1. Introduction
1. Mon mandat de rapporteure découle
d’une décision prise par le Bureau pour donner suite à la
Résolution 1891 (2012) de l’Assemblée parlementaire sur la situation des défenseurs
des droits de l’homme dans les Etats membres du Conseil de l’Europe.
Le 19 mars 2013, la commission des questions juridiques et des droits
de l’homme m’a désignée rapporteure à la suite du départ de l’Assemblée
du rapporteur précédent, M. György Frunda (Roumanie, PPE/DC). Le
Bureau a également décidé que je devais prendre en compte, dans
mon rapport, les questions soulevées dans deux propositions de résolution:
«La situation des militants des droits de l’homme en Estonie»
et
«La protection des experts indépendants collaborant avec le Conseil
de l’Europe»
.
2. Le 24 juin 2013, la commission m’a autorisée à entreprendre
des visites d’information en Arménie, en Azerbaïdjan et en Géorgie.
Je me suis donc rendue dans ces trois pays du 21 au 29 novembre
2013 et je m’y suis entretenue avec plusieurs défenseurs des droits
de l’homme et d’autres représentants de la société civile, des représentants
des autorités, notamment des ministres, des collègues parlementaires,
des médiateurs et d’autres hauts responsables et représentants d’organisations
internationales (Union européenne, Organisation pour la sécurité
et la coopération en Europe (OSCE) et Nations Unies). Les conclusions
de ces trois visites ont été présentées à la commission le 28 janvier
2014 dans ma «Note d’information sur la situation des défenseurs
des droits de l’homme dans la région du Caucase du Sud (Arménie,
Azerbaïdjan et Géorgie)»
. A cette occasion, la commission
a procédé à un échange de vues avec M. Gerald Staberock de l’Organisation Mondiale
contre la Torture (OMCT), organisation qui, avec la Fédération internationale
des ligues des droits de l'homme (FIDH), a cofondé l’Observatoire
pour la protection des défenseurs des droits de l’homme («OBS» ou
«l’Observatoire»). Le 1er octobre 2015,
la commission a procédé à une audition de deux experts: Mme Souhayr
Belhassen, présidente honoraire de la FIDH, Paris, et M. Andrew
Anderson, directeur adjoint de Front Line Defenders, Fondation internationale
pour la protection des défenseurs des droits humains, Dublin.
3. La commission m’a aussi autorisée (lors de sa réunion du 24
juin 2013) à effectuer une visite d’information en Fédération de
Russie, ce qui n’a pu se faire en raison de la conjoncture politique
et du refus général de la délégation russe de recevoir des rapporteurs
de l’Assemblée. Cela étant, grâce à de nombreux contacts avec des
organisations non gouvernementales (ONG) russes et internationales,
j’ai été assez bien informée de la situation dans ce pays. Par ailleurs,
les récentes restrictions imposées aux activités des ONG russes
et azerbaïdjanaises ont été suivies par notre collègue de la commission,
M. Yves Cruchten (Luxembourg, Groupe SOC), rapporteur sur «Comment
prévenir la restriction inappropriée des activités des ONG en Europe?»
.
2. Représailles récentes et
actuelles contre les défenseurs des droits de l’homme dans les Etats membres
du Conseil de l’Europe
4. Mon mandat de rapporteure s’inscrit
dans la continuité des travaux menés par les précédents rapporteurs
sur cette question, M. Holger Haibach (Allemagne, PPE/DC)
et moi-même
; il porte sur la situation «de ceux
qui œuvrent en faveur des droits d’autrui», c’est-à-dire les particuliers
ou les groupes qui mènent une action pacifique de promotion et de
protection des droits de l’homme, qu’il s’agisse d’avocats, de journalistes,
d’ONG ou autres. Les conclusions des rapports établis par mon prédécesseur
et moi-même, respectivement en 2009 et 2012, montrent que, dans
certains Etats membres du Conseil de l’Europe, à savoir en Arménie,
en Azerbaïdjan, en Bosnie-Herzégovine, en Fédération de Russie,
en Géorgie, en Serbie, en Turquie et en Ukraine
, les défenseurs des droits de
l’homme se heurtent à des «obstacles» particuliers, voire à un environnement
globalement hostile. Dans mon précédent rapport, j’ai mis en avant
un certain nombre de formes de représailles et d’entraves à leurs
activités dont ils étaient victimes: agressions physiques et psychologiques,
arrestations et détentions arbitraires, procès inéquitables, notamment
des poursuites pénales engagées pour des chefs d’accusation fabriqués
de toutes pièces, obstacles administratifs (en particulier pour la
procédure d’enregistrement des associations de défense des droits
de l’homme), diffamation publique, restrictions imposées à la liberté
de circulation et à leur accès à des financements, ainsi que des
pressions illicites exercées sur les avocats des requérants devant
la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour»). J’ai également
constaté que les personnes qui travaillent sur des questions sensibles,
comme la lutte contre l’impunité des fonctionnaires auteurs de graves
infractions, la dénonciation de la corruption ou la défense des droits
des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT),
des migrants et des membres de minorités nationales ou ethniques,
étaient très souvent la cible de ce genre de pratique
.
5. Depuis l’adoption de la
Résolution
1891 (2012) de l’Assemblée, qui s’appuyait sur mon précédent rapport
sur cette question, la situation des défenseurs des droits de l’homme
s’est considérablement dégradée en Azerbaïdjan et en Fédération
de Russie. Les arrestations de plusieurs défenseurs des droits de
l’homme en Turquie et la vague d’enquêtes menées sur des ONG en
Hongrie ont également suscité de nombreuses inquiétudes
(ce dernier point
sera examiné plus en détail par mon collègue M. Cruchten). Bien
que je ne sois pas en mesure d’examiner tous les cas allégués de
représailles contre les défenseurs des droits de l’homme dans l’ensemble
des Etats membres du Conseil de l’Europe, je tâcherai de mettre
en avant les cas les plus graves à partir des informations communiquées
par la société civile (et notamment par l’Observatoire pour la protection
des défenseurs des droits de l’homme) et le Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe. L’urgence commande de privilégier
les faits nouveaux survenus en Azerbaïdjan, en Fédération de Russie
et en Turquie. Pour ce qui est des autres Etats membres, ces deux
dernières années, l’Observatoire pour la protection des défenseurs
des droits de l’homme a signalé des cas individuels de représailles
contre des défenseurs des droits de l’homme en Grèce, en République
de Moldova et dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine»; je
compte également mentionner ces affaires dans mon rapport
.
6. J’ai également l’intention de réfléchir à la manière dont
le Conseil de l’Europe et l’Assemblée peuvent contribuer à renforcer
la protection des défenseurs des droits de l’homme. Quels mécanismes
nationaux et internationaux pourraient être mis en place pour permettre
aux défenseurs des droits de l’homme d’échapper aux poursuites injustes
dont ils font l’objet (dans leur pays origine)? Quelle forme d’assistance
pourrait être dispensée aux familles des défenseurs des droits de
l’homme poursuivis? Les organisations intergouvernementales pourraient-elles
faire davantage pour garantir l’existence d’un système «d’alerte précoce»
en cas de poursuites, en vue d’améliorer l’échange d’informations
ou d’octroyer une protection internationale? Devraient-elles mettre
en place un mécanisme de protection des personnes qui collaborent avec
elles, en leur fournissant directement des informations sur les
atteintes aux droits de l’homme? Voilà autant d’exemples de questions
à poser à ce propos et auxquelles le Conseil de l’Europe devrait
réfléchir sans tarder.
7. La proposition de résolution sur «La situation des militants
des droits de l’homme en Estonie» porte sur la situation de M. Andrei
Zarenkov, responsable politique et militant de la communauté russophone;
en janvier 2014, il a été arrêté pour corruption, mais relâché en
mars 2014. Compte tenu du caractère politique des activités de M. Zarenkov
et du fait que la procédure est toujours en cours, il ne me semble
pas judicieux d’examiner sa situation dans le cadre des défenseurs
des droits de l’homme. Quant à la proposition de résolution sur
«La protection des experts indépendants collaborant avec le Conseil
de l’Europe», j’examinerai cette question dans le cadre de mes propositions
d’amélioration de la protection des défenseurs des droits de l’homme.
