1. Portée et objectif du rapport
1. Le sport est reconnu comme
étant l’activité la plus populaire dans nos sociétés modernes. Cela
est un atout pour nos sociétés.
2. Les politiques publiques mettent en avant le sport dans le
but de maintenir la population en bonne santé, et de prévenir certaines
maladies, notamment cardiovasculaires. Les scientifiques, tout comme
les agences gouvernementales de santé publique, sont unanimes: «Les
activités physiques et sportives représentent un formidable potentiel
pour améliorer l’état de santé de la population
». Un institut français ajoute que
«les effets bénéfiques des activités physiques et sportives sur
la santé sont connus depuis l’Antiquité. Et ils sont confirmés par
toutes les études épidémiologiques modernes: elles montrent que
le risque de décès prématuré est moindre chez les personnes physiquement
actives que chez les autres, résultat valable quels que soient l’âge et
la cause de décès, de manière plus probante chez les hommes que
chez les femmes
».
3. Diverses organisations gouvernementales et non-gouvernementales
ont d’ores et déjà attiré l’attention sur les niveaux inquiétants
d’activité physique – ou plutôt le manque d’activité physique –
en Europe et les coûts pour la santé publique qui y sont associés
. D’après le rapport de l'Association
internationale du sport et de la culture (ISCA) et le Centre pour
la recherche économique et commerciale (CEBR), «l’inactivité entraîne des
coûts économiques de l’ordre de 80,4 milliards d’euros par an pour
la seule Europe des 28». La dernière enquête Eurobaromètre sur l’activité
physique, limitée aux pays de l’Union européenne, a montré que l’inactivité
physique connaissait une augmentation générale
.
4. Cela étant, l’impact bénéfique de la pratique sportive est
toutefois bien plus large que la seule question de santé publique:
le sport est un excellent moyen de socialisation entre personnes
de sexe, de capacités, de culture ou de nationalité différents;
il offre des possibilités de rencontres et d’échanges, aide les
immigrés à tisser des liens avec les autres membres de la société
et facilite des relations positives avec les groupes victimes de
discrimination. Le sport contribue à promouvoir l’égalité entre
les femmes et les hommes, ainsi que les liens sociaux et une culture
du «vivre ensemble».
5. Ainsi, il est important d’encourager une approche inclusive
du sport. Néanmoins, l’accès au sport pour tous est loin d’être
une réalité. Pourtant, améliorer l’égalité dans le sport est l’un
des objectifs du Conseil de l’Europe depuis le tout début de sa
coopération intergouvernementale en ce domaine. La Charte européenne du
sport pour tous
, adoptée par le Comité des Ministres
en 1975, ainsi qu’un certain nombre de recommandations, constituent
des outils de référence en matière de politique gouvernementale
du sport.
6. En 2001, les ministres des Etats membres du Conseil de l’Europe
se sont engagés à œuvrer contre le racisme, la xénophobie et l’intolérance
raciale dans le sport. Les organisations sportives nationales, les
clubs, ainsi que les associations antiracistes, se sont vus confier
pour tâche principale de mettre sur pied des programmes d’information,
d’éducation et de sensibilisation au racisme. Toute une série d’initiatives
ont été lancées, que ce soit au niveau national, comme Kick Racism
out of Sport (Bottons le racisme hors du sport) au Royaume-Uni,
ou au plan international, comme la création du réseau FARE (Le football
contre le racisme en Europe). Ce dernier joue aujourd’hui le rôle
d’organisation faîtière de lutte contre le racisme et la discrimination
dans le sport en Europe.
7. La question du sport pour tous est également suivie par l’Accord
partiel élargi sur le sport (APES)
, qui offre aux pouvoirs publics des
Etats membres de l’Accord une plateforme pour la coopération intergouvernementale
dans le sport. Dans ce contexte, une série d’activités (débats politiques
et actions de formation et de sensibilisation spécifiquement axés
sur la discrimination) ont eu lieu, et des partenariats avec le
mouvement sportif et certaines organisations non gouvernementales
(ONG) ont été développés.
8. D’autres organisations internationales se sont engagées à
favoriser l’accès au sport pour tous, tel que l’Organisation des
Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO),
mais aussi le Comité international olympique (CIO)
et en particulier sa Commission «du
Sport pour tous»
. Le CIO a organisé sur ce thème une
série de conférences mondiales dont la dernière a eu lieu à Lima
(Pérou) en 2013.
9. Notre Assemblée parlementaire a pris une part active dans
la promotion des principes d’égalité, de non-discrimination et d’égalité
d’accès au sport pour tous, dans sa
Recommandation 1701 (2005) sur la discrimination à l’encontre des femmes et des
jeunes filles dans les activités sportives, sa
Recommandation 1635 (2003) sur les lesbiennes et les gays dans le sport et sa
Résolution 1204 (1999) sur l’Europe et le sport professionnel.
10. L’objectif de mon rapport, qui s’inscrit dans la droite ligne
des travaux précédents de l’Assemblée, est d’identifier et analyser
les facteurs qui entravent l’accès au sport et de proposer des actions
concrètes visant à réduire leur impact négatif, étant convaincue
que cela peut représenter une contribution majeure à la lutte contre
les discriminations et pour l’inclusion sociale et l’intégration.
L’accent est sur le sport amateur (bien que certaines questions
– voire certaines actions – puissent également s’appliquer à la
pratique du sport professionnel).
11. D’entrée, j’ai identifié trois problèmes importants d'égalité
d'accès au sport malheureusement évidents: discrimination de genre
de fait; discrimination en raison de l'origine; obstacles résultant
d’une vulnérabilité sociale, y compris les handicaps et le milieu
culturel. Mme Virginie Rozière, vice-présidente
de l’intergroupe sport du Parlement européen, a souscrit à cette
analyse
.
