1. Etat actuel
de la procédure
1. Le présent rapport découle de la proposition de résolution
présentée par M. Txueka et plusieurs de ses collègues
. Après le départ de l'Assemblée
parlementaire du précédent rapporteur, M. Holger Haibach (Allemagne,
PPE/DC), la commission m'a désignée lors de sa réunion du 13 avril
2011 à Strasbourg
.
2. A la suite de ma nomination en qualité de rapporteure, j'ai
rencontré plusieurs ONG, ainsi que des défenseurs des droits de
l'homme, leurs avocats et des journalistes, et pris part à la «Table
ronde sur les défenseurs des droits de l'homme dans les Etats membres
du Conseil de l'Europe», organisée par le précédent Commissaire
aux droits de l'homme du Conseil de l’Europe, M. Thomas Hammarberg,
à Strasbourg les 27 et 28 octobre 2011. Cet événement m’a offert
une excellente occasion de recueillir des informations directement auprès
des défenseurs des droits de l'homme de plus de 20 Etats membres,
de communiquer avec eux et de prendre connaissance des problèmes
auxquels ils sont actuellement confrontés.
3. En outre, le 26 janvier 2012, la commission a procédé à un
échange de vues auquel ont participé:
- M. Thomas Hammarberg, Commissaire aux droits de l'homme
du Conseil de l'Europe;
- Mme Tanya Lokshina, directrice adjointe, Human Rights
Watch, bureau de Moscou, Russie;
- Mme Brigitte Espuche, déléguée générale, Anafé (Association
nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers), Paris,
France;
- M. Milan Antonijevic, YUCOM (Comité des juristes pour
les droits de l'homme), Belgrade, Serbie.
4. Je suis reconnaissante à nos experts de leur contribution,
qui m'a permis de mieux comprendre la situation des défenseurs des
droits de l'homme, notamment en Russie et dans l'ouest des Balkans,
ainsi que la situation de ceux qui protègent les droits de groupes
vulnérables comme les migrants, les personnes lesbiennes, gays,
bisexuelles et transgenres (personnes LGBT) ou les membres de minorités
nationales. Je suis également reconnaissante à M. Thomas Hammarberg
d’avoir pris part à cet échange de vues. Son expérience concrète
de la protection des droits des défenseurs des droits de l'homme
est des plus précieuses et j'ai été heureuse d'aborder ce sujet
avec lui à plusieurs reprises à Strasbourg. J'aimerais par ailleurs
rendre hommage au travail accompli par mon prédécesseur, et notamment
au rapport qu'il a consacré en 2009 à la «Situation des défenseurs
des droits de l'homme dans les Etats membres du Conseil de l'Europe»
, qui demeure une référence en la
matière.
2. La situation
générale des défenseurs des droits de l'homme et les entraves auxquelles
se heurte leur action
5. Il n’existe aucune définition juridique établie de
ce qu'est un «défenseur des droits de l'homme», mais il est désormais
généralement admis que «les défenseurs des droits de l'homme sont
ceux qui agissent individuellement ou conjointement avec d'autres
personnes en vue de promouvoir et de protéger les droits de l'homme»
.
Il peut s'agir d'individus, de groupes, d’organisations non gouvernementales
(ONG), d'avocats, de journalistes: les défenseurs des droits de
l'homme ne se caractérisent pas par leurs qualifications juridiques, mais
par la nature de leur action
.
6. Bien que les défenseurs des droits de l'homme soient en général
bien protégés par le droit et en pratique dans la plupart des pays
d'Europe, leurs activités quotidiennes se heurtent souvent à un
certain nombre d'obstacles
. C'est la raison pour laquelle la
table ronde organisée en 2011 par le Commissaire aux droits de l'homme
s’est penchée sur «les entraves à l'action des défenseurs des droits
de l'homme et les remèdes possibles». En 2009, mon prédécesseur,
M. Haibach, observait que les défenseurs des droits de l'homme étaient
confrontés de façon occasionnelle ou plus régulière à un certain
nombre d'obstacles ou à un environnement hostile, notamment en Arménie,
Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine, Géorgie, Fédération de Russie,
Serbie, Turquie et Ukraine
. Force est de reconnaître
que ce constat est toujours d'actualité, à ce jour, en 2012. La
situation des défenseurs des droits de l'homme s’est même dégradée
dans certains de ces pays
.
7. L'action des défenseurs des droits de l'homme se heurte à
divers obstacles, comme des atteintes à leur intégrité physique
et psychologique, des arrestations et détentions arbitraires, des
procès dépourvus d'équité, des poursuites pénales fondées sur des
accusations forgées de toutes pièces, des entraves administratives (notamment
pour l'enregistrement des associations de défense des droits de
l'homme), la diffamation publique, des restrictions imposées à leur
liberté de circulation et à l'accès au financement de leurs activités,
etc. Les autorités de certains Etats membres du Conseil de l'Europe
exercent même des pressions illégales sur les avocats des requérants
qui saisissent la Cour européenne des droits de l'homme. En outre,
les défenseurs des droits de l'homme rencontrent des difficultés
particulières lorsque leurs activités portent sur des questions sensibles,
comme la lutte contre l'impunité dont jouissent les auteurs de graves
infractions, la dénonciation de la corruption ou la défense des
droits des personnes LGBT, des migrants et des membres de minorités nationales
ou ethniques.
8. Je donnerai ci-dessous quelques exemples concrets des obstacles
et des restrictions auxquels les défenseurs des droits de l'homme
se heurtent en Europe. Je mettrai l’accent, notamment, sur les menaces
et les agressions dont ils font l'objet et qu'ils payent de leur
vie et leur santé, le harcèlement judiciaire (y inclus les arrestations
et les détentions arbitraires), les entraves administratives, les
campagnes de diffamation, les diverses restrictions imposées à la
liberté de réunion, à la liberté d'association et à la liberté d'expression
et l'impunité des auteurs des agressions dont ils sont victimes.