3. La situation dans le Caucase
du Sud, en particulier en Azerbaïdjan
8. A l’issue de mes visites dans
les trois pays du Caucase (Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie) en novembre 2013,
j’ai conclu que la situation des défenseurs des droits de l’homme
variait considérablement d’un pays à l’autre. Les conclusions de
ces trois visites sont disponibles dans ma «Note d’information sur
la situation des défenseurs des droits de l’homme dans la région
du Caucase du Sud (Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie)», qui a été
déclassifiée
. Alors qu’en Arménie et en
Géorgie, les militants jouissaient d’une liberté importante pour exercer
leurs activités (en dépit de quelques incidents d’intimidation
, en particulier contre des militants
pour les droits des minorités et les personnes LGBT
), la situation de leurs homologues
en Azerbaïdjan était extrêmement difficile, en raison des mesures
de répression permanentes prises à l’encontre de la société civile.
Depuis, la situation a beaucoup empiré.
9. Comme je l’ai indiqué dans ma note d’information de janvier
2014, les défenseurs des droits de l’homme azerbaïdjanais ont dû
faire face à des chefs d’accusation fabriqués de toutes pièces retenus
pour prononcer des condamnations à de lourdes peines d’emprisonnement,
à des actes violents de répression commis dans les lieux de détention,
notamment des mauvais traitements, des actes de torture, des homicides,
ainsi qu’à des menaces et des agressions physiques, perpétrés à
leur encontre ou contre les membres de leurs familles. En outre,
la jouissance des droits fondamentaux connexes, comme le droit à
la liberté d’expression (diverses formes d’intimidation des journalistes
et des blogueurs, accès limité à l’information au moyen de restrictions imposées
aux médias d’opposition, dispositions relatives à la diffamation
incompatibles avec les normes internationales, etc.), le droit à
la liberté de réunion (diverses restrictions imposées à la tenue
de rassemblements) et le droit à la liberté d’association (en raison
d’une législation restrictive et arbitraire applicable aux ONG),
était constamment et systématiquement entravée. L’une des affaires
les plus connues en matière de répression des défenseurs de droits
de l’homme est celle de Hilal Mammadov – chercheur et rédacteur
en chef du quotidien de la minorité talich
Tolyshi
Sedo, condamné en 2012 à une peine de cinq ans d’emprisonnement
pour des infractions liées à la drogue et pour espionnage au profit
de l’Iran. Son prédécesseur, le professeur Novruzali Mammadov, est
mort en 2009 après avoir purgé deux ans et demi de la peine de 10
ans d’emprisonnement à laquelle il avait été condamné. Les affaires
de ces deux militants sont actuellement pendantes devant la Cour
européenne des droits de l’homme
.
10. En 2014, bien que le pays ait présidé le Comité des Ministres
entre mai et novembre, les organisations et les défenseurs des droits
de l’homme ont été soumis, tout au long de l’année, à des mesures
de répression sans précédent
.
La législation en vigueur sur les ONG a été modifiée pour imposer
de nouvelles restrictions sur le financement de ces organisations
(malgré les critiques formulées par la
Commission de Venise)
et plusieurs
militants des droits de l’homme et partenaires de longue date du
Conseil de l’Europe (en particulier du Commissaire aux droits de
l’homme et de notre Assemblée) ont été arrêtés à l’été 2014 sur
la base de chefs d’accusation en lien avec les activités de leur
ONG, peu de temps après que l’Azerbaïdjan eut pris la présidence
du Comité des Ministres
. Parmi ces personnes figuraient
l’avocat spécialisé dans la défense des droits de l’homme M. Intigam
Aliyev (qui a introduit plus de 200 requêtes devant la Cour européenne
des droits de l’homme, dont 40 ont été couronnées de succès et concernaient
des violations du droit à des élections libres commises lors des
élections législatives de 2005, des atteintes à la liberté d’expression
et de réunion et des cas de torture); M. Rasul Jafarov, fondateur
de l’ONG «Human Rights Club», Mme Leyla
Yunus, directrice de l’Institut pour la paix et la démocratie, ainsi
que son mari, M. Arif Yunus, historien, tous deux également accusés
de «trahison». Peu de temps avant, M. Hasan Huseynli, responsable
de l’ONG «Intelligent Citizen», ainsi que M. Anar Mammadli, chef
du Centre de suivi des élections et lauréat du Prix des droits de
l’homme Václav Havel 2014, et son collègue M. Bashir Suleymanli
avaient été condamnés à une lourde peine de prison (Hasan Huseynli
et Bashir Suleymanli ont cependant été libérés, respectivement en
octobre 2014 et en mars 2015 à la faveur d’une grâce présidentielle).
En décembre 2014, la journaliste d’investigation Khadija Ismayilova
a elle aussi été arrêtée pour divers chefs d’accusation
. Malgré les inquiétudes
exprimées par de nombreuses ONG et instances internationales (y
compris l’Assemblée parlementaire via sa présidente, Mme Anne
Brasseur, et notre commission)
, tous ces militants ont été condamnés
à de lourdes peines d’emprisonnement au cours de l’année 2015
(les procédures de recours
engagées par certains d’entre eux sont toujours pendantes). Leurs
procès ont été condamnés par les observateurs internationaux parce
qu’ils ne respectaient pas les normes du droit à un procès équitable
(les accusés étaient détenus dans des cages pendant les audiences)
et la plupart de ces
condamnations et arrestations sont à présent examinées par la Cour
européenne des droits de l’homme. Le Commissaire aux droits de l’homme
est intervenu devant la Cour européenne des droits de l’homme en
qualité de tierce partie dans les affaires de Mme et
M. Yunus, M. Jafarov, M. Mammadli, M. Aliyev et M. Hilal Mammadov,
en soulignant les défaillances systématiques en matière de liberté
d’expression et d’association en Azerbaïdjan
. Outre ces éléments, le Comité des
Ministres a procédé au suivi de la situation de M. Intigam Aliyev
dans le cadre de la surveillance des affaires dans lesquelles il représentait
les requérants devant la Cour (à savoir le groupe d’affaires
Mahmudov et Agazade et
Fatullayev, qui concernent la liberté
d’expression); lors de sa 1230e réunion
en juin 2015, le Comité des Ministres a «vivement déploré» l’absence
d’information sur les motifs de sa condamnation
.
11. M. Emin Huseynov, journaliste et militant de la liberté d’expression,
ancien dirigeant de l’Institut pour la liberté et la sécurité des
journalistes (IRFS), s’est réfugié à l’ambassade de Suisse de Bakou
en août 2014; en juin 2015, il a été transféré en Suisse, mais il
a été récemment déchu de sa nationalité azerbaïdjanaise. En outre,
en avril 2014, les autorités ont arrêté M. Rauf Mirqadirov, un journaliste
auteur de plusieurs articles sur les relations entre l’Azerbaïdjan
et la Russie et la Turquie, ainsi que sur le conflit du Haut-Karabakh;
il avait coopéré avec Mme Leyla Yunus
à l’amélioration du dialogue entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie; il
est accusé de «haute trahison», parce qu’il aurait «espionné» pour
le compte de l’Arménie
.
Son procès a seulement commencé début novembre 2015. Enfin, n’oublions
pas le cas de deux militants de l’opposition, MM. Ilgar Mammadov
et Tofig Yagublu (lui aussi journaliste)
,
dont la détention a été jugée contraire à l’article 5 de la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5,
«la Convention») par la Cour européenne des droits de l’homme.