12. Dans ce contexte, il est important de vérifier si et de quelle
manière les différents acteurs collaborent car je suis convaincue
qu’il nous faut encourager les efforts conjoints et les partenariats,
tant au niveau national qu’international. Je me réfère ici tant
aux synergies possibles dans l’action des autorités publiques aux différents
niveaux de gouvernement, qu’aux collaborations possibles – et fort
souhaitables – entre les autorités publiques et le monde du sport.
13. A cet égard, il faut tenir compte de l’autonomie du mouvement
sportif et du rôle qui lui est propre dans la promotion de l’accès
au sport, mais aussi souligner la légitimité de l’intervention des
pouvoirs publics lorsqu’il s’agit de questions majeures liées à
la pratique sportive. Le sport pour tous est justement un domaine
où l’intervention de l’Etat est très largement acceptée, comme en
témoigne la «loi fédérale sur l’encouragement du sport et de l’activité
physique
» en Suisse.
14. La coopération avec les organisations du mouvement sportif
devrait tenir compte de la nécessité de garantir l’accès au sport
pour tous. A cet égard, les Etats membres pourraient encourager
les instances dirigeantes du sport à suivre les lignes directrices
pour la bonne gouvernance dans le sport de masse élaborées par l’Association
internationale du sport et de la culture
.
2. Renforcer
l’égalité entre les sexes dans le sport
15. Il convient de rappeler que
l’écart entre la pratique sportive masculine et féminine que nous
constatons encore aujourd’hui résulte, en bonne partie, d’une vision
«masculine» stéréotypée de certains sports s’accompagnant parfois
d’informations fausses. Il suffit, à cet égard, de se rappeler qu’il
y a encore peu, certains sports n’étaient pas «médicalement» recommandés
pour les femmes
.
Il était par exemple dit par des experts médicaux que «le football
prédispose au
genu valgum,
il est dangereux pour le corps de la femme et doit lui être interdit
dans l’intérêt de la fécondité
».
16. Il n’est donc pas étonnant qu'en 1989, lors de la finale du
championnat d’Europe de football féminin de football, la fédération
allemande offrit aux gagnantes «une récompense propre à réjouir
de bonnes maîtresses de maison: un service de table et un service
à café de second choix
».
Heureusement, la situation a évolué: l’Union des associations européennes
de football (UEFA) favorise le développement du football féminin
à travers l’Europe, de même que plusieurs fédérations nationales
de football. Certains domaines et clubs sportifs n’en restent pas
moins réticents à s’ouvrir à une participation féminine. Par exemple,
ce n’est qu’en 2014 que le Royal and Ancient Golf Club de St Andrews,
la «patrie du golf», a pour la première fois accepté l’adhésion de
femmes.
17. En général, les femmes sont nettement moins adeptes du sport
que les hommes. L’enquête Eurobaromètre sur le sport et l’activité
physique (2010) a conclu que seulement 8 % des jeunes femmes (15-24
ans) par rapport à 19 % des jeunes hommes pratiquaient une activité
physique régulière. Les enquêtes menées dans divers pays ont abouti
à des chiffres similaires et révélé l’ampleur du déclin de la pratique
d’une activité physique parmi les filles et ce, dès l’âge de 13
à 15 ans. Selon l’enquête Eurobaromètre réalisée en 2010, 43 % des
hommes – contre seulement 37 % des femmes – déclarent pratiquer
un sport au moins une fois par semaine
.
Selon certaines sources, les femmes représentent au total près de
40 % des pratiquants d’une activité physique ou sportive
.
18. Les obstacles qui empêchent les femmes de s’impliquer pleinement
dans le sport sont les mêmes que ceux qui les empêchent de prendre
entièrement part à la société, tels que les stéréotypes, les idées
fausses, les risques quant à leur sécurité (tels que le harcèlement
sexuel et la violence), l'insuffisance de ressources, la pauvreté
et l'absence de modèles
. L’autocensure est également un problème,
notamment parmi les jeunes filles qui ont tendance à renoncer à
la pratique de certains sports (par exemple la natation) par crainte de
s’exposer au regard des autres. Cependant, la recherche soutient
également l'idée selon laquelle la valeur placée sur le sport féminin
est moindre. Cela conduit à une inégalité de salaire, de prix et
de couverture médiatique par rapport aux sports masculins.
19. Bien que les femmes et les filles pratiquant un sport soient
aujourd’hui plus nombreuses que jamais, cette augmentation n’a pas
trouvé d’écho dans la couverture médiatique des sports féminins.
Seuls 3 % environ du temps d’antenne y sont consacrés. Les médias
sont pourtant un formidable élément moteur de la popularité d’un
sport, quel qu’il soit, tout comme la manière de commenter les matches.
Pour autant qu’ils soient couverts, les sports féminins le sont
généralement par des hommes qui se contentent d’un reportage de
pure forme
.
20. Une enquête récente réalisée par BBC Sports a révélé que les
hommes sont mieux rétribués que les femmes dans 30 % des sports.
Sur les 35 sports qui attribuent des gains en espèces, seuls 25
rémunèrent équitablement les femmes et les hommes. Les plus fortes
disparités ont été constatées dans le football, le cricket, le golf,
les fléchettes, le billard et le squash. Déjà avant 2004, dans les
domaines de l’athlétisme, du boulingrin, du patinage, du marathon,
du tir, du tennis et du volley-ball, les gains étaient devenus équitables. Ces
dix dernières années, neuf autres sports ont entrepris des efforts
en ce sens, dont cinq – plongée, voile, taekwondo, planche à voile
et dans certaines épreuves de cyclisme – sont récemment parvenus
à l’égalité
.
21. Le tennis a été le premier sport à offrir les mêmes gains
en espèces lors des compétitions masculines et féminines, sur le
modèle de l’US Open qui a ouvert la voie en 1973 à l’issue d’une
campagne menée par Billie Jean King et huit autres joueuses de tennis.
