1. Introduction
1. Le 22 septembre 2010, l’Assemblée parlementaire a
participé à la 18e Conférence informelle
du Conseil de l’Europe des ministres responsables du sport, à Bakou
(Azerbaïdjan). Les ministres ont débattu, entre autres, de la manipulation
des résultats sportifs («trucage de matchs») qui porte sérieusement
atteinte à l’intégrité du sport, et ont adopté une résolution
,
ce qui a incité Mme Cecilia Keaveney
(Irlande, ADLE), qui représentait l’Assemblée à la conférence, à
déposer une proposition de recommandation sur «la nécessité de combattre
le trucage de matchs». En janvier 2011, l’Assemblée a saisi la commission
de la culture, de la science et de l’éducation
,
qui a désigné Mme Keaveney comme rapporteure.
2. Mme Keaveney ayant quitté l’Assemblée
en juin 2011, j’ai accepté, à la demande de la commission, de prendre
le relais. Le présent exposé des motifs s’appuie largement sur les
recherches effectuées par Mme Keaveney,
et je la remercie pour toute l’énergie et le dévouement qu’elle
a mis dans ces étapes préparatoires.
3. Mme Keaveney a assisté à la Conférence
ministérielle de Bakou en 2010 ainsi qu’à d’autres réunions majeures
sur le sujet en 2011, incluant la Conférence des journalistes sportifs
européens (Budapest, 22 février), deux séminaires du Comité international
olympique (CIO) sur les paris irréguliers et illégaux (Lausanne,
1er mars et 15 juin), et enfin un séminaire organisé par l’Accord
partiel élargi sur le sport du Conseil de l’Europe (APES) (Strasbourg,
3 mai). Elle a aussi organisé une audition lors de la réunion de
la commission du 23 juin 2011, avec la participation de Mme Maud
de Boer-Buquicchio, Secrétaire Générale adjointe du Conseil de l’Europe,
M. Declan Hill, journaliste d’investigation
,
M. David Howman, directeur général de l’Agence mondiale antidopage
(AMA), M. Pierre Cornu, conseiller juridique en chef pour l’intégrité
et la réglementation de l’Union des associations européennes de
football (UEFA), et un observateur représentant la Remote Gambling
Association (Association des jeux d’argent en ligne), M. David Lyman.
4. En tant que rapporteure, j’ai participé le 8 septembre 2011
à Bruxelles à un séminaire de l’Institut de relations internationales
et stratégiques (IRIS) qui vient de publier un Livre blanc,
Paris sportifs et corruption . Cette
publication analyse en détail le phénomène de la corruption sportive
et la corrélation avec des paris sportifs, et formule des recommandations
intéressantes pour lutter plus efficacement contre la corruption
et la fraude sportives. J’ai eu ensuite trois rencontres: le 18
novembre 2011 à Bruxelles avec la European Sports Security Association
(ESSA); le 2 décembre 2011 avec le procureur de Bochum, M. Andreas
Bachmann, en charge de l’enquête sur les matchs truqués en Allemagne
(affaire Robert Hoyzer), qui m’a expliqué comment opèrent et s’organisent
les criminels qui cherchent à manipuler des rencontres sportives;
le 5 décembre 2011 à Paris avec le directeur de CK Consulting, M.
Christian Kalb
, qui connaît à la fois
le point de vue des fédérations sportives et celui des opérateurs
privés et publics de paris sportifs. Des échanges téléphoniques ont
eu lieu, fin décembre 2011, avec M. André-Noël Chaker de la Finnish
National Lottery et, début janvier 2012, avec M. Thomas Bach, vice-président
du CIO, M. Christophe De Kepper, directeur général du CIO, et Mme Pâquerette
Girard-Zappelli, secrétaire de la Commission d’éthique du CIO. Ces
échanges de vues m’ont permis de prendre conscience des enjeux futurs
pour le mouvement olympique.
5. Le présent rapport a pour objectif de promouvoir les mesures
de prévention, de détection et de sanction nécessaires à contrer
efficacement ce phénomène, lié à la corruption, au blanchiment d’argent
et à des profits illicites considérables pour les organisations
criminelles. Il est le pendant d’un autre rapport préparé par M. François
Rochebloine (France, PPE/DC) sur «la bonne gouvernance et l’éthique
du sport», qui recouvre des aspects plus larges de l’éthique sportive
et de la lutte contre la corruption dans le monde du sport. Il s’agit
de défendre l’Etat de droit et de lutter contre le crime organisé.
2. Cadre général du
rapport
2.1. Le «modèle sportif européen»
en danger
6. De tout temps, le sport a été un facteur positif
dans la société et il a souvent été le symbole de la réconciliation
pacifique et de la bonne santé mentale et physique. Certains sports
sont devenus des facteurs économiques importants avec des enjeux
financiers considérables. Le sport peut également être considéré comme
facteur de divertissement et de spectacle. Les champions sportifs
incarnent des valeurs «nobles» comme le courage, l’honneur, le respect
de soi, des autres et des règles du jeu. Les sports collectifs,
en particulier, ont réuni à titre d’exemple des camps opposés dans
des situations de conflits. Le sport a longtemps été un moyen d’apprendre
aux enfants et aux adolescents à canaliser leur énergie et leur
agressivité potentielle dans l’effort physique, conformément à des
règles solidement ancrées dans l’«esprit sportif» et le «fair-play».
Le sport est un outil d’enseignement des compétences sociales fondamentales
et peut contribuer à la cohésion sociale en tant qu’activité inclusive
accessible à tous, sans distinction de nationalité, d’âge, de classe
sociale, de religion ni même de condition physique.
