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Rapport | Doc. 12944 | 01 juin 2012

L'impact de la crise économique sur les collectivités locales et régionales en Europe

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : Sir Alan MEALE, Royaume-Uni, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12063, Renvoi 3623 du 25 janvier 2010. 2012 - Troisième partie de session

Résumé

Face à la crise économique, les collectivités locales et régionales de toute l’Europe voient leurs ressources affectées par la diminution des recettes fiscales et des transferts intergouvernementaux, tandis que la demande de services locaux va en augmentant. Il convient de mettre en place des stratégies globales et innovantes qui puissent aider les collectivités locales et régionales à surmonter la crise et à rendre leurs finances plus solides face à de futures situations de crise. Les politiques devraient se fonder sur des partenariats entre les acteurs publics, privés et associatifs et viser à maintenir des services publics de qualité pour toutes les couches sociales et, en particulier, pour les groupes ayant besoin d’une protection spéciale comme les enfants et les personnes âgées ou handicapées.

L’Assemblée parlementaire devrait appeler les Etats membres à lancer des processus nationaux de réforme appropriés et leur donner des conseils concernant les principes à suivre. Au moyen de leurs cadres législatifs et fiscaux, les gouvernements devraient garantir aux collectivités locales et régionales une certaine marge de manœuvre pour fixer l’assiette et les taux des impôts locaux, tout en maintenant des modalités équilibrées de financement des budgets locaux. Il faudrait améliorer l’efficacité et l’efficience de la prestation des services locaux. Tous les programmes nationaux en la matière devraient être soutenus par une approche coordonnée et des échanges réguliers de bonnes pratiques au niveau européen.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 25 avril 2012.

(open)
1. La crise économique actuelle a de graves répercussions sur les collectivités locales et régionales en Europe. Nombre d’entre elles connaissent d’importantes réductions de leur revenu direct et des ressources mises à leur disposition par le biais des budgets nationaux, alors que la demande de services publics va croissant et que les difficultés économiques engendrent une perte de revenus et divers problèmes qui y sont liés pour les foyers.
2. L’Assemblée parlementaire est profondément préoccupée par l’ampleur des problèmes sociaux provoqués par la crise et par la réduction des programmes de protection sociale, par son impact sur la fourniture de services publics de qualité et la baisse des niveaux d’investissement dans des domaines stratégiques comme l’éducation et la santé, et les services dont dépend le bien-être de groupes vulnérables de la population.
3. L’Assemblée estime qu’il appartient aux collectivités locales et régionales elles-mêmes de faire partie de la contribution vers une relance de l’économie, gage de revenus futurs, et qu’elles doivent être habilitées à le faire. Dans ce contexte, l’Assemblée insiste sur l’importance de partenariats entre les collectivités locales, les entreprises, les établissements d’enseignement et de recherche et les organisations de la société civile, de façon à s’attaquer aux inégalités sociales et à assurer la prise en charge des groupes ayant besoin de protection spéciale, tels que les enfants, les personnes âgées, ainsi que les personnes souffrant de difficultés d’apprentissage ou handicapées.
4. Il y a lieu de veiller à la protection des droits sociaux fondamentaux dans la prise de décisions relatives à l’allocation des budgets locaux ou au transfert intergouvernemental de ressources aux collectivités locales et régionales. Par ailleurs, en période de crise économique, lorsque les autorités sont confrontées à des responsabilités accrues en matière de services et d’aide aux foyers dans le besoin, les budgets locaux et régionaux doivent être adaptés, conformément à l’article 9 de la Charte européenne de l’autonomie locale (STE no 122).
5. Par conséquent, l’Assemblée lance un appel aux Etats membres du Conseil de l'Europe pour qu’ils veillent à ce que les réformes nationales relatives aux finances locales et régionales soient faites dans la transparence et en y associant les collectivités locales et régionales elles-mêmes. Afin d'assurer la durabilité des finances locales et régionales pour renforcer leurs capacités de fournir des services de qualité à leurs citoyens, ces réformes devraient avoir pour objectifs:
5.1. concernant le cadre législatif et fiscal:
5.1.1. en faisant en sorte que les budgets locaux soient moins tributaires de bases d’imposition extrêmement instables liées, par exemple, aux bénéfices des entreprises et aux transactions immobilières;
5.1.2. en élargissant, le cas échéant, l’accès aux impôts sur le revenu individuel de façon à établir une assiette fiscale plus durable au niveau local;
5.1.3. en accordant aux collectivités locales une plus grande marge de manœuvre pour fixer l’assiette et les taux des impôts locaux et des redevances;
5.1.4. en évitant des coupes disproportionnées dans les transferts intergouvernementaux aux collectivités locales, et des coupes imposées dans des délais déraisonnables ou concernant des services facultatifs comme ceux des organisations locales, dont le rôle est important pour préserver la cohésion sociale;
5.1.5. en soutenant généralement le maintien d'une combinaison équilibrée d'impôts locaux et de transferts intergouvernementaux pour le financement des budgets locaux;
5.1.6. en supprimant les normes légales qui imposent la fourniture de services coûteux;
5.2. concernant l’efficacité et l’efficience de la fourniture des services locaux:
5.2.1. en favorisant le ciblage des prestations sociales pour assurer que les groupes ayant besoin d’une protection spéciale reçoivent une aide adéquate, y compris la possibilité de soumettre les prestations et les aides à des conditions de ressources, et en soutenant les services de soins de proximité et à domicile pour les malades et les personnes âgées, afin d’alléger quelque peu la demande pesant sur les établissements de santé;
5.2.2. en soutenant la réorganisation des autorités chargées de la fourniture des services en vue de maintenir les services tout en réduisant les frais administratifs;
5.2.3. en renforçant, le cas échéant, la coopération intercommunale pour que la prestation de services au niveau local soit plus performante et efficace;
5.2.4. en promouvant le recours à diverses formes de partenariats, y compris les partenariats public-privé et l’implication du secteur associatif, afin de reconfigurer la fourniture et la prestation des services publics sans réduire la responsabilité des autorités publiques;
5.2.5. en encourageant les collectivités locales à optimiser l’efficacité et l’efficience de la fourniture des services, en particulier au moyen d’une formation adéquate du personnel, en garantissant l’égalité d’accès de toutes les catégories de la population;
5.2.6. en promouvant les efforts déjà déployés par nombre de collectivités locales pour réduire les coûts salariaux par des moyens autres que des licenciements économiques;
5.2.7. en mettant en avant les principes de transparence et d’efficience des dépenses publiques à tous les niveaux;
5.3. concernant la coopération européenne dans ce domaine:
5.3.1. en favorisant la continuation des échanges de bonnes pratiques au niveau européen de façon à mutualiser les compétences pouvant être partagées utilement;
5.3.2. en faisant des «Lignes directrices de Kyiv», approuvées par la Conférence du Conseil de l’Europe des Ministres responsables des collectivités locales et régionales lors de sa 17e session à Kyiv en novembre 2011, un outil de référence essentiel, et en favorisant leur application dans les Etats membres du Conseil de l’Europe;
5.3.3. au niveau du Conseil de l’Europe, en suivant un agenda commun à établir par le Comité des Ministres et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, comme l’a proposé le ministre espagnol de la Politique territoriale et de l’Administration publique, M. Manuel Chaves, dans son rapport à la Conférence ministérielle à Kyiv.