Les exemples d'entraves donnés dans mon rapport ne sont pas exhaustifs;
ils proviennent d’ONG spécialisées dans le suivi de la situation
des défenseurs des droits de l'homme (notamment l'Observatoire pour
la protection des défenseurs des droits de l'homme, ci-après «l'Observatoire»
), des défenseurs des droits de l'homme
eux-mêmes et du Bureau du Commissaire aux droits de l'homme du Conseil
de l'Europe. J'aimerais préciser au sujet du cadre géographique
de mon rapport qu'il ne portera pas sur la situation extrêmement
préoccupante des défenseurs des droits de l'homme au Bélarus, puisque
mon mandat concerne uniquement les Etats membres du Conseil de l'Europe.
3. Exemples d'entraves
et de restrictions à l'action des défenseurs des droits de l'homme
3.1. Menaces et atteintes
à l’intégrité physique
9. Dans son rapport de 2009
, M. Haibach évoquait les
enlèvements, les mauvais traitements et même les meurtres dont étaient
victimes les défenseurs des droits de l'homme, notamment les journalistes
Hrant Dink en Turquie en 2007 et Anna Politkovskaïa en Russie en
2006, ainsi que Stanislav Markelov, un célèbre avocat spécialiste
des droits de l'homme, abattu à Moscou en 2009 en compagnie d'une
journaliste stagiaire. Dans ce contexte, l'Assemblée a été particulièrement
choquée par l'assassinat sauvage en juillet 2009 de Natalia Estemirova,
militante très respectée des droits de l'homme et responsable du
Centre des droits de l'homme «Memorial» à Grozny (Tchétchénie).
Ce meurtre a eu lieu avant la réunion de la commission en septembre 2009,
à laquelle Mme Estemirova avait été invitée en qualité d'expert
pour parler de l'impunité dans le Caucase du Nord
.
10. Depuis lors, de nouvelles agressions, voire des meurtres,
ont été signalés dans le Caucase du Nord. Lors de l’audition de
la commission de janvier 2012, Mme Lokshina a présenté la situation
des défenseurs des droits de l'homme, y compris des avocats et des
journalistes indépendants, qui est particulièrement préoccupante,
notamment au Daghestan
. En décembre 2011, M. Ganzhimurad
Kamalov, éditeur d'un hebdomadaire indépendant de premier plan,
a été assassiné. Le début de l'année 2012 a été marqué par le meurtre
d'un avocat (M. Umar Saidmagomedov) et d'un autre habitant du Daghestan
(M. Rasul Kurbanov) par les fonctionnaires des forces de l’ordre
de cette république. Amnesty International a récemment fait part
de ses inquiétudes au sujet de l'intimidation du personnel de l’ONG
de défense des droits de l'homme «Mashr» en République d'Ingouchie
(notamment à propos du placement en détention provisoire, sans enregistrement
des prévenus ni notification à la famille, et des allégations d’actes
de torture et autres mauvais traitements infligés aux prévenus)
.
11. La situation générale des défenseurs des droits de l'homme
est également préoccupante dans d'autres régions de Russie. Selon
Human Rights Watch, des militants de diverses villes russes ont
été agressés par des personnes non identifiées entre les élections
législatives de décembre 2011 et l'élection présidentielle du 4
mars 2012
. En outre, le
24 mars 2012, les bureaux de l’ONG «Groupe des hommes libres» à
Nijni Novgorod ont fait l’objet d’une tentative d’incendie criminel
.
12. D'après M. Hammarberg, en 2011 la situation était également
inquiétante en Turquie, où plusieurs tentatives d'intimidation,
d'agression et de meurtre ont été commises à l'encontre de journalistes
et de défenseurs des droits de l'homme
.
Des cas d'agressions physiques ou de menaces proférées à l'encontre de
défenseurs des droits de l'homme qui se consacraient à des questions
sensibles ont également été signalés en Europe du Sud-Est, précisément
en Bosnie-Herzégovine et en Serbie
. En Grèce, certains défenseurs
des droits de l'homme et avocats ont été directement menacés d'atteinte
à leur intégrité physique et des messages racistes leur ont été
adressés à la suite d'une plainte déposée pour des propos racistes
tenus par des garde-côtes grecs
.
3.2. Harcèlement judiciaire
et arrestations et détentions arbitraires
13. Les défenseurs des droits de l'homme sont parfois
victimesd'arrestations et
de détentions arbitraires et/ou de harcèlement judiciaire: il prend
la forme de procès non équitables, et notamment de poursuites pénales fondées
sur des accusations forgées de toutes pièces.
14. Une fois de plus, plusieurs affaires préoccupantes ont été
signalées en Russie, en particulier au Caucase du Nord. Ainsi, un
membre du Groupe mobile conjoint des organisations de défense des
droits de l’homme en Tchétchénie (
Joint
Mobile Group – JMG), M. Anton Ryzhov, a été détenu arbitrairement
pendant plusieurs heures au cours de la nuit du 21 janvier 2012
et son ordinateur portable, qui contenait des fichiers sur un certain
nombre de violations des droits de l'homme, a été saisi
. En outre,
en janvier 2012, une enquête pénale a été ouverte pour divulgation
de secrets d'Etat à l'encontre de M. Igor Kalyapin, président du
Comité contre la torture, lauréat du Prix des droits de l'homme
de l'Assemblée en 2011
et président
du JMG. Fort heureusement, selon le JMG, un tribunal local a ordonné
la restitution de l'ordinateur portable de M. Ryzhov et aucune poursuite
pénale n'a été engagée à l'encontre de M. Kalyapin. Je continuerai
à suivre ces deux affaires, ainsi que celle de M. Oleg Orlov, président
du Comité exécutif du Centre des droits de l'homme «Memorial». Il
était accusé de diffamation à l'encontre du Président de la République
tchétchène, M. Ramzan Kadirov, pour avoir donné son avis sur les
responsables du meurtre de Natalia Estemirova. Deux ans et demi
plus tard, le 20 janvier 2012, M. Orlov a finalement été acquitté.
Comme l’a fait remarquer l'Observatoire, le Centre des droits de
l'homme «Memorial» a dû à l'époque «consacrer ses ressources et
son énergie à défendre la légitimité de son combat en faveur des
droits de l'homme devant les tribunaux, au lieu de poursuivre son
action capitale»
. Cela dit, il convient de saluer
les décisions de justice rendues par plusieurs juridictions russes
en faveur des défenseurs des droits de l'homme.
