1. Introduction
1. L’établissement du présent
rapport a été motivé par les circonstances exceptionnelles qui ont
prévalu à l’automne 2015, lorsque les arrivées de réfugiés
en
Europe occidentale via la Turquie, la Grèce et la route des Balkans
occidentaux ont atteint leur paroxysme. Les auteurs de la proposition
ont rappelé que la crise a provoqué au sein de l’opinion publique
des réactions diverses, notamment de rejet et de peur, d’où une réticence
généralisée à l’idée d’accueillir de nouveaux réfugiés. Alors que
les pays accueillant les plus gros effectifs de demandeurs d’asile
et de réfugiés sont mis à rude épreuve et que la pression va croissant,
la situation est telle qu’elle risque d’ébranler la solidarité politique
européenne et de porter un coup sévère aux efforts déployés pour
répondre aux besoins humanitaires des réfugiés. Il est également
noté que les États qui ont déjà accueilli un nombre particulièrement
élevé de réfugiés ont acquis une expérience précieuse en matière
d’intégration des nouveaux arrivants. Le partage de cette expérience
pourrait inciter à une plus grande solidarité et à une répartition
plus équitable du fardeau. Les auteurs de la proposition ont ainsi
appelé l’Assemblée parlementaire à analyser la situation dans ces
pays en vue d’adresser des recommandations aux États membres et
au Comité des Ministres.
2. Bien que la situation reste préoccupante en Grèce, qui accueille
désormais près de 63 000 réfugiés et continue d’enregistrer quelques
nouveaux arrivants, et en Italie où plus de 180 000 personnes sont
arrivées en 2016, elle s’est stabilisée dans la plupart des pays
d’Europe occidentale dont le nombre d’arrivées a considérablement
baissé depuis le printemps 2016, après la conclusion de l’accord
entre l’Union européenne et la Turquie. La crise des migrants et
des réfugiés n’en demeure pas moins un sujet de vives controverses politiques,
tant au plan national qu’européen, et une source de grande tension
entre les États. Les réfugiés continuent d’être diabolisés, de sorte
que les mécanismes essentiels de partage des responsabilités, comme les
programmes de relocalisation et de réinstallation, se sont avérés
insatisfaisants et la solidarité européenne a été mise à très rude
épreuve.
3. Malgré le climat d’anxiété et d’hostilité entretenu par certains
milieux politiques, beaucoup de pays ont déployé des efforts impressionnants
pour faire face au problème, accueillir des réfugiés et entamer
le processus de leur intégration dans la société. Ces exemples témoignent
de la capacité des États à absorber des effectifs même très importants
de réfugiés et de demandeurs d’asile d’une manière qui profite à
la fois aux nouveaux arrivants et aux sociétés d’accueil dès lors
qu’il existe une volonté politique claire, une communication efficace
au sujet des politiques, ainsi qu’une mobilisation et une coordination
effectives de ressources administratives et sociales. Le présent
rapport procède à un examen de certaines de ces situations qui servira
de base à la formulation de recommandations d’actions à entreprendre
aux plans national et européen.
4. Pour le Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales
dont le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR),
l’intégration n’est pas synonyme d’assimilation selon laquelle les nouveaux
arrivants adoptent la culture, les valeurs et les traditions des
sociétés d’accueil en lieu et place des leurs. Elle ne s’apparente
pas non plus au multiculturalisme des communautés autochtones et
de réfugiés ou migrants menant des existences séparées et parallèles,
dictées par leurs cultures, valeurs et traditions d’origine. Une
intégration réussie repose sur le respect des valeurs fondamentales
de la société d’accueil, notamment de ses principes constitutionnels
et normes culturelles. Elle associe les réfugiés à la vie économique,
sociale et culturelle quotidienne de la communauté hôte et reflète
la compréhension et le respect de la situation et des origines culturelles
des réfugiés. Il s’agit d’un processus continu et non d’une fin
en soi, fondé sur une coopération tripartite constructive entre
les autorités, la communauté d’accueil (en particulier la société
civile) et les réfugiés.
5. Dans le cadre de la préparation du présent rapport, la commission
des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées a tenu une
audition avec M. Jean-Christophe Dumont de l’Organisation de coopération et
de développement économiques (OCDE)
et
la sous-commission sur l’intégration a organisé une conférence à
Berlin sur l’expérience de l’Allemagne en matière d’intégration
des réfugiés et des migrants
. Après avoir examiné
divers exemples pertinents de bonnes pratiques dans deux États membres
– un grand et un petit – présentant des écarts importants dans le
nombre d'arrivées, j'ai décidé d’effectuer des visites d'information
en Allemagne et au Portugal
et
j'ai également organisé une audition au Parlement finlandais sur la
situation dans mon pays. Je tiens à remercier toutes les personnes
concernées pour leurs précieuses contributions.
6. De surcroît, un questionnaire sur les politiques nationales
d’intégration a été diffusé par l’intermédiaire du Centre européen
de recherche et de documentation parlementaires (CERDP), auquel
36 pays ont répondu. Les données substantielles ainsi recueillies
ont été compilées sous la forme d’un document d’information qui s’avérera
probablement fort utile bien au-delà du cadre du présent rapport,
faisant office de «recueil» et de référence pour d’autres études.
J’ai fait état dans ce rapport de quelques exemples fournis par
les personnes ayant répondu
.
2. Politiques nationales
2.1. Environnement
politique
7. Étant donné qu’en vertu du
droit international, seules des circonstances exceptionnelles peuvent
justifier l’expulsion de réfugiés, et que ces derniers sont en mesure
de séjourner dans le pays pendant des années, des décennies voire
indéfiniment, leur intégration effective dans la société est de
toute évidence dans l’intérêt du pays d’accueil. Les responsables
politiques doivent reconnaître cet état de fait et s’employer à
façonner l’opinion de manière à obtenir son soutien en faveur de
l’intégration en tant que bien public dans lequel il vaut la peine
d’investir
.
8. L’intégration est vouée à l’échec dès lors que les responsables
politiques ne montrent pas la voie en défendant la faisabilité et
l’opportunité de l’intégration des réfugiés et ne parviennent pas
à en convaincre la population générale. Il en va de même s’ils ne
sont pas capables de mettre en place un cadre législatif et politique
approprié et d’allouer des ressources suffisantes. À cet égard,
le célèbre slogan martelé par la chancelière allemande, Angela Merkel,
«Nous pouvons le faire» a rassuré beaucoup d’Allemands, persuadés ainsi
que les autorités nationales avaient à la fois conscience de l’ampleur
du défi et confiance dans leur capacité à le relever.
9. Pour continuer à bénéficier de l’appui du public, les autorités
doivent trouver un compromis entre les dépenses consacrées à l’intégration
des réfugiés et celles destinées à répondre aux besoins d’autres
groupes défavorisés. Au Bade-Wurtemberg, par exemple, une administration
récemment élue a fermé le ministère régional chargé des questions
relatives aux migrations et à l’intégration au motif qu’il était
discriminatoire à l’égard d’autres groupes. En Allemagne sur un
plan général, les autorités ont été contraintes de donner l’assurance
à la population que les sommes considérables consacrées par le pays
aux réfugiés n’ont entraîné ni déficits budgétaires, ni réductions
dans d’autres domaines. Au Portugal, les centres «à guichet unique» chargés
de l’accueil et de l’intégration des réfugiés et des migrants se
sont inspirés des «boutiques du citoyen» existantes qui fournissent
des services similaires aux résidents portugais.