B. Exposé des motifs, par Sir Alan Meale, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. En 2009, au plus fort de la crise économique, le produit intérieur brut (PIB) réel de l’Union européenne a accusé une baisse de 4,3 %. La même année a vu le taux de chômage général augmenter pour atteindre un niveau moyen de 10,2 %. D’après Eurostat, les premiers signes d’une lente reprise ont commencé à se manifester en 2010, avec une croissance de 2 % du PIB dans les 27 pays de l’Union européenne. Cependant, le taux de croissance est de nouveau retombé à 1,5 % en 2011 et l’on prévoit qu’il s’établira à 0 % en 2012, une reprise de la croissance réelle étant attendue seulement en 2013 
			(2) 
			Données Eurostat: «Taux
de croissance du PIB réel – en volume, variation par rapport à l'année
précédente» (données consultées le 11 avril 2012; dernière mise
à jour le 2 avril 2012), http://epp.eurostat.ec.europa.eu/portal/page/portal/eurostat/home/.. Malheureusement, alors qu’elle commençait à amorcer un certain recul, la crise économique et financière s’est muée en une «crise de la dette souveraine» et cette situation continue aujourd’hui à assombrir l’horizon politique et économique de l’Europe.
2. Ces évolutions ont des répercussions négatives sur les budgets des pouvoirs locaux et régionaux, de même que sur les services publics qu'ils sont supposés fournir. Par exemple, ces derniers alignent souvent leurs bases fiscales locales de manière trop étroite sur la situation économique des entreprises locales. De telles pratiques peuvent, dans les périodes de ralentissement, causer des turbulences économiques, en particulier quand elles sont appliquées pendant des coupes réelles de fonds provenant des budgets nationaux, ce qui compromet souvent la prestation de services publics de qualité et met à rude épreuve le financement de la protection sociale.
3. Dans ce cadre, il convient de souligner l’importance de textes tels que la Charte sociale européenne révisée (STE no 163), qui comporte des dispositions sur les services de sécurité et de protection sociales, sur des conditions de vie décentes, l’éducation primaire et secondaire gratuite ou encore un logement d’un niveau suffisant, ou comme la Charte européenne de l’autonomie locale (STE no 122), dont l’article 9 (paragraphe 2) dispose que les collectivités locales ont droit à des ressources propres suffisantes qui doivent correspondre aux compétences prévues par la Constitution ou la loi.
4. Il faut mesurer, de manière plus approfondie, les conséquences précises de la crise économique sur les finances locales et régionales dans chacun des pays. La question est de savoir quelles nouvelles méthodes ou systèmes ont été ou pourraient être adoptés à l’échelon national et local pour atténuer la pression fiscale dans un premier temps et y mettre fin, et pour renforcer les capacités des collectivités locales de répondre à la crise sur le long terme 
			(3) 
			Le rapporteur tient
à remercier en particulier M. Kenneth Davey, expert britannique
sur la réforme de la gouvernance locale, ancien professeur, The
School of Public Policy, université de Birmingham, et ancien associé
et chercheur, Local government and public
service reform initiative (LGI), Open Society Institute
(opérationnel jusqu'en décembre 2011), pour sa contribution substantielle
à l’élaboration de ce rapport.. Le présent rapport porte spécifiquement sur les collectivités locales, qui sont le niveau gouvernemental le plus proche des citoyens et sont responsables de la fourniture de divers services.

2. Caractéristiques de l’état des finances locales

5. Les recettes des collectivités locales ont diminué en termes réels dans nombre de pays européens ayant communiqué des données pour 2009-2010, notamment de 19,7 % en Bulgarie, de 13,1 % en Allemagne et de 11,3 % en Irlande 
			(4) 
			Ces données sont tirées
d’une enquête spécifique menée parmi les Etats membres du Conseil
de l’Europe par le secteur intergouvernemental de l’Organisation,
avec l’aide de l’expert mentionné à la note précédente. Les résultats
de cette enquête ont été publiés notamment dans le document «Gouvernance
locale en temps critiques: des politiques pour la crise, le redressement
et l’avenir durable», textes du Conseil de l’Europe (2011) publiés
sous la direction de Kenneth Davey, Strasbourg, février 2012.. Les différentes caractéristiques de l’état actuel des budgets locaux sont décrites dans les chapitres suivants. On ignore encore – ou on ne connaît pas pleinement – la forme que prendront les actions et décisions intergouvernementales pour contrer la récession qui touche toute l'Europe. Néanmoins, il est évident que certaines des mesures d’austérité introduites par les gouvernements européens depuis 2009 ont eu un impact immédiat sur la situation budgétaire des collectivités locales et régionales, dont on trouvera plus loin certaines illustrations. On prévoit généralement que les perspectives économiques globales continueront à peser sur les budgets locaux et régionaux, tout particulièrement sous l’effet de certaines des politiques gouvernementales d’austérité qui ont été mises en place ou même renforcées en 2011 
			(5) 
			Le rapporteur remercie
également M. André Boulanger, directeur des études, et Mme Isabelle
Chatrie, chef du service des études internationales de Dexia Crédit
Local, pour l’échange de vues très fructueux qu’il a tenu avec eux
le 23 mars 2012 à Paris..
6. L’analyse et les recommandations qui suivent s’appliquent aussi en grande partie à la situation des autorités régionales, qui sont tout autant affectées par la crise économique que l’échelon local. Cependant, leur nature et leur rôle au sein des systèmes politiques et administratifs nationaux varient fortement d’un pays à l’autre en Europe. Aborder la situation spécifique des différentes autorités régionales excèderait, par conséquent, les limites de ce rapport. Néanmoins, selon une étude menée par l’Assemblée des régions d’Europe (ARE), les autorités régionales considèrent qu’elles ont «un rôle très important à jouer dans les pays européens pour lutter contre la crise économique» 
			(6) 
			Assemblée des régions
d’Europe (ARE), «Les régions européennes: une chance pour lutter
contre la crise économique», Déclaration de Fribourg, adoptée par
le Bureau de l’ARE le 15 mai 2009, www.aer.org..
7. En février 2012, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, s’exprimant devant le Comité des régions (CdR), a souligné l’importance de la participation des régions et des villes aux initiatives actuelles de l’Union européenne, notamment celles en faveur de l’emploi des jeunes et du développement des petites et moyennes entreprises (PME), et appelé les gouvernements nationaux à définir des approches sur mesure avec les collectivités régionales et locales 
			(7) 
			Comité
des régions, «Barroso: sortons de la crise grâce à la solidarité
et à la responsabilité et avec les régions européennes», communiqué
de presse, 17 février 2012, <a href='http://www.cor.europa.eu/'>www.cor.europa.eu</a>.. On peut certainement affirmer que toute initiative des gouvernements régionaux en faveur de la reprise et de la croissance économiques pourrait aussi avoir des répercussions positives sur la situation des collectivités locales.

