantes ont été mises en œuvre, notamment dans le domaine de l’intégration de l’économie ukrainienne dans l’espace économique européen. Ceci souligne l’importance donnée par les autorités à une plus grande intégration européenne du pays.
10. L’Assemblée réaffirme sa position selon laquelle il ne sera pas possible de mettre en œuvre les réformes que l’Ukraine doit entreprendre pour honorer ses engagements envers le Conseil de l’Europe sans réformer au préalable la Constitution actuelle. Elle invite donc le Président et la Verkhovna Rada à engager rapidement un processus complet de réforme constitutionnelle sans attendre la fin des prochaines élections législatives. L’Assemblée se félicite de l’avis positif donné par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) à la proposition visant à instituer une assemblée constitutionnelle dont elle espère qu'elle sera à la base du processus de réforme de la Constitution. De plus, l’Assemblée appelle instamment les autorités à tirer pleinement parti des recommandations formulées dans les avis de la Commission de Venise sur de précédents projets de réforme constitutionnelle.
11. L’Assemblée salue le fait que les autorités demandent systématiquement l’avis de la Commission de Venise sur les projets de loi qu’elles préparent. Cependant, elle note qu’à plusieurs occasions, les projets de loi pour lesquels des avis ont été demandés ont par la suite été retirés et que les recommandations de la Commission de Venise n’ont pas été prises en compte dans les lois adoptées en fin de compte par la Verkhovna Rada. L’Assemblée appelle donc instamment les autorités à tenir pleinement compte des avis de la Commission de Venise lors de la préparation de nouvelles lois, y compris pour ce qui est de projets antérieurs portant sur ce même sujet. Dans ce contexte, l’Assemblée s’attend à ce que les avis positifs donnés sur les projets de loi – préparés par la Commission présidentielle pour le renforcement de la démocratie – sur l’ordre des avocats, sur la liberté de réunion et sur l’assemblée constitutionnelle soient pris en considération dans les projets de loi qui sont envoyés à la Verkhovna Rada pour adoption.
12. L’Assemblée prend note de l’adoption, le 17 novembre 2011, de la Loi sur l’élection des députés du peuple d’Ukraine. Tout en se félicitant qu’un certain nombre de ses préoccupations précédentes aient été prises en compte, l’Assemblée regrette que ses principales recommandations, notamment l’adoption d’un code électoral unifié et l’adoption d’un système électoral régional proportionnel, n’aient pas été mises en œuvre. Eu égard à la nouvelle législation électorale, l’Assemblée:
12.1. souligne que l’adoption de cette loi relative aux élections législatives ne doit pas être un prétexte pour ne pas adopter un code électoral unifié, qui reste nécessaire pour que toutes les élections organisées en Ukraine s’inscrivent dans un cadre juridique cohérent pleinement conforme aux normes européennes;
12.2. craint que le relèvement à 5% du seuil requis pour les élections proportionnelles ainsi que l’interdiction pour les partis de former des blocs électoraux pour se présenter aux élections ne réduisent la possibilité aux partis plus petits ou récents d’entrer au parlement. L’Assemblée craint que ces dispositions réduisent le pluralisme et renforcent la polarisation au nouveau parlement. Elle recommande que le seuil soit abaissé et que l’interdiction de former des blocs électoraux soit retirée de la législation électorale avant les prochaines élections législatives;
12.3. regrette le maintien dans cette loi des dispositions qui limitent le droit de se présenter à une élection de toute personne condamnée pour un délit, quelle que soit sa gravité, et demande que des amendements constitutionnels soient adoptés rapidement pour que ces dispositions soient retirées de la législation électorale;
12.4. demande aux autorités de mettre pleinement en œuvre les recommandations du Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe concernant le financement des partis politiques.
13. L’Assemblée considère que les prochaines élections législatives seront un test décisif de l’engagement de l’Ukraine en faveur des principes démocratiques. L’Assemblée est d’avis qu’une observation internationale de ces élections contribuera considérablement à leur conduite démocratique. Elle estime qu’elle devrait y contribuer en s’appuyant sur une importante délégation.
14. L’Assemblée note que plusieurs engagements d’adhésion importants n’ont pas encore été honorés bien que l’Ukraine ait adhéré au Conseil de l’Europe en 1995, il y a presque 17 ans. Les gouvernements successifs, ainsi que la Verkhovna Rada et ses groupes politiques, partagent la responsabilité de cet échec. Dans sa Résolution 1755 (2010), l’Assemblée s’était félicitée du programme de réforme ambitieux des autorités en vue d’honorer les engagements d’adhésion restants. Malgré les résultats positifs initiaux dans plusieurs domaines, l’Assemblée est préoccupée par les signaux qui indiquent que la dynamique et la volonté politique nécessaires pour mettre en œuvre ces réformes s’essoufflent. L’Assemblée invite donc instamment les autorités, ainsi que toutes les forces politiques du pays, à mettre en œuvre rapidement les réformes qui sont nécessaires pour que l’Ukraine honore ses engagements d’adhésion et instaure une démocratie solide dans le pays.

B. Exposé des motifs, par Mme Reps et Mme de Pourbaix-Lundin, corapporteures

(open)

1. Introduction

1. Le dernier débat de l’Assemblée parlementaire sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Ukraine a eu lieu dans le sillage des élections présidentielles de janvier 2010 – qui ont entraîné un changement de pouvoir – à l’occasion de l’adoption, le 20 octobre 2010, de la Résolution 1755 (2010). Depuis, nous nous sommes rendus en Ukraine à intervalles réguliers pour nous tenir informés de l’évolution de la situation politique locale, avec l'intention de produire un rapport complet sur le respect des engagements et des obligations de l’Ukraine au début de 2011.
2. Cependant, depuis l’adoption de la Résolution 1755 (2010), de nombreux rapports et allégations donnent à penser que les libertés individuelles et les droits démocratiques ont été piétinés dans le pays. Ces informations semblent malheureusement s’inscrire dans la continuité d’une tendance que nous avons déjà commentée dans notre dernier rapport, dans lequel nous nous inquiétions des comptes rendus et allégations faisant état de pressions sur les droits et libertés démocratiques en Ukraine.
3. Les allégations relatives à une érosion du respect des droits individuels et des libertés démocratiques en Ukraine ont été renforcées par les procès intentés contre un certain nombre de responsables de l’ancien gouvernement, notamment l’ancien Premier ministre Ioulia Timochenko. Ces procès, qualifiés de politiques et de revanchards par l’opposition, soulèvent un certain nombre de questions quant à la sélectivité de la justice et la pénalisation des décisions politiques.
4. Les procès intentés contre des membres de l’ancien gouvernement ont été suivis par plusieurs observateurs nationaux et internationaux. Leurs conclusions ont montré clairement que ces procès avaient été entachés de nombreuses et graves irrégularités dues aux défaillances du système de la justice pénale. Les problèmes liés au système et aux pouvoirs judiciaires en Ukraine ont été signalés dans plusieurs rapports de suivi de l’Assemblée et leur résolution fait partie des engagements d’adhésion de l’Ukraine au Conseil de l’Europe. Toutefois, aucun des gouvernements ukrainiens successifs n’a pris jusqu’ici de véritables mesures pour corriger ces défaillances.
5. Le 4 octobre 2011, la commission de suivi a examiné la situation en Ukraine du point de vue des procès intentés contre des membres de l’ancien gouvernement. Lors de cette réunion, la commission a exprimé ses préoccupations concernant les insuffisances apparentes du système juridique ukrainien et les questions qu’elles soulèvent quant au respect de l’Etat de droit dans le pays. La commission a également fait part de son inquiétude face à l’impact négatif de ces procès – et de leur issue – sur les relations de l’Ukraine avec les autres pays d’Europe et notamment l’Union européenne. La commission a donc décidé de demander au Bureau de l’Assemblée d’inscrire le fonctionnement des institutions démocratiques en Ukraine à l’ordre du jour de la première partie de session de 2012 de l’Assemblée.
6. Nous présenterons dans ce rapport les procès intentés contre des membres de l’ancien gouvernement ainsi que les insuffisances, parfois systémiques, que ces procès ont mises en évidence. En outre, compte tenu de l’impact que ces procès pourraient avoir sur les prochaines élections législatives 
			(2) 
			Les prochaines
élections législatives devraient avoir lieu en octobre 2012., nous aborderons la question de la réforme électorale en cours dans le pays.