10. La confiance qu’a le public dans la capacité des autorités
à gérer un système d’asile et d’intégration efficace dépend également
de l’obtention de résultats concrets bien visibles, à commencer
par une procédure d’enregistrement rapide et méthodique et l’hébergement
des demandeurs d’asile. De la même manière qu’un système d’asile
et d’intégration efficace est susceptible de créer un cercle vertueux
caractérisé par la confiance de la population, des réfugiés productifs
et bien intégrés, et un consensus politique, un système mal géré aboutit
à un cercle vicieux marqué par l’inquiétude du public, la marginalisation
voire la radicalisation des réfugiés et le mécontentement politique,
si ce n’est l’extrémisme. Étant donné le nombre de réfugiés arrivés
en 2015 et 2016, et les crises et conflits en cours dans les pays
«producteurs» de réfugiés, l’intégration de ces derniers restera
un défi et enjeu de taille pendant un certain temps encore.
11. Les responsables politiques ne doivent pas verser dans les
discours de haine à l’égard des réfugiés. La législation et la politique
nationales devraient prévoir des mesures appropriées contre de tels
propos haineux, quel qu’en soit le contexte, y compris les déclarations
dans les médias. À cet égard, le travail accompli par la Commission
européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) est extrêmement
important, qu’il s’agisse de son monitoring par pays ou de ses recommandations
de politique générale, notamment la no 5
sur la lutte contre l’intolérance et les discriminations envers
les musulmans, la no 15 sur la lutte
contre le discours de haine et la no 16
sur la protection des migrants en situation irrégulière contre la
discrimination. Le programme conjoint du Conseil de l’Europe et
de l’Union européenne «Communication pour l’intégration» (C4i),
mis en œuvre dans 11 villes européennes, lutte contre les préjugés,
les rumeurs et les stéréotypes concernant les réfugiés et les migrants
au moyen de techniques de communication virale pour apporter des
réponses factuelles à des idées aussi fausses que répandues, grâce
à la participation active de citoyens faisant office «d’agents anti-rumeurs»
. Il faut également citer la campagne
«Ni haine ni peur» de l'Assemblée parlementaire, lancée par son
Président, qui vise à éviter tout amalgame entre les craintes causées
par le terrorisme et la méfiance ou la haine à l’égard des étrangers.
12. Au Portugal, des campagnes de sensibilisation du public à
l’action des autorités sont organisées dans divers médias et des
programmes participatifs, comme par exemple «Mentores para migrantes»
(«Des tuteurs pour les migrants»), encouragent l’implication de
la population. Le Centre national d’aide aux immigrés établi à Lisbonne
gère un centre de documentation sur l’immigration, l’éducation interculturelle
et la lutte contre le racisme et la discrimination et publie des
brochures et des fiches d’information pour promouvoir «une société plus
tolérante et accueillante».
2.2. Contexte
administratif national
13. Chaque pays dispose de sa propre
structure administrative. Il est toutefois essentiel qu’au sein
de chaque système administratif, les différents services coopèrent
et coordonnent leur travail, afin d’assurer un flux d’information
efficace, le recours au savoir-faire et la coordination des activités,
d’éviter les chevauchements inutiles. Il est également important
de garantir une responsabilité juridique et politique effective.
Dans les pays scandinaves, les demandeurs d’asile reçoivent un numéro
d’identification personnel commun aux différents registres administratifs,
donnant accès à des informations sur le statut de résidence, l’éducation,
l’emploi et la participation aux programmes de l’intéressé, par
exemple. De même, en Allemagne, tous les demandeurs d’asile se voient
attribuer, au moment de leur enregistrement, une carte d’identité spéciale
qui permet aux autorités d’accéder à diverses informations concernant
l’état de santé, le niveau d’instruction et l’expérience professionnelle
des titulaires. Les autorités doivent également être attentives
au risque de chevauchement anarchique des activités dû à un excès
d’enthousiasme de certains organes, ce qui a été le cas, par exemple,
en Allemagne et en Finlande.
14. Dans bien des cas, les structures existantes peuvent constituer
le socle de l’action administrative, dans la mesure où la plupart,
si ce n’est la totalité, des services de base nécessaires à l’intégration
des réfugiés sont déjà en place à l’intention de la population générale.
Elles peuvent cependant nécessiter certaines adaptations et des
ressources supplémentaires. Dans les pays relativement peu habitués
à accueillir des réfugiés ou confrontés subitement et de manière
inopinée à des arrivées massives, il peut s’avérer nécessaire d’envisager la
création de nouvelles structures. Il convient de garder à l’esprit
l’expérience finlandaise: alors que le modèle d’intégration s’est
avéré efficace face à un effectif réduit de demandeurs d’asile,
les autorités ont été quelque peu débordées par l’augmentation massive
des arrivées en 2015, qui a entraîné une fragmentation de leurs actions
et révélé la rigidité du système à l’égard des personnes en proie
à des problèmes complexes.
15. De plus en plus d’autorités nationales et locales ont mis
en place des bureaux ou plans d’action spécifiques. L’Allemagne,
par exemple, s’est dotée d’une Déléguée du gouvernement fédéral
à la migration, aux réfugiés et à l’intégration, fonction que le
gouvernement envisage désormais de faire évoluer en un ministère
à part entière. Par ailleurs, une unité spéciale en charge de la
cohésion sociale et de l’intégration a été créée au sein du ministère
fédéral de l’Intérieur en février 2016. En mai 2016, la ville de
Berlin a adopté un nouveau «Plan directeur complet sur l’intégration
et la sécurité»; à un niveau plus circonscrit, la police de l’arrondissement
de Neukölln à Berlin a établi une unité spéciale chargée de faciliter
l’intégration des réfugiés et des migrants, à titre également de
mesure de confiance. Dès 2007, la ville de Bergen en Norvège a mis
en œuvre un plan d’action intitulé «L’intégration est la responsabilité
de tous et de toutes» contribuant à l’application au niveau de la
commune de la loi norvégienne de 2003 relative à l’insertion, censé
améliorer la participation des migrants arrivés récemment à la vie
professionnelle et sociale et renforcer leur autonomie financière.
Au Portugal, trois centres nationaux d’aide aux immigrés ont été
créés à Lisbonne et Porto en 2004 et à Faro en 2009, et emploient
des médiateurs interculturels qui jouent un rôle déterminant. En
revanche, les autorités municipales d’Helsinki, en Finlande, ont
déploré l’absence d’une autorité centrale chargée d’aider les réfugiés
à trouver leur propre identité et leur place dans la société finlandaise.
16. Dans ce contexte, la coopération interfonctionnelle est tout
aussi importante. L’Autriche dispose d’un comité consultatif pour
l'intégration qui est coordonné par le ministère de l'Intérieur
et auquel participent toutes les parties concernées. En Flandre,
un comité ministériel «sur la crise de l’asile et des réfugiés»
a été créé en 2015. À Chypre, une équipe spéciale multifonctionnelle
chargée de l’intégration a été créée afin d’examiner conjointement
différents aspects des migrations et de l'asile. En République tchèque,
l'administration chargée des installations pour les réfugiés a la
même fonction. L'Estonie dispose d’un Conseil de coordination des politiques
pour les réfugiés et la Finlande d'un Conseil consultatif interinstitutionnel
pour les relations ethniques. Le Conseil des migrations du Portugal
est un organe qui se penche sur toutes les lois relatives aux migrations
et comprend les 10 plus grandes communautés de migrants et 48 partenaires
différents. Tout projet de loi lié à la migration au Portugal doit
passer par ce conseil.
3. Administration
locale et régionale
17. Si la détermination du statut
de réfugié et la législation, par exemple, relèvent habituellement
des responsabilités nationales, il incombe principalement aux collectivités
locales d’assumer la charge liée à la fourniture des services. Il
est de ce fait essentiel de prendre pleinement en compte les avis
des pouvoirs locaux et régionaux lors de la conception et de la
mise en œuvre de politiques nationales et, le cas échéant, de mettre à
leur disposition des ressources suffisantes pour faire en sorte
que les collectivités locales et régionales puissent s’acquitter
efficacement de leurs responsabilités. En septembre 2015, au plus
fort de la crise des réfugiés, et malgré une politique d’austérité
budgétaire stricte dans le pays, l’Allemagne a alloué 600 millions d’euros
supplémentaires aux budgets régionaux à partir des comptes fédéraux.