2.1. Distribution des recettes

8. D’après les chiffres fournis par Dexia en 2011, les revenus propres et les revenus fiscaux partagés, qui constituent la deuxième source de revenus du secteur public territorial, ont continué à baisser de 1,5%, après une baisse antérieure de 4,3 % en 2009, année au cours de laquelle la crise économique et les mesures fiscales anticycliques ont fait pleinement sentir leurs effets. En 2010, les revenus ont continué à baisser légèrement de 0,8 %; des baisses brutales ont cependant été enregistrées dans plusieurs pays de l’Union européenne comme l’Allemagne, l’Espagne, le Luxembourg et le Royaume-Uni, seuls quelques pays (Belgique, Danemark, Italie, Finlande et France) ayant vu une augmentation des revenus fiscaux 
			(8) 
			Dexia
Crédit Local, Finances publiques territoriales
dans l’Union européenne, Paris, juillet 2011..
9. La récession a renforcé les inquiétudes habituelles quant à l’impact des impôts locaux sur les entreprises. Le problème se présente en fait sous plusieurs angles. Par exemple, si les collectivités locales avaient fondé leurs dépenses sur les bénéfices ou le chiffre d’affaires des entreprises, elles auraient beaucoup pâti du recul général de l’économie, ce qui aurait entraîné une certaine volatilité des budgets qui continuent de financer des dépenses récurrentes comme les salaires des enseignants ou l’entretien du réseau routier. Il est par conséquent important de comprendre que dans de telles conditions économiques, les entreprises peuvent considérer ces charges et autres obligations fiscales comme des fardeaux intolérables imposés par des responsables politiques locaux, sans tenir compte des conséquences.
10. Ces opinions ont pendant longtemps été attribuées à la taxe professionnelle française, qui est la plus grande source de revenu fiscal des collectivités locales du pays. Il était par conséquent inévitable que la récession actuelle ranime les pressions exercées par les entreprises pour obtenir la suppression de cette taxe, qui est principalement fondée sur la valeur locative des actifs. En l’occurrence, la taxe a fini par être supprimée et remplacée par la cotisation économique territoriale (CET), qui intègre la valeur ajoutée dans la base de l’évaluation. Ce changement a entraîné une perte fondamentale de pouvoir pour les collectivités locales, les taux destinés aux entreprises étant désormais fixés par les autorités nationales, ce qui représente un nouveau changement significatif par rapport aux situations budgétaires locales à un moment où les coûts de la cohésion sociale augmentent rapidement.
11. Il existe beaucoup d’autres impôts locaux imposés aux entreprises qui ont bel et bien été supprimés ou limités pour alléger leurs charges fiscales et leur permettre de survivre pendant la période de récession. Par exemple, les taxes locales sur les périodes de soldes et sur certains produits comme les bateaux vont disparaître en Estonie d’ici à 2012. De la même façon, les municipalités irlandaises ont largement respecté les demandes nationales de modérer les impôts fonciers, alors que les compétences des municipalités slovaques en matière de fixation des impôts fonciers des entreprises ont été sévèrement restreintes, de même que celles des collectivités locales albanaises en matière d’ajustement des taux pour les petites entreprises.
12. En dépit de ce qui précède, certaines sources locales de revenus ont bien sûr augmenté pendant la période de récession. Par exemple, en Finlande, la part des recettes fiscales commerciales allouée aux municipalités a été portée à 32 %. Le taux de taxation des véhicules à moteur en Moldova a augmenté de 30 %. En Croatie, 54 collectivités locales ont profité de pouvoirs élargis pour augmenter les impôts sur le revenu des personnes physiques. En Ukraine, les biens immobiliers feront bientôt l’objet d’une taxe municipale. En Irlande, les conseils municipaux ont obtenu le droit de taxer les résidences secondaires et un impôt foncier général a été mis en place en janvier 2012. Enfin, le gouvernement britannique a annoncé son intention de rétablir le droit des collectivités locales à conserver une partie des impôts fonciers qu’elles perçoivent auprès des entreprises, qui sont actuellement simplement redistribués au prorata de la population nationale.
13. D’une manière générale, la seule source locale de revenus ayant connu une augmentation globale de 2 % en 2010 est celle liée à la fourniture des services publics locaux, qui représente 12 % des revenus des collectivités locales, grâce au relèvement de la tarification des services et à l’introduction de nouvelles redevances 
			(9) 
			Dexia Crédit Local, Finances locales en France: grandes tendances
2011, Paris, novembre 2011..

2.2. Répartition des dépenses

14. Alors que la récession n’a pas occasionné de changements comparables au niveau de la répartition des dépenses, la Roumanie, où la responsabilité de la grande majorité des hôpitaux a été déléguée aux collectivités locales, fait figure d’exception. L’Etat a cependant pris la responsabilité de financer entièrement les prestations sociales. L’Islande constitue une autre exception, ses municipalités ayant depuis peu pris à leur charge les personnes handicapées.

2.3. Transferts intergouvernementaux

15. Dans quasiment tous les pays, les recettes des gouvernements nationaux ont été plus sévèrement touchées que celles des collectivités locales; la situation s’est rapidement aggravée parce que de nombreux gouvernements ont été incapables de servir, voire de reconduire, la dette souveraine, et de financer suffisamment les collectivités territoriales. Ici encore, les chiffres recueillis par Dexia indiquent que les aides et les subventions, qui constituent la principale source de revenus du secteur public territorial, ont baissé de 1% en 2010. Il s’agit là d’un revirement par rapport à 2009 où les gouvernements avaient adopté d’importantes mesures d’aide aux collectivités locales dans le cadre des plans de relance. En 2010, les coupures budgétaires décidées par les gouvernements centraux pour répondre à la crise des finances publiques ont amené un grand nombre d’entre eux à réduire ou à geler les transferts en direction de l’échelon territorial 
			(10) 
			Dexia
Crédit Local, Finances publiques territoriales
dans l’Union européenne, Paris, juillet 2011..
16. En outre, certains gouvernements n’ont pas pu résister à la tentation de réduire les transferts. La Serbie illustre bien cette situation: en effet, en 2010, le parlement a amendé la législation indexant les dotations sur le budget national de manière à ce que les municipalités ayant un revenu par tête supérieur à la moyenne perçoivent moins qu’elles ne le devraient normalement, pendant au moins un an. L’année dernière encore, le gouvernement bulgare a bloqué 15 % des dotations pour les fonctions déléguées à mi‑parcours de l'exercice budgétaire. Dans le pays du rapporteur, le Royaume-Uni, les efforts engagés par le gouvernement pour réduire le déficit structurel des finances publiques pourraient entraîner dans certains cas des réductions de subventions atteignant 12 % par an en 2015.
17. En revanche, d’autres gouvernements ont été plus accommodants avec les budgets locaux. L’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne et la Norvège ont en effet accordé des financements à court terme à de petits projets d’investissement destinés notamment à maintenir l’activité du secteur de la construction. Plusieurs pays dont l’Albanie, le Danemark, la Finlande, la Norvège, la Pologne, la République Slovaque et la Suède ont augmenté provisoirement les transferts de portée générale afin de compenser la diminution des recettes fiscales des collectivités locales.
18. Cependant, en 2011, la capacité de plusieurs pays à servir ou à reconduire leur dette souveraine a suscité de sérieux doutes, ce qui a entraîné une réduction des subventions dans des pays comme la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Portugal et l’Espagne. Cette situation a tour à tour donné lieu à des réductions délibérées et, à long terme, des transferts dans d’autres pays, comme la Roumanie et le Royaume-Uni, qui ont dû redoubler d’efforts pour limiter les déficits structurels de leurs finances publiques. Au Royaume-Uni, ces efforts ont représenté, dans certains cas, des réductions de subventions pouvant atteindre 12 % par an jusqu’en 2015. Ceci confirme donc les conclusions de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) selon lesquelles les conséquences financières de la récession sont plus durement ressenties par les budgets locaux une fois l’économie relancée, lorsque les gouvernements nationaux tentent de réparer les dommages causés à leurs finances publiques en général.