2. Poursuites visant des membres de l’ancien gouvernement

7. A la suite du changement de pouvoir en Ukraine après l’élection présidentielle de 2010, des poursuites pénales ont été engagées contre un certain nombre de membres et de responsables du gouvernement précédent. Les affaires les plus en vue sont celles qui visent M. Iouri Loutsenko, ancien ministre de l’Intérieur, M. Valeri Ivachtchenko, ancien ministre de la Défense par intérim, M. Evgueni Kornitchouk, ancien premier vice-ministre de la Justice, ainsi que Mme Ioulia Timochenko, ancien Premier ministre.
8. Une procédure pénale a été engagée le 2 novembre 2010 à l’encontre de M. Loutsenko. Le 13 décembre 2010, il a été inculpé aux termes de l’article 191 (Détournement de biens publics) et de l’article 365 (Outrepassement d’autorité ou de fonction) du Code pénal ukrainien. Les motifs retenus contre M. Loutsenko étaient qu’il avait illégalement promu son chauffeur au rang d’officier de police, autorisé des dépenses pour les festivités organisées dans le cadre de la Journée de la police, en violation d’une décision du gouvernement, et outrepassé ses pouvoirs de ministre en ordonnant la surveillance policière d’un chauffeur des services de sécurité soupçonné de complicité dans l’empoisonnement présumé de l’ancien président Iouchtchenko 
			(3) 
			Premier
rapport préliminaire du Comité d’Helsinki danois sur le suivi juridique
des procès engagés contre un certain nombre d’anciens responsables
du gouvernement. . Le 26 décembre 2010, M. Loutsenko a été arrêté pour manque de coopération avec les enquêteurs. Il est depuis en détention provisoire.
9. Les poursuites pénales visant M. Ivachtchenko ont commencé le 20 août 2010. Le 27 août 2010, il a été inculpé aux termes des articles 364 (Abus d’autorité) et 365 (Outrepassement d’autorité ou de fonction) du Code pénal ukrainien pour avoir donné son accord signé à une réorganisation d’un chantier naval qui aurait pu permettre la vente illégale de biens de l’Etat. Arrêté le 21 août 2010, il est en détention provisoire depuis cette date.
10. Kornitchouk est le beau-fils de M. Vasyl Onopenko, président de la Cour suprême, qui est considéré comme un allié proche de Mme Timochenko. Il a été premier vice-ministre de la Justice de 2007 à 2010. M. Kornitchouk a été inculpé aux termes de l’article 365 (Outrepassement d’autorité ou de fonction) du Code pénal pour avoir donné un avis juridique, en tant que vice-ministre de la Justice, qui a permis au ministre de l’Economie d’attribuer un contrat, sans appel d’offres, à un cabinet d’avocats dont il était partenaire. Il a en outre été inculpé aux termes de l’article 366 (Acte de falsification dans le service public) pour ne pas avoir classé cet avis juridique dans les règles. Arrêté le 22 décembre 2010, il est resté en détention provisoire jusqu’au 14 février 2011, date à laquelle il a été libéré à la suite d’une réunion entre le Président Ianoukovitch et son beau-père. Son procès est en cours.
11. Mme Timochenko a été initialement inculpée aux termes des articles 364 (Abus d’autorité) et 365 (Outrepassement d’autorité ou de fonction) du Code pénal ukrainien pour avoir détourné vers le budget général de l’Etat le produit de la vente de quotas d’émission de gaz à effet de serre, retardé le paiement des droits de douane relatifs à l’importation de mille ambulances commandées par son administration, et signé illégalement un accord entre Naftogas et Gazprom sur la vente de gaz russe, accord qui a débouché sur une crise de l’énergie entre les deux pays en 2009. La procédure judiciaire récemment engagée contre Mme Timochenko était liée aux accusations concernant l’accord sur le gaz. Mme Timochenko a été arrêtée et placée en détention provisoire pour outrage au tribunal le 5 août 2010.
12. Le 11 octobre 2011, le tribunal a condamné Mme Timochenko à sept ans de prison et lui a interdit d’exercer une fonction officielle pendant trois ans à cause de l’accord sur le gaz. Elle a également été condamnée à payer 150 millions d’euros pour rembourser les pertes que l’Etat ukrainien aurait subies à la suite de cet accord. Des dirigeants européens ont critiqué sévèrement ce verdict, considérant qu’il était motivé par des considérations politiques.
13. Mme Timochenko a fait appel de sa condamnation et son affaire sera jugée par une cour d’appel de Kiev. Elle restera en détention pendant son appel.
14. A la suite des préoccupations exprimées par plusieurs dirigeants européens à l’égard de la condamnation de Mme Timochenko, le Président Ianoukovitch a indiqué initialement qu’il comprenait les critiques formulées et qualifié de regrettable la procédure engagée contre Mme Timochenko. Il a ajouté qu’il était certain que le verdict ferait l’objet d’un recours et que «la décision qu’elle [la cour d’appel] prendra, et dans quel cadre législatif, a beaucoup d’importance». Pour beaucoup d’observateurs, ces propos sous-entendaient que les autorités avaient l’intention de modifier le Code pénal en vue de supprimer ou de dépénaliser les articles 364 et 365. Des amendements au Code pénal ont été proposés à cet effet et auraient été approuvés par la Commission des affaires juridiques de la Verkhovna Rada, mais leur adoption en seconde lecture a été reportée à une date ultérieure. Ils ont été rejetés en seconde lecture le 15 novembre 2011.
15. Or, de nombreux observateurs qui semblaient convaincus que les autorités avaient l’intention de dépénaliser les articles 364 et 365 ont été surpris d’apprendre que de nouveaux chefs d’accusation avaient été retenus contre Mme Timochenko pour un détournement de fonds présumé. Ces chefs d’accusation visent la période pendant laquelle Mme Timochenko était présidente et copropriétaire de la société United Energy Systems of Ukraine (UESU), qui était un acteur de premier plan dans le commerce du gaz entre la Russie et l’Ukraine et dans le transit du gaz russe par l’Ukraine vers le reste de l’Europe. Selon les accusations retenues contre elle aux termes des articles 191 paragraphe 2 (Malversations, détournement de fonds ou transfert de biens par outrepassement de fonction) et 15 paragraphe 2 (Tentative d’infraction pénale), Mme Timochenko, agissant de connivence avec M. Pavlo Lazarenko 
			(4) 
			M. Lazarenko,
qui a été Premier ministre de l’Ukraine sous la présidence de M. Koutchma
de 1996 à 1997, a été arrêté aux Etats-Unis et condamné par un tribunal
américain à neuf ans d’emprisonnement pour corruption, blanchiment d’argent
et fraude. , alors vice-Premier ministre, s’est arrangée pour obtenir une garantie officielle du Gouvernement ukrainien pour le paiement, en fournitures et services, du gaz fourni par la Russie avant de procéder au virement des fonds prévus pour payer ces fournitures et services sur le compte en banque de M. Lazarenko.
16. Le 14 novembre 2011, de nouvelles accusations ont été portées contre elle concernant son rôle de présidente de la société UESU, cette fois-ci pour évasion fiscale, vol et dissimulation de revenus en devises. En outre, des enquêtes ont été rouvertes dans une série d’affaires qui avaient été officiellement closes en 2005. Mme Timochenko ferait également l’objet d’une enquête pour une éventuelle complicité dans le meurtre de M. Evgueni Cherban, homme d’affaires et député. Un certain nombre de questions ont été soulevées concernant ces nouvelles accusations, qui seront de nouveau évoquées ci-dessous.
17. Nous voudrions au préalable souligner que ces procès ne devraient pas être considérés comme un affrontement entre l’opposition et la majorité au pouvoir, mais comme un conflit entre l’Etat de droit et la garantie de l’accès à un procès équitable pour chaque citoyen ukrainien. Nous ne sommes pas en mesure de juger ces affaires au fond, ou la question de la culpabilité ou non des personnes inculpées. Personne, en particulier les principaux responsables politiques, ne doit être au-dessus des lois pour des délits ordinaires. Cependant, les procès intentés à ces membres de l’ancien gouvernement soulèvent des questions importantes concernant la pénalisation des décisions politiques normales et, en conséquence, des accusations à caractère politique. En outre, ces affaires ont mis en évidence un certain nombre de défaillances et de lacunes systémiques du système juridique ukrainien qui fragilisent le droit à un procès équitable et à l’Etat de droit en Ukraine.
18. Les articles 364 (Abus d’autorité) et 365 (Outrepassement d’autorité ou de fonction) du Code pénal ukrainien sont une survivance du Code pénal soviétique puisqu’ils ont été rédigés à l’époque de Joseph Staline. Les articles 364 
			(5) 
			«[Abus d’autorité]:
… le fait pour un agent d’utiliser délibérément une autorité ou
une fonction officielle contrairement à l’intérêt officiel à des
fins de gain pécuniaire ou d’un autre avantage personnel ou d’un