Par ailleurs, en janvier 2016, la chancelière fédérale a organisé
une conférence avec les régions en vue de convenir d’un plan d’intégration national,
qui s’est soldé au final par une nouvelle aide fédérale de 9,3 milliards
d’euros aux régions et communes
18. Lorsque des effectifs importants de réfugiés arrivent dans
un pays sur une courte période, il peut s’avérer nécessaire de les
affecter à différentes régions de manière à répartir la charge financière
et administrative L’expérience a cependant montré que divers facteurs
peuvent inciter les réfugiés et demandeurs d’asile à s’installer
ailleurs dans le pays. Ces facteurs incluent notamment la séparation
d’avec d’autres membres de la famille ou de communautés établies
de mêmes nationalité, origine ethnique, langue ou religion, ainsi
que l’absence relative de possibilités d’emploi dans la localité.
L’adoption de mesures visant à imposer une affectation régionale,
par exemple les restrictions de l’accès aux prestations et services
dans d’autres régions, peut avoir un impact négatif sur l’intégration,
y compris sur les taux d’emploi. Les conséquences d’une répartition
régionale déséquilibrée des réfugiés et demandeurs d’asile peuvent
être en partie compensées par un niveau variable d’aide financière
apportée aux régions par les autorités nationales. À cet égard,
il convient de souligner qu'il est important d'éviter la ségrégation
entre les zones résidentielles ainsi que la ghettoïsation, qui,
dans le pire des cas, peuvent entraîner l’interruption des programmes d'intégration,
voire annuler leurs effets bénéfiques.
19. L’efficacité exemplaire dont ont fait preuve les autorités
de la Sarre à l’égard des demandeurs d’asile depuis leur arrivée
jusqu’à leur hébergement dans les communautés locales, en a attiré
d’autres installés ailleurs dans le pays. J’ai également entendu
dire que dans la région de Berlin-Brandebourg, la ville de Berlin offrait
des possibilités d’emploi mais souffrait d’une pénurie de logements,
tandis que la région proche du Brandebourg avait des capacités d’hébergement
inutilisées mais avait peu fait pour aider les demandeurs d’asile
à trouver un travail en tant, par exemple, que soignants ou chauffeurs
de taxi. Selon l’OCDE, la situation sur le marché du travail local
à l’arrivée est un facteur déterminant pour une intégration durable
des réfugiés sur un plan général et leur taux d’emploi à long terme.
Il est donc important d’éviter de se retrouver dans une situation
dans laquelle les nouveaux arrivants sont installés dans des zones
où des logements peu onéreux sont disponibles, mais où les possibilités
d’emploi sont rares. Le Danemark, l’Estonie, la Finlande, le Portugal et
la Suède comptent parmi les quelques pays à prendre en considération
les perspectives d’emploi au plan local dans leurs dispositifs de
dispersion.
20. La situation au Portugal diffère sensiblement de celle des
autres pays examinés dans le présent rapport, en raison principalement
de l’ampleur moindre de la migration dans le pays. En février 2017,
1 063 migrants avaient été relocalisés et avaient immédiatement
bénéficié d’un lieu d’hébergement local sans avoir à transiter par
des centres d’accueil. Les centres nationaux d’aide aux immigrés
(CNAI) sont rattachés à un réseau de 49 centres locaux d’aide aux
immigrés (CLAII) qui, en partenariat avec 89 communes à ce jour,
fournissent des logements, des services d’information au plan local
et un accès direct au réseau national.
21. Je tiens également à évoquer le programme des Cités interculturelles
du Conseil de l’Europe. Bien que son champ d’application général
s’étende au-delà de l’intégration des réfugiés, il a souvent centré
l’action des autorités municipales sur ce domaine. J’encourage les
lecteurs à consulter par exemple le rapport relatif au séminaire
sur l'innovation sociale pour l’intégration et l'inclusion des réfugiés,
organisé à Bruxelles les 12 et 13 septembre 2016; le rapport sur
la visite d’étude consacrée à l’intégration des réfugiés menée à
Bergen (Norvège) les 9 et 10 juin 2016; le résumé du 1er atelier
du réseau portugais des cités interculturelles sur «La question
des réfugiés» tenu le 26 janvier 2016; ou encore le rapport relatif
au séminaire du réseau des Cités interculturelles organisé à Neuchâtel
(Suisse) les 29 et 30 octobre 2015
.
4. Des
approches participatives de part et d’autre
4.1. Rôle
de la société civile
22. Parallèlement aux autorités
publiques, la société civile a un rôle crucial à jouer, depuis la
fourniture de services de base tels que l’alimentation, le logement
et les soins médicaux au moment de l’arrivée, en passant par l’assistance
dans les démarches administratives et juridiques durant et après
la détermination du statut de réfugié, jusqu’aux projets d’intégration
comme les formations linguistiques ou professionnelles et les activités sociales/culturelles,
voire même les programmes anti-radicalisation (voir ci-dessous).
La société civile présente l’avantage de la flexibilité, de la créativité
et de l’adaptabilité, et les réfugiés peuvent se sentir plus en confiance
avec les organisations de la société civile qu’avec les autorités
pour être épaulés dans certains domaines. Le rôle de la société
civile mérite à ce titre d’être reconnu, encouragé et au besoin
soutenu par les autorités, car il peut impliquer des activités que
ces dernières auraient du mal à entreprendre elles-mêmes. Cependant,
les règles délimitant les responsabilités de chacun doivent être
claires et les autorités devraient collaborer avec la société civile
afin de rechercher des synergies. Il faut absolument éviter d’essayer
de confier à la société civile des tâches qui n’entrent pas dans
son champ de compétences et ne correspondent pas aux ressources
dont elle dispose.
23. Un des inconvénients de la spontanéité et de l’indépendance
des projets de la société civile est le défaut de coordination,
avec un risque de duplication et de synergies inexploitées avec
d’autres acteurs de la société civile et les autorités. Il est un
domaine où les autorités peuvent, notamment au plan local, apporter
leur contribution. Dans l’arrondissement de Neukölln à Berlin, par
exemple, la municipalité a mis en place en juin 2015 un bureau de
coordination pour les réfugiés, dans le but de parvenir à une vision
globale du travail des bénévoles, des start-ups et des organisations
de la société civile, et de mieux soutenir leur action. En République
tchèque, des réunions ont lieu à intervalles réguliers entre les
ministères et la société civile afin d'assurer la mise en œuvre
des mesures nécessaires et leur coordination. Au Portugal, la diversité
ethnique des résidents portugais et la prise de conscience réelle
de la nécessité de lutter contre le déclin démographique ont permis
d’atténuer les réactions d’hostilité et la défiance à l’égard des
nouveaux arrivants. De plus, un système de tutorat volontaire organisé
par les autorités publiques encourage également les citoyens à prendre
une part active, à titre individuel, à l’aide apportée aux réfugiés
pour leur intégration et à se sentir quelque peu responsables de
leur bien-être.
24. Dans de nombreux pays, l'église joue également un rôle important
dans le processus d'intégration, notamment en ce qui concerne l’accueil
et l'hébergement rapides. L'église et sa communauté, souvent très active,
peuvent fournir directement des services de base et faciles d’accès
aux réfugiés, quelle que soit leur religion. En Arménie, en République
tchèque, en Finlande, en Hongrie et au Royaume-Uni, l'église a participé activement
à l'intégration des réfugiés à différents niveaux.