2.4. Performances en termes de recettes

19. L’effet de la récession sur les budgets locaux s’explique par quatre facteurs au moins:
  • la sévérité du ralentissement;
  • la situation des collectivités locales et les réponses apportées par le gouvernement national;
  • les décalages dans le temps liés au régime d’imposition;
  • la nature de l’assiette des revenus locaux et sa vulnérabilité face aux changements économiques.
20. Selon l’OCDE, ce sont les recettes de l’impôt foncier qui ont été le moins touchées par les récessions économiques précédentes; viennent ensuite successivement les recettes de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, l’impôt sur le chiffre d’affaires des entreprises, et les bénéfices des entreprises qui ont été le plus malmenés.
21. On aurait pu s’attendre à ce que la chute spectaculaire des valeurs immobilières affecte négativement les recettes des impôts fonciers locaux, ceux-ci étant la source de revenus la plus commune en Europe à l’échelle locale. Cependant, dans la plupart des pays européens, les impôts fonciers reposent généralement sur une formule de valorisation rarement actualisée, ce qui en conséquence prive les collectivités d’une fiscalité dynamique en période de croissance, mais apporte une stabilité bienvenue en période de récession économique.
22. Par exemple, au Royaume-Uni, les recettes des impôts fonciers locaux ont continué d’augmenter d’un milliard de livres par an au cours de chacune des quatre dernières années, et la plupart des pays ont également fait état de l’augmentation de leurs recettes provenant des impôts fonciers et des impôts sur la propriété (par exemple en 2009, 25 % en Ukraine, 28 % en Russie et 23 % en République tchèque).
23. En période de récession, les recettes des impôts fonciers sont particulièrement vulnérables, ce qui crée des tensions négatives, notamment chez les patrons d’entreprises. Par exemple, les cessations de paiement ont réduit les recettes grecques de 19,5 % en 2009, et, la même année en Pologne, les communes rurales ont accordé une réduction des taux individuels de 32 % supplémentaires. Cependant, en France comme au Royaume-Uni, les autorités compensent efficacement l’incapacité des contribuables à s’acquitter de l’impôt par des subventions déguisées pour répondre à la crise.
24. En revanche, les taxes locales sur les ventes de biens ont chuté instantanément et radicalement dans de nombreux pays. Atteignant par le passé plus de 8 milliards d’euros par an en France, elles ont considérablement baissé, ce qui a porté un coup sérieux aux départements (qui doivent également supporter les coûts importants de l’aide sociale).
25. Le droit des collectivités locales de percevoir une partie de l’impôt sur le revenu des personnes physiques varie en Europe, de même que les dispositifs utilisés – qu’il s’agisse du partage des recettes avec l’Etat ou d’une surtaxe locale, la répartition est effectuée en fonction de l’origine (lieu de résidence ou d’emploi) ou d’une clé de répartition. Cependant, quelle que soit la méthode appliquée, partout où ce droit existe, les recettes ainsi collectées représentent une part importante des budgets locaux (70 % du total des recettes locales en Ukraine, 50 % en Estonie). L’impôt sur le revenu des personnes physiques constitue également une source de recettes majeure pour les grandes collectivités locales des pays nordiques, de l’Europe centrale et de la Suisse.
26. Il est évident que la hausse du chômage ampute les recettes de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, et les personnes qui ont encore un travail gagnent parfois moins, à cause d’une réduction de leurs horaires, de leurs primes, voire d’une baisse de leur salaire. Par exemple, les recettes de l’impôt sur le revenu des personnes physiques que perçoivent les collectivités locales slovaques ont augmenté de 47 % au cours des quatre années qui ont précédé la crise, mais ont diminué de 25 % en termes réels en 2009 et 2010. Certains pays ont également abaissé les barèmes d’imposition pour essayer de relancer la consommation; le taux maximum d’imposition en Pologne avait déjà baissé de 40 % à 32 %, et le seuil du revenu imposable a été relevé en Hongrie. La situation est plus radicale en Ukraine, où l’impôt sur le revenu des personnes physiques revient intégralement aux oblast (provinces), aux municipalités et aux districts (rayony), car les recettes ont chuté l’an dernier de plus de 20 % en termes réels, en grande partie à cause d’arriérés de paiement des salaires.
27. De même, les taxes locales appliquées aux bénéfices des entreprises ou à leur chiffre d’affaires sont de nature isolée et particulière, les victimes étant souvent accusées de fausser la concurrence sur un marché mondialisé. Elles sont également très vulnérables face à la récession économique. Les collectivités locales allemandes font état d’une diminution importante de la taxe locale prélevée sur les bénéfices des sociétés (Gewerbesteuer) – pertes qui se traduisent par une augmentation importante des découverts dans les caisses d’épargne locales. De même, la taxe hongroise sur les sociétés, prélevée rétrospectivement sur leur chiffre d’affaires, a connu les effets de la récession, principalement en 2010. Les municipalités tchèques ont enregistré une chute de 27 % de la part qu’elles perçoivent sur l’impôt sur les bénéfices des entreprises en 2009. En Pologne, les régions ont perçu 14,3 % de moins par rapport à 2009. Le Portugal fait état d’une diminution de la surtaxe locale appliquée aux bénéfices des sociétés. En Russie, les régions ont également connu en 2009 la plus forte baisse de leurs recettes provenant de la taxe sur les bénéfices des sociétés (de l’ordre de 70 %).
28. Les recettes provenant de la taxe sur la valeur ajoutée sont largement partagées avec les collectivités locales dans les pays du sud-est de l’Europe, à titre de compensation de la suppression des taxes locales sur les ventes, qui étaient en vigueur dans l’ex-Yougoslavie. Le rendement de cette taxe est lié directement au volume et à la valeur de la production industrielle et du commerce et, par conséquent, il est très sensible à toute baisse. De telles recettes constituent la moitié des recettes des collectivités locales de Bosnie, et leur rendement a enregistré un recul de 17,5 % en Republika Srpska en 2009.
29. Par contre, les effets de la crise sur les recettes provenant des droits et des redevances sont moins évidents car ils sont répartis entre le budget des collectivités locales et celui des entreprises de services collectifs. Les répondants font largement état d’une diminution des recettes provenant des permis de construire et d’autres droits et taxes d’urbanisme, en particulier au Royaume-Uni. La Lettonie signale une diminution des taxes perçues sur l’approvisionnement en eau, l’assainissement, le chauffage et la collecte des ordures ménagères, tandis qu’en Ukraine, 60 % seulement des ménages s’acquittent en réalité des charges relatives aux services collectifs.