15. Malheureusement, le harcèlement judiciaire et les arrestations
ou détentions arbitraires se sont intensifiés après la répression
des manifestations pacifiques qui dénonçaient les prétendues manipulations des
élections législatives de décembre 2011 en Russie. Cette situation
peut être illustrée par le cas de Mme Evguenia Chirikova, militante
de la protection de l'environnement, qui a été fouillée et détenue
sans motif à l'aéroport de Moscou au retour d'un voyage à l'étranger
ou de M. Philip
Kostenko, membre du Centre de lutte contre la discrimination «Memorial»,
placé en rétention administrative en décembre 2011 en raison de
sa participation à un rassemblement pacifique qui dénonçait des
irrégularités électorales
.
16. La situation des défenseurs des droits de l'homme en Turquie
est, elle aussi, particulièrement préoccupante. Ainsi, M. Halil Savda
a été poursuivi et emprisonné en qualité d'objecteur de conscience
et pour avoir publiquement soutenu d'autres objecteurs de conscience
. On peut également citer le cas
de Mme Pinar Selek, écrivain et sociologue, qui défend activement
les droits des femmes et des communautés défavorisées, comme les
minorités kurde et arménienne. Selon l'Observatoire, elle subit
depuis 1998 un harcèlement judiciaire et a notamment été accusée
à tort d'avoir placé une bombe dans le Bazar égyptien d'Istanbul.
Bien qu'elle ait été acquittée à trois reprises, le procureur général
a à nouveau requis une peine d'emprisonnement à perpétuité. La procédure
est toujours pendante
. En octobre 2011,
une nouvelle vague d'arrestations et de détentions arbitraires a
visé, notamment, les membres des associations de familles des victimes
de la politique abusive de lutte contre le terrorisme, qui se battent
pour connaître la vérité sur des affaires de disparitions forcées
et pour le règlement pacifique de la question kurde
.
17. D'autres cas de harcèlement subi par des défenseurs des droits
de l'homme ont été signalés en Arménie
, en Azerbaïdjan
(par
exemple, la détention arbitraire et le harcèlement judiciaire récents
de M. Ogtay Gulaliyev, un militant local d’une organisation prêtant
de l’aide aux populations affectées par des catastrophes environnementales
) et en Ukraine
(par exemple, en octobre 2010, des perquisitions ont été effectuées
dans les bureaux du Groupe de défense des droits de l'homme Vinnitsa
et des dossiers concernant diverses affaires et du matériel informatique
ont été confisqués à cette occasion
). La démolition soudaine de la maison
de la militante de défense des droits de l'homme Mme Leyla Yunus
à Bakou offre un exemple dramatique de ce harcèlement (voir plus
loin paragraphe 23).
3.3. Obstacles administratifs,
restrictions imposées à l'accès au financement et autres entraves
18. Les contraintes administratives, notamment celles
qui imposent des formalités administratives excessives, comme les
obligations de déclaration ou de traduction, peuvent avoir des effets
pervers sur la capacité des ONG et des particuliers à promouvoir
et à défendre les droits de l'homme
. C'est le cas, par exemple, lorsque
les conditions officielles d'enregistrement des ONG sont excessives,
comme nous le verrons plus loin plus en détail.
19. Les obstacles administratifs peuvent également avoir pour
but de limiter l'accès au financement des défenseurs des droits
de l'homme et des ONG, notamment pour ce qui est du financement
étranger
. Ainsi, selon Human Rights
Watch, le Parlement russe projette d'imposer de nouvelles restrictions
au financement étranger des ONG et le gouvernement pourrait mettre
en place un nouveau régime d'inspection, qui permettra d'effectuer
des inspections d’ONG à l'improviste
.
Au pire, les comptes bancaires des militants des droits de l'homme
pourraient être gelés et le transfert de fonds étrangers bloqué.
20. Les obstacles à la liberté de circulation peuvent également
entraver l'action des défenseurs des droits de l'homme. Ainsi, M.
Oleg Orlov (Centre des droits de l'homme Memorial) n'a pu se rendre
à Strasbourg pour assister à l’audition de janvier 2012 du fait
de restrictions imposées en raison des poursuites pénales précitées dont
il faisait l'objet pour diffamation.
3.4. Restrictions imposées
à la liberté de réunion, à la liberté d'association et à la liberté d'expression
21. Les libertés de réunion, d'association et d'expression,
qui sont essentielles à l'action des militants des droits de l'homme,
sont menacées dans certains Etats membres où leur exercice est bien
souvent incriminé.
22. S'agissant de la liberté d'expression, la situation en Azerbaïdjan
est particulièrement préoccupante en raison du harcèlement et des
poursuites engagées de manière sélective à l'encontre des journalistes
et des jeunes militants qui expriment des opinions critiques
. Mon collègue de la commission M.
Christoph Strässer (Allemagne, Groupe socialiste), rapporteur sur
le thème «Le suivi de la question des prisonniers politiques en Azerbaïdjan»,
rendra compte de ces affaires plus en détail. En Turquie, le cas
précité de M. Halil Savda, condamné à une peine de 100 jours d'emprisonnement
pour s'être publiquement déclaré en faveur de l'objection de conscience,
est un parfait exemple d'atteinte à la liberté d'expression
. Les poursuites pénales engagées
pour la manifestation non-violente d'un soutien en faveur de l'objection
de conscience (au titre de l'article 318 du Code pénal turc) ont
donné lieu à plusieurs condamnations de la Turquie par la Cour européenne
des droits de l'homme et à la formulation de critiques par le Commissaire
aux droits de l'homme
.
23. Pour ce qui est de la liberté d'association, plusieurs ONG
de défense des droits de l'homme se heurtent à des obstacles administratifs,
notamment à l'occasion de la procédure d'enregistrement, en raison
du caractère restrictif de la législation. Diverses entraves à l'action
d'ONG nationales et internationales ont été signalées en Azerbaïdjan.