4.2. Nécessité
d’impliquer les réfugiés eux-mêmes et de développer des approches individualisées
25. Personne n’est en mesure de
mieux comprendre les besoins d’intégration des réfugiés que les
réfugiés eux-mêmes. Pourtant, ces derniers ne sont pas toujours
consultés lors de l’élaboration des politiques d’intégration, et
leurs préférences et besoins individuels ne sont pas pleinement
pris en compte lors de leur mise en œuvre
. Pour réaliser
son plein potentiel, la politique d’intégration doit impérativement
associer les réfugiés non pas en tant que bénéficiaires passifs
«à intégrer», mais en tant qu’acteurs indépendants et dynamiques,
dont le souhait le plus cher est de retrouver dignité et autonomie.
26. Les réfugiés ont une expérience, des qualités et des besoins
uniques. Une approche «standardisée» de l’intégration risque de
ne pas répondre aux exigences de bon nombre d’entre eux. Cela ne
veut pas dire qu’il faille réinventer la roue de l’intégration pour
chaque individu, mais il convient de préserver une marge d’adaptation
à ses circonstances spécifiques. Les pays scandinaves, par exemple,
proposent des systèmes essentiellement personnalisés, d’une durée
de deux ou trois ans en fonction des besoins de la personne concernée.
En Belgique, le gouvernement flamand a approuvé un plan d’action
2016-2019 favorisant l’intégration horizontale afin de réduire l'écart
ethnique et d’améliorer le statut social des réfugiés. Ce plan définit
quatre objectifs stratégiques: promotion de la participation sociale
et économique, amélioration de la connaissance du néerlandais par
des locuteurs non-autochtones, renforcement du respect mutuel et réalisation
d'une politique d'intégration harmonisée, fondée sur des données
factuelles et largement soutenue. L’idée de départ est que l'intégration
est un processus à double sens et que les responsabilités sont partagées entre
les individus et les institutions.
27. À Bergen, en Norvège, le programme «Seconde Chance» propose
aux réfugiés qui n’ont pas achevé la formation professionnelle,
sociale et linguistique durant la période habituelle de deux ans,
des plans personnalisés axés plus précisément sur les compétences
linguistiques et l’intégration sur le marché de l’emploi. Quatre-vingts
pour cent des participants à ce programme sont des femmes qui assument
aussi des responsabilités familiales. La politique norvégienne porte
généralement une attention particulière aux réfugiés peu qualifiés
afin de leur permettre d’acquérir les compétences de base dont ils
ont besoin pour être opérationnels, grâce à des formations linguistiques
et des cours sur la société et la culture du pays. À l’autre extrémité
du spectre éducatif, l’ONG allemande Kiron Higher Education permet
aux étudiants réfugiés de s’inscrire et d’étudier en ligne, d’accumuler
des crédits de cours et au final de passer un diplôme dans l’une des
25 universités partenaires. L’École ReDI de formation au numérique
aux fins de l’intégration de Berlin propose des formations à la
programmation informatique pour les réfugiés et les aide à présenter
leur travail à des employeurs potentiels, dont beaucoup ont fait
montre d’un grand intérêt pour leurs activités et les soutiennent.
28. Les associations représentant les réfugiés peuvent jouer un
rôle important en sensibilisant la société à la situation de leurs
membres. L’ONG grecque Solomon publie un magazine en ligne dans
lequel des migrants, des réfugiés et des ressortissants grecs expriment
leurs opinions sur un large éventail de sujets d’intérêt social. Les
projets de mentorat peuvent remplir une fonction similaire: la plateforme
en ligne berlinoise «Start with a Friend» réunit ainsi des réfugiés
et des mentors locaux afin de favoriser un apprentissage réciproque,
de développer un engagement à long terme et, dans l’idéal, une amitié
et d’apporter conseils et assistance sur des questions d’ordre pratique.
Le Forum grec pour les réfugiés a organisé une réunion fructueuse
avec des membres du parti d’extrême droite «Aube dorée», connu pour
ses positions anti-réfugiés et anti-migrants, dans le but d’instaurer
un dialogue entre réfugiés et communautés hôtes.
29. Plus tôt les réfugiés se sentiront acceptés dans le pays d’accueil,
engagés dans un dialogue constructif avec les autorités nationales
après leur enregistrement et le dépôt de leur demande d’asile, et
protégés contre le refoulement du
fait de l’octroi du statut de réfugié, plus tôt ils disposeront
de fondements matériels et psychologiques sur lesquels s’appuyer
pour mener des activités sociales et économiques. L’accueil, l’enregistrement
et en particulier la procédure de détermination du statut de réfugié
peuvent nécessiter un certain temps. La longueur excessive de cette
dernière est déstabilisante pour les réfugiés et sape les efforts d’intégration.
De nombreux pays proposent de ce fait diverses formes de mesures
d’intégration à un stade très précoce, voire avant même la décision
relative à l’octroi du statut de réfugié, ou après un certain délai
dans cette procédure.
5. Créer
des cadres d’intégration durables
5.1. Prise
en charge sanitaire et soutien psychologique et social
30. De nombreux réfugiés arrivent
en Europe au terme d’un voyage difficile et peuvent être fortement traumatisés
par les épreuves dues au conflit et au fait de fuir leur domicile
et de quitter leurs familles. Il est donc important que du personnel
et des établissements médicaux et sociaux soient en place pour détecter
les problèmes psychologiques à un stade précoce. L’incapacité de
résoudre ces problèmes peut avoir des conséquences très vastes,
par exemple sur l'emploi, l'apprentissage des langues, l'éducation
et l'interaction avec les autorités. Pourtant, l'OCDE signale que
le nombre de pays qui dépistent les problèmes de santé mentale est
très faible, à l’exception notable de la Suède, où la question est
traitée lors des examens médicaux de routine. Dans plusieurs pays,
des ONG spécialisées s’occupent des réfugiés, telles que Hemayat
en Autriche, le Conseil de psychologie interculturelle au Danemark,
le Centre des survivants à la torture en Finlande et Freedom from
Torture au Royaume-Uni. La Belgique a également lancé un projet
qui finance six psychologues (à temps plein) déployés dans des centres
d’orientation scolaire situés dans six régions, afin d’aider les
enfants réfugiés qui présentent des problèmes liés à des traumatismes.
Les États membres devraient veiller à ce que les services sociaux
et médicaux disposent d’un nombre suffisant d’agents formés en psychologie
pour détecter des besoins et problèmes spécifiques le plus tôt possible.
5.2. Hébergement
31. Quelle que soit la politique
d’intégration, tous les réfugiés nouvellement arrivés ont droit
à des services essentiels tels qu’un hébergement décent, des soins
de santé et un soutien psychosocial; la non-satisfaction de ces
besoins par les autorités peut constituer une violation de leurs
obligations légales. Cependant, la fourniture d’un logement convenable
est également un élément important dans la perspective de l’intégration. Lorsque
des arrivées soudaines et massives de réfugiés et de demandeurs
d’asile ne laissent d’autre choix aux autorités que de les loger
dans des hébergements de masse, ils devraient être transférés dès
que possible dans des habitations situées en zones résidentielles.
Cette démarche facilite la stabilisation et la normalisation de
leurs conditions de vie, leur permet de développer des routines
quotidiennes plus individualisées et autonomes – essentielles pour
retrouver vie familiale, dignité et estime de soi – et de nouer
des contacts avec les communautés d’accueil.
32. Diverses initiatives s’efforcent de loger les réfugiés chez
des membres de la communauté hôte: en France, la plateforme en ligne
«Comme à la maison», créée par l’ONG Singa, permet à des citoyens d’accueillir
temporairement chez eux des réfugiés, donnant à ces derniers un
aperçu sans pareil de la communauté d’accueil et la possibilité
de nouer des contacts; et dans l’arrondissement de Neukölln à Berlin, une
autre start-up à vocation sociale, «Refugees Welcome», joue un rôle
similaire. À Anvers, en Belgique, il existe un système appelé «Cohousing
Curant» pour aider les jeunes récemment arrivés à partager leurs logements.