avantage pour une tierce partie quelconque, qui cause un préjudice
substantiel à des droits, libertés et intérêts garantis par la loi
de citoyens à titre individuel ou à des intérêts de l’Etat ou publics
ou à des intérêts de personnes morales… Une action similaire entraînant des
conséquences graves est passible d’une peine d’emprisonnement de
trois à six ans, assortie d’une déchéance du droit d’exercer certaines
fonctions ou d’entreprendre certaines activités pendant une durée
de trois ans au maximum.» et 365 
			(6) 
			«…
L’outrepassement d’autorité ou de fonction, c’est-à-dire le fait
pour un agent de commettre délibérément des actes qui outrepassent
de manière évidente les droits et les pouvoirs dont il est investi,
qui cause un préjudice substantiel à des droits et intérêts garantis
par la loi de citoyens à titre individuel ou à des intérêts de l’Etat
ou publics ou à des intérêts de personnes morales (…) Les actes
visés par le paragraphe 1 et 2 du présent article, s’ils entraînent
des conséquences graves, sont passibles d’une peine d’emprisonnement
de sept à dix ans, assortie d’une déchéance du droit d’exercer certaines
fonctions ou d’entreprendre certaines activités pendant une durée
de trois ans au maximum.» laissent au procureur une liberté d’interprétation beaucoup trop grande et un pouvoir discrétionnaire considérable. En effet, comme le montrent les poursuites engagées contre les membres de l’ancien gouvernement, ces articles permettent la pénalisation post facto de décisions politiques normales prises par des responsables gouvernementaux, lesquelles, avec le recul, peuvent être remises en cause ou avaient été contestées par ceux qui étaient alors dans l’opposition et qui sont désormais au pouvoir. La pénalisation de décisions politiques ordinaires est une violation de l’Etat de droit et ouvre la voie aux accusations à caractère politique. Cela est inacceptable dans une société démocratique. En outre, l’évaluation des décisions politiques et de leurs conséquences est une prérogative des parlements et, en fin de compte, de l’électorat, et non des tribunaux. Etant donné les appels, dans de nombreux pays, en faveur de la condamnation de responsables politiques 
			(7) 
			En Islande, des poursuites
ont été engagées contre un ancien Premier ministre au motif qu’il
n’avait pas pris de décisions pendant l’effondrement des banques
islandaises. Il n’est pas surprenant qu’il dénonce ces poursuites
qu’il qualifie de vendetta politique. ayant pris des décisions macroéconomiques qui ont entraîné la crise financière actuelle, nous recommandons que des normes internationales strictes délimitant la responsabilité pénale et politique soient élaborées par l’Assemblée.
19. Les poursuites judiciaires engagées contre Mme Timochenko et d’autres anciens responsables gouvernementaux ont été, selon certaines sources, chaotiques et entachées d’erreurs de procédure. Elles montrent que le problème actuel du système judiciaire ukrainien est son parti pris en faveur de l’accusation. En effet, l’Ukraine présente un taux d’acquittement inférieur à 1%, ce qui signifie qu’une personne qui est jugée par un tribunal n’a quasiment aucune chance d’être acquittée. En outre, des liens fonctionnels étroits existent entre le parquet et le pouvoir judiciaire. Les observateurs de procès ont commenté le fait que les juges se rangent en général du côté de l’accusation lorsqu’ils examinent les arguments de la défense soumis au tribunal. Ce point soulève des questions importantes concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire ainsi que l’égalité des armes entre l’accusation et la défense.
20. Le recours à la détention provisoire montre également le parti pris en faveur de l’accusation dans toutes les affaires susmentionnées. En effet, les juges ont acquiescé à la demande de l’accusation de placer les prévenus en détention provisoire, souvent sans fournir aucun motif juridique de leurs décisions et dans un contexte où le risque de voir les accusés fuir la justice ou en entraver le cours était apparemment faible. Les allégations selon lesquelles le recours à la détention provisoire aussi bien que les pouvoirs quasiment illimités de l’accusation de convoquer les accusés ont été utilisés pour harceler ces personnes et les empêcher de jouer leur rôle de responsables politiques sont crédibles et très préoccupantes.
21. En vertu de la législation ukrainienne, aucune personne condamnée pour un délit grave ne peut plus se présenter à des élections locales et nationales, sauf si son casier judiciaire est supprimé par un tribunal. De l’avis de nombreux observateurs, les affaires actuelles ont également, voire exclusivement, pour but d’empêcher ces personnes de participer aux prochaines élections législatives, qui devraient avoir lieu en octobre 2012. La nature polémique et problématique des accusations portées contre ces personnes, ainsi que la manière dont les procès ont eu lieu et les défaillances relevées, donnent crédit à ces accusations. Il est clair que les références démocratiques de l’Ukraine et ses relations avec l’Assemblée seraient gravement compromises si ces personnes étaient empêchées de participer aux prochaines élections sur la base d’une condamnation pour des motifs à connotation politique prononcée lors d’un procès dont l’équité serait douteuse.
22. Comme mentionné précédemment, la nature des nouvelles accusations portées par les procureurs contre Mme Timochenko soulève un certain nombre de questions. Concernant l’accusation de détournement de fonds, la période à laquelle le délit a été commis n’est pas précisée clairement. Il l’a été soit en 1996, lorsque la garantie de l’Etat pour l’achat de gaz a été donnée, soit en 2000, lorsque le contrat a été annulé à la suite du non-remboursement des dettes de la société UESU. Ce point est capital au regard du délai de prescription concernant le détournement de fonds. Le Code pénal actuel prévoit un délai de prescription de quinze ans pour le type de détournement dont Mme Timochenko est accusée. Ce Code pénal a été adopté en 2001. Dans le Code pénal précédent, qui était en vigueur lorsque la garantie de l’Etat a été accordée, le délai de prescription était de dix ans. Certains interlocuteurs ont donc fait valoir que les délits pour lesquels Mme Timochenko était accusée étaient désormais prescrits. Il s’agit d’une question juridique complexe qui fera sans doute l’objet d’un débat important pendant son procès. Cela souligne également qu’il est essentiel que Mme Timochenko puisse bénéficier d’un procès équitable qui respecte le principe d’égalité des armes entre l’accusation et la défense.
23. L’accusation a demandé la relance de poursuites qui avaient été abandonnées. Ces poursuites sont liées à des faits présumés d’évasion fiscale, de dissimulation de revenus, de détournement de biens d’Etat et de falsification, commis par Mme Timochenko, son mari et son beau-père. La plupart de ces affaires avaient été clôturées par le Bureau du procureur en 2005, lorsque Mme Timochenko était Premier ministre. La décision de clôturer ces affaires a été ensuite confirmée par la Cour suprême d’Ukraine. Le droit ukrainien, comme dans d’autres pays, permet la réouverture d’enquêtes lorsque de nouvelles preuves importantes sont versées au dossier. Plusieurs interlocuteurs ont indiqué qu’ils doutaient que le Bureau du procureur ait demandé de nouvelles preuves lorsqu’il a relancé les poursuites pénales contre Mme Timochenko. Pour leur part, les autorités ont fait savoir que la clôture des affaires par le procureur général à l’époque était motivée politiquement et qu’elle était donc illégale.
24. Nous ne tenons pas à commenter ou à faire des hypothèses sur le bien-fondé des nouvelles accusations dont Mme Timochenko fait l’objet. Nous soulignons cependant que ces accusations soulèvent des problèmes juridiques graves qui doivent être examinés, et qu’elles montrent la nécessité de mettre en place une procédure juridique totalement transparente qui respecte toutes les exigences liées à un procès équitable tel que garanti par la Convention européenne des droits de l’homme.
25. Outre les préoccupations déjà mentionnées relatives à la pénalisation de décisions politiques normales, les procès en cours intentés contre des membres de l’ancien gouvernement ont fait ressortir une série de défaillances systémiques dans le système juridique ukrainien. Ces défaillances juridiques préoccupent depuis longtemps l’Assemblée qui, dans ses nombreuses résolutions sur l’Ukraine, a exhorté les gouvernements successifs de ce pays à les corriger et à mettre le système judiciaire ukrainien en conformité avec les normes européennes. Nous ne pouvons que déplorer qu’aucun de ces gouvernements et parlements successifs n’ait montré la volonté politique suffisante, ou déployé les efforts nécessaires, pour y remédier.