La parité salariale n’a été obtenue qu’en 2007, lors du Grand Slam
de Wimbledon, grâce aux efforts de Serena Williams qui a combattu
en faveur de l’égalité des gains pour les athlètes féminines. Il
est intéressant de constater à quel point une seule et unique personne
peut être le catalyseur d’un bouleversement profond.
22. Nous pouvons nous estimer heureux que la parité des gains
soit aujourd’hui pratiquée dans 70 % des sports. Toutefois, certaines
des disciplines les plus relayées par les médias, telles que le
football ou le golf, continuent de rémunérer bien plus modestement
les joueuses. Dans le domaine du golf professionnel, l’écart entre
hommes et femmes prévu pour 2016 est de 83 %. Lydia Ko, meilleure
golfeuse 2015, a remporté $US 3,8 millions et touché $US 1,5 million
de revenus générés par le sponsoring. Pour sa part, Jordan Spieth, meilleur
golfeur, a gagné $US 12 millions de gains en espèces et engrangé
$US 30 millions grâce au sponsoring
. Dans mon pays, l’Espagne, la situation
n’est malheureusement pas plus brillante: bien que les femmes représentent
plus de 30 % des membres inscrits (elles sont plus de 95 000), les
règlements appliqués en matière de tournois et de gains (tant pour
leur nombre que pour leur montant) sont discriminatoires. Les femmes
pratiquent pourtant le même sport, et au même niveau.
23. Le football est la principale discipline où s’exercent une
inégalité et une discrimination dictées par le sexisme. Les footballeuses
ne perçoivent qu’une fraction des rétributions de leurs homologues
masculins. Ainsi, la Fédération internationale de football association
(FIFA) attribue à chaque équipe, qu’elle soit féminine ou masculine,
des gains en espèces pour prendre part à la Coupe du Monde. Le montant
total déboursé pour la Coupe du Monde féminine 2015 s’est élevé
à $US 15 millions alors que $US 576 millions avaient été attribués
pour son pendant masculin en 2014. C’est pourquoi les membres de
l’équipe féminine américaine de football (soccer) sont en conflit
avec leur fédération. Cinq d’entre elles – Alex Morgan, Carli Lloyd,
Megan Rapinoe, Becky Sauerbrunn et Hope Solo – ont au nom de toute
l’équipe déposé en mars 2016 une plainte au niveau fédéral pour
discrimination salariale contre la Fédération américaine de football
(soccer) après que l’on a appris que les gagnantes de la Coupe du
Monde, bien qu’ayant généré en 2015 près de $US 20 millions de revenus
de plus que leurs pairs masculins, avaient été nettement bien moins
payées que ces derniers.
.
24. La Coupe du Monde féminine qui s’est jouée en 2015 au Canada
a été entachée par des actes de discrimination de genre et de sexisme.
En effet, la FIFA avait accepté la proposition du Canada d’accueillir
les jeux sur des terrains revêtus de gazon artificiel au lieu de
gazon naturel. Plus de 40 joueuses d’élite originaires d’Europe,
des Etats-Unis et d’Amérique du Sud ont intenté des poursuites contre
la FIFA et l’Association canadienne de football (soccer), arguant
que la décision d’autoriser les surfaces en gazon artificiel était discriminatoire
. Contraintes de choisir entre le
boycott du tournoi ou l’abandon des poursuites, les joueuses se
sont décidées pour cette dernière option en janvier 2015. Cette
“rébellion” a cependant eu pour effet positif d’amener l’organisateur
de la prochaine Coupe du Monde féminine prévue en France en 2019
– la Fédération française de football – à préciser clairement que
tous les matches se joueront sur gazon naturel.
25. Je regrette profondément que bien qu’affirmant que le développement
du football est sa mission première, la FIFA continue de sous-financer
les matches féminins, qui gagnent pourtant en popularité. Si elle dépense
annuellement une somme estimée à $US 900 millions pour faire progresser
le football, seuls 15 % servent à financer des programmes visant
à développer le football féminin
.
De même, les organes décisionnaires de la FIFA témoignent d’un net
déséquilibre entre les sexes. Je reconnais néanmoins que l’intégration
d’un membre féminin élu et deux autres membres féminins cooptés
au sein du Comité exécutif est une avancée positive – mais insuffisante.
Je rappelle également que l’Assemblée a salué dans son rapport sur «La
réforme de la gouvernance du football»
la création en 2103 du groupe ad hoc pour
le football féminin, constitué pour recenser et promouvoir les occasions
prioritaires pour le football féminin, ainsi que le lancement du
Programme de leadership du football féminin – UEFA, dont le but
est d’encourager davantage de femmes à occuper des postes de décision
dans le monde du football. Dans ce contexte, je félicite la FIFA
pour avoir désigné une femme bien connue au poste de Secrétaire
général de l’organisation.
26. Les comportements et propos sexistes sont un autre problème
courant dans le sport, et ce, même au plus haut niveau
. De plus, les sportives de haut
niveau ne jouissent pas d’une aussi bonne image que leurs pairs
masculins. L’étude comparative portant sur le thème «Sport, media
and stereotypes – Women and Men in Sports and Media» (Sport,
médias et stéréotypes – les femmes et les hommes dans le sport et
les médias)
fait
clairement la distinction entre les manières dont les femmes et
les hommes y sont dépeints. En premier lieu, on y trouve beaucoup
moins d’articles sur les femmes que sur les hommes. En second lieu,
on note une forte tendance à l’idéalisation des grands sportifs,
qui intéressent le public aussi bien en tant que célébrités de la
sphère sociale que du monde sportif. Enfin, dans l’ensemble, les
actualités sportives ne renforcent pas les stéréotypes, mais ne
les combattent pas non plus. Il y a quelques exceptions, comme,
par exemple, la couverture de l'actualité des tournois de tennis
féminin professionnels. Ce n’est pas un hasard si seulement trois
femmes ont fait leur entrée dans la liste Forbes des 100 athlètes
les mieux payés cette année, et toutes les trois – Maria Sharapova,
Li Na et Serena Williams – sont des joueuses de tennis
.