Ainsi, l'association
Human Rights House
Association de Bakou a été dissoute en mars 2011, faute
d'avoir conclu un accord avec le ministère de la Justice à la suite
de la modification de la législation azerbaïdjanaise relative aux
ONG étrangères. La Commission européenne pour la démocratie par le
droit (Commission de Venise)
et le Conseil d'experts sur le droit
en matière d'ONG de la Conférence des Organisations internationales
non-gouvernementales du Conseil de l'Europe (OING)
ont estimé que la nouvelle législation
relative aux ONG ne respectait pas les normes internationales en
matière de démocratie et de droits de l'homme
. En outre, le 11 août 2011, la propriété
de Mme Leila Yunus, éminent défenseur des droits de l'homme, dans
laquelle se trouvaient les bureaux de l'ONG Institut pour la paix
et la démocratie (IPD) et d'autres ONG, a été totalement détruite
par des bulldozers dans le cadre de «travaux d'embellissement» de la
ville de Bakou
. La situation en Azerbaïdjan est
donc une fois de plus particulièrement préoccupante
.
24. En 2011, dans certains Etats membres, la tenue de réunions
pacifiques consacrées à des questions relatives aux droits de l'homme
est devenue plus difficile (notamment en Arménie et en Ukraine)
et les défenseurs des droits de l'homme qui y prennent part subissent
les violences des forces de l'ordre et sont parfois emprisonnés
ou mis à l'amende (notamment en Azerbaïdjan, à l'occasion des manifestations
de mars et avril 2011 à Bakou
et en Géorgie
).
En outre le harcèlement judiciaire, les arrestations et parfois
la détention arbitraire (comme dans le cas évoqué plus haut de M.
Philip Kostenko
) de certains manifestants à la suite
des deux dernières élections en Russie, ainsi que les coups portés
par les forces de police
, offrent d'autres
exemples des restrictions imposées à la liberté de réunion. Il va
sans dire que de tels actes dissuadent tout individu, y compris
les défenseurs des droits de l'homme, d'exercer cette liberté fondamentale
.
3.5. Campagnes de diffamation
25. Les autorités et d’autres acteurs cherchent également
à discréditer publiquement l'action des défenseurs des droits de
l'homme. Ils sont souvent accusés d'être des «ennemis», des «traîtres»,
des «espions» ou des «extrémistes» lorsqu'ils signalent des violations
des droits de l'homme ou communiquent avec les organisations internationales
ou les médias nationaux ou étrangers; ils sont également accusés
de dépendre financièrement d'Etats étrangers ou d'organisations
internationales. Ces accusations sont parfois suivies de procès
intentés en diffamation
.
En réalité les défenseurs des droits de l'homme disposent de peu de
recours face à ces accusations, surtout lorsque les médias sont
contrôlés par l'Etat ou sous son influence
.
26. En Russie, par exemple, les attaques verbales destinées à
discréditer les défenseurs des droits de l'homme, y compris grâce
aux médias de masse, ont augmenté à l'occasion des récentes élections.
Comme le signale l'Observatoire, en novembre et décembre 2011, Golos
(«la Voix»), une importante ONG russe spécialisée dans le suivi
des élections, est devenue la cible d'une campagne de diffamation
orchestrée par l'Etat et a été accusée d'être rémunérée par des
gouvernements étrangers et d'agir sur leurs instructions
. Cette
campagne de diffamation a été suivie par des cyber-attaques et des
actes de harcèlement judiciaire.
27. Selon M. Antonijevic, la situation des défenseurs des droits
de l'homme en Serbie se caractérise par leur stigmatisation constante
dans les médias et par certains responsables politiques. Bien que
le harcèlement des défenseurs des droits de l'homme par les acteurs
de l'Etat ait pris fin en 2008, plusieurs incidents dans lesquels les
membres du gouvernement et les parlementaires ont tenu des discours
de haine à leur endroit ont été signalés; de plus, l'intimidation
des défenseurs des droits de l'homme par des acteurs non étatiques, notamment
certains médias, se poursuit.
3.6. Impunité
28. L’impunité constante dont jouissent les auteurs des
crimes les plus graves commis contre les défenseurs des droits de
l'homme, comme le meurtre de Natalia Estemirova en Russie
et de Hrant Dink en Turquie
, est particulièrement choquante.
«L'absence de résultats tangibles» dans l'enquête ouverte sur le meurtre
de Natalia Estemirova été critiquée par M. Hammarberg
et l'Assemblée (y compris par mon
ancien collègue de la commission, M. Dick Marty)
. Comme l'a déclaré le Commissaire
aux droits de l'homme lors de la partie de session de janvier 2012
de l'Assemblée, la condamnation des seuls auteurs directs du meurtre de
Hrant Dink n'est pas satisfaisante, car cette affaire mériterait
une enquête approfondie pour faire davantage la lumière sur les
circonstances particulières de ce crime
.
29. Comme l'a expliqué Mme Lokshina lors de l'audition de janvier
2012, l'impunité des meurtriers des militants des droits de l'homme
du Caucase du Nord (comme Natalia Estemirova, Zarema Sadulaeva et
Alik Dzhabrailov
) perdure. L'assassinat de l'éditeur
Khadzhimurat Kamalov (au Daghestan en décembre 2011)
, et les coups portés aux journalistes
Mikhail Beketov (en novembre 2008) et Oleg Kashin (en novembre 2010) n'ont
pas davantage été élucidés
.
30. Récemment, en mars 2012, plusieurs ONG ont été concernées
par la clôture de la procédure relative aux actes de violence portés
par des fonctionnaires de police à Mme Sapiyat Magomedova, une avocate
qui se consacre aux violations des droits de l'homme au Daghestan.
En juin 2010, alors qu'elle rendait visite à un client, Mme Magomedova
été frappée par des policiers au point de perdre connaissance; les
fonctionnaires accusés ont bénéficié d'un non-lieu, «aucune donnée
objective n'ayant été produite pour établir la vérité», d'après
le ministère public
. De même, en février 2012, M. Philip Kostenko
a été violemment frappé à Saint-Pétersbourg par des individus non
identifiés, puis menacé par courrier électronique. La police a néanmoins refusé
de mener l'enquête sur cette voie de fait
.
31. Comme l'a indiqué M. Antonijevic lors de l'audition de janvier
2012, plusieurs enquêtes sont encore en cours au sujet du meurtre
de certains journalistes indépendants en Serbie. Bien que les nouvelles
dispositions du Code pénal permettent au parquet d'ouvrir une procédure
lorsque la sécurité de défenseurs des droits de l'homme est menacée,
aucun cas de ce type n'a jusqu'ici été signalé.