12. MM. Aliyev, Mammadli, Jafarov, Hilal Mammadov, Ilgar Mammadov,
Yagublu, les époux Yunus et Mme Ismayilova
sont considérés comme des «prisonniers de conscience» par Amnesty
International
. Dans sa
Résolution 2062 (2015) sur le fonctionnement des institutions démocratiques
en Azerbaïdjan, l’Assemblée a expressément mentionné les représailles
dont ont fait l’objet MM. Aliyev, Mammadli, Jafarov, Mirgadirov,
les époux Yunus et Mme Ismayilova (paragraphe
10) et a appelé les autorités azerbaïdjanaises à «mettre un terme à
la répression systématique contre les défenseurs des droits de l’homme,
les médias et tous ceux qui critiquent le gouvernement, y compris
aux poursuites à motivation politique; à permettre un réexamen judiciaire effectif
de ces manœuvres; et à garantir que le climat général deviendra
propice au pluralisme politique en vue des prochaines élections
de novembre 2015» (paragraphe 11.1)
.
13. Malgré l’adoption de cette résolution par l’Assemblée, les
militants ont continué à faire l’objet de représailles. Le 8 août
2015, M. Rasim Aliyev, journaliste et président de l’Institut pour
la liberté et la sécurité des journalistes, a été violemment battu
et est décédé à l’hôpital le lendemain. Bien que ses agresseurs semblent
être liés à un footballeur qu’il avait critiqué sur Facebook, il
avait déjà signalé avoir reçu des menaces antérieures et sans lien
avec l’incident qui concernait ce footballeur, mais la police ne
lui avait offert aucune protection. Selon certaines sources, il
n’a pas été convenablement soigné à l’hôpital, malgré la gravité
de ses lésions, et aucune enquête en bonne et due forme n’a été
menée sur les causes de sa mort
.
14. Il a été largement fait état d’allégations concernant l’insuffisance
des soins médicaux dispensés en prison
, surtout à propos de M. Mirqaridov
et des époux
Yunus. Mme Leyla Yunus souffre de problèmes
de vue, de diabète, d’hépatite C et l’état de son foie se dégrade;
son mari souffre d’hypertension artérielle et s’est évanoui au tribunal
lors de l’audience du 3 août 2015
. Le 12 novembre
2015, M. Arif Yunus a été libéré sous caution. Il avait entamé une
grève de la faim depuis le 6 novembre 2015, pour protester contre
le fait que sa femme n’avait pas reçu les soins médicaux nécessaires.
En octobre 2015, divers médias ont indiqué que M. Ilgar Mammadov
avait été violemment frappé en prison
.
15. Qui plus est, cette répression vise également les avocats
des militants détenus. Ainsi, en juillet 2015, M. Khalid Baghirov,
qui représentait le couple Yunus, Khadija Ismayilova, Rasul Jafarov
et Ilgar Mammadov
, a été
rayé du barreau par décision de justice pour une supposée violation
de sa déontologie professionnelle
. En
novembre 2014, le troisième avocat de Leyla Yunus (après Khalid
Baghirov et Javad Javadov, qui avait été empêché par les autorités
de la représenter en octobre 2014
)
a été jugé coupable de diffamation à la suite d’une action en justice
intentée par la codétenue de celle-ci, Mme Nuriya
Huseynova, parce qu’il avait dénoncé les pressions physiques qu’elle
exerçait sur Mme Yunus. A la suite de
ce jugement, il a été rayé du barreau par une décision prise en
juillet 2015 par le présidium du barreau, qu’il a apprise par les
médias
. Il est intéressant de
noter à ce propos que quelques années plus tôt, un autre avocat
qui avait défendu des militants d’opposition, M. Elchin Namazov,
avait été rayé du barreau par décision de justice en septembre 2011
.
16. Au moment de l’arrestation d’Intigam Aliyev en août 2014,
les autorités ont perquisitionné son domicile et y ont saisi les
dossiers de plus de 100 affaires dans lesquelles il représentait
ses clients devant la Cour européenne des droits de l’homme. Le
22 octobre 2015, la Cour a conclu dans l’affaire de l’un des requérants représentés
par cet avocat que «le fait même que le requérant et son avocat
aient été longtemps privés d’accès à leur exemplaire du dossier,
sans justification et sans mesures compensatoires, constitue en
soi une ingérence excessive dans l’intégrité de la procédure et
une grave entrave à l’exercice effectif du droit de requête individuelle
du requérant»
; il y
a donc eu violation de l’article 34 de la Convention. En outre,
une requête introduite par M. Intigam Aliyev lui-même au sujet de
la saisie de ses dossiers est pendante devant la Cour
.
17. Il convient également de noter que certains représentants
d’ONG internationales n’ont pas été autorisés à entrer sur le territoire
azerbaïdjanais; c’est le cas, par exemple, de M. Giorgi Gogia (de
Human Rights Watch), qui avait fait le déplacement pour assister
aux procès de certains des défenseurs des droits de l’homme précités
et a été intercepté à l’aéroport de Bakou le 31 mars 2015
. Début octobre 2015,
peu de temps avant les élections législatives azerbaïdjanaises,
deux membres d’Amnesty International se sont vus interdire leur
entrée sur le territoire
.
4. La situation des défenseurs
des droits de l’homme en Fédération de Russie
18. En Fédération de Russie, l’environnement
dans lequel les défenseurs des droits de l’homme effectuent leur
travail s’est considérablement dégradé après l’adoption, le 13 juillet
2012, de la «loi sur les agents étrangers» (loi également condamnée
par la Commission de Venise)
. Plus d’une centaine
d’organisations, parmi lesquelles des organisations de protection
des droits de l’homme
, ont été inscrites
au registre des «agents étrangers» contre leur gré et ont fait l’objet
d’enquêtes depuis le début de 2013
. Certaines de ces ONG
ont été contraintes de cesser leurs activités. Une requête a été
introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme au sujet
de la mise en œuvre de cette loi
.
En outre, un nouveau texte de loi visant les ONG étrangères et internationales
– loi relative aux «organisations indésirables» – a été adopté le
19 mai 2015 et est aujourd’hui examiné de très près par la Commission
de Venise à la suite d’une demande de notre commission. La teneur
de ces textes de loi et leur mise en œuvre sont analysées en détail
par notre collègue de la commission, M. Cruchten, dans son rapport
«Comment prévenir la restriction inappropriée des activités des
ONG en Europe?».
19. Il existe également des cas de harcèlement administratif ou
judiciaire et d’agressions de militants, comme celui de Mme Nadejda
Kutepova, présidente de l’ONG «Planet of Hopes», qui lutte contre
les centrales nucléaires et préconise la révision du régime des
«unités administratives fermées» (CATU)
.
Des poursuites ont été engagées pour «faux enregistrement» de migrants
à l’encontre de Mme Tatyana Kotlyar,
présidente du mouvement de défense des droits de l’homme Kaluga,
qui défend les droits des migrants et de la communauté rom
. Les ONG ont également
signalé les pressions exercées par l’Inspection des impôts sur Mme Ludmila Kuzmina,
qui dirige l’organisation régionale GOLOS de Samara (laquelle assure
le suivi de l’organisation des élections et a été inscrite sur la
liste des «agents étrangers») et a même été menacée de subir un
examen psychiatrique
. En outre, en avril
2015, certains observateurs de GOLOS ont été agressés physiquement
par des inconnus dans un village de la région de Moscou
.
En novembre 2014, l’avocat Arkady Chaplygin, qui travaillait sur
plusieurs affaires liées à des fraudes électorales, a été agressé
et frappé par des inconnus sur son lieu de travail
.
20. Les militants LGBT et les militants qui œuvrent pour la défense
de l’environnement semblent être des cibles particulièrement fréquentes.