27. Les femmes sont minoritaires aux postes à responsabilités
dans tous les sports (à l’exception des sports exclusivement féminins),
à tous les niveaux et dans tous les pays. Le pourcentage de femmes
à des postes de décision et de direction au sein des organisations
et clubs sportifs est nettement moindre que celui des membres actifs
de sexe féminin
.
28. Beaucoup reste à faire. Les réseaux de télévision pourraient
certainement améliorer la qualité de la couverture des épreuves
d'athlétisme féminin et devraient chercher à réduire l'écart entre
le montant des ressources dans la couverture de sports pour hommes
et pour femmes. La couverture de l'actualité du sport féminin, également,
devrait inclure une couverture visuelle mais aussi verbale dans
des proportions qui sont à peu près équivalentes à la couverture
de sports pour hommes
.
29. Je voudrais également rappeler ici que le sport reste confronté
au défi de la participation égale des personnes gays, lesbiennes,
bisexuelles, transgenres ou intersexes (LGBTI). Et plus difficile
encore que le renforcement de la participation de la population
LGBTI aux activités sportives est la possibilité de pouvoir révéler
dans ce cadre son orientation sexuelle et son identité de genre
sans pour autant s’exposer aux préjugés et à l’exclusion.
30. Me référant à la
Résolution
2048 (2015) de l’Assemblée parlementaire sur la discrimination à
l’encontre des personnes transgenres en Europe, j’aimerais ici souligner
l’urgence qu’il y a d’adopter des mesures spécifiques pour garantir
l’accès au sport des athlètes transgenres et intersexes qui font
l’objet d’une discrimination sans pareil
. Les Etats membres et les organisations
du mouvement sportif devraient prendre en considération les conclusions
de la Réunion de consensus du CIO sur le changement de sexe et l’hyperandrogénisme
(novembre 2015) qui précisent qu’«il est nécessaire de veiller dans
toute la mesure du possible à ce que les athlètes transgenres ne
soient pas privés de la possibilité de participer à des compétitions sportives
».
3. Renforcer
l'inclusion sociale des groupes vulnérables
31. L’intégration est aujourd’hui
une question brûlante; réussir l’intégration est un défi commun
aux communautés d’accueil et aux communautés accueillies.
32. L’Association for International Sport for All (TAFISA) cherche
à montrer, dans chaque forum mondial qu’elle organise, en quoi le
sport «intègre» les populations. Par exemple, dans le forum mondial
de 2006, une présentation visait à démontrer l’intégration par le
sport aux Pays-Bas, en Allemagne, en France, en Afrique du Sud,
en Colombie et au Japon
.
Des études scientifiques
montrent cependant qu’en réalité, le processus d’intégration
passe davantage par les éducateurs sportifs et le discours et les
actions des personnels du sport que par la pratique d’un sport elle-même;
néanmoins, il semble indéniable que la dimension socialisante du sport
peut favoriser le processus d’intégration.
33. Le problème est que les personnes appartenant à des minorités
sont sous-représentées dans le sport. Par exemple, selon une étude
effectuée en 2010 dans cinq Etats membres de l’Union européenne
(Allemagne, Danemark, Irlande, Pays-Bas et Suède), la participation
globale des minorités ethniques et des migrants dans le sport amateur
était faible, surtout parmi les femmes et les filles. Contrairement
au football, où de nombreuses équipes nationales reflètent la diversité
des sociétés européennes, les recherches ont révélé que les migrants
ou les minorités ethniques sont particulièrement sous-représentés
dans d'autres sports nationaux populaires, ce qui peut affecter
l'image des sociétés qui se caractérisent par ailleurs par une grande
diversité
.
34. Le rapport 2010
de l’Agence des droits fondamentaux
de l’Union européenne (FRA) critique sévèrement un «plafond de verre»
restreignant l’accès des minorités ethniques et des populations
de migrants à de nombreuses disciplines sportives, ainsi que divers
obstacles juridiques et administratifs dans certains pays à la participation
des non-ressortissants dans des sports tels que l’athlétisme, le
basket-ball, le hockey sur glace, le handball, le motocyclisme,
le tennis, le golf et le ski alpin. De nombreuses fédérations sportives nationales
ont imposé des quotas limitant l’accès des personnes n’ayant pas
la nationalité du pays d’accueil aux compétitions amateurs et professionnelles.
35. La Commission européenne contre le racisme et l'intolérance
(ECRI) s’inquiète «des problèmes susceptibles de surgir pour les
jeunes immigrés qui, en raison du sentiment de rejet éprouvé, peuvent
avoir du mal à s’intégrer dans la société d’accueil»
.
36. Les institutions politiques de l’Union européenne, ainsi que
l’UEFA et la FIFA, admettent l’existence de problèmes de racisme
et de discrimination raciale dans le sport. La FIFA et l’UEFA soutiennent
ou collaborent avec des acteurs nationaux et de la société civile
européenne intervenant en ce domaine. Des incidents à caractère
raciste, antisémite et anti-tsigane ont été observés dans le monde
du football et du basketball à travers toute l’Union européenne.
Seuls 10 Etats membres de l’Union européenne assurent un suivi systématique
des manifestations de racisme dans le sport, principalement concernant
le football masculin professionnel, bien qu’elles soient aussi fréquentes
chez les amateurs. Ce type d’incidents compromet incontestablement
la possibilité d’un sport véritablement inclusif.