2.5. Equilibre des recettes

30. Les partisans du fédéralisme fiscal (essentiellement des Nord-Américains) attribuent souvent de nombreux avantages à l’autonomie fiscale locale, évaluée en fonction du degré de dépendance du budget local à l’égard des recettes perçues et collectées par les collectivités locales elles-mêmes. Ceci n’a pas été confirmé par l’expérience récente de l’Europe. Les budgets locaux financés principalement par les impôts locaux ou les transferts intergouvernementaux ont subi des pertes nettement plus lourdes que ceux financés par une combinaison équilibrée de ces sources. La vulnérabilité des impôts et des transferts individuels tant face aux chocs économiques que face aux changements de politiques varie tellement d’un Etat à l’autre et d’une source à l’autre qu’une combinaison équilibrée est souvent nettement plus sûre.
31. Il va sans dire que la récession a suscité dans de nombreux pays un débat sur la nécessité de modifier les impôts locaux prélevés sur les bénéfices des sociétés. Il a été décidé dans quelques pays de supprimer les impôts locaux pour certaines activités afin d’atténuer les charges fiscales. Néanmoins, les sources de recettes fiscales ont été renforcées dans certains pays européens. Etant donné que les recettes des gouvernements nationaux ont été touchées les premières par la crise, de nombreux pays ont réduit les transferts de ressources aux communes. L’expérience européenne a montré qu’une combinaison équilibrée de sources de financement des budgets locaux, à la fois par le biais des impôts locaux et des transferts intergouvernementaux, était beaucoup plus fiable en période de crise.

3. Réduction des coûts

32. Tirer le meilleur parti de ressources plus rares est un défi permanent. Les rapports révèlent de nombreuses tentatives d’amélioration de l’efficacité et de l’efficience des dépenses des collectivités locales.
33. Des approches globales – de haut en bas et de bas en haut – ont été adoptées par deux des pays les plus gravement touchés par la récession, l’Irlande et l’Islande. Le gouvernement irlandais a orchestré des réformes de fond et des réformes sectorielles – y compris des économies d’échelle grâce à la réallocation et au partage des prestations de services et par le biais de procédures administratives –, des gains d’efficacité fondés sur une étude comparative des performances d’une valeur de 500 millions d’euros, une baisse des salaires, le gel des embauches, et la répression de l’évasion fiscale. La ville de Reykjavik, confrontée à une baisse de ses recettes de 20 % en deux ans, a imposé des baisses progressives de salaire aux cadres supérieurs, le gel des embauches, 300 améliorations des performances fondées sur des suggestions émises par le personnel via internet, et la coopération avec des entreprises et des associations.
34. Dans nombre de pays, une forte baisse de l’investissement local (représentant environ 15 % des dépenses locales) a été observée en 2010, notamment en ce qui concerne les subventions à des tiers et les dépenses d’équipement local: l’investissement direct en particulier, qui représente plus de 60 % de l’investissement public au niveau local, a baissé de 7,2 %, alors qu’il avait encore bénéficié en 2009 de certaines formes d’aide visant à stimuler la reprise économique 
			(11) 
			Dexia Crédit Local, Finances locales en France: grandes tendances
2011, Paris, novembre 2011.. Néanmoins, malgré la poursuite de la crise économique et des contraintes budgétaires, les premiers signes positifs sont apparus en 2011 avec une reprise de l’augmentation de l’investissement local. Cette évolution est accueillie très favorablement par de nombreux experts qui considèrent que les collectivités locales, même dans une situation économique incertaine, doivent continuer à investir dans les domaines importants pour le développement local à long terme.
35. D’autres mesures d’austérité ont souvent été mises en œuvre, mais elles sont sporadiques et rarement stratégiques. Certaines d'entre elles sont énumérées ci-dessous.

3.1. Emploi

36. La récession a entraîné des réductions drastiques de personnel et de salaire. En Irlande, les collectivités locales ont perdu 6 000 emplois sur les trois dernières années; au Danemark, les municipalités ont vu leur personnel diminuer de 2,6 % en 2009. Le gouvernement ukrainien s’est fixé comme objectif une diminution globale de l’emploi dans le secteur public de 20 %. Dans de nombreux pays, ces tendances ont davantage de répercussions sur les femmes que sur les hommes parce que les femmes sont plus nombreuses dans le secteur de l’emploi public (deux tiers au Royaume-Uni) et ont plus besoin de services publics et d’aide financière. Parce qu’elles sont plus pauvres et vivent plus longtemps que les hommes, elles seront nettement plus touchées par la réduction des services aux personnes âgées 
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			Beth
Gardiner, «British women bearing the brunt. Cuts in public services
and benefits hit them disproportionately hard», International Herald Tribune, 7
mars 2012..
37. Le gel des embauches est une mesure qui s’est largement répandue depuis 2009. Par exemple, la Serbie a légiféré pour limiter le nombre d’agents municipaux à quatre pour mille habitants; plusieurs municipalités ont contourné cette mesure en licenciant du personnel, puis en leur confiant leurs anciennes tâches dans le cadre de contrats externalisés.
38. Beaucoup d’autres Etats ou collectivités ont tenté d’éviter les licenciements, en raison notamment du coût des indemnisations, mais aussi pour éviter d’aggraver la récession. La solution du gel ou de la baisse des salaires a été largement adoptée. En Estonie et en Lettonie, les salaires ont baissé de 15 %, en Espagne de 5 %. Le Gouvernement grec a réduit à la fois les salaires et les primes, alors que la Hongrie n’a pas versé de treizième mois en 2009 et en 2010, sauf pour les salaires les plus bas. La même méthode progressive a été adoptée par le Portugal, où des réductions de salaire ont été imposées à l’ensemble des travailleurs gagnant plus de 1 500 €, l’ampleur de la diminution augmentant avec le salaire, jusqu’à un maximum de 10 %. Les municipalités tchèques ont également fixé comme objectif financier de réduire les dépenses, avec la possibilité de réduire les salaires ou les effectifs. La Lettonie n’a pas procédé à des licenciements, mais a réduit la semaine de travail à quatre jours, alors que les municipalités islandaises ont diminué à la fois le nombre d’heures de travail et les heures supplémentaires.
39. Les élus n’ont pas échappé à ces sacrifices. Le Parlement slovaque a légiféré pour diminuer les rémunérations des maires, et en Hongrie, quand les mandats des conseils communaux ont expiré en 2010, le nombre de leurs membres a été réduit de 30 à 40 %.
40. Lorsque les gouvernements ont tenté de restaurer la viabilité à long terme des finances publiques, la question connexe des droits à pension s’est posée. Dans le contexte de l’allongement de l’espérance de vie, les réformes se sont concentrées sur trois aspects: le niveau de contribution aux fonds de pension, l’âge légal de départ à la retraite et la base de l’évaluation. Les propositions concernent en principe aussi bien les autorités nationales que locales. Le gouvernement français a imposé des changements modestes en 2010, par le biais du parlement, en dépit de la résistance des syndicats; des changements plus radicaux devraient faire l’objet de législations en Espagne, en Grèce, au Portugal et au Royaume-Uni.

