1. Introduction
1. Le cancer du sein est une maladie qui existe depuis
des siècles mais dont la perception ne cesse d’évoluer. Peu à peu,
les efforts déployés par les porte-parole des patient(e)s, les scientifiques,
les médias et les gouvernements ont brisé le silence autour de cette
pathologie. Aujourd’hui, le cancer du sein n’est plus considéré
comme un stigmate, mais comme une maladie et, dans de nombreux pays,
le changement est en marche dans la manière d’aborder les soins.
2. Le vécu d’un cancer du sein est semblable pour tous les patient(e)s
(majoritairement des femmes), au-delà des frontières, des races
et des religions. Pourtant, il y a encore de nombreuses régions
du monde où les femmes continuent à taire le diagnostic, où il n’existe
pas une prise en charge optimale en termes de diagnostic et traitement,
et où c’est la peur de la mort qui se profile à l’issue du processus,
et non l’espoir et la guérison.
3. Il en est ainsi bien qu’il soit aujourd’hui admis qu’assurer
une prise en charge de qualité des cancers du sein se traduit à
moyen et long terme par une amélioration du taux de survie, des
économies pour le système de santé et une meilleure qualité de vie
pour les patient(e)s. Il est nécessaire d’exhorter tous les Etats
membres à garantir des normes minimales et optimales de prise en
charge de toutes les personnes chez qui la maladie est diagnostiquée.
4. Au cours des dernières décennies, la communauté scientifique
et les associations de défense des droits ont uni leurs efforts
pour améliorer la sensibilisation à des questions intéressant le
cancer du sein. Des questions touchant au diagnostic, au dépistage,
à une qualité optimale des soins dans les unités de sénologie, aux
droits des femmes en matière d’emploi et aux assurances, ainsi qu’à
l’importance des soins palliatifs et de fin de vie.
5. En attirant l’attention sur ces questions, le présent rapport
cherche à faire en sorte que les Etats membres du Conseil de l’Europe
axent leurs efforts sur la réduction des disparités et des inégalités
dans la prise en charge du cancer du sein en Europe. Il est essentiel
que les centaines de milliers de femmes, d’hommes et de familles
touchés par la maladie reçoivent le niveau de soins auquel ils ont
droit, tel que défini par les résolutions de 2003 et 2006 du Parlement
européen sur le cancer du sein ainsi que par la Charte européenne
des droits des patients.
2. Faits
et chiffres sur le cancer du sein
6. Je ne suis pas moi-même spécialiste du cancer du
sein, mais je suis membre de la coalition Europa Donna qui mène
des actions de plaidoyer pour la lutte contre le cancer du sein
– et dont la directrice exécutive, Mme Susan Knox, a participé à
un échange de vues avec la commission des questions sociales, de
la santé et du développement durable en octobre 2013. Permettez-moi
de récapituler ici les principaux faits et chiffres relatifs au
cancer du sein
:
- Incidence
- Le cancer du sein est le cancer
le plus courant et a la plus forte mortalité de tous les cancers
chez les femmes à travers le monde.
- Le cancer du sein est le cancer le plus fréquent chez
les femmes européennes avec une incidence estimée à 499 560 en 2012.
L’incidence dans l'UE-28 en 2012 a été estimée à 367 090.
- Il y a deux fois plus de nouveaux cas de cancer du sein
chaque année que de nouveaux cas d’autres types de cancer.
- Une femme sur 10 dans l'UE-28 développera un cancer du
sein avant qu'elle atteigne 80 ans.
- Une moyenne de 20 %-30 % des cas de cancer du sein en
Europe surviennent chez des femmes quand elles sont âgées de moins
de 50 ans; 33 % surviennent à 50-64 ans et les autres cas chez des
femmes au-delà de cet âge. Le cancer du sein affecte donc beaucoup
de femmes au cours de leurs années consacrées à travailler et élever
une famille.
- Mortalité
- Le cancer
du sein cause la mort de femmes européennes plus que tout autre
cancer.
- En Europe, on estime que 142 889 femmes sont mortes d'un
cancer du sein en 2012, 91 495 d'entre elles étaient issues des
Etats membres de l'UE-28.