3. Questions juridiques

3.1. Manque d’indépendance du pouvoir judiciaire

26. L’indépendance du pouvoir judiciaire ukrainien continue d’être une préoccupation principale. En effet, le pouvoir judiciaire est largement considéré comme étant dépendant des intérêts politiques, voire, dans une certaine mesure, à leur service. Ajoutons à cela que ce système souffre d’un sous-financement notable, ce qui aggrave sa dépendance à l’égard d’intérêts publics et privés et crée un terrain fertile pour la corruption 
			(8) 
			Selon le Baromètre
de la corruption mondiale de Transparency International (TI), l’Ukraine
occupe la 134e place et son indice de
perception de la corruption est égal à 2,4 (sachant que 10 est la
meilleure note possible). En ce qui concerne la perception du public
du niveau de corruption des institutions, le pouvoir judiciaire
s’est vu attribuer une note de 4,4 sur une échelle qui va de 1 (non
corrompu) à 5 (extrêmement corrompu), ce qui représente la note
la plus élevée de toutes les institutions. . Dans la Résolution 1755 (2010), nous avons donc appelé les autorités actuelles à faire en sorte que le système judiciaire soit financé suffisamment par le budget de l’Etat 
			(9) 
			Résolution 1755 (2010), paragraphe
7.3.8..
27. La manière dont les juges sont désignés est un problème systémique qui nuit à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Comme nous l’avons souligné dans notre dernier rapport à l’Assemblée, les juges sont désignés par le Président sur recommandation du Conseil supérieur de la magistrature et sur la base d’une proposition de la Haute Commission de qualification des juges pour une période initiale de cinq ans. Après cette période d’essai de cinq ans, les juges peuvent être élus à un poste à vie par la Verkhovna Rada sur proposition de la Haute Commission de qualification.
28. La période d’essai de cinq ans est préoccupante car elle peut exercer une influence injustifiée sur la décision des juges pendant cette période, d’autant que la décision d’accorder un poste à vie est prise par la Verkhovna Rada en séance plénière. Comme l’a déclaré la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), «[l]e Parlement [Verkhovna Rada] est sans doute beaucoup plus concerné par les enjeux politiques: les nominations des juges pourraient donner lieu à des tractations entre les députés venant de différents districts et souhaitant chacun avoir son propre juge 
			(10) 
			CDL-AD(2010)026,
paragraphe 62.». Malheureusement, le rôle de la Verkhovna Rada dans la nomination des juges ainsi que la période d’essai de cinq ans sont inscrits dans la Constitution. L’Assemblée, dans la Résolution 1755 (2010), a déjà réaffirmé sa position et indiqué qu’il était impossible de réformer le système et le pouvoir judiciaires en Ukraine afin de l’aligner sur les normes et standards européens sans modifier la Constitution elle-même.
29. Compte tenu de la vulnérabilité des juges en période d’essai, la nomination des juges qui auront à juger des affaires sensibles du point de vue politique est contestable 
			(11) 
			Ce point
a été également mentionné par la Commission de Venise au paragraphe
49 du document CDL(2011)033, qui indique que «pendant la première
nomination temporaire, les juges ont moins de marge de manœuvre
par rapport au pouvoir politique, exécutif et législatif. Il conviendrait
de s’assurer que les juges qui occupent ces postes temporaires ne soient
pas désignés pour traiter des affaires importantes à fortes connotations
politiques». . Le fait que la majorité des juges, dans les affaires susmentionnées, y compris celle concernant Mme Timochenko, soient encore dans leur période d’essai soulève des questions quant à l’indépendance de ces tribunaux et de ces procédures à l’égard des intérêts politiques de la majorité au pouvoir.
30. Ce n’est pas uniquement la longueur excessive de la période d’essai et le rôle de la Verkhovna Rada dans la procédure de nomination qui fragilisent l’indépendance du pouvoir judiciaire mais également le rôle et la composition du Conseil supérieur de la magistrature et de la Haute Commission de qualification des juges.
31. Le ministre de la Justice, contrairement au principe de séparation des pouvoirs, est représenté à la Haute Commission de qualification des juges, qui a, notamment, une influence considérable sur la nomination des juges et sur les procédures disciplinaires à leur encontre. En outre, la procédure de nomination des juges à des postes judiciaires permanents prévoit que la Haute Commission de qualification porte les résultats du travail judiciaire d’un candidat à la connaissance du grand public. Il est clair que cela nuit à l’indépendance des juges pendant la période d’essai et risque de politiser le processus de nomination.
32. Selon l’article 5 de la loi de l’Ukraine sur le Conseil supérieur de la magistrature, celui-ci est composé de 20 membres, comme suit: «La Verkhovna Rada de l’Ukraine, le Président de la République, le Congrès des juges, le Congrès des avocats, le Congrès des représentants des facultés et instituts de droit nomment chacun trois membres, et la Conférence panukrainienne des magistrats du parquet en désigne deux. Le président de la Cour suprême, le ministre de la Justice et le procureur de la République sont membres d’office du Conseil supérieur de la magistrature.» Cette composition viole clairement le principe de séparation des pouvoirs ainsi que la norme européenne selon laquelle, dans les organes judiciaires autonomes, les juges élus par leurs pairs doivent occuper une position dominante, voire disposer d’une majorité des votes.
33. La présence de représentants de l’accusation, y compris celle du procureur général 
			(12) 
			Dans sa Résolution 1755 (2010), l’Assemblée
a de nouveau critiqué les pouvoirs extraordinaires conférés au procureur
général du fait de la fonction générale de supervision de celui-ci.
Nous n’avons pas l’intention de reprendre ce débat dans le présent
rapport, mais nous faisons de nouveau part de nos préoccupations
à cet égard. , au Conseil supérieur de la magistrature défie le principe de séparation des pouvoirs et souligne le lien fonctionnel étroit qui existe entre le pouvoir judiciaire et l’accusation. Elle explique dans une large mesure le parti pris en faveur de l’accusation dans les procédures judiciaires, point que nous avons déjà mentionné. Dans ce contexte, nous sommes extrêmement préoccupés par les nombreux rapports, notamment ceux de l’Association des juges ukrainiens, qui confirment que des mesures disciplinaires ont été engagées et que des juges ont été révoqués par le Conseil supérieur de la magistrature parce que le ministère public s’est plaint que les juges en question se sont prononcés contre l’accusation dans une certaine affaire. Cela est inacceptable dans un Etat qui reconnaît la primauté du droit.