Les premiers se voient interdire d’organiser des événements aussi
bien par les pouvoirs publics
que
par des acteurs privés (par exemple par les hôtels dans lesquels
ils prévoyaient d’organiser des conférences
). Pour ce qui est
des seconds, outre le cas précité de Nadejda Kutepova, il convient
de ne pas oublier celui des 30 militants de Greenpeace (originaires
de divers pays), qui ont été arrêtés en septembre 2013 pour avoir
participé à une manifestation pacifique contre les forages pétroliers
effectués en Arctique par la plate-forme offshore Prirazlomnaya
de Gazprom, détenus pendant deux mois et accusés de «hooliganisme»
, ou la détention
arbitraire alléguée de M. Evgeny Vitishko, membre d’Environmental
Watch dans le Caucase du Nord, qui avait manifesté contre les jeux
olympiques de Sotchi de 2014
.
21. Comme l’ont indiqué les ONG, les défenseurs des droits de
l’homme et les ONG font souvent l’objet de campagnes de dénigrement
dans les médias (voir par exemple le cas de Mme Kutepova)
et, en Russie, la population connaît en règle générale très peu
le rôle et les activités des ONG. Le fait de qualifier les ONG qui bénéficient
d’un financement étranger d’«agents étrangers», cette connotation
extrêmement négative laissant entendre qu’il s’agit d’«espions»,
ne peut qu’engendrer une attitude plus négative à leur égard et
à l’égard de leurs activités de protection et de promotion des droits
de l’homme, tout en les privant de nouvelles possibilités de recueillir
des fonds à l’intérieur du pays.
22. De plus, la situation des défenseurs des droits de l’homme
dans le Caucase du Nord est particulièrement préoccupante, comme
nous l’avons constaté à l’occasion des auditions organisées par
notre commission à Strasbourg le 25 juin 2013 et à Erevan (Arménie)
le 20 mai 2015, dans le cadre de la rédaction du rapport de notre
collègue M. Michael McNamara (Irlande, SOC), «Les droits de l’homme
dans le Caucase du Nord: quelles suites donner à la
Résolution 1738 (2010)?». J’ai bon espoir que cette question soit prise en
compte dans son rapport final. Il convient également de souligner
qu’en juin 2015 les bureaux du «Joint Mobile Group» de Grozny, un
groupe d’ONG qui aide les victimes du conflit du Caucase du Nord,
ont été incendiés et pillés par des inconnus sans que les autorités
ne mènent d’enquête en bonne et due forme. Le Comité contre la torture,
qui est membre de ce groupe et auquel a été décerné en 2011 le Prix
des droits de l’homme de l’Assemblée, a été inscrit sur la liste
des «agents étrangers» et a décidé en conséquence de cesser ses activités
. Tout récemment, le 6
novembre 2015, des perquisitions ont été effectuées dans les bureaux
et au domicile de M. Magomed Mutsolgov, directeur de l’ONG «MASHR»
et éminent défenseur des droits de l’homme en Ingouchie, au motif
qu’il aurait «discrédité les autorités ingouches au profit des Etats-Unis,
de la Géorgie, de l’Ukraine et de la Syrie»
. Il convient également
de souligner que l’assassinat de Mme Natalia Estemirova,
chercheuse de premier plan du bureau de Grozny du Centre des droits
de l’homme «Memorial», abattue le 15 juillet 2009, n’a toujours
pas été élucidé
. En outre, le Comité
d’enquête de la Fédération de Russie a engagé deux poursuites pénales
à l’encontre de M. Murad Musayev, l’avocat d’un tchétchène accusé du
meurtre d’un colonel russe, au motif qu’il était soupçonné d’entrave
à l’action de la justice et d’ingérence dans celle-ci
.
5. La situation des défenseurs
des droits de l’homme en Turquie
23. En Turquie, de nombreux militants
et avocats des droits de l’homme ont été la cible de poursuites
sur le fondement de la législation relative à la lutte contre le
terrorisme (loi 3713 d’avril 1991). C’est le cas notamment des membres
de l’Association de défense des droits de l’homme (İHD). Ainsi,
M. Muharrem Erbey, avocat spécialisé dans les affaires de droits
de l’homme, vice-président de l’İHD, ancien président de son antenne
à Diyarbakır et lauréat du Prix international des droits de l’homme
Ludovic-Trarieux en 2012, a été arrêté le 24 décembre 2009 à la
suite d’une opération policière de «lutte contre le terrorisme»
en Turquie
. Il était accusé
«d’être membre d’une organisation illégale» (c’est-à-dire de l’Union
des communautés du Kurdistan – KCK, qui serait la «branche civile»
du Parti des travailleurs du Kurdistan – PKK, mouvement armé et
hors la loi)
et n’a été libéré que le 12 avril 2014,
après 1 570 jours de détention. En outre, un autre militant de l’İHD, M. Emirhan
Uysal, et l’avocat Deniz Surgut se sont vu reprocher les mêmes chefs
d’accusation, ainsi que celui «d’avoir transporté et commercialisé
des armes»
. Par ailleurs, au cours
d’une opération policière lancée le 30 septembre 2015 contre les
partis politiques et les ONG kurdes dans la province de Siirt, trois
militants de l’İHD, MM. Zana Aksu, Azat Taş et Mirza Ekin, ont été
arrêtés. Au cours de cette descente illégale, la police a confisqué
des livres, des rapports et d’autres documents, ainsi que des ordinateurs
appartenant à l’İHD. Le 3 octobre 2015, le tribunal de paix no 1
de Siirt a ordonné la libération provisoire de MM. Zana Aksu et
Azat Taş dans l’attente de leur procès, tandis que M. Mirza Ekin
a été placé en détention et transféré au Centre de détention fermé
de type E de Siirt dans l’attente de son procès
.
24. Le 28 novembre 2015, M. Tahir Elçi, bâtonnier du barreau de
Diyarbakir, éminent avocat et défenseur des droits de l’homme kurde
a été abattu à Diyarbakir (dans le sud-est de la Turquie) lors d’une
fusillade entre la police et des personnes armées non identifiées.
Quelques semaines avant son décès, le 16 octobre 2015, une enquête
judiciaire avait été ouverte contre lui pour «propagande en faveur
d’une organisation terroriste», à la suite de la déclaration qu’il
avait faite à la télévision nationale, dans laquelle il indiquait
que le PKK n’était pas une organisation terroriste, mais un mouvement
politique armé soutenu par la population. Amnesty International
considérait cette affaire comme une atteinte à caractère ouvertement
politique au droit à la liberté d’expression de Tahir Elçi, qui
était ainsi visé non seulement pour sa déclaration télévisée, mais
également pour l’action qu’il menait en qualité d’avocat et de défenseur
des droits de l’homme
.
25. En outre, les opérations précitées ont été précédées le 22
novembre 2011 par une vague d’arrestations de 47 avocats qui avaient
participé à la défense de M. Abdullah Őcalan, dirigeant du PKK.
En avril 2012, 46 d’entre eux ont été mis en accusation pour «appartenance
à une organisation criminelle» sur la base des enregistrements des
conversations qu’ils avaient eues avec lui dans le centre de détention
où il se trouve, en violation du privilège reconnu aux avocats dans
les rapports qu’ils entretiennent avec leurs clients. Certains d’entre
eux ont été libérés, mais les poursuites pénales sont toujours en
cours
.
26. Il existe une autre affaire choquante, celle du harcèlement
judiciaire de Mme Pinar Selek, écrivaine
et universitaire connue pour ses travaux sur les droits des communautés
turques vulnérables. En 1998, elle a été accusée d’avoir commis
un attentat à la bombe dans le bazar égyptien d’Istanbul et d’être
membre du PKK. Elle a en conséquence été détenue pendant deux ans
et aurait subi des actes de torture et de mauvais traitements, jusqu’à
sa libération provisoire en 2000. Bien que la cour d’assises no 12
d’Istanbul l’ait acquittée à trois reprises (en 2006, 2008 et 2011),
le procureur a plusieurs fois fait appel de ces acquittements devant la
Cour de Cassation, qui a cassé les deux premières décisions d’acquittement
et a ordonné à la juridiction inférieure de condamner Mme Selek.