7. De par ce rôle central, toute atteinte au bon fonctionnement
de l’organisation du sport a des répercussions sur la société dans
son ensemble. Depuis quelques années, le risque a été décuplé par
la nature extrêmement lucrative de certains sports et des paris
sportifs. La
Résolution
1602 (2008) de l’Assemblée sur la nécessité de préserver le modèle
sportif européen indique ainsi
:
«La préservation du modèle sportif européen est le meilleur moyen
de sauvegarder les intérêts du sport et les bienfaits que le sport dispense
à la société. (…) Il ne fait aucun doute que le niveau professionnel
du sport est devenu de plus en plus une activité commerciale et
cette tendance négative est particulièrement marquée depuis deux décennies.
Nous avons assisté à l’internationalisation du sport et, par-dessus
tout, à un développement sans précédent de sa dimension économique,
notamment en raison du montant des droits de retransmission télévisée.»
8. Le présent rapport fait un tour d’horizon des domaines qui
devraient entrer dans le cadre de la prévention du trucage de matchs
et des sanctions à appliquer, et examine les initiatives nationales
et internationales qui ont été prises. Divers scandales ayant éclaboussé
plusieurs disciplines sportives viendront illustrer la situation
actuelle, ainsi que la gravité des risques et de leurs conséquences.
2.2. Définitions et principaux acteurs
9. D’après la Recommandation CM/Rec(2011)10 du Comité
des Ministres du Conseil de l’Europe, la «manipulation des résultats
sportifs» se définit comme «un arrangement sur une modification
irrégulière du déroulement ou du résultat d’une compétition […]
afin d’obtenir un avantage pour soi-même ou pour d’autres». L’abolition
des frontières et la libéralisation du marché des paris, conjuguées
à l’évolution des technologies (comme les paris via internet ou
les téléphones mobiles), engendrent des risques inédits qui appellent
de nouvelles initiatives pour limiter la manipulation des résultats
sportifs. Truquer les résultats sportifs revient, soit à «tricher
pour gagner», soit à «tricher pour perdre». On parle de spot-fixing pour désigner un accord
illicite portant sur une action spécifique pendant une compétition
(point perdu ou gagné, blessure, etc. – voir le scandale du cricket
au chapitre 3) et touche davantage certains sports que d’autres.
Le spread betting permet d’augmenter
le nombre de paris qui peuvent être engagés sur un résultat, les
joueurs ne pronostiquant pas seulement la victoire ou la défaite,
mais un score exact ou la probabilité de gagner. Le trucage des
résultats sportifs est généralement lié au crime organisé et implique
souvent le blanchiment d’argent.
10. On définit «très risqué» un pari avec une mise de départ élevée
et une cote également élevée. Par exemple, certains sites n’ont
pas de mise maximale par pari, ce qui permet de miser une somme
importante sur un événement qui a une probabilité très faible de
se produire. Les paris sur des événements bizarres (fun bets) sont également considérés
comme «risqués».
11. Outre les joueurs et les sportifs eux-mêmes, d’autres acteurs
peuvent être impliqués dans la corruption et le trucage de matchs;
y sont associés fréquemment:
- les
entraîneurs, qui peuvent influencer la performance d’une équipe
par le choix des joueurs ou des stratégies de jeu;
- les arbitres ou juges, qui peuvent modifier le sort d’un
match ou d’une compétition par une mauvaise application des règles
du jeu ou par une notation arbitraire de la performance
d’un sportif;
- les dirigeants sportifs, qui prennent les contacts et
concluent les arrangements «sous la table».
2.3. Le trucage de matchs aujourd’hui:
un problème d’une ampleur difficile à évaluer
12. Quelques scandales récents donnent une idée de la
nature et, en partie, de l’ampleur du phénomène en Europe, et de
la manière dont les problèmes ont été traités jusqu’à présent. On
ne dispose pas de chiffres fiables. A l’audition de la commission
en juin 2011, Pierre Cornu, représentant l’UEFA, a déclaré que la
plupart des matchs de football n’étaient pas manipulés et que «95
% des matchs de l’UEFA étaient “propres”». A l’opposé, Christophe
Blanchard-Dignac, président de la Française des Jeux (FDJ), estime
que les résultats d’un match sur quatre sont manipulés.
13. La difficulté réside naturellement dans le caractère illicite
de cette pratique et dans le fait qu’il est malaisé d’établir des
preuves; mais il semble que, par crainte des répercussions négatives
que cela pourrait avoir, les fédérations sportives soient quelque
peu frileuses ou réticentes lorsqu’il s’agit de révéler au grand
jour les cas de matchs arrangés; elles préfèrent laisser à des journalistes
déterminés ou aux enquêtes policières internationales le soin de
faire éclater les scandales. Une surveillance et une transparence
accrues au sein même des fédérations sportives nationales et internationales
sont nécessaires si l’on veut lutter efficacement contre la corruption
dans le sport en général et en finir avec les matchs truqués en
particulier. Il faut se rendre à l’évidence que de nombreuses fédérations
sportives n’ont pas les moyens nécessaires pour faire face au fléau.
14. Le montant global des paris sportifs reste relativement faible
en comparaison avec le chiffre d’affaires des jeux de hasard en
général. Par exemple, en 2009, les paris sportifs ont représenté
7 % des jeux de hasard en Italie et 2 % en France. Il s’agit néanmoins
de sommes d’argent significatives qui sont mises en jeu par une minorité
de parieurs. Par exemple, au niveau mondial, 5% des joueurs réalisent
entre 60 % et 80 % des paris. Christian Kalb nous expliquait qu’en
France 1 % des joueurs génère 50 % du marché des paris sportifs.