3.7. Situation des défenseurs
des droits de l'homme qui abordent des questions particulières
32. Les avocats, notamment ceux qui se consacrent à des
affaires politiquement sensibles ou luttent contre l'impunité des
auteurs de graves infractions ou d'actes de corruption, peuvent
également être la cible de pressions et de représailles de la part
de ceux qui cherchent à éviter de devoir rendre des comptes et faire l'objet
d’un harcèlement judiciaire. En Turquie, une campagne récemment
menée contre les avocats qui assuraient la défense de personnes
poursuivies dans des affaires de lutte contre le terrorisme a conduit
à l'arrestation et à la détention provisoire arbitraires de 40 (quarante!)
avocats
. En Azerbaïdjan, certains avocats
ont été dépourvus de l’autorisation d’exercer leur métier ou publiquement
discrédités (par exemple, M. Elchin Sadikhov, un des défenseurs
d’Eynulla Fatullayev)
. En outre,
les autorités de certains Etats membres continuent
à
exercer des pressions illégales sur les avocats qui assurent la
défense de requérants et/ou leur propre défense devant la Cour européenne
des droits de l'homme ou qui assistent les victimes de violations des
droits de l'homme en épuisant les recours nationaux avant d'introduire
une requête devant la Cour de Strasbourg (par exemple en Ukraine
ou en Turquie)
.
33. Les défenseurs des droits de l'homme qui traitent de questions
«impopulaires», comme la lutte contre la discrimination et la défense
des droits des personnes LGBT, des migrants en situation irrégulière,
des femmes et des membres de minorités nationales ou ethniques (y
compris les Roms), se heurtent dans leur action à des obstacles
indirects partout en Europe; j'ai été informée de l'existence de
cas particuliers en Belgique, à Chypre, en France et en Grèce
.
34. A Chypre par exemple, M. Doros Polycarpou, directeur général
de KISA (une ONG qui lutte contre la discrimination sociale et le
racisme en promouvant les droits des ressortissants étrangers),
est poursuivi comme instigateur d'émeutes: son ONG avait organisé
en novembre 2010 à Larnaca un festival multiculturel, dont les participants
ont été agressés par des manifestants ultranationalistes. A la suite
de cette confrontation et de l'action préventive insuffisante de
la police, plusieurs personnes ont été grièvement blessées. Selon certaines
ONG, la procédure engagée à l'encontre de M. Polycarpou repose sur
des accusations mensongères et a considérablement amoindri la capacité
de l'organisation à aider les migrants en situation difficile
.
35. Comme l'a précisé Mme Espuche lors de l'audition de janvier
dernier, la situation des défenseurs des droits des étrangers en
France s'est également détériorée ces derniers temps. Depuis 2007,
les militants qui dénoncent les expulsions forcées de ressortissants
étrangers ont fait l'objet de poursuites pénales
. A Calais, la police a usé de violence
à l'encontre de militants et de journalistes et a blessé certains
immigrés qui faisaient l'objet d'une expulsion. La situation est
également préoccupante dans l'île française de Mayotte, où certains militants
qui défendent les droits des étrangers et les droits sociaux ont
été victimes de harcèlement judiciaire et administratif, et notamment
du non-renouvellement de leur permis de séjour.
36. Comme l'a souligné M. Antonijevic lors de l'audition de janvier
2012, les militants LGBT de Serbie sont menacés dans leurs activités
quotidiennes et ne sont pas en sécurité. Cette animosité est souvent
entretenue par certains responsables politiques et par les autorités
locales. En Turquie, un défenseur des droits de l'homme des personnes
transgenres a été jugé en octobre 2011 dans un climat général de
violence à l'encontre des personnes LGBT, qui a également été critiqué
par l'ancien Commissaire aux droits de l'homme
. En février 2012, à Saint-Pétersbourg,
six militants dont le président du réseau LGBT russe, M. Igor Kotchenov,
ont été arrêtés pour avoir participé à une manifestation statique
organisée pour demander le retrait d'un projet de loi controversé,
qui restreignait les activités publiques des personnes LGBT
.
37. Les femmes défenseurs des droits de l'homme restent un groupe
particulièrement vulnérable, surtout en Europe du Sud-Est
. Comme
l'a précisé M. Antonijevic, elles sont particulièrement vulnérables
en Serbie.
3.8. Causes des entraves
et restrictions
38. Les pouvoirs publics sont bien souvent directement
responsables des entraves auxquelles se heurte l'action des défenseurs
des droits de l'homme et de leur harcèlement. Toutefois, comme le
soulignait mon prédécesseur, il arrive que de tels actes soient
commis par «divers «acteurs non étatiques» (groupes armés, crime
organisé, sociétés transnationales, individus et groupes ultranationalistes
ou autres faisant l’apologie de la haine et de l’intolérance)»
. Dans son rapport annuel de 2011,
l'Observatoire a mis en avant le fait que les défenseurs des droits
de l'homme étaient en France plus souvent confrontés aux abus de
pouvoir des sociétés qui occupent une position dominante («action
en justice stratégique intentée contre la participation publique»)
. Les médias, surtout les médias
contrôlés par l'Etat, peuvent également nuire considérablement aux
défenseurs des droits de l'homme, car ils peuvent avoir tendance
à les intimider publiquement pour diverses raisons politiques ou
autres (voir plus haut). En outre, il a également été signalé au
cours de la table ronde d'octobre 2011 que les ONG créées par les
gouvernements et fidèles à ceux-ci peuvent entraver l'action des
défenseurs des droits de l'homme en générant des clivages au sein
de la société civile et en pratiquant la désinformation (par exemple
en Azerbaïdjan et en Géorgie)
.
39. La situation des défenseurs des droits de l'homme en Europe
est donc loin d'être satisfaisante et il importe que la communauté
internationale réagisse rapidement aux actes hostiles dont ils font
l'objet.
4. Initiatives prises
à l'échelon international pour renforcer la protection et la promotion
des défenseurs des droits de l'homme
4.1. Initiatives prises
dans le cadre des Nations Unies et en Europe
40. Plusieurs initiatives ont été prises à l'échelon
international et européen pour protéger les défenseurs des droits
de l'homme dans l'exercice de leurs activités et reconnaître l'importance
de leur action. Toutefois, la plupart des instruments adoptés prennent
la forme de «déclarations» ou de «lignes directrices», qui ne sont pas
juridiquement contraignantes.