- Faits sur le mode de vie et le cancer du sein
- Le nombre croissant de cas de
cancer du sein peut être dû à des changements dans les habitudes
de vie, l'augmentation de la sédentarité, la prise de poids et l'obésité
et les changements sociologiques comme l'augmentation de l'âge à
la première naissance et la diminution du nombre d'enfants.
- L'activité physique et le poids
- L'excès de poids et l'inactivité physique comptent pour
environ 25 %-33 % des cas de cancer du sein.
- Il existe une relation inverse entre l'indice de masse
corporelle et le cancer du sein chez les femmes pré-ménopausées
et une relation directe chez les femmes post-ménopausées.
- On estime que l'inactivité physique cause de 10 %-16 %
de tous les cas de cancer du sein.
- L'effet de la perte de poids est indépendant de l'activité
physique.
- La consommation d'alcool
- Consommer trois boissons alcoolisées ou plus par jour
augmente le risque de cancer du sein de 30 %-50 %, chaque boisson
représentant environ un risque accru de 7 %.
3. Comprendre les
statistiques
7. Comme l’a précisé le Dr Alberto Costa de l’Ecole
européenne d’oncologie à l’audition tenue par la commission sur
ce rapport au cours de sa réunion à Strasbourg le 9 avril 2014
, «le cancer du sein n’est
pas une maladie, mais en recouvre plusieurs». Pendant des centaines
d’années, le seul traitement standard disponible pour tous les types
de cancer du sein a été la chirurgie: ablation de la tumeur ou du
sein atteint. Selon le Dr Costa: «Nous savions que tout en faisant
notre possible pour chaque patient(e), certains ne survivraient
pas à la maladie. Etant donné que nous ne pouvions prévoir qui allait
survivre, nous nous sentions obligés de donner le traitement maximum
tolérable à chacun, à savoir la mastectomie.» Toutefois, même une mastectomie
radicale ne peut sauver la vie – ni même la prolonger – de chaque
patient(e) atteint(e) de cancer du sein.
8. Depuis 20 à 25 ans, des progrès considérables ont été réalisés
dans la compréhension du cancer du sein. La découverte de la composition
des tumeurs a permis de classer différents types de la maladie au-delà de
la classification par taille et type de localisation (tubulaire
ou lobulaire) ou selon l’implication ou non des ganglions lymphatiques
sentinelles – il est aujourd’hui possible de mesurer à quelle vitesse
grossit une tumeur, avec quelle rapidité elle produit des métastases,
si elle envahit ou pas la circulation sanguine, si elle est hormono-réceptive,
etc. A l’avenir, l’établissement du profil génétique des tumeurs
permettrait une classification encore plus efficace et plus claire.
Parallèlement, les progrès en matière de traitement – en particulier
pour les tumeurs hormono-dépendantes – offrent aux médecins des
options thérapeutiques efficaces autres que la chirurgie. Un traitement
beaucoup plus personnalisé est désormais possible, il ne s’agit plus
d’un «traitement unique». Toutefois, il n’existe toujours pas de
«remède » efficace à 100 % pour le cancer du sein: nous sommes toujours
dans l’attente de la découverte de l’équivalent des antibiotiques
pour la tuberculose. Selon le Dr Nereo Segnan du service de dépistage
du cancer de l’Hôpital universitaire de Turin
, seul
un(e) patient(e) sur cinq atteint(e)s d’un cancer du sein (d’un
cancer invasif, et non un CCIS ou CLIS
) est sauvé par les traitements
actuellement disponibles – toutefois, étant donné qu’il est aujourd’hui
presque impossible de prévoir quel type de cancer va répondre à
une chimiothérapie agressive, par exemple, de nombreux médecins
se sentent encore obligés de «donner le traitement maximum tolérable
à chacun».
9. Parallèlement, l’évolution des technologies permet aujourd’hui
de détecter des cancers à un stade encore plus précoce grâce à des
programmes de dépistage par mammographie (voir le chapitre suivant). Comme
l’a souligné le Dr Segnan lors de l’audition susmentionnée, c’est
la combinaison de programmes de dépistage organisé et d’un traitement
plus efficace qui a finalement eu une incidence significative sur
les taux de mortalité du cancer du sein en Europe au cours des 20
à 25 dernières années.