3.2. Usage abusif et durée de la détention provisoire

34. La détention provisoire, selon les normes européennes, ne doit être utilisée que comme une mesure en dernier ressort, lorsqu’il existe un risque d’instrumentalisation de la justice. Le Code de procédure pénale actuellement en vigueur en Ukraine donne un pouvoir discrétionnaire considérable au procureur, qui peut demander une détention provisoire sans avoir à motiver sa demande. Il a déjà été noté que les tribunaux répondent généralement aux demandes des procureurs sans juger leur bien-fondé, notamment en ce qui concerne la détention préventive.
35. La question de l’illégalité et de la durée excessive de la détention provisoire est un des thèmes principaux des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme contre l’Ukraine. En effet, plus de 50 décisions sur cette question ont été prononcées contre l’Ukraine depuis 2005. La Cour a noté le fait que les autorités judiciaires n’ont aucune obligation juridique de motiver leur décision de placer une personne en détention provisoire ou de fixer une date limite à une telle détention. Il n’existe pas non plus dans le droit ukrainien de procédure claire permettant d’examiner la légalité ou la durée d’une détention provisoire, et les décisions judiciaires autorisant la détention pendant la phase préalable au procès ne peuvent pas faire l’objet d’un recours.
36. Les préoccupations concernant la durée et l’usage excessifs de la détention provisoire ont déjà été soulignées dans de précédents rapports et résolutions. En outre, les procès intentés contre les membres de l’ancien gouvernement montrent également qu’il est possible d’en faire un usage abusif. Le recours à des détentions provisoires prolongées de personnalités publiques lorsqu’il n’y a pas de risque de fuite ou de détournement des enquêtes n’est pas justifiable du point de vue juridique; des allégations crédibles portent à croire que ces personnes ont été détenues en attendant les conclusions des enquêtes et leur procès afin de les empêcher d’exercer leurs fonctions de responsables politiques et de dirigeants d’un parti.
37. Le recours à la détention provisoire sans justification juridique suffisante pose également des questions de nature humanitaire. MM. Loutsenko et Ivachtchenko seraient dans un état grave et auraient besoin de toute urgence de soins médicaux spécialisés qui ne peuvent pas être fournis, au niveau de qualité requis, par les services de santé de la prison où ils sont en détention. Ne pouvant pas bénéficier d’une assistance médicale appropriée, leur santé se détériorerait rapidement, à tel point qu’ils pourraient ne pas survivre à leur épreuve. Compte tenu de l’absence d’un motif légal justifiant leur détention provisoire et de la très faible probabilité qu’elles puissent s’enfuir, ces personnes devraient être libérées dans les plus brefs délais pour des raisons humanitaires. En outre, Mme Timochenko connaît de graves problèmes de santé car elle s’est blessée au dos après une chute. Selon le Médiateur ukrainien, Mme Nina Karpatcheva, qui lui a rendu visite en prison, Mme Timochenko a besoin d’examens médicaux et d’un traitement en dehors du système carcéral. Elle a vivement condamné le fait que, à la suite de son état de santé, les enquêteurs aient commencé à interroger Mme Timochenko dans sa cellule au sujet des nouvelles accusations portées contre elle. En réponse, le Président Ianoutchenko a annoncé le 22 septembre que Mme Timochenko serait autorisée à suivre un traitement médical en dehors de la prison. Après un examen médical qui a eu lieu dans un hôpital de Kiev, elle a finalement été transférée, le 29 novembre 2011, à l’infirmerie de sa prison pour y recevoir le traitement recommandé. Le 30 novembre, Mme Timochenko a reçu la visite d’une délégation du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT).

3.3. Absence d’égalité des armes entre l’accusation et la défense

38. L’égalité des armes entre l’accusation et la défense est une condition essentielle d’un procès équitable et du respect de l’Etat de droit. Malheureusement, les procès contre les responsables du précédent gouvernement montrent clairement que cette égalité n’est pas garantie par le système juridique en Ukraine.
39. Le parti pris en faveur de l’accusation ne concerne pas uniquement le système judiciaire; il est également profondément enraciné dans le système d’administration de la justice. La défense ne dispose d’aucune copie du dossier de l’affaire et ne peut le consulter qu’au bureau du procureur aux dates et heures fixées par celui-ci. Le procureur est libre de fixer celles qui lui semblent appropriées et quasiment sans préavis, et les accusés et leurs avocats sont tenus de s’y présenter. Cela signifie que le procureur peut de fait les convoquer sans restriction. Il n’est pas permis non plus de faire des copies du dossier de l’affaire. Cette procédure permet également au procureur d’influer directement sur la qualité de la défense en ne donnant à celle-ci que des délais irréalistes pour se familiariser avec le dossier. Dans le procès intenté à M. Loutsenko, le procureur général a ordonné son arrestation au bout de treize jours aux motifs que l’intéressé ne prenait pas connaissance assez vite des 6 000 pages du dossier.
40. La façon dont le procureur présente son dossier à la défense et son pouvoir d’indiquer à celle-ci le temps dont elle dispose pour se familiariser avec son contenu nuisent clairement aux principes d’égalité des armes et, au bout du compte, à la conduite d’un procès équitable. En outre, le fait que le procureur puisse convoquer à volonté les accusés et leurs avocats, souvent sans préavis et sans recours possible, ouvre la voie à des possibilités d’abus ou de harcèlement de la part de l’accusation. Durant nos réunions avec les avocats de la défense, nous avons reçu plusieurs rapports qui indiquent qu’un tel harcèlement avait effectivement lieu en vue d’empêcher les accusés d’exercer leurs fonctions de responsables politiques ou de parti. L’arrestation susmentionnée de M. Loutsenko semble significative à cet égard.

3.4. Motivation et justification juridiques inappropriées des accusations

41. Dans les précédents rapports, nous avons déjà exprimé nos préoccupations concernant le fait que les arguments juridiques exposés dans les documents d’accusation et d’autres documents liés au procès sont insuffisants ou inappropriés. Nos interlocuteurs nous ont indiqué que les actes d’accusation décrivaient souvent de manière floue les infractions pénales que les accusés étaient censés avoir commis et faisaient rarement référence aux articles de loi qu’ils auraient violés en commettant ces infractions. 
			(13) 
			Voir,
par exemple, le deuxième rapport préliminaire du Comité d’Helsinki
danois sur le suivi juridique des procès engagés contre d’anciens
responsables du gouvernement (page 23). Si les accusations portées ne sont pas claires, il est difficile, voire impossible, d’assurer la défense des accusés et l’équité de la procédure judiciaire s’en ressent. C’est également le cas dans les accusations portées contre les quatre membres du gouvernement précédent mentionnées dans le présent rapport.