En janvier 2013, la cour d’assises no 12
d’Istanbul a déféré à la demande de la Cour de Cassation et a condamné
à perpétuité Mme Selek. Le 11 juin 2014,
la Cour de Cassation a annulé cette condamnation pour vice de forme
et, le 19 décembre 2014, Mme Selek a
finalement été acquittée par la Haute Cour pénale no 15
d’Istanbul
. Toutefois, le
parquet a une nouvelle fois fait appel de cette décision.
6. La situation dans les autres
Etats membres du Conseil de l’Europe
27. Les militants des droits de
l’homme rencontrent également des difficultés dans d’autres Etats
membres du Conseil de l’Europe. Leur situation est notamment préoccupante
dans la région de la Transnistrie en République de Moldova, où en
2013-2014 certains militants des droits de l’homme ont été persécutés
par l’administration (par exemple M. Stepan Popovschi), accusés
d’incitation à la haine envers les autorités (par exemple, M. Nicolae
Buceatchi et Mme Luiza Dorosenco), voire
agressés physiquement (comme l’avocat Vladimir Maimust)
.
Promo-lex, organisation de défense des droits de l’homme qui promeut
le développement des ONG dans cette région, a été qualifiée de «subversive»
par l’administration de fait de Transnistrie. Selon la FIDH et l’OMCT,
en 2014 le parlement local de fait a déposé un projet de loi relative
aux «agents étrangers», qui visait tout spécialement les organisations
de la société civile qui assurent le suivi des élections et reçoivent des
fonds de l’étranger. Ce projet de loi a été adopté en première lecture
en novembre 2014, mais il a ensuite été suspendu
. L’accès des défenseurs des droits
de l’homme à cette région a également suscité des préoccupations
à la suite de l’interdiction opposée à M. Alexandru Zubco
.
28. L’accès des organisations de défense des droits de l’homme
à certains territoires à l’issue d’un conflit pose également un
problème, comme l’ont indiqué les représentants de la société civile
à propos de l’Ukraine, en Crimée et dans l’est du pays
.
A l’occasion de ses visites en Ukraine, le Commissaire aux droits
de l’homme a constaté plusieurs incidents d’intimidation et de harcèlement
des défenseurs des droits de l’homme en Crimée
et a souligné que l’accès des principales
organisations humanitaires dans les régions de Donetsk et de Louhansk
était restreint
.
29. Outre les problèmes mentionnés au sujet de l’Arménie, de la
Géorgie et de la Fédération de Russie, des agressions et des actes
de harcèlement des militants ou avocats qui défendent les droits
des minorités, et notamment les droits des personnes LGBT, ont été
signalés dans d’autres Etats membres, notamment en Grèce
,
en Serbie
et dans
«l’ex-République yougoslave de Macédoine»
.
30. En Hongrie, certaines ONG ont fait l’objet d’une campagne
de diffamation; ainsi, au printemps 2014, le Premier ministre lui-même
a accusé les ONG qui bénéficient d’un financement versé par les
Etats de l’Espace économique européen (EEE) d’être des «militants
politiques», ce qu’a ultérieurement démenti le ministre norvégien
des Affaires étrangères. Certaines ONG auxquelles de tels fonds
sont versés et dont les activités portent notamment sur les droits
de l’homme, les droits des femmes ou la lutte contre la corruption,
ont été soumises à des inspections incessantes, bien que selon les
auditeurs du Mécanisme financier (qui gère les subventions de l’EEE),
le programme de financement des ONG a été convenablement mis en
œuvre en Hongrie
.
31. La surveillance électronique des activités des organisations
de défense des droits de l’homme, comme Amnesty International ou
Human Rights Watch, en particulier par le Gouvernement du Royaume-Uni
comme l’a révélé M. Edward Snowden
lors de son audition par notre commission le 8 avril 2014 dans le
cadre de l’élaboration du rapport de M. Pieter Omtzigt (Pays-Bas,
PPE/DC) représente une autre source de préoccupation
.
7. Les travaux récents du Conseil
de l’Europe, et notamment du Commissaire aux droits de l’homme
32. Avant de réfléchir davantage
aux moyens d’améliorer la protection des défenseurs des droits de l’homme,
j’ai l’intention de passer en revue les récentes activités du Conseil
de l’Europe et des autres instances internationales consacrées à
ce sujet. Au sein du Conseil de l’Europe, le Comité des Ministres
a récemment consacré un débat thématique au thème «Liberté de réunion
et d’association: les défis actuels et la réponse du Conseil de
l’Europe»; j’espère que les conclusions de ce débat seront bientôt
publiées.
33. En avril 2015, le Conseil de l’Europe a lancé une
plate-forme internet qui vise à renforcer la protection du journalisme
et à promouvoir la sécurité des journalistes. Grâce à cette plate-forme,
cinq organisations partenaires – Article 19, l'Association des journalistes
européens, la Fédération européenne des journalistes, la Fédération
internationale des journalistes et Reporters sans frontières – publient
des alertes à propos des menaces qui pèsent sur la liberté des médias
et les portent à l’attention des institutions du Conseil de l’Europe. A
ce jour
, 101 alertes ont été postées au
sujet de 25 Etats membres: 31 concernaient des agressions physiques
de journalistes et 11 des meurtres de journalistes.
34. L’Assemblée et notre commission ont également traité de la
question des donneurs d’alerte, qui pourraient être parfois aussi
des défenseurs des droits de l’homme. Mon collègue de la commission,
M. Pieter Omtzigt, a récemment examiné en détail cette question
.
35. Le Commissaire aux droits de l’homme est très actif dans ce
domaine et, dans sa
Résolution
1891 (2012), l’Assemblée a fermement soutenu son action
. Bien qu’il n’ait aucun
mandat spécifique de suivi des cas individuels, le Commissaire a
exprimé à plusieurs reprises, au cours de ses visites dans les pays concernés
ou dans ses observations écrites, rapports et autres documents,
sa préoccupation au sujet d’agressions perpétrées à l’encontre de
défenseurs des droits de l’homme dans divers Etats membres. Depuis l’adoption
de cette résolution, il a organisé plusieurs tables rondes avec
des défenseurs des droits de l’homme
. Le 5 octobre 2012, le Bureau du
Commissaire a organisé à Paris une table ronde sur la protection des
droits des migrants en Europe, à laquelle des défenseurs des droits
de l’homme de 15 Etats membres ont été conviés. Le 19 décembre 2012,
le Commissaire a publié un article du Carnet des droits de l’homme
intitulé «
Les
restrictions affectant les défenseurs des droits des migrants doivent
cesser», dans lequel il exprime sa préoccupation au sujet de
la diffamation, des menaces, des agressions physiques et verbales,
des sanctions administratives et du harcèlement judiciaire, qui
sont utilisés comme autant de moyens pour dissuader les défenseurs
des droits de l’homme de travailler avec les migrants. Le Commissaire
a souligné que les défenseurs devaient avoir accès aux lieux de
rétention des migrants et a encouragé les institutions nationales des
droits de l’homme à soutenir leur travail et les Etats membres du
Conseil de l’Europe à se conformer à l’esprit et à la lettre de
la Déclaration des Nations Unies de 1998 sur les défenseurs des
droits de l’homme. Il a aussi exhorté les autorités nationales à
mener des enquêtes effectives pour mettre fin à l’impunité dont bénéficient
les contrevenants qui s’en prennent aux défenseurs protégeant les
migrants.