37. La discrimination à l’égard de groupes en situation d’exclusion,
comme les Roms ou les migrants sans papiers, se retrouve aussi dans
les stratégies de communication et dans la construction de l’image
des sportifs. Leurs origines sont très souvent mises en avant par
les médias, lorsqu’il s’agit d’une nationalité; mais lorsqu’il est
question d’une communauté, en plus en situation de vulnérabilité,
l’origine n’est en général mentionnée ni dans la presse, ni dans
les nouveaux médias.
38. Ainsi, de nombreux anciens ou nouveaux sportifs d’origine
rom ne sont pas mis en avant en tant que tels. Il est rare de voir
un journaliste rappeler que les footballeurs Zlatan Ibrahimovic
,
Jesus Navas
et Hristo Stoichkov, ou l’ancien
boxeur Johann Trollman sont d’origine rom. Les médias participent
donc activement à l’exclusion de ce groupe et permettent les discriminations
plus générales dont ces communautés sont victimes.
39. Par ailleurs, l’accès des migrants sans papiers au sport institutionnalisé
est impossible. Les fédérations sportives demandent généralement
des papiers d’identité dans le formulaire d’obtention d’une licence.
Cette démarche est sans doute justifiée, car il est nécessaire d’avoir
un moyen d’identifier les participants à une compétition sportive
pour des raisons de sécurité. Néanmoins, il est important de rappeler
que de nombreux jeunes migrent vers l’Europe dans l’espoir de devenir
des sportifs professionnels. Le cas des sportifs migrants a déjà
été soulevé devant notre Assemblée
.
Il conviendrait de réfléchir à la possibilité de permettre la pratique
sportive pour les migrants en situation irrégulière. A Lampedusa
en Italie, par exemple, un terrain de sport existe.
40. Aujourd’hui, les médias font souvent état d'incidents de discrimination,
y compris de racisme ou de sexisme, survenus parmi les spectateurs
d'événements sportifs. Par ailleurs, les sports pratiqués par des jeunes
sont fréquemment le théâtre de tels événements. Les systèmes de
surveillance des incidents de discrimination et de racisme dans
le sport n'existent que dans peu d’Etats européens. Ceci dit, la
plupart des données disponibles ont trait au football uniquement.
Or, de tels incidents se produisent également ailleurs et il devient
donc urgent d’en avoir une meilleure visibilité pour élaborer de
meilleures stratégies de prévention et prendre des mesures correctives
adéquates.
4. Promouvoir
l'intégration en surmontant les obstacles sociaux, culturels et
autres barrières qui empêchent l'accès au sport
41. Les principaux facteurs d’inégalités
liés à des critères sociaux dans l’accès au sport sont le lieu d’habitation,
le revenu, le niveau de formation et la profession. Les facteurs
socio-économiques se combinent ici avec le facteur du genre: chez
les femmes, ils surdéterminent, plus fortement que chez les hommes,
les probabilités de se livrer à une activité sportive. Le revenu
est souvent un facteur clivant dans la pratique d’une activité sportive.
La Suisse est un pays où le revenu constitue le facteur d’influence
prédominant
:
plus le revenu d’un individu est élevé, plus celui-ci aura de chances
de pratiquer une activité sportive.
42. Dans ce contexte, 22 % des Françaises ne pratiqueraient aucune
activité physique et ce taux s’élèverait à 42 % pour les femmes
sans emploi. Au Royaume-Uni, les femmes dont le revenu annuel du
ménage s’élève à £ 52 000 ou davantage sont trois fois plus susceptibles
d’être physiquement actives que les femmes dont celui-ci est inférieur
à £ 15 600. Toutefois, l’activité professionnelle ne conduit pas
automatiquement à la pratique d’une activité physique ou sportive.
Des recherches menées en France montrent que le niveau d’études
est le facteur le plus discriminant dans l’accès des femmes aux
activités physiques, avant même le niveau de ressources
.
43. Les inégalités d’accès à la pratique sportive en Europe diffèrent
sensiblement en fonction des pays. Ainsi, on distingue une corrélation
entre la richesse d’une nation et les infrastructures permettant
une pratique sportive de loisir ou de compétition (gymnases, terrains,
piscines, skate-park, salles de fitness, aménagements pour les sports
de nature, etc.)
. Néanmoins, cette donnée est à relativiser:
en effet, un citoyen de l’Union européenne sur deux pratique un
sport soit chez lui, soit dans la nature, là où aucune construction
publique ou privée additionnelle et/ou spécifique n’est nécessaire.
44. Le milieu culturel, en particulier dans son aspect religieux,
est également susceptible de provoquer l’exclusion ou d’empêcher
l’accès au sport. Ainsi, certaines règles ou pratiques bien ancrées
dans les sports collectifs peuvent être considérées comme inacceptables
pour des motifs religieux. D’autres barrières peuvent surgir en
raison de la culture d’origine, ou simplement de sensibilités personnelles,
par exemple face à une pratique sportive aux comportements codifiés,
comme le Judo, et face à la mixité, qui change la représentation que
l’on a de son corps. Ce type de problèmes soulève des questions
délicates dont il pourrait être utile de tenir compte, notamment
en définissant le rôle que jouent (ou devraient jouer) les associations
et entraîneurs, et pour intégrer la formation de ces derniers, afin
qu’ils sachent favoriser par leurs attitudes des pratiques sportives
inclusives car respectueuses de sensibilités personnelles diverses.
45. Les conditions nécessaires à l’exercice d’une activité sportive
ne sont toujours pas réunies pour les personnes handicapées. Celles-ci
continuent de se heurter à des problèmes d’accessibilité aux terrains, équipements
et autres matériels sportifs. Les obstacles rencontrés par cette
population sont d’une part infrastructurels et techniques et, d’autre
part, sociaux (stéréotypes, préjugés, etc.).