41. En 1998, l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté la
Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l'homme
(«Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes
et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de
l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus»
), qui reconnaît le rôle capital
joué par les défenseurs des droits de l'homme et les difficultés
auxquelles ils sont confrontés. Il s'agit du premier instrument
des Nations Unies qui reconnaisse l'importance et la légitimité
des activités menées par les défenseurs des droits de l'homme.
42. D'autres organisations régionales, comme l'Organisation pour
la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et l'Union européenne,
ont également pris des mesures pour renforcer la protection des
défenseurs des droits de l'homme. En 2007, le Bureau des institutions
démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH) de l'OSCE a créé
un Coordinateur pour les défenseurs des droits de l'homme et les
institutions nationales des droits de l'homme
, qui «suit attentivement la situation
des défenseurs des droits de l'homme, recense les sujets de préoccupation
et cherche à promouvoir et à protéger leurs intérêts». Le BIDDH
publiait également des rapports annuels sur les défenseurs des droits
de l'homme dans l'espace de l'OSCE. En 2004, le Conseil de l'Union
européenne a adopté les «Orientations de l'Union Européenne concernant
les défenseurs des droits de l'homme» (légèrement révisées en décembre
2008)
. Elles visent à identifier le moyen
d'agir efficacement en faveur de la promotion et de la protection
des défenseurs des droits de l'homme dans les pays tiers, dans le
cadre de la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union
européenne. Elles recommandent également de renforcer les mécanismes
régionaux de protection des défenseurs des droits de l'homme en vigueur.
4.2. Le rôle du Conseil
de l'Europe
43. Grâce à ses organes et institutions, le Conseil de
l'Europe dispose de modes de coopération bien établis avec les ONG
et les militants des droits de l'homme, ainsi que d'un éventail
d'instruments en matière de droits de l'homme, qui lui permettent
de créer et de promouvoir un environnement propice à l'action des
défenseurs des droits de l'homme.
44. Le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe
a pour mandat spécifique de protéger les défenseurs des droits de
l'homme dans les Etats membres du Conseil de l'Europe et d'intervenir
dans les situations d'urgence, notamment grâce à ses visites de
pays et à un dialogue constant avec à la fois les défenseurs des
droits de l'homme et les autorités nationales.
45. En février 2008, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe
a pris une importante mesure en faveur de la protection effective
des défenseurs des droits de l'homme, en adoptant la «Déclaration
sur l’action du Conseil de l’Europe pour améliorer la protection
des défenseurs des droits de l’homme et promouvoir leurs activités»
. Cette déclaration renforce encore
le rôle du Commissaire aux droits de l'homme, qui est ainsi devenu
«le mécanisme régional» de protection des défenseurs des droits
de l'homme dans les Etats membres du Conseil de l'Europe. En outre,
en mars 2011, le Comité des Ministres a adopté ses «Lignes directrices
pour éliminer l'impunité pour les violations graves des droits de
l'homme»
. Elles visent à prévenir et combattre l'impunité,
notamment lorsqu'elle découle de l'inactivité des institutions publiques,
y compris de la justice. Elles soulignent qu'il convient de lutter
contre l'impunité «afin de rendre justice aux victimes»
, notamment aux défenseurs
des droits de l'homme et à leurs familles.
46. En outre, la Conférence des Organisations internationales
non-gouvernementales du Conseil de l'Europe, qui est la voix de
la société civile au sein de l'Organisation, réunit plus de 400
OING titulaires d'un statut participatif et encourage le dialogue
entre, d'une part, les ONG et, d'autre part, les parlementaires
et les collectivités territoriales.
4.3. Réunions inter-mécanismes
47. En 2008, à Bruxelles, l'Observatoire international
pour la protection des défenseurs des droits de l'homme a pris l'initiative
de réunir pour la première fois tous les titulaires de mandats institutionnels
de protection des défenseurs des droits de l'homme: le Rapporteur
spécial des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits
de l'homme, le Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs
des droits de l’homme en Afrique de la Commission africaine, l'Unité
fonctionnelle pour les défenseurs des droits de l'homme de la Commission
interaméricaine des droits de l'homme, le Bureau du Commissaire
aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, le Bureau des institutions
démocratiques et des droits de l'homme de l'Organisation pour la
sécurité et la coopération en Europe et l'Union européenne
. Cette réunion visait à dresser
le bilan des moyens et techniques de protection existants et à définir
comment renforcer la coordination et la complémentarité de ces mécanismes.
48. Quatre réunions de ce type ont eu lieu à ce jour. Les 8 et
9 mars 2012, la quatrième réunion «inter-mécanismes» a été accueillie
par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme
à Genève
. Cette année, certains échanges
ont porté sur le moyen de garantir que les auteurs de violations
commises à l'encontre des défenseurs des droits de l'homme soient
amenés à rendre compte de leurs actes. Le droit d'obtenir et d'avoir
accès au financement, y compris par des fonds étrangers, a également
été abordé, ce qui témoigne des nouvelles préoccupations que suscitent
les restrictions imposées par les Etats en la matière
.
5. Le rôle des parlements
nationaux et de l'Assemblée parlementaire
49. La protection de l'intégrité des défenseurs de l'homme
et la garantie de leur sécurité lorsqu'ils sont menacés incombent
avant tout aux Etats
. En cas de manquement
des autres pouvoirs publics, c'est-à-dire de la justice, des autorités
administratives, des services de police et du parquet, il appartient
aux parlementaires de venir en aide aux défenseurs des droits de
l'homme, notamment en adoptant des lois qui leur permettent d'exercer
leurs activités dans des conditions satisfaisantes et en procédant
au suivi de l'évolution sur le terrain, en mettant en lumière les
violences commises et en demandant que leurs auteurs aient à rendre
des comptes, si besoin est. Les parlementaires peuvent également
faire participer les ONG et les défenseurs des droits de l'homme
à la procédure d’élaboration des textes législatifs qui ont trait
aux droits de l'homme, et notamment à des questions «sensibles»,
comme les droits des groupes minoritaires.