4. Réforme constitutionnelle

42. Nous voudrions souligner que ces défaillances et ces lacunes du système judiciaire sont depuis longtemps une source de préoccupation. Les gouvernements ukrainiens successifs ont à plusieurs reprises reconnu les défaillances de ce système et exprimé leur intention de les corriger, mais ces vœux sont restés pieux jusqu’à présent. Les événements liés aux procès récents montrent qu’il est urgent que les autorités réforment le système judiciaire pour le mettre en conformité avec les normes et standards européens, conformément aux engagements d’adhésion pris il y a près de dix-sept ans.
43. Les autorités actuelles, pour leur part, ont indiqué qu’un certain nombre de défaillances mentionnées dans le présent rapport seront résolues par le nouveau Code de procédure pénale. Elles espéraient que ce code serait adopté par le parlement au début de 2012. Un projet de code de procédure pénale a été élaboré par l’administration présidentielle et envoyé au Conseil de l’Europe pour avis. L’avis devrait être publié au début de 2012. Nous avons l’intention d’examiner ses conclusions dans un futur rapport.
44. Comme nous l’avons indiqué dans notre rapport précédent, il ne sera pas possible de réformer le système et le pouvoir judiciaire afin de les mettre en conformité avec les normes et standards européens sans modifier profondément la Constitution. Nos arguments restent valables, d’autant que la Cour constitutionnelle a déclaré le 1er octobre 2010 que les amendements constitutionnels de 2004 étaient nuls et non avenus. Par exemple, le rôle de la Verkhovna Rada dans la nomination des juges et la période d’essai de cinq ans pour les nouveaux juges, deux points qui font problème, sont inscrits dans la Constitution. En outre, des dispositions constitutionnelles empêchent de modifier la composition du Conseil supérieur de la magistrature afin d’éviter sa politisation et sa dépendance à l’égard des intérêts politiques de la majorité au pouvoir.
45. De l’avis de l’Assemblée, tel qu’il est exprimé dans la Résolution 1755 (2010), la décision de la Cour constitutionnelle du 1er octobre 2010 devrait à présent constituer le point de départ d’un processus de réforme constitutionnelle. Cette question est plus que jamais d’actualité. Le pays doit entreprendre des réformes constitutionnelles profondes afin d’honorer les engagements et les obligations qu’il a contractés vis-à-vis du Conseil de l’Europe lors de son adhésion. Le Président Ianoukovitch, ainsi que plusieurs ministres de son administration, ont exprimé leur intention d’engager une réforme complète de la Constitution, et promis qu’une telle réforme serait menée en étroite concertation avec la Commission de Venise.
46. En janvier 2011, le Président Ianoukovitch a promulgué le décret 224/2011, dans lequel il demandait au Groupe d’experts scientifiques sur la préparation de l’Assemblée constitutionnelle, conduit par l’ancien Président Kravtchouk, de préparer les grandes lignes du processus de réforme constitutionnelle. Il a nommé également Mme Marina Stavniychuk, ancien chef adjoint de l’Administration présidentielle chargée des réformes constitutionnelles pendant le mandat de M. Iouchtchenko, au même poste et avec les mêmes responsabilités, dans son administration. Mme Stavniychuk est aussi membre de la Commission de Venise, ce qui devrait faciliter la coopération avec l’administration présidentielle pour les réformes à venir.
47. La Commission ukrainienne pour le renforcement de la démocratie, instituée par le Président Ianoukovitch pour qu’elle le conseille sur les réformes qui sont nécessaires pour que l’Ukraine respecte ses engagements vis-à-vis du Conseil de l’Europe, a élaboré un projet d’Assemblée constitutionnelle à la demande du Président. Le projet d’Assemblée constitutionnelle, qui jouerait un rôle consultatif dans le processus d’élaboration des amendements à la Constitution, a été chaleureusement accueilli dans l’avis 
			(14) 
			CDL-AD(2011)002. de la Commission de Venise demandé par les autorités.
48. Cela étant, les efforts des autorités pour réformer le cadre constitutionnel semblent s’essouffler. Nous avons été informés que les réformes constitutionnelles ne seront lancées qu’après les prochaines élections législatives, qui sont prévues en octobre 2012. Les autorités espèrent ostensiblement que la coalition au pouvoir aura une majorité constitutionnelle après ces élections, ce qui leur permettrait d’adopter une Constitution sans devoir négocier avec l’opposition.
49. Sachant que l’ensemble du processus de réforme est actuellement bloqué par la Constitution actuelle, nous demandons instamment aux autorités de ne pas attendre le résultat des élections législatives pour commencer à rédiger la nouvelle Constitution. En outre, nous tenons à souligner que la réforme constitutionnelle devra s’appuyer sur un consensus aussi large que possible de toutes les forces politiques d’Ukraine et non sur un diktat de la majorité au pouvoir, même disposant d’une majorité constitutionnelle.