On trouve, parmi ces joueurs très actifs, des corrupteurs, des joueurs
pathologiques souffrant d’addiction aux paris et des professionnels,
comme des traders ou des spécialistes des calculs de probabilités.
L’idée générale est d’aller dans le sens d’une baisse d’attractivité
des paris sportifs en Europe pour ces trois catégories. S’agissant des
paris illégaux, en France, il a été montré que 75% des paris sur
internet sont pris sur des sites illégaux. Globalement, d’après
M. De Kepper, directeur général du CIO, la proportion entre paris
légaux et illégaux peut être de 1 à 20 jusqu’à de 1 à 10.
15. Par ailleurs, l’enjeu n’est pas seulement économique: c’est
l’avenir du sport qui est remis en question si son intégrité et
ses valeurs sont remises en cause. Le doute sur le caractère «équitable
et éthique» des compétitions et des résultats prévisibles amenuisent
l’intérêt des sponsors à financer le sport et celui des parents
à inscrire leurs enfants dans un club sportif. Mais il y a plus:
l’incertitude est à la base de toute compétition sportive; si les
résultats sont prévisibles, il n’y a ni vrai rivalité ni vrai spectacle;
il n’y a donc plus d’intérêt pour le public, le sport en tant que
pratique sociale, culturelle, économique, politique n’a tout simplement
plus lieu d’exister et il perd toute sa crédibilité.
2.4. Un problème planétaire
16. Dans certains pays d’Asie, comme l’Indonésie, la
Chine, la Corée et le Pakistan, 90% des résultats sportifs, toutes
compétitions confondues, seraient décidés à l’avance. Les progrès
des technologies modernes ont permis aux parieurs asiatiques d’étendre
leur «intérêt» aux sports pratiqués dans les pays où les gains sont plus
importants, bien que moins prévisibles. Les paris sont devenus plus
planétaires et, avec eux, le trucage des résultats avant ou pendant
les compétitions. Par ailleurs, les sommes d’argent colossales en
jeu dans certains sports (et par-dessus tout dans le foot), l’arrivée
de sportifs de très haut niveau dans le star-système et la popularité
des retransmissions sportives ont eu un fort impact négatif sur
l’intégrité du sport dans une communauté globale. De ce fait, toute
action contre le trucage des matchs devrait prendre en compte la nécessité
d’agir au-delà des frontières de l’Europe ou pour le moins de limiter
les effets du crime organisé qui opère ailleurs qu’en Europe.
3. Des cas récents de matchs truqués
3.1. Le trucage des matchs de football
3.1.1. Affaire Robert Hoyzer (Allemagne,
2005) et affaire Ante Sapina (Allemagne, 2011)
17. En 2005, l’affaire Hoyzer (premier volet du «procès
de Bochum») a impliqué un total de 25 personnes dont des joueurs
de football, des arbitres et des acteurs de l’économie souterraine.
Trois personnes ont été condamnées: deux arbitres, Robert Hoyzer
(2 ans et 5 mois de prison) et Dominik Marks (1 an et 6 mois de prison),
et le chef présumé du réseau, Ante Sapina (2 ans et 11 mois de prison).
Ce dernier aurait gagné environ deux millions d’euros en pariant
sur 25 matchs truqués (dont 23 des deuxième et troisième divisions allemandes)
entre avril et décembre 2004. Robert Hoyzer aurait touché quant
à lui 70 000 euros.
18. Six ans plus tard, dans le cadre du deuxième volet du procès
de Bochum, Ante Sapina est à nouveau condamné par la justice allemande
à cinq ans et six mois de prison pour avoir influencé les résultats
de 51 rencontres entre clubs et entre sélections nationales, dont
des rencontres de la Ligue des champions et des matchs de qualification
pour le mondial 2010, avec des ramifications dans 19 pays. Avec
l’aide d’un réseau très sophistiqué de criminels, quelque 12 millions
d’euros ont été payés à des arbitres, des joueurs, des entraîneurs
et des officiels de fédérations pour influencer les résultats des
rencontres ciblées. Les manipulateurs ont réalisé plus de 6 000
paris en Asie pour un volume total de plusieurs dizaines de millions d’euros
(dont 32,5 millions d’euros par un seul parieur), avec à la clé
un bénéfice d’environ 7,7 millions d’euros. Au total, 270 rencontres
truquées ont été retenues par les deux premiers volets du procès
de Bochum
.
3.1.2. Calciopoli (Italie, 2006)
19. Dans cette affaire très médiatisée, qui a secoué
le monde du football italien à cause de l’importance des équipes
et des personnages impliqués, certains clubs italiens avaient mis
en place un véritable système pour influencer la désignation des
arbitres pour les rencontres concernant leurs équipes. Ils s’arrangeaient
ensuite pour que les arbitres les avantagent sur des actions litigieuses.
Le principal protagoniste de ce scandale a été le directeur général
de la Juventus de Turin, Luciano Moggi. Le club a perdu son titre
de champion et a été relégué en deuxième division. D’autres clubs
ont eu des points de pénalité durant la saison sportive suivante.
3.1.3. Affaire Debrecen (Hongrie,
2009)
20. Une organisation criminelle a manipulé le résultat
d’un match de Ligue des champions et deux joueurs hongrois ont été
condamnés pour avoir manipulé le résultat du match auquel ils prenaient
part. Par la suite, une des deux condamnations a été annulée par
le Tribunal arbitral du sport en 2010.