50. La question de la communication à l'échelon national entre
le gouvernement et le parlement, d'une part, et les ONG de défense
des droits de l'homme, d'autre part, a été soulignée lors de l'échange
de vues de janvier 2012 qui a eu lieu au sein de notre commission,
ainsi qu’à l'occasion de la table ronde organisée en octobre 2011
par le Bureau du Commissaire aux droits de l'homme. Au cours de
cette dernière, plusieurs représentants d’ONG se sont plaints de
ne pas prendre part à l'élaboration de la législation qui les concerne
. Ils ont souligné que la
participation des défenseurs des droits de l'homme à l'élaboration
de la législation était uniquement autorisée lorsqu'elle était politiquement
opportune et que leur participation régulière en vue d'améliorer
la protection des droits de l'homme était plus limitée
.
Dans certains cas, la consultation publique était perçue comme un
exercice purement formel, auquel on procédait le plus souvent au
dernier moment, de façon précipitée et sans y attacher de véritable
intérêt (par exemple en Bulgarie, à Chypre, en Géorgie et en Hongrie)
. Il arrive également que les défenseurs des
droits de l'homme soient exclus de la procédure de consultation
à cause de l'attitude hostile des autorités (par exemple en Azerbaïdjan)
ou qu’ils ne soient pas consultés sur certaines questions sensibles,
comme celles qui portent sur les droits des minorités (par exemple les
organisations qui promeuvent les droits des Roms en Hongrie et en
Roumanie)
.
51. Il a été proposé que les ONG de défense des droits de l'homme
et les défenseurs des droits de l'homme participent davantage à
l'élaboration de la législation. L'organisation d'une vaste consultation
publique est un élément essentiel de l'élaboration des textes de
loi dans une société démocratique, car les ONG et les militants de
défense des droits de l'homme sont bien placés pour alimenter utilement
la réflexion en la matière. Ils devraient donc être consultés dès
le début de la rédaction des textes législatifs, sans l’être uniquement
pour la forme, et disposer d'un délai suffisant. Il convient de
les consulter notamment sur des questions aussi sensibles que les
droits des groupes minoritaires, y compris les personnes LGBT, les
membres de minorités nationales, les ressortissants étrangers et
les Roms, etc. Lors de la table ronde, il a été proposé que des auditions
publiques soient organisées plus souvent à propos de certains textes
de loi
. Il a également été proposé que dans
les Etats où les consultations publiques sont rares, les organisations
internationales puissent «réfléchir à la possibilité de renforcer
la participation des défenseurs des droits de l'homme et de la société
civile grâce à des structures et mécanismes internationaux»
.
52. A l'échelon européen, les parlementaires peuvent, en leur
qualité de membres de l'Assemblée, soutenir et protéger les défenseurs
des droits de l'homme sur l'ensemble du continent, notamment:
- par la tenue de débats sur des
sujets pertinents en matière de droits de l'homme;
- en décernant le Prix des droits de l'homme de l'Assemblée ;
- en faisant participer les représentants de la société
civile, et notamment les défenseurs des droits de l'homme, à leurs
travaux;
- en faisant usage de la «diplomatie parlementaire», grâce
aux contacts qu'ils entretiennent avec leurs homologues des autres
pays.
53. Notre commission a une longue tradition de coopération avec
les défenseurs des droits de l'homme. Elle a toujours apporté son
soutien, au travers de ses présidents, de ses rapporteurs et/ou
de sa sous-commission des droits de l'homme, aux défenseurs des
droits de l'homme en situation difficile, en les invitant à prendre
part à des échanges de vues ou en «parrainant» des événements auxquels
ils participent, organisés en marge d'autres manifestations, en
publiant des déclarations ad hoc, des communiqués de presse et/ou
en intervenant par écrit auprès des autorités compétentes. Mon prédécesseur
réagissait régulièrement aux appels urgents des ONG de défense droits
de l'homme ou de particuliers, en adressant des lettres confidentielles
aux autorités compétentes, illustrant ainsi cette diplomatie parlementaire
évoquée plus haut. De telles initiatives ont été prises après avoir
consulté les défenseurs des droits de l'homme et les ONG de défense
des droits l'homme concernés ou des personnes en contact direct
avec eux, afin d'éviter tout résultat contraire à l'effet souhaité.
54. L'action concrète de mon prédécesseur à cet égard doit être
poursuivie, car il est capital selon moi de tirer très tôt la sonnette
d'alarme lorsque l'action des défenseurs des droits de l'homme est
gravement entravée. L'avenir nous dira si cette tâche incombera
à la rapporteure que je suis ou à mon successeur, voire à un Rapporteur
général nouvellement nommé. Il importe également que les parlementaires,
dont le rapporteur (éventuellement général) sur les défenseurs des
droits de l'homme, alertent leurs propres réseaux (collègues, ministère
des Affaires étrangères ou ambassade dans le pays concerné, etc.)
en cas de besoin.
6. Conclusion
55. Dans sa
Résolution
1660 (2009) et sa
Recommandation
1866 (2009) d’avril 2009, l'Assemblée estimait que le Conseil de
l'Europe devait continuer à renforcer sa contribution à la protection
des défenseurs des droits de l'homme. La situation actuelle des
défenseurs des droits de l'homme en Europe est loin d'être satisfaisante et
il importe que la communauté internationale réagisse rapidement
aux actes hostiles dont ils sont la cible. Fort heureusement, de
nombreuses organisations internationales sont conscientes de la
gravité du problème et ont déjà pris des mesures pour renforcer
la protection et la promotion de «ceux qui œuvrent pour la défense des
droits d'autrui». Toutefois, d'autres mesures de protection des
défenseurs des droits de l'homme et de suppression des entraves
à leur action, quelle que soit l'importance de ces obstacles, doivent
encore être prises dans les Etats membres du Conseil de l'Europe.
Bien que la situation des défenseurs des droits de l'homme de certains
Etats membres (surtout dans le Caucase du Nord de la Fédération
de Russie
, où la question du terrorisme vient
encore la compliquer) ne puisse être comparée avec celle des militants
d'autres régions d'Europe, cela ne signifie pas pour autant que
ces derniers n'aient pas besoin d'être davantage protégés.