10. Dans ce contexte, il est important de bien comprendre les
statistiques. Il règne une profonde confusion, même parmi les professionnels,
en matière d’interprétation des statistiques. Permettez-moi de vous
donner quelques exemples. De nombreuses femmes sont choquées par
l’augmentation apparemment inexorable des taux d’incidence du cancer
du sein au cours du siècle dernier. Toutefois, cette augmentation
est due à de nombreux facteurs, dont des distorsions statistiques:
alors qu’une meilleure hygiène, le développement des vaccins et
la découverte des antibiotiques ont permis de réduire le nombre
de femmes mourant de maladies infectieuses, elles étaient plus nombreuses
à survivre pour mourir d’autres causes – dont le cancer du sein. L’augmentation
de l’espérance de vie chez les femmes a également augmenté le risque
de développer un cancer du sein au cours de sa vie. Cela ne signifie
pas que certains changements sociaux n’ont eu aucun impact sur l’augmentation
des taux de cancer du sein. Ainsi, avoir des enfants tôt, en avoir
plusieurs et les allaiter peut protéger contre le cancer du sein,
alors qu’avoir ses premières menstruations à un âge précoce et la
ménopause à un âge tardif augmente la probabilité de développer
un cancer du sein.
11. Un autre exemple est l’accent mis sur les «taux de survie ».
Bien entendu, c’est l’une des premières questions que de nombreuses
femmes posent à leur médecin à l’annonce du diagnostic de cancer
du sein – «combien de temps me reste-t-il?» Toutefois, il n’est
pas facile de répondre à cette question, même aujourd’hui, en raison
des nombreuses sous-catégories de cette maladie. Certaines tumeurs
sont si agressives qu’elles vont tuer la patiente rapidement, quel
que soit le stade où le cancer est dépisté ou quel que soit le traitement
administré. Certains cancers ne sont pas invasifs (par exemple le
CCIS et le CLIS, qui ne devraient peut-être pas être appelés «cancers»
du tout) ou se développent ou produisent des métastases si lentement
que la patiente aura survécu (ou sera décédée d’autres causes) quel
que soit le stade auquel le cancer est dépisté et quel que soit
le traitement administré (y compris en cas d’absence de traitement).
Le passage du niveau de l’individu au niveau statistique suscite
d’innombrables malentendus. Par exemple, prenons le cas d’une femme
atteinte d’une tumeur agressive qui va la tuer à l’âge de 45 ans.
Si elle consulte un médecin à l’âge de 43 ans avec des symptômes,
elle est comptabilisée comme ayant survécu deux ans après le diagnostic.
En revanche, si la tumeur de cette même femme avait été découverte
lors d’un dépistage par mammographie à l’âge de 40 ans, elle aurait
été comptabilisée comme ayant survécu cinq ans après le diagnostic.
Les faits sont identiques, l’issue est la même, mais statistiquement
parlant, la femme a gagné trois ans de vie, et le taux de survie
a augmenté «grâce au dépistage précoce». Autre exemple, celui d’une
femme souffrant d’un CCIS découvert lors d’un dépistage par mammographie
à l’âge de 40 ans. On lui administre un traitement agressif et elle
meurt d’autres causes (non liées au cancer du sein) à l’âge de 80 ans.
Est-ce que, comme certains l’interpréteront, le dépistage et le
traitement agressif ont permis de lui sauver la vie, en ayant une
incidence positive sur le taux de survie du cancer du sein? La réponse
est non: le CCIS est par définition non invasif (le IS signifie
«in situ») et donc ne tue pas. C’est la raison pour laquelle il
est si important d’apprendre au grand public et aux patient(e)s
à bien interpréter les statistiques et à ne pas tirer de conclusions trop
hâtives.