36. Les 30 et 31 mai 2013, j’ai participé à une autre table ronde
organisée à Kiev (Ukraine) par le Bureau du Commissaire sur le thème
«Droits de l’homme et secteur de la sécurité». Quelque vingt défenseurs
de sept pays (Arménie, Azerbaïdjan, Bélarus, Géorgie, République
de Moldova, Fédération de Russie, et Ukraine) ont participé à cet
événement, dont l’objet était d’évaluer la situation des droits
de l’homme, notamment les abus commis dans le cadre des activités
du secteur de la sécurité (par exemple les activités de lutte contre
le terrorisme ou lorsque des opposants politiques et des acteurs
de la société civile sont expressément visés). Les défenseurs des
droits de l’homme de certains pays (Azerbaïdjan et Fédération de
Russie en tête) ont indiqué que leur environnement de travail s’était
dégradé, en raison essentiellement de l’adoption d’une législation
plus restrictive, de la montée du harcèlement ou de difficultés
pour accéder aux financements étrangers
.
37. Le 22 septembre 2015, le Commissaire aux droits de l’homme
a publié un carnet sur le thème «
Eliminer les
obstacles à l’action des défenseurs des droits des femmes» à la suite d’une table ronde organisée par son bureau
de Vilnius (Lituanie) en juillet 2015. Dans ce carnet des droits
de l’homme, le Commissaire a énuméré les nombreuses difficultés
rencontrées par les défenseurs des droits des femmes dans leur action:
la société civile subit une législation restrictive et des pratiques
répressives (en Azerbaïdjan et en Fédération de Russie); plusieurs
organisations de défense des droits des femmes bénéficiaires d’une
aide financière du Fonds d’aide aux ONG de l’EEE font l’objet de
campagnes de dénigrement, de vérifications comptables et d’inspections
(en Hongrie); les associations qui contestent les valeurs patriarcales
et les clichés sexistes sont qualifiées «d’agents de l’idéologie
du genre» (par exemple en Arménie, où les organisations de défense
et les défenseurs des droits des femmes ont été violemment pris
à partie en 2013 pendant l’examen et l’adoption de la loi relative à
l’égalité des droits et à l’égalité des chances entre les femmes
et les hommes); ils sont également la cible de campagnes de diffamation
ou d’autres mesures d’intimidation (c’est par exemple le cas en
Irlande des groupes qui travaillent sur les questions d’avortement);
les auteurs de ces actes jouissent d’une impunité; ils risquent également
de subir des violences fondées sur le genre, notamment à cause du
recours croissant aux discours de haine (par exemple à l’encontre
des membres de l’ONG Women in Black en Serbie); leurs possibilités
de financement sont limitées en raison des mesures d’austérité (c’est
le cas, par exemple, des foyers d’accueil des femmes victimes de
violences qui sont gérés par des ONG); ils ne sont pas consultés
par les autorités au moment de l’élaboration des politiques et des
législations pertinentes et ne sont pas considérés comme leurs égaux
par les autres défenseurs des droits de l’homme. En outre, selon
le Commissaire, «dans certains pays, les militants indépendants
se sentent éclipsés par des organisations non gouvernementales qui
sont proches du gouvernement – aussi appelées «GONGO» (organisations
non gouvernementales organisées par le gouvernement)». Je pense
cependant que cette remarque vaut pour tous les défenseurs indépendants
des droits de l’homme et ne concerne pas uniquement les femmes militantes.
Le Commissaire aux droits de l’homme a également proposé de prendre
des mesures particulières pour remédier aux menaces qui pèsent sur
l’action des défenseurs des droits des femmes à l’échelon international
et national, comme la ratification et la mise en œuvre de la
Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte
contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique
(STCE no 210, «Convention d’Istanbul»),
ainsi que la réaffirmation et la mise en œuvre des obligations nationales
et internationales qui imposent à l’ensemble des Etats membres du
Conseil de l’Europe de mettre un terme à la discrimination et aux
violations des droits de l’homme fondées sur le genre.
8. La situation des avocats
devant la Cour européenne des droits de l’homme
38. S’agissant de la situation
des avocats qui représentent les requérants devant la Cour européenne
des droits de l’homme, les Etats Parties sont tenus de ne pas entraver
l’exercice du droit de requête individuelle (article 34 de la Convention
) et de coopérer avec
la Cour (article 38). En vertu de l’article 39.1 du Règlement de
la Cour, cette dernière peut «indiquer aux parties toute mesure
provisoire [qu’elle] estime (…) devoir être adoptée dans l’intérêt
des parties ou du bon déroulement de la procédure»; selon la jurisprudence
de la Cour, le non-respect de cette mesure provisoire peut s’apparenter
à une violation de l’article 34 de la Convention
. Les
mesures provisoires sont principalement appliquées par la Cour dans
les affaires relatives à l’expulsion des requérants; toutefois,
la Cour a également formulé ce genre d’indications dans des affaires
qui concernaient les problèmes posés par la représentation des requérants
par un avocat
. Ces procédures ne semblent cependant pas
assez efficaces ni assez rapides en cas de grave intimidation des
avocats des requérants.
9. Les travaux récents de l’Union
européenne, de l’OSCE et des Nations Unies
40. L’Union européenne a adopté
ses
Orientations
concernant les défenseurs des droits de l'homme en 2004 et les a actualisées en 2008; elles sont uniquement
applicables aux pays tiers. L’Union européenne soutient les défenseurs
des droits de l’homme dans ces pays par différentes actions. Les
diplomates de l’Union européenne rencontrent régulièrement des défenseurs
des droits de l’homme, rendent visite aux militants détenus, suivent
leurs procès et interviennent pour les protéger, en publiant des
déclarations sur des cas individuels. L’Union européenne et les
diplomates de ses Etats membres rencontrent régulièrement les représentants
de la société civile et évoquent les cas individuels lors de rencontres
bilatérales ou multilatérales. En outre, l’
Instrument
européen pour la démocratie et les droits de l’homme (IEDDH) prévoit une assistance financière aux organisations
qui soutiennent l’action des militants des droits de l’homme. Selon
le Rapport annuel de l'Union européenne sur les droits de l'homme
et la démocratie dans le monde, en 2014, 15 nouveaux projets d’une
valeur de plus de 15 millions euros ont été lancés pour soutenir
les défenseurs des droits de l’homme et se sont ajoutés aux 150
projets déjà existants dans ce domaine (pour un montant total de 120
millions euros)
. L’Union européenne dispense
également une assistance financière directe d’urgence aux défenseurs
des droits de l’homme en danger, par l’intermédiaire du
fonds
d’urgence de l’IEDDH pour les défenseurs des droits de l’homme . Ce dernier permet à la Commission
européenne de verser de petites subventions, dont le montant peut
aller jusqu’à € 10 000 par subvention, directement aux défenseurs
des droits de l’homme qui ont besoin d’une aide d’urgence, qu’il
s’agisse de particuliers ou d’organisations. Fin 2014, plus de 220
subventions d’une valeur totale de plus de 1,6 millions d’euros
avaient été décaissées
. Le Parlement européen
soutient l’action des défenseurs, au moyen des activités de sa sous-commission
des droits de l’homme et en décernant son Prix Sakharov.
41. Au cours de ces dernières années, l’OSCE a elle aussi accordé
une plus grande attention à l’action des défenseurs des droits de
l’homme. Après avoir consulté de nombreuses parties prenantes, y
compris le Conseil de l’Europe et des défenseurs des droits de l’homme
de différents pays, l’OSCE/BIDDH a publié en juin 2014 ses
Lignes
directrices concernant la protection des défenseurs des droits de
l’homme. Les 10 et 11 juin 2014, la présidence suisse de l’OSCE
et l’OSCE/BIDDH ont organisé à Berne une conférence conjointe intitulée
«L’OSCE et les défenseurs des droits de l’homme: 20 ans après le
Document de Budapest», conférence au cours de laquelle l’OSCE/BIDDH
a présenté ses lignes directrices. Le Conseil de l’Europe y était représenté
par le Commissaire aux droits de l’homme et par notre collègue de
la commission, M. Boriss Cilevičs (Lettonie, SOC), qui a aimablement
accepté de me remplacer à cette occasion. Ces lignes directrices s’appuient
sur les engagements de l’OSCE et sur des normes de défense des droits
de l’homme universellement reconnues; elles n’en définissent donc
pas de nouvelles et n’ont pas vocation à créer des droits «spéciaux»
pour les défenseurs des droits de l’homme, mais sont centrées sur
la protection des droits des personnes qui sont menacées en raison
de leur activité de défense des droits fondamentaux. Par ailleurs, en
décembre 2014, l’OSCE/BIDDH a publié, conjointement avec la Commission
de Venise, des
Lignes directrices
sur la liberté d’association, qui s’adressent non seulement aux législateurs chargés
de rédiger les lois régissant ou concernant les associations, mais
aussi aux associations, aux membres d’associations et aux défenseurs
des droits de l’homme. Ce document vise à soutenir les activités
de défense dans ce domaine. En outre, l’OSCE/BIDDH invite régulièrement
les représentants des ONG à ses Réunions sur la mise en œuvre de
la Dimension Humaine.