3.2. Maîtrise des coûts

41. Les rapports des observateurs nationaux dressent l’inventaire des initiatives prises par les collectivités locales pour réduire leurs coûts. Les mesures portent surtout sur les frais généraux et incluent diverses réductions au niveau des heures supplémentaires, des primes, des frais de représentation et des appels téléphoniques, alors que les achats de véhicule et de mobilier ont été gelés. S’agissant de la Roumanie, certaines de ces dispositions ont été dictées par les mesures d’efficacité accordées avec l’Union européenne en tant que conditions requises pour obtenir une assistance financière au budget national. En Serbie, des GPS ont été installés dans les véhicules municipaux afin d'assister les agents, et pour que les collectivités puissent les localiser.
42. De telles économies temporaires ou ponctuelles n’ont pas de grands effets sur l’efficacité à plus long terme. C’est pourquoi il convient de procéder à un examen plus approfondi de la manière dont les services sont gérés dans la pratique – l’objet des analyses de rentabilité et les systèmes d’audit des performances mis en place au cours des trente dernières années étant de bons exemples en la matière.
43. Le Conseil de l’Europe a depuis un certain temps favorisé le renforcement des capacités de gestion des performances dans un certain nombre de pays tels que la Bulgarie, la Fédération de Russie et la Serbie, et notamment encouragé le développement d’initiatives françaises.
44. L’informatisation a joué un rôle essentiel dans de nombreuses réductions des coûts des services. Par exemple, au Danemark, à compter de 2012, les citoyens devront soumettre en ligne leurs demandes aux municipalités. Le Royaume-Uni est un autre exemple pertinent, étant donné que les usagers des bibliothèques publiques doivent enregistrer sur le terminal de la bibliothèque les ouvrages qu’ils empruntent et qu’ils restituent.
45. Une approche moins formelle de réduction des coûts a été adoptée par diverses collectivités locales, de la Grèce au Royaume-Uni: elles publient sur internet le détail de tous les postes de dépense excédant un certain seuil, aux fins de contrôle par des médias zélés. Les municipalités slovaques sont également désormais tenues de procéder à leurs achats par le biais d’enchères en ligne (ce qui a entraîné une réduction des dépenses d’environ 50 %).
46. La crise économique a contraint tous les pays à se serrer la ceinture en ayant recours à différentes méthodes de diminution des coûts: depuis la réduction du personnel et la baisse des salaires jusqu’au gel des salaires. La révision des droits à pension pour augmenter le niveau de contribution aux fonds de pension et repousser l’âge du départ à la retraite a également été envisagée dans de nombreux pays pour réduire les coûts imputés aux budgets publics. La crise financière actuelle souligne également l’importance de renforcer les capacités de gestion des performances. Beaucoup d’administrations locales se sont tournées vers l’informatique pour réduire les dépenses des budgets locaux.
47. Enfin, un renforcement des mécanismes de contrôle financier, des obligations de transparence et de communication, ainsi que des règles de discipline budgétaire imposées aux collectivités locales dans tel ou tel contexte national, est à prévoir dans toute l’Europe. A cet égard, la gouvernance moderne des finances publiques devrait assurer une meilleure coordination des politiques nationales et locales et associer les collectivités locales, lorsqu’elles sont concernées, aux programmes de réforme nationaux ou aux mesures d’austérité 
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			Dexia Crédit Local, Finances locales en France: grandes tendances
2011, Paris, novembre 2011..

4. Responsabilités sociales

48. Les responsabilités sociales dont doivent s’acquitter les collectivités locales subissent des pressions à la fois à court et à long terme; c’est pourquoi on estime que ce poste de dépenses continuera d’augmenter.
49. Provoquée par une crise du marché hypothécaire, la récession a eu des séquelles en termes de chômage, de perte de logement et de déclin du revenu des ménages. Les contraintes qu’elle fait peser sur les budgets locaux varient beaucoup entre les Etats européens, en fonction de la répartition des responsabilités entre le gouvernement central, les caisses de sécurité sociale et les collectivités locales pour ce qui est du filet de sécurité sociale et des aides au logement. Selon les régimes nationaux, les collectivités locales supportent certains des coûts supplémentaires dus:
  • aux allocations pour le logement et les services collectifs;
  • au filet de sécurité sociale dont bénéficient les chômeurs de longue durée et les autres personnes pouvant prétendre aux garanties liées au revenu minimum;
  • aux aides d’urgence versées aux familles dans l’attente de l’octroi de prestations sociales.
50. En 2010, les coûts pris en charge par les collectivités locales ont augmenté de 10 % au Danemark, de 22 % en Hongrie et de 24,5 % en République slovaque.
51. Ces charges supplémentaires ne sont pas nécessairement permanentes, même si traditionnellement les taux d’emploi remontent moins vite que le PIB. Mais la hausse constante des coûts est liée à l’évolution démographique, qui se traduira d’ici à 2050 par une augmentation de 50 % de la population âgée de plus de 65 ans. Dans une grande partie de l’Europe, les responsabilités accrues dans ce domaine devront être assumées par des effectifs de moins en moins nombreux au sein de la population active.