4. «Pour ou contre
le dépistage»: données probantes et lignes directrices dans le contexte
d’un débat persistant
12. Le dépistage par mammographie est actuellement au
cœur d’un vif débat. Un grand nombre d’experts, aux Etats-Unis et
en Europe, ont établi des rapports évaluant l’efficacité du dépistage
par mammographie moyennant une analyse de l’ensemble des éléments
probants (fournis par le Réseau européen de dépistage du cancer
du sein, le Centre international de recherche sur le cancer et l’Organisation
mondiale de la santé (OMS)). Europa Donna, la coalition européenne
contre le cancer du sein qui représente des groupes constitués dans
46 pays européens et étudie constamment toutes les données, soutient
les programmes de dépistage par mammographie en population générale
lorsqu’ils sont réalisés conformément aux lignes directrices européennes
pour l’assurance de la qualité dans le dépistage et le diagnostic
du cancer du sein – à savoir une mammographie tous les deux ans
après un certain âge, généralement fixé à 50 ans.
13. Malheureusement, la façon dont les médias présentent les données
liées aux programmes de dépistage par mammographie prête souvent
à confusion. Le Dr Segnan a très bien expliqué les faits lors de
l’audition tenue par la commission: les programmes de dépistage
organisé du cancer du sein, à grande échelle, conformes aux lignes
directrices européennes sauvent des vies lorsqu’ils sont associés
à des traitements modernes. Ce n’est ni le dépistage ni le traitement
en tant que tel qui ont une incidence sur les taux de mortalité,
mais bien la combinaison des deux. Les différentes études à grande
échelle sont arrivées à des conclusions différentes concernant l’ampleur
des avantages pouvant être attribués aux programmes de dépistage
, mais les données indiquent
qu’ils sont significatifs. Le Dr Segnan recommande donc de poursuivre les
programmes de dépistage conformes aux lignes directrices, tout en
mettant en garde contre le dépistage individuel, ponctuel et non
organisé qui peut faire plus de mal que de bien.
14. Le Dr Segnan a également souligné les inconvénients du dépistage,
qui – tout en étant moins nombreux que les avantages – doivent également
être clairement présentés aux femmes afin qu’elles puissent prendre une
décision éclairée quant à leur participation à un programme de dépistage
du cancer du sein: les «faux positifs», le surdiagnostic et le surtraitement.
Les études qu’il a citées révélaient que 20 % des femmes avaient été
rappelées après un dépistage par mammographie pour des contrôles
plus approfondis (avec parfois des interventions invasives) au cours
des 20 dernières années, la plupart étant des «faux positifs», c’est-à-dire
que les lésions détectées n’étaient pas cancéreuses. Si l’anxiété,
le stress et (dans les cas d’interventions invasives pour exclure
le cancer) la gêne occasionnés aux femmes dans cette situation ne
doivent pas être sous-estimés, le préjudice est faible comparé aux
cas de surdiagnostic entraînant un surtraitement.
15. Le Dr Segnan a défini le «surdiagnostic» comme un cancer ou
des lésions précancéreuses telles que le CCIS ou le CLIS qui n’auraient
pas été détectés sans dépistage par mammographie, car ils n’étaient
pas palpables ou n’entraînaient aucun symptôme. La variabilité du
diagnostic est élevée – ainsi le CCIS constitue entre 4 % et 23 %
de tous les «cancers» détectés à l’occasion d’un dépistage
. On sait désormais que le CCIS et le
CLIS n’entraînent que rarement un cancer invasif et que le «traitement»
pour ces lésions précancéreuses devrait donc être limité à une surveillance
lors de dépistages par mammographie à intervalles réguliers. Malheureusement,
les médecins n’ont pas tous connaissance de ces recommandations,
et de nombreuses femmes subissent encore une chirurgie mutilante
inutile pour ces lésions – qui, dans la plupart des cas, ne se seraient
jamais transformées en cancer. Le meilleur moyen d’éviter ce type
de surtraitement est de suivre à la lettre les lignes directrices
et d’établir une alliance entre les unités de sénologie et les unités
de dépistage organisé (voir chapitre suivant).