46. Les systèmes d’éducation doivent être inclusifs. Les établissements
scolaires doivent assurer la participation des élèves et des étudiants
handicapés aux cours d’éducation physique et aux activités extrascolaires
organisés par leurs soins. Malheureusement, seuls quelques pays
de l’Union européenne ont mis en œuvre des programmes sportifs spécialement
adaptés aux enfants handicapés.
47. Les difficultés d’accès à la pratique sportive pour les individus
qui sont porteurs de handicaps méritent ici une attention particulière.
165 pays ont participé aux derniers jeux paralympiques à Londres
en 2012. Si l’on compare ce chiffre au nombre de pays reconnus par
les Nations Unies, peu de pays n’y ont pas participé. Tous les Etats
membres du Conseil de l’Europe avaient une délégation aux derniers
Jeux Paralympiques, à l’exception de Monaco. Pour l’Albanie, celle-ci
a été la première participation.
48. Cette réussite ne doit pas cacher les difficultés d’accès
à la pratique sportive que les porteurs de handicaps continuent
de rencontrer. Ces difficultés résident surtout dans l’accès aux
infrastructures sportives et aux clubs. Des pays comme la France
ou le Royaume-Uni comptent des milliers de clubs répartis sur tout leur
territoire
.
Cependant, si la France compte plus de 17 000 clubs de football,
elle ne compte que 259 clubs affiliés à la fédération handisport
permettant de pratiquer une activité footballistique
.
On est donc très loin de permettre un accès sur l’ensemble du territoire.
Au Royaume-Uni, une étude a montré que 61 % des 443 personnes interrogées
pensent que leur club n’a pas les infrastructures permettant la
pratique sportive par un porteur de handicap
.
Il serait intéressant de pouvoir comparer ces données avec celles
d’autres pays en Europe.
49. L’inclusion représente un défi pour la collectivité tout entière.
L’élimination des barrières qui font obstacle à l’accès au sport
pour tous, à travers une action consciente et ciblée, passe par
une première étape qui repose sur la compréhension et la sensibilisation
. Du point de vue des droits de l’homme,
l’accès au sport soulève la question de l’égalité et de la lutte
contre la discrimination. En cela l’éducation physique adaptée peut
être considérée comme un tremplin dans la bonne direction. La volonté
de changement devrait venir tant du participant que du club et recevoir
le soutien des collectivités locales. Les fournisseurs de programmes d’activité
physique adaptée devraient avoir vocation à faire bouger les lignes
plutôt que de maintenir les choses en l’état, en endossant pour
cela le rôle d’animateurs et de consultants, ou celui d’amis critiques comme
dans les écoles britanniques ou encore de gestionnaires de cas comme
dans les structures sportives australiennes.
50. Le rapport de 2010 de l'Agence des droits fondamentaux sur
le racisme dans le sport
indique
que dans au moins 16 Etats membres de l'Union européenne, des organismes
de promotion de l’égalité
ou d'autres institutions, telles
que les institutions nationales des droits de l'homme, interviennent
en cas d’inégalité d’accès au sport, d'incident raciste ou de discrimination
ethnique dans le sport. Les organismes de promotion de l'égalité
et les institutions nationales des droits de l'homme devraient,
donc, être davantage impliqués dans la lutte contre la discrimination
dans le sport. Ils pourraient collaborer avec les fédérations et
les clubs sportifs à l'organisation d'activités de sensibilisation
et offrir un soutien aux victimes éventuelles, et, s'ils y sont
autorisés, prendre part aux actions en justice intentées contre
les auteurs des faits.
51. Le Conseil de l’Europe s’est activement employé à promouvoir
l’intégration en éliminant les obstacles sociaux, culturels et autres
qui entravent l’accès au sport. Les 7 et 8 octobre 2013, à Budapest,
il a tenu une conférence sur le thème «L’inclusion et la protection
des enfants dans et par le sport», conférence co-organisée par l’Accord
partiel élargi sur le sport (APES) et le Secrétariat hongrois au
Sport en coopération avec la Campagne UN sur CINQ du Conseil de
l’Europe contre la violence sexuelle à l’égard des enfants. Concernant
l’inclusion des enfants roms dans et par le sport, des actions spécifiques
ont été envisagées. Les participants ont proposé que l’APES organise
des séminaires régionaux dans le but de réunir les responsables des
différents projets concernés et d’échanger des informations et des
bonnes pratiques, et de partager des informations sur les possibilités
de financement visant à augmenter le nombre de projets ciblant les
jeunes Roms. Il a également été suggéré que l’APES partage des expériences
de l’approche des jeunes Roms par le sport dans l’objectif de les
intégrer dans un parcours éducatif, avec les autorités et les organisations
qui travaillent sur le projet de l’Education pour tous.
52. L’on peut citer plusieurs exemples positifs de politiques
en faveur de l’intégration par le sport. Prenons celui de la Suisse où
les travaux approfondis menés ces dernières années ont amené le
Centre de compétences à formuler une approche plus systématique
en matière de promotion de l’intégration par le sport
. Ce Centre a entrepris plusieurs
actions concrètes, parmi lesquelles l’élaboration d’un manuel à l’intention
des moniteurs de sport fondé sur les résultats de la recherche appliquée,
la conception et la mise en œuvre de cours destinés aux moniteurs
de sport, aux enseignants et à d’autres groupes cibles, l’application du
concept aux programmes d’activité physique en place ou encore la
création d’une plateforme de diffusion des informations, de partage
de connaissances et de mise en réseau. Ces actions seront évaluées
par l’Office fédéral suisse du sport et en fonction des résultats
de cette évaluation, le programme sera adapté et mis en œuvre
.