4.1. Cibler l’octroi des prestations sociales

52. Les collectivités locales peuvent réduire leurs dépenses en dirigeant davantage les prestations sociales vers les ménages à faible revenu.
53. Aujourd’hui, dans de nombreux Etats membres du Conseil de l'Europe, les prestations sociales sont souvent distribuées sans considération de la situation financière des bénéficiaires. Par exemple, tous les retraités britanniques perçoivent automatiquement une allocation de chauffage pour l’hiver, équivalente à 200 livres, sans avoir à la demander. En Lituanie, 64 % des dépenses d’aide sociale sont allouées sans conditions de ressources, notamment les allocations familiales. Dans les pays de l’ex-Union soviétique, de nombreuses allocations ou services gratuits sont fournis à diverses catégories de «vétérans» (anciens combattants, retraités, victimes de catastrophes naturelles, etc.).
54. La crise actuelle a mis en avant l’importance de mieux cibler l’octroi des prestations. Par exemple, certaines villes roumaines dont Bucarest ont aboli les subventions aux entreprises de chauffage et les ont remplacées par des allocations soumises à condition de ressources, qui sont directement versées aux consommateurs. Chisinau a commencé à soumettre les aides aux transports publics à certaines conditions de ressources.

4.2. Soins de proximité

55. L’évolution démographique appelle à modifier radicalement la prestation des services de soins de longue durée pour les personnes âgées, domaine largement financé et géré par les collectivités locales. Il a déjà été fait mention de la nécessité de supprimer les mesures institutionnelles ou financières qui visent à privilégier les soins en établissement, qui sont en général plus onéreux et moins favorables que les soins de proximité.
56. Toutefois, privilégier le maintien à domicile des personnes âgées suppose d’aider davantage les familles et les bénévoles chargés de leur accompagnement. Dans plusieurs pays, les personnes âgées peuvent désormais prétendre à des prestations en espèces destinées à couvrir le coût de la vie quotidienne, qui sont calculées en fonction de leur degré de dépendance, mais qui peuvent être utilisées de manière flexible, par exemple pour bénéficier des services de toute personne apte à les aider. Les fonds publics peuvent rembourser divers coûts financiers, depuis la perte de revenu d’un proche obligé de réduire son temps de travail pour s’occuper d’une personne âgée jusqu’aux frais d’essence nécessaires pour emmener un voisin au supermarché ou à l’hôpital.

4.3. Rationaliser les prestations de services

57. La crise actuelle a encouragé une réduction des organismes de service public sous-utilisés. La Bulgarie, la Hongrie, la République de Moldova, la Roumanie et le Royaume-Uni ont tous pris de telles mesures, les petites écoles en milieu rural étant les cibles les plus courantes. Bien souvent, la récession a été l’occasion d’introduire des changements dus à l’évolution démographique.
58. Ainsi, dans un certain nombre de pays comme la Hongrie ou l’Ukraine, la responsabilité des soins en établissement pour les personnes âgées et handicapées et des soins hospitaliers incombe aux niveaux supérieurs de l’administration locale, tandis que les municipalités assurent les soins de santé à domicile et les soins de santé primaires. Le financement des services assurés par les niveaux supérieurs peut reposer sur des formules de calcul qui prennent en compte le nombre de personnes accueillies ou traitées. Les dispositions de ce type risquent donc d’inciter fortement à placer certains bénéficiaires des services sociaux dans des foyers, ou à hospitaliser des patients, alors que cette pratique ne sera peut-être pas la réponse la plus adaptée à leurs besoins, ni la plus favorable. Dans la plupart des cas, il s’agit de la solution la plus coûteuse.
59. Il existe beaucoup d’autres exemples de dépenses excessives des services sociaux. Des établissements scolaires dont le nombre d’élèves scolarisés diminue, par exemple, conservent souvent le même nombre d’enseignants alors que le nombre d’heures obligatoires passées au contact des élèves est très faible.
60. La réglementation nationale s’oppose souvent aux collectivités locales qui voudraient réduire leurs dépenses. C’est le cas en particulier dans les pays qui font la distinction entre les tâches «autonomes» et les tâches «déléguées» des collectivités locales, parmi lesquelles les services les plus onéreux, comme l’éducation, les services sociaux et les soins de santé.
61. Les services dont la prestation est déléguée aux collectivités locales sont souvent réglementés par des normes détaillées, et leur gestion par les collectivités locales fait l’objet d’un contrôle étroit par les ministères sectoriels. Généralement, ces normes portent sur les moyens plus que sur les résultats. En Ukraine, les collectivités locales ne peuvent pas fermer les établissements scolaires aux effectifs manifestement faibles, ni les organismes sociaux ou culturels sans l’autorisation des ministères nationaux compétents, qui est souvent refusée. Il se peut pourtant que ces établissements et/ou organismes ne soient plus fréquentés en raison de changements démographiques ou de préférences du public.
62. Les problèmes sont généralement exacerbés par le fait que les ministères sectoriels concernés ne sont pas confrontés aux conséquences liées au maintien de l’offre de services non rentables, étant donné que le financement des services délégués dépend souvent uniquement du ministère des Finances. Plusieurs rapporteurs nationaux relèvent que l’incapacité à satisfaire aux normes de services non viables est chose courante, mais tolérée. D’autres considèrent que l’insistance de leurs autorités nationales à respecter ces normes constitue un problème sérieux. Les signataires de la Charte sociale européenne révisée doivent veiller à ce que les ministères nationaux n’assurent pas une microgestion des services confiés aux collectivités locales, sur le plan technique ou non.

4.4. Responsabilité sociale partagée

63. La prise en charge des personnes âgées n’est qu’un des domaines de responsabilité sociale où les collectivités locales sont de plus en plus amenées à coopérer avec des partenaires du secteur tertiaire, depuis les entreprises sociales jusqu’aux organisations caritatives sans but lucratif en passant par les bénévoles. Cette situation s’applique aussi bien à la demande qu’à l’offre, cette dernière étant renforcée par la santé physique et le dynamisme toujours croissants des nouveaux retraités.
64. Il est clair cependant que la baisse des dépenses des budgets locaux pèse de manière disproportionnée sur les partenaires du secteur tertiaire. Il y a au moins deux raisons à cela: d’abord les services assurés par ces partenaires sont souvent discrétionnaires et moins réglementés par des normes obligatoires; ensuite, la réduction de ces dépenses n'entraîne pas de coûts de licenciement des fonctionnaires.
65. Cette situation est d'autant plus regrettable si les principaux bénéficiaires de ces services sont les ménages les plus vulnérables. Les programmes de développement des jeunes enfants préparent les enfants issus de familles à faible revenu ou de migrants à l’éducation formelle. Les jardins d’enfants et les centres d’activités extrascolaires permettent aux mères percevant de faibles revenus d'assurer des revenus à leur famille. Les partenaires du secteur tertiaire offrent de nombreux services aux personnes handicapées. Accorder la priorité au soutien des fonctionnaires et des services obligatoires peut avoir un impact négatif sur les personnes les plus vulnérables et sur la cohésion sociale, risques sur lesquels le Commissaire aux droits de l’homme a largement attiré l’attention lors de la Conférence internationale «Collectivités locales: réponses à la récession en Europe» (Strasbourg, 11 octobre 2010).
66. Les collectivités locales sont principalement responsables de l’offre de services sociaux, notamment pour le logement, la santé, la garde d’enfants et l’aide aux individus à faibles revenus. Pendant une période de récession, elles devraient s’efforcer de mieux cibler les prestations sociales afin de répondre aux besoins de ces personnes. Il est important de ne pas réduire les dépenses des budgets locaux attribuées au développement des jeunes enfants ou au financement des soins à domicile. Il est essentiel que les collectivités locales, les entreprises et les associations travaillent en partenariat pour lutter contre le dénuement social et pour promouvoir la cohésion sociale.