16. D’un point de vue de santé publique, plus les femmes âgées
de 50 à 69 ans seront nombreuses à participer au dépistage organisé,
meilleurs seront les résultats (les données pour le groupe d’âge
de 40 à 49 ans sont moins claires: si les avantages sont les mêmes
en ce qui concerne le nombre de cancers détectés, les préjudices
pour ce groupe d’âge sont plus importants avec davantage de «faux
positifs » et de cas de surdiagnostic dus à une plus grande densité
des seins chez les femmes appartenant à ce groupe). La documentation
fournie aux femmes ne dresse pas toujours un tableau précis des
avantages et des risques liés à la participation aux programmes
de dépistage. Il faut que cela change. Les femmes doivent être traitées comme
des adultes et pouvoir prendre une décision éclairée quant à leur
participation aux programmes de dépistage; en outre, cette décision
doit être respectée et ne pas se retourner contre elles ultérieurement. Depuis
l’introduction du dépistage par mammographie, les femmes ont été
nombreuses à y participer. Faisons- leur confiance pour prendre
la bonne décision – celle qui est bonne pour elles.
17. En résumé: le dépistage, réalisé conformément aux lignes directrices
européennes, apporte un avantage significatif aux femmes au sens
où il améliore les taux de la mortalité liée à cette maladie lorsqu’il
est associé à des traitements modernes. Il est donc important que
les femmes aient accès à des programmes de dépistage conformes aux
lignes directrices et à des informations exactes et fiables, fondées
sur des données probantes. En l’état actuel des connaissances, le
dépistage par mammographie est la meilleure méthode de détection
précoce du cancer du sein disponible aujourd’hui et il est avéré
que cela améliore les taux de mortalité
.
5. Unités spécialisées
en sénologie: accroître la qualité de vie et les chances de survie
des femmes
18. Au vu des données disponibles, il est prouvé que
le traitement du cancer du sein dans une unité multidisciplinaire
spécialisée en sénologie améliore les chances de survie et la qualité
de vie. Dans ses résolutions de 2003 et 2006, le Parlement européen
invite les Etats membres de l’Union européenne à faire en sorte,
d’ici à 2016, d’établir de telles unités sur l’ensemble du territoire
national, conformément aux lignes directrices européennes.
19. Toutes les femmes, dans les Etats membres du Conseil de l’Europe
et dans le monde entier, devraient avoir accès à des unités spécialisées
en sénologie entièrement équipées, offrant une garantie de qualité
et une prise en charge globale et compétente. Le traitement des
lésions mammaires requiert une équipe multidisciplinaire. EUSOMA
(Société européenne de mastologie) a défini les exigences auxquelles
doivent satisfaire les unités spécialisées en sénologie. Ces lignes
directrices (mises à jour en 2013) ont été élaborées en s’appuyant
sur les données fournies par une équipe multidisciplinaire d’experts
européens.
20. Les lignes directrices précisent qu’une unité de sénologie
intégrée doit traiter un nombre suffisant de cas, afin de garantir
une activité effective et de maintenir l’expertise
,
et disposer d’une équipe de spécialistes travaillant selon une approche
multidisciplinaire
.
Les lignes directrices soulignent la nécessité d’assurer une continuité
des soins pour les patient(e)s présentant une maladie métastatique
et des services de soins palliatifs de grande qualité. Une unité
de sénologie traite également les nodules bénins.
21. Comme l’ont souligné les Dr Costa et Segnan lors de l’audition,
deux autres aspects importants vont au-delà des lignes directrices
sous leur forme actuelle: en premier lieu, il doit y avoir une alliance
entre les programmes de dépistage organisé du cancer du sein et
les unités de sénologie, afin de réduire les cas de surdiagnostic
et de surtraitement. En second lieu, il est important que les unités
de sénologie disposent d’infirmières spécialisées qui peuvent accompagner
les patient(e)s tout au long du diagnostic et du traitement. Cela
ne signifie pas que les médecins doivent consacrer moins de temps
à leurs patient(e)s – au contraire, une communication de qualité
entre médecin et patient(e) est essentielle pour la prise de décision
commune. Toutefois, la présence d’une infirmière spécialisée en
sénologie pendant les discussions importantes (pour l’annonce du
diagnostic, ou lors de la prise d’une décision relative à une option
de traitement) peut être d’une grande aide pour les patient(e)s.