Des ONG et des églises hongroises ont également mis en œuvre des
projets qui combinent l’occupation gratuite d’un logement temporaire
et un travail social. Depuis 2007, le ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni
a accordé des prêts à des réfugiés enregistrés afin de favoriser
leur intégration. Les prêts peuvent être utilisés pour se loger.
5.3. Scolarisation
et enseignement primaire
33. L'intégration des enfants a
souvent lieu à l'école, mais l'éducation préscolaire dispensée par
des garderies peut aussi la faciliter. Dans une garderie, en effet,
l’enfant peut apprendre en toute sécurité la langue du pays hôte,
échanger avec d'autres enfants et adultes et acquérir des compétences
adaptées aux coutumes et aux traditions du pays d’accueil. En outre,
grâce à ce type d’établissement, les parents peuvent se concentrer
davantage sur leur propre procédure d'intégration, trouver un emploi
et se livrer à d'autres activités civiques. Dans «l’ex-République
yougoslave de Macédoine», le Plan d'action pour la mise en œuvre
de la stratégie nationale d'intégration des réfugiés et des étrangers
fait spécifiquement référence à la création de garderies pour enfants
en âge préscolaire. Dirigées par la communauté, les garderies permettront
aux mères ou aux parents isolés de s’intégrer au marché de l’emploi.
En Belgique, le gouvernement flamand a mis en place des mesures
spécifiques pour renforcer la participation des enfants aux activités
préscolaires. L'Arménie, le Liechtenstein et la Lituanie appliquent
également des dispositions spéciales pour faciliter l'accès des
enfants réfugiés aux garderies. En Finlande, la ville d’Helsinki
utilise son vaste réseau de terrains de jeux et de centres familiaux
publics pour promouvoir le «Kotoklubi Kaneli». Il s’agit d’un projet
visant à faire participer les petits enfants finlandais à des activités
éducatives centrés sur le jeu, le chant, l’art et des activités fonctionnelles
en utilisant la méthode du «toisto» (répétition) pour leur faire
apprendre le finnois.
5.4. Regroupement
familial
34. Pour les réfugiés qui arrivent
sans leur famille, la préoccupation la plus urgente est d’assurer
la sécurité de leurs proches et de réunir la famille dans le pays
d’accueil. Bien sûr, avant que ce regroupement n’intervienne, ils
n’auront pas l’attention et la tranquillité d’esprit indispensables
pour participer à d’autres mesures d’intégration. Il est donc important
que la législation nationale et la politique de regroupement familial soient
claires, correctement expliquées et administrées avec efficacité.
Il convient de trouver des solutions flexibles et innovantes à des
problèmes pratiques, tels que l’établissement de la preuve des liens
familiaux ou la gestion des rendez-vous pour le dépôt des demandes
ou les entretiens. La politique de regroupement familial devrait
adopter une approche large et inclusive de la définition de la famille,
incluant non seulement les enfants mineurs et les parents, mais
aussi les proches comme les frères et sœurs adultes et les parents
âgés dépendants, lorsque leur exclusion risque de créer des dilemmes
impossibles pour les membres de la famille qui auraient droit au
regroupement familial.
35. La décision de l’Allemagne de suspendre le regroupement familial
pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire durant une période
de deux ans, à compter de mars 2016, a été largement critiquée.
Elle a été particulièrement lourde de conséquences car après son
adoption, le nombre de personnes, dont beaucoup de Syriens, qui
se sont vues octroyer cette protection plutôt que le statut de réfugié,
a augmenté significativement. Mes discussions à Berlin m’ont cependant
laissé entrevoir que les autorités allemandes avaient conscience
de ces critiques et percevaient davantage l’importance du regroupement
familial pour l’intégration. Les autorités m’ont en effet affirmé
qu’au terme de la période de suspension, elles s’emploieraient à
garantir un traitement rapide et efficace de toutes les demandes
de regroupement familial.
5.5. Mineurs
non accompagnés et membres d’autres groupes particulièrement vulnérables
36. Une attention particulière
doit être portée aux mineurs non accompagnés
, qui arrivent souvent à la fin de
la scolarité obligatoire dans le pays d’accueil et qui sont parfois
réticents à poursuivre des études et préfèrent travailler. Leur
manque de maîtrise de la langue, de qualifications officielles et
d’expérience professionnelle pertinente risque de les obliger à
travailler illégalement, pour une rémunération dérisoire, voire même
dans des conditions d’exploitation, ou encore de les laisser sans
emploi, ni éducation ou formation. De telles situations peuvent
avoir des conséquences négatives durables pour la personne concernée,
auxquelles il sera de plus en plus difficile de remédier à mesure
que le temps passe. L’expérience a montré la nécessité de consacrer
des dépenses trois à cinq fois supérieures pour parvenir à des résultats
satisfaisants en matière d’intégration des mineurs non accompagnés.
Il convient cependant de garder à l’esprit qu’à défaut de prendre de
telles mesures, le coût sera à long terme beaucoup plus élevé, tant
pour les enfants concernés que pour la communauté d’accueil.
37. Des structures d’hébergement spécifiques devraient être créées
pour fournir un environnement protégé aux mineurs non accompagnés,
et proposer un accès direct aux services d’intégration, en commençant
par une formation linguistique; il peut s’agir, dans certaines conditions,
d’une famille d’accueil. Les réfugiés mineurs non accompagnés devraient
se voir attribuer un tuteur et bénéficier d’un programme de soutien personnalisé,
y compris de mesures d’intégration. À Bergen, en Norvège, par exemple,
la municipalité procède à une évaluation individuelle des besoins
de chaque enfant à son arrivée, puis répète l’opération à intervalle réguliers.
Une aide est apportée aux enfants pour leur permettre d’exprimer
leurs souhaits et attentes à l’égard du système de protection sociale
et d’assistance et leurs projets pour l’avenir.
38. Des dispositions spéciales devraient également être mises
en place pour les mineurs non accompagnés arrivant à l’âge adulte,
afin d’éviter toute transition abrupte et déstabilisante d’un régime
administratif, et du soutien qu’il apporte, à un autre
.
À Berlin, par exemple, les autorités, en collaboration avec l’association
pour la formation professionnelle, se sont fixées comme objectif
d’amener l’ensemble des 12 000 réfugiés âgés de 16 à 21 ans à suivre
des études ou une formation. Elles prévoient également la mise en
place d’un contrôle des progrès réalisés et une coordination des
actions depuis la phase initiale d’alphabétisation et/ou d’apprentissage
de la langue dans les «classes de bienvenue», tout au long du système
scolaire allemand normal pour ceux de la tranche d’âge appropriée,
puis dans le cadre de la formation professionnelle, jusqu’à, espérons-le,
l’obtention d’un emploi. La «SchlaU-Schule» à Munich offre un environnement
spécialement adapté, avec des enseignements individualisés, pour
aider les mineurs non accompagnés et jeunes adultes réfugiés à obtenir
leur certificat de fin d’études. Les autorités devraient également
profiter de la présence d’enseignants qualifiés au sein de la communauté
des réfugiés, comme c’est le cas en Suède, où des enseignants syriens
donnent des cours en arabe aux demandeurs d’asile nouvellement arrivés,
tout en participant eux-mêmes à des formations pédagogiques complémentaires.
39. Les membres d’autres groupes vulnérables devraient également
bénéficier d’une protection appropriée. Pour en garantir l’efficacité,
une détermination des vulnérabilités devrait être entreprise au
plus tôt. Une fois celles-ci identifiées, des mesures adéquates
devraient immédiatement être prises, notamment pour adresser les
personnes concernées à des prestataires de soins spécialisés et/ou
les transférer vers un logement adapté. À défaut, les personnes
vulnérables risquent d’être exposées à diverses formes de préjudice
dont les conséquences peuvent, entre autres, compliquer les efforts
futurs d’intégration.