5. Réforme électorale

50. Les prochaines élections législatives, prévues en octobre 2012, seront cruciales pour l’évolution démocratique de l’Ukraine. D’un côté, la coalition au pouvoir espère renforcer son mandat et obtenir la majorité nécessaire pour mettre en œuvre la réforme constitutionnelle, de l’autre, les principaux partis d’opposition tiennent à prouver qu’ils restent une alternative politique viable à cette coalition, d’autant qu’ils se sont remis de leur défaite aux élections présidentielles de 2010. En outre, un certain nombre de nouveaux partis politiques, qui comprennent néanmoins des personnalités politiques déjà connues, sont apparus dans l’espoir d’entrer au parlement après les élections. Ces nouveaux partis ont commencé à se structurer dans l’ensemble du pays. Leur élection au parlement pourrait entraîner un élargissement salutaire du pluralisme dans un environnement ukrainien actuellement très polarisé.
51. Après la révolution orange, l’Ukraine, et c’est là un point positif à souligner, a constamment conduit des élections qui étaient globalement conformes aux normes et standards européens en matière d’élections démocratiques. Cette tendance a été confirmée lors de l'élection présidentielle de 2010, qui a porté le Président Ianoukovitch au pouvoir. Tout recul dans ce domaine serait inacceptable.
52. Malheureusement, les graves défaillances notées pendant les élections locales d’octobre 2010 ont constitué un retour en arrière par rapport à l'élection présidentielle et à l’évolution positive observée depuis 2004. La conduite des prochaines élections législatives sera donc un test décisif qui permettra de vérifier la sincérité des engagements de l’administration actuelle envers les valeurs et normes démocratiques.
53. Une certain nombre des défaillances constatées provenaient des changements apportés à la dernière minute aux règles électorales, ce qui indique que les vieilles habitudes consistant à jouer avec les règles du jeu au lieu de les appliquer n’ont pas disparu et souligne, par voie de conséquence, qu’il est important que la loi électorale relative aux prochaines élections soit adoptée en temps utile et repose sur un consensus des parties prenantes aux élections.
54. Nous avons indiqué dans notre rapport précédent à l’Assemblée 
			(15) 
			Doc. 12357, paragraphes
31-40. que la Verkhovna Rada avait institué en 2009 un groupe de travail spécial chargé de rédiger un nouveau code électoral unifié. Ce groupe de travail multipartite, composé de représentants de la plupart des forces politiques ainsi que d’experts et de représentants de la société civile, a collaboré étroitement avec la Commission de Venise ainsi qu’avec d'autres acteurs internationaux comme le BIDDH/OSCE. Malheureusement, les travaux de ce groupe ont été, en grande partie, boycottés par le Parti des régions. Le groupe de travail a déposé un projet de code électoral unifié fin 2010. Toutefois, ce projet de code électoral unifié n’a pas été mis à l’ordre du jour de la Verkhovna Rada, et le Président Ianoukovitch a annoncé que son administration élaborerait son propre projet de code électoral et le soumettrait au parlement. Il a ensuite institué un groupe de travail présidentiel spécial pour la réforme électorale dirigé par le ministère de la Justice et constitué d’un large éventail de représentants et d’experts aux fins de rédiger le projet de code électoral de son administration.
55. La communauté internationale a d’abord apporté son soutien au groupe de travail présidentiel. Toutefois, ses méthodes de travail ont commencé à susciter de profondes inquiétudes. Plusieurs organisations nous ont fait part de l’absence de transparence et de responsabilisation au sein du groupe de travail présidentiel et de leur nette impression qu’en réalité, la rédaction du nouveau code électoral, et toutes les décisions y afférentes, avaient lieu à huis clos, hors du cadre du groupe de travail. Elles nous ont également signalé le manque d’équilibre entre les diverses forces politiques au sein de ce groupe. Cela est d’autant plus regrettable que le nouveau code électoral doit absolument recueillir un large consensus parmi les forces politiques et susciter leur confiance si l’on veut que des élections véritablement démocratiques aient lieu en 2012 en Ukraine.
56. L’adoption d’un cadre juridique adéquat pour la tenue des élections en Ukraine est une demande de longue date de l’Assemblée. Les recommandations de l’Assemblée concernant ce code ont constamment insisté sur deux points: la nécessité d’adopter un code électoral unifié qui réglementerait toutes les élections en Ukraine et la nécessité d’adopter un système électoral reposant sur un large consensus de toutes les parties prenantes aux élections. Ces deux conditions, si elles sont remplies, permettraient de conduire des élections démocratiques et déboucheraient sur un parlement représentatif et responsable.
57. Depuis un certain temps déjà, l'Assemblée et la Commission de Venise recommandent à l’Ukraine d’adopter un code électoral unifié pour mettre fin à la situation actuelle où chaque type d’élection est régi par un cadre juridique distinct. Les dispositions de ces cadres juridiques sont souvent incompatibles et se contredisent. Au début, les autorités ont pleinement et publiquement soutenu la recommandation de l’Assemblée. Toutefois, à notre grand regret, le ministre de la Justice nous a informés lors de la visite que nous avons effectuée en avril 2011 que les activités du groupe de travail se bornaient à la rédaction d’un nouveau code électoral pour les élections législatives. Nous rappelons que ce code électoral est considéré comme la moins problématique des différentes lois qui réglementent les élections en Ukraine.
58. Avant 1998, tous les membres de la Verkhovna Rada étaient élus dans le cadre d’un scrutin majoritaire uninominal. En 1998, un système mixte a été mis en place comprenant un scrutin proportionnel basé sur des listes fermées pour la moitié des députés et un scrutin majoritaire uninominal pour l’autre moitié. Aucune des élections qui ont été organisées pendant la période 1998-2004 n’a été considérée pleinement conforme aux normes européennes et un certain nombre de défaillances ont été relevées, qui étaient directement liées au système électoral en vigueur.
59. A la suite des amendements constitutionnels de 2004, un système entièrement proportionnel reposant sur des listes fermées assorti d’un seuil de 3% de scrutin majoritaire a été adopté. Ce système a été utilisé lors des élections de 2006 et du début 2007. Ces deux élections ont été considérées comme globalement démocratiques par les observateurs internationaux. Cependant, le système des listes fermées a empêché la consolidation de la démocratie en Ukraine car il permet de fait la concentration du pouvoir politique dans les mains de quelques personnes et limite la démocratie des partis et la transparence.
60. En principe, chaque pays a le droit de choisir le système électoral qui convient le mieux à ses besoins et à ses spécificités tant que ce système est conforme aux standards européens et à condition qu’il produise des résultats démocratiques. Comme le système à scrutin majoritaire, le système entièrement proportionnel et le système mixte n’ont pas produit les résultats démocratiques attendus, l’Assemblée a recommandé l’adoption d’un scrutin proportionnel régional basé sur des listes ouvertes et des circonscriptions régionales multiples. De l’avis de l’Assemblée, un tel système garantit la démocratie des partis et la transparence pour l’électorat, tout en assurant une représentation régionale et en augmentant la responsabilisation.
61. Du fait de la décision de la Cour constitutionnelle d’annuler les amendements constitutionnels de 2004, le système électoral est revenu au système mixte qui avait cours avant 2004. Le ministre de la Justice nous a informés lors de la visite que nous avons effectuée en avril 2011 que les autorités avaient l’intention de maintenir ce système mixte pour les prochaines élections législatives de 2012. En outre, le choix du système électoral ne faisait pas partie du mandat du groupe de travail présidentiel sur la réforme électorale. Nous regrettons que le système mixte qui prévalait avant 2004 soit maintenu, même si le système proportionnel régional bénéficie du soutien de la plupart des organisations internationales, de la Commission de Venise et, surtout, de la plupart des partis politiques en Ukraine.
62. Le 23 janvier 2011, le ministre de la Justice d’Ukraine a demandé un avis de la Commission de Venise sur le projet de loi relative à l’élection des députés du peuple de l’Ukraine. Dans son avis conjoint 
			(16) 
			CLD-AD(2011)037. avec le BIDDH/OSCE, la Commission de Venise regrette que cette recommandation, formulée depuis longtemps, d’adopter un code électoral unifié n’ait pas été appliquée, d’autant qu’un projet de code avait déjà été soumis à la Verkhovna Rada et pouvait être examiné par le groupe de travail présidentiel sur la réforme électorale.
63. La Commission de Venise a souligné qu’en règle générale la loi électorale devrait être adoptée sur la base d’un consensus entre les principales parties prenantes de l’électorat afin de susciter la confiance dans le processus électoral et son résultat. Elle a regretté le manque de transparence du processus d’élaboration du projet ainsi que les nombreuses décisions relatives à des points essentiels du processus électoral, comme le choix du système électoral, le relèvement à 5% du seuil d’entrée au parlement et l’interdiction des blocs électoraux, qui ont été prises unilatéralement, presque sans débat, par la majorité au pouvoir, contre la volonté des partis d’opposition.
64. Dans son avis, la Commission de Venise s’est félicitée que les changements positifs introduits dans la loi soient conformes à ses recommandations précédentes, notamment:
  • le fait que des candidatures individuelles soient désormais possibles pour les scrutins majoritaires;
  • le fait que des électeurs ne puissent plus être ajoutés à la liste électorale le jour du scrutin par les commissions électorales elles-mêmes mais uniquement par une ordonnance du tribunal;
  • la suppression des dispositions qui permettaient aux partis de changer leurs représentants aux commissions électorales sans motif jusqu’au jour du scrutin;
  • la simplification des procédures de dépôt de plaintes.

Parallèlement, la Commission a noté avec regret qu’un certain nombre de défaillances soulignées dans des avis et rapports précédents sur l’observation des élections n’aient pas été corrigées comme il convient, notamment:

  • les dispositions qui limitent ou suppriment les droits de vote passifs des personnes condamnées pour un délit, quelle que soit sa gravité. Ce point est particulièrement pertinent dans le contexte des procès en cours contre les membres de l’ancien gouvernement;
  • le manque de critères et de délais pour le découpage des circonscriptions électorales;
  • l’interdiction pour les partis de former des blocs électoraux;
  • le fait que les dispositions sur la base desquelles les commissions électorales de bureau de vote peuvent annuler les résultats électoraux sont arbitraires et augmentent le risque de fraude.