3.1.4. Affaires de matchs truqués
actuels (en cours au début de 2012)
21. En Allemagne, le troisième volet du procès de Bochum
est en cours. En Grèce, 83 personnes sont soupçonnées de corruption,
blanchiment d’argent, paris illégaux, matchs truqués, impliquant
des joueurs, des dirigeants et des policiers. En Turquie, 60 suspects,
dont des dirigeants de grands clubs de première division turque,
ont été arrêtés à propos d’une affaire de matchs truqués afin de
faire gagner des parieurs en ligne. En Italie, une nouvelle affaire
de matchs truqués vient d’éclater; des soupçons de matchs truqués
pèsent sur des rencontres de troisième, deuxième et première divisions.
22. En Turquie, la loi no 6222 sur
la prévention de la violence et du désordre lors d’événements sportifs prévoyait
une sanction de 5 à 12 ans de prison en cas de trucage de matchs
(sans spécifier si cette sanction s’appliquait seulement aux parieurs
ou aussi aux footballeurs). Le parlement turc a voté à deux reprises
– le chef de l’Etat ayant mis son veto à la loi après le premier
vote – à la quasi unanimité (284 voix pour, 6 contre, 1 abstention)
la réduction de la sanction à 1 à 3 ans de prison. Cet assouplissement
ne peut que susciter de fortes réserves et aiguiser les soupçons
que cette loi protège les intérêts financiers illicites d’un lobby
puissant.
3.2. Le trucage des matchs de tennis
23. Pour les sportifs, «truquer» ou «manipuler» le résultat
d’un match de tennis est relativement facile, en raison du degré
très élevé de technicité, de rapidité et de précision du geste requis
à chaque coup. Un joueur de tennis professionnel peut rendre ses
coups moins efficaces (et donc plus faciles à jouer pour l’adversaire), faire
sortir la balle ou la mettre dans le filet «malencontreusement»
presque selon ses désirs. Il suffit de modifier volontairement la
trajectoire de la balle ou l’angle, l’effet ou la puissance de frappe.
Une petite faute volontaire est pratiquement impossible à détecter
(c’est-à-dire à la distinguer d’une faute involontaire) même en
visionnant les images. De plus, un tennisman professionnel sait
quels points sont cruciaux dans un match. Donner l’illusion de se
donner à fond sur (presque) toutes les balles mais perdre quelques
points importants permet facilement de fausser le résultat final
d’un match.
24. Les joueurs eux-mêmes le reconnaissent. En 2007, le Britannique
Andy Murray, l’un des meilleurs joueurs au monde, déclarait à la
BBC: «Tout le monde sait que les matchs truqués sont fréquents.
Il suffit de donner son maximum en début de set, de faire quelques
erreurs et ensuite de claquer une double-faute en passant.» Michael
Llodra, un joueur professionnel français, disait la même année:
«(…) je ne crois pas qu’on va voir quelque chose… si demain j’ai
envie de perdre 6-3 / 6-3, je peux vous assurer que personne ne
le verra.»
25. En fait, il n’y a qu’une manière de détecter un match truqué:
des paris anormaux. Les médias relayent souvent que le premier match
truqué au tennis date de 2007 avec la rencontre Nikolay Davydenko-Martin Vassallo
Arguello, lors d’un tournoi en Pologne, mais on peut supposer que
cette pratique est beaucoup plus ancienne. Le joueur russe Nikolay
Davydenko, qui partait largement favori, s’est finalement incliné
devant l’adversaire argentin. Il a justifié sa défaite en déclarant
qu’il souffrait d’une fracture de fatigue (blessure assez courante
au tennis) dont seuls lui et sa femme étaient néanmoins au courant.
Cependant, cela n’explique pas le niveau inhabituellement élevé
des mises pour ce match, mises qui de plus s’orientaient de manière surprenante
en faveur d’une victoire du joueur argentin, alors même que Davydenko
venait de remporter le premier set.
26. Selon des révélations de la Fédération internationale de tennis
aux journaux, 45 matchs de tennis ont potentiellement été truqués
ces dernières années, dans des tournois mineurs mais également dans
des tournois du Grand Chelem. Plusieurs déclarations de joueurs
de tennis font par ailleurs état de tentatives pour les acheter.
Par exemple, en septembre 2007, Novak Djokovic, l’actuel numéro
un mondial, a déclaré avoir été approché pour perdre un match lors
d’un tournoi en Russie. En octobre 2007, Michael Llodra et Arnaud Clément
faisaient des déclarations semblables. Et encore, en novembre 2007,
Younes El Aynaoui, un ancien grand joueur marocain, révélait au
journal Le Monde qu’on lui
avait proposé de laisser gagner son adversaire en lui offrant 25 000 €
(quatre ou cinq fois plus que la prime pour le vainqueur du tournoi
en question). On lui avait expliqué que c’était «courant dans le
milieu» et qu’il s’agissait là d’une «tentative pour truquer un
match dans le cadre des paris sur internet». Plus récemment, le
31 mai 2011, le joueur autrichien Daniel Koellerer a été banni à
vie par la TIU (Tennis Integrity Unit) pour avoir truqué trois matchs
entre 2009 et 2010.
3.3. Un exemple très récent: le
cricket
27. Le 3 novembre 2011, un joueur de 19 ans de l’équipe
nationale de cricket pakistanaise, Mohammad Aameer, a été condamné
à six mois de prison ferme pour avoir trempé, à 18 ans, dans une
affaire de corruption et de tricherie. Deux autres joueurs, Salman
Butt et Mohammad Asif, et leur agent, Mazhar Majeed, ont écopé de
respectivement trente, douze et trente-deux mois d’emprisonnement.