6. Préparer
les migrants à une intégration réussie
6.1. Formation
linguistique
40. La formation linguistique est
peut-être la mesure d’intégration «spécifique au pays» la plus essentielle. La
vie quotidienne dans la communauté d’accueil dépend de la maîtrise
de la langue et même les réfugiés les plus qualifiés ou compétents
ne trouveront pas d’emploi s’ils ne sont pas capables de communiquer
dans la langue locale. Cette formation doit donc commencer au plus
tôt; être adaptée au niveau d’instruction de la personne concernée
et à sa disponibilité, compte tenu de ses autres engagements; inclure
éventuellement une formation terminologique spécialisée, adaptée
à chaque secteur d’activité (qui pourrait dans l’idéal être assurée
dans le cadre de la formation professionnelle); et être souple dans
sa forme et sa durée. La Norvège, par exemple, propose trois voies
distinctes: pour ceux qui ont peu fréquenté l’école auparavant,
voire pas du tout (y compris les illettrés); ceux qui ont un bagage
scolaire limité; et ceux qui disposent d’une bonne formation générale,
jusqu’au niveau de l’enseignement supérieur, pour lesquels les progrès
sont plus rapides. Le projet «Intégration linguistique des migrants
adultes» du Conseil de l’Europe a développé un site web pour permettre la
mise en commun et à disposition de ressources utiles, notamment
un guide intitulé «Les réfugiés ont besoin d’un soutien linguistique:
que peuvent faire les volontaires». Le Conseil de l’Europe a par
ailleurs organisé du 30 mars au 1er avril
2016 un symposium sur l’intégration linguistique des migrants
.
41. À titre d’exemple, la Norvège offre jusqu’à 250 heures de
formation linguistique aux demandeurs d’asile résidant dans les
centres d’accueil. En Finlande, le ministère de l’Emploi et de l’Économie
juge préférable de procéder à une évaluation des compétences des
réfugiés dès leur arrivée dans les centres d’accueil, de manière
à ce que les autres activités d’intégration, comme la formation
linguistique, l’éducation et la formation professionnelle, puissent
démarrer au plus tôt. Dans la région de la Sarre en Allemagne, des
conseillers interviennent dans les centres d’accueil pour apporter
un soutien psychologique aux nouveaux arrivants et les conseiller
sur la vie en Allemagne. Trois mois après réception de la demande
d’asile, l’Allemagne permet aux demandeurs originaires de pays pour
lesquels le taux de reconnaissance du statut de réfugié est élevé
l’accès à des cours d’intégration comprenant jusqu’à 600 heures
de cours de langue et d’éducation civique. Dans d’autres pays, dont
la Belgique, l’Espagne et l’Italie, la formation linguistique des
demandeurs d’asile s’accompagne d’une formation pour adultes et
de cours d’intégration civique, d’une formation professionnelle et
d’une évaluation des compétences.
6.2. Évaluation
des compétences et des qualifications
42. Si les réfugiés et autres bénéficiaires
d’une protection internationale auront quasiment toujours accès au
marché de l’emploi, on note une tendance grandissante à l’extension
de ce droit aux demandeurs d‘asile. Cette possibilité est habituellement
soumise à conditions dans le but d’assurer un juste équilibre entre
le risque d’abus du système d’asile par des migrants économiques
n’ayant pas droit à une protection internationale, et l’intérêt
tant des pays d’accueil que des demandeurs d’asile d’autoriser l’accès
de ces deniers à des emplois rémunérés et constructifs; la protection
des travailleurs nationaux est un autre argument mis en avant. Ces conditions
peuvent inclure un délai d’attente entre le dépôt de la demande
d’asile et l’accès du requérant au marché de l’emploi, un critère
appliqué par la plupart des pays à quelques exceptions près (par
exemple la Grèce, la Norvège et la Suède)
; un examen de la situation de l’emploi
pour vérifier la disponibilité de travailleurs nationaux pour pourvoir
les postes vacants (comme par exemple en Allemagne, Autriche, Hongrie, Luxembourg
et Suisse); et, plus rarement, une restriction d’accès à certains
secteurs (par exemple en Autriche et au Royaume-Uni). L’Allemagne,
qui a accueilli un nombre exceptionnel de réfugiés et de demandeurs d’asile,
a décidé à la lumière de son expérience d’autoriser l’accès au marché
de l’emploi après un délai de trois mois aux demandeurs d’asile
originaires de pays pour lesquels le taux de reconnaissance du statut
de réfugié est élevé. Auparavant, cet accès n’était accordé qu’après
l’octroi du statut de réfugié. La nouvelle politique permet aux
demandeurs d’asile et aux réfugiés de commencer à travailler ou
de suivre une formation professionnelle alors qu’ils sont encore
pleinement motivés.
43. Assurer l’accès des réfugiés et des demandeurs d’asile au
marché du travail nécessite d’évaluer leurs compétences et qualifications.
La plupart des réfugiés ont fui leur pays sans emporter de documents
attestant de leur niveau d’éducation, de leurs qualifications ou
de leur expérience professionnelle, aussi incombe-t-il aux autorités
de faire montre de flexibilité et de tolérance en acceptant d’autres
formes de preuves
.
L’évaluation des compétences et qualifications devrait être une
priorité car elle constitue la base de l’identification des besoins
de formation et des possibilités d’emploi. En Allemagne par exemple,
l’Agence fédérale pour l’emploi a lancé un projet pilote qui met
en œuvre des méthodes innovantes faisant appel à la vidéo pour évaluer
les compétences de base dans un contexte réel et dont les résultats
sont disponibles sous 48 heures; l’objectif est également d’assurer
la transparence et d’instaurer un climat de confiance avec les employeurs
potentiels. À Vienne, en Autriche, le service public de l’emploi
procède à des «vérifications des compétences» dans le cadre d’un
programme de cinq semaines. Outre ces évaluations, le programme
donne également des informations et le service public de l’emploi
organise des formations en entreprises. À la fin du programme, chaque participant
reçoit un rapport lui permettant de visualiser l’état de ses compétences.
6.3. Formation
professionnelle et accès au marché du travail
44. Pour la plupart des demandeurs
d’asile et des réfugiés, un minimum de formation professionnelle
sera nécessaire pour renforcer leur attractivité aux yeux des employeurs
du pays d’accueil. Les exemples de ce genre sont nombreux et variés
dans les États membres. À Neuchâtel, en Suisse, le Bureau régional d’intégration
et la Chambre locale d’agriculture et de viticulture travaillent
de concert sur le projet «AGRIV», qui propose aux réfugiés ayant
une expérience antérieure dans le domaine agricole des cours de
langue sur le vocabulaire technique, une formation professionnelle
ainsi que des stages de courte durée; les agriculteurs locaux peuvent
ainsi embaucher des réfugiés aux compétences certifiées en lieu
et place de saisonniers recrutés à l’étranger.
45. À Berlin, la Chambre de commerce et d’industrie locale propose
des «start-up classes» aux réfugiés qui travaillaient à leur propre
compte dans leur pays d’origine, et anime un programme intitulé
«Bridging the gap» visant à faciliter la transition des réfugiés
des «classes de bienvenue» de base à une formation professionnelle. Le
programme conjoint du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne
«Diversité dans l’économie et l’intégration locale» (DELI), qui
déploie ses activités dans 10 villes partenaires, a pour ambition
de favoriser l’élaboration de politiques locales plus efficaces
d’aide aux petites et moyennes entreprises appartenant à des migrants
et à l’entrepreneuriat de ces derniers dans le cadre de politiques
plus larges en faveur de la diversité et de l’inclusion
.
Au «guichet unique» pour les migrants que j’ai visité à Lisbonne,
les migrants avaient la possibilité de suivre une formation à l’entreprenariat
et de bénéficier de conseils et de contacts pour créer leur propre
petite entreprise.