42. Au sein des Nations Unies, le Rapporteur spécial sur la situation
des défenseurs des droits de l’homme, M. Michel Forst, suit cette
question en vertu d’un mandat spécial. Le 28 décembre 2014, il a
publié son rapport sur cette question pour la 28e session
du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies
. Il recommande notamment aux Etats
d’abroger les textes législatifs qui gênent le travail des défenseurs
des droits de l’homme et de lutter contre l’impunité, et aux institutions
nationales des droits de l’homme de s’investir davantage dans la
protection des défenseurs des droits de l’homme qui sont en danger.
De plus, le 16 juin 2015, au cours de la 29e session
du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, à Genève, une
activité parallèle publique a été organisée sur le thème «Les attaques
et les représailles contre les défenseurs des droits de l’homme: renforcer
les responsabilités en cas de violations». A cette occasion, les
Nations Unies et les mécanismes régionaux intergouvernementaux ont
évalué la situation des défenseurs des droits de l’homme et ont
expliqué comment ils lèvent les obstacles qui s’opposent au travail
de ces derniers, y compris via des initiatives conjointes. Ils ont
noté avec préoccupation que l’espace de travail des militants des
droits de l’homme se réduisait, que l’impunité des auteurs de violations
visant des défenseurs des droits de l’homme persistait et que les
défenseurs des droits de l’homme qui coopèrent avec des organisations
intergouvernementales sont victimes de représailles
. Dans sa note du 30 juillet
2015 adressée au Secrétaire général, le Rapporteur spécial sur la
situation des défenseurs des droits de l’homme fait part de ses
préoccupations au sujet des tendances évoquées dans son rapport,
surtout à l’égard des groupes les plus exposés des défenseurs: les femmes
défenseurs des droits de l’homme, les défenseurs des droits des
personnes LGBT, des droits relatifs à la propriété foncière, à la
défense de l’environnement et à la responsabilité des entreprises,
des droits des minorités et des réfugiés, de la lutte contre la
corruption et l’impunité, les défenseurs qui exercent leurs activités dans
les pays en guerre ou déchirés par un conflit interne, les journalistes
et les blogueurs, ainsi que les avocats des droits de l’homme. Il
conclut également que la défense et la promotion des droits de l’homme
est devenue «une activité extraordinairement dangereuse» dans de
très nombreux pays et souligne l’importance de l’éducation aux droits
de l’homme pour garantir la reconnaissance de l’action des défenseurs
par la société
.
43. Il est intéressant de noter qu’il existe au sein des Nations
Unies un système de signalement des représailles exercées à l’encontre
des personnes qui coopèrent avec cette organisation et ses représentants. Comme
le prévoit la Résolution 12/2 du Conseil des droits de l’homme,
le Secrétaire général (avec l’aide du Haut-Commissariat aux droits
de l'homme) soumet tous les ans au Conseil des droits de l’homme
un rapport sur les représailles dont auraient été victimes les personnes
visées au paragraphe 1 de cette résolution
. Il s’agit
des personnes qui «(a) cherchent à coopérer ou ont coopéré avec
l’Organisation des Nations Unies, ses représentants et ses mécanismes
dans le domaine des droits de l’homme, ou leur ont apporté des témoignages
ou des renseignements; (b) recourent ou ont recouru aux procédures
mises en place sous les auspices de l’Organisation des Nations Unies
pour assurer la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales,
et tous ceux qui leur ont fourni une assistance juridique ou autre
à cette fin; (c) soumettent ou ont soumis des communications en
vertu de procédures établies conformément à des instruments relatifs
aux droits de l’homme, et tous ceux qui leur ont fourni une assistance
juridique ou autre à cette fin; (d) sont des proches de victimes
de violations des droits de l’homme ou de ceux qui ont fourni une
assistance juridique ou autre aux victimes
».
10. Les ONG qui viennent en
aide aux défenseurs des droits de l’homme en danger: l’exemple de
Front Line Defenders
44. Au cours de son audition par
la commission le 1er octobre 2015, M. Anderson
de Frontline Defenders a expliqué de quelle manière son organisation
soutenait les défenseurs des droits de l’homme. Front Line Defenders
gère un Programme de subventions de sécurité, qui vise à fournir
en temps utile une assistance financière efficace aux défenseurs
menacés. En 2014, la plus grande partie du chiffre total de 48 subventions d’urgence
de sécurité (chacune d’un montant qui peut aller jusqu’à € 7 500)
octroyées dans les Etats membres du Conseil de l’Europe (sur 411
subventions dans le monde) a été attribuée à des défenseurs des
droits de l’homme et à leurs familles en Azerbaïdjan, en Fédération
de Russie et en Ukraine. Elles ont servi, par exemple, à installer
des systèmes de sécurité au domicile ou dans les bureaux des défenseurs
des droits de l’homme. La caméra de vidéosurveillance et les portes
de sécurité ont probablement sauvé la vie des membres du «Joint
Mobile Group» de Grozny lors de l’attaque de leurs bureaux. Une
aide financière a également été versée à Mme Khadija
Ismayilova et à sa famille avant son emprisonnement. Front Line
Defenders dispose par ailleurs d’une ligne téléphonique d’urgence
disponible 24 heures sur 24 et sept jours sur sept en cinq langues, qui
a facilité en 2014 la réinstallation provisoire de 125 défenseurs
des droits de l’homme, dont sept provenaient d’Etats membres du
Conseil de l’Europe. L’organisation a également mis en place une
formation de sécurité pour les défenseurs des droits de l’homme
en Ukraine (y compris dans la partie orientale du pays) pour leur
apprendre comment poursuivre leur action dans le cadre d’un conflit
armé. Face aux Etats qui recourent à la surveillance pour entraver
l’action des défenseurs des droits de l’homme, une formation a également
été dispensée sur la sécurité numérique, de manière à renforcer
la capacité des défenseurs des droits de l’homme à rendre leurs
communications et la conservation de leurs données plus sûres. Par
ailleurs, Front Line Defenders assure la défense d’individus et
lance des campagnes de mobilisation en leur faveur, tout en sensibilisant
les citoyens à la légitimité et à l’importance de l’action des défenseurs
des droits de l’homme, que les Etats cherchent à diffamer et stigmatiser.
11. Les
moyens de protéger les défenseurs des droits de l’homme et de promouvoir
leur rôle: conclusion
45. Selon la Déclaration des Nations
Unies de 1998 sur les défenseurs des droits de l’homme, il existe
deux critères principaux de la définition des défenseurs des droits
de l’homme: ils mènent une action pacifique et agissent en ce sens
pour défendre les droits de l’homme d’autrui reconnus sur le plan
international. Les défenseurs des droits de l’homme peuvent aisément
être identifiés sur la base de leur engagement et de leur dévouement
à cette cause; les véritables défenseurs des droits de l’homme prennent
à chaque instant fermement position en faveur de la protection des
droits de l’homme dans leur pays. Comme tous les êtres humains,
ils jouissent de la protection garantie par la Convention européenne
des droits de l’homme. Les Etats membres doivent par conséquent
s’abstenir de tout acte d’intimidation et de représailles à l’encontre
des défenseurs des droits de l’homme et leur garantir un environnement
propice à leur action et une protection contre tout acte d’intimidation
et de représailles. Il importe également qu’ils promeuvent une culture
des droits de l’homme dans leurs sociétés et condamnent les campagnes
de dénigrement de l’action des défenseurs.