Les trois sportifs et l’agent ont été reconnus coupables de «conspiration
en vue d’obtenir de l’argent» et de «tricherie», et d’avoir manqué volontairement,
moyennant paiement, deux actions lors d’un match au Lord’s de Londres
en 2010.
28. Le scandale a éclaté après que Mazhar Majeed, l’agent des
joueurs, a indiqué à un journaliste déguisé du News of the World le moment précis
des deux actions truquées. Pour obtenir l’information, le journaliste avait
remis à l’agent 150 000 livres (174 500 €) en billets marqués et
donc reconnaissables, puis il a publié l’article qui a conduit au
procès.
29. Fait intéressant, le jeune Aameer a accusé le Pakistan Cricket
Board de ne pas éduquer suffisamment les joueurs, déclarant que
cet organisme ne l’avait pas suffisamment informé sur le code anticorruption
et qu’il n’avait pas pris la mesure de la gravité des risques qu’il
prenait. Il a également déclaré que lui-même et sa famille avaient
reçu des menaces pour l’empêcher de parler librement. Au procès,
le juge a conclu à la réalité des menaces «et des fortes pressions
exercées par le milieu qui contrôle les paris illégaux à l’étranger»
à l’appui de certaines preuves, notamment des documents de l’Unité
anticorruption et sécurité de l’International Cricket Council (ICC).
4. Nécessité d’une coopération
de tous les acteurs concernés
30. Le problème étant globalisé, les différents acteurs,
politiques, sportifs et économiques, ont tout intérêt à s’associer
pour mener à bien leur lutte contre un phénomène qui ne cesse de
prendre de l’ampleur.
4.1. Union européenne
31. Depuis 2007, l’Union européenne s’intéresse activement
aux problèmes posés par les paris sportifs
. La Commission
européenne (2007 et 2011
)
et le Parlement européen (2008
et
2011
)
ont pris des initiatives qui portent sur plusieurs aspects de la
question.
32. Au sein de l’Union européenne, les débats lors d’une réunion
au Parlement européen à Strasbourg en juillet 2011 ont mis en exergue
la nécessité d’une coopération entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne
en matière de lutte contre le trucage de matchs. Chaque institution
devrait se concentrer sur ses domaines de prédilection, le Conseil
de l’Europe ayant un rôle important à jouer du fait du caractère paneuropéen
et même international du phénomène. L’Union européenne, quant à
elle, aura son importance dans la régulation financière des paris
sportifs.
4.2. Le Comité international olympique
33. Le Comité international olympique (CIO) joue le rôle
de coordinateur entre les différentes fédérations sportives, afin
de trouver des solutions pour endiguer le fléau du trucage des matchs.
Il a pris des mesures prophylactiques dès 2007, la plupart des fédérations
sportives internationales n’étant pas outillées pour le faire. Des
mécanismes de suivi et des procédures disciplinaires ont été mis
en place. Néanmoins, ces mesures sont insuffisantes pour contrer
la grande criminalité.
34. Avec ces partenaires, le CIO a abandonné l’idée de la création
d’une instance comme l’Agence mondiale antidopage, qui serait trop
lourde à gérer. Néanmoins, il considère que les Etats doivent réguler
le marché des paris sur le plan mondial, et une coopération entre
le mouvement sportif et les instances publiques est indispensable.
Le CIO devrait continuer de jouer le rôle de coordinateur entre
les divers acteurs.
35. Le 1er mars 2011, le CIO a organisé
une réunion sur «la lutte contre les paris illégaux et irréguliers»
qui a impliqué des autorités publiques, des acteurs du mouvement
sportif et des opérateurs de paris en ligne. Il en est ressorti
qu’une coordination à l’échelle internationale s’imposait pour lutter
contre ce phénomène et que l’ensemble des acteurs présents pour
ce débat devait y contribuer. Un groupe de travail a été constitué, comprenant
trois groupes d’experts ayant chacun la charge de différents aspects
du problème des matchs truqués. Il a proposé un ensemble de recommandations
le 2 février 2012. De précédentes recommandations du CIO, formulées
lors du séminaire «Paris sportifs: un défi à relever», existent
depuis 2010
.
36. Selon M. Bach, vice-président du CIO, il serait souhaitable
d’avoir dans tous les pays une législation sur des mesures préventives,
notamment de surveillance des paris, et des mesures répressives.
Il faudrait s’accorder sur les paris à interdire et dépister les
dérapages. Les législations nationales devraient également tenir
compte du spot-fixing, alors
que dans de nombreux pays des paris portant sur une action spécifique
ne sont pas interdits. La difficulté réside dans le fait que la
manipulation doit être prouvée, ce qui dans le cas de spot-fixing est encore plus difficile.
4.3. FIFA/UEFA
37. La coopération avec les instances du football peut
constituer un bon moyen de tirer profit des systèmes de surveillance
de paris sportifs développés par la Fédération internationale de
football association (FIFA) et l’UEFA.
38. La FIFA a pris conscience du danger que représentent la corruption
dans le sport et les matchs truqués. Depuis 2004, elle dispose d’une
société privée (Early Warning System GmbH) chargée de sauvegarder l’intégrité
du football. Celle-ci met l’accent sur la prévention et sur un système
d’analyse du marché des paris sportifs lui permettant d’alerter
rapidement la FIFA en cas de suspicion. Cette société a notamment
surveillé les deux dernières coupes du monde de football en Allemagne
en 2006 et en Afrique du Sud en 2010, et est régulièrement consultée
pour surveiller d’autres sports.