46. Les entreprises peuvent également contribuer à faciliter l’accès
des réfugiés au marché de l’emploi. À Genève, une association locale,
qui propose des vélos en prêt gratuit durant la belle saison et
en location toute l’année, a offert des centaines de stages et de
postes de formation à des réfugiés et des résidents locaux en recherche
d’emploi dans des secteurs tels que le service à la clientèle, la
gestion opérationnelle, la logistique ou la mécanique et la maintenance
de bicyclettes. Ces activités permettent aux réfugiés de s’habituer
à interagir avec des personnes de diverses origines ethniques et
sociales, d’améliorer leur maîtrise de la langue, de faire la preuve
de leurs compétences et de démontrer que les réfugiés sur un plan
général peuvent contribuer à la société. En Allemagne, l’entreprise
multinationale Siemens a commencé à travailler avec la municipalité
d’Erlangen pour proposer des stages à des demandeurs d’asile qualifiés,
un projet depuis lors étendu à l’ensemble du pays. Tout le monde
y gagne dans cette opération: les demandeurs d’asile bénéficient d’une
formation et de possibilités d’emploi; les autres employés ont l’occasion
d’interagir avec des demandeurs d’asile et de remettre en cause
les préjugés qu’ils étaient susceptibles d’avoir; et Siemens peut
tirer profit du potentiel de demandeurs d’asile qualifiés.
47. Les initiatives de la société civile peuvent elles aussi jouer
un rôle important en réunissant des réfugiés et des employeurs potentiels.
À Berlin, par exemple, l’ONG Arrivo fait office d’intermédiaire
entre les demandeurs d’asile et des PME artisanales, proposant des
cours de langue spécialisés et un apprentissage des rudiments des
métiers de l’artisanat qui peuvent déboucher sur une formation professionnelle
et des stages auprès d’employeurs locaux. L’Institut für Talententwicklung
(Institut de promotion des talents) collabore depuis 2015 avec de
jeunes réfugiés, à la demande d’employeurs du secteur des services
de santé, de l’industrie, de l’artisanat et de l’hôtellerie. Deux
forums de l’emploi spéciaux ont été organisés en 2016, suscitant
d’excellents retours de la part des employeurs, dont 50 % ont indiqué
avoir trouvé des réfugiés convenant à la formation proposée. D’ailleurs,
certains de ceux que j’ai rencontrés à Berlin m’ont précisé que certains
employeurs préféraient souvent travailler par exemple avec les organisateurs
de salons de l’emploi plutôt qu’avec les autorités. En bord de mer,
près de Lisbonne, j’ai eu l’occasion de visiter un hôtel géré par
la Fondation Inatel, dans lequel sont organisées des formations
sur site aux métiers de l’hôtellerie, assorties de propositions
d’emplois dans ses hôtels subventionnés pour seniors.
7. Intégration
sociale et culturelle et respect des valeurs de la communauté d’accueil
48. Les activités sociales, culturelles
et sportives sont l’un des meilleurs moyens de réunir les réfugiés
et la communauté d’accueil dans un environnement délibérément détendu,
informel et souple. Il s’agit d’un autre secteur où la société civile
peut jouer un rôle particulièrement essentiel. En effet, le caractère
souvent spontané et volontaire de l’action de la société civile
est mieux adapté à cet égard que la nature plus bureaucratique et descendante
de l’intervention de l’administration. Les autorités devraient néanmoins
reconnaître l’importance de prendre des mesures dans ce domaine
et encourager et soutenir les activités des organisations de la société
civile. Leur soutien peut prendre différentes formes, depuis la
facilitation des contacts et la promotion des activités, jusqu’à
la mise à disposition de locaux et la fourniture d’équipements ou
d’une aide financière. Les bienfaits de ces activités sont importants
pour la dignité, l’estime de soi, et le sentiment d’agir et de participer
des réfugiés.
49. À Borlänge, en Suède, par exemple, un entrepreneur local a
constitué une équipe de bandy (une forme de hockey sur glace) afin
d’encourager les relations entre les réfugiés somaliens et la communauté
suédoise de souche. Le Centre portugais pour les réfugiés a recours
aux activités théâtrales pour aider les réfugiés à apprendre le
portugais, prendre confiance en eux et développer une certaine aisance
relationnelle. Le S.C. Bomani, un club de football berlinois composé
pour l’essentiel de réfugiés, participe aux matchs locaux de ligue et
de championnat. Il contribue avec les centres de formation des adultes
«Volkshochschule» (universités populaires) qui dispensent aux réfugiés
des formations linguistiques, à l’organisation d’un tournoi de football regroupant
des équipes composées d’Allemands de souche et de réfugiés originaires
de cinq pays. Le projet «Rendez-vous au musée», une collaboration
entre plusieurs musées berlinois, forme des réfugiés syriens et irakiens
au métier de guide pour pouvoir proposer des visites guidées de
musées à d’autres réfugiés de ces pays dans leur langue maternelle.
50. En Norvège, la Croix rouge met en œuvre un programme intitulé
«Refugee Guides» qui encourage les ressortissants locaux et les
réfugiés à prendre l’engagement de passer du temps ensemble pendant
une période de neuf mois. C’est l’occasion pour le réfugié de pratiquer
le norvégien, de se familiariser avec les normes sociales et de
bénéficier d’une aide dans l’accomplissement des tâches bureaucratiques.
Pour sa part, le citoyen norvégien découvre la situation dans le
pays d’origine du réfugié. Un projet connexe est mené à Bergen en
coopération avec le Centre d’accueil pour les réfugiés et le service
de protection de l’enfance. Il suit une approche individuelle pour
aider les jeunes adultes (de 15 à 25 ans), en particulier les mineurs
non accompagnés, à créer leur propre réseau social en établissant
des liens avec des familles norvégiennes.
51. L’intégration consiste également à garantir la compréhension
et le respect par les demandeurs d’asile et les réfugiés des valeurs
culturelles et des principes constitutionnels fondamentaux du pays
d’accueil, y compris le respect de la diversité, l’égalité des genres
et un comportement approprié dans les lieux publics. Dans ce domaine
tout particulièrement, la réussite des activités tient au caractère
volontaire de la participation à un processus collaboratif, dans
lequel l’implication de la communauté des réfugiés et des chefs
religieux est très importante. Il peut s’agir d’un secteur délicat
et difficile à aborder par les autorités, mais pour éviter les problèmes
et préserver la confiance du public, il est essentiel qu’elles prennent
des mesures positives. La série d’agressions sexuelles et de vols
commis dans différentes villes d’Europe du Nord pendant la nuit
de la Saint Sylvestre 2015, dans certains cas par des demandeurs
d’asile, illustre les conséquences d’un défaut d’action pour le
comportement individuel, pour la perception qu’a le public des réfugiés
et des demandeurs d’asile en général, et bien évidemment pour les
victimes de ces actes, pour l’essentiel des femmes. En Finlande,
les autorités, mais aussi les acteurs de la société civile, diffusent
très tôt des informations sur la diversité et les normes culturelles
dans les centres d’accueil. En Hongrie, les enfants étudient une
matière scolaire spécifique appelée «L’homme et la société» en vue
«d’acquérir les connaissances et les compétences liées à l’égalité
de traitement et l’égalité des chances».
52. La difficulté manifeste tient à l’identification et l’expression
de ces «valeurs» d’une manière qui fasse consensus au sein de la
communauté d’accueil tout en étant efficace et accessible pour les
demandeurs d’asile et les réfugiés. Le gouvernement fédéral allemand,
en collaboration avec l’Association allemande des artistes, envisage
d’engager un vaste débat public sur ce thème, abordant des questions
telles que la liberté de religion et la tolérance, l’antisémitisme
et les attitudes à l’égard de l’État d’Israël, l’égalité de genre
et les relations entre les femmes et les hommes, ou encore le mariage
des enfants. Ce dernier point, ainsi que la question des mariages
polygames autorisés dans certains pays d’origine, soulèvent des
problèmes juridiques pour lesquels il convient de trouver des solutions
conformes à la législation nationale, tout en évitant les sanctions
et en donnant des conseils aux personnes dont la structure familiale
déjà établie devient illégale à leur arrivée dans le pays d’accueil
.