22. Finalement, quelques mots sur la question du genre. Le cancer
du sein est principalement une maladie féminine, et il touche une
partie du corps de la femme importante pour l’estime de soi (et
considérée comme importante pour le «sex appeal» voire la «féminité»
dans la société). Ce n’est pas la même chose pour une femme d’être
atteinte d’un cancer du sein ou d’un cancer du côlon par exemple.
En même temps, le sein n’est pas un «organe vital» dans la définition
classique. Cela a de tout temps entraîné le renforcement d’une certaine attitude
paternaliste chez les médecins qui a encore plus déséquilibré la
relation de pouvoir entre les médecins et leurs patient(e)s. Les
femmes qui ont le sentiment d’être associées à la prise de décision
quant à leur traitement ont manifestement de meilleurs résultats
de santé – elles souffrent moins d’anxiété, de dépression et de
fatigue liées à la maladie et au traitement. On peut espérer que
les unités de sénologie, en mettant l’accent sur la prise de décision
commune, peuvent contribuer à inverser la tendance historique.
6. Le rose n’est
pas une couleur, c’est une attitude! Le pouvoir du plaidoyer
23. Défendre une cause est ancré dans le comportement
humain depuis des siècles. S’engager dans des activités de plaidoyer,
c’est dépasser le champ de son expérience personnelle pour militer
en faveur d’une cause beaucoup plus large. L’important est de mettre
cette expérience au service du politique afin d’opérer des changements.
Les activités de plaidoyer peuvent aussi favoriser un changement
d’attitude et faire évoluer les croyances de la société, ainsi que
les normes.
24. Les militants doivent être bien informés et bien formés. Le
plaidoyer est un art en soi, l’art de changer les opinions politiques.
Les activités de sensibilisation au cancer peuvent briser des tabous
et la stigmatisation. Le cancer du sein est l’un des domaines les
plus dynamiques où la défense des patient(e)s a permis de changer
le visage de la maladie.
25. Beaucoup reste à faire et plaider en faveur du changement
est fondamental. Aujourd’hui encore, de grandes disparités existent
en termes de diagnostic, de dépistage et de prise en charge du cancer
du sein, tant à l’intérieur des pays qu’entre ceux-ci. Ceci étant,
la nécessité de promouvoir le changement ne se limite pas au dépistage
et aux traitements: il faut également protéger les droits des femmes
en matière d’emploi et d’assurances, ainsi que le droit d’avoir
accès aux essais cliniques. De récentes études font apparaître qu’un cinquième
des patient(e)s ne reprennent pas leur travail même si elles sont
jugées aptes à le faire. En outre, en cas de retour à l’emploi,
les femmes concernées subissent très fréquemment diverses formes
de discrimination.
26. Les sites de sensibilisation sur le cancer du sein et les
forums de soutien regorgent de cas de discrimination contre les
patient(e)s atteint(e)s de cancer du sein dans toutes sortes de
domaines, mais il est difficile d’obtenir des preuves concrètes.
De nombreuses patientes sont victimes de discrimination au travail: renvoi
(illégal) ou harcèlement jusqu’à ce qu’elles partent de leur propre
initiative, rétrogradation, proposition de poste «plus facile» (et
moins rémunéré), impossibilité d’obtenir une promotion, proposition
de contrats à durée déterminée ou à temps partiel – la liste est
presque sans fin. De même, lorsqu’elles souhaitent souscrire une
assurance-vie ou une assurance-santé, elles peuvent se heurter à
un refus, voire (souvent illégalement) être exclues des polices
d’assurance existantes, ou être contraintes de payer des primes
de risques plus élevées – même si elles étaient en bonne santé depuis
10 ans ou plus après le diagnostic du cancer. Si les patient(e)s
atteint(e)s de cancer du sein ont le droit à la non-discrimination,
ce genre de discrimination est souvent difficile à prouver, comme
c’est souvent le cas avec tous les types de discrimination – de
ce fait, de nombreuses victimes ne tentent même pas de déposer un
recours auprès de la justice. Le mouvement de défense des droits
a encore beaucoup à faire pour sensibiliser l’opinion publique à
ce genre de discrimination afin de la dénoncer, et espérons-le,
d’y mettre un terme.