39. La FIFA a signé un accord avec Interpol pour une durée de
dix ans. Elle financera, pour un total de 20 millions d’euros, un
programme de formation visant à lutter contre la corruption et les
paris sportifs illégaux. Par ailleurs, elle a annoncé le 10 janvier
2012 une série de mesures pour lutter contre les matchs truqués. L’organisation
envisage la mise en place, dès cette année, d’un système d’alerte
pour détecter en amont les risques de trucage des matchs. Elle fera
appel à Interpol et aux polices nationales, et prévoit de déployer
des enquêteurs de la FIFA en Asie, en Amérique du Nord et du Sud
et au Moyen-Orient.
40. D’autres mesures préconisées sont: une amnistie, un programme
de protection pour les sources révélant des matchs truqués, un numéro
de téléphone dédié permettant de dénoncer de façon anonyme des matchs
arrangés ainsi qu’un programme de réhabilitation pour des joueurs,
des responsables ou des administrateurs compromis dans ce genre
de dossiers. De son côté, l’UEFA a mis en place deux types de mesures:
- La première est un programme
d’éducation à destination des jeunes footballeurs, en accord avec
les 53 fédérations membres de l’UEFA. Deux catégories d’âge ont
été sensibilisées depuis 2010, les moins de 17 ans et les moins
de 19 ans. Les séminaires étaient axés autour de la prévention et
des risques, mais aussi autour des sanctions disciplinaires auxquelles
les joueurs s’exposent en cas de triche.
- La seconde est le système de détection des fraudes sur
les paris de l’UEFA (Betting Fraud Detection System) qui est effectif
sur toutes les rencontres de première et de deuxième division des
53 associations membres ainsi que sur les rencontres de l’UEFA comme
les matchs de la Ligue des champions, soit environ 29 000 matchs
par an selon l’UEFA.
4.4. Fédération internationale de
tennis
41. En 2008, la Fédération internationale de tennis ainsi
que les organisateurs des principaux tournois professionnels masculins
et féminins se sont associés pour créer la Tennis Integrity Unit.
Cette structure indépendante œuvre fortement pour la protection
de l’intégrité des compétitions de tennis au niveau mondial, en
proposant des programmes tels que le «Tennis Integrity Protection
Programme» ou encore le «Uniform Tennis Anti-Corruption Programme»
qui servent à informer les sportifs des pratiques de corruption,
afin de les prévenir, mais qui permettent aussi de mener des investigations
et de sanctionner la violation des règles édictées pour prévenir
la corruption et la manipulation des résultats.
4.5. Fédérations sportives nationales
42. Le crime organisé a pris de telles proportions dans
le sport qu’une fédération, une organisation ou un club ne peut
rien faire à elle ou à lui seul. Une coopération est nécessaire
pour éduquer les sportifs, faire la chasse à la fraude, faire respecter
les règlements et appliquer des sanctions sévères. Les fédérations
ont besoin de cadres solides pour financer et mener ces programmes
d’éducation et de formation; pour cela, elles ont besoin du soutien
des autorités nationales et peut-être aussi de ceux qui gagnent
beaucoup d’argent grâce au sport, notamment les sponsors et les
opérateurs de paris. Le prélèvement systématique d’un pourcentage sur
les produits des paris au bénéfice du mouvement sportif, conformément
au principe du «retour économique équitable», serait un bon moyen
de garantir plus d’égalité et d’équité dans le sport à tous les
niveaux.
4.6. Les opérateurs de paris en
ligne
43. Pour un opérateur de paris en ligne, l’intégrité
des compétitions sportives constitue la base de son activité économique.
La confiance dans le système est primordiale et les clients ne risqueront
leur argent que s’ils sont sûrs d’être à égalité vis-à-vis de l’ensemble
des parieurs. Pour cette raison, certains opérateurs annulent les
paris dès qu’une rencontre leur paraît suspecte et fournissent toutes
les informations nécessaires pour mener une enquête. Cette pratique
devrait être généralisée à l’ensemble des opérateurs. Des protocoles d’accord
avec les opérateurs privés ainsi que les associations européennes
de loteries sont également à encourager et à développer. Le principal
chiffre d’affaires ne provient pas d’activités sportives mais avant
tout du poker. Dans de nombreux pays, les opérateurs sont sponsors
d’équipes ou d’événements sportifs pour des raisons de marketing.
Dans ces cas, des conflits d’intérêts doivent évidemment être évités.
Les loteries et paris constituent des sources de revenus non négligeables
pour le mouvement sportif dans la mesure où, dans de nombreux pays,
une quote-part du bénéfice revient au sport.
4.7. Coopération policière nationale
et internationale
44. Vu la manière dont le football procède ces derniers
temps, une coopération avec les autorités policières est absolument
nécessaire. La police dispose en effet de moyens auxquels les autorités
sportives ne peuvent recourir. C’est par exemple le cas pour une
perquisition, pour recourir à des écoutes téléphoniques ou encore pour
mener à bien des arrestations de criminels. La particularité des
gains liés aux paris sportifs illégaux est qu’ils servent à subventionner
d’autres activités criminelles. La police et les autorités publiques
nationales, mais également internationales dans le cas où les criminels
sont basés dans un autre pays ou sur un autre continent, ont donc
entièrement leur place parmi les acteurs à impliquer dans la lutte
contre le trucage de matchs.