46. La situation des défenseurs des droits de l’homme dans de
nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe est actuellement très
précaire. Je suis particulièrement préoccupée par le sort des défenseurs
des droits de l’homme azerbaïdjanais, car la plupart de nos partenaires
– parmi lesquels des personnes que j’ai rencontrées au cours de
ma visite d’information à Bakou (Mme Leyla
Yunus notamment), ou à Strasbourg pendant nos sessions ou encore
aux tables rondes organisées par le Commissaire aux droits de l’homme (M. Rasul
Jafarov, M. Intigam Aliyev ou Mme Khadija
Ismayilova entre autres) – sont toujours derrière les barreaux et
purgent de longues peines. Mais je suis également préoccupée par
la législation relative aux «agents étrangers» et aux «organisations
indésirables» en vigueur en Russie, qui vise de nombreux partenaires
de longue date du Conseil de l’Europe en vue de faire cesser l’activité
des organisations de défense des droits de l’homme; comme leurs
activités dépendent principalement d’un financement étranger, il est
très probable, compte tenu de l’absence de perspectives de financement
national, que ces ONG ne pourront plus poursuivre leur action. Le
fait de stigmatiser les ONG en les qualifiant «d’agents étrangers»
ne permet pas seulement d’en faire des cibles; l’objectif poursuivi
par ces Etats est également de réduire au silence ses citoyens,
en les dissuadant de s’engager dans la vie de la société civile
et en donnant une image négative de ces organisations. En dehors
de ces éléments, je suis également consternée par l’évolution de
la situation en Turquie, où de nombreux avocats et militants des
droits de l’homme ont été arrêtés pour des chefs d’accusation en
rapport avec de supposées activités «terroristes», uniquement parce
qu’ils mènent une action en faveur des droits de l’homme ou des
questions kurdes. En outre, des cas de harcèlement de défenseurs, surtout
lorsqu’ils se penchent sur des questions politiquement sensibles
ou défendent des groupes vulnérables ou minoritaires, ont également
été signalés dans certains autres Etats membres.
47. D’autres organisations internationales ont mis en place des
moyens de soutenir l’action des défenseurs des droits de l’homme
et/ou d’entretenir avec eux un dialogue régulier. Ainsi, l’Union
européenne fournit une assistance financière considérable, l’OSCE/BIDDH
les invite à ses Réunions sur la mise en œuvre de la Dimension Humaine,
les Nations Unies disposent d’un rapporteur spécial sur la situation
des défenseurs des droits de l’homme et d’un système de compte rendu
annuel des cas de représailles. Au vu de ces éléments, on peut difficilement
dire que le Conseil de l’Europe possède un mécanisme établi de protection
des défenseurs des droits de l’homme contre les représailles. Le
simple fait de pouvoir introduire une requête devant la Cour européenne
des droits de l’homme ou d’adresser des communications au Comité
des Ministres dans le cadre de l’exécution des arrêts de la Cour
ne saurait suffire. Quant aux moyens qui permettent d’échanger des
informations avec les défenseurs, il existe tout un patchwork de
mécanismes formels (par exemple par l’intermédiaire de la Conférence
des OING ou des services du Commissaire) et informels (par exemple
les rencontres des membres de l’Assemblée parlementaire avec les
défenseurs), mais il s’agit d’une façon très éparse d’entretenir
un dialogue avec la société civile, qui n’est pas coordonnée au
niveau interne.
48. Dans ces conditions, je suis convaincue que le Conseil de
l’Europe devrait faire davantage pour protéger les défenseurs des
droits de l’homme et pour procéder à des échanges réguliers avec
eux. Il pourrait, par exemple, mettre en place une plate-forme de
protection des défenseurs des droits de l’homme en s’inspirant de
l’exemple de la plate-forme récemment créée pour la protection des
journalistes. Bon nombre de nos ONG partenaires seraient sans aucun
doute désireuses d’adhérer à un tel mécanisme et de fournir des
informations actualisées sur les cas d’intimidation des défenseurs
des droits de l’homme. J’estime par ailleurs que le Conseil de l’Europe
devrait prévoir un mécanisme de protection des experts qui coopèrent
avec ses institutions et organes, c’est-à-dire les représentants
de la société civile qui collaborent avec les organes de suivi du Conseil
de l’Europe, le Commissaire aux droits de l’homme et l’Assemblée,
et les avocats qui représentent les requérants devant la Cour européenne
des droits de l’homme. Le Comité des Ministres pourrait ainsi instaurer une
procédure de signalement public et régulier des cas d’intimidation
de ces personnes.
49. Cette action devrait également bénéficier d’un soutien à l’échelon
national. Il importe que les Etats membres critiquent avec plus
de véhémence les cas de représailles des défenseurs des droits de
l’homme et de répression de la société civile, ainsi que la législation
restrictive qui limite la liberté d’association, et notamment l’accès
à un financement étranger. Ils devraient soutenir les activités
d’ONG telles que Front Line Defenders et même initier ce type d’activité,
en mettant en place un programme de visites aux défenseurs des droits
de l’homme emprisonnés, de fourniture à ces derniers d’une assistance
médicale et de soutien dispensé à leurs proches, et en donnant davantage
de visibilité au sort des défenseurs des droits de l’homme. L’octroi de
l’asile ou d’un autre statut de protection aux défenseurs menacés
devrait également être une priorité en cas de grave persécution
liée, à l’évidence, à leurs activités de défense des droits de l’homme.
50. Par ailleurs, en notre qualité de parlementaires, nous devons
faire de notre mieux au niveau national pour accorder aux défenseurs
des droits de l’homme une protection suffisante. Nous devrions aussi
tirer profit de leur expérience et de leurs connaissances en les
invitant à participer au processus législatif, le cas échéant, et
condamner fermement les actes d’intimidation et de représailles
dont les défenseurs sont victimes.
51. L’Assemblée a eu recours à sa «diplomatie parlementaire» pour
évoquer ces affaires et promouvoir les droits des défenseurs, y
compris au moyen des auditions effectuées par les commissions ou
à l’occasion des manifestations organisées en marge des parties
de session. Comme le Parlement européen, qui décerne le Prix Sakharov,
l’Assemblée décerne tous les ans le Prix des Droits de l’Homme Václav Havel.
J’aimerais dire à quel point je suis satisfaite que ce prix ait
été décerné en 2015 à Mme Ludmila Alexeeva,
vétéran de la défense des droits de l’homme en Russie. Mais j’estime
que l’Assemblée devrait faire davantage. En ma qualité de rapporteure
sur cette question, j’ai cherché à réagir aux violations les plus
flagrantes des droits des défenseurs des droits de l’homme par mes
propres déclarations publiques ou en proposant à la commission de
les adopter. Je n’étais cependant pas en mesure de suivre tous les
cas difficiles, faute de temps et de moyens. Je propose par conséquent
que la commission désigne un rapporteur général sur la situation
des défenseurs des droits de l’homme au titre de l’article 50.7
du Règlement de l'Assemblée. Ce rapporteur général pourrait suivre
attentivement chaque cas et entretenir des rapports de travail réguliers
avec les autres organes du Conseil de l’Europe, notamment le Commissaire
aux droits de l’homme, et avec les organisations internationales,
comme l’Union européenne, l’OSCE et les Nations Unies, tout en présentant
les travaux de l’Assemblée qui les concernent.
52. En conclusion, les défenseurs des droits de l’homme sont trop
nombreux à payer le prix fort pour leur action et il importe que
les institutions et les Etats membres du Conseil de l’Europe accordent
bien plus d’attention à leur sort.