27. Les patient(e)s atteint(e)s d’un cancer du sein font face
à des problèmes complexes – il faut consacrer des fonds à la recherche
en matière de prévention et sur les facteurs génétiques et environnementaux,
à la création de registres des cancers à l’échelon national, ainsi
qu’à la recherche d’un éventuel remède. Il faut accorder une attention
particulière aux femmes jeunes atteintes d’un cancer du sein qui
sont confrontées à des problématiques particulières et nécessitent
des services et des informations adaptés à leurs besoins, ainsi qu’aux
femmes présentant une maladie métastatique
.
28. Le rose n’est pas juste une couleur – les campagnes qui se
déclinent en rose peuvent parfois sembler presque trop optimistes
et les tentatives de «récupération» de certaines entreprises commerciales
font l’objet d’un certain nombre de critiques. Etant donné les disparités
existantes, elles peuvent même sembler frivoles, car le cancer du
sein est une maladie grave. Mais il faut voir le rose comme une
façon de créer une attitude positive pour enclencher une dynamique
de changement. Les rubans roses doivent être interprétés loin du rose
commercial infantilisant commercialisé pour les fillettes: comme
un rose adulte, énergique et stimulant.
7. Conclusions
et recommandations
29. Nous avons parcouru un long chemin depuis l’époque
où les femmes diagnostiquées avec un cancer du sein subissaient
systématiquement une chirurgie mutilante et des traitements agressifs
sans aucune considération pour l’incidence que cela aurait sur leur
personne et leur qualité de vie. Grâce au mouvement de défense des
patient(e)s, la stigmatisation du cancer du sein a également disparu.
30. Toutefois, malgré tous les progrès accomplis ces 20 à 25 dernières
années en matière de détection et de traitement du cancer du sein,
les taux de mortalité ne diminuent que très lentement. La plupart
des cas de cancer du sein invasif restent, malheureusement, incurables,
même si les patient(e)s survivent plus longtemps et ont une meilleure
qualité de vie qu’au siècle dernier. Le cancer du sein reste le
cancer le plus courant et présente le plus fort taux de mortalité
de tous les cancers chez les femmes dans le monde – et de ce fait continue
à être redouté par les femmes.
31. Les taux d’incidence et de mortalité varient d’un pays à l’autre
du Conseil de l’Europe. Certaines variations sont dues à des différences
dans les modes de vie, la prédisposition génétique et la pyramide
des âges, mais nombre d’entre elles reflètent l’absence de services
de sénologie optimaux, notamment en matière de programmes de dépistage
organisé conformes aux lignes directrices et de traitements modernes
dans des unités multidisciplinaires spécialisées en sénologie. L’accent
étant mis aujourd’hui sur la prévention axée sur le mode de vie,
et donc déplacé dans le domaine de la responsabilité individuelle,
le cancer du sein ne fait plus partie des priorités sanitaires dans
de nombreux pays
.
32. La lutte contre le cancer du sein doit retrouver sa place
au premier rang des préoccupations sanitaires des pays. Toutes les
femmes (et les hommes présentant une prédisposition génétique) des
Etats membres doivent avoir le droit d’accéder à des programmes
de dépistage de qualité, un diagnostic correct et un traitement
moderne offrant une garantie de qualité dans des unités multidisciplinaires
spécialisées en sénologie. Ce droit ne doit pas exister uniquement
sur le papier, il doit être appliqué dans la pratique. Chaque Etat
membre doit disposer d’un registre national des cancers pouvant
fournir des données fiables sur la situation.
33. Enfin, les chercheurs de tous les Etats membres et observateurs
doivent travailler ensemble pour mieux comprendre la maladie et
améliorer les techniques de dépistage, de diagnostic et de traitement
en vue de réduire le surdiagnostic et le surtraitement et d’améliorer
les taux de mortalité et la qualité de vie des patient(e)s. Et,
bien entendu, de découvrir enfin un remède permettant de guérir
le cancer du sein.