5. Nécessité d’une convention
internationale ouverte aux Etats non européens
45. La proposition de recommandation présentée par Mme Keaveney
et plusieurs de ses collègues (
Doc. 12406) proposait d’inviter le Comité des Ministres à «engager
des consultations en vue de créer un comité chargé d’identifier
les bonnes pratiques en matière de lutte contre la manipulation
de résultats sportifs, de définir les mesures que le Conseil de
l’Europe pourrait prendre pour réduire les risques de manipulation,
y compris sous la forme d’une convention, et de mettre sur pied,
le cas échéant, un mécanisme international de coordination de la
lutte contre les manipulations de résultats sportifs».
46. Une convention internationale permettrait de définir des normes
et des principes acceptés d’un commun accord afin de prévenir la
manipulation de résultats sportifs. La mission normative du Conseil
de l’Europe et sa dimension paneuropéenne feraient de l’Organisation
l’enceinte idéale pour élaborer un tel instrument; une convention
élargie permettrait de mieux maîtriser une question aux ramifications
mondiales et pourrait aussi faciliter l’adhésion de l’Union européenne.
47. Depuis le dépôt de la proposition, l’Accord partiel élargi
sur le sport (APES) du Conseil de l’Europe
a fait avancer les travaux sur une
convention et a préparé, pour adoption par le Comité des Ministres,
la Recommandation CM/Rec(2011)10 sur la promotion de l’intégrité
du sport pour lutter contre la manipulation des résultats, notamment
les matchs arrangés, qui demandait à l’APES d’étudier la faisabilité
d’une convention internationale. Cette étude a été présentée à la
Conférence du Conseil de l’Europe des ministres responsables du
sport à Belgrade le 15 mars 2012.
48. La participation des mouvements sportifs à la convention,
en tant qu’observateurs, devrait également être examinée. L’attention
portera aussi sur l’établissement de mécanismes de suivi effectifs,
en particulier la possibilité de généraliser les mécanismes de «retour
sur bénéfices» qui prévoient le prélèvement d’un pourcentage sur
les profits réalisés par les opérateurs privés de paris, en vue
de financer, d’une part, des mesures de lutte contre les matchs
truqués et, d’autre part, les mouvements sportifs européens.
49. Un mécanisme international de coordination et de suivi de
l’application des instruments juridiques pourrait assurer le suivi
des règles de prévention du trucage de matchs et fournir un cadre
pour l’élaboration et la mise en œuvre de nouvelles politiques par
l’ensemble des parties prenantes. Toutefois, l’existence de plusieurs
organes internationaux déjà dotés de moyens qui leur permettraient
de créer conjointement un cadre de prévention solide, ainsi que
la nécessité d’examiner de façon plus approfondie et de définir
plus précisément les dispositions à mettre en œuvre, implique qu’un
éventuel nouveau mécanisme de suivi ou organisme de contrôle devra
faire l’objet de discussions entre les parties prenantes. L’autre
possibilité serait que les Etats transposent la future convention
directement dans leur législation, ce qui garantirait la meilleure mise
en œuvre de ses dispositions au plan national.
50. Les structures internationales existantes peuvent très bien
constituer des outils adaptés pour une coopération internationale.
A cet égard, l’expérience et l’expertise des organes du Conseil
de l’Europe seront utiles – notamment le Groupe d’Etats contre la
corruption (GRECO), le Comité d’experts sur l’évaluation des mesures
de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du
terrorisme (MONEYVAL) et la Conférence des Parties à la Convention
du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à
la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement
du terrorisme (STCE no 198). Il convient
par ailleurs de noter que, dans son
Avis 241 (2002) relatif au projet de protocole additionnel à la Convention
pénale sur la corruption, l’Assemblée recommandait que le protocole
précise que le texte s’applique aussi aux arbitres sportifs nationaux
et étrangers: «L’Assemblée note que la définition du mot “arbitre”
contenue à l’article 1 du projet de protocole ne précise toutefois
pas dans quel cadre l’arbitre intervient. Elle considère qu’il serait opportun
que les arbitres sportifs soient couverts par le projet de protocole,
compte tenu des enjeux financiers ou autres que leurs décisions
peuvent avoir, comme l’actualité récente l’a montré», mais elle
n’a pas été suivie par le Comité des Ministres à l’époque.
6. Conclusions
51. Au cours de la préparation de ce rapport, j’ai pris
conscience de l’ampleur du phénomène des matchs truqués et de la
corruption de sportifs, d’arbitres et de dirigeants au sein du mouvement
sportif dans sa globalité. Si le problème est récent, il n’en devient
pas moins une priorité pour les fédérations sportives, mais également
pour les Etats, ceux de l’Union européenne en premier lieu, comme
en témoignent les priorités de la présidence polonaise en matière
de sport dans l’Union.
52. La manipulation des résultats sportifs permet aux organisations
criminelles de blanchir l’argent sale et de financer leurs activités
illégales grâce aux mécanismes des paris, et notamment des paris
en ligne. Elles en tirent des bénéfices rapides sans trop de risques:
les poursuites sont rares et les sanctions peu sévères. Des sanctions
dissuasives pour les cas de trucage de matchs sont donc devenues
nécessaires pour lutter efficacement contre la criminalité organisée
en Europe. Il est regrettable que tous les pays européens ne prévoient
pas cette infraction dans leur législation et l’on peut s’étonner
que certains pays où le trucage des rencontres sportives est érigé
en infraction puissent chercher à réduire la sanction prévue, comme
c’est le cas actuellement en Turquie.