5. Promotion de la reprise économique

67. Si l’expérience des récessions des années 1980 et 1990 a permis d’espérer que les collectivités locales établiraient des partenariats efficaces avec les entreprises et la société civile afin de promouvoir la reprise économique, ce n’est plus envisageable aujourd’hui.
68. Le capital est plus difficile à mobiliser étant donné que les banques cherchent avant tout à reconstituer leurs propres réserves et à éviter les risques. Les compressions budgétaires ont eu raison des excédents opérationnels que beaucoup de municipalités utilisaient pour investir dans de nouvelles infrastructures. Le peu d’attention portée à la formation technique a souvent conduit à une pénurie des compétences nécessaires, notamment des capacités requises en matière d’ingénierie pour assurer l’exploitation d’énergies renouvelables. En outre, la concurrence est désormais mondiale.
69. Le boom du marché immobilier qui a favorisé les projets de régénération urbaine s’est effondré. La hausse du prix des carburants met en péril le système économique actuel où l’on transporte tous les produits autour du globe, depuis les composants électriques des appareils jusqu’aux fleurs pour la fête des mères. Certains mouvements écologiques affirment que les stratégies locales devraient être axées sur le retour à l’autosuffisance plutôt que sur l’implantation de centres de distribution aux abords des autoroutes.
70. Mais les lendemains de récession ne sont pas toujours négatifs. Par exemple, les taux d’intérêt sont bas et les prix de la construction compétitifs. Pour les nouveaux Etats membres et les pays candidats, les fonds d’investissement de l’Union européenne pour la période 2007-2013 sont arrivés à point nommé, au moment où les autres sources se tarissaient. Les difficultés à trouver les préfinancements et les fonds complémentaires ont été largement surmontées.

6. Perspectives

71. Au vu de ce qui précède, on constate que les collectivités locales sont confrontées à quatre défis sur le long terme:
  • la demande croissante de prise en charge des personnes âgées;
  • les menaces à la cohésion sociale exacerbées par la récente récession;
  • les coûts d’une structure trop complexe;
  • la nécessité de redécouvrir et de développer les atouts de l’économie locale à l’heure de la concurrence mondialisée et de la hausse du prix de l’énergie.

7. Conclusions et recommandations

7.1. Conclusions

72. Le rôle des collectivités locales et régionales est devenu prépondérant ces dernières années, puisqu’elles s’attaquent directement aux difficultés locales, comme les fermetures d’entreprises, le chômage et les problèmes sociaux.
73. Dans plusieurs pays, principalement en Scandinavie et en Europe centrale, la reprise économique est manifestement bien engagée et les finances des collectivités locales sont remises sur les rails. Malheureusement, ce tableau est loin d’être généralisé. D’autres Etats sont toujours en récession ou cherchent désespérément à soutenir leur dette souveraine. Et une troisième catégorie d’Etats, comme la Roumanie et le Royaume-Uni, mène une politique stratégique qui consiste à réduire sur le long terme les déficits du secteur public, ce qui implique de diminuer les transferts.
74. L’autonomie locale a été affectée de diverses manières. D’un côté, la politique fiscale a en général réduit la capacité des collectivités locales à déterminer les niveaux d’imposition. D’un autre côté, le contrôle des dépenses exercé par les autorités nationales a été partiellement assoupli dans beaucoup de pays, mais pas la totalité, pour la simple raison que les gouvernements nationaux ne sont pas en mesure de financer de nouveaux mandats et avouent ne pas savoir quelle est la meilleure solution pour les collectivités locales en cas de difficultés financières.
75. Il est également important de reconnaître que les collectivités locales et régionales sont des pépinières d’activités qui créent des emplois.

7.2. Recommandations

76. Par conséquent, le présent rapport:
  • recommande de réduire la dépendance des budgets locaux vis-à-vis d’assiettes fiscales très volatiles telles que les bénéfices des entreprises ou les transactions immobilières;
  • salue les efforts accrus qui sont déployés pour évaluer et collecter les impôts fonciers et recommande de laisser aux collectivités locales une certaine marge de manœuvre pour fixer leur taux quand cette pratique n’est pas déjà en vigueur;
  • constate que les assiettes des recettes locales sont plus résilientes lorsqu’elles se fondent sur une combinaison équilibrée de taxes propres et de transferts intergouvernementaux;
  • recommande de donner aux collectivités locales un délai d’un an ou plus pour procéder à la réduction inévitable des transferts intergouvernementaux, afin qu’elles aient le temps d’envisager la meilleure solution; ces réductions devraient être réparties selon des formules de calcul objectives afin de garantir leur équité et leur neutralité politique;
  • recommande aux municipalités d’exercer leur autonomie budgétaire dans le cadre de limites réglementaires en ce qui concerne les emprunts, et préconise la mise en place de procédures pour gérer les cas d’insolvabilité;
  • soutient les efforts déployés par de nombreuses collectivités locales pour réduire les coûts liés à l’emploi, par d’autres biais que des licenciements économiques;
  • encourage le développement de la sous-traitance de la gestion des services locaux aux secteurs privé et bénévole;
  • souligne l’importance de l’étalonnage et de l’audit des performances pour renforcer la responsabilité, mais aussi pour garantir la publication des comptes financiers en toute transparence, et approuve le soutien apporté à ces processus par le Centre d'expertise du Conseil de l’Europe sur la réforme de l'administration locale;
  • note que la crise a encouragé l’optimisation des réseaux de services locaux, mais recommande qu’ils s’accompagnent de mesures visant à prévenir une dégradation de l’accès des populations rurales et des groupes vulnérables;
  • recommande que l’octroi des prestations sociales par les collectivités locales cible davantage les besoins des ménages à faible revenu;
  • dissuade vivement de trop réduire les dépenses des budgets locaux consacrées aux services discrétionnaires, comme le développement des jeunes enfants ou le soutien des associations locales qui jouent un rôle important dans le maintien de la cohésion sociale et la protection des droits de l’homme;
  • recommande de supprimer les mesures financières et administratives qui incitent à privilégier les soins en établissement plutôt que les soins à domicile pour les personnes âgées ou malades, et de renforcer l’aide, tant pratique que financière, apportée aux personnes chargées de leur accompagnement à domicile;
  • souligne l’importance grandissante des partenariats entre les collectivités locales et les entreprises, les établissements d’enseignement et de recherche et les organisations de la société civile pour lutter contre le dénuement social, prendre en charge les personnes âgées qui sont de plus en plus nombreuses, et identifier et développer les possibilités de reprise économique;
  • encourage les efforts visant à promouvoir la transparence et l’efficacité de la gouvernance locale sous tous ses aspects.