5. Pour
une réorientation des politiques sportives en Europe
53. A l’issue de cette analyse,
il faudra se demander ce que nous pouvons changer pour être plus
efficaces dans la lutte contre les inégalités constatés tout en
sachant que les moyens à la disposition des pouvoirs publics ne
sont pas extensibles et que, aujourd’hui, la tendance est plutôt
aux réductions budgétaires qu’à la hausse. Il faut tout d’abord
arrêter de se dire que la marge de manœuvre est trop étroite pour
faire bouger les choses et avoir le courage d’agir, et le faire
de façon réfléchie.
54. A cet égard, ma première proposition est de changer de perspective
et de recentrer les politiques sportives sur deux axes prioritaires:
santé publique et intégration/cohésion sociale. Les objectifs d’une
politique sportive à l’échelon national devraient être le bien-être
des personnes, et le vivre ensemble au sein d’une communauté nationale.
Cette approche n’aurait au fond rien de surprenant.
55. D’une part, les Européens eux-mêmes déclarent à plus de 60 %
qu’ils pratiquent une activité sportive pour améliorer d’abord leur
santé
.
Il faudrait prendre davantage en considération ce constat dans le
cadre des politiques publiques: le sport est une pratique pour la
santé et toute inégalité d’accès au sport fait obstacle aux démarches
personnelles visant à se maintenir en bonne santé. Autrement dit,
investir dans le sport peut favoriser la maîtrise des dépenses pour
le système de santé en agissant comme facteur de prévention.
56. Cela mérite réflexion d’autant plus que les habitudes de vie
dans nos sociétés modernes engendrent des risques de santé que le
sport peut aider à contrer. A cet égard, les études de la European
Society of Cardiology, Euroaspire I, II et III en particulier, démontrent
que les modes de vie des Européens sont très souvent malsains, ce
qui favorise les risques de maladies cardiovasculaires et de diabète.
57. D’autre part, le sport offre des opportunités de rencontre
avec l’autre et de dialogue, et nous savons bien qu’il peut être
un élément puissant pour favoriser la création et le renforcement
d’un sentiment d’appartenance local, national et même européen:
le sport est donc en relation avec «le vivre ensemble». William
Gasparini et Clotilde Talleu ont fait observer que «le sport revêt
des vertus intégratives, il peut contribuer à la construction de
l’individu, il peut également consolider et diversifier la socialisation,
mais à la condition qu’il soit pensé et organisé de manière à répondre
à ces finalités».
58. C’est pourquoi je regrette la faible considération apportée
à la pratique sportive dans le rapport du Conseil de l’Europe «Vivre
ensemble. Conjuguer diversité et liberté dans l’Europe du XXIe siècle
». Le potentiel
du sport y est mentionné, mais sous-estimé. Pour moi, le sport doit
être un élément à part entière dans la construction et dans l’amélioration
de la vie en société. Les clubs sportifs en tant qu’associations
ont un potentiel de socialisation déterminant, tout simplement parce
que les citoyens apprécient l’activité sportive. Le sport, parce
qu’il passionne, grâce aussi aux exemples positifs que ses champions
peuvent donner et aux messages qu’ils peuvent transmettre au grand
public, a tout son rôle à jouer dans la construction des liens sociaux:
investir dans le sport peut nous aider à bâtir des sociétés plus
unies et solidaires.
59. Ce double constat devrait nous amener à une double conclusion:
- si les inégalités d’accès au
sport ont une incidence directe sur la santé publique, alors les
politiques sportives devraient être mieux coordonnées avec les politiques
de santé afin de lutter contre ces inégalités;
- si les inégalités d’accès au sport ont une incidence directe
sur le vivre ensemble, alors les politiques sportives devraient
être mieux coordonnées avec d’autres politiques qui visent l’intégration
et la cohésion au sein de nos sociétés, y compris les politiques
sociales et la politique d’éducation.
60. La perspective que je viens d’évoquer nous ouvre ainsi de
nouvelles pistes de réflexion qui me semblent intéressantes. Par
exemple, le développement progressif des dispositifs du type «sport
sur ordonnance»
pourrait être une initiative commune
entre ministères des sports et de la santé. Et encore, encourager
les enfants et les adolescents à s’inscrire à une pratique sportive
scolaire permet de prolonger le rôle de l’école dans le domaine
du sport. C’est un excellent complément aux cours d’éducation physique
et sportive, qui ne disposent pas d’un volume horaire conséquent
pour les élèves. Une offre adéquate de sport scolaire peut également
favoriser un choix différent des jeunes concernant l’utilisation
de leur temps libre, car pour la santé et la socialisation, une
heure de loisir sportif est une excellente alternative à une heure
de plus devant un ordinateur ou une tablette. En Espagne, la loi
10/1990 situe clairement le sport parmi les éléments fondamentaux
du système éducatif et vise à promouvoir la pratique d’activités
sportives par les jeunes et les personnes handicapées, également
grâce à l’installation d’équipements sportifs adaptés dans les établissements
éducatifs publics et privés.
61. En France, un récent rapport de la Cour des Comptes rappelle
les contrats de partenariats signés entre plusieurs fédérations
de sport scolaire, et 19 fédérations sportives classiques
.
Ces partenariats permettent aux écoles d’utiliser les infrastructures
des clubs dans une démarche éducative, évitant ainsi la construction d’équipements
lourds pour des petites structures scolaires, qui ont rarement les
moyens de les construire. Les fédérations de sport scolaire contribuent
ainsi à pallier aux inégalités d’accès au sport.
62. Le lien entre sport, éducation et intégration apparaît de
manière encore plus évidente si on pense au rôle que peuvent avoir
les éducateurs sportifs, dont l’emprise sur les jeunes sportifs
est notoire. Ainsi, pour combattre les stéréotypes, on pourrait
former les éducateurs sportifs pour qu’ils soient aussi un véhicule
de l’éducation à la citoyenneté démocratique. Souvent, des jeunes
qui refusent l’autorité parentale et l’autorité scolaire restent
à l’écoute de leur entraîneur ou éducateur sportif; si cet éducateur
est formé et répète un discours qui amène les jeunes à se poser
la question de leur place en tant que citoyens, cette démarche peut être
très efficace en termes d’intégration sociale.