53. Comme noté précédemment, beaucoup de réfugiés resteront dans
le pays d’accueil pendant des années, des décennies, voire indéfiniment.
Plus le séjour est long, plus les liens tissés seront forts qu’il
s’agisse des amis et voisins, des collègues de travail, des éventuelles
épouses nées dans le pays, des écoles des enfants, etc., et plus
le pays d’origine semblera lointain, surtout pour les enfants nés
dans le pays hôte. La perspective de rentrer «à la maison» peut
paraître de plus en plus irréelle. Dans ces circonstances, l’étape finale
de l’intégration sera l’octroi de la citoyenneté; d’une certaine
manière, leur cas est comparable à celui des demandeurs d’asile
nouvellement arrivés, pour lesquels un enregistrement et une détermination
rapides de leur statut s’imposent, pour clarifier et stabiliser
leur situation juridique et leurs droits. Si les réfugiés peuvent être
tenus de remplir certaines conditions pour obtenir la citoyenneté,
ils ne devraient pas être obligés de répondre à des critères plus
élevés que d’autres demandeurs, et encore moins se voir refuser
le droit d’en faire la demande.
8. Intégration
et radicalisation
54. Les réfugiés et les demandeurs
d’asile ont beaucoup plus de chances de succomber à la radicalisation s’ils
se sentent marginalisés, exclus, discriminés ou autrement coupés
de la communauté d’accueil. L’intégration est un moyen important
de prévenir les risques de radicalisation, car elle traduit l’attention
portée par la communauté d’accueil au bien-être des réfugiés, la
foi dans leur potentiel à contribuer de manière constructive à la
société et le respect de leur dignité et de leur valeur fondamentale
en tant qu’êtres humains, tout en renforçant la compréhension qu’ont
les réfugiés de la communauté d’accueil et leur identification avec cette
dernière. Les jeunes sont particulièrement exposés au risque de
radicalisation, raison supplémentaire de prêter une attention spécifique
aux besoins de protection des mineurs non accompagnés et d’éviter l’application
de politiques nationales trop restrictives en matière de regroupement
familial. M. Martti Ahtisaari, lauréat du prix Nobel de la paix
et ancien président de la Finlande, a dit un jour que la plus grande
menace pour la paix et la stabilité dans le monde est le trop grand
nombre d’hommes jeunes qui n’ont rien à faire. Les États membres
devraient garder cela à l’esprit et veiller à ce que ces jeunes
hommes (et femmes) ne soient pas laissés pour compte et participent
à des activités qui leur donnent un but et un espoir pour l’avenir.
55. L’ONG allemande Hayat (mot qui signifie «vie» en arabe) intervient
auprès de jeunes en voie de radicalisation, à l’invitation des parents
ou lorsqu’elle est informée de situations préoccupantes par des mosquées
ou des écoles. Elle entretient également des liens avec la Conférence
islamique allemande et le ministère fédéral de l’Immigration et
des Réfugiés. Selon Hayat, le manque d’accès aux mesures d’intégration peut
être un facteur clé propice à la radicalisation, qui vient s’ajouter
à des considérations individuelles sous-jacentes comme la situation
personnelle et familiale immédiate de l’intéressé. À Bergen, en
Norvège, les autorités, de concert avec la population somalienne
locale, s’efforcent de remédier à certains problèmes comme le manque
de maîtrise de la langue, le faible niveau d’éducation et de taux
d’emploi, en parallèle des ruptures familiales et des différences
culturelles fondamentales qui sont autant de signes d’une mauvaise intégration,
dans le cadre d’un plan d’action anti-radicalisation 2015-2020.
Avec la participation de la police, des imams et des établissements
scolaires, ce plan prévoit des actions de lutte contre la radicalisation, notamment
l’organisation d’une formation à l’intention des communautés musulmanes
sur des questions comme la liberté d’expression et la diversité
religieuse, ainsi que la mise en place de groupes de discussion sur
la violence domestique, le leadership et l’intégration sociale.
Il cible également les individus en cours de radicalisation ou déjà
radicalisés, en s’attachant particulièrement aux jeunes. L’expérience
de Bergen dans ce domaine met en lumière l’importance d’associer
les communautés de réfugiés et leurs chefs à l’élaboration et la
mise en œuvre de projets concernant les réfugiés
9. Conclusions
et recommandations
56. L’intégration des réfugiés
est un processus extrêmement complexe, qui fait intervenir de nombreux acteurs
et un vaste éventail de mesures éventuelles touchant différents
domaines d’action, souvent sur une longue période. Compte tenu de
l’espace limité dont je dispose, je me suis efforcée d’examiner
et d’expliquer les principaux problèmes, de les illustrer d’exemples
choisis de projets et d’activités qui se sont avérés efficaces,
souvent ceux élaborés et mis en œuvre pour faire face à la situation
critique de 2015-2016. Au cours de la préparation du rapport, j’ai
jugé rassurant que les acteurs, à tous les niveaux de la société
et dans beaucoup d’États membres, aient désormais pleinement conscience
– si ce n’était pas déjà le cas – de l’importance des politiques
d’intégration et adoptent une approche constructive, innovante,
ouverte et déterminée pour faire en sorte de garantir la réussite
du processus d’intégration dans leur pays.
57. Nous ne devons cependant pas baisser la garde. Le simple nombre
de personnes arrivées en Europe est un défi en soi, alors même que
l’Allemagne s’emploie encore à traiter un arriéré de demandes d’asile.
Si l’essentiel des craintes éprouvées au début de l’année 2016 se
sont désormais dissipées, les attaques terroristes perpétrées au
cours de l’année passée, dont certaines commises par des individus
entrés dans le pays en tant que demandeurs d’asile, ont eu pour
conséquence malheureuse d’associer dans l’esprit de certaines personnes
«réfugiés» et «risques pour la sécurité». L’intégration de ceux
qui ont droit à une protection s’en trouve singulièrement compliquée,
notamment lorsque certains responsables politiques extrémistes –
et malheureusement d’autres aussi, autrement considérés comme modérés
– attisent les craintes de la population en cédant à un alarmisme
infondé, voire en se laissant aller à des discours de haine envers
les réfugiés et les migrants. C’est à la fois inacceptable et contre-productif:
l’intégration des réfugiés est un processus long et complexe, qui
suppose une détermination sans faille de la part des réfugiés eux-mêmes et
des autorités, ainsi que l’engagement constant de la société civile.
Dès lors que les politiques n’encouragent plus l’intégration et
que la population affiche une attitude de méfiance et d’hostilité
à l’égard des réfugiés, ces derniers sont en proie à l’isolement,
de plus en plus marginalisés et exposés au risque de radicalisation.
58. Par ailleurs, comme le flux de réfugiés ne se tarira jamais
complètement (ce qu’il ne doit d’ailleurs pas faire) et compte tenu
du nombre déjà si élevé de personnes bénéficiant désormais d’une
protection en Europe, il est absolument nécessaire et incontournable
de veiller à leur intégration effective dans les pays d’accueil. Les
ressources consacrées à cette tâche ne sont pas gaspillées, mais
constituent avant tout un investissement offrant d’importantes perspectives
de retours dans le futur. Sur la base de mon examen de la situation
actuelle en Europe, je propose une série de principes fondamentaux
pour les actions à entreprendre aux niveaux national et européen,
tels qu’énoncés dans le projet de résolution correspondant.