56. L'impunité des responsables de graves violations des droits
de l'homme dont sont victimes les défenseurs des droits de l'homme
est une importante source de préoccupation, puisqu'un certain nombre d'entre
elles n'ont pas encore été élucidées. Il est donc utile de rappeler
la
Résolution 1675 (2009) et la
Recommandation
1876(2009) de l'Assemblée sur «La situation des droits de l’homme
en Europe: la nécessité d’éradiquer l’impunité»
et
les «Lignes directrices pour éliminer l’impunité pour les violations
graves des droits de l’homme» de mars 2011 du Comité des Ministres.
L'impunité des acteurs étatiques et non étatiques responsables de
ces violations ne saurait être tolérée. Il convient également de
souligner ici que les graves violations de droits de l'homme commises
à l'encontre de ces défenseurs ont un effet dissuasif sur l'activité
des autres: le meurtre de Natalia Estemirova a par exemple eu un
effet dissuasif sur les activités des ONG du Caucase du Nord
. Mais, comme l'illustre le cas de M. Polycarpou
à Chypre, le harcèlement judiciaire peut également avoir un effet
dissuasif sur les activités des ONG de défense des droits de l'homme.
Comme l'a souligné la présidente de la FIDH, Mme Souhayr Belhassen,
«le harcèlement judiciaire est moins spectaculaire que les agressions
physiques, mais il contribue néanmoins à instiller la peur et à
renforcer le système d'impunité». Cette déclaration est corroborée
par celle de M. Gerald Staberock, Secrétaire général de l'Organisation
mondiale contre la torture (OMCT): «seul le fait que les autorités
proclament clairement et sans ambiguïté la légitimité de l'action
critique des défenseurs des droits de l'homme permet de contrer
l'effet dissuasif des procédures engagées à l'encontre des défenseurs
des droits de l'homme. Au lieu de gaspiller les ressources de la
justice à ce genre de procédure, les autorités feraient mieux de
consacrer leur énergie à faire en sorte que les auteurs de violations
des droits de l'homme, y compris de meurtres de défenseurs des droits de
l'homme, aient à répondre de leurs actes devant la justice»
.
57. Il importe que les Etats et les parlements nationaux s'abstiennent
d'adopter des lois qui imposent des restrictions directes ou indirectes
(sous forme de conditions ou d'entraves judiciaires et administratives)
aux ONG de défense des droits de l'homme et aux défenseurs des droits
de l'homme. La législation qui autorise ce type de restrictions
devrait être abrogée. La question du financement, qui est essentielle
pour l'exercice des activités des défenseurs des droits de l'homme,
peut illustrer cette situation. Comme le droit de «solliciter, recevoir
et utiliser des ressources dans le but exprès de promouvoir […]
les droits de l’homme» a été reconnu par la Déclaration des Nations
Unies de 1999
, il importe que les
militants des droits de l'homme continuent à être autorisés à bénéficier
d'un financement externe de leur action et qu'ils ne soient en aucun
cas poursuivis au pénal pour l'obtention de ces fonds. Comme le
reconnaissaient le Commissaire aux droits de l'homme et l'OSCE,
il y aurait lieu de réfléchir de façon plus approfondie à la création
d’un «Fonds d’aide aux défenseurs des droits de l'homme», auquel
pourraient participer divers acteurs internationaux
.
58. Afin de renforcer la protection des défenseurs des droits
de l'homme, il importe que l'ensemble des Etats membres donnent
les suites qui conviennent à la «Déclaration sur l’action du Conseil
de l’Europe pour améliorer la protection des défenseurs des droits
de l’homme et promouvoir leurs activités» du 6 février 2008. Les
organes et les institutions du Conseil de l'Europe doivent continuer
à contribuer à la création d'un environnement propice aux défenseurs
des droits de l'homme, notamment par des activités de sensibilisation et
de formation, en particulier à l'intention des forces de l'ordre
et des médias. Il importe également que les Etats membres continuent
à accorder le soutien politique et financier nécessaire à l'institution
du Commissaire aux droits de l'homme, à la Conférence des organisations
internationales non gouvernementales du Conseil de l'Europe et au
Conseil d'experts sur le droit en matière d'ONG. Mais il n’y a là
aucune nouveauté; aussi convient-il de réfléchir à d'autres idées.
Le Conseil de l'Europe pourrait par exemple envisager la mise en
place d'un mécanisme d'alerte systématique lorsque les défenseurs
des droits de l'homme sont en danger. Cette idée a déjà été évoquée
dans le rapport de mon prédécesseur, M. Haibach
. Au cours de la table ronde d'octobre
2011, les participants ont souligné une fois de plus qu'il importait
de faire connaître le cas de chaque défenseur des droits de l'homme
menacé
. On pourrait donc creuser
l'idée de la mise en place d'un mécanisme international qui permettrait
de réagir rapidement aux violations ou aux menaces de violations graves
dont les défenseurs des droits de l'homme font l'objet. Les Etats
membres pourraient également renforcer la participation des ONG
de défense des droits de l'homme à l'élaboration de la législation,
car leur participation à ce processus pourrait améliorer considérablement
la qualité des textes de lois adoptés.
59. Je suis convaincue que l'Assemblée parlementaire a un rôle
important à jouer dans la promotion et la protection des défenseurs
des droits de l'homme. L'attention politique accordée par un organe
parlementaire international peut accroître la visibilité et l'incidence
de leur action et, en cas de besoin, entraîner la condamnation rapide
et ferme, par la communauté internationale, de tout acte illégal
commis à l'encontre des défenseurs des droits de l'homme. Cette
démarche contribuerait à prévenir la violence et l'hostilité à l'égard des
défenseurs des droits de l'homme, surtout dans les pays où les droits
de l'homme sont peu respectés. A cet égard, il peut être utile que
nous, la commission et l'Assemblée dans son ensemble réfléchissent
à la nécessité d'instituer un Rapporteur général sur les défenseurs
des droits de l'homme, qui pourrait réagir rapidement, lorsque la
nécessité s'en fait sentir et en usant de «diplomatie parlementaire»,
aux appels urgents lancés par les ONG et les militants de défense
des droits de l'homme partout en Europe. Il importe que l'Assemblée
renforce, grâce à un tel rapporteur, sa coopération avec le Bureau
du Commissaire aux droits de l'homme et avec le nouveau Commissaire,
M. Nils Muižnieks. Comme nos mandats sont complémentaires, notre
action doit avant tout soutenir et consolider le développement de
la société civile, et notamment le travail indispensable des défenseurs
des droits de l'homme.