53. L’incertitude des résultats est un fondement de la compétition
sportive et de l’intérêt qu’elle suscite auprès du public. La corruption
des sportifs, des arbitres ou des dirigeants qui aboutit à déterminer
d’avance les résultats sportifs mine le principe d’incertitude des
résultats sportifs et met en danger le sport européen dans son ensemble.
C’est donc la pérennité et l’avenir du sport qui sont au cœur du
débat. Un signal politique fort doit être envoyé aux citoyens européens
à cet égard, pour montrer que la corruption dans le sport n’est pas
moins grave que dans le reste de la sphère sociale.
54. Le mouvement sportif est l’acteur principal dans la lutte
contre la corruption et la manipulation des résultats sportifs.
Le principe d’autonomie du mouvement sportif fait partie du «modèle
européen du sport» et il est un pilier essentiel de l’organisation
du mouvement sportif. Néanmoins, dès lors que l’autorégulation se révèle
insuffisante et qu’un problème majeur dépasse la capacité des instances
sportives, comme c’est le cas pour les phénomènes en question, il
faut une intervention nationale ou supranationale.
55. Certains Etats européens ont interdit les paris sportifs privés
alors que d’autres ont introduit un «droit au pari sportif». Il
y a donc en Europe – et dans le monde – des approches divergentes
et des situations diverses sur le plan juridique, qui font obstacle
à la recherche de solutions communes.
56. Il faut dépasser ces obstacles et travailler ensemble, car
il n’y aura de solutions efficaces que si elles sont acceptées et
mises en œuvre par tous. Pour aboutir à des résultats concrets,
quatre éléments me semblent particulièrement importants.
57. Tout d’abord, il faut renforcer les actions d’information
et de prévention à l’égard de tous les acteurs concernés de près
ou de loin par les paris sportifs, et en particulier à l’égard des
sportifs, des professionnels chargés de les aider à avoir la meilleure
performance sportive et de ceux responsables de l’établissement
des règles sportives.
58. Deuxièmement, le mouvement sportif a besoin d’être soutenu
concrètement dans la lutte contre la corruption sportive et le trucage
des matchs. Le sport est une source de recettes considérables pour
certains opérateurs privés, dont les opérateurs de paris. Cela n’est
pas en soi critiquable, mais il semble approprié de leur demander
une contribution plus importante au financement des mécanismes nécessaires
pour préserver l’intégrité du sport et de son image. Un retour sur
les bénéfices des paris sportifs (calculé à partir du produit brut
des paris) pourrait avoir lieu au profit des organisations sportives.
Bien entendu, ce financement doit impérativement se faire de manière
transparente.
59. Troisièmement, la surveillance des paris sportifs doit être
faite dans le monde entier. Corruption et criminalité organisée
ne connaissent pas de frontières et une action concertée au niveau
global s’impose afin de rendre efficace le système de lutte contre
les corrupteurs et les organisations criminelles. Le renforcement et
l’harmonisation des codes pénaux au sujet des paris sportifs devraient,
dès à présent, être débattus en s’efforçant de surmonter les difficultés
qui découlent des différences entre les législations européennes
et des intérêts parfois conflictuels des divers acteurs. Tout au
moins, il faudrait coordonner les divers mécanismes existants, en
tenant compte des avantages et des limites de chaque système de
détection des fraudes, aucun n’étant infaillible, malheureusement..
60. Cela amène à un quatrième point: il faut améliorer le flux
d’informations et les synergies entre les parties concernées. Les
informations doivent circuler entre tous les acteurs dans le domaine
des paris sportifs et toutes les fédérations sportives doivent agir
en tant que garantes de l’intégrité de leur sport, en s’inspirant chacune
des meilleures pratiques développées par les autres.
61. J’espère que le présent rapport contribuera à attirer l’attention
des décideurs sur l’importance du problème de la manipulation des
résultats sportifs et sur le danger qu’il représente pour l’avenir
du sport en Europe, et à les convaincre qu’une action immédiate
et concertée de trois catégories d’acteurs est nécessaire.
62. Les gouvernements européens devraient se concerter entre eux
et coopérer, sur le plan juridique et aussi sur le plan judiciaire,
lorsqu’une affaire implique deux pays européens ou plus. L’interdiction
des sites internet illégaux et des bookmakers qui n’ont pas de licence
est également un enjeu qu’il faut sérieusement traiter à tous les
niveaux car aucun pays ne saurait y faire face de façon isolée.
63. Les fédérations sportives, quant à elles, devraient se rapprocher
des organisations et des systèmes des fédérations les plus avancées
dans la lutte contre la corruption et le trucage de matchs, et devraient
collaborer avec les gouvernements pour les autoriser à ’intervenir
là où la réglementation sportive a atteint ses limites; cela s’applique
notamment à l’introduction de sanctions pénales dissuasives et aux
investigations policières et judiciaires.
64. Les opérateurs privés et publics de paris sportifs ont également
un certain nombre d’efforts à faire, en particulier sur les paris
à risque qu’il faudra limiter au maximum voire interdire. Le signalement
des paris suspects aux fédérations et aux instances publiques compétentes
doit devenir systématique et rapide. Enfin, un certain nombre de
conflits d’intérêts nécessitent d’être clarifiés et une position
commune avec l’ensemble des opérateurs doit être trouvée.
65. C’est en ayant ces objectifs à l’esprit que j’ai formulé les
propositions contenues dans les projets de résolution et de recommandation
qui complètent ce rapport, tout en étant consciente du fait qu’il
s’agit d’un sujet complexe et compliqué et qu’il n’existe pas de
solution simple pour venir à bout de ce fléau qui nuit gravement
à l’intégrité du sport.