65. Le projet de code électoral a relevé le seuil pour entrer au parlement de 3% à 5%. L’augmentation de ce seuil ainsi que l’interdiction pour les partis politiques de former des blocs ou des listes conjointes limitent considérablement les possibilités pour les petits ou nouveaux partis d’entrer au parlement. Par voie de conséquence, ces mesures réduisent le pluralisme politique au nouveau parlement et pourraient accentuer la polarisation de la Verkhovna Rada. Cette question est très préoccupante.
66. Il doit être noté que les autorités ont indiqué que les dispositions qui limitent ou suppriment les droits de vote passifs des personnes condamnées pour un délit ne peuvent pas être retirées du Code électoral sans un amendement constitutionnel.
67. Le Président a le droit d’exiger que les projets de lois qu’il propose soient inscrits à l’ordre du jour de la Verkhovna Rada. Il a toutefois transmis son projet à celle-ci en lui demandant de l’harmoniser avec d’autres projets avant qu’il soit inscrit à l’ordre du jour. Cette initiative, prise pour s’assurer que tous les projets de code électoral peuvent être examinés par la Verkhovna Rada, doit être saluée.
68. Le 3 septembre 2011, la Verkhovna Rada a décidé d’instituer une commission composée de représentants de tous les partis et groupes qui y sont représentés afin d’harmoniser les différents projets de loi et d’aboutir à un projet commun. Le 17 novembre 2010, la Verkhovna Rada a adopté le nouveau Code électoral pour les élections législatives avec, semble-t-il, le soutien des principaux groupes de l’opposition au parlement. A notre grand regret, la plupart des sujets qui nous préoccupent, ainsi que la Commission de Venise, comme le système d’élection mixte, le relèvement du seuil de 3% à 5% ainsi que l’interdiction des blocs de partis, ont été maintenus.
69. Le nouveau Code électoral adopté aura une incidence importante sur l’environnement préélectoral. Il faudra tout particulièrement veiller à ce que les dispositions qui concernent le seuil et l’interdiction pour les partis de former des blocs ne portent pas préjudice aux forces politiques plus petites et récentes. Nous recommandons que l’Assemblée observe les prochaines élections législatives en Ukraine en s’appuyant sur une délégation importante.
70. Le 30 novembre 2011, le Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) a adopté son troisième rapport sur l’Ukraine, dans lequel il a insisté, entre autres, sur le fait qu’une action ferme était nécessaire dans le domaine du financement de campagne afin de réduire la dépendance des partis et des députés envers les puissants groupes d’intérêt économiques.

6. Remarques finales

71. Les procès intentés contre les responsables du précédent gouvernement ont pesé sur les relations de l’Ukraine avec ses partenaires et nui à ses aspirations européennes. Bien que les réactions de l’Union européenne et de certains de ses Etats membres soient compréhensibles, il est important de garder un œil sur le tableau stratégique plus général et de s’assurer que l’intégration future de l’Ukraine dans la famille européenne n’est pas bloquée. Seule l’intégration dans la famille européenne permettra la consolidation à long terme de la démocratie et du respect des droits de l’homme et de l’Etat de droit. Cet objectif constituait en substance le message de Mme Timochenko dans sa lettre récente aux responsables européens, dans laquelle elle les exhortait à ne pas annuler l’accord de libre-échange approfondi et complet.
72. Parallèlement, il est également clair que l’utilisation abusive du système judiciaire à des fins politiques ne peut pas être tolérée de la part d’un membre du Conseil de l’Europe. Un pays a le droit de condamner une personne pour un délit ordinaire, mais il a également l’obligation de s’assurer que cette personne bénéficie d’un procès équitable et que les procédures juridiques, notamment les accusations et les condamnations, ne sont pas soumises à des considérations ou à une influence politiques. Ce point est particulièrement important lorsque des poursuites sont engagées contre des responsables politiques de l’opposition.
73. Nous demandons donc instamment aux autorités ukrainiennes de dépénaliser les décisions politiques ordinaires dans les plus brefs délais et de s’assurer que personne ne sera, ou ne restera, condamné pour de tels motifs. En outre, les autorités ukrainiennes doivent veiller à ce que tous les procès, surtout ceux qui visent des responsables politiques, soient pleinement conformes aux normes les plus élevées en matière de procès équitable, et que le principe de la présomption d’innocence soit respecté. La détention provisoire, surtout s’il n’y a pas de risque de fuite ou de détournement de la justice, est injustifiée et inacceptable. Les membres du gouvernement précédent qui sont actuellement en détention provisoire doivent être libérés immédiatement en attendant leur procès. L’application de ces mesures serait un signal clair de l’engagement des autorités actuelles envers les normes et valeurs du Conseil de l’Europe. En revanche, leur non-application dans un délai raisonnable ferait naître des doutes sérieux sur l’engagement des autorités envers les principes de la démocratie et de l’Etat de droit. Si tel était le cas, nous recommanderions à l’Assemblée d’envisager des sanctions appropriées.
74. Dans notre rapport précédent, nous avons présenté le programme de réforme ambitieux qui avait été lancé par les autorités actuelles et qui avait été accueilli avec satisfaction par l’Assemblée. Au départ, plusieurs résultats importants ont été atteints, notamment dans le domaine d’une plus grande intégration européenne de l’économie ukrainienne dans l’espace économique européen. Cela souligne l’importance donnée par les autorités à une plus grande intégration européenne du pays. Malheureusement, il semble que la dynamique de ce processus de réforme se soit essouflée, car seules quelques réalisations marquantes ont abouti dans le cadre du programme de réforme annoncé par les autorités. La mise en œuvre de ces réformes aurait permis de corriger, entre autres, un certain nombre de défaillances et de lacunes signalées de longue date et qui sont à l’origine des critiques visant les procès en cours intentés contre des membres de l’ancien gouvernement. Les amendements promis pour répondre aux préoccupations liées à la loi sur le système judiciaire et le statut des juges, notamment en ce qui concerne l’indépendance du pouvoir judiciaire, n’ont pas encore été mis à l’ordre du jour de la Verkhovna Rada. Nous demandons donc instamment aux autorités de poursuivre leur programme de réforme sans hésitation ou retard et d’élever la réforme constitutionnelle au rang des priorités principales.
75. Depuis 2004, l’Ukraine a organisé des élections qui étaient globalement conformes aux normes européennes. Malheureusement, les élections locales de 2010 n’ont pas continué dans cette voie. Si elles ne sont pas conduites conformément aux normes européennes, les élections législatives de 2012 constitueraient un net recul du développement démocratique du pays. Une telle situation serait inacceptable. Les prochaines élections législatives constituent, par conséquent, un test décisif de l’engagement de l’Ukraine envers les principes de la démocratie.
76. L’Ukraine a adhéré au Conseil de l’Europe en 1995 en s’engageant à mettre ses institutions démocratiques en conformité avec les normes du Conseil de l’Europe. Les gouvernements successifs du pays n’ont pas, à ce jour, honoré les engagements qui avaient été formulés pour atteindre cet objectif. Toutes les forces politiques, ainsi que la Verkhovna Rada en tant qu’institution, en partagent la responsabilité. Les autorités actuelles, ainsi que toutes les forces politiques du pays, devraient désormais redoubler d’efforts pour enfin honorer les engagements pris lors de l’adhésion et instaurer une démocratie solide dans le pays.