63. La réflexion sur la dimension sportive d’autres politiques
peut aller plus loin encore. Nous savons que l’absence de moyens
économiques, couplé à l’insuffisance des structures accessibles
à un prix modéré, demeure l’entrave principale à l’accès au sport
pour la population dans son ensemble. La clé de la lutte contre ce
type d’inégalité se situe dans la capacité du secteur public et
privé à financer des infrastructures sportives; mais celles-ci impliquent
en général un budget conséquent – parfois tout simplement non soutenable
– pour les autorités publiques concernées (qu’elles soient locales,
régionales ou nationales).
65. Dans les projets concernant les zones de développement économique,
de même qu’on songe aux parkings, ne serait-il possible d’aménager
certaines zones avec des équipements sportifs? Cela pourrait aussi constituer
un atout. De façon similaire, dans le cadre de la construction ou
rénovation d’une école ou d’une université on pourrait réfléchir
aussi aux équipements sportifs: le traçage d’une piste d’athlétisme, l’aménagement
d’un terrain de basket ou de football, la création d’un gymnase
omnisport ne sont pas forcément des dépenses prohibitives et peuvent
être tout aussi importants pour l’environnement scolaire que d’autres
équipements.
66. Les pouvoirs publics devraient encourager la création de clubs
sportifs dans les zones rurales et les zones urbaines défavorisées.
Des mesures devraient être prises pour mettre en œuvre la Recommandation CM/Rec(2015)3
du Comité des Ministres sur l’accès des jeunes des quartiers défavorisés
aux droits sociaux laquelle appelle les Etats membres à «améliorer
les conditions de vie des jeunes des quartiers défavorisés en offrant
des services publics accessibles, bon marché et adaptés aux jeunes»
dans différents domaines, dont le sport. Elle recommande notamment
de prendre des mesures visant «à garantir un accès total et égal
aux installations sportives publiques, notamment en investissant
dans leur construction ou leur rénovation».
67. Les pouvoirs publics devraient également s’employer à lutter
contre le désintérêt marqué que suscite le sport féminin dans ce
que l’on appelle les zones urbaines prioritaires
. Sachant que la culture de la rue
exerce une influence croissante dans la socialisation d’une partie
des filles de ces quartiers, des efforts supplémentaires devraient
être déployés pour proposer de nouvelles solutions positives. Le
fait est que l’offre sportive dans ces quartiers s’adresse spécifiquement
aux garçons. La mise à disposition d’équipements sportifs adaptés
aux filles dans les quartiers défavorisés devrait permettre aux
filles et aux jeunes femmes d’avoir accès à la pratique du sport
sans crainte, sans violence ni appréhension quant à la manière dont
elles sont perçues dans le quartier. En Espagne, la loi organique
3/2007 sur l’égalité entre les hommes et les femmes exige que ce
principe soit dûment considéré lors de la conception et de la mise
en œuvre de tout programme public en matière de développement du
sport et appelle le gouvernement à promouvoir l’accès au sport pour
les femmes de tous âges et de tous niveaux (y compris décisionnaire)
par le biais de programmes spécifiques.
68. Il faudrait aussi appréhender différemment les enjeux économiques
du sport et entamer une réflexion sur une meilleure redistribution
des revenus généré par le sport professionnel de haut niveau – en
particulier grâce à des événements sportifs de grande envergure
qui génèrent des audiences télévisuelles importantes – afin de réserver
un pourcentage de ces revenus pour le financement de projets ayant
pour but d’améliorer l’accès au sport pour tous. C’est une question
d’intérêt général.
69. Par ailleurs, il faut observer que certains obstacles sont
renforcés par des attitudes qu’il est possible de modifier sans
efforts financiers supplémentaires. Par exemple, le service public
de radio-télévision pourrait faire un peu plus de place au sport
féminin et, en tout état de cause, promouvoir une vision du sport
non sexiste.
70. Les collectivités territoriales devraient être encouragées
à mettre en place, en coopération avec les fédérations sportives,
des mécanismes efficaces pour surveiller la discrimination dans
le domaine du sport, y compris les incidents de discrimination fondée
sur le handicap d’une personne, son identité raciale culturelle ou
ethnique, sa religion, son orientation sexuelle, son identité de
genre, son expression de genre ou ses caractéristiques sexuelles,
afin d'améliorer l'enregistrement de ces incidents et de faciliter
le dépôt de plaintes individuelles.
71. Je tiens également à manifester mon soutien à la proposition
du Conseil consultatif pour la jeunesse du Conseil de l’Europe appelant
à promouvoir de vastes travaux de recherche sur le thème du sport
et de l’inclusion sociale, afin d’élaborer de futures politiques
scientifiquement fondées et de prendre des décisions éclairées dans
le domaine du sport.
72. Enfin, le sport pour tous est un domaine où la collaboration
entre les pouvoirs publics et le monde du sport peut se faire, me
semble-t-il, assez aisément, les intérêts étant convergents. Le
Comité international olympique (CIO) et les comités nationaux olympiques
ont selon moi un rôle fondamental à jouer dans la promotion d’un
accès équitable au sport pour tous ainsi que dans l’évolution des
mentalités, non seulement dans le cadre de leurs propres actions
mais aussi en tant que catalyseurs de la participation d’autres partenaires
majeurs, notamment les grandes organisations sportives internationales,
les organismes de radiodiffusion et les équipementiers sportifs.
C’est pourquoi je propose que ce rôle soit reconnu et que l’on demande
au CIO et aux Comités nationaux olympiques d’apporter leur concours
en la matière.